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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 28 juin 1832

(Moniteur belge n°182, du 30 juin 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

A midi et demi on procède à l’appel nominal.

M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal, la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lebègue écrit qu’il est appelé chez lui pour quelques jours ; il prie M. le président de faire agréer ses excuses à la chambre.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la guerre

Rapport de la commission

M. Brabant, rapporteur de la commission qui a été nommée hier pour examiner le projet de loi portant allocation d’un crédit supplémentaire de cinq millions de florins au budget de la guerre, prend la parole. Il s’exprime en ces termes. - Messieurs, la commission a vérifié les calculs sur lesquels était basée le demande du crédit de cinq millions qui vous a été présenté hier par M. le ministre de la guerre. Ces bases vous ont été soumises lors de la discussion du budget. D’après les renseignements fournis et du consentement du ministre, nous avons cru pouvoir opérer une réduction de six cent mille florins, réduction fondée sur la situation des magasins et quelques économies que l’on pourra introduire dans les garnisons.

En conséquence, nous avons l’honneur de vous proposer l’adoption du projet, en y substituant le chiffre de 4 millions 400,000 fl., à celui de 5,000,000.

M. le président. - Quand voulez-vous discuter cette loi ?

M. Legrelle. - La demande que l’on fait aujourd’hui est la conséquence de la levée d’hommes qui a été votée ; une loi entraîne nécessairement l’autre. Il me semble que nous pouvons voter immédiatement.

M. Osy. - Je crois également que le projet de loi est la conséquence de la loi concernant la levée d’hommes ; mais je ne crois pas qu’on doive pour cela le voter sur-le-champ. Auparavant il faut que M. le ministre des finances nous dise comment il fera face, comment il satisfera aux besoins du ministère de la guerre ; 24 heures de retard n’entraîneront aucun inconvénient. Vous avez déjà un déficit de plus de 12 millions ; ce n’est pas avec quelques papiers en portefeuille que vous le comblerez ; je puis vous démontrer que telle est votre situation. Je voudrais qu’on nommât une commission laquelle s’entendrait avec M. le ministre des finances pour aviser aux moyens de faire face aux besoins du trésor.

M. H. de Brouckere. - S’il y avait la moindre urgence, je voterais sur-le-champ : mais le sénat n’est pas réuni ; quand il sera réuni, il mettra plusieurs jours pour voter la loi relative à la levée de l’armée de réserve. Je demande que la chambre remette à lundi.

M. Leclercq. - Je crois aussi qu’on ne doit pas adopter la loi sans l’examiner. Cependant cet examen n’est pas chose si compliquée que nous puissions le faire promptement ; nous avons décidé la principale question, celle de la levée des hommes.

Dès que nous consentons à lever 30,000 hommes, nous consentons à la dépense ; la dépense c’est une question de chiffres. Nous avons vérifié les chiffres du ministère, la commission a vérifié les calculs ; et ce calcul est tellement simple que si quelques députés veulent le refaire, ils auront terminé ce travail pour demain.

M. Osy demande comment on trouvera les fonds. Je ne pense pas que la question soit de savoir si l’on a les fonds ; le gouvernement a demandé 30,000 hommes, il demande maintenant 5 millions de florins.

La véritable question est de lever des hommes et de les équiper de suite, parce que c’est une question de vie ou de mort pour nous. Ainsi il ne s’agit pas de savoir comment on trouvera des fonds, à moins qu’on nous dise que nous ne pouvons pas trouver 4 ou 5 millions de florins dans le pays. Ce n’est pas là la question qui doit nous occuper, la question qui doit nous occuper est celle de la levée des hommes. La question de la levée des florins pourra se résoudre dans deux mois d’ici quand nous en serons au budget.

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Mon intention était de présenter à la chambre, à l’appui de la proposition qui a été faite par la commission, les observations qui viennent de vous être soumises.

Un honorable préopinant, dans une des précédentes séances, vous avait, à l’occasion de la loi sur l’armée de réserve, déjà entretenu des conséquences naturelles du vote de la levée de 30,000 hommes. Aujourd’hui ou veut rattacher à ce vote un chapitre de la loi des voies et moyens.

Messieurs, si de nouveaux moyens sont nécessaires, un projet de loi sera présenté par le ministre des finances, mais un projet de cette nature mérite un mûr examen. On voudra voir si c’est par des centimes additionnels ou par de nouveaux impôts que l’on fournira aux besoins du trésor. Un projet de loi semblable demande à être médité lentement et profondément, et il ne se rattache nullement à la proposition qui vient d’être faite.

- Plusieurs membres. - Votons immédiatement !

M. H. de Brouckere. - A demain !

M. le président. - Il y a deux opinions, il faut consulter la chambre.

- La majorité est pour le renvoi de la discussion à demain.

Projet de loi portant organisation judiciaire

Second vote des articles

Titre V. Dispositions transitoires

Article 48

M. le président. - Nous allons reprendre la discussion du projet de loi sur l’organisation judiciaire.

« Art. 48. La première nomination des président et des conseillers de la cour de cassation appartient au Roi. »

M. Van Meenen demande la parole pour une motion d’ordre. - Messieurs, ma motion est la question préalable fondée sur l’inconstitutionnalité de l’article.

Si l’on me reprochait que ma proposition surgit à l’improviste, je renverrais le reproche à ceux qui m’ont interrompu avant-hier au moment même où j’annonçais que j’allais porter à la connaissance de la chambre les propositions que j’avais dessein de lui faire, et à l’assemblée, qui, alors, comme cela lui arrive souvent, s’est mise du parti des interrupteurs.

Si l’on m’opposait l’article 45 ou tout autre du règlement, je répondrais qu’entre le règlement et la constitution notre première loi source, règle et limite de nos pouvoirs, le règlement doit évidemment céder. J’ajouterais qu’il ne sert de rien que le règlement dise : votez ; quand la constitution dit : vous ne pouvez voter.

Que si on nie que l’article soit entaché d’inconstitutionnalité, je répondrai qu’entre moi qui affirme l’inconstitutionnalité, et qui veux la prouver, et celui qui la nie, l’assemblée ne peut décider sans commencer par m’entendre, à peine de se jouer de la constitution, et de nos serments. J’espère donc que l’ennui d’entendre et l’impatience de finir céderont au devoir de m’écouter car c’en est un. J’écris pour être bref et pour épargner les moments dont la chambre est tantôt prodigue, tantôt avare à l’excès.

Je dis donc que la constitution serait violée par l’article 48, s’il était converti en loi et je le prouve.

M. le président. - Cette discussion est contraire au règlement ; l’article 48 n’a pas été amendé ; l’article 45 du règlement ne permet pas de continuer.

M. Van Meenen. - La constitution est supérieure au règlement.

M. Gendebien. - La question est de savoir si la constitution a été violée oui ou non. Il faut entendre l’orateur.

M. Van Meenen. - Je suis en train de vous le prouver... (L’honorable membre continue sa lecture.)

« Le première nomination de président et des conseillers de la cour de cassation, porte l’article, appartient au Roi. »

Si c’est une déclaration, elle est fausse : car ni la constitution ni aucune loi n’attribue cette première nomination au Roi, et je n’ai pas besoin de vous rappeler de nouveau et toujours l’article 78 et l’article 29 de la constitution.

Le mot « appartient » est donc une formule énonciative, qui sert ici à déguiser la délégation qu’on vous propose de faire de la première nomination pure, simple, directe et absolue.

Or cette délégation, vous ne pouvez la faire, pour deux raisons.

La première, que l’article 136 de la constitution vous charge de déterminer le mode de la première nomination des membres de la cour de cassation, loin de vous autoriser à déléguer cette première nomination, sans même en avoir déterminé quoi que ce soit. La seconde, que les juges des conflits et des ministres, ne peuvent être nommés directement, et sans présentation, publicité ni contrôle, par le gouvernement. Cette seconde raison doit frapper tons les esprits ; elle est d’autant plus puissante que la cour de cassation une fois instituée peut, avec la connivence du ministère, se perpétuer elle-même.

La cour de cassation étant une fois instituée, la nomination de ses membres (et non la désignation de ses présidents et vice-présidents) appartient au Roi, en vertu de l’article 99 de la constitution, mais « sur deux listes doubles, présentées l’une par le sénat, l’autre par la cour de cassation, et rendues publiques au moins quinze jours avant la nomination. » Donc aussi longtemps que la cour de cassation n’est point instituée, la première nomination de ses membres n’appartient à personne. C’est à la loi qu’il est réservé d’en déterminer le mode. Or ce n’est pas faire cette loi que déléguer, comme on vous le propose, la nomination même purement et simplement, et par conséquent la détermination de son mode, aussi bien que la nomination elle-même.

On vous propose donc, messieurs, de faire ce que vous ne pouvez pas (déléguer purement et simplement la nomination), et de ne pas faire ce que vous devez (déterminer le mode de la nomination).

On se saisit, par un artifice que je m’abstiens de qualifier, de ce qui peut se trouver de favorable à un certain système, dans les articles 99 et 136 de la constitution, en rejetant le reste, et en vous cachant les articles 90 et 106 qui heurtent trop vivement ce système.

Il est bien vrai, messieurs, que, d’après la lettre de l’article 99, le Roi « nomme », mais le mot employé dans son acception véritable à l’égard des membres des tribunaux inférieurs, n’a pour ainsi dire que celle d’ « institue », quand il s’agit de la cour de cassation. Ici le Roi n’a le choix tout au plus qu’entre quatre candidats présentés, sous le contrôle de la publicité. Or, que vous propose-t-on, messieurs ? Sous prétexte de déterminer le mode de la première nomination, on vous propose d’immoler au profit du ministère le mode que la constitution a établi pour les nominations en général sans lui en substituer un autre quelconque.

Il faut prendre les articles 99 et 136 dans leur entier, et au lieu de les opposer l’un à l’autre, les combiner de manière à conserver l’esprit général de la constitution en ce qui concerne l’institution des juges, et à ne pas heurter les premières notions de la justice et du bon sens, en conférant la nomination de ses juges à une des parties.

Si le Roi a le droit de nommer, c’est corrélativement et subordonnément au droit de présenter qu’ont le sénat et la cour de cassation. La cour de cassation unique que la constitution a voulue n’existe pas, mais il existe des cours faisant fonctions de cour de cassation : mais du moins, le sénat existe ; pouvez-vous le dépouiller de son droit ? Pourrait-il consentir à l’abdiquer ? Pas plus que vous ne pouvez vous-mêmes déléguer la mission de déterminer le mode de cette première nomination.

Pourquoi la constitution vous a-t-elle chargés de cette mission ? parce que dans l’absence de la cour unique de cassation voulue par l’article 95, le mode de nomination prescrit en général par l’article 99 ne pourrait être suivi purement et simplement pour cette première nomination ; au lieu d’en conclure qu’il faut suppléer à certaines formes, on vous propose de les supprimer toutes.

En résumé : Vous devez déterminer le mode de première nomination de la cour de cassation dans l’esprit des articles 136, 99, 90 et 104 de la constitution ; vous devez pourvoir à ce qu’il soit établi des juges entre les citoyens et le ministère, en cas de conflit entre l’Etat et les ministres, en cas d’accusation des ministres.

J’en appelle à votre bon sens, à votre conscience, messieurs, est-ce là ce qu’on vous propose ?

Des considérations politiques et morales se pressent en foule dans mon esprit ; je m’abstiens de les présenter pour ne me renfermer que dans la question de constitutionnalité.

Mais d’après la constitution, la nomination d’un seul membre de la cour de cassation ou d’une cour d’appel, doit être, par le concours des grands corps de l’Etat et par la publicité la plus large, un acte grave imposant, solennel : or, d’après le projet, la première nomination de tous les membres de la cour de cassation, de la cour régulatrice, de la cour suprême, de la cour associée en quelque sorte au pouvoir législatif, se trouve réduite aux formes, aux dimensions et à la clandestinité d’une nomination d’un chef de bureau, ou d’un arrêté de gratification. Cela n’est-il point inconstitutionnel ? Cela n’est-il point déplorable ?

Je viens de m’acquitter d’un pénible devoir : le vôtre commence, messieurs.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, l’assemblée aura déjà observé que l’article maintenant en discussion a été voté sans aucune espèce d’amendement. Cependant vous savez que dans le projet du gouvernement il y était dit que la première nomination de tous les magistrats serait faite par le Roi. Cet article se trouve dans le projet de la section centrale, rédigé par des personnes qui sans doute connaissaient le sens et l’esprit de la constitution, puisqu’il se trouvait dans la section centrale des hommes qui avaient fait partie de la section centrale du congrès même et qui avaient assisté à la discussion des articles 135 et 136 de la constitution.

Eh bien, cet article 48 a été adopté à l’unanimité par la section centrale. Après de tels antécédents, il serait bien étonnant, bien singulier, qu’il se trouvât une inconstitutionnalité dans le projet, et que cette inconstitutionnalité eût échappé à tous les yeux. Elle était donc bien imperceptible, cette inconstitutionnalité, si véritablement il y en a une, et il a fallu bien des efforts d’imagination pour la trouver.

Messieurs, cette inconstitutionnalité n’est purement qu’une chimère. Dans l’article 99 de la constitution, il s’agit de la cour de cassation déjà instituée ; mais le mode de première nomination fait l’objet des dispositions transitoires, et il est dit dans ces dispositions que le mode de première nomination sera réglé par une loi. Dès lors il était libre aux législateurs de conférer cette nomination au Roi, comme cela a eu lieu, et sans qu’aucune réclamation se soit élevée dans l’assemblée. Il n’y a donc pas l’ombre d’inconstitutionnalité, car la nomination du Roi est véritablement un mode de nomination.

Je ne sais pas s’il faut répondre à cette imputation extraordinaire, qu’un membre de la cour de cassation, par suite de l’article 48, serait nommé par un chef de bureau : vous savez, messieurs, que ce sont des nominations fort graves que celles des magistrats, et je crois qu’il est inutile de repousser une semblable imputation.

M. Brabant. - L’orateur a dit : « serait nommé comme un chef de bureau. »

M. Van Meenen. - J’ai dit : « Dans les mêmes formes qu’un chef de bureau. »

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - J’ai pu me tromper ; quoi qu’il en soit, je ferai remarquer qu’un ministre est aussi nommé dans les mêmes formes qu’un chef de bureau ; il en est de même de la nomination d’un gouverneur de province ; et encore de même de la nomination d’un procureur-général, soit à une cour supérieure, soit à la cour de cassation (on rit) ; toutes ces nominations ont lieu comme celles des chefs de bureaux, et je ne sais s’il faut comparer tous ces administrateurs, tous ces magistrats à des chefs de bureaux.

L’article 48 a été adopté ; il n’a été l’objet d’aucun amendement ; il est donc impossible de revenir sur cet article, sauf la question de constitutionnalité. Or, démontrer la constitutionnalité de cet article en présence de l’article 136 de la constitution, ce serait s’attacher à démontrer la clarté de la lumière même. Il est évident qu’il est constitutionnel…

M. Lebeau. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Destouvelles. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président. - La parole est à M. Lebeau.

M. Lebeau. - Un fait personnel doit avoir la priorité.

M. Destouvelles. - L’honorable M. Van Meenen a dit que par un artifice qu’il s’abstenait de qualifier, on avait substitué, au mode qui devait déterminer la manière de nommer les membres de la cour de cassation, la nomination royale ; je ne sais pas ce qu’a voulu dire M. Van Meenen, et je me plaint autant du mot « artifice » qu’il a employé que de sa réticence. Je voudrais qu’il nous dît ce qu’il entend par artifice. La section centrale a pu se tromper ; mais elle a agi avec loyauté. Soutenez qu’elle a mal vu la question, je respecterai votre opinion ; mais ne l’accusez pas d’avoir eu recours à des artifices et ne faites pas usage de réticence, espèce de ménagement plus perfide encore que le mot d’artifice.

M. Van Meenen. - Je ne sais comment mes paroles ont pu donner à l’honorable préopinant l’idée d’accusation d’artifice que j’aurais faite. Il suffit de lire ce que j’ai écrit pour voir qu’il est dans l’erreur. Je n’ai pas eu l’intention d’attaquer la section centrale. Je parle du système dans lequel est conçu l’article 48 ; je dis qu’il est établi par un artifice qui consiste à prendre dans la constitution ce qui est favorable à l’article et à en rejeter le reste.

M. Lebeau. - Vous pressentez, messieurs, quelle est ma motion d’ordre.

Quelque imposant que soit le motif allégué par M. Van Meenen, je crois qu’il n’y a pas de prétexte pour sortir du règlement : s’il en existait, je pourrais remettre en question autant d’articles qu’il y en a d’adoptés, en me servant du prétexte qu’ils sont inconstitutionnels. Je le pourrais non seulement pour la cour de cassation, mais je le pourrais pour les greffiers, pour les commis-greffiers ; je le pourrais, parce qu’il ne s’agit pas d’avoir raison, mais un prétexte. Votre règlement sera foulé aux pieds toutes les fois qu’on aura quelque habileté à colorer d’inconstitutionnalité telle ou telle disposition.

Voulez-vous avoir la preuve que le procédé insolite qu’on vient d’employer ne conduit à rien, que nous nous engageons dans un défilé sans issue ? Demandez-vous si vous mettrez l’article aux voix : vous ne le pouvez pas. Ainsi voilà une discussion sans profit aucun.

Mais qui empêchait M. Van Meenen de faire valoir, lors de la première discussion, tous les scrupules, tous les motifs qui l’ont porté à voter contre la disposition de l’article 48 ? Rien, absolument rien.

Il suffirait donc qu’un membre fût soudainement illuminé, bien qu’il n’eût pas dit un mot pendant une discussion d’un mois, qu’il n’ait pas été absent, bien que la constitutionnalité du projet ait été examinée, pour venir soulever une question toute nouvelle. La discussion est oiseuse ; qu’on se serve du moyen de constitutionnalité, oui ou non, c’est un prétexte pour réformer votre règlement ; mais jusqu’à ce que vous l’ayez réformé, il est pour vous votre constitution ; si vous le violez il n’y a plus de délibération possible.

M. Gendebien. - C’est une chose bien étrange qu’un règlement fait pour la chambre puisse prévaloir sur une question de constitutionnalité. Quoi, sous le prétexte du règlement, nous serons condamnés à laisser dans une loi un article qui violerait la constitution ! Si l’on suppose que nous serons assez bénévoles, pour ne pas dire plus, pour admettre cette doctrine, on se trompe. Que dirait le peuple ? Il désapprouverait la loi inconstitutionnelle et peut-être ses représentants. On a beau dire que sous le prétexte d’inconstitutionnalité, on pourrait remettre en question les articles adoptés ; je dirai que si c’est un prétexte, après avoir entendu l’orateur, vous ferez justice de son erreur.

Mais vous êtes condamnés à entendre son orateur dès l’instant qu’il propose la révision d’un article pour cause d’inconstitutionnalité, et vous ne pouvez pas admettre un article inconstitutionnel sous le prétexte qu’il est contraire au règlement. Si la constitution a été violée l’article est nul, radicalement nul ; vous n’avez pas même à la mettre aux voix ; vous n’avez pas capacité pour voter de tels articles. Pour changer la constitution il faut être constitués autrement que vous ne l’êtes.

Il est impossible de repousser par une fin de non-recevoir ce que M. Van Meenen a proposé. Si l’on veut discuter, aucun article du règlement ne peut nous empêcher de le faire. On dit que personne ne s’est élevé contre cet article : des devoirs impérieux m’ont retenu hors de cette enceinte ; j’étais chargé de défendre la tête d’un honorable patriote et quand je suis revenu et qu’il a été question de donner la nomination de toute la magistrature au Roi, j’ai dit que je me serais formellement opposé à cet article si j’avais été présent.

Si vous ne contrevenez pas au texte de le constitution, vous contrevenez à son esprit, c’est le ministère actuel qui va composer la cour de cassation ; si une accusation était portée contre lui, ne serait-ce pas une commission nommée par les ministres qui serait chargée de les juger ?

Ce fait est dans l’ordre des choses possibles. Ce qui peut avoir lieu pour les ministres actuels, peut avoir lieu pour leurs successeurs, car le pouvoir est toujours le même. C’est donc une commission que vous allez nommer et qui aura une durée d’un quart de siècle. Elle se perpétuera par des présentations de même nature que les premières nominations. Messieurs, si vous ne mettez pas de plus de prévoyance dans vos lois, il arrivera bientôt que votre gouvernement représentatif ne sera qu’un mensonge.

M. Lebeau. - Messieurs, la motion que j’ai faite est exclusive d’une discussion au fond ; si je voulais parler sur le fond, je dirais qu’en France le Roi nomme les juges sous présentation et que personne n’en a conclu que les magistrats fussent des commissaires. Je dirais que le Roi nomme les pairs, que les pairs jugent les ministres et que personne n’a songé à réclamer contre la compétence de la chambre des pairs et sa haute dignité.

Je crois que la discussion du fond est en dehors du règlement et c’est l’exécution du règlement que je réclame, je me crois fondé parce que l’exécution du règlement est un principe constitutionnel.

Lisez l’article 46, chaque chambre détermine par son règlement le mode suivant lequel elle exerce ses attributions ; or, ce règlement c’est une constitution de l’assemblée. Vous ne pouvez pas plus le violer que les trois pouvoirs ne peuvent violer la constitution.

S’il y a des inconvénients attachés au mode que vous avez adopté, qu’on le réforme, qu’on y introduise telle amélioration qu’on voudra mais jusque-là le règlement, c’est la loi de l’assemblée. Messieurs, à quoi bon des discussions préparatoires, s’il faut absolument ouvrir de nouveau la discussion générale pour le prétexte d’inconstitutionnalité ? A quoi bon les précautions par le règlement ? A quoi bon l’examen des lois dans les diverses sections, puis dans la section centrale ? A quoi bon une première discussion où tout le monde a le droit de se faire entendre ? A quoi bon tous ces préliminaires, si l’on peut faire surgir un second vote sous prétexte de questions de constitution ? Alors nous allons au hasard ; nous n’avons plus de règlement. Pour violer un règlement comme pour violer la constitution on allègue toujours des motifs graves ; mais la constitution et le règlement sont des choses inviolables.

Par ces considérations, je demande la question préalable.

M. le président. - Vous discutez sur rien ; l’article 48 n’a pas été amendé !

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je m’étonne qu’un honorable membre, à qui tout le monde accorde beaucoup de bon sens, puisse vouloir que la chambre mette son règlement, qui n’est que de police, au-dessus de la constitution. C’est pourtant à cela qu’aboutit tout ce qu’a dit M. Lebeau. Je respecte autant et plus que lui le règlement de la chambre, mais je n’hésiterai jamais à violer ce règlement, lorsqu’en le violant je montrerai mon respect pour la constitution, qui, il faut bien le dire, n’est pas trop respectée. Prenons garde, nous sommes sur une mauvaise pente, peut-être arriverons-nous dans un abîme dont nous aurons peine à nous tirer.

On nous dira qu’avec des prétextes on pourra rentrer dans une discussion épuisée ; non, messieurs, on ne le pourra pas, parce que la chambre aurait bientôt fait droit des prétentions de l’orateur. Ce n’est pas pour un vain prétexte qu’on demande la parole, c’est pour satisfaire la conscience. Je suis persuadé que si M. Van Meenen faisait une proposition conforme à ce qu’il a exposé, il ne serait pas le seul qui voterait dans ce sens.

La question soulevée par M. Van Meenen n’a pas été discutée, et l’on a mauvaise grâce, archi-mauvaise grâce, de prétendre que sa question n’est pas soutenable.

M. Lebeau prétend que nous ne pouvons pas plus violer notre règlement que les trois pouvoirs ne peuvent violer la constitution. Dans une autre circonstance, M. Lebeau lui-même a demandé qu’on violât le règlement ; il a soutenu, attendu l’importance de l’objet en discussion, qu’on passât par-dessus les règles de notre police intérieure ; j’admets qu’il est des circonstances où l’on doit agir ainsi ; mais je ne reconnais jamais le droit de violer la constitution. Il n’y a pas de comparaison possible entre un misérable règlement et la constitution, et sous aucun prétexte on ne peut repousser les questions de constitutionnalité en disant qu’il n’y a pas lieu à délibérer.

M. le président. - Mais il n’y a rien en délibération.

M. Gendebien. - Il semble que l’on a voulu jeter un vernis de légèreté sur les membres qui ont réclamé dans le sens de M. Van Meenen ; nous avons soutenu que M. Van Meenen avait le droit de parler, de développer son opinion. La question est de savoir si l’on entendra M. Van Meenen ou si on ne l’entendra pas.

- Plusieurs membres. - Mais il a fini son discours.

M. Van Meenen. - S’il s’agit de moi, j’ai rempli les devoirs que ma conscience me prescrivait ; je n’ai pas un mot à y ajouter.

M. Gendebien. - J’entre pleinement dans l’opinion de M. Van Meenen.

Article 49

M. le président. - Nous passons à l’article 49, il est ainsi conçu : « La première nomination des présidents et conseillers des cours d’appel, ainsi que des présidents et juges des tribunaux de première instance sera faite directement par le Roi.

M. Mary. - Il m’a semblé que cet article devait être rédigé autrement et que M. le ministre de la justice avait adopté la rédaction de la section centrale ; que même il était auteur de la rédaction du projet de la section centrale.

M. Destouvelles. - J’ai dit que M. le ministre de la justice, après avoir appris que son premier projet avait été écarté par la section centrale, avait bien voulu se charger de le remanier et de faire une nouvelle rédaction ; que cette rédaction avait été soumise à un nouvel examen, et que l’article que la section présentait était le résultat de ce travail. Telle est l’exacte vérité.

M. le ministre de la justice, dans la section centrale, ne s’est point opposé à ce que l’article fût livré à la discussion, et il a déclaré en même temps qu’il se réservait d’attaquer les articles qui ne lui paraissaient pas devoir être adoptés.

M. Bourgeois. - Comme membre de la section centrale je dois dire que ce que vient d’exposer M. Destouvelles est l’exacte vérité, et j’ajouterai que l’article 49 était précisément du nombre de ceux contre lesquels le ministre avait fait des réserves.

M. Mary. - On a cru que le ministre admettait le projet de la section centrale puisqu’il en avait rédigé les articles et par ce motif que personne n’a réclamé.

La question est donc toute nouvelle.

L’article 99 de la constitution, concernant la nomination des magistrats est complexe. D’abord on dit que les juges des tribunaux sont nommés directement par le Roi. Quant aux présidents, vice-présidents des tribunaux de première instance et aux conseillers des cours d’appel, la constitution déclare qu’ils seront choisis par le Roi sur des listes. Je ne crois donc pas, messieurs, que nous puissions refuser au Roi la nomination des juges ; mais il n’en est pas de même de la nomination des conseilles des cours d’appel, des présidents et vice-présidents des tribunaux de première instance. Si la loi provinciale était adoptée, si vous aviez la cour de cassation, la question ne serait pas difficile. Il n’en est pas ainsi.

Quelle a été l’intention du congrès en voulant la présentation préalable exigée par l’article 99 ? Le congrès a voulu que dorénavant on ne pût plus attaquer l’indépendance des cours ; il a voulu que l’opinion publique fût favorable aux arrêts.

Il ne suffit pas d’avoir le pouvoir de rendre arrêts, pour qu’ils soient sanctionnés par l’opinion publique : Gaubordement, le tribunal révolutionnaire, les cours prévôtales avaient le pouvoir de rendre des arrêts ; mais leurs décisions n’avaient aucune force morale.

La nomination directe ne peut pas être généralement accordée au gouvernement. Cette nomination directe a été faite par le gouvernement provisoire ; eh bien, qu’elle soit maintenue. En France, vous avez eu quatre gouvernement depuis 1810, et l’on n’a pas cru, à chaque changement de gouvernement, qu’il fallût changer tous les magistrats. Cependant chaque gouvernement pouvait craindre de trouver dans les magistrats des antagonistes ; ici au contraire le gouvernement trouve dans les magistrats des hommes dévoués à l’ordre de choses actuel et prêts à seconder le pouvoir.

Mais, dit-on, le Roi a toujours une part dans la nomination ; si dans le maintien de ce qui est, le Roi n’a pas une part directe, il a du moins une part indirecte puisqu’il confirme.

La nomination signée par le Roi est contresignée par un ministre : le Roi est inviolable ; c’est le ministre qui est responsable ; vous n’avez d’autre garantie que celle offerte par le ministre ; pourquoi donner la nomination directe au pouvoir ? Est-il donc si avantageux d’avoir beaucoup de places à donner ? Louis XIV disait que quand il avait une place à donner il y avait toujours 20 postulants, et qu’il faisait 19 mécontents et un ingrat.

En maintenant les nominations faites par le gouvernement provisoire, on a encore beaucoup de nominations à faire. Vous aurez trois cours d’appel au lieu de deux qui existent, plus la cour de cassation ; le personnel de la magistrature est augmenté de plus d’un quart.

Par ces nominations, le gouvernement exercera une influence suffisante. Messieurs, je suis personnellement indifférent à la question ; mais je crois qu’elle intéresse le pouvoir ; je crois qu’il convient au gouvernement actuel de maintenir dans leurs fonctions et les conseillers et les présidents et vice-présidents des tribunaux. Ne pas le faire, ce serait rendre le terrain plus mouvant et augmenter la masse des mécontents.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - La discussion à l’égard de la question qui se présente a été épuisée dans une précédente séance, et vous savez quel a été le résultat du vote qui l’a suivie : l’amendement proposé a obtenu les deux tiers des suffrages.

Mais, fait observer l’honorable préopinant, on croyait que le ministre se ralliait aux dispositions de la section centrale : messieurs, vous avez entendu les honorables membres de cette section ; ils ont dit que j’avais formellement déclaré que je ne pouvais m’y rallier. Il y a plus, c’est que dans les observations préliminaires que j’ai présentées le premier jour de la discussion du projet, j’ai déclaré formellement que je ne me réunissais en aucune manière à l’opinion de la section centrale relativement à l’article 49 et aux articles suivants ; je l’ai déclaré le jour de l’ouverture de la discussion ; les paroles que j’ai prononcées ce jour-là ont été insérées dans les journaux, ainsi il n’y a aucune espèce de surprise, car c’est plus de huit jours après qu’a été discuté l’article 49.

Quant aux objections que l’on a faites, il a été reconnu dans la section centrale qu’il n’y avait aucune espèce d’inconstitutionnalité d’attribuer au Roi les premières nominations, et les membres de la section centrale qui avaient fait partie du congrès se rappelaient ce qui s’y était passé lors de la discussion de l’article 135 de la constitution. Un honorable membre avait proposé de déclarer inamovibles les magistrats existants ; cette proposition a été rejetée à une grande majorité par le congrès, et la disposition de l’article 135 est là pour prouver que l’on s’en est rapporté à la législature pour savoir à qui appartiendrait les premières nominations des magistrats.

L’honorable auteur de l’amendement qui vous est soumis maintenant avoue qu’il n’y a pas d’inconstitutionnalité dans l’article 49, car s’il y avait inconstitutionnalité, il ne pourrait attribuer au Roi la nomination des juges des tribunaux de première instance, voire même des juges de paix.

Quant à moi, je ne crois pas qu’on puisse faire de distinction entre les juges des tribunaux de première instance et les conseillers des cours.

Je crois qu’il faut les maintenir tous ou les soumettre tous à la nomination royale. Je suis persuadé que ce dernier mode est préférable.

Et que l’on ne vienne pas prétendre qu’il y aurait quelque inconvénient dans ce mode, que l’on ne vienne pas citer un mot de Louis XIV ; il ne s’agit pas de donner des places entre un grand nombre de concurrents pour faire des juges, des magistrats, il faut chercher des hommes intègres, des hommes ayant des connaissances en jurisprudence. Il ne s’agit ici en aucune manière d’attaquer les magistrats actuellement existants ; ils ne sont pas exclus des nominations qui seront faites par le Roi.

La constitution n’a pas voulu déclarer irrévocables les nominations actuelles ; il faut donc bien maintenant fixer d’une manière irrévocable de quelle manière seront faites les premières nominations.

Que l’on ne vienne pas parler de commission : messieurs, les commissions sont composées de juges que l’on peut nommer et révoquer à volonté ; c’est n’est pas d’une telle nomination qu’il s’agit ici.

En France, les magistrats étaient nommés par le Roi seul, sans aucune présentation ; et dès qu’ils sont inamovibles, on ne les a pas considérés comme des commissaires. L’opinion publique ne s’informe pas par qui les arrêts sont rendus, l’opinion publique sanctionne tous les arrêts rendus par des hommes intègres et versés dans la science des lois, c’est de tels hommes dont il faut faire choix, qu’il faut appeler à la magistrature.

Messieurs, il s’agit ici de prérogative royale. Les premières nominations doivent être faites par le Roi.

M. Jonet. - Messieurs, je n’imiterai pas ceux de mes honorables collègues qui ont cru devoir s’abstenir de voter sur la disposition qui nous occupe actuellement, à cause que cette disposition les concerne plus ou moins directement.

Je ne les imiterai pas, parce que je ne suis pas envoyé ici pour stipuler mes propres intérêts, mais bien pour défendre ceux de mon pays et ceux de toutes les personnes qui n’ont pas l’honneur de siéger parmi vous.

Mon mandat est de voter sur toutes les mesures d’intérêt général sur lesquelles la chambre est appelée à délibérer ; ce mandat, je le remplirai dans toutes les positions, quelque délicates qu’elles puissent être ; je le remplirai, parce que ma qualité de député m’a fait un devoir que je croirais trahir, si je me taisais quand je dois parler.

Après cette première déclaration, j’en ferai une seconde : c’est que je suis moins intéressé que beaucoup d’autres, vous pouvez le croire, dans la question sur laquelle vous êtes appelés à prononcer.

Je suis magistrat, il est vrai ; mais, avant de l’être, j’exerçais un autre état non moins honorable. J’étais avocat, et 25 années de travaux assidus m’avaient fait acquérir une clientèle, qui me procurait trois ou quatre fois plus que le chétif traitement que l’on daigne nous accorder, et que des personnes qui ne connaissent pas, ou qui ne veulent pas connaître, l’importance d’une bonne magistrature, semblent avoir trouvé trop fort.

Eh bien, cet état, je ne demande pas mieux que de le reprendre ; si la mesure proposée peut me concerner, qu’on le dise, mais qu’on le dise sans délai, qu’on le dise demain, aujourd’hui même, et j’abandonnerai sans regret, peut-être avec plaisir, des fonctions que je n’ai jamais sollicitées, et que je n’ai acceptées que par dévouement, en sacrifiant mon intérêt et celui de ma famille à celui du pays.

Après ces déclarations, qui n’expriment que faiblement ce que je ressens au fond de l’âme, j’aborde la question, et je me demande si, comme on l’a dit, avec plus de justesse que d’élégance, il faut faire table rase, et accorder au Roi la faculté de faire des magistrats d’aujourd’hui tout ce qu’il lui conviendra ?

A cet égard je ne partage pas, messieurs, l’opinion émise par la cour dont j’ai l’honneur d’être membre, que l’inamovibilité du personnel des cours et des tribunaux est consacrée par la constitution ; cette opinion est loin d’être celle de toutes les personnes qui la composent, cette cour ; avant qu’elle ne fût émise, plusieurs magistrats l’ont combattue, avec des arguments auxquels il était difficile de répondre ; cependant elle a été accueillie par la majorité ; non pas précisément parce qu’elle était vraie, mais plutôt parce qu’elle renfermait des idées de justice et d’humanité, qu’il était bon, qu’il était utile de transmettre aux membres du corps législatif, qui prononceraient définitivement sur le sort de tant d’hommes et de tant de familles. C’est au moins par ces motifs que, personnellement, j’ai appuyé la rédaction et l’envoi des observations de la cour de Bruxelles que nous avons sous les yeux.

Je le répète, je ne pense pas que l’on puisse soutenir avec vérité et espoir de succès, que la constitution a maintenu tous les magistrats maintenant en fonctions ; mais, de là, s’ensuit-il qu’ils doivent être démissionnés, et soumis ensuite à l’épuration du bon plaisir ?

Je ne le pense pas, et ici je vous dois les motifs de mon jugement et de ma pensée, afin que vous me jugiez à mon tour.

Les magistrats à qui on refuse la maintenue de leur état sont de deux sortes : les uns ont été nommés avant la révolution, et les autres après.

Quant aux premiers, on ne peut se refuser de reconnaître qu’ils ont été nommés sous l’empire d’une loi qui les déclarait inamovibles. L’article 68 de la constitution du 22 frimaire an VIII porte : « Les juges, autres que les juges de paix, conservent leurs fonctions toute leur vie. »

Eh bien, maintenant, comment pouvez-vous sans injustice, je dirai même sans crainte, dire à ces hommes : vous croyez avoir été nommés à vie, mais vous vous trompez, votre croyance n’est qu’un mensonge. Cela n’est pas vrai, parce que nous ne voulons plus de vous. C’est un piège que l’on vous a tendu. Subissez toutes les conséquences auxquelles votre bonne foi vous expose, si tant est que jamais vous avez été assez bon pour croire aux promesses fallacieuses que la loi constitutive de l’Etat et les hommes du pouvoir vous ont faites.

Voilà, messieurs, la position et le sort que vous réservez aux magistrats nommés avant la révolution, si vous maintenez l’amendement que l’on vous propose.

Pour ce qui est des autres magistrats, je dois convenir qu’ils n’ont pas, comme les premiers, leurs titres inscrits dans la loi, Mais leur position en est-elle moins digne de votre attention ?

Qu’étaient ceux-ci avant qu’ils n’acceptassent leurs fonctions ?

La plupart étaient avocats ; presque tous fréquentaient le barreau avec avantage ; presque tous ont abandonné des clientèles lucratives pour accepter des places que la plupart n’ont jamais demandées. Ces hommes se sont mis à la merci du pays pour lui être utile, dans un moment où il y avait du danger et où il fallait même du courage pour le faire. Et ce sont ces hommes que vous renvoyez en masse ; ce sont ces hommes que vous voulez au moins décimer ? Ah ! messieurs, réfléchissez qu’il y dans cette proposition quelque chose d’injuste, d’inhumain, et je dirai d’impolitique, que, j’en suis certain, votre âme doit repousser.

Mais il y a, dit-on, quelques-uns de ces hommes qui ne sont pas dignes des places qu’ils occupent.

Cela est possible ; mais aussi, où est le corps qui ne renferme pas quelque tache ? et parce que, çà et là, vous rencontrez quelques membres faibles, devez-vous nécessairement détruire le corps entier ? N’a-t-on pas pris, dans le temps, toutes les mesures pour le composer au mieux ? Et vous, qui prétendez le régénérer, êtes-vous sûr de ne pas vous tromper ? Croyez-vous que vous saurez toujours discerner le vrai du faux, le bon du mauvais, la capacité de l’incapacité ? Etes-vous sûrs que l’intrigue ne vous égarera pas dans votre choix, et que la calomnie ne vous fera pas commettre de nouvelles injustices ?

Pour moi, messieurs, je ne sais comment le ministère remplira une tâche aussi difficile et supportera une telle responsabilité ; et je crains bien que son zèle et sa bonne volonté ne l’entraînent beaucoup plus loin que le but que probablement il se propose d’atteindre.

Tout le monde, dit-on encore, ne sera pas renvoyé ; quelques hommes seulement seront déplacés. Soit ; mais, pour ces hommes, vous n’en êtes pas moins injustes que pour les autres, et je pense, moi, qu’un gouvernement qui veut acquérir de la force et de la stabilité doit éviter soigneusement de commettre de telles fautes, qui tôt ou tard lui sont reprochées, et qui, comme on vu tant de fois, contribuent si puissamment à ébranler les fondements des édifices sociaux, que l’on croyait les mieux affermis et les mieux cimentés.

Quant au but politique que l’on se propose, je crains que l’on ne l’aperçoive encore qu’à travers un prisme et sous un faux jour. Je ne sais si l’on veut récompenser ou punir. Mais ce que je sais bien, c’est que nous ne sommes plus au flagrant de la révolution et j’estime que sans une nécessité absolue, il ne faut jamais porter atteinte aux existences sociales, aux droits acquis, ni même aux convenances.

La section centrale a mûrement réfléchi sur les mesures qu’elle vous a proposées avant de vous les présenter.

Elle a d’abord fait, pour la royauté, une part assez grande et assez belle en lui attribuant toutes les institutions, et en lui abandonnant la nomination directe aux places vacantes et à celles à l’égard desquelles personne ne peut réclamer ni droit acquis, ni possession. La constitution permet à la loi de fixer le mode de ces nominations ; mais la section a pensé que, sous ce rapport, le projet pourrait, sans inconvénient, montrer de la confiance au Roi de son choix, puisque les nominations qu’il ferait, ne pourraient porter atteintes aux droits de personnes.

Mais à l’égard des cours d’appel et des tribunaux, elle a pensé autrement ; elle a cru que l’on devait apporter toutes les restrictions que la justice et la politique réclament ; elle a pensé que l’on avait trop longtemps promis aux juges l’inamovibilité qu’ils n’ont jamais obtenue ; elle a pensé que maintenir les magistrats existants serait donner un exempte salutaire, qui ne pouvait tourner qu’à l’avantage des libertés publiques ; elle a en conséquence arrêté, qu’elle nous proposerait de dire :

« que les membres des cours d’appel et des tribunaux seraient maintenus dans leurs fonctions ;

« qu’après la nomination de la cour de cassation, le Roi désignera les présidents et conseillers des cours supérieures de Bruxelles et de Liége, qui composeront les cours d’appel de ces deux villes ;

« et qu’enfin les membres non désignés passeraient, en leur qualité actuelle, à la cour de Gand. »

De cette manière, en conférant au Roi toutes les institutions, vous maintenez tous les droits des titulaires ; et ainsi vous respectez toutes les convenances.

Je ne sais, messieurs, quel sera le résultat de cette discussion ; je ne sais ce que la majorité de cette assemblée pensera en définitif de cette grande et importante question, qui, pour moi, est la pierre angulaire de la loi que nous discutons. Mais en attendant, je dis et je dois dire, afin qu’on ne donne pas d’autre motif à mon vote, que si vous rejetez les propositions de la section centrale, ma conscience m’impose l’obligation de voter contre une loi que je trouve mauvaise, et que, comme telle, je dois repousser de toutes mes forces.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs je ne rentrerai pas dans la discussion, mais des devoirs à remplir m’ayant retenu absent pendant le vote sur cet article, je viens motiver aujourd’hui celui que j’ai à émettre. Je voterai contre l’article et contre la loi, parce que je n’admets pas que la chambre puisse accorder au pouvoir exécutif le droit exorbitant de renouveler la magistrature tout entière du royaume ; je voterai contre l’article et contre la loi, parce que ce serait contribuer par mon adhésion à mettre la Belgique jusqu’au 15 octobre sous le régime des commissions, enfin je voterai contre la loi et contre les articles 48 et 49, parce que je trouve ces deux articles inconstitutionnels.

Il y a huit jours, l’article 122 de la constitution a été menacé, dans peu de jours nous saurons peut-être si l’article 76 existe encore oui ou non ; aujourd’hui on nous propose de violer les articles 99 et 136 de la constitution.

Je ne pousse pas aussi loin que M. Van Meenen les conséquences de l’adoption de l’article, mais je dis que si au Roi peut être accordée la première nomination des conseillers des cours, il n’est pas possible au moins de lui attribuer la nomination du président et du vice-président. L’article 136 porte : Une loi portée dans la même session, déterminera le mode de la première nomination des membres de la cour de cassation.

Que le Roi nomme les membres de la cour, soit, mais quand ils seront nommés, qu’on leur applique les dispositions de l’article 99 qui porte dernier paragraphe : Les cours choisissent dans leur sein leurs présidents et vice-présidents. C’est là une disposition constitutionnelle que vous devez observer, et votre article ne le fait pas. Il y a donc violation flagrante de la constitution, la chose est évidente ; il n’est pas besoin d’épiloguer là-dessus pour le voir et pour en être convaincu. Je voterai donc contre l’article et contre la loi tout entière.

M. Van Meenen. - Messieurs, on a dit que l’article avait été adopté sans discussion. Je ne le crois pas, car arrivé tard à la séance, j’ai entendu quelques orateurs parler sur la question et dire qu’ils n’y étaient pas préparés, parce qu’ils avaient cru que le ministre ayant adhéré à la rédaction de la section centrale n’aurait pas d’amendement à présenter ; moi-même, je n’ai pu prendre part à la discussion, parce qu’arrivé trop tard, l’article a été emporté avant que je n’aie en le temps de demander la parole.

On nous a rapporté ce qui s’était passé au congrès lors de la discussion de l’article 135 ; je vais vous dire, moi, ce qui s’y est passé, non pas dans des colloques, non pas même dans l’intérieur des sections, mais à la tribune ; voici, messieurs, ce que détaille le rapporteur de la section centrale : « D’après une disposition déjà décrétée, il doit y avoir trois cours d’appel en Belgique, il peut en résulter des changements dans le personnel de la magistrature, la section centrale a pensé, à l’unanimité des dix membres présents, qu’en ce qui concerne le personnel des cours et tribunaux, on devait s’en rapporter à la loi ; que le législateur devait y pourvoir dans l’année ; et que jusqu’alors le personnel devait être maintenu tel qu’il existe actuellement. » Il est bien évident d’après ces termes, que ce n’est pas à l’amovibilité des juges que la section centrale s’est rattachée par l’article 135, car rien n’eût été plus facile que de le dire : le régime des commissions est temporaire et provisoire doit cesser ; c’est à la loi de le faire cesser, cette loi sera portée dans l’année.

On vous a dit qu’un membre avait proposé de donner l’inamovibilité aux magistrats existants, et que le congrès l’avait rejeté. Messieurs, j’ai consulté le procès-verbal de la séance du congrès du 7 février, je me suis fait communiquer tous les amendements produits à cette séance ; or l’amendement auquel on a fait allusion était de M. Zoude, en voici la contexture :

« Je propose de substituer à l’article 3 (l’article 3 de ce projet répond à l’article 135, de la constitution) la rédaction suivante : le personnel des cours et des tribunaux sera maintenu tel qu’il sera à l’époque où la présente constitution sera obligatoire, sauf les cas de suspension ou de destitution qui seront fixés par la loi sur l’organisation judiciaire. » Vous voyez que M. Zoude reportait l’inamovibilité de la magistrature à des circonstances et à des conditions futures, et comme le congrès ne voulait pas mettre en question l’inamovibilité des juges, il rejeta l’amendement. Bien loin par conséquent de pouvoir s’étayer de ce rejet, pour combattre l’opinion que je soutiens, il vient lui prêter son appui ; la question reste donc tout entière.

De quoi s’agit-il aujourd’hui ? Vous devez exécuter l’article 104 de la constitution, établissant qu’il y aura trois cours d’appel en Belgique et l’article 135 qui vous charge de pourvoir au personnel des cours et des tribunaux. Il ne s’agit que de rapprocher l’article 136 de l’article 135 de la constitution, pour acquérir la conviction que le congrès, que la constitution, n’ont pu entendre que la première nomination des membres de l’ordre judiciaire appartiendrait au Roi. Voici ce que disent ces articles :

« Art. 135. Le personnel des cours et des tribunaux est maintenu tel qu’il existe actuellement, jusqu’à ce qu’il ait été pourvu par une loi.

« Cette loi devra être portée pendant la première session législative. »

« Art. 136. Une loi, portée dans la même session déterminera le mode de la première nomination des membres de la cour de cassation. »

Si l’on eût entendu par l’article 135, parler individuellement des membres des cours et des tribunaux, on aurait employé dans cet article le mot « membres, » comme on l’a employé dans l’article 136 ; si on eût entendu se ménager par l’article 135 la première nomination, on l’eût dit, aussi bien que dans l’article 136 ; et de ces deux articles on n’en eût fait qu’un seul : de ce rapprochement et de ce qui s’est passé au congrès, me semble résulter la solution de la question.

Il s’agissait d’une autre part de pourvoir directement et immédiatement par une loi au personnel des cours et des tribunaux, et non de déclarer que les cours et les tribunaux ont été des commissions jusqu’à ce jour, et qu’ils le seront encore jusqu’au 15 octobre prochain. Deux existant déjà, il ne s’agissait que de les diviser en trois, le personnel devait être modifié, quant au nombre, à la distribution à la résidence.

Est-ce là ce que fait l’article 49 du projet ? Non, messieurs, il déclare au contraire que la première nomination du personnel sera faite par le Roi, c’est-à-dire que l’on supprime les cours et les tribunaux, pour les recréer ensuite. La preuve que vous les supprimez résulte de l’amendement que vous avez cru devoir ajouter à l’article 55, où vous dites : « Jusqu’à cette installation, les cours et les tribunaux actuels continueront leurs fonctions, » donc les cours et les tribunaux ont été jusqu’à ce jour des commissions provisoires et temporaires et le seront encore jusqu’au 15 octobre ; ils jugeront en vertu d’une commission spéciale et expresse que vous croyez devoir leur donner ; ainsi il sera bien avéré que depuis 2 ans nous aurons vécu sous le régime de commissions et que ce régime ne cessera que dans trois mois. Est-ce ainsi, je vous le demande, que l’on pourvoit à l’indépendance judiciaire ?

Une autre question qu’il s’agit de résoudre est celle de savoir s’il convient que le ministère se donne des juges et qu’il nous en donne à nous-mêmes. Si vous étiez disposés à le décider affirmativement, réfléchissez bien aux conséquences qui en pourraient résulter ; certes j’ai la plus grande confiance dans le cabinet actuel ; nul n’est plus que moi pénétré d’estime pour chacun de ses membres ; mais ce ministère peut cesser d’exister d’un moment à l’autre. Savez-vous quel est le ministère qui lui succédera ? Sous l’empire de quelles circonstances il lui succédera ? Sous l’influence de quelles impressions ce nouveau ministère fera exécuter votre loi ? Messieurs, vous n’êtes pas plus maîtres des événements et des circonstances que vous ne l’êtes d’empêcher un changement de ministère. Songez donc à ce que vous hasardez en mettant dans les mains d’hommes que vous ne connaissez pas le sort de la magistrature.

Messieurs, il y a ici un fait déplorable : quel était le grief de l’opposition contre le roi Guillaume, opposition commencée par moi en 1815 et reprise avec tant d’énergie en 1828 ? C’était la dépendance dans laquelle l’ancien gouvernement avait tenu les cours ; et aujourd’hui sous l’empire de la constitution libérale que nous nous sommes donnée, on ne trouve rien de plus ingénieux que d’imiter l’ancien gouvernement. Cela est inconcevable, messieurs, après une révolution dont une des causes principales fut la dépendance des magistrats.

On dit que les membres actuels de l’ordre judiciaire n’ont pas de droits acquis. Soit ; mais je vous demanderai si c’est le gouvernement qui en hérite ; et par quel droit de déshérence ? Ils n’ont pas de droits acquis ?

Mais qu’a donc fait le gouvernement provisoire ? Qu’a-t-il voulu, qu’a-t-il dû vouloir, en instituant les nouveaux magistrats ? En allant chercher dans l’élite du barreau les Koekaert, les Vanhoogten, les de Guchtenere, pour en composer la cour de Bruxelles ? Je ne connais pas ce qui a été fait pour la cour de Liège. Croyez-vous, messieurs, qu’il n’ait pas eu l’intention de les nommer à vie ? Et ces hommes honorables qu’ont-ils dû penser ? Qu’ils allaient être à la merci d’un ministre ? Etait-ce là pour eux le fruit de la révolution ? Ne devaient-ils pas croire au contraire qu’enfin leur sort était fixé et qu’il ne pourrait plus être mis en question ? Non, certes le gouvernement provisoire n’eut jamais la pensée de ne faire que des juges amovibles, et quant au congrès, je vous ai fait voir aussi qu’il n’avait pas dû avoir cette intention.

J’ai lu quelque part que l’opinion de la cour de Bruxelles n’était qu’une bouderie, une opinion solitaire. S’il y a, messieurs, une opinion solitaire, je crois que c’est celle que vous avez adoptée en votant pour l’amendement ; et en effet sur quoi l’appuie-t-on cette opinion ? Sur le principe monarchique. J’ai déjà dit que ce principe était étranger à la Belgique ; il est exotique chez nous, c’est un principe que la constitution réprouve, dont on est allé chercher les éléments dans la constitution impériale de France, dans le système des émanations de la charte et dans celle de première nomination de la loi fondamentale ; voilà ce que vous allez chercher ; et l’opinion de la cour de Bruxelles, loin d’être solitaire, est escortée de raisonnements que personne n’a encore réfutés.

Je dirai donc au gouvernement : Gardez-vous d’un instrument funeste à tous les gouvernements qui ont voulu s’en servir ; et malheureusement tous en ont la manie. Je dirai à la chambre : Au lieu de vous laisser prendre à de belles paroles, à de vaines promesses d’indépendance, ne laissons pas échapper l’occasion qui s’offre à nous de reconnaître ou de consacrer par le fait l’inamovibilité de la magistrature.

En vain dirai-je au ministère, vous promettez l’inamovibilité à vos nominations. Mais qui empêchera que dans peu, sous prétexte d’organisation judiciaire, on se dise que la magistrature, n’ayant pour elle ni les formes constitutionnelles, ni la provision directe de la loi, il reste encore à pourvoir à son institution définitive, aux termes de l’article 135 ? Ce sera, messieurs, un raisonnement facile à faire à l’époque de l’organisation judiciaire. Les promesses qu’on vous fait aujourd’hui sont vaines et frivoles ; et si aujourd’hui nous ne donnons l’exemple du respect pour l’indépendance de la magistrature en proclamant nous-mêmes son inamovibilité, on la remettra sans cesse en question.

Messieurs, si le Roi ne faisait rien dans tout ceci j’en serais fâché, mais en vertu de sa prérogative constitutionnelle par la sanction de la loi, il concourra pour sa part au maintien des juges et à leur inamovibilité. Si le Roi n’a pas obtenu les honneurs de la proposition, ce n’est pas notre faute. Je regrette vivement que le ministère n’y ait pas songé, c’eût été un bel hommage rendu par le chef de l’Etat à cette inamovibilité aussi nécessaire aux justiciables qu’au gouvernement lui-même.

Faisons attention que depuis neuf mois on a fait appel à toutes les mauvaises passions, à toute les ambitions, à toutes les convoitises pour se ruer contre cette magistrature, qui avait traversé la révolution et ses orages ; et je le demande, dans tout cet espace de temps avez-vous entendu élever publiquement un vœu pour son changement ? A-t-elle donné lieu à quelques plaintes ? Savez-vous ce que votre loi va produire ? Des intrigues, de sourdes menées dictées par l’ambition, par la haine ; voilà cependant cette magistrature sans reproche, que vous allez abandonner à la discrétion de je ne sais qui, et sans utilité, ni pour les magistrats, ni pour vous.

On vous propose de remettre au hasard d’une première nomination sans publicité, sans garantie, après trois mois d’un régime de commission judiciaire, la composition de votre ordre judiciaire aujourd’hui et à toujours. Je dis aujourd’hui et à toujours parce que les cours sont appelées, par le mode de leur nomination à se perpétuer. Si la première nomination est faite sous une funeste influence ou dans un mauvais esprit, toujours cette influence et ce mauvais esprit feront sentir leurs pernicieux effets : je pense donc que nous devons en revenir au système de la section centrale.

Que le ministère use ou abuse du pouvoir qui lui serait déféré si vous adoptiez l’amendement, voici ce que je lui prédis : C’est d’abord que les magistrats qu’il maintiendra ne lui en auront aucune reconnaissance, ils penseront qu’il n’a pas osé les déplacer, que les magistrats qu’il aura renvoyés, et nous ne devons pas nous occuper ici s’il renverra personne, l’accuseront d’injustice, de partialité, et prétendront que la mesure qui les aura frappés était inconstitutionnelle. Qu’enfin les magistrats qu’il aura nommés en remplacement, prendront à tâche de se faire pardonner leur intrusion dans la magistrature. Voilà les inconvénients attachés seulement à l’usage ; et quant à l’abus il est inévitable ; le ministère ne pourra se soustraire à l’obsession, aux importunités, aux menées sourdes des ambitieux, et en l’absence de toute publicité et de tout contrôle, il se trouvera entraîné malgré lui au-delà de toutes ses prévisions, les ministres seraient de bronze et ils ne seront pas de bronze, qu’ils seraient forcée de fléchir.

Il y a une observation qui me frappe et qui devrait aussi frapper le ministère : c’est ce qui nous arrive pour de simples remplacements de juges suppléants ou de suppléants de juges de paix. Nous éprouvons d’inconcevables difficultés quand il s’agit de nous décider sur dix ou vingt candidats Le ministère sait l’anxiété où nous nous trouvons quand nous voulons faire des présentations convenables. Et ce que nous éprouvons pour un, dans une localité déterminée, le ministère voudrait le faire pour tous les juges du royaume et dans l’espace de trois mois.

Mais pour remplir cette gigantesque besogne, qui consultera-t-il ? Les cours et les tribunaux que vous voulez épurer ? Non, sans doute. Consulterez-vous individuellement leurs membres ? Mais quelles sourdes intrigues quelles odieuses passions n’allez-vous pas soulever ? Consulterez-vous les procureurs du Roi, pour les procureurs généraux ? Si c’était là votre intention, moi, je le déclare en honneur et en conscience, je serais forcé de vous proposer le maintien de tous les magistrats existants, parce que je les considère comme ayant des droits au-dessus de toute atteinte.

Qui donc consultera le ministère ? Des administrateurs probablement, mais vous savez, en fait de justice, ce que sont des administrateurs. Je pense qu’il y a, dans les articles 50, 51 et 52 du projet, de quoi faire reculer les plus intrépides, de quoi nous compromettre et de quoi compromettre notre jeune royauté elle-même. Messieurs, j’ai su défendre la prérogative royale toutes les fois que je l’ai vu attaquée, mais je m’opposerai toujours, et avec la même énergie, à ce qu’on l’étende au-delà de ses limites.

J’ai ouï dire, et un mot m’a frappé d’étonnement, que les magistrats ne doivent pas pouvoir réclamer un titre antérieur à la nomination royale. Qu’est-ce à dire, messieurs ? que nous répudions l’opposition que nous avons faite de 1815 à 1830 ; les journées de septembre, le gouvernement provisoire, le congrès, la constitution, et que nous ne datons que du 21 juillet ? A Dieu ne plaise, messieurs ! Pour moi, la révolution commence à 1828, et je ne consentirai jamais à ce qu’on répudie les généreux, les nobles souvenirs qui commencent à cette époque ; c’est là que je reporte et que je rattache la source et le principe de nos institutions.

Je vous répéterai, messieurs, ce que j’ai dit tantôt : Je viens de m’acquitter de mon devoir ; maintenant, faites le vôtre.

M. Jullien. - Messieurs, je ferai remarquer en passant, que notre règlement est devenu tout à coup d’un grand secours à ceux qui, dans des occasions délicates, veulent éluder une réponse. Hier, messieurs, lorsqu’avant de voter trente mille hommes et cinq millions, nous interpellions M. le ministre des affaires étrangères, sur l’état de nos relations avec la conférence de Londres, et sur la communication de la fameuse note, comme étant le seul moyen de connaître si le ministère avait enfin tenu ses promesses, M. le ministre a trouvé commode de nous opposer le règlement.

Et aujourd’hui, lorsqu’un honorable préopinant soulève une question constitutionnelle, dans une des plus importantes matières qui puissent être soumises à nos discussions, voilà qu’on lui oppose encore le règlement comme une espèce de fin de non-recevoir.

Messieurs, je suis de ceux qui respectent infiniment le règlement, mais je pense qu’il faut avant tout nous respecter nous-mêmes, et toutes les fois qu’avant de voter une loi en discussion un membre de cette chambre appellera notre attention sur une violation de la constitution, notre devoir est de l’entendre, sauf à lui retirer la parole s’il en abuse, et à n’avoir égard à ses observations qu’autant qu’elles le méritent.

J’en viens maintenant à la discussion. Je serai très bref, messieurs, attendu que je me suis déjà précédemment élevé contre la disposition qui selon moi consacre un pouvoir exorbitant, en ce qu’il donne au Roi le droit de licencier tous les magistrats du royaume depuis le premier jusqu’au dernier.

On a répondu au reproche d’inconstitutionnalité par le texte de l’article 136. On a raisonné de cette manière : puisqu’une loi doit déterminer le mode de la première nomination des membres de la cour de cassation, attribuer cette nomination au Roi, c’est un mode comme un autre, et l’on satisfait à la constitution.

J’abandonne à votre sagesse les arguments qu’on a fait valoir pour et contre. Mais il me semble que si on a répondu sous ce rapport d’une manière plus ou moins spécieuse, on n’a pas répondu du tout à l’argument pris de la disposition finale de l’article 99 de la constitution. Voici ce qu’elle porte : « Les cours choisissent dans leur sein leurs président et vice-présidents. » Voilà évidemment une disposition constitutionnelle ; c’est une injonction de la constitution à laquelle on ne peut se soustraire.

Pourquoi la constitution a-t-elle voulu que les présidents des cours fussent élus par les membres eux-mêmes ? Parce que ces membres connaissent mieux que personne quels sont parmi eux les hommes les plus dignes de leur confiance et de celle des justiciables. Maintenant en supposant que les membres des cours puissent être nommés par le Roi, qu’ils soient nommés, mais qu’on s’arrête au nombre suffisant pour la composition entière du personnel, laissant ensuite aux membres le soin de choisir eux-mêmes leurs présidents. C’est un droit que la constitution leur donne et que vous ne pouvez leur enlever.

J’ai déjà dit que je trouvais exorbitant le droit attribué au Roi de nommer à toutes les places de la magistrature, et l’honorable M. Van Maanen… (hilarité générale), je me trompais, je voulais dire l’honorable M. Van Meenen vous a très bien démontré tous les inconvénients qu’entraînerait l’exécution de l’amendement ; mais enfin si on persiste à l’adopter, il est impossible, je crois, d’attribuer au pouvoir exécutif autre chose que la nomination des membres des cours ; on ne peut aller au-delà sans enlever à ces derniers le droit constitutionnel qu’ils ont d’élire leurs présidents et leurs vice-présidents. C’est mon opinion et j’y persisterai tant qu’on n’aura pas mieux répondu qu’on ne l’a fait à l’objection prise du dernier paragraphe de l’article 99 de la constitution.

M. Lebeau. - Messieurs, lorsqu’immédiatement après les journées de septembre le gouvernement provisoire me fit l’honneur de me nommer membre de la commission chargée de rédiger un projet de constitution, j’avais surtout à cœur, pour remplir dignement la tâche qui m’était confiée, de mettre le pouvoir judiciaire hors des atteintes du pouvoir exécutif. Pendant 15 ans j’avais été témoin de trop d’abus attachés à cette dépendance pour ne pas être principalement préoccupé du besoin d’assurer à la magistrature toute son indépendance. Aussi c’est sur ma proposition formelle que fut insérée dans l’article 100 de la constitution cette clause, que le déplacement d’un juge ne peut avoir lieu que par une nomination nouvelle et de son consentement.

C’est également sur ma proposition formelle que dans l’article 103 on a dit aucun juge ne peut accepter du gouvernement des fonctions salariées à moins qu’il ne les exerce gratuitement. J’avais vu que par le cumul des fonctions administratives et judiciaires l’indépendance du magistrat se trouvait plus on moins atteinte ; que tel qui était indépendant comme membre d’une cour, était dépendant du pouvoir comme conseiller d’Etat et que la crainte de perdre cette dernière place portait atteinte à son indépendance comme membre du corps judiciaire. C’est dans cette vue que je proposai ces dispositions et elles ont trouvé place dans notre constitution.

Il en est une troisième qui tranche à tout jamais une question grave et difficile, qui avait partagé les jurisconsultes les plus érudits, les cours, et, si je ne me trompe, la cour de cassation elle-même : je veux parler de l’article 1007 qui porte : « Les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu’autant qu’ils seront conformes aux lois. »

Vous savez que de la jurisprudence de certaines cours il résultait que les tribunaux devaient s’abstenir toutes les fois qu’il s’agissait d’un arrêté. Dans cette doctrine était la mort de l’indépendance de la magistrature ; je proposai de la renverser à jamais par une disposition de la constitution.

Messieurs, je pense que l’homme qui ne s’est pas borné à faire une vaine et dérisoire profession de principes en cette matière ne doit pas vous inspirer de défiance, et vous ne croirez pas qu’en venant appuyer l’amendement adopté, je sois dirigé par la pensée d’affaiblir la garantie placée dans le pouvoir judiciaire.

Ce n’est pas seulement en théorie que je parle, j’ai fait mes preuves. J’ai eu avec le ministre actuel de la justice, le sort de plusieurs tribunaux et d’une cour souveraine dans les mains. J’adjure ici les membres du gouvernement provisoire de dire si je me suis montré animé d’un esprit réactionnaire, et si je ne me suis pas opposé à une épuration quoique vivement sollicitée par bien des personnes ; et je dois le dire, le gouvernement provisoire ne se montra pas moins l’ennemi des réactions que moi-même. Je prie donc la chambre de ne pas perdre de vue mes antécédents, et de juger par eux les intentions qui m’animent.

L’article 99 de la constitution attribue au Roi la nomination des juges dans toute la hiérarchie judiciaire. Cet article est exprès. Eh bien, il devient inexécutable dans le système de la section centrale ; car si vous adoptez son article, le Roi ne nommera pas les membres de l’ordre judiciaire comme pouvoir exécutif ; tout au plus aura-t-il participé à leur nomination comme pouvoir législatif. Mais ce dernier pouvoir, il ne le tient pas de l’article 99, il le tient des articles 26 et 69 de la constitution.

Il a donc été dans l’intention des rédacteurs de la constitution, qu’au moins par son origine, un lien s’établît entre la magistrature et la royauté ; ce lieu se fût trouvé dans l’exécution de l’article 99, et si les moyens d’exécuter cet article existaient, nul ne contesterait au Roi l’exercice de sa prérogative. Mais de ce que les pouvoirs destinés à concourir à la mise en action de l’article 99 ne peuvent remplir leurs fonctions, parce qu’ils ne sont pas institués, est-ce une raison pour refuser, au pouvoir qui existe, qui est dans la plénitude de son action, la participation qui lui revient dans la nomination des juges, non pas comme pouvoir législatif, mais comme pouvoir royal ? Non sans doute.

On a fait un grand éloge de l’inamovibilité de la magistrature. Je conviens, messieurs, que l’inamovibilité est une garantie sans laquelle la justice n’est qu’un mot, sans laquelle il n’y a eu, au lieu de tribunaux, que des commissions. Mais ce principe de l’inamovibilité est institué pour les Etats constitués et définitivement organisés. Il ne peut être applicable à un pays bouleversé par une révolution récente et qui se trouve dans un état transitoire.

Cette inamovibilité tient à un principe d’un ordre supérieur, auquel cependant les circonstances autorisent des dérogations, ainsi le gouvernement provisoire s’est placé au-dessus de ce principe en épurant de sa pleine autorité la cour de Bruxelles et les autres tribunaux. Personne n’a songé à lui contester ce droit ; il n’a été mis en doute par personne, pas même par aucun magistrat.

Mais l’article qu’il s’agit de mettre à exécution a-t-il conféré tout au moins cette inamovibilité ? J’en appelle ici aux souvenirs et à la loyauté de l’honorable M. de Robaulx, qu’il dise ce qui s’est passé au moment de voter l’article 135, et s’il n’est pas vrai qu’ayant demandé si par l’article transitoire on entendait conférer l’inamovibilité aux magistrats actuels, on ne lui a pas répondu de toutes les parties de l’assemblée, que tel n’étais pas le sens de l’article.

Remarquez bien, messieurs, qu’on veut faire intervenir la chambre dans une question pour la solution de laquelle elle n’a ni la compétence ni les lumières nécessaires. Je conçois que le pouvoir législatif s’occupe de questions quant aux choses, mais je ne conçois pas qu’il s’occupe de questions de personnes. On veut cependant vous faire intervenir dans la nomination des magistrats de l’ordre judiciaire, c’est leur inamovibilité qu’on sollicite, et je remarque en passant que si l’article 135 la leur avait conférée, on ne vous la demanderait pas. C’est, je le répète, une nomination que l’on sollicite, et pour la plupart des membres de cette chambre, ce serait agir le bandeau sur les yeux que de s’y prêter.

Qu’on vienne me dire, par exemple, ce qu’il conviendrait de faire pour la cour de Liége et pour les tribunaux voisins ; à peine pourrais-je le dire, ayant quitté mon pays natal depuis plus d’un an. Mais si l’on m’interrogeait par rapport à la cour de Bruxelles, que pourrais-je dire ? Je respecte tous les membres de cette cour, mais je ne les connais pas. C’est une raison, sans doute, pour ne pas les attaquer, mais c’en est une aussi pour me défendre de prononcer sur leur compte. Si l’on venait m’interroger sur les tribunaux de la province d’Anvers ou des Flandres, je ne pourrais en rien dire. Il en serait de même sans doute de la plus grande partie des membres de cette assemblée ; ainsi dans une question où il s’agit de la collation de fonctions aussi importantes que celles de la magistrature, nous prononcerions en aveugles et sans responsabilité, tandis que le ministère est responsable devant les chambres de la disposition qu’il sollicite.

Voyez d’un autre côté dans quelle fâcheuse position vous placeriez la royauté nouvelle. Trois cours vont être formées. Quelques conseillers de Liége ou de Bruxelles seront forcés de quitter leur sièges pour passer à la cour de Gand ; eh bien, la royauté sera réduite à la nécessité d’exiler dans cette dernière ville les magistrats qui refuseraient d’y aller volontairement. Au lieu de brevets de nomination à délivrer à ces magistrats, ce seront des ordonnances de déportation que le pouvoir exécutif rendra contre eux. Voilà tout l’avantage que vous retirerez du système de la section centrale. Vous craignez les intrigues, les obsessions dont on entourerait les ministres ; mais le ministère sera tout aussi obsédé par ceux pour qui l’obligation d’aller à Gand serait une disgrâce ; car ne croyez pas qu’un magistrat depuis longtemps établi dans une ville, qui y a sa famille, ses biens, s’exile sans peine à 15 ou 30 lieues, et dans un pays où il n’est connu de personne.

On vous a dit qu’au lieu de tribunaux nous n’aurions que des commissions jusqu’au 15 octobre ; mais puisque ceux qui parlent contre l’amendement conviennent cependant qu’il faut une disposition législative pour conférer l’inamovibilité, ils conviennent que depuis la révolution, nous n’avons eu que des commissions. Eh bien, messieurs, jusqu’à quel point ces commissions ont-elles trompé la confiance de la nation ?

On disait naguère dans cette chambre que l’indépendance des magistrats était plutôt dans leur caractère que dans leur inamovibilité ; elle était dans le caractère des tribunaux actuels sans doute, car depuis leur institution par le gouvernement provisoire ils n’ont, que je sache, donné lieu à la moindre plainte, ils n’ont pas manifesté cette tendance qu’avant la révolution, on avait remarqué avec peine dans tant de tribunaux. Quel danger y a-t-il donc à les maintenir dans cet état trois mois de plus, et quelle comparaison y a-t-il à faire entre trois mois et 15 ans de provisoire, alors d’ailleurs que la magistrature est sur le point de suspendre ses travaux et ne rentrera pour les reprendre qu’investie de l’inamovibilité ?

J’ai maintenant à répondre à l’objection faite par un honorable préopinant, M. Ch. de Brouckere. Il a invoqué le dernier paragraphe de l’article 99 qui dit que les cours choisissent dans leur sein leurs présidents et vice-présidents ; il en conclut que ce paragraphe est devenu irrévocable et doit recevoir immédiatement son exécution. Je dirai d’abord que ce paragraphe fait partie d’un tout qui ne peut être divisé, et si l’article 99 n’est pas applicable dans les 3/4 de ses dispositions, je ne sais pas pourquoi on pourrait séparer la dernière disposition de tout le surplus, ni par quel singulier privilège cette partie serait exécutoire immédiatement tandis que tout le reste ne l’est pas.

Mais si cette disposition est applicable sans égard à l’état transitoire où nous nous trouvons, l’article 136 doit le concilier avec elle ; or cette conciliation existe-t-elle ? Non, si on avait voulu que l’article 136 fût d’accord avec le paragraphe dernier de l’article 99, au lieu de dire dans le premier une loi déterminera le mode de la première nomination des « membres de la cour de cassation, » on aurait dit « des conseillers, » alors on aurait vu que les deux articles se conciliaient, ce qui n’est pas. L’article 136 n’est que transitoire, l’autre sera exécutoire à toujours, du moment où les conseils provinciaux seront organisés.

Remarquez où conduirait l’argumentation de M. de Brouckere ; le Roi selon lui, n’a pas le droit de nommer les présidents et vice-présidents des cours, ils ne peuvent être élus que par les conseillers ; mais déjà si ce droit leur appartient, la loi ne peut pas plus le leur ôter que le pouvoir exécutif. Et cependant on vous propose de nommer par une loi les présidents et les vice-présidents ; car d’après ce système, il faut qu’en exécution de l’article 99, les présidents actuels quittent leur siège, pour les céder à ceux que le choix des conseillers y porterait. C’est-à-dire que tout en voulant l’inamovibilité des juges, vous en mutileriez une partie.

Je l’ai dit précédemment et je le répète ; je n’attache pas une grande importance à l’amendement. Si le ministère ne l’eût pas proposé, peut-être ne l’eussé-je pas proposé moi-même ; parce que je sais que l’esprit de réaction ne sera pour rien dans son exécution. Je connais l’homme à qui cette exécution est confiée ; il n’a pas abusé de sa position pour faire des épurations dans un temps où elles étaient vivement sollicitées, à plus forte raison n’en abusera-t-il pas aujourd’hui que les circonstances permettent de plus grands ménagements.

Je le répète, si je donne mon vote à l’amendement, c’est parce que la question a été soulevée, et je craindrais aujourd’hui que dans le refus de la marque de confiance demandée par le gouvernement, on ne vît quelque chose de plus qu’une question de ministère : le dogme de l’inviolabilité royale et de la responsabilité ministérielle est encore peu compris des masses, et chaque jour des écrivains qui ne respectent rien, qui lancent leur bave impure vers un personnage auguste, contribuent à obscurcir ces salutaires principes. Craignez, messieurs, que dans le pays et à l’étranger, on ne calomnie vos intentions, et qu’on ne voie une défiance hostile là où certes rien de semblable ne se manifeste d’aucun côté de la chambre.

M. de Robaulx. - Lorsque la révolution a éclaté en Belgique… (Bruit.) Si cela déplaît à ces messieurs, je ne dirai rien. (Parlez ! parlez !) Les discours de mes collègues, grâce à Dieu, sont assez longs, je puis bien parler.

Messieurs, lorsque l’on a fait la révolution, ou voulait réparer les griefs, du moins ou s’attendait à ce qu’ils seraient réparés. Un des principaux était la dépendance où se trouvait la magistrature ; elle n’était pas inamovible ; elle dépendait du bon plaisir du roi Guillaume. L’article de la constitution qui ordonnait l’organisation judiciaire n’avait pas été mis à exécution. Il existait des commissions par le bon plaisir du monarque. Naturellement il s’était glissé dans ces commissions des hommes qui déshonorent la magistrature ; il en existe encore... (Bruit.) Je ne veux pas parler de Grégoire, l’opinion publique a jugé cette affaire.

Je veux répondre à M. Van Meenen. Il dit : aucune voix ne s’est élevée contre la magistrature. Moi, j’ai élevé la voix. Les nominations de Guillaume ont scandalisé les honnêtes gens ; des hommes ont été présidents, conseillers, parce qu’ils ont été propres à tout.

J’ai cru qu’à la révolution on réorganiserait la magistrature ; je n’ai pas cru qu’elle eût été faite pour rendre inamovible ce que Guillaume n’avait pas cru, lui, rendre inamovible. Il existe encore des conseillers aussi choisis. Il est des magistrats qui ont poursuivi ceux qui les premiers ont arboré le drapeau brabançon ; ils existent dans les tribunaux, et je pourrais les citer.

Lorsque l’article 135 de la constitution a été discuté, je me suis levé et j’ai demandé si par cet article on entendait par là donner l’inamovibilité à la magistrature actuelle, et j’ai déclaré qu’il n’y avait pas lieu à décréter l’inamovibilité en masse. Il est vrai que l’on m’a répondu, je ne dirai pas unanimement...

M. Legrelle. - Presque unanimement !

M. de Robaulx. - D’après la réponse, il suit que la magistrature est amovible comme sous Guillaume. La question est de savoir si nous devons conserver tous les éléments créés par Guillaume : je suis d’avis qu’il faut une épuration dans la magistrature... je n’attaque pas des opinions ici, je n’attaque pas les orangistes ; mais je dis qu’il y a des hommes qui sont entrés dans la magistrature par une porte qui, précisément, est celle par laquelle ils doivent en sortir... (Mouvements.) Les motifs qui les ont fait monter sur le siège sont les motifs qui doivent les en faire descendre.

Je voudrais bien aussi que le pouvoir exécutif ne pût disposer de tant de places et se faire tant de créatures. Vous avez une constitution qui ne m’émerveille pas, et d’autant moins qu’on trouve plus de moyens de la mal exécuter.

J’aurais voulu que l’organisation du pouvoir provincial fût faite avant l’organisation judiciaire, parce que les présentations auraient été faites convenablement. Ce motif me suffirait pour rejeter la loi. La loi provinciale vous a bien été soumise, mais certainement vous ne vous en occuperez pas. On a mis la charrue avant les bœufs. (On rit.) Comment faire pour sortir de tant d’irrégularités ?

Si vous rejetez la loi, chaque magistrat saura qu’il ne tient pas trop à son siège ; il fera dans une espèce de servage ; il sera le très humble serviteur du pouvoir : voilà un danger.

D’un autre côté, je ne crois pas qu’on ait suivi l’esprit de la constitution. Toutes les places sont à l’encan, et peut-être sont-elles déjà vendues. Je crains les nominations royales, et je crains les nominations en masse.

Le ministère nommera, le ministère aura une grande responsabilité, et dans un moment où il ne fait pas très bon d’être ministre ; dans un moment où le fouet de la représentation nationale frappe sur tous et chacun de MM. les ministres. Par suite de cette responsabilité j’espère que le ministère fera de bons choix.

Si par la loi vous rendiez inamovibles les magistrats en fonctions, ce serait vous qui feriez les nominations et qui seriez chargés de la responsabilité. Je ne veux donc pas de l’inamovibilité pour ceux qui sont nommés, je ne veux pas des nominations en masse.

M. Lebeau nous a dit qu’il avait tenu dans ses mains le sort d’une cour : lors de la révolution il n’était cependant pas dictateur ; il n’avait pas l’omnipotence... Dans l’espèce d’engourdissement où se trouve la nation, je crains ceux qui ont bien agi quand elle était en mouvement : on peut avoir été honnête homme quand il eût été dangereux de ne pas l’être ; mais on peut avoir changé depuis, et être un petit despote maintenant.

M. H. de Brouckere. - Je demande aussi la permission d’expliquer en peu de mots mon opinion sur l’amendement en discussion.

Comme mon honorable ami M. Jonet, j’ai toujours pensé et j’ai soutenu à la cour dont j’ai l’honneur d’être membre que l’inamovibilité actuelle des magistrats n’était pas une conséquence nécessaire et immédiate de la constitution. Cet avis n’a point été partagé par la majorité des membres de la cour ; mais le leur aussi était consciencieux, et il pouvait se soutenir par des arguments bien forts et bien difficiles à réfuter. Je ne les répéterai point, mais puisqu’on a fait un appel aux individus, je citerai de mon côté M. Trentesaux, l’un des membres les plus exacts, les plus attentifs, les plus assidus, qui a déclaré de la manière la plus formelle qu’en votant l’article 138 il avait pensé assurer dès lors l’inamovibilité à la magistrature. Le dissentiment qui existe relativement au sens à donner à cet article n’a donc rien qui doive vous surprendre, puisque les membres du congrès eux-mêmes l’ont entendu de différentes manières.

Mais si, lors de la discussion qui eut lieu entre les membres de la cour, on avait posé la question de savoir s’il était juste, s’il était convenable de démissionner en masse tous les membres de l’ordre judiciaire, de les mettre à la disposition du ministère, d’autoriser celui-ci à faire parmi eux telles épurations qu’il jugerait à propos, assurément j’aurais répondu négativement, et j’aurais dit : d’après l’article 136 de la constitution, une loi doit déterminer le mode de la première nomination des membres de la cour de cassation, que cette nomination soit laissée au gouvernement, je ne m’y oppose point. D’après l’article 135 une autre loi règle tout ce qui concerne le personnel des cours d’appel et des tribunaux (car il était évidemment dans l’intention du congrès que deux lois distinctes fussent portées ; qu’on les fonde en une, soit, mais qu’on n’en tire point de conséquences contre nous) ; et bien ! que cette loi déclare que les magistrats actuellement en fonctions sont maintenus de plein droit.

C’est dans ce sens que j’ai voté dans une séance précédente, et sans vouloir jeter le moindre blâme sur la conduite de ceux de mes honorables collègues qui ont cru devoir s’abstenir, parce que je sais respecter les scrupules, lors même que je ne les partage pas, j’aurais cru manquer à mon devoir si je les avais imités. Il s’agit ici en effet d’une question de la plus haute importance pour tous, d’une question vitale en quelque sorte, dans laquelle je puis avoir un intérêt indirect, mais qui s’absorbe dans des considérations d’une toute autre portée.

Je voterais encore de même aujourd’hui, non que je craigne l’épuration ; si même elle devait m’atteindre je saurais prendre mon parti ; mais mon vote par l’intérêt de la justice, par l’intérêt de la nation, par l’intérêt du gouvernement lui-même. Je ne viens pas d’ailleurs contribuer à replonger la magistrature dans l’incertitude dans laquelle elle n’a langui que trop longtemps, et dont elle croyait enfin être sortie.

Un honorable préopinant a dit qu’il ne concevait pas comment la législature pouvait faire des nominations ; mais l’orateur lui-même a pris part à la discussion et au vote de l’article 135, et dans quelque sens que vous interprétiez cet article, il contient une nomination.

M. Lebeau. - Une nomination provisoire.

M. H. de Brouckere. - Dans le sens des uns, une nomination définitive, dans celui des autres, une nomination provisoire ; mais en admettant cette dernière opinion, M. Lebeau ne me niera point que si la législature a eu le droit et le pouvoir de faire une nomination provisoire, elle a incontestablement celui de la rendre aujourd’hui définitive.

Ce serait le bandeau sur les yeux, ce serait en aveugles que nous ferions cette nomination, a dit le même orateur. Il en sera moins ainsi, messieurs, que lorsque l’article 135 a été voté, car aujourd’hui la magistrature peut mieux qu’alors être connue et appréciée, et l’on sait jusqu’à quel point elle mérite la confiance générale.

Mais, s’écrie-t-on, vous allez mettre la royauté dans une singulière position, dans une position bien fâcheuse ; vous allez la forcer à envoyer quelques membres de la cour de Bruxelles en exil, à porter contre eux une ordonnance de déportation, et l’on désigne par là ceux des conseillers qui devront être envoyés à la cour de Gand. Lors même qu’un membre de la cour de Bruxelles serait contre son gré placé à celle de Gand, je ne sais s’il se regarderait pour cela comme exilé ou déporté ; mais que vous admettiez l’amendement de M. le ministre ou que vous ne l’admettiez pas, ces prétendus exils, ces déportations en devront-elles moins avoir lieu ? Non, messieurs, la seule différence qu’il y aura, c’est que si l’amendement passe, elles seront précédées d’une démission, ce qui ne sera pas nécessaire dans le cas contraire, puisqu’il suffira qu’un conseiller ne soit pas compris dans la composition de la cour de Bruxelles, pour qu’il fasse partie de celle de Gand.

Mais M. Lebeau veut vous faire entendre que si une démission précède, le magistrat exilé, déporté à Gand, devra encore regarder son exil, sa déportation comme une faveur, et qu’au contraire il pourrait se plaindre si c’était de plein droit qu’il conservait son rang. Une seule chose étonne, messieurs, c’est que ce soit sérieusement qu’on vous présente d’aussi impitoyables raisonnements, comme s’il n’était pas indifférent à celui qui sera condamné à l’exil, de l’être par suite d’une nomination précédée d’une démission ou par suite de sa non-nomination à Bruxelles.

Plusieurs membres avaient dit, et avec raison, que jusqu’au moment où la nomination des magistrats serait définitivement faite, il n’y aurait plus de tribunaux en Belgique, mais des commissions dépendantes du gouvernement. On se récrie sur cette dénomination de commissions et ceux-là mêmes qui se récrient appelaient du même nom les tribunaux du royaume des Pays-Bas, par le motif qu’ils n’étaient pas non plus inamovibles. Alors en effet tous les magistrats devaient trembler sur leurs sièges ; pourquoi seraient-ils plus rassurés maintenant ? Et quelle que soit la fermeté, quelle que soit la droiture des magistrats en général, pourriez-vous assurer que tous se montreront entièrement indépendants, tant qu’ils seront sous le coup d’une destitution, tant que leur sort et leur existence seront à la merci d’un ministre.

L’indépendance, vous dit-on, n’est pas dans la position, elle est dans le caractère. C’est là sans doute une pensée pleine d’élévation et de noblesse, et je suis persuadé que l’honorable M. Lebeau, menacé même d’une destitution, aurait la force de remplir ses devoirs dans toute leur plénitude. Mais je ne sais s’il suffit de professer d’aussi beaux principes pour rassurer ceux dont la fortune et l’honneur sont entre les mains des juges ; je crois qu’ils désirent d’autres garanties encore, et s’il n’en était pas ainsi, il était fort inutile de consacrer dans nos lois l’inamovibilité de tous les juges.

Je voterai contre l’amendement et contre la loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, après tout ce qui a été dit il serait difficile d’ajouter de nouvelles considérations à l’appui de l’article ; je me bornerai donc d’exposer les motifs de mon opinion.

Pour soutenir que la magistrature actuelle avait une institution constitutionnelle on s’est appuyé du rapport de la section centrale et du texte même de la constitution ; mais l’un et l’autre soit formellement opposés à ce système. Le rapport s’exprime en ces termes :

« D’après une disposition déjà décrétée il doit y avoir trois cours d’appel en Belgique, il peut en résulter des changements dans le personnel de la magistrature. La section centrale a pensé, à l’unanimité des dix membres présents, qu’en ce qui concerne le personnel des cours et tribunaux, on devait s’en rapporter à la loi ; que le législateur devait y pourvoir dans l’année ; et que jusqu’alors le personnel devait être maintenu tel qu’il existe actuellement. »

Donc au moment de la promulgation de la loi demandée par la constitution, le personnel actuel de la magistrature pouvait n’être pas à maintenir.

Le texte de l’article 135 est également positif : « Le personnel des cours et tribunaux est maintenu tel qu’il existe actuellement, jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par une loi.

« Cette loi devra être portée pendant la première session législative. »

Messieurs, il résulte de ces textes deux vérités ; c’est que le congrès national a regardé la magistrature comme ayant besoin d’une nomination nouvelle pour continuer l’exercice de ses fonctions, et cette nomination nouvelle, le congrès la lui a conférée jusqu’à ce qu’il y fût autrement pourvu par une loi en laissant au législateur le soin d’y pourvoir autrement.

J’étais à cette époque membre de la section centrale et alors j’ai émis l’opinion que j’émets encore aujourd’hui, qu’il ne fallait pas que la magistrature fût nommée en masse ni par la constitution, ni par une loi ; sur ce point je n’ai pas varié d’opinion.

Mais, dit-on, pour écarter la nomination, le roi et le ministre seront exposés à des surprises ; ils pourront commettre des erreurs : ces arguments sont précisément une objection contre le maintien de la magistrature comme elle est aujourd’hui composée, car chacun de ces magistrats a reçu une nomination royale sujette à erreur comme on a dit.

Pourquoi le titre de magistrat résultant d’une telle nomination serait-il plus respectable que celui qui résulterait d’une nomination faite par le roi en vertu de la présente loi ?

Certainement le gouvernement sera moins exposé à l’erreur que jamais, puisque les magistrats se sont fait connaître ; l’erreur est impossible pour un ministre équitable, parce que de toute part, il pourra prendre des renseignements positifs ; il est impossible que sa religion puisse être surprise.

Quant aux injustices, quant à l’arbitraire je ne crois pas que le ministre puisse s’exposer à destituer des magistrats respectables ; c’est une chose qui ne saurait avoir lieu dans l’état actuel de notre organisation sociale et politique.

M. Barthélemy. - Messieurs, j’ai dit en partie mon opinion lors de la discussion ; j’ajouterai que je ne m’étais pas attendu à ce qu’elle fût discutée à fond, ne m’attendant pas à l’amendement présenté par M. le ministre de la justice ; l’opinion provisoire que j’ai émise alors, je la conserve définitive.

Il faut distinguer dans la constitution les dispositions transitoires et les dispositions permanentes ; telle est celle par laquelle les présidents seront élus à l’avenir par les membres des cours. J’ai toujours compris l’article 135 de la constitution dans ce sens, que la cour de Liége alors composée de 28 membres, et celle de Bruxelles de 38, continueraient, divisées en sections, de rendre la justice à l’avenir. Mais comme il était prévu par la constitution que cet ordre n’était pas durable et que les deux cours devaient être divisées de manière à en former trois, j’ai compris que pendant la première session une loi serait rendue pour organiser la cour de Gand. Voilà en effet ce que nous sommes appelés à faire.

Maintenant quelle est la difficulté ? C’est de savoir si les personnes qui composent les cours sont maintenues par la constitution, si elles ne sont pas maintenues, si on les maintiendra par une loi. Ceux qui soutiennent qu’elles ne sont pas maintenues par la constitution se demandent : est-il convenable de les maintenir ? C’est la question que tous nous devons nous faire ? Si vous pensez qu’il est convenable de les conserver sur leurs sièges, déclarez-le comme le congrès l’a fait.

Risquez-vous aujourd’hui plus que le congrès à cette époque ? Il connaissait beaucoup moins les membres des cours et des tribunaux que vous ne les connaissez maintenant. Avons-nous eu depuis des plaintes à former contre la magistrature ? Il a déjà été fait assez d’épurations par le gouvernement provisoire pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en faire davantage. Tout système d’épuration est un système détestable et je ne pense que le ministère aille s’y engager aujourd’hui.

Je conçois la nécessité d’accorder au pouvoir exécutif le droit de nomination pour classer le personnel des trois cours ; mais a-t-il besoin du pouvoir d’épurer ? Je ne le crois pas ; c’est d’après ces considérations que je proposerai le sous-amendement suivant : « en maintenant toutefois les membres actuels des cours d’appel et des tribunaux, dans l’état de conseillers ou de juges dont ils jouissent. »

- La clôture est mise aux voix et ordonnée.

Après un léger débat sur la question de priorité entre les amendements de MM. Mary, Barthélemy et de M. le ministre de l’intérieur, la priorité est accordée à ce dernier.

On procède à l’appel nominal, dont voici le résultat :

Votants : 71 ; oui 47 ; non 24.

MM. Bourgeois, Helias, Leclercq, de Gerlache et Liedts se sont abstenus.

La première nomination sera faite par le Roi.

M. Bourgeois. - Je me suis abstenu par le même motif qui m’avait fait m’abstenir lors du premier vote, savoir ma qualité de membre de l’ordre judiciaire.

M. Helias d’Huddeghem. - Je me suis abstenu par le même motif.

M. Leclercq. - J’ai déjà dit quels étaient les motifs de mon abstention et j’ai cru devoir y persister tout en déclarant que je professe un entier respect pour l’opinion de ceux de mes honorables collègues qui ne partagent pas la mienne. J’ajouterai que chez moi, c’est moins une opinion qu’un sentiment ; ce sentiment de délicatesse, excessif peut-être, je l’abandonne à toute la sévérité de votre censure, mais il m’eût été impossible d’y résister. (Bien ! Très bien !)

M. de Gerlache. - J’adhère pleinement aux motifs que vient de vous soumettre l’honorable M. Leclercq.

M. Liedts. - Moi de même.

Article 53

On passe à l’article 53, qui est adopté sans discussion.

Article 54

Sur l’article 54, M. Gendebien propose l’amendement suivant :

« Toutes les dispenses accordées par les lois ou par les gouvernements précédent aux membres des cours, des tribunaux et des parquets actuellement en fonctions sont maintenues. »

Une discussion s’engage sur cette proposition.

M. le ministre de la justice (M. Raikem), M. H. de Brouckere, M. Lebeau y prennent part ; mais comme l’heure est avancée et que de nouveaux amendements sur le même objet doivent être présentés, la discussion est renvoyée à demain.

M. H. de Brouckere demande que des dispenses puissent être accordées pour cause de parenté ou d’alliance entre les membres d’un même tribunal.

- La séance est levée à quatre heures et demie.