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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 22 mai 1832

(Moniteur belge n°145, du 23 mai 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

A midi et demi, la séance est ouverte.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel, il est fait lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Plusieurs mémoire adressés à la chambre sont renvoyés au comité des pétitions.

Projet de loi monétaire

L’ordre du jour est la suite de la discussion sur les monnaies.

Discussion des articles

Article 24

« Art. 24 (de la section centrale). - « Jusqu’à disposition législative ultérieure, les pièces de monnaie en circulation dans le royaume frappées, soit dans les provinces, soit en exécution de la loi du 28 septembre 1816, continueront d’y avoir cours, et seront reçues sur le pied des taux existants, en raison de 47 cents et un quart pour franc. »

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, la section centrale a proposé un amendement pour remplacer les articles 22, 23, 24 et 25 du projet de loi présenté par le gouvernement. Un honorable orateur, M. le baron Osy, a déjà fait ressortir les inconvénients qu’il y aurait à recevoir pour leur valeur nominale les pièces d’or. D’accord avec lui, je conviens que la valeur relative de la pièce de 10 florins est de 47,937 ; c’est là sa valeur relative de pièce à pièce, en y comprenant les frais de fabrication. Le trésor belge ne peut considérer les pièces d’or des Pays-Bas que comme des lingots. Par conséquent, la pièce d’or du poids de 6,729 grammes, au titre de 0,900, au prix de 3434,44, ne vaut que 48,8, c’est-à-dire que le franc en or ne vaut que 48,8 cents.

En outre, il y a toujours les frais d’échange. Le poids primitif des pièces d’or n’est plus le poids des pièces quand elles sortent de la monnaie ; et le gouvernement, par cette considération, ne pourrait les recevoir dans les caisses de l’Etat qu’au taux de 48 174, autrement il serait exposé à perdre.

On a proposé de frapper les pièces qui resteraient en circulation d’une estampille. D’abord, il y aurait beaucoup d’embarras, beaucoup d’inconvénients à pouvoir le faire. L’embarras serait grand et pour le gouvernement et pour les propriétaires des monnaies d’or des Pays-Bas qui les ont reçues de bonne foi, et qui les ont reçues pour leur valeur nominale. En ce moment, il n’y a aucun danger qu’ils puissent perdre ; il y a un agio de un demi pour cent.

Quant aux monnaies d’argent, la faute commise dans la loi de 1816 est de telle nature que les pièces de trois florins, de un florin, de 50 cents, de 25, de 10 et de 5 cents, peuvent être reçues dans les caisses de l’Etat pour leur valeur nominale.

Avec les monnaies d’argent en circulation on pourrait fondre de nouvelles monnaies, sans éprouver de perte. Je dirai même qu’il y aurait de bénéfice.

Relativement aux monnaies de cuivre, il y aurait quelque danger à les admettre, à les laisser dans la circulation. Un gouvernement voisin aurait intérêt à nous inonder de cuivre, sur lequel il aurait des avantages considérables. Jusqu’ici le gouvernement hollandais, ou le gouvernement des Pays-Bas, a payé le cuivre jusqu’à 2 florins et 12 cents le kilogramme, et 30 cents pour la fabrication. Il lui restait peu d’avantages. Aujourd’hui, le gouvernement belge émettra des monnaies de cuivre plus pesantes que les anciennes ; elles aurons moins de valeur nominale, et néanmoins le gouvernement y trouvera un bénéfice assez considérable.

On a donc un intérêt à fixer une époque à laquelle l’échange des monnaies de billon aura lieu ; et il convient que ce soit le pouvoir exécutif qui fixe cette époque.

L’équité veut, messieurs, que les monnaies frappées dans les provinces belges restent encore quelque temps en circulation, qu’elles aient un cours légal. Leur quantité est peu considérable et dans le budget de 1833 on pourra consacrer une légère somme afin de faire disparaître ces monnaies, en les soumettant à une nouvelle fabrication.

M. Osy. - D’après les calculs du ministre des finances il est bien prouvé que la pièce d’or des Pays-Bas ne vaut que 48 cents ; de là résulte que si vous adoptez le projet de M. d'Elhoungne, que si vous estampillez les pièces d’or en circulation, vous occasionnerez une perte d’au moins un demi pour cent ; et de plus il serait impossible d’exécuter la loi.

La Hollande vous enverrait continuellement son or pour garder vos pièces de 5 francs ; de sorte que vous seriez toujours obligés, en une époque déterminée, de ne plus admettre l’or qu’à sa véritable valeur qui est 48 1/4.

Il y a plus ; le trésor ne pourrait plus mettre en circulation les pièces de dix florins qui rentreraient au trésor ; il serait obligé de les fondre.

D’après ces considérations, je suis de l’avis de M. le ministre des finances de prendre les pièces d’or à 48 174.

Quant au cuivre, nous ne pourrions plus prendre à 47 174 les anciens cents. Il me paraît que l’article 25 n’est pas assez formel. Il faut mettre dans cet article que c’est le pouvoir exécutif qui fixera l’époque de la démonétisation des anciennes pièces ; ou bien fixons dès aujourd’hui ce terme nous-mêmes.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Voici comment est conçu l’article 25 : « Les pièces de monnaies étrangères, d’or ou d’argent, au même titre et au même poids que les pièces de la monnaie nationale, seront reçues dans les caisses de l’Etat, pour la même valeur que celles-ci. » Si, par cet article, vous croyez ne pas avoir donné au Roi le pouvoir de fixer l’époque à laquelle l’échange aura lieu, alors je prierais la chambre de faire une addition à l’article, et de dire que l’époque dont il s’agit est déterminée par le pouvoir exécutif.

M. d’Elhoungne. - Il s’agit de savoir qui doit supporter la perte résultant de la refonte des monnaies ; sera-ce le propriétaire de la monnaie ou l’Etat ? Le propriétaire de la monnaie l’a reçue sous la foi publique ; c’est sous cette garantie que les débiteurs sont venus se libérer ; vous ne pouvez, sans faire en quelque sorte banqueroute, imposer une perte au détenteur de la monnaie décriée.

Lorsqu’on envisage ainsi la chose, vous voyez que la question se réduit à des termes fort simples. Il n’y a personne dans cette enceinte qui veuille manquer à la foi publique, pour ne pas faire éprouver au trésor une perte peu considérable quand il s’agit de conserver au gouvernement la confiance publique, bien moral inestimable bien plus précieux que un ou deux millions qu’il pourra en coûter. Sous ce rapport, je ne crois pas que la question puisse trouver des objections sérieuses.

Mais il sera impossible de mettre à exécution la loi sur le système monétaire, parce que la Hollande ne cessera de fabriquer des guillaumes sur lesquels elle gagne deux à deux et demi pour cent, en comparant la valeur réelle de la pièce à sa valeur marchande ; rappelez-vous, dit-on encore, que l’ancien gouvernement, quand il était obligé de racheter les napoléons pour les fondre en guillaumes, gagnait alors un et un plus un tiers pour cent. L’opération continuera, par conséquent ; elle est trop lucrative pour qu’on n’altère pas nos nouvelles espèces.

Messieurs, il y a un moyen de sortir de cet embarras ; c’est d’ordonner que dans un délai déterminé on fera mettre une estampille sur les monnaies dont le millésime est de 1830 et sur les monnaies fabriquées antérieurement.

Par là vous pouvez, le délai écoulé, dire que les pièces d’or qui n’auront pas été estampillées cesseront d’avoir cours légal dans nos provinces. Dès lors tout le monde est prévenu, tout le monde a pu se mettre en règle, et la perte sera supportée par le trésor.

Cet estampillage donnera des embarras aux porteurs des espèces ; mais ceux qui voudront éviter tout embarras s’adresseront aux banquiers.

Messieurs, je pense avoir déjà suffisamment répondu à cette objection en faisant remarquer que c’est au trésor à supporter la perte ; que cette condition résulte d’engagements légaux ; que le gouvernement doit respecter plus que jamais de tels engagements.

Mais, dit-on, il faudra également estampiller le cuivre. Messieurs, je ne pense pas que l’opération soit nécessaire. Quoique notre position financière ne soit pas brillante, quand le gouvernement le voudra, il pourra retirer les monnaies de cuivre sans faire subir de perte à qui que ce soit ; il lui suffira d’ordonner à ses agents fiscaux d’envoyer à la monnaie les cents et des demi-cents et toutes les monnaies de cette nature. Cette opération peut se faire assez facilement. D’ailleurs, la Hollande n’a pas de grands avantages à fabriquer les pièces de 5 cents ; cette fabrication procure très peu de bénéfices.

Mais, ajoute-t-on, il y a des monnaies de billon ; messieurs, si j’ai bonne mémoire, le billon qu’on nous a donné contient beaucoup d’alliage et contient en même temps la quantité d’argent nécessaire pour l’élever à sa valeur nominale ; alors il y aurait perte à fabriquer du billon.

La monnaie de billon ne contient qu’un surcroît d’alliage, c’est une perte pour le gouvernement qui en fabrique. La Hollande, bien loin de gagner dans cette fabrication y a perdu ; et la preuve c’est que le billon a presque toujours disparu de la circulation.

On dit : mais on soustraira de la circulation nos pièces de 5 francs ainsi que nos monnaies d’or et l’on nous enverra des guillaumes.

Quant aux pièces de 5 francs je ne me suis pas encore aperçu que la Hollande ait fait cette opération contre la France ; et si elle ne la fait pas contre la France, comment le ferait-elle contre la Belgique ? Ainsi l’objection tombe d’elle-même. Ce n’est donc pas sur les monnaies d’argent que l’on fera des spéculations ; c’est sur l’or ; et si vous fixez une époque fatale pour les monnaies d’or des Pays-Bas, monnaies qui forment les onze treizièmes de celles qui ont été émises par le gouvernement des ci-devant Pays-Bas, vous allez causer les plus grands embarras. En suivant cette marche, qu’en résultera-t-il encore : vous faites une véritable banqueroute ; vous faites perdre deux et demi pour cent aux possesseurs des monnaies qui au terme fatal, seront nantis des malheureuses pièces. C’est l’Etat, je le répète, qui doit supporter la perte.

Les pièces devront passer par la main des banquiers pour opérer l’échange. Il y aura encore un autre moyen à employer pour s’en défaire ; ce sera d’acheter des marchandises en Hollande ; et tandis que les magasins des nationaux seront encombrés, on ira vider ceux des Hollandais. Par là vous perdrez tous les bénéfices des opérations de commerce.

Mais, dira-t-on, quel est donc le moyen que vous proposez ? Pour en venir à une solution, au lieu de prendre la rédaction de la section centrale, je fais un léger changement à l’article 24, puis j’y ajoute une nouvelle disposition.

Je dis que l’article ne s’applique qu’aux pièces au millésime de 1830 et des années antérieures ; et je propose les paragraphes suivants.

« Les pièces de 5 et de 10 florins seront soumises à une estampille à dater du 1er janvier prochain.

« L’estampille se fera sans frais pour le possesseur dans les bureaux du trésor à Bruxelles, et dans les provinces dans les bureaux que le gouvernement désignera.

« Les pièces qui n’auront pas d’estampille cesseront d’être reçues dans le royaume.

« Le gouvernement fera retirer les pièces de la circulation à l’expiration du terme fixé. »

On a demandé que le pouvoir exécutif fût investi de la faculté de fixer l’époque à laquelle les monnaies cesseraient d’avoir cours ; messieurs, le gouvernement des ci-devant Pays-Bas a été investi de cette faculté relativement aux monnaies de France qui circulaient dans nos provinces méridionales ; qu’a fait le gouvernement ? Par un arrêté, le roi a fixé la démonétisation à un terme très rapproché, il n’a donné qu’un mois pour tout délai, et pour ajouter à la rigueur de la mesure, le roi a donné aux détenteurs des espèces un espace de temps de 6 jours pour venir à Bruxelles faire l’échange des espèces françaises contre les nouvelles monnaies du pays.

Voilà comment le pouvoir exécutif a rempli des engagements sacrés et fait usage des facultés qu’on lui accorde ; voilà l’exemple que nous avons eus sous les yeux.

En voulez-vous un autre ? Souvenez-vous que les escalins avaient été retirés de la circulation. Un petit arrêté réduisit la valeur assignée aux escalins, et tout à coup cette masse d’anciennes monnaies recueillies par la banque, qui jouissait du privilège de faire tous les recouvrements est jetée dans le public. Peut-être vous propose-t-on la même chose. (Bruit.) Je ne crois pas que vous vous laisserez prendre à cette embûche, elle est trop grossière.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, la bonne foi doit être le mobile de tout gouvernement qui vous inspirer le respect et avoir de la durée. Certes il n’entrera jamais dans les vues du gouvernement de vouloir agir en opposition avec ce que l’équité exige. Messieurs, je rends hommage aux sentiments exprimés par l’honorable M. d'Elhoungne ; mais je dois calmer ses craintes.

L’honorable M. d'Elhoungne craint une perte énorme par suite de la disposition de ne plus admettre dans les caisses de l’Etat les pièces de 5 et de 10 florins ; ce qui doit le rassurer, c’est qu’il n’y a presque plus d’or dans la circulation ; c’est qu’il y a un agio ; c’est que l’or est remplacé par les monnaies françaises, et que, par le mouvement des caisses de l’Etat, je suis certain qu’il n’y a pas plus d’un million de pièces d’or qui soient en circulation, et qui, certes, passeront en Hollande, vu l’état du change et le taux des fonds publics.

Pour le cuivre, j’ai dit, messieurs, que le gouvernement hollandais en a retiré peu d’avantages ; c’est la conséquence de la faute qu’il a commise ; il a payé le métal et la fabrication à des prix trop élevés. Mais, maintenant, s’il usait des principes d’une sage économie, s’il ne mettait pas une trop haute valeur au métal et à la fabrication, il pourrait avoir de grands avantages, et pourrait faire des bénéfices de 40 pour cent.

Dans la refonte des monnaies de billon, nous aurons un avantage ; c’est celui de ne pas affiner ces monnaies : en faisant un alliage mathématique on évitera des frais ; au lieu de perdre on fera un bénéfice.

M. Osy a dit que, lorsque les changes seraient élevés, la Hollande ferait venir les pièces d’or en échange des pièces de 5 francs. C’est alors que nous admettrons les monnaies de Hollande comme monnaies et non comme lingots. Voilà comment il est possible que la Hollande pusse nous envoyer avec avantage une masse d’or.

Je crois, messieurs, que si l’on n’admettait pas les articles 22, 23, 24 et 25, le projet de loi deviendrait inutile, inexécutable.

Quant aux craintes que l’honorable préopinant a émises dans l’intérêt public, je puis le rassurer ; et si à la fin de l’année le gouvernement s’apercevait qu’une perte peut résulter, il serait dans la position de faire faire l’échange par le trésor public, parce qu’il y aura toujours à payer un solde à la Hollande.

M. Verdussen. - Depuis que M. d'Elhoungne a proposé un amendement, ce que j’avais à dire contre son opinion se réduit à peu de chose. Le remède qu’il propose est peut-être un moyen d’empirer le mal. Le mal existe en ceci, c’est qu’on pourrait recevoir indifféremment dans les caisses de l’Etat et dans le commerce, et les pièces de 20 fl. et les pièces de 10 fl. ; tandis que sur les pièces de 10 fl., il y aura une perte de 2 pour cent environ.

Pour obvier à cet inconvénient et pour que l’or hollandais ne vienne pas refluer en Belgique,M. d'Elhoungne demande qu’on estampille l’or ; mais cet or estampillé, sera-t-il toujours reçu dans les caisses de l’Etat, ou bien y aura-t-il un terme après lequel on ne le recevra plus ? Si l’or estampillé était reçu en Belgique, tout l’or hollandais serait bientôt estampillé. Si l’auteur de l’amendement pense qu’il faut recevoir dans les caisses de l’Etat les pièces estampillées, alors il n’empêche pas le mal, car ces pièces circulent dans la Belgique au taux de 47 1/4, les particuliers seront frappés d’un genre de perte que l’Etat doit essuyer.

Voyons ce que dit l’article 24 : « Jusqu’à disposition législative ultérieure, les pièces de monnaie en circulation dans le royaume frappées soit dans les provinces soit en exécution de la loi du 28 septembre 1816, continueront d’y avoir cours, et seront reçues sur le pied des tarifs existants, à raison de 47 cents et un quart pour un franc. »

« Jusqu’à disposition ultérieure, » ce commencement de l’article montre qu’il y aura un terme pour le cours des monnaies de Hollande ; eh bien ! décidons, dès aujourd’hui, que ce terme est fixé au mois de décembre 1832. La cessation du cours est un mal qu’on ne peut éviter ; il doit arriver un peu plus tôt, un peu plus tard. Prenons une résolution.

M. Osy. - La base de toutes nos résolutions doit être la bonne foi, mais nous ne devons pas aller jusqu’à la duperie. Le gouvernement a eu le pouvoir de démonétiser les pièces en circulation ; il a exécuté l’opération à un court terme ; toutes les provinces se sont récriées : elles ont trouvé un grand grief contre le gouvernement dans cette mesure si rigoureuse. Le ministre des finances propose un terme de plus de six mois, nous ne manquerons pas à la bonne loi en disant que nous recevrons les valeurs en or jusqu’au 1er janvier 1833 au cours de la circulation.

Si nous laissons circuler les pièces estampillées, nous éprouverons une perte énorme. Depuis plus de six mois le gouvernement ou plutôt la banque ne met plus les pièces d’or en circulation, parce qu’il y a un agio par là ; elle favorise le projet de loi. Si la disposition de M. d'Elhoungne passait ce serait maintenir l’ancien système et c’est l’ancien système qui prive de l’argent en circulation ; l’or ne valant que 47 1/4 nous perdrions 2 p. c. comparativement à l’argent.

Si, après le 1er janvier 1833, il restait encore de l’or en circulation, le gouvernement n’aurait pas besoin de faire des pièces nouvelles, parce que, devant payer de fortes sommes à la Hollande, on paierait avec ses propres pièces.

M. Legrelle. - Si vous voulez adopter un nouveau système monétaire, il faut écarter l’amendement de M. d'Elhoungne, il est certain que l’or de Hollande valant moins que celui que nous allons fondre, cet or de Hollande va venir ici, et que le nôtre ira en Hollande,M. d'Elhoungne veut faire estampiller les pièces d’or ; mais cet estampillage ne servira à rien, parce que le gouvernement hollandais estampillera ; les particuliers eux-mêmes estampilleront. Il est certain que, entre le prix de 47 1/4 et 48 1/4, il y a une grande différence ; mais cette différence est idéale, car le commerce pourra trouver des circonstances où la perte sera insensible ; jamais les pièces françaises n’ont perdu 1/4 pour cent, quoique le gouvernement ait infligé une perte de un pour cent ; les pièces françaises ont même été au pair. La perte de 1/4 pour cent venait de ce que le change était contraire au change français ; mais actuellement les changes sont pour nous.

Vous n’aurez pas besoin non plus, comme on vous l’a dit, d’acheter des marchandises, pour vous défaire de votre or sans perte ; les fonds publics sont un levier assez puissant pour dispenser d’avoir recours à tout autre moyen.

M. d’Elhoungne. - Il me reste à répondre à quelques objections faites par les honorables préopinants. La plus forte est sur l’estampillage et sur le terme à l’expiration duquel le gouvernement sera en état de retirer des mains des particuliers 109 millions de florins en or.

La situation du trésor est telle que nous devons être extrêmement réservés à fixer un terme pour une opération semblable, qui peut entraver toutes les opérations commerciales et embarrasser le gouvernement, obligé de retirer cette masse d’or et de l’échanger. Ainsi je pense que le terme doit être illimité.

Quand le gouvernement sera en mesure d’effectuer cette refonte d’or, il le fera connaître à la législature ; et la législature est là pour donner aux possesseurs des pièces d’or un terme suffisant pour les échanger, soit en les versant dans les caisses publiques, soit en les portant aux bureaux que le gouvernement doit ouvrir.

Mais, dit-on, dans ce moment nous pouvons faire cette opération sans perte, parce qu’il y a agio sur l’or. S’il y a de l’avantage attaché à la monnaie d’or, nous n’avons pas à craindre que la Hollande vienne nous inonder d’or ; ainsi, au lieu de détruire les arguments que j’ai émis, on les justifie complètement. L’esprit mercantile est trop répandu parmi les Hollandais pour qu’ils viennent répandre de l’or dans nos provinces, lorsque nous jouerons à l’agio.

Mais si l’or a un agio, qui nous assurera que l’agio se soutiendra jusqu’en décembre ou jusqu’au terme fatal qui arrivera ?

Si l’agio ne se soutenait pas, alors les détenteurs de ces espèces seraient forcés ou de supporter la perte au-delà de deux pour cent que présente le projet du ministre, ou de passer par les mains des échangeurs, lesquels, au lieu de payer, vous arrangeront un agio. Si vous ne voulez pas passer par là, vous serez forcé de verser votre or dans les caisses du gouvernement et de perdre deux pour cent.

D’après toutes ces considérations, je ne crois pas qu’il faille insister davantage sur les avantages de mon amendement.

M. Mary. - Nous devons juger le projet d’après les circonstances dans lesquelles nous sommes placés ; et certes, nous ne serons jamais placés de manière à nous débarrasser de l’or de la Hollande ; ainsi cet or nous fera perdre deux pour cent.

Par la démonétisation de l’or hollandais, nous ne manquerons pas de numéraire ; nous nous rallions au système monétaire de France et d’Italie, et ces pays nous fourniront les monnaies dont nous aurons besoin. Ainsi nous pouvons nous débarrasser de tout l’or de la Hollande.

Il est évident que l’on ne peut pas admettre une estampille sur les monnaies hollandaises ; que cette estampille décréditerait les pièces d’or. Nous ne pourrions peut-être plus faire recevoir les pièces estampillées par la Hollande même, et nous serions obligés d’en faire des lingots, ce qui nuirait plus à l’Etat qu’aux particuliers qui perdront. Je crois que nous devons en rester au système ministériel. Au reste je pense que les monnaies de billons et d’argent seront suffisantes pour nos besoins.

- La chambre ferme la discussion sur l’article 24 et sur les amendements.

M. le président fait lecture de l’amendement de M. d'Elhoungne et le met aux voix.

- Cet amendement est rejeté.

L’article 24, présenté par la section centrale, est également rejeté.

Article 22 (du projet du gouvernement)

M. le président. - La discussion s’ouvre maintenant sur l’article 22 du projet du gouvernement. Le voici : « Les pièces d’argent des Pays-Bas, frappées sous l’empire de la loi du 28 septembre 1816, seront reçues au trésor de Belgique, et y circuleront sur le pied de 47 1/4 centièmes du florin des Pays-Bas, pour un franc.

M. d’Elhoungne. - Les pièces ne peuvent pas circuler au trésor de la Belgiqne ; il faut réformer cette rédaction-là.

M. Osy et d’autres membres. - Il faut dire, « seront reçues au trésor et circuleront en Belgique. »

M. le président. - Voulez-vous mettre « circuleront dans le royaume » ?

M. Gendebien. - Dites simplement, « seront reçues au trésor et circuleront ; » à quoi bon la Belgique ou le royaume ? on sait bien que nous ne faisons pas des lois pour les autres.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je proposerai un article dans ce sens.

« Les pièces d’argent des Pays-Bas, frappées sous l’empire de la loi du 28 septembre 1816, seront reçues au trésor et circuleront sur le pied de 47 1/4 centièmes du florin des Pays-Bas, pour un franc. »

- Plusieurs voix. - C’est cela ! c’est cela !

M. Verdussen. - Je crois qu’il faudrait faire précéder cet article par les mots qu’avait admis la section centrale : « jusqu’à disposition législative ultérieure. »

M. le président. - Ces mots se trouvent dans l’article 23.

M. Legrelle.- Il n’y a nulle crainte aujourd’hui que nous soyons inondés de pièces de Hollande ; mais si plus tard elle avait intérêt à frapper des pièces et à nous les envoyer...

M. Osy. - Il est dit dans l’article : « les pièces d’argent frappées sous l’empire de la loi du 28 septembre 1816.

- L’article 22, mis aux voix, est adopté.

Article 23 (du projet du gouvernement)

M. le président. - Voici l’article 23 du projet ministériel : « Les pièces de cinq et de dix florins des Pays-Bas seront reçues au trésor et circuleront sur le pied de 47 1/4 centième de florin des Pays-Bas pour un franc, jusqu’au 31 décembre 1832 ; à partir de cette date, au taux de 48 1/4, et ce jusqu’à disposition ultérieure. »

M. Delehaye. - Il me semble que le terme est trop rapproché. Dans 6 mois vous allez faire perdre 2 p. c. sur les monnaies. Je proposerai à la chambre que ce terme soit reculé jusqu’en décembre 1833. Il n’est pas facile à tout le monde de pouvoir changer la monnaie ; cet échange est facile aux banquiers ; mais pour les petites gens c’est plus difficile, et vous les placez dans la nécessité de perdre deux pour cent.

- Un membre. - Les petites gens ont peu d’or,

M. Delehaye. - Ces gens-là attachent souvent de l’importance à avoir une ou deux pièces d’or. J’insiste pour décembre 1833.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, en admettant l’amendement du préopinant, vous reculez l’exécution de la loi ; mais il est impossible que vous puissiez prolonger la durée du cours d’une monnaie étrangère, dont la valeur nominale est supérieure à la valeur intrinsèque. S’il y a dans le royaume des personnes qui soient dans la situation dont vient de parler l’honorable membre, des ordres seront donnés dans les provinces pour éviter que des pertes poussent avoir lieu.

M. Delehaye. - Un gouvernement, une nation n’éprouvent pas maintenant un besoin indispensable de battre monnaie ; on ne bat monnaie actuellement que par ostentation, que par esprit de nation plutôt que par nécessité. L’or et l’argent qui vous viennent en barre ne forment pas des quantités considérables ; d’ici à la fin de l’année prochaine vous n’aurez pas émis une grande masse de pièces d’or. Ajoutez à cela que votre position financière n’est pas si brillante qu’elle puisse vous permettre de détruire sur-le-champ l’ancienne monnaie. Il paraît même que le gouvernement ne propose la loi que pour convertir des lingots qui nous viennent en argent ; si vous ne convertissez en monnaie que ces lingots à la fin de l’année vous n’aurez pas assez de nouvelles pièces pour remplacer la monnaie existante. Par ces considérations, je persiste dans mon amendement,

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, la Belgique se trouve dans une position toute particulière ; elle peut battre monnaie quand le prix des métaux le lui permettra. Dans tout gouvernement on a toujours vu que changer de système monétaire était onéreux ; il n’est sera pas ainsi pour la Belgique ; loin que le nouveau système monétaire lui soit onéreux, je pense qu’il en résultera pour elle des avantages.

L’emprunt de Calais, l’emprunt de Rothschild, pourra se libérer en lingots.

Si vous donnez un cours légal à une pièce d’or qui a une valeur nominale au-delà de sa valeur intrinsèque, vous empêcherez l’introduction du nouveau système monétaire. Cela est par trop évident.

M. Verdussen. - Pour soutenir son amendement, M. Delehaye dit qu’il y a des personnes qui gardent les pièces d’or par plaisir ; je ne crois pas que leur plaisir soit bien diminué en perdant quelques centimes par chaque pièce.

Je voudrais que les mots « jusqu’à disposition législative ultérieure, » qui commençaient l’article 24 de la section centrale fussent annexés aux articles 22, 23, 24. et 25 qui sont en discussion.

M. Delehaye. - Nous ne considérons ici que les gens aisés, et nous ne considérons pas les gens qui ne le sont pas ; je persiste toujours à dire que le terme est trop rapproché et qu’il n’y a pas une perte bien grande à éprouver à attendre jusqu’à la fin de l’année.

Relativement aux mots : « Jusqu’à disposition législative ultérieure, » je crois qu’ils sont inutiles. La loi actuelle ne peut pas empêcher que la législature ne fasse des lois. Ainsi d’après moi, je crois qu’on peut se dispenser d’admettre cette disposition.

M. Lebeau. - Je croyais que ces mots constituaient un véritable pléonasme législatif ; mais remarquez bien qu’ils renferment un avis donné au public, savoir que les dispositions actuelles ne sont que provisoirement et qu’elles ne sont pas destinées à être permanentes. Je crois que c’est là l’esprit de la loi, la pensée de l’auteur du projet et le sens de l’exposé des motifs. Je pense que cette expression doit se rapporter aux articles 22, 23, 24 et 25, je crois qu’entendus dans ce sens les mots « jusqu’à disposition législative ultérieure » doivent être maintenus. Je le répète, ils sont un avis donné au public, que la loi a un caractère essentiellement transitoire.

- La clôture de la discussion est demandée.

La chambre, consultée, ferme la discussion.

M. le président. - L’amendement de M. Delehaye consiste à fixer le terme au 31 décembre 1833.

M. Delehaye. - Je demanderai au moins jusqu’au 30 janvier 1833.

- L’amendement n’est pas admis,

M. le président. - La rédaction de l’article 23 du projet du gouvernement est maintenue.

M. Osy. - Je demande la parole.

- Plusieurs membres. - La discussion est close.

M. Osy. - Je demande la parole pour la position de la question.

M. le président. - Vous avez la parole.

M. Osy. - Avant de décider si la rédaction de l’article 23 sera maintenue sans addition, il faudrait savoir si l’on adoptera la disposition présentée par M. Verdussen « jusqu’à disposition législative ultérieure. »

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Pour l’article 22, la disposition est superflue ; nous ne serions que trop heureux si, au lieu d’avoir huit ou dix millions d’argent dans notre pays, nous en avions davantage.

Quant à l’article 23, la restriction mise à la fin est faite seulement pour dire que les monnaies d’or ne conserveront pas éternellement un cours légal en Belgique.

La restriction faite ne peut pas rien plus s’appliquer à l’article 25, parce que déjà l’on a autorisé l’échange.

- Les mots « jusqu’à disposition ultérieure » qui terminent l’article 23 sont conservés.

L’article 23 lui-même est adopté.

Article 24 (du projet du gouvernement)

« Art. 24. Les monnaies frappées dans les provinces qui forment actuellement le royaume de la Belgique, comme monnaies provinciales ou du pays, qui circulent encore dans le royaume, seront reçues au trésor et dans la circulation, sur le pied des tarifs actuellement existants.

- Cet article est adopté sans discussion ni amendement.

Article 25 (du projet du gouvernement)

« Art. 25. Les pièces de cuivre du ci-devant royaume des Pays-Bas, seront reçues sur le pied de 47 1/4 cents par franc, jusqu’à ce que l’échange contre même valeur en nouvelle monnaie de cuivre puisse s’effectuer, époque à laquelle elles ne seront plus admises, ni dans les caisses publiques, ni dans le commerce. »

M. le président. - M. le ministre des finances propose un amendement qui consiste à placer après les mots « seront reçues sur le pied de 47 1/4 cents par franc » ceux-ci : « jusqu’à l’époque à fixer par le pouvoir exécutif pour que l’échange contre même valeur, etc. »

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je dois demander la faculté pour le pouvoir exécutif, de pouvoir fixer l’époque de l’échange, d’abord, parce que nous n’avons pas le temps de battre de la monnaie en cuivre immédiatement ; en second lieu, pour qu’il puisse être juge du moment le plus opportun d’opérer l’échange d’une manière efficace.

- L’amendement de M. le ministre est adopté.

Article 26 (du projet du gouvernement)

« Art. 26 Les monnaies décimales françaises d’or et d’argent seront reçues dans les caisses de l’Etat pour leur valeur nominale. »

La section centrale propose un amendement ainsi conçu : « Les pièces de monnaie étrangères d’or ou d’argent, au même titre et au même poids que les pièces de la monnaie nationale, seront reçues dans les caisses de l’Etat pour la même valeur que celles-ci. »

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je dois m’opposer à la proposition de la section centrale, qui entraînerait de graves inconvénients. Permettre que dans les caisses publiques on reçoive des monnaies décimales, il n’y a point de danger s’il s’agit d’un pays voisin comme la France, pays constitutionnel, où il ne dépend pas du gouvernement seul d’altérer les monnaies. Mais recevoir les pièces de tous les pays étrangers, comme le propose l’amendement de la section centrale, cela est impossible, car il nous est impossible de suivre le mouvement des systèmes monétaires dans tous les Etats de l’Europe, et nous serions à la merci du premier gouvernement absolu qui voudrait altérer ses monnaies et adopter le système national.

Il faut de toute nécessité limiter les termes de l’article aux pays voisins, dont nous connaissons la législation et les usages, sans cela nous serions victimes des faux monnayeurs de tous les pays. De plus vous obligeriez vos comptables à avoir des connaissances qu’ils ne peuvent avoir. Aucun d’eux ne connaît toutes les monnaies étrangères et quand on viendrait leur faire des paiements, ils seraient obligés d’avoir toujours auprès d’eux un essayeur pour reconnaître si les monnaies sont bien au titre voulus. Vous sentez que tout cela est impossible.

M. d’Elhoungne. - M. le ministre se trompe sur le sens et sur l’étendue de l’amendement. Il a dit qu’il y aurait grand danger à admettre les monnaies étrangères dans nos caisses, parce que les gouvernements absolus peuvent à tout moment altérer le titre de leurs monnaies. Je pense, messieurs, qu’il n’y a plus aujourd’hui de gouvernement, absolu ou non, qui ne sache qu’altérer les monnaies, c’est s’exposer à perdre beaucoup plus qu’à gagner.

Tout gouvernement n’est pas seulement débiteur, il est créancier aussi, et si la monnaie qu’il émet est d’un titre supérieur à sa valeur réelle, qu’il gagne en payant, il le perd en recevant, et comme il est obligé de recevoir cette monnaie, jusqu’à la fin des siècles, il se constitue en perte perpétuelle. Ainsi, si aujourd’hui un gouvernement, pour gagner 1/5 sur les sommes dont il serait débiteur, émettait une monnaie d’une valeur nominale plus élevée d’un cinquième que la valeur réelle, toutes les contributions de l’Etat se trouveraient, par le fait, diminuées d’un cinquième. Sous ce rapport, donc, je ne crains pas plus les erreurs des gouvernements absolus que les écarts des gouvernements constitutionnels. L’intérêt de tout gouvernement, et ils le savent tous aujourd’hui, est de ne pas mettre la main sur les monnaies, car aussitôt qu’ils en abaissent le titre en augmentant la valeur nominale, au lieu de gagner, ils subissent une perte considérable sur les paiements futurs.

Mais, dit-on, il faudra que chaque comptable soit toujours assisté d’un essayeur. L’utilité des monnaies consiste précisément, messieurs, à pouvoir se passer de l’essayeur et des balances, dont on se servait anciennement. L’empreinte des monnaies suffit pour en reconnaître le titre. Dès lors, il n’est plus besoin d’essayeur. Vous voyez donc que les inconvénients signalés n’existent pas et c’est pour cela que je persiste dans l’amendement proposé par la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Il est impossible d’exiger de tous les comptables qu’ils connaissent toutes les monnaies existantes en Europe. Il suffira qu’un gouvernement fasse battre monnaie selon le système décimal pour qu’elle soit reçue chez nous ; dès lors, s’il se trouve des faux monnayeurs dans un pays éloigné et qu’ils apportent leur argent en Belgique, nous pourrons être victimes de leur cupidité, et le gouvernement ne s’apercevra peut-être de la fausseté de la monnaie que quand les caisses des comptables en seront pleines. Je le répète, il faut limiter la faculté exprimée en l’article en discussion à un pays voisin dont nous pouvons suivre la législation et où la bonne foi existe dans le système monétaire. Il n’y a que la France qui nous offre à cet égard la sécurité nécessaire.

M. d’Elhoungne. - Il ne s’agit pas seulement des pièces battues suivant le système décimal, comme l’a dit M. le ministre, mais de pièce au même titre que l’or et l’argent belges. Tous vos comptables savent assez lire et possèdent assez de latin pour reconnaître à quel pays appartiennent les pièces qu’on leur présentera. Cela connu, il leur suffira d’un tarif pour être fixés au juste sur leur valeur.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, je crois avoir développé avec assez d’étendue le danger qu’il y aurait à adopter l’amendement. Il est impossible d’assujettir les comptables à recevoir toutes les monnaies de l’Europe, ils n’ont pas, quoi qu’on en dise, ils ne peuvent pas avoir les connaissances nécessaires pour distinguer si les pièces sont aux 900/1000, ou aux 800/1000. Je citerai encore l’exemple de la France où on laisse glisser des pièces d’Italie dans les paiements, mais pour une faible somme. Si on voulait faire de forts paiements en cette monnaie on serait obligé de perdre beaucoup.

M. Legrelle. - Souvent à côté des inconvénients d’une loi s’offre quelque avantage.. Ici il n’y en pas un seul. Sdit M. d'Elhoungne connaît un seul avantage qui résulte de l’amendement qu’il propose, je le prie de l’indiquer. S’il n’y en a pas, après les inconvénients, j’avoue que je ne conçois pas que l’on persiste à en demander l’adoption.

M. Ch. de Brouckere. - Je partage l’opinion du préopinant. Il n’y aura aucun avantage à adopter l’amendement et les inconvénients seront graves. Le système que nous voulons établir n’existe jusqu’ici qu’en France et en Italie. L’Italie est assez loin de nous pour que nous n’ayons pas à craindre qu’une masse de ses écus vienne tomber dans nos caisses. Cependant si des faux-monnayeurs surgissaient dans ce pays éloigné, à quel danger ne serions-nous pas exposés ?

Vous savez que, lorsqu’un gouvernement s’aperçoit que des pièces fausses circulent dans le pays, il s’empresse de dire à quels signes on peut les reconnaître. Comment voulez-vous, messieurs, que le gouvernement pût connaître assez bien les pièces qui se fabriquent si loin, pour en signaler la fausseté ? Cela est impossible.

Il est donc prudent de ne pas obliger les comptables à recevoir d’autres pièces que les pièces françaises. Pour celles-ci, la chose est assez naturelle. Cette monnaie vous est familière, et Paris n’est pas assez éloigné pour que, si des pièces fausses circulaient, nous n’en fussions bientôt instruits. Il n’en serait pas de même pour les autres pays. Messieurs, nos comptables ont assez de mal pour recevoir les monnaies de notre propre pays, n’allons pas les assujettir à recevoir encore celles des pays étrangers. (Aux voix ! aux voix !)

- L’article de la section centrale est rejeté. Celui du projet du gouvernement est adopté.

Article 27 (du projet du gouvernement)

« Art. 27. Toutes autres monnaies seront considérées monnaies étrangères et ne pourront, par conséquent, être reçues dans les caisses de l’Etat. »

M. dElhoungne. - L’article est inutile, c’est de droit commun ; j’en demande la suppression.

- L’article 27 est supprimé.

Article 28 (du projet du gouvernement)

« Art. 28. Nul n’est tenu d’accepter, sur ce qui doit lui être payé, plus d’un dixième en pièces d’un demi-franc, ni plus de la valeur de cinq francs, par appoint, en pièces de cuivre. »

- Cet article est adopté sans discussion.

Article 29 (du projet du gouvernement)

« Art. 29. - Tous les contrats, ordonnances et mandats qui portent une date antérieure au 1er janvier 1833, et qui contiennent des obligations stipulées en florins des Pays-Bas, recevront leur exécution sur le pied de 47 1/4 centièmes du florin des Pays-Bas pour la livre. »

M. dElhoungne. - C’est encore un principe de droit que les contrats s’exécutent en la monnaie qui y est stipulée. L’article est inutile.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Quand j’ai proposé cet article, j’ai entendu que tous les contrats recevaient leur exécution au pair. Si vous ne stipulez pas dans la loi le taux auquel vous voulez que ce pair soit fixé, je ne sais pas comment on l’établira plus tard. Le pair admis aujourd’hui pour le florin des Pays-Bas est de 47 1/4 ; rien ne garantit qu’il en sera toujours ainsi.

M. d’Elhoungne. - Il me semble que l’article 22 en dit assez sur ce point : l’article 29 est inutile.

M. Destouvelles. - L’article est inutile, le contrat doit recevoir son exécution en espèce de même valeur que celles qui y sont stipulées.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Sur quelle base paiera-t-on les florins en francs l’an prochain ?

M. d’Elhoungne. - D’après les bases de l’article 22.

Article 28 (du projet du gouvernement)

M. Ch. de Brouckere. - L’article 28 a été adopté sans discussion et je ne m’en suis pas aperçu. Il renferme cependant une grave omission. On y dit que lorsqu’on aura un paiement à faire, on ne pourra pas payer plus d’un dixième en pièces d’un demi-franc. Par conséquent, en pièces d’une valeur au-dessus de 50 centièmes, on pourra payer une quotité beaucoup plus forte. Ainsi, tandis qu’on ne pourra m’obligez à recevoir plus d’un dixième en pièces d’argent de 50 centimes, on pourra forcer à recevoir une somme immense en mauvais billon.

- Plusieurs voix. - Il n’y a pas de billon.

M. Ch. de Brouckere. - Il y en a puisque vous avez décidé que les pièces de 10 et de 25 cents continuaient d’être reçues. C’est une contradiction choquante et une telle omission ne peut subsister.

M. Jullien. - Les observations de l’honorable préopinant sont très justes, mais comme l’article est voté…

M. le président. - Mais la loi ne l’est pas.

M. Jullien. - C’est ce que j’allais dire, On ne peut pas revenir en ce moment sur l’article (dénégations) ; mais au moment de voter la loi on pourra proposer un amendement.

- Plusieurs voix. - Mais s’il y a erreur.

M. le président. - Il me semble que quand on reconnaît qu’une erreur a été commise on peut toujours la réparer.

M. H. de Brouckere. - Il y a urgence de la réparer, parce que si nous attendions le moment du vote, comme il n’y a pas eu d’amendement à l’article 38 nous ne serions plus à temps à y revenir.

M. dElhoungne. - On pourrait ajouter un article additionnel à l’article 28 (Appuyé !)

M. Ch. de Brouckere. - On pourrait continuer la discussion de la loi ; je présenterai un amendement plus tard.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Puisqu’on permet de revenir sur l’art 28, je propose d’ajouter après ces mots : « en pièces d’un demi-franc, » ceux-ci : « ou de 25 cents. »

M. Ch. de Brouckere. - Il y aurait encore une lacune ; vous avez des pièces de 10 cents.

M. d’Elhoungne.- Il y a dans la loi de 1816 un article qui continuera de subsister et qui ne permet de payer qu’un cinquième de la somme en billon.

M. Ch. de Brouckere. - Comment admettre quand l’article 28 ne permet de payer qu’un dixième en pièces de 50 centimes, qu’on puisse, d’après la loi de 1816, me payer un cinquième en pièces de 25 cents ? Cela ne peut être, il faut une autre rédaction.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - L’observation de M. de Brouckere est juste. Mais il avait eu connaissance de la loi, qui a été débattue en conseil des ministres, et je regrette qu’il ne se soit aperçu qu’aujourd’hui de la lacune. (On rit.) Il me semble qu’on peut dire que les pièces de 25 et de 10 cents ne seront reçues qu’à concurrence d’un dixième.

M. Ch. de Brouckere. - Je ne relèverai pas ce que vient de dire M. le ministre des finances, ça n’en vaut pas la peine.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Vous aviez vu la loi.

M. Destouvelles. - La difficulté serait levée en disant les pièces de 5, 10 et 25 cents seront considérées comme monnaie de cuivre. (Non ! non !)

M. Destouvelles. - Pour l’appoint.

M. Jullien. - Seront assimilées à la monnaie de cuivre.

M. Destouvelles. - Seront assimilées.

M. le président. - Je voudrais que quelqu’un se donnât la peine de rédiger un amendement.

M. d’Elhoungne. - Voici celui que je propose : « Les pièces de 5 et de 10 cents seront assimilées à la monnaie de cuivre et les pièces de 25 cents au demi-franc. (Appuyé !)

M. Verdussen. - J’approuve cette rédaction, mais je voudrais que l’on parlât d’abord des pièces de 25 cents, pour finir par celles de 5 et de 10, suivant l’ordre de l’article même. (Appuyé !)

- La rédaction proposée par M. Verdussen est adoptée.

On revient à l’article 29.

Article 29 (du projet du gouvernement)

M. Mary. - Messieurs, je ne partage pas l’avis des préopinants qui pensent qu’il n’est pas nécessaire de dire à quel taux les obligations stipulées en florins recevront leur exécution. Il est essentiel selon moi, de dire que ce sera à 47 1/4. Le florin des Pays-Bas a été tarifé diversément, il l’a été à 46 1/4 à 47 1/4 et aujourd’hui même pour l’or, nous l’avons porté à 48 1/4. Cette fluctuation pourra se reproduire à l’avenir et occasionner des difficultés ; je pense donc qu’il est essentiel de préciser le taux du remboursement.

M. Ch. de Brouckere. - Mais c’est dans le projet.

M. Mary. - Oui, mais on s’y opposait.

- L’article 29 est mis aux voix et adopté.

Article 30 (du projet du gouvernement)

« Art. 30. A partir du 1er janvier 1833, on sera tenu d’exprimer les sommes en francs et centimes, dans tous les actes administratifs et privés. »

La section centrale propose de rédiger l’article de la manière suivante : « A partir du 1er janvier 1833 on sera tenu d’exprimer les sommes en francs et centimes, dans tous les actes publics et administratifs. »

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je me rallie à la rédaction de la section centrale.

M. Ch. de Brouckere. - Je crois que l’article ne portant pas de sanction pénale est inutile, car on pourra l’enfreindre tant ce qu’on voudra sans rien risquer ; invoquerait-on en effet pour en punir l’infraction, la loi du 6 mars 1818 ? Mais si une loi doit disparaître de nos codes c’est bien assurément l’absurde loi de 1818. Que restera-t-il après l’abolition de cette loi ? rien du tout.

M. d’Elhoungne. - Toutes les sections ont demandé qu’il n’y eût pas de sanction pénale.

M. Ch. de Brouckere. - L’article sans sanction est parfaitement inutile.

M. d’Elhoungne. - C’est pour cela que la quatrième section en avait demandé la suppression.

M. H. de Brouckere. - La loi du 25 ventôse an II établit une peine contre les notaires qui enfreignent les lois monétaires : il n’est donc pas exact de dire que l’article manquera de sanction ; cependant il n’en aura que pour les notaires ; il faudrait, je pense, 1ui donner une sanction plus générale.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la suppression de l’article.

M. Jullien. - J’appuie le maintien de l’article, parce que bien qu’il n’ait pas de sanction, quoique la loi ne porte pas de peine contre ceux qui l’enfreindront, c’est un conseil que la loi donne ; on appelle cela un précepte, un nudum proeceptum : ce n’est pas à dire pour cela qu’il ne faille pas le suivre, au contraire, mais on ne punit pas ceux qui négligent de s’y conformer. Si on ne mettait pas ce conseil dans la loi, on continuerait de stipuler en florins : il serait dur de punir celui qui se permettrait une semblable stipulation, c’est ce qui a déterminé les sections à ne pas poser de sanction dans la loi, mais le principe doit rester. Je demande le maintien de l’article.

M. d’Elhoungne. - La section centrale n’a pas proposé de peine d’abord parce que la monnaie n’existe pas encore, et que d’un autre côté, il serait injuste de punir les particuliers pour une telle infraction, tandis que le gouvernement n’a pas encore lui-même conformé ses tarifs au nouveau système et que les impôts de toute nature se perçoivent sous la dénomination de florins. Vous voyez donc que pour le moment il faut se borner à prescrire l’usage du franc sans y attacher une pénalité, qui pourra être établie plus tard si elle est jugée nécessaire.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - On vient de faire un reproche au gouvernement de ce qu’il percevait les impôts sous la dénomination du florin.

- Plusieurs voix. - On n’en fait pas un reproche.

M. d’Elhoungne. - C’est une vérité.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - On ne pouvait pas formuler les rôles au nouveau système avant qu’il ne fut créé. Quant à la nécessité de l’établir elle est certaine, parce qu’il y aurait sans cela une réelle difficulté à percevoir les droits. Quand la loi actuelle sera exécutée par les particuliers, les actes du gouvernement et de l’administration devront suivre.

- L’article amendé par la section centrale est adopté.

Article 31 (du projet du gouvernement)

« Art. 31. Il ne pourra être exigé de ceux qui porteront des matières d’or ou d’argent à la monnaie que les frais de fabrication ; ces frais sont fixés à neuf francs par kilo pour l’or et à trois francs par kilo pour l’argent. »

La section centrale présente un article presque semblable, il n’y a de différence que dans les premiers mots dont la rédaction serait ainsi : « Il ne sera exigé de ceux qui portent des matières, etc. »

M. A. Rodenbach. - Je demanderai à M. le ministre si les frais de fabrication en France s’élèvent à 9 fr. le kilo pour l’or et à 3 fr. pour l’argent. J’insiste d’autant sur ce point, que sous l’ancien gouvernement les frais de fabrication étant énormes. Les orfèvres ou autres personnes qui avaient des lingots à faire vendre allaient les faire fabriquer à Lille, parce que là un système d’économie était mis en usage.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Ce sont les mêmes droits qu’en France, on les a réduits autant que possible, afin de rendre possible la fabrication dans le pays, et de manière à ce qu’il y eut avantage à ne pas aller à l’étranger.

M. Verdussen. - Dans la section à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, on a fait remarquer que l’article 31 ne précisait pas la somme au-dessous de laquelle on ne serait pas admis à faire fabriquer. L’abus qui existait sous l’ancien gouvernement est donc à prévenir. Alors, sous prétexte que la somme que vous apportiez à la fonte était insuffisante, on écartait les petits spéculateurs et on faisait de la fabrication un monopole pour les riches. J’ai entendu dire qu’on avait refusé jusqu’à une somme de 40,000 francs. Pour obvier à cet inconvénient, il faudrait préciser, jusqu’à quelle quantité il sera permis de descendre.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je ne crois pas que cette limitation soit nécessaire. Le gouvernement admettra l’échange pour un kilogramme et même pour un demi-kilogramme.

M. Verdussen. - La réponse de M. le ministre n’ôte pas la difficulté. Il dit bien qu’on fera l’échange pour un kilogramme ou un demi-kilogramme, mais il n’est pas dit que la personne aura le droit de faire battre monnaie pour son compte. Pour prévenir tout abus, je voudrais que le minimum fut fixé.

M. Delehaye.- On ne porte pas un lingot à la monnaie pour le faire fondre, mais pour recevoir de l’argent en échange.

M. Osy. - Ce n’est pas tout à fait un échange. Vous porterez un lingot à l’hôtel des monnaies, on le fait fabriquer et on vous rend ensuite votre argent, déduction faite des frais de fabrication. (Signes négatifs.)

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Ce que vient de dire le préopinant est exact quand il s’agit d’une forte somme. Si on portait des lingots pour la valeur d’un ou de deux millions, il est certain que le gouvernement pourrait n’être pas en mesure de payer comptant et alors il ferait fabriquer ; mais si l’on se présentait avec des lingots d’une petite valeur on vous paierait tout de suite.

- L’article 31 est mis aux voix et adopté.

Article 32 (du projet du gouvernement)

L’article 32 est ensuite adopté sans discussions en ces termes :

« Lorsque les matières seront au-dessous du titre monétaire, elles supporteront les frais d’affinage ou de départ.

« Le montant de ces frais sera calculé sur la portion desdites matières qui doit être purifiée, pour élever la totalité au titre monétaire, et il sera perçu d’après le tarif annexé à la présente loi. »

Article 33 (du projet du gouvernement)

« Art. 33. Les monnaies fabriquées aux termes de la présente ne seront mises en circulation qu’après vérification de leur titre et de leur poids. Cette vérification se fera sous les yeux de la commission des monnaies, immédiatement après l’arrivée des échantillons.

M. Leclercq. propose de dire : « Cette vérification se fera sous les yeux de l’administration des monnaies. Une loi spéciale organisera cette administration. Provisoirement et au plus tard jusqu’au 1er janvier 1834 la commission instituée par arrêté royal du 27 décembre 1831 en remplira les fonctions.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - J ‘adhère à cette rédaction.

- Elle est adoptée.

Articles 34 à 36 (du projet du gouvernement)

La chambre ensuite adopte sans discussion les articles 34, 35 et 36 en ces termes :

« Art. 34. Le directeur de fabrication pourra assister aux vérifications, ou s’y faire représenter. »


« Art. 35. La commission dressera procès-verbal des opérations relatives à la vérification du monnayage ; elle enverra ce procès-verbal au ministre des finances, avec sa décision. »


« Art. 36. Les pièces qui auront servi à constater l’état de la fabrication resteront déposées aux archives de l’administration des monnaies pendant cinq ans ; elles seront ensuite passées en compte. »

Article 37 (du projet du gouvernement)

« Art. 37. En cas de fraude dans le choix des échantillons, les auteurs, fauteurs et complices de ce délit seront punis comme faux-monnayeurs. »

M. Devaux. - Je demande que les mots : « Seront punis comme faux-monnayeurs » soient remplacés par ceux-ci : « Seront punis de la peine des travaux forcés à temps. » La peine des faux monnayeurs est la peine de mort, je ne crois pas qu’il entre dans les vues de la chambre de conserver une telle peine dans nos lois, quand il est probable que nous la ferons disparaître du code pénal.

M. H. de Brouckere. - Je demande aussi qu’on fasse disparaître de l’article le mot « fauteurs. » Ce mot est inutile ; dans la loi pénale on ne connaît que les auteurs et les complices d’un crime, on n’y trouve nulle part le mot fauteurs, et le maintien de ce mot pourrait occasionner des difficultés d’interprétation.

- La chambre décide que ce mot sera supprimé.

M. le ministre des finances (M. Coghen).- Messieurs, je désire que les auteurs et les complices du crime prévu en l’article 37 suivent le sort des faux- monnayeurs. Ils sont plus coupables que les faux-monnayeurs par cela même qu’étant revêtus de la confiance du gouvernement, il leur est plus facile de commettre le crime ; nous ne devons pas adoucir la peine pour eux, et je ne crois pas que ce soit ici le lieu d’abolir la peine de mort.

M. d’Elhoungne. - Comme l’a très bien dit M. le ministre, les agents des hôtels des monnaies sont infiniment plus coupables que les faux-monnayeurs ; et il n’y a certainement aucune raison de les mieux traiter. D’un autre côté, il serait assez étrange, à propos d’une loi monétaire, de mettre la main sur le code pénal, et de jeter dans la loi criminelle le désordre et la confusion.

M. Devaux. - Je conviens, très volontiers, qu’il y a peut-être quelque inconséquence à proposer ici mon amendement ; mais j’aime encore mieux être inconséquent, que de consacrer, par mon vote, l’extension de la peine de mort à un cas qui n’est pas prévu par le code pénal. Je déclare que je refuserai mon vote à la loi, mon amendement n’est pas admis.

M. Gendebien. - Je pense, messieurs, que si nous voulons donner une sanction à la loi, nous devons abolir la peine de mort. Souvenez-vous que le jury existe maintenant en Belgique, et que ce n’est qu’avec la plus grande répugnance que des jurés prononcent un oui dont la conséquence entraîne pour l’accusé la peine de mort ; la proposition de M. Devaux est donc très logique. Si vous ne l’adoptez pas, votre loi n’aura point de sanction, et les auteurs du crime prévu dans l’article seront presque toujours impunis. J’appuie donc l’amendement proposé.

M. Van Meenen. - Tout ce qui résulte de ce que viennent de dire les honorables préopinants, c’est que nous devrions apporter au code pénal des modifications pour abolir la peine de mort ; mais il n’en résulte pas qu’à propos de la loi monétaire, nous devions toucher à nos lois criminelles et favoriser des agents du gouvernement plus coupables à tous égards quand ils commettent un pareil crime que les faux-monnayeurs. Si l’on veut abolir la peine de mort, qu’on en fasse une proposition formelle, qu’on modifie le code pénal, mais que ce ne soit pas incidentellement, et dans une loi comme celle-ci que l’on tranche cette haute question.

M. Destouvelles. - Messieurs, vous reconnaissez que celui qui se rend coupable de fraude dans le choix des échantillons aux termes de l’article 37 doit être assimilé aux faux-monnayeurs, et vous voulez qu’on ne le punisse que des travaux forcés à perpétuité ; (A temps !) tandis que les faux-monnayeurs seront punis de mort. C’est à quoi je ne pourrai consentir, parce que quand les crimes sont semblables, la peine doit être la même.

S'il en était autrement, qu’arriverait-il ? Aujourd’hui vous verriez un individu traduit devant une cour d’assises pour crime de fausse monnaie, condamné à mort, et demain, un individu, accusé d’un crime semblable, ou même plus grand, condamné aux travaux forcés. Ce serait une anomalie choquante, et que nous ne pouvons consacrer. Je trouve la peine de mort exorbitante pour le crime de fausse monnaie, mais je dis que quand il n y a pas de différence dans le crime, il ne doit point y en avoir dans la peine. Par ces considérations, je voteras contre l’amendement.

M. Ch. de Brouckere. - Je viens soutenir l’amendement de M. Devaux. Je ne voterai jamais une loi par laquelle on consacrerait la peine de mort, par conséquent je refuserais mon vote à celle-ci, si l’amendement n’était pas adopté. Je partage entièrement l’opinion de M. Gendebien, et je dis, que si vous voulez que le crime prévu par l’article 37 soit réprimé, vous devez abolir la peine de mort ; et pour ma part, je le déclare, si j’étais juré dans une affaire où il s’agirait d’un tel crime, regardant la peine de mort comme immorale, je dirais en mon âme et conscience : Non, l’accusé n’est pas coupable. (Mouvement, agitation.) D’ailleurs, messieurs, je ne trouve pas qu’il soit juste d’assimiler au crime de faux-monnayage la fraude dans le choix des échantillons dont parle l’article 37.

Je vous le demande, en effet, ne peut-on pas substituer un échantillon à un autre sans qu’aucun des deux soit faux ? Je crois la chose très possible et cette considération suffisait seule pour que je refusasse mon vote à l’article, si déjà mon refus n’était fondé sur la pénalité qu’il consacre et que je regarde comme immorale. Je demande que l’amendement de M. Devaux soit adopté.

M. Lebeau. - Messieurs, si je ne trouvais pas dans les dispositions de la loi une clause qui établit une pénalité pour un fait non prévu par le code pénal, je ne viendrais pas appuyer l’amendement de M. Devaux, qui tende à atténuer cette pénalité ; il est évident qu’ici c’est une peine que vous formulez, et c’est pour un délit qui rentre plutôt dans la classe des délits d’abus de confiance, avec un caractère plus grave, peut-être, que dans la masse des crimes de fausse-monnaie.

On vous l’a dit, en effet, il n’est pas décidé si l’article 37 prévoit un crime qui puisse être assimilé sans injustice au crime de faux-monnayage et pour moi c’est un point qui n’est pas démontré ; mais d’un autre côté il est très vrai de dire que la peine de mort nuirait à la loi, puisqu’elle ne lui servirait, parce que le jury répugne à appliquer une peine aussi exorbitante. Il s’établit dans les cours d’assises quand il s’agit de pareils crimes, une conspiration d’humanité entre les jurés et les magistrats, qui fait presque toujours acquitter l’accusé, qu’ils auraient condamné sans doute s’il eût été possible de lui appliquer une peine moins forte. Par cette considération, je demanderai le rejet pur et simple de l’article 37, si l’amendement de M. Devaux n’est pas adopté.

M. d’Elhoungne. - Il semble qu’on ne s’est pas assez rendu compte de la portée de l’article, ni surtout des conséquences que peut avoir le crime qu’il prévoit.

Quand une certaine quantité de monnaie vient d’être fabriquée, on en prend six échantillons pour juger la masse entière ; si un employé substitue aux échantillons de la masse, six échantillons qui portent un bon titre, tandis que le titre de tout le reste sera altéré, ce crime constituera évidemment le crime de faux-monnayage, d’autant plus répréhensible que ce seront des employés revêtus de la confiance du gouvernement qui l’auront commis.

Vous voyez donc qu’il ne s’agit pas ici d’un abus de confiance mais d’un véritable crime, qu’il est juste de punir de la même peine que le crime de fausse monnaie. Je suis affligé de devoir défendre contre mon opinion personnelle la peine de mort ; mais, si je désire son abolition, ce ne peut pas être pour un cas particulier et surtout dans une loi spéciale et tout à fait étrangère au code pénal. Si demain on présentait un projet de loi pour modifier le code pénal et abolir la peine de mort, je serais le premier à applaudir à ce projet et à y donner mon assentiment, mais je ne saurais le faire aujourd’hui, à propos du système monétaire.

Je ferai remarquer, d’un autre côté, que la loi du 16 germinal an II, portait une disposition semblable à celle de l’article 37 et que cet article a été copié textuellement sur cette loi. Si vous adoptez la proposition de M. Devaux, vous assurez l’impunité de gens plus coupables que les faux-monnayeurs. Si vous diminuez la peine vous êtes injustes, car vous punissez moins sévèrement des hommes qui ont en leur pouvoir tous les moyens de commettre le crime.

On vous dira, si vous conservez la peine de mort, que le jury absoudra les accusés. Ce sont là des suppositions, que rien n’autorise : je pense que le jury aura assez le sentiment de ses devoirs, pour s’y conformer et pour prononcer son verdict en toute sûreté de confiance en laissant aux magistrats le soin de prononcer la peine, et au roi le droit de faire grâce. Aujourd’hui la peine de mort est assez généralement réprouvée pour ne pas craindre qu’une condamnation à cette peine reçoive son exécution ; nous devons nous en reposer sur la sollicitude royale pour la faire commuer. Cela doit nous rassurer complétement et nous déterminer au rejet d’un amendement qui ne doit pas trouver ici sa place.

M. Leclercq. - Messieurs, le préopinant n’a nullement touché le fond de la question, car s’il l’avait touché il en aurait tiré une conclusion toute contraire. Toute peine trop forte est une injustice, une inhumanité, elle est de plus une garantie d’impunité par la répugnance que les juges éprouvent à l’appliquer. Eh bien messieurs, cette injustice, cette inhumanité, sont consacrées par le code pénal quand il punit de mort le crime de fausse monnaie ! Cette peine n’est point en harmonie avec le crime.

Vous trouvez dans la loi actuelle un acte analogue au crime de fausse monnaie, vous voulez le punir de la même peine, vous consacrez, comme le code pénal l’injustice, l’inhumanité, et vous assurez de plus l’impunité des coupables. Faut-il, parce que le crime est analogue, que le coupable ne soit pas moins puni ? Quand on reconnaît que la peine est injuste et sous prétexte que le code pénal la consacre pour l’un, faut-il la prononcer pour l’autre ? Faut-il, pour donner une sanction trop forte à la loi, que le coupable reste impuni ? Voilà la question ; la poser c’est la résoudre. Aggraver la peine pour l’un, par cette seule raison qu’elle l’est pour l’autre, c’est vouloir être injuste, inhumain, et consacrer l’impunité du coupable, comme le fait le code pénal. S’il s’agissait d’une peine moins forte pour un crime semblable je concevrais l’égalité qu’on veut admettre, mais quand il s’agit d’une aggravation de peine, je ne veux pas de cette égalité. Je voterai en conséquence pour l’amendement.

M. Devaux. - Messieurs, il ne faut pas nous tromper sur le sens des mots ; dire « seront punis comme de faux-monnayeurs, » c’est dire en termes adoucis, seront punis de mort, puisque cette peine est celle du crime de fausse monnaie. Or, je ne consentirai jamais à voter une loi portant une pareille peine. Comme l’a très bien dit M. Leclercq, s’il s’agissait d’une peine moindre on concevrait l’égalité ; mais punir l’un d’une peine exorbitante, sous prétexte qu’elle est appliquée à l’autre, et refuser d’introduire dans la loi une disposition moins cruelle pour ne pas déranger l’économie du code pénal, il n’y a pas de raison de symétrique légiste qui puisse me faire approuver ce refus.

Faut-il, en effet, pour une vaine raison de symétrie, rejeter une disposition que réclame l’humanité ? Mais, dit-on, qu’arrivera-t-il ? C’est que de deux hommes traduits à la cour d’assises, l’un pour crime de fausse monnaie, l’autre pour crime de fraude dans le choix des échantillons, crimes absolument semblables, vous verrez l’un condamné à la peine de mort, et l’autre à celui des travaux forcés à temps. C’est, s’écrie-t-on, une anomalie choquante, et vous, pour une symétrie dans l’arrangement de quelques articles du code, vous voulez qu’on les punisse tous les deux de la même peine, et de quelle peine ? Non, messieurs, ces raisons d’arrangement logique, d’arrangement matériel, d’échelonnement des articles de la loi pénale, si je puis m’exprimer ainsi, sont par trop vaines et puériles, pour que je donne mon vote à la peine de mort. L’article 37 prononce l’extension de cette peine à un crime non prévu par le code pénal, c’est pour moi une raison de voter contre, si on rejette la substitution que j’ai proposée.

M. Gendebien a dit qu’on croyait que le jury n’hésiterait pas à prononcer la culpabilité. Messieurs, j’ai eu occasion de voir non pas seulement des jurés, mais même des magistrats qui se creusaient l’esprit pour savoir comment ils dissimuleraient les circonstances afin d’éviter de prononcer la peine de mort. Je vous demande, après cela, si le jury pourra hésiter à déclarer la non-culpabilité. Il est certain que nous sommes arrivés à une époque où la peine de mort n’est plus une sanction pénale. Je connais des coupables qui sont échappés à la justice parce qu’on a reculé devant la peine capitale et qui sans cela auraient été condamnés à vingt ans de travaux forcés.

M. Helias d’Huddeghem. - La question qui vient d’être soulevée me paraît être une question très importante et mériter de mûres méditations, car il s’agit de savoir si la peine de mort sera conservée. Il me paraît que le crime prévu par l’article 37 est d’une très grande gravité, et même plus grave que celui de fausse monnaie. Il est admis en jurisprudence que ceux qui contrefont des pièces de 25 cents encourent la peine capitale. Le crime dont il est parlé dans l’article est plus grand que celui-là. Je demande donc, qu’avant de prendre une décision sur l’article 37, on suspende la discussion, afin d’avoir le temps de réfléchit sur cet objet.

M. Gendebien. - Il s’agit de savoir si nous voulons faire un premier pas. On parle toujours de philanthropie, voici le moment d’en faire preuve, et de rendre à la nature ce qui lui est dû ; car nous n’avons pas le droit d’ôter la vie à nos semblables.

M. Verdussen propose un amendement qui n’est pas appuyé.

- L’amendement proposé par M. Devaux est adopté.

M. Jonet. - Il faudrait mettre « de ce crime » au lieu « de ce délit. »

M. Gendebien. - Non, « délit » est un terme générique, qu’on peut laisser.

M. Lebeau. - Il serait bien plus simple d’effacer tout à fait les mots « de ce délit. » (Appuyé !)

- Cette suppression est adoptée.

L’art. 37 ainsi modifié est adopté. Il demeure ainsi conçu :

« En cas de fraude dans le choix des échantillons, les auteurs ou complices seront punis de la peine des travaux forcés à temps. »

Article 38 (du projet du gouvernement)

« Art. 38. En cas de découverte de fausses monnaies en circulation, soit nationales, soit étrangères, l’administration des monnaies les fera vérifier par l’inspecteur général des essais, et adressera, sans délai, une communication à cet égard aux ministres des finances et de la justice, afin que l’émission et la circulation ultérieure en puissent être arrêtées, et les coupables punis.

« Au besoin l’administration portera à la connaissance du public le résultat de la vérification et de l’essai, ainsi que les marques distinctes des pièces fausses. »

M. d’Elhoungne demande la suppression de cet article comme étant purement réglementaire.

M. le ministre des finances (M. Coghen) se rallie à cette proposition.

- La suppression est mise aux voix et adoptée.

Article 39 (du projet du gouvernement)

« Art. 39. L’administration des monnaies décide sur les questions de titre des matières d’or et d’argent, sur la légalité des poinçonnages de l’Etat et les monnaies fausses. »

M. d’Elhoungne. - On pourrait encore supprimer cet article, car il est tout à fait inutile, puisque les attributions de l’administration sont déterminées par la loi du 19 mars 1819.

M. Ch. de Brouckere. - Il me semble qu’il faudrait au moins dire : « L’administration des monnaies aura les mêmes attributions que l’ancien collège des maîtres de monnaies.

- L’article est mis aux voix et adopté.

M. le ministre des finances (M. Coghen) fait observer qu’il s’est glissé des erreurs dans l’impression du tarif, et il demande la substitution du mot « franc » au mot « florin » et du chiffre 3-50 au chiffre 2-50 à l’article premier de la deuxième section, ainsi qu’à l’article intitulé : « alliage d’argent ne contenant pas d’or. »


M. le président. - Les membres qui composeront la commission chargée d’examiner le projet de loi présenté par M. le ministre de la guerre, et par lequel il demande un crédit de trois millions de florins, sont MM. Destouvelles, Leclercq, Gendebien, Vilain XIIII, Lardinois, Legrelle et Ch. de Brouckere.

- La chambre s’ajourne après-demain à midi.

La séance est levée à quatre heures.