(Moniteur belge n°158, du 6 juin 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
A une heure la séance est ouverte.
M. Dellafaille fait l’appel nominal.
M. Seron. - Je demande la parole sur l’appel nominal ; c’est pour dire que mon honorable ami M. de Robaulx est malade, et obligé de garder le lit.
M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal, la rédaction en est adoptée.
M. Jacques présente l’analyse de plusieurs pétitions adressées à la chambre ; elles sont renvoyées à la commission spéciale.
Il est fait lecture d’une lettre par laquelle M. Jamme demande une prolongation de congé ; cette prolongation est accordée.
L’ordre du jour appelle le vote sur la loi des douanes.
M. le président lit successivement les cinq articles de cette loi ; ils sont adoptés sans opposition par assis et levé.
On procède à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.
Sur 65 membres, le projet obtient 51 suffrages, 9 membres ont voté le rejet et 4 se sont abstenus, n’ayant pas assisté à la discussion.
M. Lebègue, s’étant abstenu de voter sur la loi du rayon des douanes, a déclaré pour motif qu’une indisposition l’avait empêché d’assister à la discussion de cette loi.
La suite de l’ordre du jour est l’ouverture de la discussion générale sur le projet de loi relatif à l’organisation judiciaire.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, je crois devoir présenter quelques observations générales sur l’organisation judiciaire dont la chambre s’occupe en ce moment.
Un projet de loi vous a été présenté par le gouvernement. Ce projet contenait des dispositions de l’organisation judiciaire proprement dite ; elles consistaient à établir les officiers de justice qui devaient exercer le pouvoir judiciaire.
Il avait été annoncé, en présentant le projet, que les changements dans les règles de compétence, ne pouvaient avoir lieu qu’après la révision des codes.
Pour former un code d’organisation judiciaire, le projet aurait dû être complété par des dispositions législatives sur la compétence et sur la discipline des cours et tribunaux.
Quoique le projet fût restreint à l’organisation judiciaire proprement dite, il a fait naître, dans les sections, de grandes difficultés, et quant aux cours de justice criminelle, et quant aux appels en matière de police correctionnelle.
Les uns ont demandé qu’il fût établi, dans chaque province, des cours chargées de connaître exclusivement les affaires de cette nature. D’autres voulaient que les tribunaux de première instance, dans tous les chefs-lieux de province, fussent chargés de connaître de toutes les affaires soumises au jury ; et que les appels correctionnels fussent indistinctement déférées aux cours d’appel.
Les motifs de ces systèmes et les motifs du projet du gouvernement ont été développés dans plusieurs séances de la section centrale.
Les difficultés se compliquaient ; et cependant il devenait urgent d’exécuter les articles 135 et 136 de la constitution, qui exigent qu’une loi soit portée dans la session actuelle, et sur la première nomination des membres de la cour de cassation et sur le personnel des cours et tribunaux.
A la section centrale, on proposa de restreindre le projet aux dispositions organiques des articles de la constitution relatifs au pouvoir judiciaire.
On fit observer que, dans tous les cas, la loi devait contenir des dispositions particulières sur l’organisation de la cour de cassation. Et, comme la session est déjà fort avancée, je m’empressai de réduire le projet aux dispositions nécessaires, et de présenter un nouveau travail à la section centrale.
Je crus même devoir intervertir l’ordre des titres, en plaçant, dans le nouveau projet, la cour de cassation en première ligne.
Ce nouveau projet, comme vous l’a dit l’honorable rapporteur, est celui qui a été adopté par la section centrale avec quelques modifications.
Le titre de la cour de cassation contient, à peu près, les dispositions du projet présenté par le gouvernement. Il n’y a de différence essentielle que quant au nombre des juges exigé pour rendre les arrêts. Et l’on conçoit aisément que le nombre doit dépendre de celui qui sera fixé pour les arrêts des cours d’appels, dont nous parlerons tout à l’heure.
Une question fondamentale en cette matière, est celle de savoir s’il y aura on non une chambre des requêtes.
Le projet du gouvernement établissait cette chambre. La question a été vivement débattue dans les sections. Néanmoins, l’affirmative a été admise par la section centrale.
Les avantages d’une chambre des requêtes vous ont été présentés par le rapporteur de la section centrale. Elle a pour but d’exécuter, sans l’intervention du défendant, les pourvois qui ne présentent aucune ouverture de cassation, et qui, le plus souvent, ne sont que les résultats de l’obstination des plaideurs qui cherchent, par tous les moyens, à faire réformer des décisions en fait dont la cour de cassation ne peut connaître.
Il y a néanmoins des objections contre l’établissement d’une chambre des requêtes. Elle nuit, dit-on, à la prompte expédition des affaires ; et ce retard est préjudiciable à la partie contre laquelle s’exécute une décision qui contrevient aux lois. Cette institution peut avoir pour résultat d’amener une diversité de jurisprudence entre la chambre de requêtes et la chambre civile, et l’on en a vu des exemples à la cour de cassation de France.
Ces objections ne sont pas sans réponse. La décision attaquée, ayant la présomption en sa faveur, doit s’exécuter nonobstant le pourvoi. Et l’exécution n’en aura pas moins lieu jusqu’à ce que le pourvoi soit jugé, quoiqu’il n’y ait pas de chambre des requêtes. Pour atteindre le but de l’objection, il faudrait déclarer le pourvoi en cassation suspensif ; ce qui serait contraire à l’institution de la cour de cassation, dont l’objet est de ramener à l’exacte observation de la loi, sans entrer dans l’examen du fond du droit des parties. S’il y a quelque inconvénient dans le retard qu’éprouvent les affaires, l’avantage de ne pas occasionner de frais à la partie qui a gagné son procès, lorsque le pourvoi ne présente aucune ouverture de cassation, est plus grand encore. Et ceux qui ont l’expérience des affaires savent que le nombre de ces pourvois surpasse de beaucoup ceux qui sont formés contre des décisions dans lesquelles les lois ont été violées. Quant à la crainte de voir s’introduire une diversité de jurisprudence entre les deux chambres, elle existe également en l’absence d’une chambre des requêtes ; elle peut également résulter du roulement annuel au moyen duquel les chambres éprouvent des changements dans les magistrats qui les composent.
Du reste, une discussion plus approfondie de cette question trouvera particulièrement sa place à l’article du projet qui établit une chambre des requêtes.
L’objet de la cour de cassation est de ramener la jurisprudence à l’uniformité ; elle ne peut juger des faits du procès ; elle juge uniquement du sens de la loi.
Mais ses décisions n’étant pas obligatoires pour les cours et tribunaux auxquels elle renvoie les affaires, ceux-ci peuvent interpréter la loi en un sens contraire, et préférer l’interprétation admise par la décision cassée, à celle adoptée par l’arrêt de cassation. Dans un tel cas, il faut bien recourir à un moyen de faire cesser cette collision.
La question qui, dans ce cas, partageait les cours et les tribunaux, devait, sous la loi du 1er décembre 1790, et sous la constitution de l’an III, être décidée par le pouvoir législatif.
La constitution de l’an VIII, ne statua rien à cet égard. D’après la loi du 27 ventôse an VIII, la question, après une première cassation, devait être portée devant toutes les chambres réunies.
Quelques années après, l’expérience fit sentir que cette disposition était insuffisante ; que, lorsque les cours d’appel persistaient à juger dans le sens des décisions cassées, il fallait interpréter la loi par voie d’autorité. C’est ce qui donna lieu à la loi du 16 septembre 1807, laquelle conféra au gouvernement, après deux cassations, le droit d’interpréter la loi.
En France, on réclama contre cette disposition. Dans le mois de novembre 1814, la chambre des députés, se fondant sur le principe que celui qui a fait la loi a seul le droit de l’interpréter, prit une résolution portant qu’après deux cassations, la déclaration interprétative de la loi dont le sens divisait les cours et tribunaux, serait rendue par les deux chambres, et dans les formes constitutionnelles.
Cette résolution fut adoptée par la chambre des pairs ; mais elle ne reçut pas la sanction royale. Et un avis du conseil d’Etat de France du 29 novembre 1823, déclara que la loi du 16 septembre 1807, n’avait pas cessé d’être en vigueur.
D’après l’article 23 de notre constitution, l’interprétation des lois par voie d’autorité, n’appartient qu’au pouvoir législatif. Cette disposition nous ramène donc au système de la loi du 1er décembre 1790 et de la constitution de l’an III.
On a cependant attaqué le système en lui-même. Il tend, a-t-on dit, à faire rendre des jugements par le pouvoir législatif, à lui faire porter des lois qui, par leur nature même, auront un effet rétroactif.
Mais ces inconvénients doivent céder à la nécessité de mettre un terme aux procès. Autrement, il faudrait, ou bien déférer le jugement du fond à la cour de cassation, ce qui serait contraire à la loi constitutionnelle ; ou bien déclarer qu’après un certain nombre de cassations, la décision du fond ne serait plus sujette à aucun recours ; ce qui, en définitive, aurait pour résultat de subordonner la décision de la cour de cassation à celle d’une cour d’appel ou d’un tribunal de première instance. D’ailleurs, même en ce cas, le pouvoir législatif ne rend pas de jugement ; il porte une loi obligatoire pour les tribunaux ; cette loi n’est que le complément d’une première loi ; elle en explique clairement le sens ; et elle déclare que c’est en ce sens que la loi a toujours dû être entendue. La rétroactivité n’est qu’apparente ; car, la loi interprétative n’enlève pas un droit acquis ; elle décide sur un droit douteux ; elle n’est portée que lorsqu’il est devenu certain, par les décisions contraires des cours et tribunaux, que le sens de la première loi n’est pas clair et la loi interprétative ne fait que suppléer à celle-ci.
Nous avons déjà fait remarquer la différence entre le projet du gouvernement et celui de la section centrale, quant au nombre des juges nécessaire pour rendre un arrêt de la cour de cassation. Une différence semblable existe relativement aux arrêts des cours d’appel.
Cependant, le même nombre de juges est requis, dans l’un et l’autre projet, pour les jugements des tribunaux de première instance.
Dans le projet du gouvernement, il y a successivement une augmentation de deux juges ; ainsi, un jugement rendu par trois juges est soumis, en appel, à cinq juges ; et l’arrêt rendu par cinq juges est soumis, en cassation, à sept juges.
D’après le projet de la section centrale, le jugement rendu par trois juges est soumis, en appel, à sept juges, en matière civile, et à six juges, en matière correctionnelle ; et, en cassation, l’arrêt rendu par ceux-ci, est soumis à neuf juges.
Le projet de la section centrale en revient, pour les appels en matière civile, à la disposition de la loi du 27 ventôse an VIII (article 27). Mais, pour les appels en matière correctionnelle, il s’écarte des dispositions qui nous ont régis jusqu’à présent. Sous la constitution de l’an III, les appels étaient jugés par cinq juges. Sous l’empire de la loi du 27 ventôse an VIII, ils étaient jugés par trois juges (article 36). D’après la loi du 20 avril 1810, le nombre de cinq juges était requis pour les jugements des appels correctionnels.
L’innovation proposée par la section centrale, et qui consiste à porter, en ce cas, le nombre des juges, à six, est-elle nécessaire ; est-elle utile ?
La nécessité ne s’en est pas fait sentir jusqu’ici. Et, dès qu’on maintient le nombre impair de trois juges en première instance, il semble rationnel de maintenir le nombre impair de cinq juges en instance d’appel.
L’utilité du nombre pair de six juges en instance d’appel, consisterait en ce qu’en cas de partage des voix, l’avis le plus favorable au prévenu prévaudrait.
Mais, pour suivre complètement ce système, il faudrait aussi fixer un nombre pair pour le jugement de première instance. Or, c’est ce qui n’est pas proposé par la section centrale.
Quant aux pourvois en cassation, le projet de la section centrale exige le nombre de juges prescrit par la loi du 2 brumaire an IV (article 32). Et, sous l’empire de cette loi, les jugements des tribunaux de département, lors même qu’ils jugeaient en appel, pouvaient être rendus par cinq juges.
Aujourd’hui, le même nombre suffit, en Belgique, pour juger les appels, même en matière civile.
Faut-il porter ce nombre à sept, pour les appels ; faut-il fixer le nombre de neuf juges pour les pourvois en cassation ?
La question de savoir si un grand nombre de juges remplit mieux l’objet d’une bonne administration de la justice ; ou si, au contraire, il faut en restreindre le nombre pour mieux remplir cet objet, a été vivement agitée par les publicistes.
D’un côté, l’on a réclamé, comme une première règle en législation, que les tribunaux fussent composés d’un grand nombre de juges. Ce concours, a-t-on dit, augmente les lumières, il contribue à dissiper les préventions, et il devient la meilleure garantie de la bonté des jugements.
D’un autre côté, l’on a soutenu que, quand le nombre des juges était plus restreint, ils apportaient un plus grand soin au jugement des affaires ; que, plus il y a de juges, plus la responsabilité morale des jugements est partagée. On a aussi fait valoir des motifs d’économie. S’il y a peu de juges, a-t-on dit, on pourra d’autant mieux les rétribuer et, par ce moyen, appeler à ces fonctions les hommes les plus capables.
Les deux opinions que je viens d’énoncer brièvement, fixeront sans doute l’attention de l’assemblée.
Je me bornerai, dans ce moment, à l’observation qu’il ne me semble nullement démontré qu’il y ait lieu d’augmenter le nombre de magistrats que le projet du gouvernement fixe pour rendre arrêt. Et le nombre influera nécessairement sur celui des magistrats qui devront composer les cours.
Le ressort des cours d’appel peut être déterminé dans le moment actuel. Il suffit d’indiquer les provinces qui formeront le ressort de chacune de ces trois cours. Mais, il y a plus de difficulté pour le ressort des tribunaux de première instance et celui des justices de paix. Et cette difficulté a été augmentée par le traité des 24 articles, qui nous forcera de changer les circonscriptions dans deux provinces.
Dans les circonstances, il a paru qu’il était convenable de ne proposer une loi sur la circonscription judiciaire des arrondissements et des cantons, qu’après que le traité aurait reçu son exécution par l’évacuation du territoire.
Mais, la circonscription actuelle des arrondissements judiciaires, et des cantons de justice de paix, ne peut être maintenue que provisoirement. Car, outre les changements qui seront la conséquence de l’exécution du traité, il est nécessaire de changer, dans plusieurs provinces, la circonscription des justices de paix vu l’inégalité de leurs ressorts. Et de plus, il existe des réclamations de plusieurs villes qui demandent à devenir chef-lieu d’un tribunal de première instance. On a réclamé un quatrième arrondissement judiciaire dans la province de la Flandre orientale. Ces réclamations devront être soumises à la législature, lorsqu’il s’agira de fixer les circonscriptions d’une manière définitive.
Il reste à parler des dispositions transitoires. La principale différence entre le projet du gouvernement et celui de la section centrale, concerne les premières nominations aux fonctions de l’ordre judiciaire.
Je ne crois pas qu’on puisse sérieusement contester que la constitution a laissé au pouvoir législatif le droit de régler le mode des premières nominations. Les articles 135 et 136 de la constitution sont clairs à cet égard ; et les discussions auxquelles ils ont donné lieu, tant à la section centrale qu’à la séance publique du congrès, ne peuvent laisser aucun doute sur ce point. C’est aussi ce qui a été reconnu tant par les sections que par la section centrale de la chambre.
La seule question a été de savoir comment le mode des premières nominations devait être réglé. Celui tracé par l’article 99 de la constitution, ne peut être observé, tant que la cour de cassation, les trois cours d’appel et les conseils provinciaux ne sont pas organisés.
Vous savez, messieurs, que cinq de nos sections ont été d’avis de conférer au Roi les premières nominations ; qu’une autre n’a pas donné de solution à cet égard ; que, dans les cinq sections, deux y comprenaient toutes les nominations, même celles des présidents et des vice-présidents des cours ; que les trois autres faisaient une exception à l’égard de ceux-ci et proposaient de les faire choisir par les cours elles-mêmes ; et que la section qui n’avait pas donné de solution sur le mode des premières nominations aurait néanmoins adopté le même avis sur la nomination des présidents et des vice-présidents des cours.
Vous connaissez aussi, messieurs, ce qui s’est passé dans le sein de la section centrale. L’honorable rapporteur vous en a rendu compte.
Le projet de la section centrale confère au roi la première nomination des membres de la cour de cassation, celle des juges de paix, ainsi que celle aux sièges vacants.
Il diffère du projet du gouvernement en ce qui concerne les membres actuels des cours supérieures et des tribunaux de première instance.
Toutefois, on est convenu, dans la section centrale, que ce n’était pas un droit antérieur qu’on leur reconnaissait ; mais que c’était un droit nouveau qu’on proposait de leur conférer.
J’observerai, en outre, que l’article 135 de la constitution, n’établit aucune différence entre les juges de paix et les membres des cours et des tribunaux de première instance.
En général, les nominations des membres de l’ordre judiciaire sont faites par le Roi, les unes directement, les autres sur présentation. D’où il semble résulter que la première nomination doit également être conférée au Roi et qu’il ne pouvait s’élever, à cet égard, que la question de savoir si elle le serait directement ou sur présentation.
Et, dès qu’on reconnaît que la constitution n’a pas conféré l’inamovibilité aux juges actuellement en exercice, il convient qu’il y ait une nouvelle nomination.
Les déplacements ne peuvent pas être évités ; ils résulteront nécessairement, tant de la formation de la cour de cassation, que de l’établissement des trois cours d’appel ; tandis qu’il n’y a maintenant que deux cours supérieures auxquelles la connaissance des pourvois en cassation a été attribuée provisoirement.
La crainte de voir éloigner des hommes éprouvés par une longue expérience et des services éminents est chimérique. Le gouvernement n’a-t-il pas le plus grand intérêt à ce que les fonctions de l’ordre judiciaire soient remplies par des hommes d’une capacité éprouvée ?
Je n’entrerai pas, en ce moment, dans de plus grands détails. Et je terminerai en faisant remarquer les points sur lesquels le gouvernement n’est pas tout à fait d’accord avec la section centrale.
Ce sont :
Les articles 2 et 21 du projet de cette section, relatifs au nombre des membres qui doivent composer la cour de cassation et au nombre de juges nécessaire pour rendre arrêt.
Les articles 33, 40, 41 et 42, relatifs au même objet, pour les cours d’appel.
L’article 43, en ce que la circonscription actuelle ne doit être maintenue que provisoirement.
Les articles 49 et 50, relatifs au maintien du personnel des cours et tribunaux.
L’article 56, en ce qu’il fixe l’installation des tribunaux de première instance, dans les trois mois qui suivront la promulgation de la loi ; il semble qu’il conviendrait auparavant, de réviser la circonscription, non seulement des cantons de justice de paix, mais encore des arrondissements ; ce qui devra avoir lieu dès que notre état politique sera définitivement fixé.
Enfin, si l’on jugeait à propos de s’en rapporter aux lois existantes quant aux conditions requises pour être membre de l’ordre judiciaire, au moins devrait-on décider la question relativement aux juges de paix. C’est maintenant une question controversée de savoir si l’âge de trente ans est requis pour être juge de paix, ou si l’âge de vingt-cinq ans suffit. M. Carré avait d’abord admis l’âge de vingt-cinq ans.
Il a ensuite soutenu qu’on ne pouvait être juge de paix avant l’âge de trente ans. Le projet présenté par le gouvernement fixait l’âge à 25 ans (article 93.)
Du reste, j’attendrai les lumières qui jailliront de la discussion.
M. Liedts. - D’après ce que j’entends, M. le ministre ne s’oppose pas à ce que la discussion s’ouvre sur le projet élaboré par la section centrale. Cependant, comme ce projet a été critiqué par quelques honorables membres, je crois pouvoir ajouter quelques considérations à celles qu’a fait valoir l’honorable rapporteur, pour justifier la marche suivie par la section centrale.
La section centrale s’est aperçue, dès le principe, que pour organiser l’ordre judiciaire, il se présentait trois systèmes différents.
Le premier consistait à rassembler et à classer en une seule loi, toutes les dispositions législatives qui se rattachent à l’organisation complète des tribunaux et qui se trouvent aujourd’hui éparses dans une infinité de lois et de décrets ; en laissant de côté tout ce qui n’était pas en parfaite harmonie, soit avec nos institutions constitutionnelles, soit avec nos mœurs et nos usages.
Personne, sans doute, ne contestera les immenses avantages de ce système, qui aurait permis d’abroger expressément toutes les lois antérieures sur la matière, et aurait fait disparaître ce chaos inextricable de lois, se référant les unes aux autres, se modifiant mutuellement et ne portant jamais abrogation complèLiedtste de celles qui les précèdent.
Mais pour peu qu’on y réfléchisse, on se convaincra que l’exécution de ce projet est impossible en ce moment.
D’abord, parce que le temps nous manque, et, en effet, un code d’organisation complète, si l’on suivait le plan tracé par un savant professeur de droit de Rennes, comprendrait plusieurs centaines d’articles, et certes, la discussion n’en serait pas terminée en peu de mois.
Ensuite, parce qu’en supposant que le temps nous pressât moins, il y aurait encore impossibilité absolue de compléter cette législation.
Vous n’ignorez pas que l’organisation judiciaire n’embrasse pas seulement toutes les règles relatives à la composition des tribunaux, mais encore celles qui fixent les attributions et la compétence de chaque corps judiciaire. Or, ces dernières règles sont si intimement liées avec les codes qui nous régissent encore, qu’il faut de toute nécessité que leur révision précède tout changement que l’on voudrait apporter aux lois sur la compétence.
Joignez à cela qu’on aurait rencontré un troisième obstacle insurmontable dans l’impossibilité de faire la circonscription des tribunaux de première instance et des justices de paix dans le Limbourg et le Luxembourg, tant que l’exécution du traité des 24 articles n’aura pas eu lieu.
Un second système, et c’est celui du projet primitif présenté par le ministère, consistait à organiser les cours et tribunaux sans s’occuper de leur compétence, et à ne prendre dans les lois existantes, sur la composition, la classification, la discipline des corps judiciaires que les dispositions nécessaires pour lier le tout de manière à présenter un ensemble régulier.
Ce projet, qui, au premier abord, ne semble présenter aucun inconvénient, fut soumis à l’examen de la section centrale.
Mais elle fut arrêtée à chaque pas, et plus elle avança dans son travail, plus elle s’aperçut de la nécessité d’abandonner la marche suivie par le ministre.
En examinant le projet dans ses détails, en comparant les dispositions avec les lois où elles avaient été puisées, elle acquit la preuve que la législation existante sur l’organisation judiciaire, se lie et s’enchaîne si bien qu’il y a toujours du danger à en détacher une partie, sans toucher au reste, qu’en insérant dans le projet des fragments d’articles ou de chapitres d’une loi précédente, qu’en y reproduisant en partie une ancienne disposition, on donnait infailliblement ouverture à des doutes et à des interprétations, sources inépuisables de contestations et procès.
En présence donc de cette impossibilité de faire une organisation complète et du péril d’une révision partielle des lois qu’elle embrasse, la section centrale a pensé que le parti le plus sage et le seul qui pût obtenir votre approbation, était de se borner d’abord à satisfaire au vœu des articles 135 et 136 de la constitution qui veulent qu’une loi portée pendant la première session assure l’indépendance de la magistrature et institue la cour de cassation, et, en second lieu, à mettre la législation existante en harmonie avec les principes de notre constitution.
Le ministre lui-même a apprécié les avantages de ce dernier système, et il s’est même chargé de modifier son premier projet, et d’en présenter un nouveau, qui en général différait très peu de celui qui vous est soumis par la section centrale.
Les bienfaits de ce projet sont évidents, et d’abord il proclame l’inamovibilité des juges, ce principe salutaire qui ne met l’ordre judiciaire dans la dépendance de personne, ce principe qui donne aux citoyens l’assurance que le magistrat appelé à le juger n’est placé sous aucune autre influence que celle de la loi, ce principe enfin qu’on n’était parvenu à faire reconnaître par le gouvernement déchu qu’après quinze années d’attente. En second lieu, il institue cette cour suprême dont l’absence a été si vivement regrettée depuis notre réunion à la Hollande, cette cour appelée à si juste titre « le centre du pouvoir judiciaire, le lien des tribunaux d’appel ; le dernier asile de l’innocence. »
Enfin par l’organisation d’une troisième cour d’appel, le projet met un terme à l’impossibilité où se trouvait la cour de Bruxelles de suffire aux affaires sans nombre qui l’accablaient, à cette déplorable lenteur, qui avait fait dire de notre pays que « la justice ne s’y rendait pas, mais qu’elle s’y faisait attendre. »
Voilà, messieurs, les immenses bienfaits assurés à la nation par le projet actuel, et qui me détermineront à donner mon vote à la loi, sauf quelques amendements que dans le cours de la discussion j’aurai l’honneur de vous présenter.
En finissant je dois faire remarquer que M. le ministre s’est occupé de plusieurs questions qui, à mon avis, sont étrangères à la discussion générale ; si tout le monde le suivait sur ce terrain, si l’on examinait la question sur la chambre des requêtes, un autre sur l’interprétation législative ; un troisième celle relative au nombre de juges nécessaire pour rendre un arrêt ou un jugement, si un quatrième enfin s’occupait du mode de nommer la première fois les membres de l’ordre judiciaire, on ne s’entendrait plus, et après une longue discussion on n’arriverait à aucun résultat. Je pense donc que, pour régulariser la discussion, il convient de s’occuper maintenant de l’ensemble du projet, sauf à revenir sur les questions particulières, à mesure que les articles du projet les feront naître.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, je n’ai fait qu’indiquer très brièvement ces questions et les raisons pour et contre ces mêmes questions, et je ne suis pas entré à leur égard dans une discussion approfondie ; je ne crois donc pas m’être écarté du cercle de la discussion générale, d’autant plus que j’avais à motiver l’adhésion donnée par le gouvernement aux propositions de la section centrale.
(Le discours qui suit a fait l’objet de la lettre suivante, insérée dans le Moniteur belge n°160 du 8 juin 1832 :
« A Monsieur l’éditeur du Moniteur belge.
« Monsieur, quoique j’attache fort peu d’importance à me voir imprimer vif, on a pourtant des entrailles. Or, ces entrailles ont été douloureusement affectées lorsque j’ai vu la manière indigne dont on a traité mes quelques mots sur le projet d’organisation judiciaire. Passe encore pour les fautes de français, pour les non-sens, dont je me crois cependant très innocent ; mais les absurdités, mais les phrases non achevées, voilà ce qu’en conscience il m’est impossible de vous pardonner. Si je n’avais l’avantage de vous connaître particulièrement, je m’imaginerais que vous avez voulu vous moquer de moi.
« Dans mon intérêt, ainsi bien que dans le vôtre, faites savoir à vos lecteurs que j’ai dit : (…) » (les modifications, essentiellement des corrections de coquilles, ont été intégrées dans le texte pour la présente numérisation).
M. Jaminé. - Messieurs, celui qui est maître de la presse et des tribunaux, peut gouverner selon son bon plaisir. Il faut une longue série d’années ayant que les murmures et les plaintes des rues et des foyers soient de nature à effrayer.
C’est ce que comprenait fort bien le gouvernement déchu. Encore quelques efforts et la presse devait être anéantie ; encore quelques vides dans les rangs de la magistrature, et les tribunaux allaient demander le mot d’ordre à la royauté, unique pouvoir de l’Etat.
Mais les saignées faites à la presse l’avaient rendue plus vigoureuse que jamais ; mais une fraction de la magistrature s'obstinait à ses risques et périls à protester de son indépendance. Le gouvernement néerlandais s’était donc trompé ! Oui, sur les moyens ; mais non sur le principe.
La presse fut débarrassée des entraves de 1815. La magistrature était sur le point d’être assise sur des bases inébranlables ; enfin, on octroyait ce que quinze années d’attente et de stériles réclamations avaient relégué dans le contingent des probabilités ; et la nation d’applaudir !
Disons-le sans crainte d’être démentis, c’est notre surcroît de bonne foi, j’articulais presque le mot bonhomie, qui nous a constamment attirés dans le lacet.
La nation applaudissait et elle était à cent lieues de s’imaginer qu’il était facile de tuer la presse, les garanties récemment concédées, toutes les lois, en un mot, en organisant un service de signaux entre le ministère et une magistrature nouvelle, dévouée, ramassée dans les antichambres du grand-juge. On préludait déjà à Bruxelles. Seul il avait deviné le secret, ce jeune publiciste qui, amené sur les bancs de la cour d’assises, s’écria avec courage : « Prononcez, la défense est inutile. »
Le projet d’asservir la presse et les tribunaux avorta devant le même palais où il avait été conçu.
Il importe peu en ce moment d’établir la balance exacte de l’actif et du passif de la révolution, mais il est bon d’annoter qu’à moins d’être aveugle ou injuste, on doit convenir que le nouvel ordre des choses a placé la liberté de la presse, et l’indépendance de la magistrature hors de toute atteinte. On peut encore voir traîner avec des menottes, devant les assises, comme un vil brigand, un homme simplement accusé d’un délit de presse, mais ces atrocités renouvelées du moyen-âge, n’empêcheront pas d’exprimer librement sa pensée et de juger en à me et conscience.
Avec la presse libre et la magistrature indépendante, on peut aussi gouverner, mais seulement d’après les lois, mais seulement les yeux fixés sur la constitution.
Cependant ce n’est pas tout que de voir l’empreinte de ces belles institutions sur chaque article de journal, sur chaque dispositif de jugement, il y a nécessité de tracer le cercle dans lequel elles doivent se mouvoir.
Pour la presse, on a senti de suite l’impérieux besoin de s’en tenir momentanément à l’anéantissement de la partie nuisible de l’ancienne législation, et de confier le dépôt de ce qui en resterait à la sollicitude intéressée du jury ; pour la magistrature, on crut pouvoir faire davantage, tout un Code, toute une nouvelle législation.
Ce code a fait l’objet des méditations des tribunaux et des jurisconsultes du royaume. Leurs observations ont été à leur tour méditées par le législateur. Où nous ont-elles conduits ? D’un système complet, achevé, nous sommes ramenés au provisoire.
Et cependant, pour quiconque se donne la peine de raisonner, il n’y a pas d’autre marché à suivre. N’est-il pas vrai, que dans l’examen scrupuleux auquel nous nous sommes livrés dans les sections, nous avons donné à chaque pas contre les codes encore en vigueur ? N’est-il pas vrai, que les codes devaient rester intacts, et que sans y toucher pourtant, l’admission de tout ce nouveau système d’organisation était dangereuse, inexécutable ?
Eh bien ! pourquoi ne pas attendre jusqu’à la révision entière des codes ? Parce qu’une magistrature précaire est incompatible avec la constitution ; parce que la révision des codes demande des années de calme et de réflexion ; parce que deux cours de cassation sont une offense renouvelée à chaque session à la loi, à l’intérêt public, au bon sens ; parce que nous pouvons bien provoquer des changements à la constitution, mais non pas la violer. Et qu’on ne m’objecte pas que c’est là encore de la marqueterie ; c’est le maintien d’un système entré dans nos mœurs, dans nos esprits, plus des améliorations plus une création nouvelle qui peut rester debout en dépit des modifications dont les codes et l’organisation judiciaire seront jugés susceptibles.
Ainsi, disent les partisans d’une organisation complète et nouvelle, il n’y aura pas de cours de justice criminelle ; ainsi la perturbation dans le civil et le criminel sera continuée ; le Liégeois en appel, comme devant les assises, sera jugé par des conseillers, tandis qu’un Limbourgeois, un Namurois, ne le sera que par des juges de première instance ! Que devient dont cette égalité devant la loi, tant de fois vantée.
Si on réclame une organisation toute nouvelle par cela seul qu’il est nécessaire de séparer le civil du criminel, il faut au moins que cette nécessité soit prouvée ; or elle ne l’est pas. Où est cette perturbation qu’on a fait sonner si haut ? Pendant les 12 et 13 ans que j’ai plaidé devant un tribunal chef-lieu, j’ai eu de la peine à m’en apercevoir. C’étaient les juges du civil qui passaient au criminel quand le correctionnel était occupé ; c’était les juges de la chambre correctionnelle qui siégeaient aux assises les jours d’audience au civil. Aucune chambre ne chômait, il n’y avait pas la moindre perturbation. Seulement lorsqu’il s’agissait de cour spéciale, le civil ou le correctionnel recrutait parmi les juges suppléants et les membres du barreau. Qu’on me dise s’il en était autrement à Namur, à Mons, à Anvers, à Bruges ! Qu’on me dise si devant nos cours d’appel, il y avait un très grand inconvénient à choisir cinq conseillers dans ce nombreux personnel.
Et à quoi bon ces cours criminelles ? Si déjà, avant les changements introduits au code pénal, nous étions autorisés à les appeler des sinécures, qu’en dirons-nous aujourd’hui que chaque session des assises ne dure que huit à quinze jours ? Et qu’on n’oublie pas que pour parvenir à l’établissement de cours criminelles, il faut ou violer la constitution, qui ne reconnaît que des cours d’appel et des tribunaux de première instance, ou attacher par une fiction absurde les conseillers des cours criminelles à la cour d’appel dans le ressort de laquelle elles sont fixées.
La prétendue violation du principe que tous les citoyens sont égaux devant la loi ne me touche pas plus que l’objection que je viens de réfuter ; car il m’est impossible de trouver cette violation dans l’attribution que confère le législateur à un juge de première instance. de décider en certains cas, comme juge d’appel, mais avec les mêmes formes, mais avec les mêmes garanties pour le justiciable.
Je dis donc à la section centrale : j’approuve ; lorsque vous conservez toujours, lorsque vous criez, non.
Mais, avant d'arriver à la critique de la partie majeure du projet, jetons un coup d’œil rapide sur une question soulevée dans les observations sur le projet primitif, et développée depuis, avec talent, dans un de nos meilleurs journaux.
On s’est demandé si dès aujourd’hui les magistrats en fonctions étaient inamovibles, c’est-à-dire si le gouvernement était dépouillé du droit de constituer un nouveau personnel des cours et des tribunaux.
Si nous voulons un instant nous reporter aux premiers jours de la révolution et mettre en regard un texte clair et précis de la constitution, la question ne nous paraît pas devoir donner lieu à de sérieuses discussions.
En opposition de ce qui s’est pratiqué en France, où les pavés ramenaient tout simplement à l’exécution de la charte mieux entendue, plus sainement interprétée, les Belges exigeaient une régénération politique et civile. Si l’on a presque tout conservé, ici on a eu l’intention de tout reconstruire. Ce que le temps et les circonstances n’ont pas permis de faire tout de suite, on l’a remis à un autre jour ; j’en trouve la preuve, pour ce qui regarde la magistrature, dans ces nombreuses révocations et destitutions et dans l’article 138 de la constitution, disposition qui résume en peu de mots la volonté du gouvernement provisoire ; or, que voulait cette disposition ? Créer des magistrats inamovibles, gratifier de l’inamovibilité ceux qu’aucune loi sous le gouvernement précédent, qu’aucune loi sous le nouveau gouvernement, n’avait investis. Non, il conservait le personnel mais jusqu’à ce qu’une loi l’y eût pourvu.
Est-ce à dire que je m’élèverai contre l’article du projet en discussion qui maintient les membres des cours et tribunaux dans leurs fonctions ? Au contraire ; mais mon avis approbatif est puisé dans le fait. Je dénie au personnel actuel le droit de se prétendre inamovible ; mais j’y trouve un concours de lumières et d’expériences suffisant pour me rassurer sur la bonne et exacte distribution de la justice, mais je recule devant les bouleversements qui donnent des places, sans donner des magistrats.
J’aborde maintenant la partie la plus importante du projet. Je veux parler de la cour de cassation ; ici je me vois forcé de changer de langage.
Lorsque la première révolution française eut aussi établi en principe une régénération politique et civile, il ne fallut pas de longues études pour démontrer la nécessité d’une cour suprême de justice, chargée de ramener les tribunaux à l’uniformité de la loi. Il y eut un tribunal de cassation.
Mais comment se fit-il que les législateurs de 1790, si féconds en innovations, s’arrêtèrent avec une espèce de respect devant un règlement qui remontant à l’année 1738 ? C’est que le règlement contenait des dispositions sages et prudentes. Mais on aurait dû conserver et améliorer ; on aurait pu rendre la marche de la cour de cassation plus simple et plus rapide, et ne pas s’écarter des formes introduites devant les tribunaux ordinaires dans la défense des droits litigieux ; on conserva pour détériorer, comme si la révolution eût été perdue du moment où la hache fût restée suspendue sur un ancien édifice.
Pardonnez-moi, messieurs, si je vous inviterai un jour à parcourir avec moi un long espace. Il ne s’agit pas de l’opinion isolée mais consciencieuse d’un de vos collègues ; je suis l’écho de jurisconsultes qu’une profonde érudition et une longue expérience recommandent à l’estime de la nation française.
Sous l’ancien régime les affaires dans lesquelles il y avait pourvoi étaient portées devant le conseil privé. Dévolues d’abord à la connaissance d’un bureau préparatoire composé de commissaires nommés à cet effet, elles n’y recevaient qu’un premier degré de maturité. Aucune décision ne pouvait intervenir ; mais un des membres de ce bureau revêtu des fonctions de commissaire se présentait avec la procédure devant le conseil, où on examinait s’il y avait lieu de casser ou de rejeter immédiatement. En cas de doute un « soit communiqué » était ordonné et demandeur et défendeur faisaient contradictoirement valoir leurs moyens.
La marche tracée par le règlement de 1738 avait pour résultat qu’un procès était examiné deux fois, et ce qui n’est pas à dédaigner quand il s’agit d’intérêts aussi graves, par la totalité des juges formant le conseil.
Le bureau préparatoire du conseil privé est le berceau du bureau et de la chambre des requêtes.
La chambre unique du tribunal de cassation créé le 1er décembre 1790 représentait l’ancien conseil privé, mais le bureau des requêtes ne représentait plus l’ancien bureau préparatoire dans toute sa simplicité. Les attributions de ce dernier se bornaient à un simple examen ; le nouveau bureau avait droit de rejeter un pourvoi ou en d’autres termes de déclarer qu’il n’y avait pas lieu à admission devant le tribunal.
Cependant quoique le législateur moderne s’écartât en ce point entièrement du règlement de 1738, il n’oublia pas d’entourer la demande en cassation d'une double garantie.
Le bureau des requêtes composé de vingt membres ne devait juger à moins de douze membres réunis. Aucune décision régie en admission, ne pourrait être prise qu’à la majorité des trois quarts des voix ; dès qu’un nombre pareil ne se prononçait pas, toute la chambre était appelée à examiner le mérite du pourvoi, à déclarer s’il y avait des formes à rejet et à admission.
Il est facile de concevoir que de cette manière le demandeur en cassation avait deux chances d’admission, mais toujours est-il vrai de dire que le règlement de 1738 resté entier, aurait présenté quelque chose de plus prudent et de plus réfléchi.
La loi du 27 ventôse, an VIII, ne fit qu’aggraver cet état de choses. C’est cette loi qui est encore en vigueur chez nos voisins.
La cour de cassation est actuellement divisée en trois chambres, une chambre pour les affaires criminelles et correctionnelles où l’on a accès à la chambre criminelle sans devoir demander la permission à un corps intermédiaire, une autre chambre des requêtes qui statue sur le droit d’un pourvoi civil à l’admission, et enfin une troisième chambre qui casse et rejette les affaires que la chambre des requêtes lui a envoyées.
Je m’arrête ici pour reprendre le fil de ma narration, lors de la discussion des articles. Alors je vous présenterai un résumé fidèle et vrai de tous les arguments qu’on fait valoir en France, pour parvenir à l’abolition d’une chambre des requêtes. Ce qui se dit là pour s’en débarrasser peut se dire ici pour en prévenir l’établissement ; je vous prouverai alors que c’est à tort que la section centrale a déclaré qu’en France, on est généralement convaincu de l’article d’une pareille chambre ; tous les jurisconsultes se sont élevés contre cette superstition, on n’a pas écrit une seule ligne en sa faveur. Aussi puis-je assurer que dans les améliorations à introduire dans le règlement, est comprise la suppression de la chambre des requêtes. Tous les jurisconsultes se sont élevés contre cette superfétation.
Il serait assez singulier de nous voir créer ici ce qui dans quelques quelques mois disparaîtra chez nos voisins ; et cette singularité me paraîtrait d’autant plus grande qu’un auteur qui a traité la question à fond donne des éloges au législateur de 1815, pour avoir établi que le pourvoi civil sera dorénavant porté directement devant la chambre de cassation, sans qu’il soit nécessaire d’avoir à subir un arrêt préalable d’admission.
Mais s’il ne m’est pas permis d’entrer dès à présent dans quelques détails à cet égard, je puis cependant manifester mon étonnement de ce qu’on n’a pas fait un règlement pour notre future cour de cassation ; qu’en 1790 on ait maintenu le règlement de 1738, cela peut se concevoir ; comme je l’ai déjà dit, sauf qu’il était relatif aux délais et à certains privilèges, ce règlement contenait des dispositions sages et prudentes, et alors tout le monde connaissait ce règlement ; il était encore en vigueur au moment où le tribunal de cassation fut établi. Mais renvoyer aujourd’hui à ce même règlement que personne ne connaît, qui a été étouffé sous la législation de 1815, qu’on a même de la peine à se procurer, renvoyer aujourd’hui à la législation révolutionnaire, consulaire, impériale, qu’il faut consulter, combiner, pour savoir à quoi s’en tenir, c’est vraiment quelque chose d’incompréhensible, surtout lorsqu’on fait attention qu’il ne fallait pas beaucoup de temps pour puiser avec fruit dans la législation qui nous a précédé, et confectionner un règlement qui donnât vie à notre nouveau système, et qui fut à portée de la génération qui plaide et qui fait plaider.
Si j’osais aller plus loin, messieurs, je ferais des vœux pour qu’on songeât de suite à la révision des codes, principalement à la révision de ce code pénal qui est une monstruosité au temps où nous vivons. Je désirerais ensuite qu’on mît le traitement des magistrats, principalement des juges de première instance, en rapport avec les importantes fonctions qu’ils remplissent, à moins que le temps de douloureux sacrifices ne soit pas encore passé. Je désirerais qu’on proclamât l’indépendance du barreau ou du moins qu’on ne le laissât pas douter de cette indépendance. Je désirerais qu’on fît succéder une loi meilleure, une loi complète à cette loi ridicule sur le jury. Mais pourquoi ce vœu ? Quant au jury, n’ai-je pas en vain provoqué des améliorations ? Et pourtant elles sont si nécessaires. Je n’exagère pas, c’est la pure vérité si je dis que le malheureux système en vigueur aujourd’hui peut nous amener là ; douze jurés, dont onze ne comprennent pas un mot de français, dont le douzième n’entend rien à l’affaire, et dont tous ensemble ne comprennent rien du tout. (Hilarité générale.)
Messieurs, quoiqu’il ne me soit pas absolument démontré que, quand on parle sur l’ensemble d’une loi, on ne doit pas en critiquer chaque partie, je finis ici les observations que j’avais à vous soumettre, toutefois de prendre la parole lorsqu’on en serait à l’examen de chaque article, dans la conviction que vous m’accorderez cette bienveillance à laquelle vous l’avez habitué.
M. le président. - D’autres membres demandent-ils la parole sur l’ensemble de la loi ? (La clôture ! La clôture !)
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je demanderai la parole pour présenter une simple observation. Dans le discours de l’honorable préopinant il a été question d’un individu accusé d’un délit de la presse, ou plutôt d’un crime commis par la voie de la presse, car il avait été renvoyé par la chambre des mises en accusation devant la cour d’assises ; l’on a dit que cet individu avait été traîné devant ses juges avec des menottes. Je me bornerai à dire que ce fait est absolument étranger, non seulement au gouvernement, mais encore aux magistrats de l’ordre judiciaire, et que l’acte que l’on signale a été commis par un subalterne, qui n’avait aucune instruction pour agir comme il l’a fait.
M. Jaminé. - Le ministre ne peut pas croire que la citation soit un reproche adressé au gouvernement ou à la magistrature, elle avait pour but de prouver que nonobstant le fait la liberté restait intacte, et le principe sauvé.
- La chambre ferme la discussion générale et passe à la délibération sur les articles.
« Art. 1er. La cour de cassation siège à Bruxelles. »
M. le président. - Voici un amendement de M. Olislagers, qui demande que le siège de la cour de cassation soit à Malines.
M. Olislagers. - Messieurs, si de grands talents étaient nécessaires pour vous prouver l’utilité de la proposition que j’ai l’honneur de vous faire, d’établir à Malines le siège de la cour de cassation, je n’oserais entrer dans le développement des motifs qui m’ont déterminé à vous la soumettre ; mais ces motifs sont tellement fondés sur la justice et l’équité que leur simple exposition me paraît devoir suffire pour vous en faire apprécier le mérite.
Messieurs, l’essence d’un gouvernement représentatif comme le nôtre est la justice distributive qui en répandant les faveurs sur le plus grand nombre possible de localités, rattache à l’Etat un plus grand nombre de familles. Rien ne lui est plus opposé que la centralisation qui réunit tous les avantages au profit d’un petit nombre de grandes villes auxquelles on sacrifie tous les intérêts du pays. C’est d’après ces principes que je viens réclamer pour la ville de Malines le siège de la cour de cassation. Cette ville posséda pendant trois siècles le premier tribunal de la Belgique, connu sous le nom de Grand Conseil de Malines, et qui s’acquit autrefois une réputation si distinguée, qu’on vit des puissances étrangères le prendre pour arbitre de leurs différends. La gloire qu’il s’est acquise, messieurs, ne peut pas être répudiée par nous ; elle sera, je le pense, un motif de plus pour attirer aux juges la considération qui leur est nécessaire, et pour les exciter à la mériter.
Lorsque Malines possédait le Grand Conseil, elle était une des villes les plus agréables de la Belgique, et son commerce était très florissant. Depuis l’invasion de ce pays, par les Français en 1794, elle a tout perdu. La création du royaume des Pays-Bas en 1815 lui donne l’espérance de posséder dans ses murs la cour suprême de justice, ses bourgmestres n’ont cessé de réclamer à cet effet, mais toujours sans succès. Vous savez, messieurs, qu’après avoir fixé en Hollande le siège de tous les grands établissements, le roi Guillaume, malgré les instantes réclamations de la Belgique, finit par établir aussi à La Haye la cour de cassation. Cette dernière marque d’une extrême partialité, ajoutée à tant d’autres, n’a pas peu contribué à lui faire perdre la plus belle moitié de son royaume.
Malines a pris part à notre glorieuse révolution aussitôt que la chose a été physiquement possible, puisque les nombreuses troupes hollandaises qui l’occupaient étaient à peine sorties de la ville lors qu’elle arbora le drapeau patriotique, s’exposant ainsi à leur vengeance qui pouvait être terrible. Il est juste qu’ayant partagé le péril de la révolution, elle en partage aussi les avantages et jusqu’à présent, elle n’a éprouvé que des pertes, le commerce y est presque nul et depuis huit mois elle est accablée de logements militaires. Je regarde donc comme une mesure de justice d’établir la cour de cassation à Malines, chose qui sera d’autant plus facile que le palais du grand conseil existe encore, et que la ville se chargerait volontiers des frais nécessaires pour le remettre en bon état.
On m’objectera peut-être, comme quelques membres de cette assemblée l’ont déjà fait lorsque le projet de loi sur l’organisation judiciaire a été discuté dans les sections, que le séjour de Malines ne serait pas du goût de MM. les conseillers ; je suis loin de partager cette opinion et je crois au contraire que le séjour d’une ville tranquille est extrêmement convenable pour des magistrats, qui, dès leur jeunesse, ont été occupé d’études sérieuses et dont les grandes occupations contrastent avec les plaisirs des grandes villes, Ils y jouiront d’ailleurs d’une considération beaucoup plus grande, ils y trouveront de superbes demeures à très bas prix et en général une vie beaucoup moins chère que dans les grandes villes, ce qui sera une compensation de la modicité de leur traitement, que la sévère économie qui doit présider à notre budget, ne nous permettra pas d’élever à proportion de leur dignité.
On dira peut-être aussi qu’il est à propos que la cour de cassation se trouve dans la ville où réside le gouvernement. Messieurs, l’indépendance des juges a toujours été considéré comme absolument nécessaire à l’exercice de leurs fonctions, et un des reproches le plus fondés que l’on adressait au roi Guillaume, était de conserver indéfinitivement les tribunaux sous sa dépendance par les continuels retards apportés à l’organisation judiciaire.
En réunissant dans la même ville le siège du gouvernement et celui de la cour suprême, ne serait-il pas à craindre qu’on exposât les juges à se laisser influencer par le gouvernement, le public ne serait-il pas du moins tenté de les en soupçonner quelquefois ? Je me plais à croire qu’un séjour qui les mettra même à l’abri du soupçon leur paraîtra préférable.
D’ailleurs une des attributions de la cour de cassation, sera de juger les ministres s’ils venaient à être mis en accusation, et comme ils ne peuvent l’être que pour des crimes d’une nature infiniment odieuse et que souvent la multitude aveugle considère comme coupables avant le jugement, il serait parfois très difficile de les soustraire à la fureur publique dans une grande ville, où la population plus nombreuse est plus susceptible d’être soulevée par les passions, tandis qu’en les transportant sous bonne escorte dans une ville moins considérable, ils y seraient jugés avec ce calme qui est d’un si grand intérêt pour les accusés, et qui imprime aux arrêts de la justice un caractère qui les rend sacrés aux yeux de la postérité.
On pourrait dire encore bien des choses en faveur de ma proposition, je me suis borné à vous présenter les principaux motifs qui me semblent devoir vous disposer à l’adopter.
Je craindrais, messieurs, d’abuser des moments si précieux de la chambre en prolongeant cet exposé.
(Dans le Moniteur belge n°160, du 8 juin 1832, on trouve la mention suivante : « Lorsque j’ai répondu à M. Olislagers, je n’ai pas laissé son dernier argument sans réponse. Le Moniteur n’en dit rien. Signé : Jaminé.)
M. Jaminé. - Messieurs, je n’aurai pas besoin de faire valoir beaucoup de moyens pour prouver qu’il faut conserver le siège de la cour de cassation à Bruxelles ; d’ailleurs, les raisons que je pourrais donner sont connues de tout le monde ; mais il me paraît utile de réfuter les arguments qu’on vient de faire valoir pour placer ce siège à Malines.
Et d’abord on vous dit que dans un gouvernement constitutionnel il est important de ne pas concentrer toutes les faveurs, toutes les grâces dans un sens endroit ; que dans un tel gouvernement, il faut que toutes les parties du royaume se ressentent des faveurs, et que Malines a droit d’avoir le siège de la cour de cassation ; mais, messieurs, selon moi, Malines me paraît assez bien partagée puisqu’elle est le siège de l’archevêché qui y produit un grand mouvement et beaucoup de relations.
Il faudrait, dit-on, la préférer à toute autre ville parce qu’elle a pris une part active à notre révolution ; mais d’autres villes ont pris une part aussi active qu’elle à notre révolution. Au reste quelle est la part qu’elle y a prise ? Vous l’avez entendu, elle a arboré le drapeau national quand les Hollandais étaient partis.
D’autres villes en ont fait autant. Je citerai Mons, Liége ; je citerai Gand, enfin la ville de Bruxelles surtout où s’est faite la révolution, et si vous sortez d’ici vous n’aurez pas besoin de vous éloigner beaucoup pour en avoir les traces.
Mais, ajoute-t-on, Malines est connue pour avoir eu anciennement un grand conseil, dont le local qui subsiste encore peut facilement être approprié aux audiences de la cour ; Malines, dit-on enfin, est surtout une ville fort ancienne ; s’il ne s’agit que de cela je demanderai que la cour de cassation soit établie à Tongres qui est assurément la ville la plus vieille de la Belgique. (On rit.)
On craint pour l’indépendance de la magistrature si la cour suprême est établie à Bruxelles ; on dit : ces magistrats placés sous les yeux des ministres peuvent être facilement influencés, et au lieu de rendre la justice, il ne rendront que des arrêts. Je ne crois pas que l’on puisse porter facilement atteinte à l’indépendance de cette haute cour ; celui qui est nommé conseiller à la cour de cassation n’a plus rien à désirer ; il a son bâton de maréchal ; un conseiller plane sur les ministres ; il n’ira pas leur demander des faveurs. D’ailleurs, est-ce que jusqu’à présent, on a remarqué que la cour de cassation, placée dans la capitale du royaume, ait dévié de ses devoirs, ait foulé aux pieds les lois et les institutions du pays ? Voyez Paris ; lorsqu’une verge de fer pesait sur la nation française, pesait sur l’Europe entière, la seule indépendance qui restât dans cette vieille Europe, le seul courage civique qui se fit remarquer, s’était réfugié dans la grande salle de la cour de cassation de Paris. Je vote pour le maintien de l’article premier.
On vous a dit encore, messieurs, que le minime traitement des conseillers leur donnerait le moyen de mener une vie douce et agréable à Malines ; qu’ils pourraient y trouver de paisibles demeures ; qu’il n’en serait pas de même à Bruxelles ; d’abord je ne pense pas que le traitement des membres de la cour de cassation doit être si minime et pour ce qui est de trouver de paisibles demeures, je crois qu’à Bruxelles ils pourront trouver des demeures convenables, car rien ne les oblige à aller se placer au milieu du marché. Il est des endroits où ils pourront résider sans crainte d’être troublés dans leurs graves occupations.
M. Liedts. - Je demande à ajouter quelques considérations à ce que l’on vient de dire. Quand il s’agit de placer le siège d’une cour, c’est l’intérêt général qui doit dicter la détermination. La cour de cassation doit être établie au lieu où il se fait le plus d’affaires ; la capitale doit être le siège de la cour de cassation. (Aux voix ! aux voix !)
M. Destouvelles. - Je demande la parole ?
M. le président. - Est-ce pour l’amendement ?
M. Destouvelles. - C’est sur l’amendement. Il importe d’établir une cour supérieure là où il existe un barreau. Un barreau ne se crée pas en 24 heures ; c’est pourquoi, lorsqu’il s’est agi des officiels ministériels près la cour de cassation, on a senti la nécessité d’admettre les officiers ministériels près la cour d’appel à plaider devant la cour suprême. A Malines, il ne reste que le palais, qui encore aurait besoin de réparations : mais ici nous trouvons tout ce qui est nécessaire : nous trouvons, non seulement le logement, ce qui est d’une importance très subsidiaire, mais nous trouvons tous les éléments nécessaires pour donner à cette cour la considération qui lui convient.
- L’amendement de M. Olislagers, mis aux voix, est rejeté.
L’article premier est adopté.
« Art. 2. Elle est composée d’un premier président, de deux présidents de chambre et de vingt-deux conseillers. »
M. Leclercq. - Messieurs, je demanderai l’ajournement de cet article jusqu’à ce qu’on ait discuté la question relative à la formation de la chambre civile et jusqu’à ce qu’on ait décidé quel sera le nombre des juges qui composeront les cours d’appel. Je fonde ma proposition sur ce que le nombre des membres de la cour de cassation a été fixé diversement par le gouvernement et par la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - J’ai déjà eu l’honneur de faire remarquer à l’assemblée que la proposition du gouvernement, relativement au nombre des conseillers, était différente de la proposition de la section centrale ; et j’allais vous demander l’ajournement ainsi que l’a fait notre honorable collègue M. Leclercq. Je crois que les dispositions de l’article 2, de l’article 21 et d’autres articles, ont une connexion nécessaire et qu’on ne peut prononcer sur ces articles avent d’avoir déterminé le nombre des juges dont les cours seront composées.
M. Destouvelles. - Je ne m’oppose pas à l’ajournement, mais je ne subordonne pas le personnel de la cour de cassation à l’existence ou à la non-existence d’une chambre des requêtes. Je dirai mes motifs quand il s’agira de cette chambre, j’en soutiendrai l’extrême utilité malgré l’avis de plusieurs jurisconsultes dont j’apprécie les lumières.
M. Lebeau. - Je demande la parole sur la position de la question. Je voudrais que l’on mît seulement aux voix l’ajournement ; quant à moi, je crois que l’article 2 est subordonné, non seulement à l’article 18, mais encore aux articles 40 et 41.
La discussion de l’article 2 est ajournée.
« Art. 3. Les fonctions du ministère public sont exercées à la cour par un procureur-général et deux avocats-généraux. »
M. Helias d’Huddeghem. - Je crois que, par des motifs semblables à ceux qui ont déterminé la chambre à ajourner la discussion de l’article 2, on doit ajourner celle de l’article 3. A la cour de cassation des France, il y a trois sections ; ici on n’en pose que deux. Je pense que le nombre de conseillers, 22, n’est pas suffisant, qu’il en faudrait 25 au moins.
M. Destouvelles. - Quel que soit le nombre des conseillers, le personnel de l’article 3 suffira : un procureur-général et deux avocats-généraux sont les officiers nécessaires ; il n’en faut pas davantage.
M. Helias d’Huddeghem. - Le ministère public doit toujours porter la parole ; mais il faudrait trois avocats-généraux pour trois sections.
M. Destouvelles. - C’est une nécessité pour le ministère public de porter la parole ; mais le personnel de l’article 3 n’en est pas moins suffisant.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il n’y a pas lieu ici d’ajourner la discussion. On conçoit aisément que le nombre des juges qui doivent composer la cour de cassation dépend du nombre des juges qui sera nécessaire pour rendre un arrêt, et du nombre de sections ; mais quel que soit le nombre des juges, les devoirs du ministère public n’en restent pas moins les mêmes, ils ne seront ni plus restreints ni plus étendus. Ainsi la question relative à l’article 3 ne dépend pas de la question relative à l’article 2, par lequel un ajournement a été prononcé.
- L’ajournement de la discussion de l’article 3 est mis aux voix et rejeté.
M. Helias d’Huddeghem. - Je demanderai que le parquet de la cour de cassation soit composé de quatre membres ; trois magistrats ne pouvant suffire aux devoirs qu’exige le ministère public.
M. Destouvelles.- Quel que soit le nombre des juges nécessaires pour rendre arrêt, soit dans les cours d’appel, soit dans la cour de cassation, il n’y aura que deux chambres dans la cour de cassation ; or, un procureur-général et deux avocats généraux suffisent pour toutes les affaires.
- L’amendement de M. Helias, mis aux voix, est rejeté.
« Art. 4. Il y a près de la cour un greffier et deux commis-greffiers.
« Le Roi nomme le greffier directement, et les commis-greffiers sur une liste triple de candidats, présentés par le greffier. »
- Cet article est adopté sans discussion.
« Art. 5. Pour être président, conseiller ou procureur-général, il faut être âgé de 35 ans accomplis, docteur ou licencié en droit, et avoir suivi le barreau ou exercé des fonctions judiciaires pendant 10 ans.
« Nul ne peut être nommé avocat-général ou greffier, s’il n’a 30 ans accomplis, s’il n’a obtenu le grade de docteur ou de licencié en droit, et suivi le barreau ou exercé des fonctions judiciaires pendant 5 ans. »
M. Mesdach. - L’article 5 détermine les conditions pour être greffier. A cet égard, je dois faire remarquer que je trouve dans l’article une espèce de lacune, en ce qu’il ne détermine pas les conditions nécessaires pour être commis-greffier. Je crains que ne nous laisse sous l’empire de la législation actuelle qui est vicieuse.
La loi d’août 1790 exige que l’âge du commis-greffier soit de 25 ans ; cette disposition se ressent de l’époque de son émanation, époque à laquelle la fièvre révolutionnaire avait fait croire qu’il suffisait d’avoir 25 ans pour être apte à remplir toutes les fonctions. Je ne pense pas que l’intention de la section centrale ait été de nous laisser sous l’empire de cette loi. Les lois de l’an IV, de l’an VIII, de l’an XI, d’avril 1810, n’ont porté aucune modification en ce point à la loi de 1790, en sorte qu’elle reste en vigueur.
Depuis 25 ans, nous avons des universités ; la jeunesse s’est donnée à l’étude du droit ; ainsi on peut exiger autre chose que l’âge pour être commis-greffier. J’aurai l’honneur de vous proposer un amendement, ou plutôt un paragraphe additionnel à l’article 5. La voici :
« Nul ne peut être commis greffier, s’il n’a 25 ans accomplis, s’il n’a obtenu le titre de docteur ou licencié en droit, et suivit le barreau pendant trois ans. »
M. le président. - L’amendement est-il appuyé ? (Oui ! oui !)
M. Destouvelles se dispose à parler.
M. Mesdach. - Les commis-greffiers ont été omis dans l’article 5.
- Un membre. - Les conditions du paragraphe additionnel sont les conditions pour être substitut.
M. Liedts. - Mettez aussi : « S’il n’a exercé des fonctions judiciaires. »
M. Destouvelles. - « Pendant trois ans. »
M. Devaux. - Je crois qu’il y a lacune dans l’amendement. On ne parle pas des commis-greffiers, et des greffiers des cours, et des moyens de leur procurer de l’avancement. Il est très juste que l’homme qui a été greffier ou commis-greffier d’une cour d’appel puisse être nommé greffier ou commis-greffier à la cour de cassation. Il me semble que leurs fonctions n’étant pas judiciaires, le sous-amendement de M. Liedts ne les comprendrait pas.
M. Liedts. - Les greffiers font partie intégrante d’un tribunal, au point qu’un tribunal n’est pas complet sans le greffier.
M. Mesdach. - Jamais les greffiers, ni leurs commis, n’ont été considérés comme faisant partie d’un tribunal, comme exerçant des fonctions judiciaires.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je veux soumettre une observation sur l’amendement de M. Devaux. Il a fait observer qu’il était utile et même nécessaire que les commis-greffiers des cours et tribunaux eussent une perspective d’avancement. Je ne sais pas si on pourra les considérer comme ayant exercé des fonctions judiciaires, et s’ils seront compris dans le sous-amendement de M. Liedts. La question de savoir si les greffiers doivent être considérés comme membres des cours et tribunaux s’est présentée à la cour de Liége ; à la vérité, elle n’y a pas reçu de solution ; mais comme la question se présente ici, je crois qu’il serait bon de la trancher dans la loi.
M. le président. - La parole est à M. Devaux.
M. Devaux. - Je vous envoie mon amendement.
M. le président. - Voici le sous-amendement de M. Devaux : « Ou s’il a exercé les fonctions de greffier et de commis-greffier dans une cour pendant 5 ans. »
M. Gendebien. - L’observation que je voulais présenter devient inutile, d’après la proposition de M. Devaux ; il est évident que les greffiers et commis-greffiers ne font pas partie de la magistrature ; l’amendement qui les concerne pourrait former un paragraphe ainsi conçu : « Nul ne peut être commis-greffier s’il n’a 25 ans accomplis, s’il n’a obtenu le titre de docteur ou licencié en droit, s’il n’a suivi le barreau ou exercé des fonctions judiciaires pendant trois ans. »
M. Bourgeois. - Je ne comprends plus cet amendement. Il faudrait avoir été greffier ou commis-greffier près d’une cour, pour être greffier à la cour de cassation ; cela ne me paraît pas raisonnable.
Il me semble que c’est cela qu’on demande d’après l’ajoute ; on y dit qu’il faut avoir 25 ans, être docteur ou licencié en droit, et avoir été commis-greffier ou greffier près d’un tribunal supérieur… C’est bien là votre intention. (Oui ! oui !)
Ainsi le but de l’amendement est que le greffier ou le commis-greffier d’une cour puisse devenir greffier de la cour de cassation.
- Un membre. - Ou le greffier et le commis-greffier d’un tribunal.
M. Devaux. - Je m’aperçois que mon amendement ne cadrerait pas avec l’article ; il en résulterait que le commis-greffier pourrait devenir avocat-général à la cour de cassation ; je crois qu’il faut faire un article pour les avocats-généraux, et un article séparé pour les commis-greffiers de la cour de cassation et des cours d’appel.
M. Jullien. - L’intention est que le commis-greffier puisse devenir greffier.
M. Gendebien. - Messieurs, il me semble que 35 ans est un âge plus convenable pour les avocats-généraux que l’âge de 30 ans. Je pense également que dix années d’exercice dans la profession d’avocat, ou dans l’exercice des fonctions judiciaires ne sont rien de trop pour servir de garantie de la capacité de l’avocat-général. C’est une fonction toute aussi importante que celle de conseiller. L’avocat-général fait l’office de rapporteur ; il est le contrôleur du rapporteur ; ou si vous voulez le rapporteur est le contrôleur du ministère public. Je ne pense donc pas que l’un des rapporteurs doit réunir moins de conditions que l’autre ; je crois, au contraire, que l’avocat-général doit en réunir davantage.
En effet, l’erreur dans l’avis d’un conseiller est étouffée par le secret de la délibération ; tandis que l’erreur d’un avocat-général est publique, et peut déconsidérer la magistrature. Je pense, d’après ces considérations, qu’il faut mettre l’avocat-général sur la même ligne que les conseillers.
M. le président. - L’amendement de M. Devaux trouvera sa place dans le second paragraphe de l’article.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Ainsi, dans le premier paragraphe, on propose de mettre : « Conseiller, procureur-général ou avocat général. »
M. Devaux. - Je n’ai pas d’objection à faire contre cet amendement. Cependant je crois qu’il y a lacune dans le premier paragraphe. Il y a une classe de fonctionnaires et de jurisconsultes qui sont oubliés dans le premier paragraphe, ce sont les professeurs de droit ; il me semble que c’est dans la classe des professeurs que l’on trouvera les hommes les plus propres à saisir l’esprit des lois et à voir si elles ont été bien appliquées.
M. Helias d’Huddeghem. - Les professeurs sont compris dans la catégorie des docteurs ou licenciés ; ainsi ils sont dans la loi.
M. Devaux. - Ils sont exclus ; car on dit qu’il faut en outre avoir exercé les fonctions judiciaires pendant dix ans, ou avoir suivi le barreau pendant le même temps ; or, les professeurs n’exercent pas les fonctions judiciaires, et très peu suivent le barreau. Ils doivent donc être l’objet d’un amendement.
Je demanderai de plus si l’expression « avoir exercé des fonctions judiciaires « comprend les fonctions du ministère public… (Oui ! oui !) Il me semble qu’un avocat-général près d’une cour d’appel peut devenir conseiller ou avocat-général près la cour de cassation. Les fonctions du ministère public sont-elles des fonctions judiciaires ? Dites-le pour que votre loi soit claire.
M. Jullien. - Cela ne fait pas de doute
M. Devaux. - Alors mon amendement se bornera aux professeurs.
M. Gendebien. - Les professeurs peuvent plaider et montrer leur talent au barreau. Il serait assez dangereux d’admettre les professeurs dans la cour de cassation, car il y a une immense différence entre professer et appliquer la loi. L’expérience a démontré que les meilleurs professeurs se trouvant en présence des plus minces avocats, se montraient souvent au-dessous d’eux.
M. Fleussu. - Je trouve que l’âge de 35 ans accomplis, pour la cour de cassation, est trop faible ; je demanderai l’âge de 40 ans. Vous savez que l’entrée de la cour de cassation doit être le but des efforts de la magistrature, qu’elle doit être pour les magistrats le bâton de maréchal ; or, à l’âge de 35 ans, il est bien difficile qu’un homme ait donné tous les gages nécessaires pour entrer dans le dernier poste de la magistrature. Un homme peut avoir l’instruction nécessaire avant 40 ans ; mais, avant cet âge, aurait-il donné des gages de délicatesse, d’indépendance ?
Je crois bien que le gouvernement fera de bons choix ; mais je crois que la loi doit défendre de prendre les jeunes hommes. J’aurais donc l’honneur de présenter un amendement dans ce sens.
M. Jaminé. - Je combats l’amendement de M. Fleussu. Je crois que les conditions de l’article 5 sont suffisantes ; car si on a fréquenté le barreau pendant 10 ans, on a déjà donné des preuves d’expérience, et l’on a assisté à l’application de presque toutes les lois. Il y a un autre motif qui m’engage à combattre l’amendement : à 25 ans on peut être député, et à 40 on pourrait seulement être membre de la cour de cassation ! Or, quand à 25 ans on peut faire des lois, je crois qu’à 35 on doit être capable de les appliquer.
M. Liedts. - Je ne puis pas admettre non plus l’amendement de l’honorable M. Fleussu. En exigeant l’âge de 35 ans, le but de la loi est d’exiger une garantie que les membres de la cour de cassation possèdent toutes les connaissances requises pour un poste si élevé ; or, celui qui n’a pas acquis ces connaissances à l’âge de 35 ans, ne les acquerra plus de 35 à 40.
Je ferai remarquer en outre que l’âge de 40 ans se rapproche déjà trop de l’époque de la vie où les forces intellectuelles, loin d’aller en augmentant, commencent à décliner. (Hilarité générale.)
M. Jullien. - C’est l’âge de la force, quarante ans !
M. Liedts. - La section centrale a craint qu’en reculant l’âge requis au-delà de 35 ans, on ne peuple la cour de cassation uniquement de conseillers âgés, qui ne pourront suffire à leurs laborieuses fonctions que pendant un petit nombre d’années.
M. Destouvelles. - Je pense que l’âge de 35 ans suffit pour être président ou conseiller près la cour de cassation. Comme on l’a fait observer, il n’est pas probable que l’on nomme beaucoup de membres de cette cour n’ayant que 35 ans. Il est certain qu’avec la direction donnée aujourd’hui aux études, les hommes de 35 ans doivent avoir les connaissances requises pour être conseillers, ou ils ne les auront jamais. D’un autre côté, la cour de cassation doit avoir des vieillards mûris par l’expérience, et quelques jeunes gens qui donnent une espèce de vie, de mouvement aux délibérations. C’est par cette combinaison que l’on formera une cour convenable.
Quant à l’âge des avocats-généraux, il me suffit à cet égard de la proportion adoptée dans les lois spéciales sur l’organisation judiciaire ; on a senti qu’il ne fallait pas la même maturité pour les fonctions du ministère public. Dans la législation actuelle, on ne peut être juge avant 27 ans, et l’on peut être substitut du procureur du roi à 22 ans.
On a considéré qu’il fallait dans les fonctions du ministère public plus de jeunesse que dans les fonctions de conseiller ; que généralement les fonctions d’avocat-général présentaient une carrière extrêmement laborieuse, et qu’il fallait pour la parcourir convenablement des hommes dans toute la force de l’âge.
Je me range à l’amendement de M. Mesdach.
M. Devaux. - Les fonctions de commis-greffier près la cour de cassation demandent des connaissances, il faut présenter des garanties pour être aptes à les remplir.
M. Lebeau. - Messieurs, je crois aussi avec la plupart des honorables membres préopinants, que si l’on choisit pour faire partie de la cour de cassation un homme de 35 ans, ce sera par exception ; mais il est bon que cette exception puisse se réaliser dans certains cas, et il ne faut pas pour quelques années de différence se priver des talents d’un homme qui pourrait s’être distingué à 35 ans dans la carrière de la magistrature. On n’a pas remarqué, d’ailleurs, qu’il y a contre l’abus que l’on semble craindre une garantie dans la constitution.
Je concevrais les appréhensions de l’honorable M. Fleussu, si la nomination des conseillers de la cour de cassation dépendait en entier du gouvernement. Mais vous savez que leur nomination se fera sur deux listes doubles de candidats : l’une présentée par le sénat, qui, vous le croirez facilement, ne montrera pas une propension trop vive à nommer des hommes au-dessous de quarante ans ; l’autre par la cour de cassation elle-même qui se montrera jalouse de ne s’adjoindre que des hommes dignes d’elle. Il me semble que cette double garantie suffit bien pour lever les scrupules de M. Fleussu, scrupules fort légitimes, sans doute, mais que je crois exagérés.
M. Fleussu. - Je veux pour former la cour de cassation, ni des jeunes gens, ni des vieillards, mais des hommes mûrs aux affaires. On a dit que c’était bien assez de fixer leur âge à 35 ans quand la constitution permet à un citoyen de représenter son pays dans cette chambre à 25. Cet exemple, messieurs, prouve trop, et par cela même il ne prouve rien. Car, de ce que vous admettez dans cette chambre un représentant qui n’est âgé que de 25 ans, il fallait en conclure qu’à cet âge on peut être conseiller ; il faudrait d’après ce système déclarer apte à tout, au homme de 25 ans, et cependant on exige des sénateurs qu’ils soient âgés de 40.
Voulez-vous, au reste, savoir le motif de la différence qui doit exister entre un représentent et un conseiller à la cour de cassation ? Celui- ci est nommé à vie, il vote en secret, et la voix d’un jeune homme de 25 ans aurait autant de poids que celle des plus anciens magistrats. Tandis qu’un représentant du même âge n’est ici pour ainsi dire qu’en passant. Si les électeurs ne sont pas contents de lui, dans deux ou quatre ans ils lui retireront son mandat et il n’y rentrera plus. Ici l’abus cesse avec un mandat d’assez courte durée ; là l’abus dure autant que la vie du magistrat. Il me semble qu’à 35 ans un homme n’a pas assez l’expérience des affaires, il peut avoir assez d’instruction, je le sais, pour remplir la place de conseiller. Mais a-t-il donné les gages nécessaires d’une vie toute de probité, d’une vie toute d’indépendance ? Non, et c’est pour cela que je crois devoir persister dans mon amendement.
M. Helias d’Huddeghem. - Je demande la parole. Je ne suis pas d’avis qu’on fixe l’âge des avocats-généraux à 35 ans ; il suffit selon moi qu’ils aient atteint les trentième année.
M. le président. - Ceci ne concerne pas l’amendement de M. Fleussu.
M. Lebeau. - On peut parler sur tous les amendements.
M. le président. - Sans doute ; mais il me semble qu’il vaudrait mieux, puisque nous y sommes, évacuer celui de M. Fleussu.
M. Helias d’Huddeghem. - Si on le veut ainsi, je ne m’y oppose pas.
M. Devaux. - Si en établissant qu’on ne peut être conseiller de la cour de cassation qu’à l’âge de 40 ans, l’âge moyen de la cour se trouvait fixé à 40 ans, je ne m’opposerais pas à l’amendement de M. Fleussu. Mais voici ce qui arrivera : c’est que l’âge étant fixé à 40 ans, l’âge moyen se trouvera être de 50 ans. Vous pouvez trouver une preuve de ce que je dis sans aller bien loin d’ici, prenez l’exemple du sénat. L’âge pour faire partie de cette chambre est fixé à 40 ans, et assurément les sénateurs de l’âge de 40 ans en forment la portion la plus minime. Je crois donc que ce serait aller trop loin que d’exiger 40 ans pour être appelé à siéger à la cour de cassation, et que l’âge de 35 ans est bien suffisant.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Après tout ce qui a été dit sur l’amendement de M. Fleussu, j’aurai peu de chose à ajouter. Dans le projet du gouvernement, l’âge des membres de la cour de cassation était celui de 30 ans. Dans la section centrale, on a cru convenable de fixer un âge plus avancé et on a exigé celui de 35 ans. J’ai cru devoir me rallier à cette proposition ; mais je ne pense pas que l’on doive aller jusqu’à 40 ans : à 35 ans, la plupart des hommes qui suivent la carrière du barreau, ou celle de la magistrature, ont pu y donner assez de preuve de talent, de capacité, de probité pour que le choix puisse être fixé sur eux sans rien hasardé. Je crois donc qu’il faut maintenir l’article tel qu’il a été rédigé par la section centrale.
- L’amendement de M. Fleussu est mis aux voix et rejeté.
M. le président. - Vient maintenant l’amendement de M. Gendebien, qui demande que les avocats-généraux ne puissent être âgés de moins de 35 ans.
M. Helias d’Huddeghem. - Je voterai contre cet amendement, et voici pourquoi. Dans tous les règlements existants jusqu’à ce jour, l’âge des divers membres de l’ordre judiciaire a été établi suivant une gradation dont je ne vois pas de raison de m’écarter. Ainsi, les procureurs du roi d’un tribunal de première instance doivent être âgés de 27 ans, leur substitut de 22 ; un procureur-général doit être âgé de 30 ans, son substitut de 25. Enfin, à la cour de cassation en France, tandis que 40 ans sont exigés pour les conseillers, à 30 ans, on peut y être avocat-général ou substitut. Puisque nous maintenons ces règlements en vigueur, maintenons aussi l’échelle qu’ils établissent. Si on choisit des hommes jeunes pour remplir les fonctions du parquet, c’est qu’il leur faut de la vigueur pour y briller et s’y distinguer.
M. Leclercq. - Messieurs, la section centrale a cru devoir établir une différence entre les conditions d’âge requises pour être avocat-général et pour être président ou conseiller de la cour de cassation parce qu’elle a considéré qu’il existait une grande différence entre l’importance des fonctions de conseiller ou président d’une part, et celles d’avocat-général de l’autre.
Le conseiller juge et opine en secret : de sa décision dépendent la vie et l’honneur des citoyens. L’avocat-général, au contraire, ne donne qu’un avis, sa voix n’est que consultative ; de là une grande différence dans les suites que peuvent entraîner les erreurs de l’un ou de l’autre. L’erreur d’un président ou d’un conseiller tue ou ruine ; l’erreur d’un avocat-général peut être rectifiée par la cour elle-même. Voilà la différence que la section centrale a prise en considération, et qui explique la différence des garanties à réclamer. Ce que je viens de dire s’applique en grande partie à la différence de garanties que l’on doit exiger entre un procureur-général et l’avocat-général. Ils exercent tous deux les mêmes fonctions à l’audience, il est vrai, mais le procureur général est le chef du corps, il a la surveillance sur tous les parquets : c’est lui qui décide des pouvoirs à faire dans l’intérêt de la loi ; les fonctions ont, comme on voit, une toute autre importance, il est naturel qu’on exige de lui des garanties plus fortes.
M. Gendebien. - Je n’ai pas entendu réfuter la principale raison que j’ai donnée à l’appui de mon amendement. Il faut, dit-on, qu’un homme du parquet soit jeune, qu’il ait de la vigueur ; oui, sans doute ; mais il faut aussi qu’il ait de l’expérience, et je dis que, autant dans l’intérêt général que pour l’honneur du corps, elle lui est plus nécessaire encore qu’à un conseiller. Un conseiller peut commettre une erreur dans le conseil, mais au moins cette erreur n’est pas publique, elle reste inconnue, elle ne déconsidère pas le corps dont il fait partie, tandis que l’erreur d’un avocat-général, et il en commettrait d’autant plus qu’il serait plus au-dessous de l’âge de 35 ans, son erreur, dis-je, est publique, elle peut être préjudiciable au corps et au public en même temps.
Si vous voulez avoir de bons avocats-généraux, ayez des hommes d’expérience ; sans cela vous aurez au parquet des champions qui, loin de bien remplir leur tâche, seront là toujours prêts à dire des niaiseries et à jeter un vernis de ridicule sur le corps même devant qui ils sont appelés à parler. Remarquez que pour être conseiller il faut subir un double contrôle, le contrôle du sénat, et le contrôle de la cour de cassation, car il faut passer par cette double étamine pour siéger à cette cour ; au lieu qu’un avocat-général peut y arriver d’emblée ; il suffit pour cela d’être inscrit sur un tableau, et d’avoir figuré quelquefois au barreau.
Il n’est pas difficile d’induire un ministre en erreur sur le mérite et les talents d’un candidat, et on peut fort aisément lui arracher de mauvaises nominations ; pour être nommé conseiller au contraire, il faudra les suffrages de la cour elle-même, qui sera toujours très capable de juger du mérite des candidats. Je pense donc qu’il faut mettre les avocats-généraux et les conseillers du même niveau, pour ce qui est de l’âge. Jusqu’ici, je le répète, on n’a pas répondu à mon amendement et tant qu’on n’y a pas répondu je persisterai dans mon amendement.
M. Jullien. - J’ai très peu de mots à dire. J’appuie l’amendement de M. Gendebien, par la raison que l’avocat général remplit réellement les fonctions de procureur-général. Vous aurez en effet deux chambres à la cour de cassation. Or, le procureur-général ne peut pas siéger dans toutes les deux. Il faudra donc qu’un avocat-général siège dans l’une d’elles, le plus souvent même il n’y aura que les avocats généraux qui y siègeront, parce que le procureur-général aura bien d’autres occupations. Dès lors en vérité je ne vois pas pourquoi on établirait entre eux une différence.
M. Helias d’Huddeghem. - A la cour de cassation de Paris, où les conseillers doivent être âgés de 40 ans, on peut être avocat-général à 30. Nous qui dévions de l’échelle de gradation sous le premier rapport, puisque nous fixons l’âge des conseillers à 35, je ne vois pas pourquoi nous y dévions dans un sens tout contraire.
M. Gendebien. - Je vous l’ai dit deux fois, je viens de vous le dire.
- L’amendement de M. Gendebien est mis aux voix et adopté.
L’amendement de M. Devaux, relatif à l’admission de professeurs de droit à la cour de cassation, est mis en discussion.
M. Lebeau. - J’appuie l’amendement de M. Devaux. Je dirai qu’en droit il n’y a pas d’incompatibilité entre les fonctions de professeur et la profession d’avocat, mais l’incompatibilité existe par le fait. Les immenses études qu’un professeur est obligé de faire lui interdisent en quelque sorte la fréquentation du barreau. Une science qui embrasse tant de points, qui exige tant d’application et de persévérantes études, ne leur permet pas de vaquer à d’autres occupations. Les professeurs ont eux-mêmes senti qu’ils devaient s’abstenir de plaider, c’est ce qui s’est passé à Liége. Là des professeurs habiles, à l’école desquels se sont formés des jurisconsultes profonds, des avocats dont s’honore le barreau, se sont toujours abstenus de la pratique des affaires, pour s’adonner tout entier à une science qui a fait depuis 40 ans d’immenses progrès.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je ferai une simple observation. L’intention de la section centrale doit avoir été de comprendre dans les mots « exerçant des fonctions judiciaires » tous ceux dont la profession touche à l’étude du droit, et par conséquent, les professeurs de cette science. Comme l’a dit M. Gendebien, ils se trouvent compris dans l’article, soit sous l’expression « ayant suivi le barreau », soit sous celle « ayant exercé des fonctions judiciaires. » Il est certain que les professeurs de droit n’exercent pas des fonctions judiciaires, mais ils peuvent suivre le barreau, donc l’article leur est applicable. Du reste, si on veut les désigner expressément, je n’y vois pas d’inconvénient.
M. Destouvelles. - M. le ministre de la justice assistait aux délibérations de la section centrale, et il doit se rappeler que la question n’y a pas été soulevée. Vous avez entendu les raisons qui ont été données pour et contre ; ce sont des hommes, vous ont dit les uns, qui n’apporteront dans les discussions d’autre fruit que leurs théories ; les autres vous ont rappelé les services éminents rendus à la science, et le barreau formé à leurs leçons. Ces allégations réciproques ne sont pas du tout incompatibles. Pour professer s’il faut savoir les théories, on pourrait dire que pour appliquer les lois, il faut unir la théorie à la pratique ; toutefois je ne veux pas trancher une question aussi importante. Mais je le répète, la section centrale ne s’en est pas occupée, on n’y a seulement pas pensé.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Dans le projet du gouvernement, on avait mis les mots : « ayant exercé des fonctions publiques. » Là se trouvaient évidemment compris les professeurs. Quant à l’observation faite par le préopinant, qu’à la section centrale on ne s’est pas occupé de la question, cela est vrai ; aussi ne l’ai-je pas dit, j’ai seulement exprimé l’opinion que la section centrale avait dû le penser ainsi. Je ne vois au reste aucun motif d’exclure les professeurs.
M. Devaux. - Je ferai remarquer, comme je l’ai déjà fait tantôt, que les conseillers étant nommés sur deux listes doubles, c’est une garantie qu’on ne nommera pas des hommes tellement théoriques qu’ils ne soient pas aptes à remplir leurs fonctions. D’ailleurs, vous le savez, la cour de cassation est le plus théorique des tribunaux, il ne s’occupe à proprement parler que de théories, les questions de fait lui étant étrangères. Je trouverais fort singulier que les Carré, les Toullier, les Pothier, si nous avions le bonheur de posséder en Belgique des illustrations de ce genre, ne pussent pas être nommées conseillers de la cour de cassation, parce qu’ils sont professeurs. Pour moi je voudrais qu’il fût possible de la composer exclusivement de pareils hommes. D’un autre côté les fonctions de professeur ne sont pas tellement attrayantes qu’après un long professorat, ils ne puissent pas avoir la perspective d’obtenir une honorable retraite, en entrant dans le premier corps judiciaire de l’Etat.
M. Leclercq. - De ce qu’il existe une garantie pour la bonne composition de la cour, dans la présentation d’une liste double de candidats, il n’en résulte pas que toute condition de candidature soit inutile, car de là il en faudrait conclure que l’article est inutile. On dit que la cour de cassation ne s’occupe que de théories, de questions de droit ; oui, mais ces questions se lient essentiellement à des questions de fait, il faut avoir, pour les résoudre, la pratique et l’habitude des affaires. On vous a cité de grands exemples ; on vous a nommé Pothier, Toullier, Carré ; et de tels hommes, vous a-t-on dit, ne pourraient pas être membres de la cour de cassation ? Messieurs, que ces exemples ne vous séduisent pas : Pothier était juge lui-même, en même temps que professeur ; MM. Toullier et Carré étaient avocats ; et si le dernier n’exerce plus, c’est à cause de son grand âge.
M. le président. - Voici l’amendement de M. Devaux : « ou avoir rempli pendant le même temps les fonctions de professeur de droit dans une université. »
- Plusieurs voix. - Ce sera sauf rédaction. (Oui ! oui !)
- On met aux voix l’amendement. L’épreuve et la contre-épreuve sont douteuses. (L’appel nominal ! l’appel nominal !)
M. le président. - On va recommencer l’épreuve, l’appel nominal sera peut-être inutile.
- On fait une seconde épreuve, elle est encore douteuse. On réclame l’appel nominal, il y est procédé ; en voici le résultat :
Pour l’amendement 27, contre 34.
Le paragraphe 2 est ensuite mis aux voix et adopté.
M. Mesdach propose un amendement ainsi conçu : « Nul ne peut être nommé commis-greffier, s’il n’a 25 ans accomplis, s’il n’a obtenu le grade de docteur ou de licencié en droit et suivi le barreau ou exercé des fonctions judiciaires pendant trois ans. »
M. Taintenier. - Il faudrait ajouter : « ou de greffier près d’un tribunal. »
M. le président. - Veut-on ajouter ces mots ? (Oui ! oui !) On dira donc : « ou de greffier pendant 5 ans. »
M. Lebeau. - Qui dit 5 ans ? Personne ne le demande.
M. le président. - Il me semblait l’avoir entendu.
M. Bourgeois. - Je n’ai pas d’objection contre l’amendement, mais j’en trouve la rédaction dure : « nul ne peut être. » Il me semble que l’amendement pourrait être adopté sauf rédaction. (Appuyé ! aux voix ! aux voix !)
M. Jonet. - Si on adopte l’amendement tel qu’il est rédigé il s’en suivra que le greffier d’un tribunal de première instance ne pourra devenir que commis-greffier de la cour de cassation. Il me semble que pour mettre en harmonie le deuxième avec le troisième paragraphe, il faudrait reporter dans les deux les mots qui se trouvent dans l’amendement de M. Mesdach.
M. Leclercq. - Tout l’embarras vient de ce qu’on impose des conditions pour être commis-greffier. Ce n’a pas été une omission de la part de la section centrale que de ne rien proposer à ce sujet. Le greffier étant responsable des commis qu’il emploie, la section centrale a pensé qu’il était juste qu’il concourut à leur nomination. On peut être certain, à cause de la responsabilité qui pèse sur lui, qu’il ne choisira que des hommes capables.
M. A. Rodenbach. - Et le népotisme ?
M. Jonet. - Je propose de mettre au paragraphe 2 les mêmes mots qu’au paragraphe 3.
M. Gendebien. - Décidons d’abord la question posée par M. Leclercq.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - La question a été présentée sous son véritable point de vue par l’honorable M. Leclercq. Le greffier est responsable des commis qu’il emploie ; il l’est civilement de leurs délits et de leurs crimes. Aussi, sous la législation existante, c’est lui-même qui nomme ses commis. Ce n’est qu’en 1828 qu’une modification fut apportée à cette législation. Il résulte de l’arrêté royal qui fut rendu à ce sujet, que le roi nommerait les commis sur la présentation du greffier. De graves difficultés s’élevèrent à la suite de cet arrêté. On finit cependant par reconnaître les droits du greffier, et l’arrêté fut interprété en ce sens que le greffier nommerait ses commis, mais qu’ils n’exerceraient qu’après avoir reçu l’institution royale. C’est en effet tout ce qu’on pouvait exiger ; car les commis-greffiers ne sont pas des hommes publics, ils ne sont que les agents du greffier.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis admettre que le greffier apprécie seul les qualités de ses commis-greffiers, car il pourrait choisir qui bon lui semblerait, et il me semble qu’il en résulterait des inconvénients graves. La cour de cassations sera composée de deux chambres. Chacune doit être assistée d’un greffier. Le greffier pourra donc envoyer à l’une d’elles qui il lui plaira ; le premier particulier venu qui ne sera pas même docteur ou licencié en droit ; cela est impossible.
M. Mesdach. - M. le ministre des affaires étrangères a dit que le greffier nommait lui-même ses commis : c’est une erreur. D’après les articles 55 et 56 de la loi du 6 juillet 1810, il les présente, mais ne les nomme pas.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Il me semble que l’objection de l’honorable M. Dumortier n’a ébranlé en rien les observations de M. Leclercq et de M. le ministre des affaires étrangères. En effet, le commis-greffier n’est appelé ni à y porter la parole, ni à juger, mais seulement à tenir procès-verbal exact de la séance, et pour cela il n’est pas nécessaire d’être docteur en droit, ni par conséquent, de gêner le greffier dans le choix de ses commis, alors surtout que sa responsabilité vous est un garant de la convenance de son choix.
M. Verdussen. - Il me semble que le deuxième paragraphe de l’article 4 a tranché la question. Je ne peux pas admettre la doctrine de M. Leclercq ni celle du préopinant, parce que si le greffier vient à quitter sa place, je ne crois pas que son successeur puisse renvoyer les commis-greffiers qu’il trouvera en place et en nommer d’autres. S’il avait ce pouvoir, je concevrais la doctrine de M. Leclercq, sans cela je ne pourrais la comprendre.
M. Leclercq. - On n’a pas répondu à mon observation, que le greffier étant responsable des faits de ses commis, c’est à lui que doit en appartenir le choix ; et que ceux-ci ne jugeant pas, il n’est pas nécessaire d’exiger des conditions aussi rigoureuses que s’il s’agissait de magistrats.
Mais, dit-on, il dépendra alors du greffier de prendre pour commis le premier venu. Non, il ne le fera pas, parce qu’il est intéressé à ne pas le faire ; il est intéressé moralement et pécuniairement, puisqu’il est seul responsable. Comment supposer qu’un greffier serait assez fou que de choisir pour son commis un homme dont il répond, s’il croyait à tout moment que cet homme-là pourrait le compromettre ? Non, son intérêt nous est un sûr garant qu’il ne choisira que des individus probes et capables.
Mais si le greffier vient à quitter sa place, dit-on, son successeur devra-t-il donner sa confiance aux commis choisis par son prédécesseur ? mais, messieurs, on ne quitte pas un greffe du jour au lendemain ; et d’ailleurs quand un greffier aura choisi des commis, il l’aura fait dans la prévision d’un assez long avenir ; et s’il meurt bientôt après, son successeur peut être tranquille, il saura bien que celui à qui il succède avait intérêt à ne faire que de bons choix.
M. A. Rodenbach. - Je ne partage pas l’avis du préopinant. Il ne faut pas que le greffier puisse nommer seul ses commis. Il y a toujours du népotisme dans ces choix ; il placera ses frères, ses cousins germains, sans trop regarder à la capacité. Il vaudrait mieux que la cour fît elle-même le choix des commis-greffiers.
M. Lebeau. - Si l’article n’était pas adopté, on pourrait discuter l’opinion du préopinant.
M. A. Rodenbach. - On y reviendra ! on y reviendra ?
M. Lebeau. - Mais la question a été décidée par cet article. Je crois au reste que ce qu’a dit M. Leclercq ne suffit pas pour établir que, parce que le greffier a intérêt à ne faire que de bons choix, il faut écarter toutes les autres conditions.
Le greffier ne peut répondre de ses commis que pécuniairement ; mais le commis-greffier est un fonctionnaire public quand il tient l’audience. Il donne le caractère d’authenticité aux arrêts qu’il signe. Supposons qu’il altérât un de ses actes. Deux actions seraient ouvertes contre lui, une action criminelle, et une action en dommages-intérêts. Celle-ci seule atteindrait le greffier, l’autre ne concernerait que son commis. Je crois qu’il faut pour le public autre chose que la garantie du code pénal. D’ailleurs, quand pour arriver à des fonctions judiciaires, quand pour passer avocat, il faut faire des études longues et coûteuses, il serait juste, ce me semble, d’accorder la préférence des emplois comme celui dont il s’agit, de donner la préférence à ceux qui les ont faites.
M. Fleussu. - Je voulais dire la même chose.
M. Gendebien. - Il ne faudrait pas exiger d’autres conditions que celui de licencié en droit.
Une voix. - L’âge !
M. Gendebien. - Oui, l’âge doit être déterminé. Moyennant ces deux conditions, je crois que nous aurons fait tout ce qu’il était possible de faire. Le reste ne mérite pas la peine de s’en occuper. (Appuyé ! appuyé !)
M. le président. - Ainsi les dispositions relatives aux commis-greffiers se réduiraient à celles-ci : « Nul ne peut être commis-greffier s’il n’a 20 ans accomplis et s’il n’est docteur ou licencié en droit. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - On va fermer la porte aux commis-greffiers des autres cours ; on va les empêcher de pouvoir devenir commis-greffier de la cour de cassation. Il me semble cependant que les commis-greffiers des cours ont un titre, et qu’après avoir exercé leurs fonctions pendant un certain nombre d’années, ils sont capables d’être commis-greffiers à la cour de cassation.
M. Jullien. - On pourrait ajouter ; « Sont assimilés aux licenciées en droit, ceux qui ont exercer pendant tant de temps les fonctions de commis-greffier près des cours et tribunaux. »
M. Lebeau. - Je ferai une motion d’ordre comme celle qu’a fait tout à l’heure M. Jonet. Il faut avant tout modifier le second paragraphe de l’article 5, pour le mettre en harmonie avec le troisième ; et je propose la modification suivante : « Nul ne peut être nommé greffier s’il n’a 30 ans accomplis, s’il n’a obtenu le grade de docteur ou de licencié en droit, et suivi le barreau ou exercé soit des fonctions judiciaires, soit de greffier d’une cour d’appel pendant 5 ans. »
M. Devaux. - Cet amendement ne remplit pas encore le but qu’on se propose ; il n’en faudrait pas moins que le greffier soit licencié ou docteur en droit.
M. le président. - Sans doute, il n’y a rien à retrancher dans l’amendement.
M. Devaux. - Veut-on que le greffier près d’un tribunal ne soit pas greffier de la cour de cassation ? Faut-il avoir été greffier d’une cour ? Est-ce là l’intention ? (Oui ! oui !)
- La proposition de MM. Jonet et Lebeau est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Il y a un troisième paragraphe : « Nul ne peut être nommé commis-greffier s’il n’a 25 ans accomplis et s’il n’est docteur ou licencié en droit. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Par cette disposition on va exclure les commis-greffiers des cours. Je conçois, messieurs, que l’on exige le grade de docteur ou licencié en droit sans exiger en même temps d’avoir suivi le barreau ; mais il me semble que l’on ne doit pas exclure les commis-greffiers des cours qui ont montré de l’aptitude dans leurs fonctions et qui sont déjà au fait du service. (Aux voix ! aux voix !)
M. Jullien. - Ajoutez : « ou s’ils n’ont exercé les fonctions de commis-greffier pendant 5 ans dans une cour. »
M. Dumortier. - Il faut nécessairement avoir fait des études en droit pour être commis-greffier près de la cour de cassation chargée d’examiner si les lois ont été violées ou mal appliquées.
Il n’est pas possible de mettre près de cette cour des gens sans études. Mais, dit-on, il est dans l’intérêt du greffier, juge en pareil cas, de faire de bons choix : messieurs, moi je crois qu’il faut des conditions sévères, et il les faut d’autant plus sévères que comme on l’a très bien fait observer, les greffiers ont des frères, des cousins.
Il y a encore une autre considération qui doit déterminer à poser des conditions pour être aptes à remplir les fonctions de commis-greffier, c’est que ces conditions forceront nécessairement la jeunesse, en Belgique, à se livrer à des études graves.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je demanderai que l’on mette à la fin du paragraphe : « ou s’il n’a exercé pendant un certain temps... »
M. Gendebien. - Trois ans !
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Les fonctions de greffier ou de commis près d’une cour. »
- Une voix. - Ou d’un tribunal !
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - « Ou d’un tribunal. » Il faut laisser la perspective de l’avancement aux greffiers des cours ou des tribunaux.
- Le sous-amendement de M. le ministre est mis aux voix et adopté.
L’amendement tout entier est ainsi conçu :
« Nul ne peut être commis-greffier s’il n’est âgé de 25 ans accomplis, s’il n’est docteur ou licencié en droit, ou s’il n’a exercé les fonctions de greffier ou commis greffier près d’une cour ou près d’un tribunal pendant 5 ans. »
- Cet amendement, sauf rédaction, est adopté.
L’article 5 est adopté.
La séance est levée à 4 heures et un quart.
Noms des membres absents à la chambre des représentants, séance du 4 juin : MM. Angillis, Berger, Cols, Dams, Ch. de Brouckere, H. de Brouckere, H. de Foere, Delehaye, W. de Mérode, de Sécus, de Woelmont, Domis, Dubus, Dumont, F. Gelders, Legrelle, Pirson, Rogier.