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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 5 juin 1832

(Moniteur belge n°159, du 7 juin 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

A midi et demi la séance est ouverte.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dellafaille fait l’appel nominal et donne lecture du procès-verbal dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Jacques expose sommairement l’objet de plusieurs pétitions adressées à la chambre. Ces pétitions sont renvoyées au comité spécial.


Il est fait lecture d’une lettre de M. Corbisier qui, pour cause de maladie, s’excuse de ne pouvoir partager les travaux de ses honorables collègues.

Projet de loi portant formation d'une commission spéciale et temporaire des mines

Transmission par le sénat

Un message du sénat, en date du 4 juin, annonce que cette chambre législative a adopté, dans sa séance du même jour, un projet de loi portant formation d’une commission spéciale qui aurait provisoirement les attributions du conseil d’Etat, relativement aux mines.

M. le président. - Le projet sera imprimé et distribué.

M. Lebeau. - Il faut renvoyer ce projet à l’ancienne commission. (Appuyé ! appuyé !)

- Le renvoi du projet à l’ancienne commission des mines est adopté.

Projet de loi portant organisation judiciaire

Discussion des articles

Titre I. De la cour de cassation

L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le projet de loi concernant l’organisation judiciaire.

Article 6

« Art. 6. Les membres de la cour de cassation ne peuvent être en même temps soit membres des chambres, soit ministres. »

M. Helias d’Huddeghem. - Messieurs, la cour supérieure de Bruxelles, consultée sur un article identique à celui dont la discussion va s’ouvrir, a émis l’opinion qu’il convenait de supprimer cette disposition dans la loi et qu’on devait s’en référer, à cet égard, à la constitution.

Jusqu’à présent il ne m’a pas été démontré qu’il y avait de l’inconvénient à supprimer cet article, et je vais aussi demander sa suppression.

J’ai plusieurs motifs pour faire cette demande : pourquoi écarterions-nous des assemblées législatives, les juges que les peuples voisins y admettent ? En effet en Angleterre il est reçu, il est passé en coutume, de donner l’entrée des chambres à deux des grands juges ; indépendamment que le chancelier est président de la haute cour. En France, les membres les plus distingués de la cour de cassation se trouvent en même temps sur la liste des membres de la chambre des pairs ; et vous savez tous que le ministre de la justice, garde des sceaux, préside en certains cas la cour de cassation. Loin de voir une incompatibilité entre les fonctions de membres de la cour de cassation et les membres de la représentation nationale, je pense que la meilleure préparation possible pour la législature, c’est d’avoir rempli les hautes fonctions judiciaires ; quel est l’homme le plus propre à se faire écouter sur les lois si ce n’est celui qui en a suivi la marche pendant une longue carrière ? C’est par ces considérations que je propose la suppression de l’article 6.

M. Lebeau. - Messieurs, si dans cette circonstance, je voulais stipuler dans l’intérêt du pouvoir exécutif, je me hâterais de voter le maintien de l’article 6 mis en délibération. Je crois en effet que ce serait rendre un grand service au gouvernement que de fermer l’entrée de cette chambre ou du sénat à des hommes qui apportent ici une indépendance de position telle que vous ne la trouverez réunie nulle part à un pareil degré.

Que veut-on, messieurs, pour condition d’aptitude à exercer les fonctions législatives ?

L’indépendance d’abord ; l’instruction ensuite. Or, messieurs, d’après les présomptions les plus vraisemblables, la première de ces conditions, l’instruction, est certainement assurée dans la personne des membres de la cour suprême ; et quant à l’indépendance de position, elle est, sous ce rapport, tellement évidente, qu’il paraît superflu d’entrer dans aucun développement.

Je ferai remarquer que l’indépendance des membres de la cour de cassation peut se comparer avec un grand avantage à l’indépendance de position des membres des cours d’appel : les membres des cours d’appel, messieurs, ont encore quelque chose à craindre, ont encore quelque chose à espérer du pouvoir ; car vous le savez, c’est le pouvoir qui peut les appeler à la cour de cassation en les choisissant sur deux listes de candidats qui lui sont présentées. Les membres de la cour de cassation n’ont plus rien à craindre, ni rien à attendre du pouvoir. Un conseiller ne peut parvenir à la présidence ou à la première présidence, que par le choix libre de ses collègues sans aucune intervention du gouvernement. Ainsi, messieurs, il est incontestable que les membres de la cour de cassation réunissent au plus haut degré deux conditions, l’instruction et l’indépendance la plus absolue de position.

Maintenant, si l’on ferme l’accès de cette chambre à de tels hommes, je crois qu’on stipulera jusqu’à un certain point les intérêts du pouvoir, si tant est que le pouvoir veuille exercer une influence quelconque sur les chambres délibérantes, ou par des moyens détournés avoir de l’action sur la représentation nationale.

Messieurs, parmi les objections qu’on adresse à l’admissibilité des membres de la cour de cassation dans cette chambre, on en cite deux principales : d’abord le défaut de temps. On pense que si les membres de la cour de cassation sont appelés à exercer les fonctions législatives, cette admission aura pour résultat de les distraire plus ou moins de leurs sièges judiciaires, ce qui ne pourra avoir lieu qu’aux dépens de la bonne administration de la justice. Messieurs, cette objection ne peut s’appliquer exclusivement aux membres de la cour de cassation ; elle s’applique à toutes les cours judiciaires.

Quand vous fixerez le nombre des membres qui composeront chaque cour d’appel, aurez-vous égard à cette éventualité, que quelques-uns d’entre eux peuvent être appelés dans les chambres ? Evidemment vous fixerez ce contingent d’après les besoins du ressort ; vous fixerez le nombre des conseillers sans perdre de vue tous les principes, toutes les maximes d’économie qui sont ici notre loi ; vous fixerez le nombre des membres des cours d’appel, d’après la proportion du service de ces cours.

Eh bien, s’il en est ainsi, l’objection que l’on adresse à la cour de cassation s’adresse aux membres des cours d’appel ; et il faut, pour être conséquent, prononcer aussi leur incompatibilité. Il faut même aller plus loin, il faut déclarer qu’aucun membre de l’ordre judiciaire ne peut être admis à exercer des fonctions législatives, puisque l’exercice de ces fonctions a pour objet de toucher à un personnel dont le contingent a dû être basé sur les besoins de la justice dans les divers ressorts.

Non, messieurs, vous ne pouvez aller jusque-là : et si vous ne pouvez aller jusque-là, vous ne pouvez adresser l’objection aux membres de la cour de cassation ; vous le pouvez d’autant moins que les travaux de la cour de cassation sont moins multipliés que ceux d’une cour d’appel ; qu’une cour de cassation ne siège pas tous les jours ; que ses séances ne sont pas tellement prolongées qu’un conseiller ne puisse dans le même jour rendre un arrêt et remplir ses fonctions législatives.

D’ailleurs la question que nous agitons est tout à fait de la compétence des électeurs : c’est à eux d’estimer s’il convient à leurs intérêts et à ceux du pays d’avoir pour représentant un membre de la cour de cassation qui, par la nature de ses fonctions judiciaires, ne pourra pas autant qu’un autre fréquenter les chambres, mais qui pourra y avoir de l’influence par ses lumières, par ses qualités. C’est à eux à savoir s’ils veulent voir figurer un tel homme à la chambre et au sénat dans les questions d’une haute importance ; c’est à eux qu’il appartient de décider si un député qui remplit ainsi son mandat est préférable à un député plus assidu aux séances législatives, mais ayant moins de lumières, moins d’indépendance qu’un membre de la cour suprême.

Ai-je besoin, messieurs, de faire ressortir les lumières qu’apporteront les membres de la cour de cassation dans les discussions relatives à la législation civile, à la réforme du code d’instruction criminelle. Remarquez bien que notre législation pénale, que notre procédure criminelle, ont besoin, pour être mises en harmonie avec nos institutions, d’une refonte presque générale ; et c’est au moment où des travaux législatifs de cette importance seront soumis aux chambres, pendant plusieurs années, que l’on veut, de gaieté de cœur, se priver des lumières des hommes les plus propres à éclairer nos consciences dans de pareilles délibérations !

Mais, dit-on, l’incompatibilité résulte d’un autre motif. Les membres de la cour de cassation pouvant être appelés à juger les ministres, il répugne à la nature des choses, comme il répugne aux principes de justice et aux convenances, que des hommes qui ont concouru à la mise en accusation viennent participer au jugement qui en est la suite. Eh bien, messieurs, qu’arrivera-t-il ? Il arrivera par l’effet naturel des choses, par le principe de délicatesse dont nous voyons l’application tous les jours dans les tribunaux les plus inférieurs, qu’un membre de la cour de cassation sachant qu’il doit participer au jugement d’un ministre, s’abstiendra comme député de voter l’accusation ; il fera comme les conseillers qui jugent dans la chambre des mises en accusation, et qui par cela seul ne peuvent siéger à la cour d’assises pour le même procès ; il fera comme fait le juge qui a des relations, ou de l’affinité avec l’une des parties, il se récusera. L’administration de la justice n’en sera pas entravée, et certainement deux ou trois voix absentes n’empêcheront pas l’exercice des prérogatives de la chambre, n’empêcheront pas de mettre un ministre en accusation.

Et remarquez pour quelle éventualité vous voulez sacrifier les membres de la cour de cassation et les exclure des chambres législatives ; c’est-à-dire, remarquez combien de fois les accusations ministérielles seront votées par vous. Messieurs, ne nous faisons pas illusion, si nous n’avons de garantie que la bonne gestion des intérêts publics, par le ministère, que la responsabilité judiciaire, que la responsabilité qui s’exerce par une mise en accusation, je crois que nos intérêts sont mal garantis ; d’abord, parce que le remède est extrême, parce qu’il exige l’emploi de moyens rigoureux, et que la représentation nationale pourrait supporter beaucoup d’abus avant d’en venir à un remède pire que le mal même. Messieurs, la véritable garantie ministérielle est dans la confiance que la majorité lui accorde ; si un ministre n’avait pas la majorité, soit de la chambre des représentants, soit de la chambre sénatoriale, pourrait-il exercer son pouvoir pendant 15 jours ? Car indépendamment des subsides, il y a mille moyens d’entraver la marche de l’administration qui aurait perdu la confiance du pays. En présence d’une pareille garantie, je n’ai pas besoin de me préoccuper trop vivement de l’action judiciaire.

En Angleterre, où les ministres ont été plus d’une fois sévèrement jugés, il n’y a pas eu d’accusation depuis plus d’un demi-siècle ; pourquoi ? parce que la puissance parlementaire s’est accrue de toute l’influence qu’a perdue le pouvoir exécutif ; il a suffi de 14 voix de majorité pour faire tomber un ministère ; il n’a fallu rien moins que l’explosion nationale pour ramener ces mêmes hommes au pouvoir. Il a suffi d’une simple adresse au roi pour renverser l’administration. L’administration de Wellington n’a pas été renversée autrement. Comment pouvez-vous attacher un prix aussi grand à une pareille éventualité ?

Au reste, il se présente un moyen de résoudre la difficulté, et ce moyen est palpable. Il est certain qu’un membre de la cour de cassation, qui figurerait dans cette enceinte, et qui saurait qu’il doit prendre part en jugement d’un ministre, il est certain, que sous une loi qui lui en ferait une obligation, il se retirerait.

Messieurs, prenez-y garde, s’il est des fonctions auxquelles les hommes d’honneur attachent un grand prix, ce sont les fonctions législatives ; ce sont les fonctions qui leur sont conférées par la confiance générale ; craignez d’éloigner de la cour de cassation beaucoup d’hommes honorables, beaucoup de bons patriotes, si vous les déclarez, comme membres de cette cour, incapables, indignes de figurer dans la représentation nationale. Laissons le concours ouvert ; fions-nous au bon sens des électeurs du soin d’empêcher que l’objection de la section centrale ne vienne à se réaliser.

A moins qu’on n’appuie par de nouveaux arguments les arguments que la section centrale a fait valoir dans son rapport, il m’est impossible de donner mon assentiment à l’article 6.

M. Liedts. - Je ne pense pas, messieurs, comme l’honorable préopinant que l’incompatibilité établie par l’article 6 doive disparaitre du projet, et je crois au contraire qu’elle est commandée par l’intérêt général.

Certes l’indépendance des membres de la cour de cassation n’a été mise en doute par aucun membre de la section centrale, mais on a été généralement d’avis qu’il ne suffisait pas d’être indépendant et instruit pour siéger à la chambre et qu’il faut en outre que sa présence à la chambre n’entraîne pas de trop graves inconvénients, ne soit pas trop préjudiciable au public. Or c’est ce qui arriverait, si l’incompatibilité n’était pas admise ; si l’on permet que les conseillers à la cour de cassation qui viennent siéger à l’une des deux chambres conservent leur siège à la cour, il y aura, quoiqu’en ait dit l’honorable préopinant, il y aura une perturbation continuelle dans l’administration de la justice ; il faudra pour compléter la chambre où siégeaient à la cour les conseillers élus, recourir sans cesse à l’autre chambre, et de cette manière entraver sans cesse l’ordre du service.

Je n’en veux d’autres preuves que les plaintes faites par la cour d’appel de Bruxelles, plaintes qui seront bien plus fondées de la part de la cour de cassation dont le personnel sera restreint au strict nécessaire.

Mais, dit-on, pour être conséquent, il faudrait étendre l’incompatibilité aux membres des cours d’appel et des tribunaux.

Cette question, messieurs, a aussi fixé l’attention de la section centrale. Mais elle a considéré que s’il fût un temps où les avocats étaient peut-être en trop grand nombre à la chambre, il arrivera une époque où il n’y en aura plus du tout. La constitution n’accordant pas de traitement aux membres, le nombre des avocats distingués, qui ont assez de dévouement pour sacrifier leur clientèle et peut-être leur fortune à l’honneur de représenter le pays, n’ira certes par en augmentant.

Si maintenant vous excluez en outre tous les membres de l’ordre judiciaire., vous n’aurez plus à la chambre des hommes de loi.

Mais quant à la cour de cassation, il a paru que l’incompatibilité est d’autant plus nécessaire que le public est plus intéressé à ce que le premier corps dans l’ordre judiciaire ne soit pas entravé dans l’administration de la justice.

N’oublions pas d’ailleurs, messieurs, que c’est la cour de cassation qui juge les ministres, et que dans l’esprit de la constitution, ce jugement doit-être porté par le plus grand nombre de conseillers possible ; et c’est pour ce motif que la constitution exige que ce jugement solennel soit rendu par les chambres réunies. Or, si les conseillers pouvaient être en même temps membres de cette chambre, comme c’est elle qui accuse les ministres, des conseillers ne pourront plus prendre part au jugement, puisqu’on ne peut pas être accusateur et juge. Il résulterait donc de là que, contre l’esprit de la constitution, le nombre de conseillers appelés à juger les ministres pourrait-être singulièrement restreint.

M. Gendebien. - Je ne sens pas s’il est nécessaire de répondre à ce qu’a dit un des préopinants. Quant à moi, je crois devoir soutenir la section centrale, c’est-à-dire que je crois devoir déclarer l’incompatibilité des fonctions de membre de la cour de cassation et de membre de la chambre des représentants.

Ou vous a assuré que les membres de la cour de cassation étaient, de tous les citoyens, les hommes qui, par leur position, étaient les plus indépendants. Messieurs, je ne pense pas que la position sociale donne de l’indépendance à l’homme ; nous avons tous les jours des preuves que l’homme qui n’a rien à désirer, qui n’a rien à demander, que le célibataire qui a une immense fortune, saura moins résister que tout autre dans une position contraire. L’indépendance est dans le caractère de l’homme ; quand elle n’est pas là, il ne faut pas la chercher ailleurs. Tout homme riche, tout homme indépendant par ses fonctions, se trouve encore très disposé, souvent, à sacrifier son indépendance pour un cordon, pour un titre de baron, pour un titre de comte.

Ces hommes dans de hautes positions sociales, n’ont-ils pas tous quelques neveux à placer ? Je ne conçois d’autre indépendance que celle qui est dans le sang, dans le caractère ; hors de là, ce n’en est pas. Ainsi, je mets de côté tout ce qui a été avancé sur l’indépendance des membres de la cour de cassation. Il n’y aura d’indépendants dans cette cour que ceux qui seront indépendants par caractère et les autres se laisseront aller à des titres de baron et de comte.

On vous a dit, messieurs, que s’il fallait fermer la porte de la chambre aux membres de la cour de cassation parce qu’ils n’auraient pas le temps de remplir leurs nobles fonctions, il faudrait, par identité de raison, exclure les membres des cours et des tribunaux.

D’abord, j’aurai l’honneur de vous faire remarquer que dans les cours et tribunaux, le nombre des membres n’y est pas tellement restreint, et les occupations n’y sont pas tellement graves qu’un juge, qu’un conseiller, ne puisse se soustraire momentanément à ses fonctions. Mais je ferai remarquer d’un autre côté que ce serait payer bien cher… (Et ici je dirai qu’on a éloigné de la chambre les hommes du barreau, parce qu’on n’a pas donné une indemnité qui pût compenser la perte de la clientèle, et on a mis les membres des cours d’appel pour remplacer les avocats), que ce serait payer bien cher les jurisconsultes de la cour de cassation, qui vous coûteraient 5,000 florins, tandis que les jurisconsultes de la cour d’appel ne coûtent que 2,500 florins.

Quant à l’incompatibilité, je la trouve très rationnelle ; et non seulement je ne trouve pas de remède dans la possibilité de s’abstenir mais je trouve un inconvénient très grave dans l’abstention d’un membre, soit à la chambre, soit à la cour de cassation.

M. Lebeau. - C’est à la chambre qu’il s’abstiendra !

M. Gendebien. - Pourquoi voulez-vous créer des nécessité de s’abstenir pour un certain nombre de représentants, dans une occasion pénible ? Et cet inconvénient, en supposant qu’il disparaisse, il en est une autre qui ne disparaîtra pas. Si vous introduisez des membres de la cour de cassation dans les discussions politiques, qu’arrivera-t-il ?

Dans ces discussions, on commence par être divisés d’opinions, on finit par s’entêter dans son opinion, et pas ne voir qu’à travers le prisme de son opinion. Les juges siégeront avec les impressions qu’ils auront prises parmi nous ; vous aurez des juges prévenus ; et à moins que tous les membres de la cour de cassation ne se récusent, quand vous jugerez les ministres, je dis qu’ils n’auront pas l’impartialité qui convient à des magistrats : sous ce rapport, je crois qu’il faut fermer la porte de la chambre aux membres de la cour suprême.

On a dit que c’était se priver de beaucoup de lumières, parce que, lorsque nous réviserons les codes, les membres de la cour de cassation donneront leur opinion. Je prétends qu’en cour d’appel, vous trouverez des hommes tout aussi aptes. En cour de cassation il n’arrive que quelques questions ardues ; mais elles n’y arrivent pas toutes ; il en est un bien plus grand nombre qui sont résolues par les cours de cassation, parce qu’on transige. Ainsi vous trouverez beaucoup plus d’hommes exercés aux questions graves dans les cours d’appel que dans les cours de cassation. Dans cette cour on discute une ou deux questions dans une affaire, et dans les cours d’appel on en discute dix ou douze, qui sont tous les jours remises sur le métier et tous les jours élaborées.

Je crois, messieurs, avoir rencontré les principales objections qui ont été faites contre l’admission de l’article 6.

Je ne suivrai pas le préopinant dans ce qu’il a dit au sujet des cas très rares de mises en accusation des ministres. Ces cas sont très rares, et cependant on nous vante sans cesse la responsabilité ministérielle. Je prends acte de l’aveu, pour m’en servir plus tard quand on nous vantera la responsabilité ministérielle.

Il est une autre objection sur laquelle je dois entretenir la chambre. La cour de cassation est régulatrice des points de jurisprudence. Dans certaines occasions les chambres sont appelées à interpréter les lois ; vous aurez l’inconvénient de voir des membres de la cour de cassation qui viendront soutenir une opinion de corps ; qui ne viendront pas ici pour éclairer l’assemblée, mais pour s’éclairer eux-mêmes, mais pour faire prévaloir une opinion. Ils devraient alors s’abstenir de délibérer dans la chambre ; et voilà encore un cas où vous allez décimer la chambre. L’utilité des membres de la cour de cassation dans cette chambre se réduit à zéro. Je vois de graves inconvénients dans la suppression de l’article 6 ; et à moins qu’on ne présente des considérations nouvelles, j’adopterai l’article 6 présenté.

M. H. de Brouckere. - Je me lève, comme l’honorable préopinant, pour défendre les dispositions de l’article 6. Cet article donne lieu à deux questions différentes. Les ministres pourront-ils être membres de la cour de cassation ? et les membres de la cour de cassation pourront-ils faire partie de la chambre ? Quant à la première question, il paraît que ceux-là qui voudraient voir supprimer l’article 6 admettent l’incompatibilité des fonctions de ministre avec celles de la cour de cassation, et véritablement cette incompatibilité existe au suprême degré.

Je voudrais, moi, que les fonctions de ministre fussent incompatibles avec toute autre fonction. J’ai soutenu cette opinion dans une autre discussion, et je n’ai pas changé d’avis.

Il est inutile de répéter que l’on trouvera ailleurs que dans la cour de cassation et l’indépendance et l’instruction.

Il est impossible que plusieurs membres de la cour de cassation siègent dans les chambres sans que l’administration de la justice soit interrompue ; or, plus les membres de cette cour seront indépendants et instruits et plus ils auront de chances pour être appelés dans les chambres, ce qui ne fait qu’augmenter l’inconvénient.

Mais, dit-on, vous avez même chose à craindre pour les cours d’appel ; eh bien, je suis d’avis que l’on doit avoir égard à cette considération, et qu’en fixant le nombre des membres des cours d’appel, il faut avoir en vue la possibilité que plusieurs membres seront absents pour des causes forcées ou pour assister à la représentation nationale, si tant est qu’ils y soient appelés.

Mais, ajoute l’honorable membre, laissez faire aux électeurs ; c’est à eux qu’il appartient d’apprécier les convenances ; c’est à eux de savoir s’ils doivent donner leur voix à des hommes qui seraient moins assidus aux séances de la chambre, mais qui porteraient de grandes lumières dans les discussions importantes. Je vous ferai observer que la plupart du temps les personnes remplissant des fonctions, quand elles sont appelées dans l’une des deux chambres, ne vaquent plus à leurs fonctions ; ainsi, les membres de la cour de cassation siégeraient régulièrement à la représentation nationale, et ne siégeraient pas à la cour.

L’honorable M. Lebeau a prévu une objection grave. C’est à la chambre des représentants à poursuivre les ministres qui doivent être jugés par la cour de cassation. Mais, dit-il, les membres de la cour de cassation se récuseront dans la chambre des représentants : ils se récuseront ! Oui, s’ils le veulent. C’est dans les crises politiques que l’on juge les ministres ; eh bien, c’est alors que les passions sont à craindre, et il faut éviter que ces passions aient de l’influence. Les membres de la cour de cassation se récuseront comme ils se récusent dans le cas de parenté… Mais s’ils se récusent alors, c’est parce que la loi l’ordonne.

D’ailleurs, il est fort singulier d’introduire dans la représentation nationale des personnes qui seront dans certains cas dans la nécessité de se récuser. On ne nomme pas les membres d’une cour avec la prévision que ces membres devront se dispenser de prendre part aux délibérations.

Les mises en accusation sont rares… Oui, elles sont rares ; mais cela n’a pas empêché que la seule prévision de la mise en accusation ait fait insérer dans la constitution le troisième paragraphe de l’article 99 qui donne au sénat la présentation des membres de la cour de cassation, parce qu’il ne convenait pas aux membres de la chambre des représentants, qui poursuivent les ministres, de désigner les personnes chargées de les juger. Toutes les personnes présentes au congrès savent que c’est cette seule considération qui a fait admettre la disposition du troisième paragraphe de l’article 99.

M. Lefebvre. - Je pense que la disposition qui exclut les membres de la cour de cassation de cette enceinte, est inconstitutionnelle.

L’article 50 de la constitutions statue particulièrement que pour être éligible, il faut : 1° être Belge de naissance ou avoir reçu la grande naturalisation ; 2° jouir des droits civils et politiques ; 3° être âgé de 25 ans accomplis ; 4° être domicilié en Belgique. Aucune autre condition d’éligibilité ne peut être requise.

Voilà les quatre conditions qu’on exige et le dernier paragraphe porte formellement qu’aucune autre condition d’éligibilité ne peut être requise. Il est évident que c’est requérir une autre condition d’éligibilité que d’exiger qu’on ne soit pas membre de la cour de cassation. Il me paraît d’ailleurs, messieurs, que cette question ne peut plus former le moindre doute, car elle se trouve résolue dans ce sens par la section centrale dans son rapport, sur cette partie de la loi fondamentale. Dans ce rapport, en date du 22 décembre 1830, on lit :

« Quelques sections avaient proposé d’établir des incompatibilités entre certaines fonctions publiques et celles de membre de l’une ou de l’autre chambre. Elle a cru qu’à cet égard, on devait s’en rapporter au bon sens des électeurs, et que la disposition qui prescrivait la réélection des membres appelés à des emplois salariés, après leur nomination, parait à tous les inconvénients. Toutefois, un membre de la section centrale avait réclamé l’incompatibilité absolue entre la qualité de membre de la cour des comptes et celle de membres de l’une ou de l’autre des deux chambres. Cet avis n’a pas été partagé par les autres membres de la section centrale.

« Une incompatibilité relative avait été réclamée. Cinq membres de la section centrale ont demandé que les gouverneurs ou les chefs d’administration provinciale ne pussent être élus dans les provinces dont l’administration leur était confiée. La majorité a rejeté cette exclusion. »

Il me paraît donc clairement établi qu’aucune incompatibilité entre les fonctions judiciaires et la représentation nationale ne peut avoir lieu, et d’après les termes du rapport de la section centrale, et d’après les termes du dernier paragraphe de l’article 50.

Je pense que la partie de l’article 6, qui exclut les membres de la cour de cassation, ne peut être adoptée.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, j’ai quelques observations à présenter, relativement à la question d’inconstitutionnalité qui vient d’être soulevée par le dernier préopinant. Auparavant, j’aurais l’honneur de faire remarquer à la chambre que dans le projet de loi sur l’organisation judiciaire, présenté par le gouvernement, il était statué que les fonctions de membre de la cour de cassation étaient incompatibles avec celles de ministre. Ainsi on ne peut pas dire que c’est dans l’intérêt du pouvoir que l’on aurait voulu établir l’incompatibilité entre la qualité de membre de la cour et la qualité de membre de la législature.

J’en viens à la question constitutionnelle.

Je remarquerai encore que c’est la section centrale qui a établi l’incompatibilité entre la cour de cassation et l’une et l’autre chambre, et que j’ai partagé cette opinion ; la section centrale avait bien voulu m’appeler dans son sein, pour discuter le projet de loi sur l’organisation judiciaire.

Pour prouver l’inconstitutionnalité, on cite l’article 50 de la constitution, et on s’appuie sur son dernier paragraphe : « Aucune autre condition d’éligibilité ne peut être requise. » Mais par la loi que vous êtes appelés à porter, propose-t-on une nouvelle condition d’éligibilité ? Point du tout. Dit-on que les membres de la cour de cassation sont frappés d’incapacité pour devenir membres de la chambre ? Nullement. Un membre de la cour de cassation peut avoir les qualités requises pour arriver à la législature ; seulement, il ne peut pas être, en même temps, membre de la cour de cassation et membre de la législature ; il faut opter entre les deux fonctions.

Remarquez qu’il a été dans l’intention du congrès national de ne pas interdire les incompatibilités qui peuvent être prononcées par les lois ; car il est bien différent de prononcer une incompatibilité ou d’imposer une nouvelle condition d’éligibilité.

Le préopinant vous a dit que le rapport de la section centrale, rapport qu’il a cité, était du 22 décembre 1830. Eh bien ! le congrès connaissait les intentions de la section centrale ; il savait en quel sens il rédigeait la constitution ; on ne peut pas supposer qu’à la même époque, il aurait voté le pour et le contre. Cependant, voyez la loi sur la cour des comptes ; elle est du 30 décembre de la même année 1830, ainsi huit jours après le rapport de la section centrale, sur le titre de la constitution que l’on a cité : le décret sur la cour des comptes porte, article 2, que les membres de cette cour ne peuvent être, en même temps, membres de l’une et l’autre chambre.

Voilà une incompatibilité de prononcée, et cette incompatibilité n’est point contraire à la constitution, il n’y a dans la constitution aucune disposition qui empêche de prononcer légalement des incompatibilités. Et observez, quant au rapport de la section centrale qui a rejeté plusieurs incompatibilités alors proposées, que l’on n’a pas voulu établir des incompatibilités constitutionnelles ; il y a, en effet, une grande différence entre une incompatibilité constitutionnelle et une incompatibilité légale. Pour détruire une incompatibilité constitutionnelle, il aurait fallu réviser la constitution avec toutes les formes sévères et lentes que cette révision exige ; au lieu que lorsque l’on établit par une loi une incompatibilité, elle peut être par une loi contraire portée dans une autre législature.

La disposition proposée par la section centrale n’est point inconstitutionnelle.

Je me bornerai à ces réflexions pour le moment.

M. Jullien. - Messieurs, le plus habile homme du monde, quand il est exerce des fonctions, ne peut faire qu’une affaire à la fois ; que sera-ce quand vous cumulerez dans la même personne deux fonctions importantes, qui s’excluent réciproquement ? Quand elle remplira une de ces fonctions, l’autre restera en vacance. Quand on a une double magistrature à remplir, il y en a toujours une qui souffre ; et les administrés et l’administration en pâtissent.

Ou bien le titulaire est nécessaire dans son emploi, ou il n’est pas nécessaire ; s’il est nécessaire, il faut qu’il y reste ; s’il n’est pas nécessaire, c’est une sinécure ; c’est un emploi inutile. Voilà mon avis, sur le premier inconvénient qui a été signalé par la section centrale.

L’objection tirée du second inconvénient me paraît péremptoire. Il me semble qu’il y a une anomalie choquante à soutenir que l’on peut être en même temps accusateur et juge ; car la disposition par laquelle on introduirait, dans cette chambre, des membres de la cour de cassation, et par conséquent des hommes qui auraient le droit de mettre les ministres en jugement, les constituerait à la fois accusateurs et juges, et je ne comprends pas une loi qui mettrait un fonctionnaire dans la nécessité de manquer à l’un et à l’autre de ses devoirs.

J’ai entendu l’honorable M. Lebeau ; il a dit que le membre de la cour de cassation, s’il s’agit de poursuivre les ministres, fera ce que tout juge fait en pareil cas ; qu’il se récusera devant la chambre. Messieurs, il ne faut jamais mettre un homme délicat dans le cas de se récuser. Comme l’a très bien fait observer M. de Brouckere, il ne se récusera qu’autant qu’il le voudra ; il pourra vouloir au contraire voter comme député et s’abstenir comme juge ; vous ne pouvez pas lui ôter cette faculté.

S’il accuse les ministres, ne craignez-vous pas l’influence que, comme député, il pourra exercer sur ses confrères de la cour de cassation ; si, au contraire, il s’abstient comme député, il cherchera à faire partager ses passions politiques au corps auquel il appartient. De quelque côté que vienne l’abstention, il y aura toujours, sur le jugement, une influence dangereuse, et c’est ce que vous devez éviter. Il ne faut pas placer un honnête homme dans une position équivoque.

Il y a des incompatibilités qui ne sont pas écrites dans les lois ; mais il en est qui sont dans la nature des choses, dans la morale publique. On ne peut pas concevoir dans une société civilisée que le même homme accuse et juge.

On a dit : mais pourquoi exclure les membres de la cour de cassation ; vous vous refusez les tributs de lumières qu’ils apporteront… Tout cela ne me touche pas. Le membre de la cour de cassation qui sera nommé membre de la chambre aura, comme l’a fort bien fait observer M. le ministre de la justice, la faculté d’opter : donnez-lui cet avertissement si vous voulez dans la loi, ainsi il n’y aura pas d’exclusion ; il y aura seulement option. Je crois que l’on doit maintenir tout l’article présenté par la section centrale, et qu’il y aurait de graves inconvénients à le supprimer.

M. Lebègue. - Loin de voir dans l’article 6 une inconstitutionnalité, je trouve que sa rédaction est en harmonie avec l’article 50 de la constitution. De l’article 50 je tire la conclusion que les membres de la cour de cassation sont éligibles, et de l’article 6 de la loi en discussion qu’ils peuvent entrer dans cette chambre en optant.

M. Destouvelles. - Après les explications que vous venez d’entendre, je n’ai que peu de mots à ajouter. C’est à tort que l’on a dit que l’article 6 frappe d’indignité les membres de la cour de cassation. Il suffit de lire cet article pour acquérir la certitude que le reproche n’est pas fondé. L’article ne prononce pas d’exclusion, il ne dit pas que les membres de la cour de cassation ne peuvent être appelés par les électeurs aux fonctions de membre de la chambre, et par le choix du souverain aux fonctions de ministre. Cet article ne veut pas que les fonctions de la cour de cassation soient cumulées avec celles de membres des chambres et celles du ministère. Si les électeurs nomment un membre de la cour de cassation, l’élection est valable ; c’est à l’élu à opter pour l’une ou l’autre mission qui lui est confiée. Je le répète, il n’y a là rien qui prononce une indignité ou exclusion.

On n’a pas voulu, dans la constitution, qui est la loi des lois, et qui ne peut être réformée, révisée, qu’avec des formes sacramentelles, on n’a pas voulu prononcer d’incompatibilité ; on a laissé ces incompatibilités dans le domaine des lois qui peuvent être à tout moment faites et refaites par le corps législatif dont elles sont l’œuvre. C’est donc à tort que l’on a voulu s’occuper du procès-verbal de la section centrale de décembre 1830. Le véritable commentaire de l’article 50 de la constitution est la loi relative à la cour des comptes.

C’est en vain que l’on a prétendu que l’indépendance de la cour de cassation était absolue, parce que parvenus aux sommités du pouvoir judiciaire, les membres de cette cour avaient obtenu tout ce à quoi ils pouvaient prétendre. La preuve qu’ils n’ont pas tout obtenu, c’est qu’ils n’ont pas eu un portefeuille, qui cependant pourrait leur sourire. Si vous voulez qu’ils soient indépendants, laissez-les à la cour de cassation, ne les mettez pas en contact avec le pouvoir, qu’ils soient tout entiers à leurs fonctions.

Quant au second moyen, messieurs, il est incontestable que le personnel des cours est rigoureusement calculé sur les besoins du service, et qu’on ne peut remplir deux fonctions à la fois.

On a parlé des cours supérieures ; mais M. Gendebien vous a fait sentir la différence entre les cours supérieures, et la cour de cassation. Dans les tribunaux inférieurs on met des suppléants qui peuvent, en montant sur le siège, donner à la justice son cours ordinaire.

Messieurs, la plus grande et la plus sérieuse de toutes les objections est celle que contient la constitution. Cette loi fondamentale défère aux chambres le pouvoir de juger les ministres ; je ne comprends pas comment on peut créer dans une même personne un accusateur et un juge.

Mais, dit-on, l’accusateur s’abstiendra à la chambre… S’il s’abstient à la chambre, il ne remplit pas ses devoirs comme membre de la chambre. Cependant il s’agit d’une accusation solennelle, d’une accusation devant laquelle on ne peut reculer, ni sur laquelle on puisse refuser son vote. Il serait trop commode de s’abstenir de l’accusation, ou de s’abstenir du jugement. Nous ne pouvons admettre cette série d’opérations. Vous êtes membre de la chambre ; vous vous abstiendrez du jugement : mais c’est un jugement solennel, et si ces lumières, dont on s’est prévalu pour ne pas exclure les membres de la cour de cassation, si ces lumières au nombre de 5 à 6 étaient distraites de la cour, voyez ce que deviendrait le jugement solennel !

La cour jugerait à un petit nombre, et ce n’est pas le vœu de la loi qui dit que la cour prononcera toutes les chambres réunies. C’en est assez sans doute, messieurs, pour justifier l’article 6 et je crois que loin que la chambre veuille le retrancher, elle l’inventerait s’il n’existait pas.

M. A. Rodenbach. - Plusieurs de mes honorables collègues ont suffisamment prouvé la constitutionnalité et l’incompatibilité des fonctions de membres de la cour de cassation avec celles de ministre et de représentant. Ce sont les conseillers de la cour de cassation qui doivent juger les ministres lorsqu’ils sont mis en accusation, j’en conclus que ce juge, en même temps député, serait en quelque sorte juge et partie dans la cause. Si je ne craignais d’écarter les talents de la chambre, j’étendrais l’incompatibilité à d’autres employés judiciaires. Vous conviendrez, messieurs, que des conseillers ne peuvent pas constamment abandonner leur siège sans que l’administration de la justice en souffre ; car il est difficile de remplir deux charges à la fois. J’en appelle à mes collègues magistrats qui siègent dans cette enceinte, si la justice ne souffre parfois de leur absence. Naguère encore un président de la cour de Bruxelles a déclaré que M. le premier président n’avait pu composer la chambre à cause d’absence de conseillers. C’est ainsi que l’on doit remettre les causes jusqu’à trente fois. Je donnerai mon assentiment à l’article 6.

M. Devaux. - Messieurs, bien que d’après ce que je viens d’entendre, l’opinion que je viens soutenir ne paraît pas être en grande faveur dans ce moment, pour être conséquent avec les opinions que j’ai toujours soutenues au congrès, je viens appuyer le retranchement de l’article 6.

Il n’y a pas une seule des objections qui viennent d’être faites en sens contraire qui n’ait été produite au congrès pour établir dans la constitution des incompatibilités avec les fonctions de représentant. Mais le congrès les rejeta, et partit de ce grand principe qu’il ne fallait point gêner le droit des électeurs ; mais au contraire étendre autant que possible le cercle dans lequel ils doivent choisir les représentants du pays. Une seule exception fut faite à cette règle générale, c’est celle qui déclare incompatibles les fonctions de membres de la cour des comptes et celle de membre d’une des deux chambres : encore si ma mémoire est fidèle, cette mesure n’obtint-elle qu’une très faible minorité ; je la combattis pour ma part et j’en regrette tous les jours l’adoption, parce que je suis convaincu que nous sommes privés par là de lumières d’hommes qui auraient pu nous être fort utiles.

Je m’étais figuré, messieurs, que la cour de cassation n’était pas un tribunal ordinaire ; que c’était au contraire une cour d’élite, où devaient être appelés les jurisconsultes les plus profonds, les hommes du mérite le plus éminent ; en un mot, j’avais cru que par composition, cette cour était destinée à jeter un grand éclat sur la magistrature et sur le pays. Je me suis trompé. Hier, vous en avez écarté des hommes de science, parce que vous avez craint qu’ils ne fussent trop savants.

Aujourd’hui, on vous propose d’en écarter ceux qui ont été jugés dignes par les électeurs de prendre place parmi les représentants de la nation. Je l’avoue, messieurs, je ne croyais pas que ce fût un motif d’exclusion quelque part que d’avoir le suffrage des électeurs.

On dit, mais on ne les exclut pas, puisqu’ils pourront opter, entre leur place, et les fonctions de représentants. Rigoureusement parlant, il est vrai qu’on ne prononce pas d’exclusion, mais par le fait, n’est-ce pas les exclure que de les forcer à une option semblable ?

L’honorable préopinant a dit que s’il ne voyait siéger dans cette chambre des hommes de mérite, appartenant aux cours d’appel, et s’il ne craignait d’en écarter des talents utiles, il proposerait d’étendre l’incompatibilité aux cours. La même observation me détermine à voter dans un sens contraire. C’est parce que je vois ici des hommes de mérite appartenant à l’ordre judiciaire, que je ne veux pas qu’on les exclue, et qu’à plus forte raison, je suis d’avis qu’on en permette l’accès aux membres de la cour de cassation, parce que nous trouverons en eux encore plus de lumières et de talent.

J’ai été vraiment étonné d’entendre M. H. de Brouckere dire qu’il fallait plutôt écarter de la chambre les membres de la cour de cassation que les conseillers des cours d’appel. L’intérêt du pays n’exige-t-il point que les hommes les plus capables fassent partie de la législature. Or, les conseillers de la cour de cassation ne sont-ils pas présumés des hommes bien autrement capables et distingués que des conseillers de cour et de juges de première instance ?

Oui, messieurs, si vous adoptez l’exclusion aux conseillers de la cour de cassation, il y a deux fois plus de raison de l’appliquer aux cours royales, et quatre fois plus de l’appliquer aux tribunaux, parce que plus vous descendez, plus les capacités diminuent, moins il y a à perdre pour la législature.

Quant à moi, je crois que les capacités sont chose trop rare pour ne pas tirer de celles que nous aurons tout le parti possible. Que l’on jette les yeux sur ce qui se passe chez nos voisins. Voyez la chambre des pairs de France. N’est-il pas vrai que les hommes investis des plus hautes fonctions judiciaires y ont été appelés ? M. Seguier, premier président de la cour royale de Paris, est vice-président de cette chambre. En Angleterre, les douze grands juges siègent dans la chambre des lords. Ces fonctions législatives relèvent la magistrature, lui donnent plus de dignité. Le président de la chambre des lords, par le seul fait de sa présidence, est appelé en même temps à présider la première cour judiciaire du royaume. Messieurs, la présidence d’un homme de plus ou de moins dans les chambres peut faire un bien ou un mal immense ; n’en excluons pas les hommes les plus capables.

Si on exclut les membres de l’ordre judiciaire, pourquoi n’exclurait-on pas les membres de l’ordre administratif ? Pourquoi ne pas déclarer l’incompatibilité à l’égard d’un gouverneur de province, qui administre seul, à la différence d’un conseiller qui n’est pas seul pour rendre la justice. Pourquoi ne pas exclure les commissaires de districts, qui légalement parlant, n’ont personne pour se faire remplacer dans leurs fonctions ? Je dis qu’il faut ou ne pas faire d’exception, ou qu’il faut l’étendre à toute l’échelle judiciaire, et à toute l’échelle administrative. Mais alors vous verrez combien se trouvera rétréci le cercle des électeurs. Otez à la chambre ce qu’elle emprunte à l’ordre judiciaire et à l’ordre administratif, et vous verrez ce que vous aurez perdu en lumière.

Pourquoi voyez-vous ici un si grand nombre de membres de l’ordre judiciaire, est-ce affection des électeurs pour les juges ? Non, mais c’est que les électeurs se sont aperçus que parmi les magistrats étaient des hommes de mérite, et ils en ont fait l’objet de leur choix. Ils savaient bien que l’administration de la justice en serait plus ou moins entravée, mais ils ne se sont pas arrêtés devant cette considération, parce qu’une considération plus puissante les dominait. On pourrait dire que la question a déjà été résolue par la voix des électeurs eux-mêmes.

La question de l’inconvénient qu’il y aurait à voir le même homme tour à tout accusateur et juge, est facile à résoudre. Il est certain que le conseiller qui voudrait prendre part au jugement d’un ministre serait récusé. S’il n’y a pas de texte de loi formel à cet égard, et il me semble qu’il y en a un, on pourrait en faire l’objet d’un article dans la loi sur la responsabilité ministérielle.

Quant au choix des candidats, auquel il pourrait concourir doublement, s’il était membre du sénat, l’objection n’a pas la moindre gravité. Je ne vois pas en effet le grand inconvénient qu’il y aurait à laisser sa voix se noyer au milieu de celles des autres sénateurs. La même chose ne se passe-t-elle pas ailleurs à l’égard des conseillers provinciaux, qui présentent des candidats aux cours, et qui peuvent être conseillers de ces cours mêmes ?

Je le répète, en finissant, ou il ne faut point exclure les conseillers de la cour de cassation des chambres, où il fait en exclure tous les membres de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif, jusqu’aux tribunaux les plus inférieurs.

M. Mesdach. - Je ne viens pas combattre l’article 6 ; au contraire, je lui donne entièrement mon suffrage ; mais je crois qu’il y a une lacune dans cet article, et qu’il faudrait en étendre les dispositions aux membres du parquet et au greffier. On ne peut pas dire, en effet, que l’article leur soit applicable, parce qu’ils ne sont pas considérés comme membres de la cour, et que toujours on a fait une différence entre le parquet et les membres de la cour. Pour prouver ce que j’avance, je citerai l’article 71 de la loi du 27 ventôse an VIII, qui établir cette distinction de la manière la plus formelle.

L’orateur donne ici la lecture de cet article ainsi que d’un article de la loi du 20 avril 1810, où la distinction est encore plus explicite, et poursuit ainsi :

Je citerais encore, si je ne craignais d’abuser de vos moments, une cinquantaine de dispositions de loi, qui confirment mon assertion, je me contenterai de les indiquer.

- Voix nombreuses. - C’est inutile ! c’est inutile !

M. Mesdach. - Au reste, je trouve cette preuve dans le projet lui-même. On voit dans l’article 7, relatif à la liste à former pour la présentation des candidats, que la cour « ne peut former cette liste, si la majorité de ses membres ne se trouve réunie. » Assurément ce paragraphe implique que le procureur-général n’est pas considéré comme membre de la cour, car il n’a pas voix délibérative, et il ne compterait pour constituer la majorité.

L’article 10 est plus formel encore, on y lit « le greffier dresse procès-verbal des opérations de l’assemblée, ce procès-verbal contient les noms des membres qui en font partie, ainsi que celui de l’officier du ministère public qui y a assisté. » Vous voyez qu’ici l’officier public n’est pas compté comme membre de la cour. Dois-je citer d’autres preuves ? (Non ! non ! c’est inutile.) Les articles 481 et 483 du code d’instruction criminels sont formels. (Personne ne le conteste, c’est inutile.) Si la chambre est fixée sur la question, je me bornerai à proposer de rédiger l’article ainsi : « Les membres de la cour de cassation, les officiers du ministère public et le greffier ne peuvent être nommés soit membres des chambres, soit ministres. »

Une voix. - Et les commis-greffiers !

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je pense que l’intention de la section centrale a été de comprendre les officiers du ministère public dans la rédaction de l’article. Cette rédaction se trouvait, d’ailleurs, dans l’article 99 du projet primitif. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - M. Leclercq a la parole.

M. Leclercq. - J’y renonce.

M. le président. - M. H. de Brouckere l’a demandée. (Aux voix ! aux voix !)

M. H. de Brouckere. - J’y renonce aussi, il paraît que la chambre est fixée. J’ajouterai cependant un mot ; c’est que malgré l’étonnement de M. Devaux, je déclare que je persiste dans mon opinion. Quant à ce qu’a dit M. le ministre, que la disposition se trouvait dans l’article primitif, cela ne suffit pas, je suis d’avis qu’on doit y insérer l’amendement de M. Mesdach…

- Plusieurs voix. - Le ministre ne s’y oppose pas.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Ce n’était pas pour m’opposer à l’adoption de l’amendement que j’ai pris la parole. Ce n’était qu’une observation que je faisais. (La clôture ! la clôture !)

La clôture est mise aux voix et prononcée.

- La suppression de l’article proposée par M. Lebeau, est mise aux voix et rejetée.

L’amendement de M. Mesdach est mis aux voix.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - N’y a-t-il pas dans l’amendement : « ne peuvent être nommés » ?

M. le président. - Oui.

- Plusieurs voix. - Cela ne peut pas être.

M. Van Meenen. - Il faut dire : « les officiers du ministre public et le greffier près cette cour ne peuvent être en même temps, etc. »

M. H. de Brouckere. - J’insiste pour que cette disposition tombe aussi sur les commis-greffiers.

M. Van Meenen. - On pourrait dire : « les officiers du ministère public et les membres du greffe. »

M. H. de Brouckere. - Il n’y a pas de membres du greffe.

M. Jullien. - Que l’on dise : « le greffier et les commis-greffiers. » Il faut s’exprimer clairement dans les lois.

M. le président relit l’article modifié ainsi qu’il suit : « Les membres de la cour de cassation, les officiers du ministère public et les greffiers et commis-greffiers près cette cour ne peuvent être en même temps, soit membres des chambres, soit ministres. »

- Cet article ainsi rédigé est mis aux voix et adopté.

Article 7

« Art. 7. Lorsqu’une place de conseiller à la cour de cassation devient vacante, le premier président, soit d’office, soit sur le réquisitoire du procureur-général, convoque une assemblée générale, à l’effet de procéder à la formation de la liste double, prescrite par l’article 99 de la constitution.

« La cour ne peut former cette liste, si la majorité de ses membres ne se trouve réunie. »

M. H. de Brouckere. - Je demande à la chambre et à M. le ministre s’il ne serait pas convenable de fixer un délai dans lequel la convocation devrait être faite. Sans cela il dépendra de la cour de renvoyer la convocation à un délai très éloigné. Je propose de déterminer le délai d’un mois, en sorte que l’article porterait : « Lorsqu’une place de conseiller devient vacante, le président etc. convoque dans le mois une assemblée générale, etc. » (Appuyé !)

M. le président. - Y a-t-il opposition ? (Non ! non !)

- Cette rédaction est adoptée.

L’article 7 ainsi amendé est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 8

« Art. 8. La présentation de chaque candidat a lieu séparément, par bulletin secret et à la majorité absolue des suffrages.

« Si les deux premiers scrutins ne produisent pas cette majorité, il est procédé à un scrutin de ballotage entre les deux candidats qui, au second tour, ont réuni le plus de suffrage.

« Dans le cas de parité de suffrages, le plus âge est préféré.

« La séance est publique. »

M. Taintenier. - Je propose de supprimer le dernier paragraphe de l’article portant : la séance est publique. Je trouve cette disposition fort inutile après les précautions dont on a entouré la désignation des candidats et la publicité des présentations prescrites par l’article 13 du projet ; je ne vois pas d’utilité à ce que la séance où l’on procédera au scrutin soit publique, et j’y vois au contraire un inconvénient grave et que vous saisirez facilement.

Dans une séance de ce genre les membres qui doivent se prononcer sur le mérite des candidats, auront toujours besoin de s’en entretenir auparavant, de discuter entre eux sur le choix qu’ils vont faire, et il faut pour une telle opération qu’ils puissent dire librement leur pensée ; en comité secret, il n’y a point d’obstacle, en séance publique, il y aurait quelque inconvenance à s’entretenir de questions purement personnelles ; on doit donc laisser aux magistrats toute liberté à cet égard, et s’en rapporter à leur conscience, à leur honneur, du soin de faire légalement les choses. Le greffier d’ailleurs sera là qui tiendra le procès-verbal pour constater que toutes les formalités voulues par l’article 8 ont été remplies.

D’un autre côté il ne s’agit ici que d’une assemblée aux termes de l’article 9 ; ce n’est pas une audience. Si la constitution a voulu que les audiences fussent publiques, elle n’a rien prescrit de semblable pour les assemblées. Je crois donc le dernier paragraphe de l’article inutile et même dangereux, j’insiste en conséquence pour sa suppression.

M. Destouvelles. - La section centrale a estimé, messieurs, qu’il y avait lieu d’ordonner que la séance fût publique. Si la publicité avait été de droit, comme pour les audiences, elle n’aurait rien prescrit à cet égard ; l’inconvénient signalé par l’honorable préopinant ne me paraît pas balancer les avantages de la publicité, ou plutôt il ne me paraît aucunement grave. On ne pourra pas, dit-il, s’expliquer librement en public, sur le mérite des candidats ; mais remarquez que les magistrats seront les maîtres de délibérer sur ce point en secret, avant de rendre la séance publique ; je crois, du reste, qu’on ne saurait environner l’élection de trop de précautions et que la publicité n’est pas une garantie trop forte. (Aux voix ! aux voix !)

M. Taintenier. - Je ferai remarquer qu’il ne s’agit pas ici d’une élection directe, et que les membres de la cour ne choisissent que des candidats. (Aux voix ! aux voix !)

M. Verdussen. - Je demande la parole. Mon observation ne portera pas sur l’amendement de M. Taintenier, mais sur le paragraphe 2.

M. le président. - Il faudrait laisser voter la chambre sur cet amendement.

M. Lebeau. - Mais non ; la discussion est ouverte sur l’article tout entier.

M. Verdussen. - Il est dit dans le deuxième paragraphe : « Si les deux premiers scrutins ne produisent pas cette majorité, il est procédé à un scrutin de ballotage entre les deux candidats qui, au deuxième tour ont réuni le plus de voix. » Il s’élèvera, messieurs, dans l’exécution de ce paragraphe une difficulté qui s’est déjà présentée plusieurs fois dans le scrutin, et qu’il faudrait prévenir.

Je suppose que trois personnes aient obtenu un égal nombre de suffrages, entre qui le ballotage devra-il s’établir ? C’est là ce que l’article n’explique pas, et ce qu’il devrait expliquer cependant. Je propose, dans ce but, de rédiger le paragraphe de la manière suivante : « Si les deux premiers tours de scrutin ne produisent pas cette majorité, il est procédé à un scrutin de ballotage entre les candidats. » On retrancherait ainsi le mot deux. J’étendrais aussi mon amendement au paragraphe 3, et entre les trois candidats je choisirais le plus âgé. Quand dans un scrutin on en est venu à ce point que trois candidats obtiennent le même nombre de suffrages après plusieurs scrutins, le choix entre eux est indifférent, car leur mérite à tous est assez bien constaté.

M. Destouvelles. - L’article du projet est pris textuellement dans la loi de 1790, portant institution du tribunal de cassation.

- L’orateur lit cet article.

M. Leclercq. - La suppression proposée par l’honorable M. Verdussen fera naître une autre difficulté. C’est que le scrutin ayant produit un égal nombre de suffrages, pour 4, 5, 6 ou 12 candidats, le ballotage pourra s’établir entre tous ces candidats, ce qui n’est pas admissible. Le scrutin de ballotage est établi afin que la majorité soit acquise à l’un ou à l’autre candidat, et que l’élection ne soit jamais que l’expression de la majorité. On sent qu’il n’en serait pas ainsi avec le système de M. Verdussen. Il est vrai que l’article, tel qu’il est proposé, laisse subsiste une difficulté. Comment fera-t-on quand il y aura parité de suffrages entre trois candidats.

M. Jullien. - Le plus âgé sera élu.

M. Leclercq. - Il ne s’agit pas encore de l’élection, il n’est question que du ballotage à établir.

M. Jullien. - Il s’établira entre les deux plus âgés.

M. Ch. de Brouckere. - Vous arrangerez les choses comme vous voudrez, mais vous n’arriverez jamais à rien de bon avec votre scrutin de ballottage, surtout avec l’amendement de M. Verdussen. Car si vous permettez que le ballottage s’établisse entre trois candidats, il faudra le permettre entre 4, 5 ou un plus grand nombre quand il y aura entre eux parité de suffrages, et alors comment sera-t-il possible que vous ayez jamais un candidat élu par la majorité ? Je ne vois qu’un moyen d’éviter ces inconvénients. C’est de faire comme on fait en France pour la nomination des membres de l’institut. Là il faut avoir nécessairement la majorité pour être élu.

On procède à autant de scrutin qu’il en faut pour obtenir cette majorité, sans jamais établir de ballottage. Il arrive par là que les scrutins se multiplient beaucoup, mais à la fin les membres qui se sont obstinés à voter pour leur candidat et qui ont le moins de chances, sont obligés de céder et de rejeter leur voix sur l’un des autres ; ils la donnent à celui qui leur paraît avoir le plus de mérite.

M. Ullens. - Il faudrait dire tout simplement : le scrutin de ballottage, s’établira entre les deux membres les plus âgés.

M. Leclercq. - Il me semble, messieurs, qu’en exigeant que la majorité absolue pût seule décider du choix des candidats, sans que jamais il pût s’établir de ballottage, aussi que l’a proposé M. de Brouckere, on s’expose à une difficulté qui a été résolue jusqu’ici mais qui pourrait ne l’être pas toujours. Supposez en effet que chaque membre s’obstinât à donner sa voix, à chaque scrutin au candidat de son choix, vous n’aurez jamais de résultat. Il dépendrait donc de la cour qu’il n’y eût pas d’élection. Je propose pour éviter cet inconvénient de dire que le scrutin s’établira entre les deux plus âgés.

M. Devaux. - Je conçois des élections académiques sans résultat, et pour une place d’académicien vacante, plus ou moins longtemps, l’Etat ne périra pas. Ici l’élection à une toute autre importance, et il est certain qu’avec le système de l’institut, il dépendrait de la cour de rester incomplète aussi longtemps qu’elle le voudrait. Il me semble donc qu’il faut suivre ici le mode d’élection qui a été suivi en toutes les autres occasions, et admettre le scrutin de ballottage. Je ne voudrais pas cependant admettre l’amendement de M. Leclercq, parce qu’il me paraît un peu obscur.

M. Leclercq. - Il l’est en effet un peu.

M. Lebègue. - Je voterai contre la proposition de M. Ch. de Brouckere, parce que ce mode accorderait toujours à la minorité le pouvoir de faire manquer l’élection.

M. Gendebien. - Voici, je crois, une rédaction qui concilierait toutes les opinions : si un plus grand nombre de candidats a obtenu parité de suffrages, les deux plus âgés seulement concourront.

M. Devaux. - Cette rédaction n’est pas plus exacte que l’autre.

M. Mary. - Je pense qu’en rédigeant le paragraphe 3 de la manière suivante, toutes les difficultés disparaîtraient : « Dans tous les cas de parité de suffrage, les plus âgés sont préférés. » Quant à l’opinion émise par M. Ch. de Brouckere, je conçois que dans un conclave, on mette les cardinaux sous clef jusqu’à l’élection du pape, et pendant une année entière s’il le faut ; mais ici il n’y a pas de raison pour perdre autant de temps et il faut en finir au plus tôt.

M. Bourgeois. - Il me semble, messieurs, qu’on veut ici prévenir un cas qui ne peut arriver. Le seul cas à prévoir a été très bien prévu, me semble-t-il, par l’amendement de M. Gendebien qui est le seul que j’appuie.

M. le président donne une deuxième lecture de l’amendement de M. Gendebien.

M. Gendebien. - Relisez l’amendement de M. Mary.

M. le président obtempère à cette invitation.

M. Leclercq. - Cette rédaction ne vaut rien. Le but du ballottage est d’obtenir la majorité pour l’un des candidats. Avec l’amendement de M. Mary, vous ne l’aurez jamais, puisqu’il tend à empêcher le scrutin de ballottage. (Dénégation.) C’est là son but. En effet, supposez trois candidats, ayant obtenu chacun 8 voix. M. Mary ne demande-t-il pas que le plus âgé soit déclaré élu ? (Non ! non ! Bruit.)

M. H. de Brouckere. - Vous n’avez pas saisi le sens de l’amendement de M. Mary. Cela tombe sur le cas où trois membres élus ayant obtenu parité de suffrages, il s’agit de procéder à un scrutin de ballottage. Le scrutin, d’après le deuxième paragraphe de l’article, ne pouvant avoir lieu qu’entre deux candidats, sur les trois également favorisés par le premier scrutin, on en choisira deux, les plus âgés, pour être ballottés.

M. Leclercq. - Si tel est le sens de l’amendement, on peut l’adopter. J’avoue cependant qu’il n’est pas très clair pour moi, mais comme après son adoption on pourra le méditer encore et y revenir lors du vote de la loi, je n’insiste pas, et je retire mon amendement.

M. Gendebien. - Je retire aussi le mien.

M. le président. - Il ne reste plus que l’amendement de M. Mary, sur cette partie de l’article.

M. Helias d’Huddeghem. - M. Gendebien n’a pas retiré le sien. (Si ! si ! La clôture !)

- La clôture est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Mary.

La majeure partie de l’assemblée se lève pour.

M. le président. - L’amendement est adopté.

M. Bourgeois et M. Helias d’Huddeghem. - Non ! non ! la contre- épreuve.

- On procède à la contre-épreuve, trois membres seulement se lèvent contre : l’amendement est adopté.

On met ensuite aux voix l’amendement de M. Taintenier, il est rejeté.

L’article 8 amendé est adopté.

Article 9

« Art. 9. Le procureur-général assiste à l’assemblée, mais il n’y a pas droit de suffrage. »

M. Mesdach. - Il y a une lacune dans l’article. En cas d’empêchement du procureur-général, il faudrait que l’article permît à un avocat-général de le suppléer. Je propose d’ajouter à l’article : « En cas d’absence ou d’empêchement du procureur-général les avocats-généraux assisteront à l’assemblée. »

M. Liedts. - C’est de droit.

M. H. de Brouckere. - Lisez d’ailleurs l’article 10 qui lève tous les doutes à cet égard.

M. Gendebien lit cet article 10.

M. Mesdach n’insiste plus.

- L’article 9 est mis aux voix et adopté.

Articles 10 à 13

Les articles 10, 11, 12 et 13 sont ensuite adoptés sans discussion ni amendement, En voici le texte :

« Art. 10. Le greffier dresse procès-verbal des opérations de l’assemblée.

« Ce procès-verbal contient les noms des membres qui en ont fait partie, ainsi que celui de l’officier du ministère public qui y a assisté.

« Il est signé tant par le président que par le greffier. »


« Art. 11. Le procureur-général transmet au sénat une expédition de la liste de présentation.

« Le sénat procède ensuite à la formation de la liste double dont la présentation lui est attribuée par l’article 99 de la constitution. »


« Art. 12. Expédition de cette liste est adressée par le sénat au procureur-général près la cour de cassation.

« Les deux listes doubles sont transmises au gouvernement par le procureur-général et par le sénat. »


« Art. 13. Quinze jours avant la nomination, les présentations sont rendues publiques par leur insertion dans l’un des journaux qui s’impriment dans la capitale du royaume.

Article 14

« Art. 14. Lorsqu’une place de président vient à vaquer, il est procédé à la nomination d’un conseiller, d’après le mode ci-dessus prescrit.

« La cour, ainsi complétée, pourvoit à la vacance, conformément à l’article 99 de la constitution, et en observant les formalités prescrites par le second paragraphe de l’article 7, et par les articles 8, 9 et 10, sauf la préférence qui, dans le cas de parité de suffrage, est accordée au conseiller le plus ancien dans l’ordre des nominations. »

M. Devaux. - Par la même raison qui a fait adopter l’amendement de M. Mary, à l’article 8, il ne faut pas mettre dans celui-ci : « Après un dernier tour de scrutin. »

- Une voix. - C’est juste !

M. Bourgeois. - Il va s’élever une difficulté d’après les termes du deuxième paragraphe de l’article 7 ; car il s’agit de l’âge des candidats, et ici de l’ancienneté de leur nomination. Il me semble qu’on lèverait la difficulté en disant ici : « Sauf que dans le cas de parité de suffrage. »

M. Lebeau. - C’est la même chose.

M. Leclercq. - Il faut employer le mot de conseiller au pluriel et dire : « aux conseillers les plus anciens… »

M. Destouvelles. - Il n’y a qu’un conseiller à nommer, le singulier suffit.

M. Leclercq. - Non, car il s’agit ici des candidats à balloter et non pas du candidat élu.

M. H. de Brouckere. - Plus je relis l’article, plus je trouve juste l’observation de M. Bourgeois qui, d’abord, ne m’avait pas frappé. Je reproduis sa rédaction, et je demande que l’article dise : « Sauf que dans le cas de parité de suffrage… »

M. Destouvelles. - « Sauf que » n’est pas français.

M. H. de Brouckere. - Francisez-le.

M. Destouvelles. - Je ne m’oppose pas à ce qu’on rende la rédaction plus claire, mais on peut en trouver une autre.

M. Devaux. - On peut couper l’article en deux parties et dire : « Toutefois la préférence, dans tous les cas de parité de suffrage, est accordée aux conseillers les plus anciens dans l’ordre des nominations. »

M. le président relit cet amendement.

- Il est mis aux voix et adopté.

L’article 14 ainsi rédigé est adopté.

Article 15

« Art. 15. La cour de cassation prononce :

« 1° Sur les demandes en cassation contre les arrêts et les jugements rendus en dernier ressort par les cours et tribunaux ;

« 2° Sur les demandes en renvoi d’une cour ou d’un tribunal à une autre cour ou à un autre tribunal, pour cause de suspicion légitime ou de sûreté publique ;

« 3° Sur les règlements de juges, dans le cas où ils ne doivent pas être portés devant une autre cour ou un autre tribunal ;

« 4° Sur les prises à partie contre une cour entière ou contre l’une de ses chambres, ou contre les membres de la cour de cassation ;

« 5° Sur les conflits d’attribution, en exécution de l’article 106 de la constitution ;

« 6° Sur les accusations admises contre les ministres ;

« 7° Et généralement sur toutes les matières qui lui sont attribuées par les lois. »

M. Liedts. - Le dernier paragraphe de cet article ne me plaît pas beaucoup. Vous savez que d’après un principe de droit, dans toutes les matières où la loi ne défend pas le pourvoi en cassation, il est permis ; cependant le dernier paragraphe semble impliquer que quand dans une loi spéciale on n’aura pas dit expressément que le pourvoi en cassation est permis, on ne pourra pas savoir. J’avoue que s’il devait être entendu ainsi je voterais contre l’article.

M. Destouvelles. - Il me paraît, messieurs, que si l’honorable préopinant s’était bien pénétré des dispositions de l’article 15 et de leur véritable sens, il n’aurait pas fait son observation. Le premier paragraphe de l’article porte : (voyez plus haut.) Vous voyez que ce paragraphe est conçu en termes généraux, qu’il ne met aucun obstacle aux pouvoirs, qu’il les permet en toute matière.

Tous les autres paragraphes de l’article 15 indiquent divers cas qui seront soumis à la cour de cassation, comme tous les autres cas qui sont de sa compétence se trouvent épars dans une foule de lois, qu’il serait impossible de débrouiller, et que ce n’est pas aujourd’hui le moment d’aller s’égarer dans un semblable dédale, le dernier paragraphe a été conçu non seulement pour que tous les cas non indiqués dans l’article puissent être soumis à la cour, mais encore tous ceux qui pourront être prévus dans les lois à faire par la suite. C’est ainsi qu’on n’a pas parlé des pouvoirs en matière électorale quoiqu’ils soient permis.

Il me semble qu’il était impossible de mieux rédiger l’article 15 ; il n’est pas limitatif, on y énumère quelques cas particuliers, pour indication ; parce que vous savez que dans les articles d’une loi, il faut distinguer la partie limitative de la partie démonstrative. L’une ne saurait être franchie, l’autre ne sert que d’indication, Si on avait rédigé l’article dans un sens limitatif, il se bornerait aux cas énumérés, et alors le pourvoi ne serait admis dans aucun autre cas, parce que « inclusio uius est exclusio alterius. » Le dernier paragraphe de l’article est donc ce qu’il doit être et j’espère que ces explications en auront convaincu le préopinant.

M. H. de Brouckere. - Je crois aussi que l’objection de l’honorable M. Liedts n’est pas soutenable. C’est le paragraphe premier qui contient la règle générale. Les paragraphes suivants n’indiquent que des cas particuliers, auxquels ne se borne pas l’article, mais qui sont là simplement pour servir de démonstration. Si le paragraphe n’avait pas été placé là, l’article aurait paru limitatif et n’aurait pu s’appliquer qu’aux cas qu’il aurait prévus. C’est ce qu’il ne fallait pas. Il faut en effet, qu’il puisse s’appliquer aux cas existants actuellement et non prévus, comme aux cas qui seront prévus dans les lois postérieures. Ainsi par exemple, il n’y s'agit point de pourvois à propos des élections ou du service de la garde civique, et pourtant le pourvoi est admis par la loi électorale comme par celle de la garde civique, quoique les décisions en ces matières ne soient pas rendues par des tribunaux. C’est ainsi que bientôt nous aurons à faire une loi qui admettra les pourvois dans les affaires relatives à la milice nationale.

M. Gendebien. - Je demande la parole afin d’obtenir une explication de la section centrale. Je ne suis pas bien certain si, par le paragraphe premier, on a entendu qu’il serait permis de déférer les arrêts de la haute cour militaire à la cour de cassation. Les termes de ce premier paragraphe sont généraux. On y parle des arrêts rendus en dernier ressort par les cours et tribunaux. La haute cour juge comme les autres tribunaux criminels. Comme ces derniers elle peut errer. Ses erreurs peuvent même être plus fréquentes, parce que là, siègent des militaires, braves et honorables sans doute, mais peu versés dans l’application des lois. Il serait donc à désirer que, comme les arrêts des autres cours, ceux de la haute cour militaire pussent être réformés. Moi, je ne la vois pas implicitement comprise dans l’article, parce que, d’après la législation pénale militaire existante, les arrêts de la haute cour ne sont pas sujets à pourvoi. Je voudrais donc qu’on s’expliquât sur ce point.

M. Destouvelles. - La section centrale a pensé que le germe déposé dans l’article 105 de la constitution devait être développé avant de bien décider sur la question de savoir si les arrêts de la haute cour militaire seront sujets à pourvoi. Voici les termes de cet article : « Des lois particulières règlent l’organisation des tribunaux militaires, leurs attributions, les droits et obligations des membres de ces tribunaux, et la durée de leurs fonctions. » Dans la loi particulière d’organisation militaire, on pourra combler la lacune signalée par l’honorable préopinant, et c’est alors que le paragraphe 7 de l’article trouvera précisément son application. Mais les lois actuelles ne permettant pas le pourvoi contre les arrêts de la haute cour militaire, la section centrale n’a pas cru devoir toucher aux lois militaires existantes. Quand on s’occupera de leur révision, on pourra faire cesser cet ordre de choses.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - J’avais demandé la parole pour faire les mêmes observations que l’honorable rapporteur de la section centrale. Quant au pourvoi contre les arrêts de la haute cour militaire, cela doit faire l’objet d’une loi particulière d’après le vœu de l’article 105, dont on vient de vous donner lecture. Aussi le dernier paragraphe de l’article 15 réserve-t-il expressément à la loi le droit de spécifier de nouveaux cas où les pourvois seront admis.

J’observerai qu’à mon avis les pourvois contre les arrêts de la haute militaire ne sont pas compris dans le premier paragraphe de l’article parce que les tribunaux militaires sont soumis à des lois exceptionnelles. Aussi la loi de ventôse an VIII, organisatrice de la cour de cassation, contient-elle une disposition expresse, d’où il résulte qu’il n’y a pas ouverture à cassation contre les jugements des tribunaux militaire de terre ou de mer, si ce n’est pour cause d’incompétence ou pour règlements de juges, si le pourvoi est formé par des individus non militaires, et non assimilés à des militaires. Je crois qu’encore aujourd’hui un tel pourvoi serait admis, mais on sent bien que ce n’est pas ici qu’une telle disposition peut trouver sa place.

M. Jullien. - Tout ceci ne sauve pas la difficulté élevée par M. Gendebien. Il est dit dans le premier paragraphe de l’article : la cour de cassation prononce sur les demandes en cassation contre les arrêts et les jugements rendus en dernier ressort par les cours et tribunaux, or je suppose qu’on formât un pourvoi contre un arrêt de la haute cour militaire, qui pourrait dire que le pourvoi est mal fondé ? L’expression du paragraphe est général, le jugement dont on demanderait la réformation serait émané d’une cour, d’un tribunal, je ne vois pas comment on pourrait rejeter un pareil pourvoi. Il faut donc que la difficulté soit levée.

M. Gendebien. - En effet, messieurs, la difficulté n’est pas résolue par les réponses qu’on m’a faites. On m’a objecté l’article 105 de la constitution, je ne vois pas quelle conclusion on peut en tirer. On dit : attendez pour faire décider la question que les lois militaires soient révisées. S’il en était ainsi, messieurs, en vertu de l’article 105, il faudrait aussi exclure les matières commerciales du bénéfice du pourvoi ; car l’article parle de tribunaux de commerce à organiser, voir le 2° de cet article : « il y a des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi. Elle règle leur organisation, leurs attributions, le mode de nomination de leurs membres, et la durée des fonctions de ces derniers. »

Vous voyez, messieurs, qu’il est impossible d’argumenter de l’article 105 contre les observations que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre, car personne ne soutiendra qu’en matière commerciale le pourvoi ne soit pas admis.

Mais, dit-on, quand on fera la loi militaire, on pourra s’occuper de cette question, ce n’est pas à propos de la loi judiciaire, qu’on peut s’en occuper ; d’abord nous ne nous occupons pas de la loi judiciaire, mais de l’organisation de la cour de cassation, et de la fixation de ses attributions. Ne serait-ce pas le cas de dire jusqu’où s’étendront ces attributions ? Si l’article 105 n’est pas un obstacle aux pourvois contre les jugements rendus par les tribunaux de commerce, je dis à plus forte raison qu’il ne doit pas en être un pour les pourvois contre les arrêts de la haute cour. Là, il ne s’agit que d’intérêts pécuniaires. Ici, il s’agit de la vie et de l’honneur des hommes soumis à cette juridiction exceptionnelle. Si la loi actuelle défend le pourvoi, c’est une raison de plus, au moment où nous réglons la juridiction de la cour de cassation, pour consacrer une disposition qui mette les militaires sur la même ligne, et à l’abri des mêmes garanties que les autres citoyens.

Par là, vous levez toutes les difficultés, et, vous évitez les graves erreurs qui dureront tant que vous traiterez les soldats en ilotes, en les soumettant à des tribunaux qui ne leur donnent pas les mêmes garanties que les tribunaux ordinaires assurent aux autres citoyens. Je ne demande pas que la chambre délibère à l’instant sur ma proposition, mais la matière est assez grave et vaut assez la peine qu’on la renvoie à une commission, qui nous proposera de mettre les lois existantes en harmonie avec la justice que nous devons aux défenseurs du pays et dont on les prive depuis trop longtemps.

M. Destouvelles. - Je me bornerai à répondre aux nouveaux arguments de l’honorable préopinant ; vous vous êtes borné à lire, m’a-t-il dit, le premier paragraphe de l’article 105, et vous n’avez pas parlé du paragraphe 2. Il y aurait, d’après cet article, même raison de décider pour le pourvoi en matière commerciale, que pour ceux contre les arrêts de la haute cour militaire. Messieurs, je ne crois pas que ces raisons soient solides.

Quand j’ai parlé de la législation militaire, j’ai considéré les lois existantes qui proscrivent le pourvoi en cassation ; et voilà pourquoi la section centrale a renvoyé à la révision des lois militaires la question de savoir si le pourvoi serait admis. On ne peut pas raisonner par induction du premier au deuxième paragraphe de l’article 105, parce que aujourd’hui la législation existante en matière de commerce permet le pourvoi en cassation ; on voit par là que les deux choses sont diamétralement opposées. Ce n’est donc, je le répète, que quand on touchera à l’organisation des lois militaires que la question pourra être décidée. Ce n’est pas que je n’applaudisse aux vues honorables du préopinant, mais je crois que nous ne connaissons pas assez l’ensemble des lois militaires, pour les réviser dans une partie aussi essentielle et sans pouvoir apprécier à l’avance l’influence de cette révision partielle sur l’ensemble du code pénal militaire.

M. Leclercq. - Les observations de M. Gendebien sont assez graves pour autoriser l’insertion d’une disposition dans l’article 15 afin de permettre le pourvoi contre les arrêts de la haute cour militaire, et j’appuierais sa proposition volontiers, s’il n’y avait dans la constitution un article, qui la rend inacceptable. C’est de l’article 95 que j’entends parler. Il porte que la cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires ; dans l’état actuel de la législation, cette cour serait obligé en cassant un arrêt d’en renvoyer le jugement à une autre cour qui n’en n’aurait pas déjà connu. Or, ici il n’y a qu’une haute cour militaire. Que fera la cour de cassation quand elle cassera ? Il me semble que la difficulté est assez sérieuse, et qu’il faut attendre pour la résoudre que la loi militaire soit révisée.

M. Gendebien. - Je n’ai pas entendu dissimuler les difficultés qui existent, aussi n’ai-je pas demandé qu’on les tranchât à l’instant, mais qu’on prît de mesures pour cesser, aussitôt que possible, l’état actuel des choses. Quant à la difficulté qu’il y aurait de renvoyer le jugement à une autre cour, quand la cour de cassation casserait, je ne crois pas pour la lever qu’il fut nécessaire de réviser tout le code pénal militaire. Sans doute, l’objection de M. Leclercq est très grave, mais de ce qu’elle est grave, est-ce à dire qu’elle soit insoluble ? Ne serait-il pas possible que la cour de cassation, renvoyât de nouveau le jugement de la cause à la même cour ?...

M. Fleussu fait des signes négatifs.

M. Gendebien. - Pour moi je n’y vois rien de choquant. Si la cour de cassation persistait dans son premier arrêt, la cour de cassation jugerait sections réunies, et la législature serait appelée à interpréter la loi, après quoi vous savez que d’après la constitution, il faudrait que les cours se conformassent à l’interprétation législative ; mais quant à ces inconvénients, il s’en joindrait de cent fois plus graves, je les préférerais, à voir le moindre malheureux exposé aux erreurs d’un tribunal jugeant militairement, et contre les erreurs duquel il n’y a ni pourvoi ni secours.

Puisque nous sommes si soigneux, si diligents pour faire rectifier les jugements où il s’agit de la moindre somme, à plus forte raison devrions-nous l’être, quand il est question de faire tomber la tête d’un de ses semblables. Je persiste à ce qu’une commission soit nommée pour s’occuper de la question.

M. Ch. de Brouckere.- Je voudrais que M. Gendebien fît une proposition formelle à cet égard. La situation des officiers est rigoureuse. Un simple soldat a deux degrés de juridiction, il appelle devant le conseil supérieur. Un officier n’a qu’un degré de juridiction, il est jugé par la cour supérieure. Ainsi sept magistrats disposent de la vie et de l’honneur d’un homme. Il faut que cette législation soit promptement changée.

Si l’on ne peut pas envoyer de la cour supérieure à la cour de cassation, qu’on supprime la haute cour militaire, et que les officiers et les généraux soient jugés comme les simples soldats, il faudrait que l’on établît des conseils de guerre et des conseils de révision.

M. Destouvelles. - Si je me le rappelle bien, le gouvernement provisoire avait nommé une commission pour réviser la loi militaire. Dans l’état actuel des choses, on ne peut admettre la cassation des jugements militaires. La cour de cassation, d’après son institution, doit renvoyer devant une autre cour ; or, elle ne pourrait ici renvoyer que devant la même, ce qui est impossible. Il faudrait nommer une commission, qui se ferait représenter le travail de la commission du gouvernement provisoire. Ce travail a dû être achevé.

M. le président. - M. Gendebien propose formellement de nommer une commission, qi serait chargée d’examiner le travail qui a été fait.

M. H. de Brouckere.- Je ne savais pas que M. Gendebien avait fait une proposition formelle, et je demande la clôture de la discussion ; car il faut convenir que cette discussion ne peut conduire à rien. Dans l’état actuel des choses, et tant qu’il y aura une haute cour militaire, il est impossible de déférer ses arrêts à la cour de cassation. Il faudrait avoir des conseils de guerre permanents ; mais c’est ce que nous pouvons établir dans une loi sur l’organisation militaire.

M. le président. - Désire-t-on statuer sur la proposition de M. Gendebien ?

M. H. de Brouckere. - Il faudrait ajourner cette discussion.

M. Gendebien. - Je ne crois pas que rien s’oppose à ce que nous décidions qu’une commission sera nommée. Je sais que le travail de la commission, sous le gouvernement provisoire, est complet, et j’en ai examiné les articles avec les membres de la commission. J’étais alors ministre de la justice. Les abus existent ; tous les jours des citoyens en sont victimes, et il faut y mettre un terme.

- L’article 15 du projet de loi est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Voici la proposition de M. Gendebien : « Une commission sera nommée à l’effet d’aviser aux moyens de soumettre à la cour de cassation les jugements et arrêtés des tribunaux et cours militaires. »

Comment veut-on nommer la commission ?

- Plusieurs voix. - Par le bureau ! par le bureau !

M. Leclercq. - Cette proposition tend à charger une commission de proposer un projet de loi qui changera la législation militaire, c’est dans ce sens que la proposition a dû être faite.

M. Gendebien. - Je ne tiens pas au texte de la proposition que j’ai rédigée très rapidement. Son but est tel que M. Leclercq vient de l’exposer, il faut que l’on change le sort des militaires.

M. H. de Brouckere. - La proposition mérite d’être méditée. Elle n’est pas faite conformément aux règlements. Il faudrait qu’un membre fît une proposition formelle.

M. Gendebien. - Le ministre pourrait se charger de cette proposition.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - M. Gendebien sait, puisqu’il a été ministre de la justice, qu’une commission a été nommée pour réviser le code pénal militaire. J’ai demandé des renseignements sur le travail de cette commission, et l’on n’a pu me dire où il était.

Je prendrai des informations. Je crois que M. l’auditeur-général faisait partie de cette commission, et que je pourrai m’adresser à lui pour connaître le travail.

M. le président. - M. Gendebien veut-il que l’on modifie la rédaction de sa proposition ?

M. Helias d’Huddeghem. - C’est inutile puisque M. le ministre se charge de rechercher le travail ancien.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il s’agit ici de réformer le code d’instruction criminelle de ce code ; ceci ne peut pas être l’affaire d’un moment.

- La proposition de M. Gendebien mise aux voix est adoptée.

M. H. de Brouckere. - Restons-en là ; nous sommes à peine en nombre suffisant pour délibérer.

M. le président. - Il s’agit de savoir comment sera nommée la commission. (A demain ! à demain !) (Par le bureau ! par le bureau !)

- La séance est levée à 4 heures.