(Moniteur belge n°135, du 14 mai 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
Le public est encore plus nombreux qu’hier et remplit les tribunes.
La séance est ouverte à une heure moins un quart.
Après l’appel nominal, M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal qui est adopté.
Quelques pétitions sont analysées et renvoyées à la commission.
M. Goethals écrit à M. le président pour s’excuser de ne pouvoir se rendre à la séance.
M. le président appelle à la tribune le rapporteur de la commission chargée d’examiner le projet de loi tendant à accorder des lettres de grande naturalisation au général Evain.
M. Destouvelles présente ce rapport, dans lequel il conclut à l’adoption du projet.
M. le président. - Quel jour la chambre veut-elle fixer pour la discussion de ce projet de loi ?
- Quelques voix. - Lundi !
- D’autres voix. - Non ! non ! la discussion immédiate !
M. H. de Brouckere. - Cet objet n’est pas à l’ordre du jour.
- La chambre, consultée, décide que la discussion aura lieu immédiatement après une deuxième lecture du projet de loi.
M. le président déclare la discussion générale ouverte.
- Personne ne demandant la parole, il annonce qu’on va passer aux articles.
(En ce moment, M. le ministre des affaires étrangères entre dans la salle).
Les articles 1, 2, 3 et 4 du projet de loi sont successivement mis aux voix et adoptés tels qu’ils ont été votés par le sénat.
On procède ensuite à l’appel nominal sur l’ensemble de ce projet. Il est adopté à l’unanimité des 58 votants.
M. H. de Brouckere et M. d’Elhoungne se sont abstenus par le motif que cet objet n’est pas à l’ordre du jour.
M. le président. - La parole est à M. le ministre des affaires étrangères. (Mouvement général d’attention et profond silence.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Depuis le jour où, cédant à une nécessité profondément sentie, je suis venu, au nom du gouvernement, vous proposer l'adoption des 24 articles du 18 octobre 1831, les obligations qu'impose le pouvoir ne m'ont pas paru plus pesantes qu'aujourd'hui ; jamais ma position, comme ministre et comme citoyen, n'a été plus délicate. J'ai été appelé plus d'une fois à vous exposer le plan que le ministère avait adopté dans sa politique extérieure ; aujourd'hui que les nouveaux faits, si longtemps attendus, se sont accomplis, il me reste à vous dire si les actes du cabinet ont été d'accord avec les paroles de la tribune, et, si cet accord n'existe pas, je dois au pays et à moi-même de vous indiquer les causes du désaccord.
Permettez-moi, messieurs, de vous retracer en peu de mots la marche des négociations ; j'exposerai à la fois les droits du pays et les devoirs de son gouvernement.
Je ne remonterai pas jusqu'aux 18 articles préliminaires de paix du 26 juin, arrêtés et garantis par la conférence de Londres ; ce fut en quelque sorte la charte de joyeuse entrée de notre Roi ; mais cet acte a péri dans les journées du mois d'août, et les 24 articles du 15 octobre 1831 sont venus fonder un nouveau droit public pour la Belgique ; ils ont été rédigés sous l'influence, non seulement de nos propres désastres, mais d'autres événements qui, quoique s'accomplissant loin de nous, devaient influer sur nos destinées : notre armée n'était pas organisée, et une défaite récente l'avait appris au monde entier ; la cause révolutionnaire avait essuyé une deuxième défaite par la chute de Varsovie, une troisième par le rejet du bill de réforme. Mais, ce qui bien plus que ces circonstances a influé sur notre détermination, ce furent les assurances données par la conférence de Londres, les engagements contractés par les cinq puissances.
Je crois nécessaire de remettre sous vos yeux les deux notes qui accompagnaient les 24 articles.
Première note
« Les soussignés plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, après avoir mûrement pesé toutes les communications qui leur ont été faites par M. le plénipotentiaire belge, sur les moyens de conclure un traité définitif relativement à la séparation de la Belgique d’avec la Hollande, ont eu le regret de ne trouver dans ces communications aucun rapprochement entre les opinions et les vœux des parties directement intéressées.
« Ne pouvant toutefois abandonner à de plus longues incertitudes des questions dont la solution immédiate est devenue un besoin pour l'Europe ; forcés de les résoudre, sous peine d’en voir sortir l'incalculable malheur d'une guerre générale ; éclairés, du reste, sur tous les points en discussion par toutes les informations que M. le plénipotentiaire belge et MM. les plénipotentiaires des Pays-Bas leur ont données, les soussignés n'ont fait qu'obéir à un devoir dont leurs cours ont à s’acquitter envers elles-mêmes comme envers les autres Etats, et que tous les essais de conciliation directe entre la Hollande et la Belgique ont encore laissé inaccompli ; ils n'ont fait que respecter la loi suprême d'un intérêt européen du premier ordre ; ils n’ont fait que céder à une nécessité de plus en plus impérieuse, en arrêtant les conditions d'un changement définitif, que l'Europe, amie de la paix et en droit d'en exiger la prolongation, a cherché en vain depuis un an dans les propositions faites par les deux parties ou agréées tour à tour par l’une d'elles et rejetées par l'autre.
« Dans les conditions que renferment les vingt-quatre articles ci-joints, la conférence de Londres a été obligée de n'avoir égard qu'aux seules règles de l'équité. Elle a suivi l'impulsion du vif désir qui l'animait, de concilier les intérêts avec les droits, et d'assurer à la Hollande ainsi qu'à la Belgique, des avantages réciproques, de bonnes frontières, un état de possession territoriale sans dispute, une liberté de commerce mutuellement bienfaisante, et un partage de dettes, qui, succédant à une communauté absolue de charges et de bénéfices, les diviserait pour l'avenir, moins d'après des supputations minutieuses, dont les matériaux mêmes n'avaient pas été fournis, moins d'après la rigueur des conventions et des traités, que selon les principes de cette équité prise pour base de tout l'arrangement, que selon l'intention d'alléger les fardeaux et de favoriser la prospérité des deux Etats.
« En invitant M. le plénipotentiaire belge à signer les articles dont il a été fait mention ci-dessus, les soussignés observent :
« 1° Que ces articles auront toute la force et valeur d'une convention solennelle entre le gouvernement belge et les cinq puissances ;
« 2° Que les cinq puissances en garantissent l'exécution ;
« 3° Qu'une fois acceptés par les deux parties, ils sont destinés à être insérés, mot pour mot, dans un traité direct entre la Belgique et la Hollande, lequel ne renfermera, en outre, que des stipulations relatives à la paix et à l'amitié qui subsisteront entre les deux pays et leurs souverains ;
« 4° Que ce traité signé sous les auspices de la conférence de Londres sera placé sous la garantie formelle des cinq puissances ;
« 5° Que les articles en question forment un ensemble et n'admettent pas de séparation ;
« 6° Enfin qu'ils contiennent les décisions finales et irrévocables des cinq puissances, qui, d'un commun accord, sont résolues à amener elles-mêmes l'acceptation pleine et entière desdits articles par la partie adverse si elle venait à les rejeter.
« Les soussignés saisissent cette occasion d'offrir à M. le plénipotentiaire belge l'assurance de leur très haute considération. »
« Esterhazy, Wessemberg, Talleyrand, Palmerston, Bulow, Lieven, Mastuszewicz. »
Deuxième note
«Les soussignés, plénipotentiaires des cours d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, après avoir communiqué à M. le plénipotentiaire belge les 24 articles joints à leur note de ce jour, et après avoir déclaré que ces articles formaient les décisions finales et irrévocables de la conférence de Londres, ont encore une obligation à remplir envers M. le plénipotentiaire, et ils la rempliront avec une franchise dont les motifs ne pourront qu'être appréciés.
« Les cinq cours se réservant la tâche et prenant l'engagement d'obtenir l'adhésion de la Hollande aux articles dont il s'agit, quand même elle commencerait par les rejeter, garantissant de plus leur exécution ; et convaincus que ces articles, fondés sur des principes d'équité incontestables, offrent à la Belgique tous les avantages qu'elle est en droit de réclamer, ne peuvent que déclarer ici leur ferme détermination de s'opposer par tous les moyens en leur pouvoir, au renouvellement d'une lutte qui, devenue aujourd'hui sans objet, serait pour les deux pays la source de grands malheurs, et menacerait l'Europe d'une guerre générale, que le premier devoir des cinq puissances est de prévenir. Mais plus cette détermination est propre à rassurer la Belgique sur son avenir et sur les circonstances qui y causent maintenant de vives alarmes, plus elle autorisera les cinq cours à user également de tous les moyens en leur pouvoir pour amener l'assentiment de la Belgique aux articles ci-dessus mentionnés, dans le cas où, contre toute attente, elle le refuserait.
« Les soussignés saisissent cette occasion d'offrir à M. le plénipotentiaire belge l'assurance de leur haute considération. Londres, le 15 octobre 1831.
« Esterhazy, Wessemberg, Talleyrand, Palmerston, Bulow, Lieven, Mastuszewicz. »
Ces deux notes définissaient nettement le caractère des nouvelles propositions, les obligations que la conférence s'imposait en les arrêtant, les droits que la Belgique acquérait en les acceptant.
Dans la discussion qui a précédé le vote des 24 articles, le ministre avait pris l'engagement de ne donner son adhésion :
1° Qu'après avoir obtenu ou tenté d'obtenir des modifications ;
2° Qu'après avoir acquis la certitude que le roi élu par les Belges serait immédiatement reconnu.
C'est dans ce sens que furent conçues les instructions remises à notre plénipotentiaire à Londres.
Par une note adressée à la conférence le 12 novembre, le plénipotentiaire belge indiqua les modifications que son gouvernement désirait voir apporter aux 24 articles avant d'y adhérer.
Le même jour, la conférence lui fit la réponse suivante :
« Foreign-Office, le 12 novembre 1831.
« Les soussignés plénipotentiaires des cours d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, ont reçu la note en date de ce jour, par laquelle M. le plénipotentiaire belge s'est acquitté de l'ordre qui lui a été donné d'appeler leur attention sur diverses modifications que le gouvernement de la Belgique désirait obtenir dans les 24 articles que la conférence de Londres a transmis à M. le plénipotentiaire belge sous la date du 15 octobre dernier. En réponse à cette note, les soussignés se trouvent dans l'obligation de déclarer à M. le plénipotentiaire belge que ni le fond ni la lettre des 24 articles ci-dessus mentionnés ne sauraient désormais subir de modification, et qu'il n'est même plus au pouvoir des cinq puissances d'en consentir une seule.
« Les soussignés ne peuvent donc qu'exprimer à M. le plénipotentiaire l'espoir où ils sont que le gouvernement de la Belgique n'usera des pouvoirs dont il est investi que pour accepter les 24 articles purement et simplement.
« Les soussignés prient M. le plénipotentiaire belge d'agréer l'assurance de leur haute considération.
« Esterhazy, Wessemberg, Talleyrand, Palmerston, Bulow, Lieven, Mastuszewicz. »
Le 14 novembre, le plénipotentiaire belge remit à la conférence une nouvelle note tendant à obtenir la certitude de la reconnaissance immédiate de S. M. le roi des Belges. La conférence ayant donné sur ce point une réponse satisfaisante, notre plénipotentiaire adhéra aux 24 articles qui, le 15 novembre, furent convertis en une convention conclue avec chacune des cinq cours. Les ratifications devaient en être échangées dans les deux mois, c'est-à-dire avant l'expiration du 15 janvier 1832.
Notre position devenait ainsi bien nette : fort des engagements solennellement contractés, le gouvernement ne devait avoir d'autre but que d'obtenir dans le plus bref délai la ratification pure et simple du traité ; c'est vers ce but qu'ont tendu tous les efforts, c'est dans ce sens qu'ont été données toutes les instructions.
La question des forteresses belges est malheureusement venue compliquer notre position ; cette négociation secondaire, dont les résultats vous seront communiqués par la suite, a arrêté la négociation principale jusqu'à la fin du mois de janvier.
Le terme des ratifications avait été prorogé au 31 de ce mois.
La conférence avait cru devoir répondre aux nombreuses réclamations du gouvernement hollandais ; ce fut l'objet de sa note et de son mémoire du 4 janvier.
Les dispositions relatives à la navigation des eaux intermédiaires entre l'Escaut et le Rhin y sont pleinement justifiées : quant au partage des dettes, la conférence a cru devoir à la vérité, d'avouer que la Belgique avait été lésée ; « l'intérêt de toutes les dettes exclusivement belges, dit-elle, et le service de la partie différée de ces mêmes dettes, et l'intérêt des dettes communes ne se montaient en nombres ronds qu'à une somme de 5,800,000 fl. ; cette somme a été élevée à 8,400,000 fl. Toute la différence de 2,600,000 fl. allège donc d'autant le fardeau de l'ancienne dette hollandaise. » Je ne pousserai pas plus loin l'analyse de ces documents qui sont entre vos mains ; si la Belgique venait à perdre tous les titres sur lesquels elle peut s'appuyer dans la défense de ses droits, elle les retrouverait dans ces deux pièces remarquables où la conférence a défendu son œuvre avec une grande supériorité de pensée et de style, et a réfuté tous les arguments sur lesquels on pourrait s'appuyer pour critiquer une disposition isolée en la séparant de l'ensemble.
La note et le mémoire du 4 janvier étaient de nature à dissiper tous nos doutes ; cependant quelques jours après la publication de ces actes, le gouvernement acquit la certitude que les plénipotentiaires de deux cours seulement avaient reçu les ordres définitifs d'échanger. Le gouvernement se trouvait donc dans l'alternative de voir au 31 janvier le terme prorogé purement et simplement à l'égard de toutes les puissances, ou bien de recevoir les ratifications de deux puissances et de voir le terme prorogé pour les trois autres.
Après de mûres réflexions, nous avons regardé le dernier parti comme préférable. La ratification pure et simple de deux puissances suffisait, en liant chacune d'elles, pour assurer au traité ce caractère d'immutabilité qu'on pouvait essayer de lui enlever par la prorogation pure et simple, qui l'aurait soumis, à l'égard de toutes les puissances, à des éventualités. Le doute ne portait plus que sur trois puissances ; il y avait certitude à l'égard des deux autres. Tel fut le sens des instructions transmises à nos plénipotentiaires, sous la date du 10 janvier, et dont je viens de citer les principaux passages. C'est pour ces raisons que le gouvernement renonça au projet d'obtenir des ratifications simultanées.
Nous fûmes assez heureux pour obtenir, le 31 janvier, les ratifications pures et simples de la France et de la Grande-Bretagne. J'ai dès lors apprécié quel changement important était survenu en droit dans notre politique extérieure. Ratifié purement par la France et la Grande-Bretagne, ce traité était obligatoire pour ces deux puissances. Nous pouvions à la fois nous adresser à la conférence collectivement pour réclamer l'exécution des engagements contractés par les actes du 15 octobre, et en particulier aux deux puissances qui avaient échangé les ratifications, pour demander l'exécution pure et simple du traité même. Si nous nous sommes abstenus d'user de tous nos droits, c'est que les circonstances politiques, et notamment les embarras intérieurs des deux grandes puissances, qui se sont en quelque sorte associées à notre cause, nous prescrivaient de grands ménagements ; cependant j'ai persisté à déclarer que le gouvernement belge se refuserait à toutes modifications préalables.
Après de longues hésitations, les ratifications de l'Autriche et de la Prusse ont été échangées le 18 avril ; depuis l'ajournement de cette chambre, j'ai reçu les pièces officielles, que j'ai communiquées au sénat, et qui déjà vous ont été distribuées.
Si j'ai gardé le silence sur le protocole n°57 du 18 avril, c'est que cette pièce n'a pas été notifiée au gouvernement et qu'elle est ainsi sans effet à notre égard ; je ne l'ai connue moi-même que par les journaux. La réserve relative aux droits de la confédération germanique, pour ce qui concerne le Luxembourg, n'a été accueillie par le gouvernement qu'avec répugnance, sans qu'elle parût néanmoins de nature à infirmer en rien la ratification même, qui reste pleine et entière à l'égard de l'Autriche et de la Prusse ; une ratification pure et simple eût été sans doute préférable et nous étions en droit de l'exiger.
Nous comptions sur une ratification de ce genre de la part de la Russie ; et c'est dans cette prévision qu'ont été conçues les instructions relatives à l'exécution du traité, données à notre plénipotentiaire pendant son dernier séjour à Bruxelles. Dès son retour à Londres, la conférence s'est réunie, et les plénipotentiaires russes ont présenté un acte par lequel S. M. l'empereur ratifie le traité, « sauf les modifications à apporter aux articles 9, 12 et 18, dans un arrangement définitif entre la Hollande et la Belgique, » et ont déclaré dans un acte séparé qu'il s'agissait de modifications à faire « de gré à gré ».
Le plénipotentiaire belge n'était pas autorisé à recevoir de ratification partielle ; je regrette qu'il n'ait pas voulu courir les chances d'un nouveau retard en prenant le parti d'en référer au gouvernement ; il a été dominé sans doute par cette idée qu'il importait au plus tôt de mettre le traité du 15 novembre à l'abri de toutes les fluctuations ministérielles, et il a cédé à des nécessités que, par sa présence sur les lieux, il se croyait plus à même que le gouvernement d'apprécier.
Messieurs, les événements qui se préparent à Londres, et dont la nouvelle est arrivée hier à Bruxelles, ont dû suspendre les résolutions que le gouvernement croyait d'abord devoir prendre ; ces événements, dont notre plénipotentiaire avait sans doute le pressentiment, justifieront peut-être jusqu'à un certain point sa conduite. Tout en déplorant que la ratification russe ne soit pas pure et simple, il y aurait mauvaise foi, je dirai presque déraison, à méconnaître les grandes conséquences politiques de cet acte.
Pour la Russie surtout, la question belge n'était ni dans la dette ni même dans les limites : elle était placée plus haut. Il s'agissait de savoir si la destruction du royaume des Pays-Bas érigé par les traités de 1815 serait sanctionnée, si l'indépendance et la royauté belges seraient reconnues ; et ces questions, il faut bien l'avouer, se trouvent irrévocablement et unanimement résolues au profit de notre cause. Quant aux autres questions, il ne faut pas s'exagérer la portée des réserves ; les puissances qui ont ratifié purement et simplement n'en restent pas moins liées.
Sous le rapport de l'exécution, le traité renferme deux genres de dispositions : les unes susceptibles d'une exécution immédiate, les autres sujettes à des négociations pour devenir susceptibles d'exécution. Le gouvernement a arrêté son plan de conduite : les modifications ne pouvant se faire que de gré à gré, il est impossible qu'on négocie de nouveau sans le concours, la participation de la Belgique ; le gouvernement refusera de prendre part à de nouvelles négociations avant que le traité n'ait reçu un commencement d'exécution dans toutes les parties non sujettes à négociation, c'est-à-dire qu'il exigera avant tout que le territoire belge soit évacué.
C'est un préalable indispensable, il en fait une condition sine quod non. Jusque-là il ne participera à aucune négociation ; par son refus, il peut arrêter tous les projets ultérieurs. Il y a plus : le territoire étant évacué, s'il prend part à de nouvelles négociations, il n'agira que dans un système de juste compensation, en déclarant d'ailleurs que, si les propositions nouvelles ne sont pas de nature à pouvoir être acceptées par lui, il conserve le droit de maintenir purement et simplement les articles sur lesquels on aurait négocié.
Je ne finirai pas sans vous entretenir de nouveau du déplorable attentat dont un de nos meilleurs citoyens a été victime ; le gouvernement a acquis la certitude que cet acte de déloyauté a été désapprouvé par toutes les puissances avec autant de force que par nous-mêmes. C'est sans aucun fondement qu'on a prétendu que la Diète germanique avait demandé l'extradition de M. Thorn, pour le livrer à un tribunal austrégal ; elle aussi a désapprouvé le fait.
Le gouvernement hollandais, prétendant que l'arrestation de M. Thorn n'a été qu'un acte de représailles, veut mettre pour condition à son élargissement la mise en liberté des individus arrêtés comme ayant fait partie de la bande Tornaco. Si la voie des négociations, si tous les moyens diplomatiques étaient épuisés, il n'y aurait plus qu'un parti extrême à prendre qui placerait le pays dans un autre ordre de choses.
Messieurs, le gouvernement du Roi a la conscience d'avoir rempli ses devoirs dans toute leur étendue ; si ses efforts n'ont pas toujours été couronnés de succès, ce sont les circonstances et non ses intentions qu'il faut en accuser. Il espère trouver dans la représentation nationale et dans le pays cette confiance et cette union sans lesquelles il lui serait impossible de résister aux manœuvres des partis et de braver les incertitudes de l'avenir. (Agitation prolongée. - L’impression !)
- Quelques voix. - Cela n’en vaut pas la peine.
M. Dumortier. - Messieurs, vous voyez maintenant que nos affaires prennent une tournure tout à fait nouvelle, et à coup sûr, cependant, le gouvernement veut encore se renfermer dans ces voies diplomatiques que nous avons à déplorer. Dans une de nos précédentes séances, M. le ministre des affaires étrangères nous avait déclaré son intention de continuer ces mêmes voies, et il y persiste encore aujourd’hui. Je regrette que, dans des circonstances pareilles à celles où nous nous trouvons placés, que les Belges doutent s’ils ont une patrie, on vienne toujours nous parler de négociations. Mais ce qui m’a étonné dans le discours de M. le ministre, c’est ce qu’il a dit que le protocole n°57 ne lui avait pas été notifié, et qu’il n’en avait eu connaissance que par les journaux. Comment se fait-il, messieurs, que le gouvernement n’ait pas eu connaissance de ce protocole, quand notre plénipotentiaire à Londres y a adhéré ? Je tiens en main ce protocole tel qu’il a été publié par les journaux, et la note qui y a été jointe par notre plénipotentiaire.
Ici l’orateur donne lecture de l’annexe au protocole n°57, ainsi conçue :
« Le plénipotentiaire belge ayant eu connaissance de la réserve faite par les plénipotentiaires d’Autriche et de Prusse, en ce qui concerne les droits de la confédération germanique, s’en réfère purement et simplement à la garantie donnée à la Belgique par les cinq puissances, garantie dans laquelle le plénipotentiaires belge a une pleine confiance, fondée sur les engagements contractés par le traité du 15 novembre 1831.
« Londres, 18 avril 1832.
« Signé, Van de Weyer. »
Je m’étonne, d’après cela, que l’honorable M. de Muelenaere dise que le gouvernement n’avait aucune connaissance de ce protocole ; car si ce protocole est tel que l’ont publié les journaux, le gouvernement n’a pas dû l’ignorer, ou bien notre plénipotentiaire a fait un acte pour lequel il n’a pas même consulté le gouvernement.
Messieurs, notre état actuel est dû à une seule chose ; il vient de ce que nous avons toujours montré la plus grande mollesse et jamais d’énergie. La Hollande, au contraire, a toujours fait preuve d’énergie ; voyez si elle consulte la conférence quand elle enlève M. Thorn. Consulte-t-elle la conférence pour faire une autre tentative sur la personne de M. Ch. de Brouckere ? Consulte-t-elle la conférence pour arrêter nos douaniers, nos percepteurs, quand elle mitraille nos ports apportant des fusées à la congrève ?
Dans toutes les circonstances, la Hollande a toujours montré la plus grande énergie et nous une extrême faiblesse. C’est cette faiblesse qui nous perd. Que prouve tout cela ? La force de la Hollande et notre faiblesse. On nous regarde toujours comme les vaincus du mois d’août. Cependant n’avons-nous pas une armée de 80,000 hommes ? Eh bien ! si nous avons 80,000 baïonnettes, qu’on les mettre au bout des fusils ? Je regrette que le gouvernement ait toujours montré tant de mollesse.
Il est temps de sortir de cet état de torpeur où nous sommes anéantis. Et c’est quand le gouvernement n’a pas pris une seule mesure, que l’on parle de la patrie ! Eh quoi ! on prononce son nom quand on la laisse déchirer ! La patrie, messieurs, ce n’est pas un coin de terre où l’on sème du blé et du chanvre ; c’est la dignité, c’est l’honneur qui constituent la patrie, et un peuple sans honneur est un peuple sans patrie. Tout, aujourd’hui, est pour nous remis en doute. Tous les événements prouvent la faiblesse des ministres, et cette faiblesse communique ailleurs. Il n’y a pas trois jours encore, vous avez pu voir dans les journaux jusqu’à quel point on s’avilit ; vous avez lu une lettre d’un capitaine nommé Tencé. Je le demande, ce militaire ne se met-il pas à genoux devant la Hollande pour excuser le passage de quelques-uns de nos soldats sur son territoire ?
J’ose le dire, messieurs, si la conduite de M. Van de Weyer n’est pas désavouée formellement, les Belges n’ont plus de patrie.
On vous a dit que les 18 articles avaient été perdus dans les journées du mois d’août ; oui, mais il est aussi juste de dire que, si les 24 articles ont été perdus, c’est par la faiblesse du ministère. Toutes les fois que la Hollande montrait de la vigueur, il fallait aussi en déployer, il fallait sévir à votre tour ; alors vous auriez fait voir que vous aviez épuisé les sacrifices et que vous n’étiez plus disposés à en faire.
Mais, a dit M. le ministre, le gouvernement a arrêté son plan de conduite. Et quel plan de conduite, grand Dieu ! s’il persévère dans la marche qu’il a suivie ! Est-ce encore à des protocoles, à des modifications qu’il se confie, quand tout cela n’est que mystification ? Et cependant, si j’en crois ce que vient de dire M. le ministre, il veut toujours rester dans cette voie. Et en effet, comment nous a-t-il parlé relativement à notre envoyé à Londres ? « Je regrette vivement que M. Van de Weyer n’en ait pas référé au gouvernement. » Voilà comment il s’est exprimé. Quand un plénipotentiaire a transgressé ses instructions, il se borne à le regretter ; ce n’était pas un regret qu’il fallait manifester, mais un désaveu formel ; il fallait rappeler cet envoyé.
Quand nous avons été forcés d’accepter les 24 articles, nous avons autorisé le Roi à conclure et à signer le traité, sous telles clauses et réserves qu’exigerait l’intérêt du pays. Eh bien ! je vous le demande, après une loi si positive, avons-nous donné au gouvernement le droit de remettre en question les 24 articles ? Non : lorsque nous l’avons autorisé à traiter sous les clauses et réserves qu’il jugerait convenables dans l’intérêt du pays, c’est que nous voulions la reconnaissance immédiate du Roi et faire revenir la conférence sur le protocole n°48, si je ne me trompe, qui nous grevait d’une rente annuelle de 4 millions de plus. Mais nous ne voulions pas que le traité fût remis en question. Dans de pareilles circonstances, ce qu’il faut, c’est le rappel immédiat de l’envoyé à Londres, ce sont des mesures énergiques, car elles nous ont toujours bien servi. Lorsque, dans la fameuse nuit du 1er février, le congrès protesta avec énergie contre les conditions que venait de nous imposer un protocole récent, la conférence ne réalisa aucune des menaces qu’elle avait faites.
Je demande à M. le ministre une explication sur le point de savoir si l’on entend rappeler immédiatement notre envoyé à Londres, et restituer la ratification à la Russie.
M. Ch. de Brouckere. - Je me permettrai de faire une observation et de demander de nouveaux éclaircissements.
M. le ministre nous a parlé, en terminant, de M. Thorn. Hier, répondant à un de ses collègues qui disait que l’enlèvement de M. Thorn avait eu lieu en violation du droit des gens, j’ai fait remarquer qu’il n’y avait pas là violation du droit des gens, mais que c’était un acte d’hostilité. Aujourd’hui M. le ministre des affaires étrangères dit que c’est un acte de déloyauté. Eh bien ! je ne suis pas encore de cet avis, Depuis le 25 octobre, en droit il n’y a eu ni armistice ni suspension d’armes entre nous et la Hollande. Les deux parties sont restées en état de guerre et l’arme au bras. Dès lors l’une des deux puissances peut attaquer l’autre, sans violer le droit des gens.
Le roi de Hollande, a-t-on dit, a répondu que c’était un acte de représailles. Ici encore il était dans son droit. Une bande composée de Belges, qui s’était mise au service du roi de Hollande, a commis des hostilités sur notre territoire. Une partie de cette bande a été défaite et l’autre arrêtée. Or, je conçois que le roi de Hollande soutienne la cause de ces hommes et tâche de les ravoir. Mais, dit-on, si la Hollande persiste dans son obstination, on prendra de nouveaux moyens qui changeront notre position. Eh bien ! qu’on s’y mette sur-le-champ, car il est certain que le roi de Hollande persistera à soutenir que c’est un acte de représailles. Je le répète, ce n’est pas une violation du droit des gens, mais un acte d’hostilité que nous sommes en droit de repousser par un autre acte d’hostilité ; car nous sommes en état de guerre.
Revenant aux ratifications, je demanderai si, comme on le dit de toutes parts, il existe un dernier protocole, et si c’est le dernier ? (On rit.) S’il existe, je veux savoir ce qu’il contient, et je demande qu’il nous soit soumis ; car, quand on fait une communication, il faut qu’elle soit complète. La ratification de la Prusse, nous disait-on, est pure et simple, et tout à l’heure j’ai entendu parler des réserves de l’Autriche et de la Prusse. On vient de produire un journal où se trouve publié le texte du 57ème protocole avec la déclaration de notre plénipotentiaire à Londres. Je ne sais jusqu’à quel point on peut s’en rapporter à une feuille qui n’est pas officielle. Mais quand on lit la ratification de la Russie, on lit en même temps la déclaration de notre plénipotentiaire à Londres. Or, où est la déclaration du plénipotentiaire belge relative à l’échange de la ratification de la Russie, si ce n’est celle annexée au protocole n°57 ? Il connaissait donc ce protocole. De deux choses l’une : c’est nous ou le ministère que l’on joue ; mais il y a toujours quelqu’un de joué. (On rit.)
Je passe à la ratification de la Russie. M. le ministre a dit qu’il y aurait déraison ou mauvaise foi à ne pas y trouver un résultat important. Quant à moi, je repousse le reproche de mauvaise foi ; mais j’avoue que je ne comprends pas l’avantage que nous pourrons en retirer.
On prétend qu’après cette ratification une partie du traité peut être exécuté tout de suite, et les autres feront l’objet de négociations. Je soutiens, moi, qu’aucune partie n’en peut être exécutée sans la bonne volonté de la Hollande ou sans l’emploi de la force. En effet, quelles serait la partie exécutable d’abord ? l’évacuation de notre territoire ; or, il fait pour cela que la Hollande consente à sortir d’Anvers. Mais comme elle ne veut pas du traité des 24 articles tel qu’il est, s’il ne vous reste que les moyens coercitifs et si l’on vous ôte ces moyens coercitifs, vous êtes condamnés à un statu quo indéfini ; il vous faut conserver inutilement une armée sur pied jusqu’à ce que la Hollande veuille bien adhérer au traité.
Aucune des ratifications n’a avancé nos affaires ; car, s’il faut le consentement de la confédération germanique, c’est remettre l’exécution du traité à l’infini, car il y aura des discussions interminables sur la question de savoir jusqu’à quel point la confédération a des droits sur le Luxembourg, et jusqu’à quel point le roi de Hollande est lié vis-à-vis d’elle. Quant aux autres parties du traité, elles ne peuvent pas être séparées les unes des autres.
En résumé, si nous continuons à recourir à la conférence, nous laisserons l’ennemi dans notre territoire ; la Meuse nous sera fermée, et le pays devra payer des sommes immenses pour une armée qui ne rendra aucun service.
M. H. de Brouckere. - Il m’arrive rarement de prendre la parole, lorsque l’on traite ici des questions de politique extérieure, parce que je préfère laisser ce soin à ceux d’entre vous qui ont l’habitude d’en faire l’objet principal de leurs études et de leurs méditations. Mais j’ai été tellement étonné des paroles vraiment étranges que nous venons d’entendre sortir de la bouche de M. le ministre des affaires étrangères, que je ne puis prendre sur moi de ne point manifester cet étonnement ; je le ferai en peu de mots.
Je commence par le protocole n°57. N’est-elle pas bien surprenante, n’est-elle pas bien inconcevable, messieurs, la déclaration que vient de faire M. le ministre, qu’il n’en connaît le contenu que par les journaux ? Un honorable préopinant vous a déjà donné lecture de la pièce signée à cet égard, le 18 avril, par notre ministre plénipotentiaire à Londres. Eh ! veuillez-y faire attention ; cette pièce porte pour titre : « Annexe au protocole n°57, » et dans ce protocole on lit entre autres :
« Le plénipotentiaire belge ayant été introduit pendant la séance, les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse ont procédé avec lui à l'échange des actes de ratification du traité du 15 novembre 1831 et ont en même temps, d'après les désirs formels de leurs souverains, fait insérer les déclarations suivantes dans le présent protocole.
« Déclaration commune des plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse.
« En procédant à l'échange des ratifications du traité du 15 novembre 1831, les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse sont chargés de déclarer dans le protocole, au nom de leurs cours, que lesdites ratifications ne sont données que sous la réserve expresse des droits de la confédération germanique, relativement aux articles du traité du 15 novembre qui concernent la cession ou l'échange d'une partie du grand-duché de Luxembourg qui forme un des Etats de la confédération. »
Quelle conclusion devons-nous tirer de là, messieurs ? La voici : de deux choses l’une, ou M. le ministre nous a singulièrement trompé (il me répugne de le croire), ou il est bien mal servi par ses agents.
Ainsi, il est constant aujourd’hui que l’Autriche n’a pas seule fait des réserves en donnant sa ratification au traité du 15 novembre ; ces réserves sont communes à la Prusse ; seulement cette dernière puissance les a insérées dans un protocole qui fait, en quelque sorte, partie de l’acte de ratification, et qui a été bien et dûment communiqué à notre fondé de pouvoirs à Londres, ainsi que le prouve la signature qu’il a apposée à l’annexe au protocole.
Je passe à la ratification de la Russie ; elle renferme, celle-ci, des notifications d’une toute autre importance ; nous venons d’en acquérir la certitude. Avant de vous exprimer mon opinion à cet égard, qu’il me soit permis de vous rappeler quelques souvenirs qu’il est important de retracer.
Messieurs, vous le savez, lorsque le traité des 24 articles vous fût soumis, ceux d’entre nous qui crurent devoir lui donner leur assentiment ne le firent qu’avec une extrême répugnance, qu’avec d’amers regrets, unanimement exprimés. Et par quelles considérations y étaient-ils déterminées ? Leur résolution était la suite des menaces dont la proposition était accompagnée, de l’assurance que le traité était définitif, irrévocable, de la promesse formelle faite par les puissances d’en amener elles-mêmes l’exécution qu’elles garantissaient. Mais, si alors on vous eût dit que ces assurances, ces promesses, cette garantie n’étaient qu’un leurre, qu’un nouveau moyen de déception, je vous le demande, en est-il un seul d’entre vous qui n’eût point repoussé les propositions et les menaces qu’on nous adressait ?
Non, messieurs, aucun de vous n’eût voulu donner dans de pareilles mystifications. Le gouvernement connaissait si bien vos sentiments, il les partageait à un tel point, que chaque fois que M. le ministre des affaires étrangères est monté à la tribune depuis le mois de novembre, il ne manquait point de vous répéter que toute réserve, toute modification, serait rejetée ; qu’il ne serait plus fait la moindre concession, avant l’exécution pleine et entière du traité.
Cependant, messieurs, en présence de tels faits, un agent du gouvernement, sans autorisation, sans instructions (car je dois ajouter foi aux paroles du ministre), n’a pas craint de consentir à l’échange des ratifications avec le plénipotentiaire russe, tandis que celle qu’on lui remettait et qu’il acceptait renferme des réserves telles que presque tout ce que stipule le traité est remis en question.
Nous nous attendions, messieurs, au désaveu du gouvernement, au renvoi de la ratification russe. Nous nous trompions. C’est de nouveau de l’hésitation, de la faiblesse, des atermoiements qu’on nous annonce.
Messieurs, il est temps de couper court à tant de tergiversations. Si le ministère ne veut pas prendre des mesures pour cela, c’est à nous à les provoquer. (Applaudissements.) Comment ne pas être étonné, après les promesses solennelles qu’on nous avait faites, de voir que nous avons été joués par la diplomatie ? Le temps est venu de prendre une attitude digne du peuple belge, digne de l’honneur national outragé. Je le répète, c’est aux moyens énergiques qu’il faut recourir ; cela est d’autant plus urgent qu’on ne connaît pas encore tous les affronts qu’on nous fait subir. Les Hollandais ne se contentent plus de faire enlever des douaniers, des employés du gouvernement ; ce sont de simples particuliers qu’on arrache à leur pays, à leur famille, qu’on traîne et qu’on retient dans Maestricht comme dans un repaire de brigands.
Il est temps, je le répète, de prendre des mesures énergiques pour repousser ces affronts, et si le ministère ne vient pas nous faire à l’instant la promesse formelle d’y recourir, avant la fin de la séance je déposerai sur le bureau la proposition de faire une adresse au Roi. (Bravos prolongés.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - J’ai donné à la chambre quelques explications qui tendent à justifier la conduite d’un homme qui a rendu à la révolution d’importants services. On a bien voulu me rendre la justice de croire que j’avais dit la vérité en déclarant que le 57ème protocole n’avait pas été notifié au gouvernement ; mais on a tiré de la publication faite dans les journaux la conséquence que M. Van de Weyer avait manqué à ses devoirs, en ne communiquant pas au gouvernement un protocole où il avait concouru. C’est sous ce rapport que je veux présenter pour lui quelques explications justificatives.
Il est à remarquer, messieurs, que le plénipotentiaire belge ne fait pas partie de la conférence ; elle se compose exclusivement des plénipotentiaires des cinq grandes puissances. Ceux de la Belgique et de la Hollande n’y sont appelés et n’y entrent que lorsqu’il y a une affaire qui les concerne en leur qualité de plénipotentiaires. C’est ainsi que, le jour de l’échange des ratifications de la Prusse et de l’Autriche, M. Van de Weyer fut appelé au sein de la conférence.
Arrivé à la salle des délibérations (et cela je puis l’affirmer, parce que j’avais fait la même observation que M. H. de Brouckere à M. Van de Weyer, qui m’a déclaré en réponse que le protocole n°57 ne lui a jamais été communiqué), arrivé à la salle des délibérations, les plénipotentiaires d’Autriche et de Prusse lui annoncèrent qu’ils n’étaient autorisés à faire l’échange que sous la réserve de droits de la confédération germanique. M. Van de Weyer hésita ; et ce ne fut qu’après une longue délibération, et sur les conseils des plénipotentiaires de France et d’Angleterre, qui ne voyaient dans ces réserves que la reproduction des articles 5 et 7 du traité lui-même, que M. Van de Weyer remit la note dont il vient d’être donné lecture. L’échange ayant eu lieu devant lui, il se retira, et c’est seulement après sa sortie que le protocole n°57 a été rédigé. Si vous voulez le lire attentivement, vous verrez qu’il n’y a pas concouru. Sa déclaration en est tout à fait indépendante. Je le répète encore, quant à nous nous n’avons jamais reçu notification de ce protocole, et M. Van de Weyer lui-même se trouve dans le même cas que nous.
Un honorable préopinant a dit que c’était par la faiblesse du ministère qu’avait péri les 24 articles. Je vous avoue que, jusqu’à présent, je ne vois pas du tout que les 24 articles soient perdus. Il dépendra du pays et des chambres qu’ils ne soient pas perdus. J’ai eu l’honneur de vous dire déjà que d’après nos instructions, on ne devait accepter que des ratifications pures et simples, et je déclare que c’est avec la plus grande répugnance que j’ai consenti moi-même à adopter celle de l’Autriche avec les réserves qu’elle contient, qu’insignifiantes qu’elles fussent, parce que j’ai toujours dit que les 24 articles étaient définitifs et devaient rester intacts.
Je ne disconviens pas que la ratification de la Russie tend à modifier le traité du 15 novembre dans quelques-unes de ses dispositions, et que je ne suis pas rassuré de ce côté. Aussi le dirai-je avec peine, avec douleur, parce que j’apprécie les importants service de notre plénipotentiaire à Londres, il n’a pas agi d’après ses instructions. Mais, dit-on, il aurait dû être rappelé. Eh bien ! dans le cas où M. Van de Weyer serait rappelé, dois-je le venir dire à la tribune et le signaler à toute l’Europe. Il suffit que la chambre sache qu’il n’était pas autorisé à agir comme il l’a fait et qu’il est en droit de désavouer sa conduite. Mais dans les circonstances actuelles, il serait extrêmement dangereux que le gouvernement s’expliquât sur une foule de questions délicates que soulève la ratification de la Russie, surtout quand le ministère Grey est dissous, et que nous ne savons pas encore celui qui lui succédera.
L’honorable M. H. de Brouckere vous a manifesté l’intention de présenter un projet d’adresse au Roi. Quant à moi, je déclare qu’au lieu de m’y opposer, j’applaudis à cette proposition, et que, dans les circonstances graves où nous nous trouvons, une telle mesure ne peut faire que du bien. J’ai eu l’honneur de vous dire que le gouvernement avait surtout en ce moment besoin de l’appui des chambres. Si la chambre juge qu’une adresse respectueuse peut prêter appui et force à la royauté, je serai le premier à y donner mon adhésion.
M. Ch. de Brouckere. - Je demande la parole pour revenir sur un seul fait. M. le ministre des affaires étrangères nous a dit que notre envoyé à Londres n’a pas concouru au protocole n°57, mais quand on signe un acte en double, on doit en prendre connaissance ; je ne conçois pas que notre plénipotentiaire donne acte d’une réserve qu’il n’a pas lue. C’est là une explication que je ne puis admettre ; je ne l’admettrais pas même pour le dernier paysan, à plus forte raison du plénipotentiaire d’une nation. Je me bornerai à ce peu de mots, mais je ferai observer que l’explication est invraisemblable.
M. A. Rodenbach. - Il n’est question depuis quelques jours que de l’arrivée d’un 59ème protocole ; je demanderai donc au ministre des affaires étrangères si on lui a communiqué officiellement ce protocole, et s’il est vrai qu’il nous interdit le recours aux armes et nous force à faire un traité supplémentaire avec la Hollande avant même que celle-ci n’ait accepté les 24 articles.
Enfin je demanderai si par le 59ème protocole la dette de 8,400,000 florins devrait être capitalisée et remboursée à la Hollande, de sorte que le montant de l’intérêt annuel coûterait à la malheureuse Belgique de 14 à 15 millions.
Que M. le ministre veuille répondre catégoriquement à cette interpellation.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Il existe en effet un protocole n°59. Ce protocole, si je m’en rappelle bien les expressions, a pour but d’empêcher les hostilités de part et d’autre. Vous savez que plusieurs fois la conférence a déclaré que les deux parties n’avaient pas le droit de recourir aux armes. Ce protocole n’est que la suite de cette déclaration. Quant aux autres conditions dont a parlé M. A. Rodenbach, je puis assuré qu’il n’en est rien.
M. H. de Brouckere. - Je demande la parole pour lire mon projet d’adresse.
M. le président. - Je ne sais s’il est permis de le lire tout de suite. (Oui ! oui !)
M. H. de Brouckere. - J’en ai certainement le droit, et je le prouverai au besoin, car il n’y a que les projets de loi qui soient astreints aux formalités prescrites par le règlement.
- M. H. de Brouckere donne lecture de son projet ainsi conçu :
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre une commission composée de sept membres, à l’effet de rédiger une adresse à S.M. pour lui exprimer le vœu que le gouvernement montre, à l’occasion des réserves introduites dans les ratifications par plusieurs puissances, la fermeté et l’énergie qui conviennent à un pays libre et indépendant, et prenne les mesures nécessaires pour obtenir de la Hollande satisfaction des arrestations faites sur notre territoire, et prévenir toute vexation et tout affront de sa part à l’avenir. »
M. Destouvelles. - Je désire préalablement que le ministre s’expliquer catégoriquement sur la question de savoir si le protocole n°59 est en sa possession, et, en cas d’affirmative, de le déposer sur le bureau ou de le communiquer à la chambre. Il faut que la chambre connaisse dans leur ensemble toutes les pièces diplomatiques pour pouvoir former son opinion sur les négociations et décider ce qu’il convient de faire. Déjà on nous a dit que l’on n’avait pas eu connaissance du protocole n°57, autrement que par les journaux ; il ne faut pas qu’on puisse plus tard nous en dire autant du protocole n°59. Il est difficile de croire à l’assertion du ministre, quant au premier. Eh quoi ! messieurs, le protocole n°57 et l’annexe qui y est jointe ont été faits d’un seul jet, ils portent ensemble la date du 18 avril, et quand notre envoyé a signé l’un, on prétend n’avoir pas connaissance de l’autre ! Cependant, depuis le 18 avril, notre envoyé est venu à Bruxelles, et certes on a eu le temps et les moyens de prendre auprès de lui tous les renseignements nécessaires.
Quoi qu’il en soit, je poserai à M. le ministre le dilemme suivant ; ou notre plénipotentiaire a manqué à ses obligations, et alors prenez à son égard les mesures que vous jugerez convenables ; ou vous avez eu connaissance du protocole (et j’avoue qu’après la double déclaration de M. le ministre, il me répugne de toucher cette corde délicate), et dans ce cas il faut qu’il nous soit communiquée, parce que la réserve qu’il contient, c’est un document qui est devenu commun à la Belgique et à la conférence, et il est essentiel que nous le connaissions, puisqu’il peut devenir la base de nos délibérations.
On dit qu’il n’a pas été notifié au gouvernement, que l’envoyé belge n’est pas censé le connaître, et, pour donner quelque plausibilité à cette allégation, on prétend que le plénipotentiaire belge n’est pas admis au sein de la conférence, pas plus que le plénipotentiaire hollandais. Cependant, messieurs, vous avez pu remarquer que les journaux anglais ont plus d’une fois publié des protocoles qui leur venaient de La Haye ; d’où il est permis de conclure qu’il y a eu une préférence marquée pour les diplomates du roi Guillaume.
Après tout ce qui s’est passé, notre défiance n’est que trop légitime. Voyez la Russie, ratifiant dès le 18 janvier et n’échangeant la ratification que 3 mois après. Remarquez quelle série d’opérations ont dû suivre. Voyez l’envoyé russe allant sonder le terrain à la cour de Prusse, à La Haye, et n’arrivant à Londres que pour s’entendre encore avec les plénipotentiaires de Prusse et d’Autriche, afin de ratifier, tout en rendant les ratifications illusoires. C’est dans ce but, en effet, qu’on vous a parlé dans la ratification de l’Autriche de réserves faites dans l’intérêt de la confédération germanique ; et quand nous parle-t-on de la confédération germanique ? Au mois d’avril, quand sept mois se sont écoulés depuis le traité ; et quand la Russie vient ratifier à son tour, alors se dévoile tout le plan des puissances.
Vous voyez la Prusse et l’Autriche se charger de la question du Luxembourg, la Russie se réserver celle de la navigation des eaux intérieures, du chemin de Sittard et de la dette. Vous voyez comment les rôles sont partagés, comme les acteurs restent dans la coulisse jusqu’à ce que le moment est venu de paraître sur la scène (on rit) ; la distribution des rôles est parfaite. Mais qui est la victime de ce drame ? C’est la Belgique, grâces aux voies diplomatiques dans lesquelles on l’a entraînée et d’où, je le crains, il lui sera difficile de sortir.
Ce ne sera, en tout cas, que par des mesures fortes que nous pourrons échapper à la crise qui nous menace, et, si pour cela le gouvernement attend l’appui des chambres, les chambres sont en droit d’attendre du ministère les communications les plus franches. Je demande donc qu’il nous fasse connaître les protocoles n°57, 58 et 59 ; c’est le seul moyen de nous mettre à même de prendre en connaissance de cause une décision conforme à la dignité de la Belgique et à ses vrais intérêts.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, après mes déclarations répétées que le protocole n°57 n’a jamais été communiqué au gouvernement belge, j’ai quelque droit de m’étonner que l’honorable membre ait posé un dilemme duquel il résulterait que le gouvernement veut tromper la chambre. Je ne crois pas jusqu’à ce jour avoir mérité un semblable reproche ; mes communications ont toujours été franches et loyales ; je n’ai jamais hésité à vous faire connaître la marche des négociations, et c’est toujours ainsi que j’agirai ; si donc le protocole n°57 m’eût été communiqué, je ne le cacherais pas à la chambre.
Quant au 59ème protocole, c’est la première fois que j’en entends demander la communication, et si j’avais prévu semblable demande, je me serais empressé de l’apporter. J’en ai déjà fait connaître la clause principale, et j’avoue que je ne vois pas d’inconvénient à le communiquer à la commission ou même à la chambre, mais au moins faudrait-il me donner le temps de le relire. (Rires et murmures prolongés.)
Les pièces diplomatiques peuvent avoir une grande portée, et elles ne sont pas toujours de nature à être communiquées au public, et, pour moi, je déclare que je ne communiquerai de semblables documents que quand je n’y verrai nul danger, parce que j’ai des devoirs à remplir, je les remplirai tant que je resterai au poste que j’occupe. Du reste, si cette discussion devait se prolonger encore, je prierais la chambre de fixer un autre jour pour la continuer, car fatigué par les travaux auxquels j’ai été forcé de me livrer, il me serait impossible de la soutenir plus longtemps.
M. Gendebien. - Messieurs, quelle que soit la répugnance que j’éprouve à prendre la parole dans une question qui n’en est plus une pour tout homme doué de la plus légère dose de bon sens, et de tant soit peu de probité, je crois devoir rompre le silence, parce que, à la suite des communications plus qu’insignifiantes qu’on vient de nous faire, j’ai vu avec beaucoup d’étonnement que les seules conclusions dont on les accompagnait était de continuer les négociations.
Ne sommes-nous donc pas arrivés encore au terme des déceptions dont la Belgique est victime ? Ne sommes-nous pas au terme des objections ? N’avons-nous pas atteint encore le dernier degré du déshonneur ? Pour moi, messieurs, jugeant la nation par moi-même, et jugeons-la tous ainsi, messieurs, et demandons-nous, comme individus, si l’un de nous ayant reçu un seul des nombreux affronts que la conférence a fait subir à la Belgique, il hésiterait un seul instant à en demander satisfaction et à exposer mille fois sa vie pour l’obtenir. Eh bien, l’honneur national est plus susceptible que l’honneur individuel.
Un homme insulté peut se cacher dans l’ombre, une nation ne se cache pas, et quand, insultée dans son honneur, elle ne peut se défendre, on la raie de la liste des peuples : c’est là, messieurs, le but que s’est toujours proposé d’atteindre la conférence.
Le moment des discussions est passé ; il ne s’agit plus maintenant d’agiter la question de paix ou de guerre. Cette question est résolue, la coalition est toute formée, il n’y a que les niais qui voient le contraire, ou les hommes de mauvaise foi. Je respecte les erreurs qui ont été commise, et dans ce que je vais dire, il n’y aura rien de personnel.
Examinez le point d’où nous sommes partis, et voyez la position actuelle, et jugez si nous ne sommes pas arrivés à la péripétie du drame. Ce drame avait commencé sous de si heureux auspices ; un sang pur avait été versé généreusement, sans arrière-pensée comme sans intérêt personnel. Si on avait tiré parti de ce noble élan, et si, après les succès éclatants, je dirai presque miraculeux, que nous avions obtenus, on n’avait entravé la marche de la révolution, nous ne serions pas arrivés aujourd’hui au dernier degré d’avilissement, car, messieurs, il ne nous en reste plus qu’un à franchir, celui d’être rayés de la liste des nations.
La politique européenne est aujourd’hui visible à tous les yeux, elle a toujours tendu à éteindre l’esprit révolutionnaire ; parce que les souverains sentent bien qu’ils règnent contre nature, ils craignent, non sans raison, que le tableau d’un peuple libre et heureux, ne fît surgir chez eux des imitateurs. Ils ont dû s’efforcer par conséquent à étouffer la révolution française et la nôtre. Tout semble les seconder. En France, on a trouvé des intrigants plus disposés à exploiter la révolution qu’à seconder sa marche ; en Belgique, on a commencé par tout nous accorder, pour nous enlever tout ensuite. C’est ainsi pour arrêter nos succès, que par le protocole du 7 novembre, on nous accordait tout, sauf la rive gauche de l’Escaut, parce que, disait-on, elle n’avait pas fait partie anciennement des provinces méridionales. Qu’est-il arrivé ensuite ? Petit à petit, on a arrêté l’élan révolutionnaire, on a anéanti les forces populaires, et les doctrinaires sont venus ensuite, de bonne foi je veux bien le croire, se trompant sur le but, se trompant sur les moyens, ils nous ont conduit insensiblement sur la pente où nous glissons rapidement et où nous péririons si nous n’y prenons garde.
Souvenez-vous, messieurs, de ce que nous disions quand on nous proposa d’élire pour roi le prince de Saxe-Cobourg, nous ne voulions pas qu’il fût élu avant d’avoir irrévocablement fait fixer les limites du territoire belge. Profitons de la circonstance, disions-nous, forçons les puissances à nous donner tout ce que nous sommes en droit de prétendre, parce que une fois Léopold élu, il n’aura plus en arrivant en Belgique qu’à faire du bien, et qu’à fermer les plaies ouvertes par la révolution. Si au contraire, vous l’élisez et qu’il arrive en Belgique avant que vos limites ne soient fixées, vous n’obtiendrez plus rien des puissances, parce que le trône belge étant occupé, elles n’auront plus à redouter la réunion de la Belgique à la France.
On ne fit aucun cas de nos avis. Le roi fut élu, et vous voyez à combien d’affronts le roi d’un peuple libre a été exposé depuis son avènement au trône. Qui sont ceux qui l’ont exposé à ces affronts ? Ceux-là mêmes qui se sont dits ses amis et qui furent les plus ardents à l’élire. Qui sont ceux qui ont voulu les lui éviter ? Ceux qu’on a représentés comme ses ennemis et comme les ennemis de la royauté.
Ce que nous avons dit lors de la discussion des 18 articles se réalise. Le prince de Saxe-Cobourg a fait tout à Londres, je le sais, pour obtenir à la Belgique les limites qu’elle s’était fixées. Ses efforts furent inutiles, les ministres du régent n’hésitèrent pas à violer la constitution, pour accepter les 18 articles. Ce premier pas fait et la constitution violée, les 18 articles nous donnaient une garantie pleine et complète contre toute hostilité de la part de la Hollande. Nous fûmes attaqués par le roi Guillaume quelques jours avant l’inauguration de Léopold. C’était une nouvelle insulte faite à notre roi. Je ne parle pas de notre défaite, parce qu’elle n’est que nominale, et parce que les Hollandais ont surpris nos soldats et notre armée sans organisation ; nous n’avons pas été vaincus, le courage belge n’a point reçu d’échec, et j’espère que nous saurons dans l’occasion en donner la preuve à nos ennemis. Loin de réprimer l’acte hostile et déloyal du roi Guillaume, les cinq puissances l’en ont récompensé. Ces 18 articles ont été anéantis. On vient de vous les représenter comme la charte de joyeuse entrée de notre roi.
Le moment est mal choisi, ce me semble, pour employer une telle expression ; c’est une insulte faite au pays. Quoi ! la Hollande a violé le droit des gens par une attaque déloyale, elle a violé les garanties données à la Belgique par les puissances, et la Belgique, si fidèle aux engagements contractés, a dû consentir à voir ces articles anéantis ? On est venu avec regret, le cœur contrit, la larme à l’œil, lui conseiller d’adopter les 24 articles. On les considérait comme préjudiciables au pays et comme inacceptables, n’eût été la loi de la nécessité, et depuis à la moindre annonce de ratification on s’est réjoui comme d’un succès éclatant, l’échange des ratifications n’était plus qu’une formalité de chancellerie. Sept mois se sont écoulés, les ratifications sont venues, et, vous le voyez, elles détruisent le traité de fond en comble.
Ce traité, on vous l’avait fait accepter par nécessité, si jamais la nécessité est assez puissante pour faire céder une nation courageuse à de honteuses conditions. Mais aujourd’hui y a-t-il nécessité de négocier encore et de subir de nouvelles humiliations ? Non, messieurs, aujourd’hui que par la mauvaise foi de ceux qui nous l’avaient imposé, le traité n’est plus ce qu’il était, déclarez hautement qu’en l’acceptant vous ne cédâtes qu’à la nécessité et que vous n’en voulez plus maintenant. Ministres belges, montrez-vous dignes de la nation par cette déclaration solennelle, prenez des mesures énergiques pour la soutenir et vous verrez à son tour ce que fera la nation. Mais non, on ne fera rien, on se livrera encore aux déceptions de la diplomatie, on attendra que nous soyons enlacés de nouveau par un protocole plus machiavélique que tous les précédents.
Pour bien apprécier notre position, consultons l’état où l’Europe se trouve aujourd’hui. Voyez ce qui se passe en Angleterre. Là le parlement est divisé en deux partis bien tranchés, les libéraux et les partisans de l’absolutisme. Entre ces deux partis se trouve l’appoint ; ce terme de commerce qui est usité dans le pays, est employé pour exprimer un tiers parti et qui est toujours prêt à dire oui ou non, selon la volonté du gouvernement. C’est à l’aide de l’appoint ou par son secours que l’on trouve le moyen de créer des ministères animés de l’esprit nécessaire au besoin des circonstances. C’est ainsi que, quand il fallut s’opposer aux envahissements de la Russie, Canning fut nommé chef du ministère. Il fut remplacé par lord Wellington, qui dut décider à son tour la place au ministère Grey, dans un moment où la crainte qu’une révolution était imminente en Angleterre, par suite de celles qui venaient d’éclater en France et en Belgique.
Mais aujourd’hui tout est bien changé en Angleterre, l’esprit révolutionnaire est amorti, les absolutistes dominent, on trouvera bientôt qu’il y a plus de profit à marcher avec eux : la propagande des idées françaises n’est plus autant à craindre, le ministère Grey est tombé. N’attendons maintenant de secours d’aucune puissance. L’Angleterre ne fera rien pour nous. Elle attendra les événements, elle manœuvrera, si la guerre éclate, de manière à s’emparer de Nieuport, d’Ostende, de la rive gauche de l’Escaut, de la citadelle d’Anvers. Voilà ce qu’elle fera. Je ne me flatte pas, messieurs, de faire des prédictions, mais on est bien certain de ne pas se tromper en parlant de l’Angleterre, quand on dit qu’elle ne fera que ce qu’elle croira conforme à ses intérêts matériels ; telle fut toujours sa politique, et il ne faut pas consulter autre chose que ses intérêts pour savoir ce qu’elle fera.
D’un autre côté la Russie s’est délivrée d’un immense embarras en anéantissant la Pologne. L’ordre règne maintenant à Varsovie, comme disait, il y a un an, un ministre du juste milieu. Le czar n’a plus besoin de 150,000 hommes pour tenir la Pologne en respect ; ses armées pourront en cas de besoin aller partout ailleurs.
L’Autriche, la Prusse, je n’ai pas besoin de vous parler de ces puissances ; on sait leur politique et les idées avec lesquelles elles sympathisent. C’est donc à la guerre qu’il faut s’attendre. Si vous ne vous préparez pas à la guerre, de deux choses l’une, ou la France aura un nouveau 93 et la Belgique le subira avec elle, ou la France et la Belgique seront restaurées. Je ne veux moi ni de l’un ni de l’autre. La terre d’exil dans le cas d’une restauration, ou la tête sur l’échafaud avec un nouveau 93, tel serait mon partage ; car je serais bien déterminé à combattre les excès d’un pareil régime, comme j’ai combattu les abus sous tous les autres, et comme je me suis opposé constamment à la marche faible et tortueuse du gouvernement.
On nous a présenté les ratifications comme ayant au moins cet avantage qu’elles ont résolu irrévocablement une grande question. Je ne sais pas en vérité comment on ose prononcer ce mot sans rougir. Mais, messieurs, quel est donc ce résultat obtenu ? Quelle est la grande question résolue et résolue irrévocablement ? Le royaume des Pays-Bas créé par les traités de 1815 est dissous, dit-on, c’est une question désormais irrévocablement décidée. Il suffit que le ministère ait prononcé le mot « irrévocable », pour que je dise moi qu’il n’en est rien. Il faut bien prendre les mots d’après le sens que les faits et les antécédents leur ont donné, et jusqu’ici « irrévocablement » a voulu dire « mystification. » (Rire.) Consultez les faits dont nous avons été les témoins, et jugez d’après ce que nous avons vu, ce que nous sommes en droit d’attendre.
Mais, dit-on, si certains points restent à décider, il en est d’autres que les ratifications ont mis hors de toute contestation. Je soutiens moi qu’il n’y a rien de décidé, nous n’avons que des ratifications conditionnelles, qui sont subordonnées à des éventualités, et pouvons-nous considérer comme irrévocables ce qui dépend d’une éventualité ?
Messieurs, je me proposais de demander, comme l’ont fait d’autres orateurs, qu’on nous fît connaître en leur entier les protocoles n°57, 58 et 59. Le ministre s’en est défendu de telle manière qu’il n’a pas été difficile de voir son embarras. Je n’insisterai donc pas, mais je lui demanderai s’il est bien convenable de prolonger des négociations avec les puissances qui n’ont voulu signer que des ratifications éventuelles, et qui les font précéder ou suivre de protocoles secrètes qu’on ne lui communique pas ? Ce sont cependant ces clauses secrètes qu’il faudrait connaître ; car la diplomatie est comme la correspondance des femmes, c’est toujours le post-scriptum qui en est le plus intéressant. (On rit.) C’est le post-scriptum qu’il vous faut lire si vous voulez connaître le sens de la lettre.
Faites de même ici. La Prusse a ratifié, mettez sa ratification en poche et lisez son post-scriptum. C’est là que vous trouverez son secret, et que vous découvrirez ses arrière-pensées. Je n’insisterai pas sur la communication des protocoles : ou le ministre ne veut pas les communiquer, ou il ne le peut pas. S’il ne le veut pas, nous ne saurions le contraindre, mais je le plains, car la vérité sera découverte tôt ou tard, et son silence lui sera sévèrement reproché ; ou il ne le peut pas, et dans ce cas, il serait inutile d’insister.
Dans cet état de choses, j’aurais l’honneur de faire à la chambre une proposition analogue à celle de M. H. de Brouckere, mais que je crois conçue en termes plus opportuns. Si on vous cache quelque chose, c’est sans doute que le ministère veut nous tromper ; l’adresse que je propose l’empêchera de réussir. La proposition dont je vais donner connaissance a été rédigée par mon honorable collègue et ami M. Leclercq ; je la fais mienne, et M. Leclercq n’y persiste pas, moi, en voici les termes :
« J’ai l’honneur de proposer la nomination d’une commission composée de sept membres, à l’effet de rédiger une adresse à S. M. pour lui exprimer le vœu de la chambre des représentants, que les négociations avec la conférence de Londres soient interrompues aussi longtemps que le traité du 15 novembre 1831 n’aura pas été ratifié purement et simplement ; pour lui exprimer en même temps que les mesures les plus promptes et les plus énergiques soient prises afin de terminer, soit par un traité de paix, soit par la guerre, les différends entre la Hollande et la Belgique ; enfin pour l’assurer de l’appui de la nation dans toutes les mesures qu’elle jugera nécessaires de prendre dans l’intérêt de l’honneur, de la liberté et de l’indépendance de la Belgique. »
Il me reste maintenant, messieurs, un devoir d’amitié à remplir ici. Pendant longtemps nous avons marché sur la même ligne, M. Van de Weyer et moi, nous avons couru ensemble les mêmes dangers, et il s’est établi entre nous une confraternité qui m’impose le devoir de le défendre en son absence.
M. le ministre des affaires étrangères nous a dit qu’il ne pouvait pas le rappeler, parce qu’il ne voulait pas le dénoncer à l’Europe, et ce même ministre n’a pas hésité à l’attaquer en face de l’Europe, car, messieurs, nos discussions ont du retentissement partout. On a dit qu’il avait transgressé ses devoirs ; j’avoue que j’ai de la peine à le croire. J’ai vu M. Van de Weyer à son dernier voyage ; j’ai eu soin de lui dire que, quand il y avait quelque communication à faire ici, on avait toujours soin de se cacher derrière l’envoyé belge à Londres, et je lui recommandai bien, en conséquence, de se conformer rigoureusement à ses instructions écrites. J’ai peine à croire qu’il les ait transgressées.
En tout cas s’il l’a fait, le devoir du ministre était de le rappeler, de le désavouer, mais il devait s’en tenir là, et d’abstenir de l’accuser aussi longtemps qu’il ne serait pas ici pour se défendre. Mais non, on trouve plus commode de l’accuser quand il est éloigné, de peur sans doute qu’il ne prouvât s’il était présent qu’il est accusé à tort ; pour moi, messieurs, je déclare que jusqu’à ce qu’il eût été appelé à se justifier, je considérerai comme injustes et mal fondées les inculpations dont il est l’objet. S’il a manqué à ses devoirs, rappelez-le, car il a manqué à la nation tout entière. Ministres du peuple belge ! ce ne sont plus des larmes, des protestations qu’il nous faut maintenant, ce sont des actes que nous attendons de vous. Je le répète donc, si notre plénipotentiaire a dépassé les pouvoirs que vous lui avez données, rappelez-le, mais ne l’accusez pas quand il est dans l’impossibilité de se défendre.
M. Leclercq. - Je m’étais occupé à formuler un projet d’adresse à S. M. En attendant celui de M. de Brouckere, j’avais d’abord pris le parti d’abandonner ma rédaction. Mais après de mûres réflexions, il m’a semblé que la proposition de M. H. de Brouckere n’était pas assez précise, et que par conséquent elle n’était pas propre à remplir le but qu’on se propose d’atteindre par une adresse.
Quel est en effet ce but ? C’est, comme l’a dit M. le ministre des affaires étrangères, de donner au gouvernement la force qui lui est nécessaire. Dans les circonstances graves où nous allons peut-être nous trouver, il faut témoigner à l’Europe que le gouvernement est soutenu dans ses démarches par toute la nation. Mais pour qu’il sache s’il est bien soutenu, il faut nettement préciser l’opinion de la chambre sur la marche à suivre désormais ; alors il ne pourra plus hésiter, car il se sentira fort de l’appui du peuple.
Il me reste à justifier les propositions contenues dans la formule d’adresse que j’ai faite.
La première de ces propositions est qu’on exprime à S. M. le vœu de la chambre, que les négociations avec la conférence soient interrompues aussi longtemps que le traité du 15 novembre 1831 n’aura pas été ratifié purement et simplement ; la deuxième que les mesures les plus promptes et les plus énergiques soient prises, afin de terminer soit par un traité de paix, soit par la guerre, les différends entre la Hollande et la Belgique. Enfin, la troisième proposition est d’assurer le Roi de l’appui de la nation dans toutes les mesures qu’il jugera nécessaire de prendre dans l’intérêt de l’honneur, de la liberté et de l’indépendance de la Belgique ; ces propositions sont déduites de l’état où se trouve la nation, et de l’effet que cet état produit sur les esprits.
C’est en examinant avec soin la position où l’on nous a mis, le sens des ratifications et des réserves qui les détruisent complètement, que vous connaîtrez le but des puissances étrangères. Pour cela, il faut envisager notre situation sous le rapport de la politique extérieure, puis sous le rapport de l’intérieur, et ensuite sous celui de notre prospérité matérielle. Pour ce qui concerne notre politique extérieure, on vous l’a répété souvent, les puissances à l’égard de la Belgique, et je ne crains pas de le dire à l’égard de la France elle-même, les puissances ont toujours tendu à étouffer la révolution. La France est derrière nous, elle nous a soutenus, mais elle a montré de la faiblesse ; elle recule devant ses propres actes, et le temps viendra, je le redoute fort, où elle sacrifiera la Belgique à sa propre sécurité, qui toutefois ne sera qu’éphémère et trompeuse.
Quant à l’Angleterre, elle ne prendra jamais d’autres décisions que celles qui seront conformes à ses intérêts. Dès lors on ne doit faire aucun cas de son alliance avec la France. Elle s’est unie à la France, parce qu’elle appréhendait que celle-ci dans les premiers temps de la révolution ne s’emparât de la Belgique ; elle maintiendra cette alliance aussi longtemps qu’il en sera besoin pour détourner la France d’absorber la Belgique. Mais si la guerre éclate et que la France éprouve un échec, l’Angleterre elle-même se joindra à ses ennemis pour partager ses dépouilles. Voilà pour l’extérieur.
Pour l’état intérieur, il dépend de notre position à l’extérieur. Si cette position n’inspire aucune confiance il n’y a pas d’esprit public, et un peuple n’existe que par l’esprit public ; or, il ne saurait y en avoir chez nous quand nous ne sommes sûrs de rien et que tout est remis en question. Enfin, le dirai-je, sous le rapport de notre prospérité matérielle, depuis plus d’un an tous nos débouchés sont fermés.
L’effet qui en résulte est le dégoût, le malaise, la défiance ; et si cet état se prolonge, nous tomberons dans un marasme tel que notre perte en sera la suite nécessaire. C’est là ce que savent et ce que veulent les puissances, et voilà pourquoi elles prolongent tant cette situation. Ce système leur a déjà trop bien réussi depuis un an. Souvenez-vous que chaque fois qu’on voulait nous arracher de nouvelles concessions, je dis cela moins pour en faire un reproche à personne, mais pour retirer une leçon du passé ; souvenez-vous que l’on nous disait toujours que c’était une affaire définitive. Ainsi, quand il s’est agi des 18 articles, on vous a annoncé qu’ils étaient irrévocables ; on vous a engagés à faire un sacrifice à la paix. Vous y avez consenti avec peine ; et bientôt on a exigé de vous de nouvelles concessions, et on vous a imposé les 24 articles qu’on dit encore être irrévocables. Alors nous ne manquâmes pas de nous écrier que ce nouveau traité n’était pas plus irrévocable que les 18 articles, et qu’on cherchait à nous arracher un nouvel acte de faiblesse aux yeux de l’Europe, pour nous leurrer ensuite. C’est ce qui arriva en effet : Les ratifications qui devaient être pures et simples sont arrivées avec des réserves.
Voyons maintenant la nature de ces réserves, et nous verrons ce qui nous reste à faire dans la position où nous sommes placés. Le ministre vient de vous dire que ces réserves étaient insignifiantes. Comment est-il possible qu’un acte aussi important que celui qui consacre l’anéantissement des traités de 1815, qui donne à la politique européenne de nouvelles bases directement contraires à la politique des rois absolus, comment est-il possible, dis-je, qu’un acte aussi important, ne contient que des réserves insignifiantes ? Non, messieurs, ne le croyez pas ! et cette seule considération doit vous convaincre que toutes les paroles contenues dans les ratifications ont été pesées, et que les puissances y attachent une grande importance.
L’Autriche et la Prusse ont fait des réserves pour les droits de la confédération germanique, c’est-à-dire qu’elles n’admettent rien de ce qui est relatif au Luxembourg. Par là elles n’admettent réellement aucune clause du traité. En effet toutes les clauses de ce traité sont corrélatives, elles se lient entre elles, de manière qu’elles sont le prix les unes des autres. Les pertes que l’on impose d’une part, on les compense de l’autre, et je n’en veux pour preuve que la réponse de la conférence au mémoire du roi Guillaume, à qui elle fait remarquer, quand il se plaint d’être lésé d’une part, les avantages qui lui sont assurés de l’autre.
Ainsi quand nous avons dû céder le Luxembourg on a voulu nous donner une compensation d’un autre côté et par conséquent lorsqu’on fait une réserve sur un point la réserve porte réellement sur tous, tous sont remis en question à cause de la corrélation qui existe entre eux et qui ne permet pas de les séparer. A ces considérations ajoutez celle-ci, que la Prusse et l’Autriche ne ratifieront jamais tant qu’on n’aura pas fait droit à leurs réserves.
Ai-je besoin de vous parler de la Russie ? Elle n’a donné qu’une adhésion conditionnelle, de sorte que réellement sa ratification n’en est pas une. Maintenant quelle opinion devez-vous avoir de la conduite que tiendraient les puissances si vous aviez égard à leurs réserves ? La chose est facile à décider quand on sait ce qui s’est passé à Londres.
Les 24 articles ont été rédigés et signés par les plénipotentiaires des cinq puissances ; dès lors sous peine de s’exposer à un désaveu, ils n’ont dû arrêter que ce qu’ils avaient le pouvoir de signer, et les puissances qu’ils représentent ne peuvent rien alléguer pour refuser les 24 articles, à moins qu’elles ne prétendent que leurs plénipotentiaires ont excédé leurs pouvoirs. Or elles n’ont pas encore allégué un fait semblable, elles doivent donc en conscience exécuter le traité, ou elles manquent à la foi promise.
En cet état, quelle conduite doit tenir la Belgique ? Négocier de nouveau ? Mais permettez-moi de poser un dilemme d’où il serait difficile de sortir. Je dirai, ou la conférence de Londres avait les pouvoirs nécessaires pour négocier, ou elle ne les avait pas. Si ces pouvoirs étaient suffisants, ce qui a été fait pour le traité des 24 articles est bon et valable, et si les puissances ne veulent pas le tenir pour bon et valable, c’est qu’au lieu de rendre la paix à la Belgique, elles veulent perpétuer son malaise et la conduire à sa perte. Dans ce cas et avec de telles intentions de la part des puissances, toute négociation est inutile. Si au contraire les plénipotentiaires des puissances n’avait pas les pouvoirs suffisants, il est encore plus inutile de négocier avec eux. Voilà, messieurs, le dilemme dont je défie le plus habile de sortir, et l’une et l’autre branche nous conduit à cette conclusion, qu’il n’y a rien à gagner pour la Belgique à négocier.
Que nous reste-t-il donc à faire ? Ce qu’une nation fait quand elle est en discorde avec une autre nation. Il faut donc aller droit à la Hollande, lui faire des propositions de paix, et si elle refuse, lui faire la guerre. Je sais, messieurs, que nous devons des égards à la France et à l’Angleterre, qui nous ont soutenus, et qui ont ratifié le traité purement et simplement. Mais, si nous ne devons pas compromettre ces puissances, nous ne devons pas non plus nous laisser compromettre par elles. D’ailleurs, leurs ratifications, quoi que faite sans réserve, ne font pas que le traité soit définitif, même entre elles et nous. Je ne vois, en effet, dans ce traité, que la Belgique d’une part, et l’Europe entière de l’autre. Je ne conçois pas qu’il ne soit obligatoire que pour la France et l’Angleterre ; car, tandis que ces puissances reconnaîtraient que la Belgique est composée de telles provinces, que telles et telles limites lui appartiennent, la Belgique serait tout autrement constituée pour le reste de l’Europe, ce qui implique contradiction. Le traité donc, tant qu’il n’est pas signé par toutes les puissances, ne lie aucune d’elles.
Cependant, messieurs, je suis d’avis qu’il faut ménager la France et l’Angleterre, il faut leur demander l’exécution du traité, et si elles refusent, nous sommes tout à fait dégagés à leur égard, et nous sommes libres de faire la guerre. Je sais qu’à ce mot on va se récrier sur les maux incalculables, sur les calamités que la guerre peut entraîner ; mais ce n’est pas moi qui met la Belgique dans cette position : la Belgique s’y trouve ; il faut qu’elle trouve le moyen d’en sortir avec honneur. Si vous voulez être une nation, il faut agir comme une nation ; ne pas vous laisser déshonorer, ni vous fouler aux pieds. Si vous ne voulez pas être une nation, il ne fait pas continuer ce système bâtard qui nous rend la risée de l’Europe et nous expose à mille affronts. Si vous ne pouvez exister par vous-mêmes, je n’hésite pas à le dire, il faut vous réunir à une autre nation assez puissance pour vous protéger efficacement. (Bravos prolongés.)
M. le président. - Je vais mettre aux voix la question de savoir si l’on nommera une commission.
- Plusieurs voix. - L’appel nominal !
M. Devaux. - Je pense qu’une pareille mesure pour avoir toute sa force, ne doit pas être prise avec légèreté et précipitation. Quant à moi, je verrais de la précipitation à adopter la proposition dans la même séance où elle a été présentée, bien que je reconnaisse la justesse des développements qui l’ont accompagnée. Je crois qu’il est de la dignité de la chambre de ne pas trop se hâter.
M. H. de Brouckere. - Je ne vois aucun inconvénient à décider dès à présent qu’il y aura une commission chargée de rédiger une adresse au Roi. Plus tard, nous discuterons cette adresse elle-même ; mais il n’y a aucune difficulté à renvoyer à une commission l’adresse proposée par M. Gendebien et la mienne, car je ne l’abandonne pas, et je la trouve plus exacte.
M. Gendebien. - Je ne comprends pas ce qu’a voulu dire M. Devaux en invoquant la dignité de la chambre. Je crois que la dignité de la chambre lui impose le devoir de prendre une décision immédiate. Ce ne serait même pas trop que de demander qu’elle restât en permanence jusqu’à une solution. Tout homme qui hésite en de pareilles occasions passe pour un lâche dans le monde. (Applaudissements dans les tribunes.) Une nation ne balance jamais, et trouve toujours assez d’énergie pour renverser d’un soufflet ceux qui s’opposent aux mesures qu’elle prend pour venger son honneur.
M. Verdussen. - Deux propositions sont faites par deux de nos collègues ; ce sont des propositions comme toutes les autres, et elles doivent être renvoyées à l’examen des sections. (Non ! non !) Pardon, ce serait admettre un principe, un précédent contraire au règlement.
M. Ch. de Brouckere. - Je ne m’attendais pas que dans de telles circonstances on ferait appel au règlement. Mais pour faire appel au règlement, il faudrait au moins l’avoir bien compris. Après l’article 33 qui porte que les propositions de lois adressées à la chambre par le roi et par le sénat seront imprimées et renvoyées soit aux sections soit à une commission, l’article 34 donne le droit à chaque membre de faire des propositions et de présenter des amendements, et l’article 35 dit que les propositions faites par les membres seront communiquées dans les sections de la chambre ; mais il est évident que les articles 34 et 35 ne s’appliquent qu’aux propositions de loi. Il ne faut donc pas vétiller sur le règlement. D’ailleurs que demande-t-on ? Qu’il y ait une adresse, mais il ne s’agit nullement d’en déterminer le sens. Quant à moi, je demanderai, par une motion d’ordre, qu’on n’entende en ce moment déterminer en aucune manière le sens de l’adresse.
M. Devaux. - Je ne me laisse effrayer ni par les murmures ni par les paroles. Quand je crois une opinion bonne, je la soutiens, dussè-je être seul. Je persiste à penser qu’il serait de la dignité de la chambre de remettre la discussion à demain. Il y a des précédents, quoi qu’en dise M. Ch. de Brouckere, qui prouvent que des propositions autres que des propositions de lois peuvent être astreintes aux formalités du règlement. D’ailleurs nous avons un exemple dans la chambre française, qui pour les adresses suit cette marche.
M. Leclercq. - On ne propose pas de prendre une résolution sur l’adresse, ainsi que l’a dit M. Ch. de Brouckere, il n’est question aujourd’hui que de nommer une commission, et cela n’est pas aussi dangereux qu’on le prétend. On a parlé de précédents ; pour moi, je n’en connais aucun qui ait rapport à une adresse. Je sais bien que la proposition de nommer une commission d’enquête a été renvoyée aux sections, mais ce n’était pas là une commission d’adresse. J’ajouterai que tout ce qui concerne l’adresse se trouve réglé dans une autre partie du règlement, dans le chapitre 6. Il est bien évident que si les dispositions des articles 34 et 35 s’appliquaient à cet objet, on n’avait pas fait tout exprès un chapitre spécial. Cet argument me paraît concluant.
M. A. Rodenbach. - Le temps est passé où… Mon émotion m’empêche de poursuivre, je renonce à la parole. (Rire général. L’honorable membre se rassied ; on voit en effet qu’il est vivement ému.)
M. Devaux. - Si l’on ne prend pas de résolution, ainsi que l’a dit M. Leclercq, je consens à nommer une commission, mais si l’on entend décider dès à présent qu’il y aura une adresse, je m’y oppose.
M. Leclercq. - J’ai dit qu’il ne serait rien décidé sur les termes de l’adresse, mais il est clair qu’on entend dès à présent qu’il y aura une adresse.
M. Devaux. - Je demande l’ajournement à lundi.
- La question d’ajournement est mise aux voix. MM. Devaux, Verdussen et Ullens seuls se lèvent pour. (On rit.) Elle est rejetée.
M. le président. - Il va être procédé à l’appel nominal sur la question de savoir si l’on nommera une commission pour rédiger un programme d’adresse.
M. Mary. - Je demande la parole sur la position de la question. L’article 37 du règlement porte que les projets d’adresse sont rédigés par une commission composée du président et de 6 membres…
- De toutes parts. - Mais c’est ainsi qu’on l’entend.
M. Dellafaille fait l’appel nominal.
- La chambre à l’unanimité de 63 voix décide qu’une commission sera nommé.
MM. Verdussen et Devaux se sont abstenus.
M. le président. - J’invite MM. Verdussen et Devaux à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Verdussen. - j’ai dit tout à l’heure que le mode adopté était contraire au règlement. Je n’ai pas changé d’avis.
M. Devaux. - Je n’ai pas cru devoir voter dans les formes que la chambre a adoptées.
- On passe ensuite à la nomination d’une commission par la voie du scrutin. La chambre décide qu’elle aura lieu à la majorité absolue.
Au premier tour de scrutin, M. Leclercq obtient 42 voix, M. Destouvelles 36, M. Lebeau 28, M. Devaux 25, M. H. de Brouckere 23, M. Gendebien 20 et M. H. Vilain XIIII 12.
MM. Leclercq et Destouvelles ayant seuls obtenu la majorité, il est procédé à un deuxième tour de scrutin qui amène la nomination de MM. H. de Brouckere et Lebeau.
Enfin, il est procédé à un scrutin de ballottage, conformément au règlement. MM. Devaux et Vilain XIIII obtiennent le plus de voix et sont proclamés membres de la commission.
M. F. de Mérode. - Je n’ai pas voulu interrompre le cours de la discussion, mais il s’agit d’un fait particulier, important, qui a été présenté au commencement de la séance sous des apparences inadmissibles.
Messieurs, il n’existe pas de suspension d’armes écrite, à la vérité, mais il existe une suspension d’armes de fait prolongée depuis le mois de novembre, suspension qui peut être légitimement rompu par une attaque franche et réellement militaire, mais non pas un détestable guet-apens. Messieurs, je suis parfaitement de l’avis de M. Ch. de Brouckere. Nous sommes en guerre avec la Hollande ; nous avons, comme elle, le droit de commencer les hostilités sans déclaration préalable, mais nullement d’enlever, par un honteux brigandage, quelque bourgmestre ou autre fonctionnaire civil sur le territoire de notre ennemi. Que ne dise pas que l’acte odieux, exercé envers M. Thorn, est une représaille de l’emprisonnement des complices de Tornaco.
Ces complices ont été arrêtés les armes à la main, après l’assassinat de plusieurs habitants du Luxembourg, notamment d’un fonctionnaire exerçant la charge de commissaire de district. Connaissant les réunions de bandes, connaissant combien les agents du roi de Hollande sont peu délicats sur les moyens de parvenir à leur but, M. Thorn pourrait être accusé de quelque imprévoyance. Quoi qu’il en soit, je crois devoir réclamer contre la justification non motivée, selon moi, de la violence insoutenable dont M. Thorn est victime ; justification qui semblerait autoriser par des paroles non contredites dans cette chambre à la face de l’Europe et du pays, la continuation de sa détention.
- La séance est levée à cinq heures.