(Moniteur belge n°104, du 13 avril 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et adopté.
M. le président. - L’ordre du jour est la suite de la discussion du budget de l’intérieur.
M. d’Huart. - Il me semble qu’on devrait nous faire auparavant le rapport de la section centrale sur les amendements de M. le ministre des finances relatifs au Luxembourg et au Limbourg.
M. le président. - M. le ministre des finances m’a prévenu qu’il ne pourrait assister à la séance aujourd’hui.
M. H. de Brouckere fait observer que la chambre pourrait toujours entendre ce rapport aujourd’hui, sauf à ne discuter que demain.
M. Osy, rapporteur, annonce à l’assemblée que la section centrale n’a diminué sur la somme demandée, pour l’objet dont il s’agit, par M. le ministre des finances, que 950 fl. affectés à l’indemnité des contrôleurs des contributions, douanes et accises, et il propose de faire un nouveau chapitre au budget des finances présentés par M. le ministre.
On passe à la discussion du budget de l’intérieur.
M. Barthélemy, après avoir fait remarquer que, malgré tous les efforts de la législature, le montant des économies s’élèvera à peine à 200,000 fl., insiste sur la nécessité de réforme notre système de finances. Il est, ajoute-t-il, un moyen d’obtenir de grandes économies, c’est de décentraliser et de provincialiser l’administration.
Qui a imaginé la centralisation, messieurs ? le despotisme. En effet, sous l’assemblée constituante, l’administration n’était pas un arsenal général ; c’est Bonaparte qui a centralisé et qui a fait, des préfets, des aides-de-camp du ministère d’intérieur. Quand les alliés sont venus en 1814, comme ils était très grands amis du despotisme (on rit), ils ont laissé subsister cet état de choses.
En 1815, on avait voulu faire croire qu’on allait rétablir les lois provinciales qui avaient coûté si cher au peuple belge ; mais on n’en fit rien. Voilà la source de la centralisation, et elle est toujours la même en ce moment ; car lisez le budget de l’intérieur et ceux des années précédentes, et vous verrez que c’est toujours la même chose. Il est cependant nécessaire de revenir à la loi fondamentale, le besoin urgent des économies nous en fait une nécessité.
On objectera peut-être que je veux faire un gouvernement fédératif, en accordant trop de pouvoir aux provinces ; mais, messieurs, ce ne sont pas des souverainetés que je veux rétablir ; je suis trop vieux pour ne pas savoir les inconvénients qui résulteraient de cet état de choses ; ainsi, par exemple, je sais bien que des provinces n’ont pu obtenir des souverainetés voisines l’autorisation de se faire un débouché par des canaux. Mais aujourd’hui vous n’avez plus rien de semblable à craindre. Le royaume restera toujours un et indivisible.
A l’appui de son opinion, l’orateur fait sentir que les rouages de l’administration sont beaucoup trop compliqués, et il cite un arrêté royal inséré au journal officiel qui tendait à autoriser une commune à couper cinq arbres ; il a fallu passer par l’intermédiaire du commissaire de district et des états provinciaux pour arriver, après de longues formalités, à obtenir cette autorisation du ministère, et, quand elle a été signée, il en a fallu de nouvelles pour la faire parvenir à la commune. Il pense donc qu’il n’y aurait pas grand malheur à ce que tout cela pût se faire par le commissaire du district lui-même.
Il ajoute qu’on ne fait pas de la justice à l’administration centrale du ministère de la justice ; qu’il y a dans chaque localité des tribunaux pour régler les intérêts des particuliers, des cours d’appel pour juger les affaires plus importantes, et enfin une cour de cassation pour réprimer les violation de la loi. Il voudrait que cette gradation fût observée pour la justice administrative, que le ministère de l’intérieur laissât à l’autorité communale et à l’autorité provinciale le soin de régler elles-mêmes toutes les affaires de leur ressort, et qu’il se contentât de remplir le rôle d’une cour de cassation.
M. Barthélemy revient ensuite sur la proposition qu’il a faite précédemment de laisser administrer les routes par les provinces et les communes ; il doit qu’il en était ainsi sous le gouvernement autrichien, car il tient en main son budget des dépenses, et à la rubrique des routes on a porté zéro parce que l’ancien gouvernement n’avait rien à payer de ce chef.
En fait d’ingénieurs, dit-il, il n’y avait qu’un seul homme pour le génie militaire et civil. (On rit.) Mais on prétendra peut-être qu’on n’a rien fait alors, tandis qu’aujourd’hui on fait des travaux considérables. Je vous demande pardon, messieurs (nouveaux rires) ; il a été construit alors plusieurs routes très importantes.
Pourquoi voulais-je renvoyer les routes aux provinces et aux communes ? Pour les entretenir, et pour retirer de ce système tous les avantages que peut procurer l’administration provinciale. Les sommes qu’auraient reçues les provinces auraient été portées en moins au budget. Vous voyez qu’ainsi vous pourriez faire le service d’entretien des routes avec les ingénieurs des provinces.
Mais, dira-t-on, on a projeté des travaux immenses : oui, messieurs, on a proposé des travaux de toute espèce, et même une route de Liége à Bouillon, dont on ne parle plus depuis le temps des croisades. (Hilarité générale.) Je dis que vous obtiendriez de grandes économies en adoptant mon système, quand les ingénieurs se trouveraient dans la capitale des provinces ; car alors vous n’auriez plus des frais considérables d’inspection. Depuis 1814, les communes n’ont pas cessé de réclamer sur leur dépossession ; et j’ai encore reçu aujourd’hui des pétitions à cet égard, que je suis chargé de remettre sur votre bureau.
Pour l’instruction publique, l’orateur pense que les trois degrés dont elle se compose peuvent être réglés ainsi, savoir : l’instruction primaire appartiendra aux communes, l’instruction moyenne aux provinces, et l’instruction supérieure sera confiée à des hommes capables, qui n’auront pas besoin des règlements de l’université pour faire leur devoir.
Quant aux prisons, l’orateur croit que l’administration provinciale est très compétente pour la nourriture et l’entretien des prisonniers.
(On lui fait remarquer que ce objet a été détaché du ministère de l’intérieur pour être transféré à celui de la justice.)
Il termine ainsi : Je demanderai pour les enfants trouvés que l’on veuille bien accorder une augmentation de crédits. Du reste, je sais que mon collègue, M. Fallon, doit nous entretenir de ce sujet, et je m’en réfère à lui.
Je crois avoir passé en revue les différentes branches du département de l’intérieur, et j’ai même parlé, en outre, d’un objet qui ne s’y trouve plus. Je suis prêt à communiquer à mes collègues les états de dépenses du gouvernement autrichien, dontj’ai parlé.
M. Jamme. - Messieurs, je n’abuserai pas du temps de la chambre ; je ne passerai pas tout le budget en revue. Je réserverai mes observations pour les développer lors de la discussion des articles.
Je vais seulement émettre quelques opinions générales et signaler quelques faits que je considère être d’un intérêt particulier, et qui méritent l’attention de la chambre.
Je remarque avec intérêt la sagesse des vues de la section centrale ; elle ne s’est pas fait un système aveugle d’économies ; elle en propose, elle en repousse consciencieusement.
Dans tout ce qui se rapporte aux arts, aux sciences, au service de santé, aux établissements de bienfaisance, ses vues sont en harmonie avec nos besoins intellectuels, avec les besoins de l’humanité.
Elle a senti que des établissements formés pour favoriser le développement des sciences et des arts, bien qu’élevés sur tel ou tel point du pays, ne devaient pas être considérés comme faits dans l’intérêt des localités, mais bien comme des institutions d’un intérêt général.
Elle a senti que la législature actuelle ne devait pas rester en arrière des espérances qu’elle a fait concevoir et qu’il est digne d’elle et de l’époque d’une régénération, toute faite dans l’intérêt des lumières et de l’humanité, de protéger et de soutenir toutes les institutions qui ont pour but les progrès de la civilisation.
Elle s’est montrée pénétrée de cette pensée, qu’avant de renverser il fallait d’abord constituer, et constituer mieux que ce que l’on veut renverser. C’est dans cette pensée que, tout en reconnaissant les améliorations que certains établissements réclament, elle vous propose de voter les crédits rigoureusement nécessaires à leur conservation.
Elle propose de voter, sans réduction, les crédits destinés aux athénées et aux collèges, aux établissements d’instruction primaire.
J’aurais voulu lui voir adopter le même principe à l’égard des universités ; mais, sur le chiffre du ministre, elle vous propose une réduction de 19,880 fl. Je ne sais, messieurs, si je voterai dans ce sens. Je pense, d’ailleurs, que cette réduction, fût-elle adoptée, ne sera pas, par un résultat qui me semble inévitable, d’une grande importance.
La loi du budget, je pense, ne peut avoir un effet rétroactif ; dans ce cas, les réductions ne pourront avoir d’effet, à l’égard du personnel des universités, qu’à partir du jour de la promulgation de la loi, jusqu’à la fin de l’année scolaire, ou au moins jusqu’à l’époque de la nouvelle organisation, qui, j’espère, sera peu différée.
A la veille d’avoir la loi qui organisera l’instruction donné aux frais de l’Etat, est-il sage de jeter la perturbation dans ces établissements, tandis que déjà près des deux tiers de l’année scolaire sont écoulés ?
Rappelons-nous, messieurs, que, dans les premiers temps de la révolution, des changements irréfléchis ont mutilé le personnel des universités ; l’instruction a subi, jusqu’à présent, les fâcheuses conséquences de cette mesure intempestive, sans qu’il en soit résulté de l’avantage pour le trésor : les professeurs avaient des droits à la pension.
Il existe une disproportion très digne de remarque entre les subsides ordinaires annuels, accordés par l’Etat aux villes et communes pour subvenir aux frais de l’instruction moyenne et primaire.
Cette répartition peu équitable, à la première vue, des deniers publics a cependant une origine qui la justifie à certain point ; cette origine, c’est la différence qui existe réellement dans les ressources des différentes localités, et, plus que cela encore, le plus ou le moins de prix qu’ont attaché à l’instruction les autorités locales, ce qui veut dire que l’on accordait à ceux qui demandaient.
Cette marche, bien qu’elle démontre la bienveillance du gouvernement, est néanmoins fort peu régulière, et prouve évidemment le besoin d’une sage et prompte organisation de l’enseignement aux frais de l’Etat ; jusque-là évitons les innovations.
Le ministre demande un crédit de 300,000 fl. pour venir au secours de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, et encore un crédit de même force pour subsides éventuels aux villes et communes dont les revenus sont insuffisants. La section centrale nous propose d’allouer la moitié de ces deux crédits, et de permettre à leur égard le transfert d’un article à l’autre.
J’adopterai les vues de la section centrale, en votant la moitié des crédits demandés. Dans les circonstances difficiles où le pays peut se trouver, un crédit de cette nature est nécessaire ; en temps ordinaire, je le réduirais encore, parce que je trouve l’emploi de ces crédits extrêmement difficile à faire avec équité et connaissance parfaite de cause, que je pense que ces fonds, véritables deniers publics, peuvent être accordés à l’intrigue et à l’obsession, et que je considère un secours non mérité comme une injustice, une prodigalité faite au détriment du trésor.
Il faut certainement accorder toute la protection nécessaire à l’industrie, à l’agriculture et au commerce ; mais, messieurs, cette protection doit être tout entière dans de bonnes lois et dans leur exécution régulière et consciencieuse, et presque jamais dans les avances de fonds.
Je suis persuadé que les avances faites aux industriels par le gouvernement précédent, au moyen des fonds dit de l’industrie nationale, ont apporté dans l’industrie un développement factice, dont il est résulté pour le commerce régulier plus de perturbation que d’avantages réels. Ces fonds ont déterminé une foule d’entreprises mal conçues, dont le résultat est de préparer la ruine des emprunteurs, et finalement de constituer l’Etat en perte et en perte considérable.
Je vais le prouver : au moment où je vous parle, messieurs, les capitaux dus de ce chef par les industriels, et dont le terme de remboursement d’une bonne partie est arrivé, s’élèvent en principal, non compris les intérêts, à la somme importante de 4,537,563 fl. 21 cents ; plus 2,500,000 fl. environ sont engagés dans des opérations dans lesquelles le gouvernement était lui-même intéressé, et conséquemment encore intéressé, ce qui donne un total de sept millions de florins. Sur cette somme le trésor éprouvera des pertes importantes : depuis la révolution, des intérêts aussi grands n’ont reçu aucun soin, les hypothèques se négligent, les emprunteurs s’obèrent. Je prie M. le ministre des finances de prendre en mûre considération la déclaration que je viens de faire ; je l’engage à donner promptement ses soins à des intérêts aussi importants, mais de le faire avec prudence et sagesse ; si le gouvernement exigeait aujourd’hui sans ménagement le remboursement des capitaux arrivés à leurs échéances, il compromettrait l’existence de beaucoup d’industriels et porterait le trouble chez tous les emprunteurs.
On me dira peut-être que ces avances sont été faites des deniers de la Belgique et de la Hollande : oui, messieurs, et la flotte, qui a coûté beaucoup plus encore, a été aussi faite des deniers communs.
Je ne ferai pas ici le reproche au gouvernement précédent d’avoir suivi un mauvais système, son erreur a été toute en faveur des Belges, mais il faut qu’elle nous serve d’expérience.
Le ministre demande finalement un crédit de 500,000 fl. pour secours à accorder aux victimes des dégâts ou vols commis par les Hollandais.
Ainsi que la commission centrale, je refuserai ce crédit, non que je considère les victimes de ces dégâts comme n’ayant aucun droit à être indemnisés ; au contraire, je suis de l’opinion bien prononcée que toutes les pertes matérielles résultant des invasions des Hollandais ou d’émeutes populaires, n’importe les causes de ces émeutes, avouées ou désavouées, doivent être considérées comme une charge de l’Etat.
La révolution est un fait consommé ; les dommages causés par la guerre et ceux résultant des émeutes en sont le résultat incontestable. La révolution n’a pu être faite qu’au risque de tous, donc chacun est appelé à en subir les conséquences bonnes ou mauvaises. Mais, messieurs, la question n’est pas aujourd’hui de se prononcer sur la grave question du système des indemnités ; nous ne sommes appelés qu’à décider sur le crédit demandé de 500,000 fl., et je serai obligé de le refuser. Je le refuserai, quant à présent, parce que je suis convaincu de l’impossibilité de faire un emploi équitable de ce subside, et que je considère les secours partiels, distribués sans un ordre régulièrement établi et souvent accordé à l’obsession, comme une dépense faite en pure perte pour l’Etat.
Quant au système général d’indemnités, si le gouvernement ne nous présente pas en temps opportun et peu éloigné, j’espère, un projet de loi, je ferai la proposition que j’ai projetée depuis longtemps, que je diffère par la crainte de l’inopportunité, proposition que je défendrai de tout mon pouvoir, et avec la conviction que l’adoption de cette loi sera un véritable acte de justice qui aurait d’heureux effets sur l’esprit public.
Il me reste deux mots à dire pour dissuader ceux des membres de la chambre qui seraient dans l’opinion que je défends dans ce moment les intérêts de la ville de Liége ; j’offre à ces honorables collègues de leur démontrer par des chiffres que si Liége, au lieu de subvenir pour sa quotité relative aux frais de l’indemnité générale, restait exclusivement chargée de payer les dommages qu’elle a essuyés, il n’y aurait dans sa dépense qu’une différence très peu sensible.
L’opinion que je manifeste est toute dans l’intérêt de l’ordre, de l’équité, et du tout dans l’intérêt particulier de mes commettants.
M. Osy. - Je crois que c’est à l’occasion du budget de l’intérieur qu’on doit surtout signaler les injustices dont se plaignent les citoyens. Je rappellerai donc celle qu’on a faite aux armateurs, en leur refusant la prime qui leur était due.
Mais il est encore un autre grief. Souvent on s’est plaint sous l’ancien gouvernement de son interprétation des lois ; mais aujourd’hui on ne se contente plus d’interpréter les lois, on anéantit des arrêtés royaux par des circulaires ministérielles.
Le 21 septembre, il avait été rendu un arrêté royal qui enjoignait à ceux qui cumulaient les fonctions de secrétaire communal et de receveur d’opter, et plus tard, cependant, il est parvenu une circulaire ministérielle aux commissaires de district, qui ordonna de suspendre cet arrêté et qui autorisa le cumul. Je m’en suis plaint vingt fois aux ministère, et je le répète dans cette enceinte, dans l’espoir d’obtenir plus de résultat.
De plus, messieurs, je sais que dans ma province plusieurs bourgmestres ont été suspendus de leurs fonctions ; j’en connais un qui l’est depuis 6 mois, et dont les fonctions sont remplies par un autre membre du conseil. Je demande si cela n’est pas contraire au principe de l’élection directe. J’espère que M. le ministre de l'intérieur y fera attention, et qu’il s’en tiendra aux arrêtés.
M. Pirson. - Un mécréant, un athée dans toute l’acception du mot, quelle que soit la force de son esprit, s’il en a, est toujours ramené, par la seule apparition des choses, à la recherche de leurs causes et au désir de connaître ou de deviner le grand moteur universel.
Cette recherche et ce désir impliquent contradiction avec l’existence de l’athéisme. Donc il n’y a point d’athée parmi les hommes réfléchis.
Cependant, j’allais vous dire que, moi, je suis un athée politique ; que je ne crois à aucun gouvernement essentiellement bon et durable ; que chaque organisation nouvelle nous fait connaitre des vices nouveaux ; que l’ordre social est un combat perpétuel ; que les plus affamés ou les plus insatiables se jettent sur la curée ; que les plus prudents se tiennent à l’écart et font silencieusement leurs propres affaires.
Point du tout, je me sens entraîné malgré moi et nonobstant ma vieille expérience, qui me crie : « Vains efforts ! » Ne voilà-t-il pas que je me hasarde à vouloir redresser un ministre de l’intérieur et à lui dire : « Vous n’êtes point, je crois, l’homme qui nous convient dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons, et je voterai contre l’ensemble du budget de votre ministère, dans l’espérance d’avoir mieux. » Cette espérance, toute faible qu’elle est, me prouve à moi-même que je ne suis pas encore tout à fait un athée politique comme j’étais tenté de l’avouer.
Quelle doit être la tâche d’un ministre constitutionnel de l’intérieur dans tous les temps, mais principalement à la suite d’une tourmente révolutionnaire ? Rallier tous les citoyens sous l’égide de la loi, ne nommer que des fonctionnaires capables, et surtout estimés et considérés de leurs administrés, tenir une balance égale, diriger et maintenir la ligne hiérarchique sans repousser les avis et doléances des subordonnés, résister à tout esprit de domination illégale, de quelque part qu’il vienne.
Maintenant, je demanderai si le ministre de l’intérieur a été sage, prudent et impartial dans le différence qui a éclaté entre le commissaire de district Desmet, le bourgmestre qui lui a résisté, et le gouverneur qui a prononcé. Il y a, dans la correspondance de ces fonctionnaires, des choses bien étranges, et qui doivent exciter l’éveil de tous les vrais amis d’une bonne administration. Je ne sais si le ministre a fait son devoir.
Je passe à d’autres faits que je connais plus particulièrement.
On sait que j’ai donné ma démission de commissaire du district de Dinant. Je tenais à être remplacé convenablement, non pour moi, mais pour le pays. J’étais assez heureux de pouvoir indiquer au ministre un homme qui méritait les suffrages écrits et signés des 136 bourgmestres de l’arrondissement, sans exception aucune, de tous les membres du tribunal, des officiers de la garde civique, en un mot de toutes les opinions. Il travaillait depuis 20 ans à l’administration ; il était mon délégué depuis la réunion du congrès ; il jouissait d’une réputation de probité et de délicatesse à toute épreuve. Le ministre me permit de le proposer à la nomination du Roi, mais par interim seulement, parce que, me dit-il, à la suite du traité du 15 novembre, il pourra se faire que des commissaires de districts abandonnés demandent de rentrer dans l’intérieur en la même qualité.
Rien ne paraissait plus juste et plus raisonnable. Je connaissais en effet des commissaires de district qui étaient dans cette position, entre autres M. d’Huart, notre collègue, qui certes eût été bien accueilli à Dinant. Je n’insistai point auprès du ministre, je ne l’obsédai pas, je devais me fier à sa parole…
Mais bientôt les intrigues du gouvernement conduisirent à Dinant un homme que les mêmes intrigues avaient fait nommer à Philippeville. Repoussé de ce district, peu s’en est fallu que son arrivée à Dinant ne fut le signal d’une désorganisation complète ; la plupart des bourgmestres voulaient donner leur démission ; une émeute aurait eu lieu sans l’influence de quelques hommes sages, entre autres du président du tribunal, aimé et considéré dans tout l’arrondissement.
Le gouvernement a dit et répété à satiété, que, l’ancien commissaire du district de Philippeville ayant été destitué mal à propos par le gouvernement provisoire, il fallait profiter de l’occasion pour le réintégrer. Mais qui l’avait fait destituer ? N’était-ce pas le gouverneur, ou du moins son protégé ? Fallait-il, pour être juste envers l’ancien commissaire, envoyer à Dinant un homme qui ne convenait, j’ose le dire, nulle part ? Il fallait le renvoyer d’où il était venu. Du reste M. Fosses, cet ancien commissaire, avait déjà reçu ses indemnités ; trois de ses fils et un gendre avaient été nommés officiers à l’armée. Celui-là pourra dire aujourd’hui : « Heureuse injustice qui m’a valu si précieuse justice ! »
Messieurs, voulez-vous savoir pourquoi l’on a porté un si haut intérêt à M. Fosses ? Quelques indiscrétions, qui sont arrivés jusqu’à moi, m’ont mis sur la voie.
Le gouverneur veut un homme tout neuf, un mannequin qu’il puisse diriger servilement pour détruire un esprit trop libéral dans l’arrondissement de Dinant. Mais le moyen qu’il emploie ne réussira pas au continuateur de l’empire (Note au Moniteur belge : La note de bas de page est : On sait que M. de Stassart a été préfet de Bonaparte en France et à La Haye… C’est un fameux libéral… L’opposition peut toujours compter sur lui, quand il ne comptera pas sur une place digne de ses hautes capacités.) ; il pourra bien détruire au contraire le peu de confiance qu’il conspire, et faire quelques ennemis de plus à notre gouvernement naissant.
Je n’ai aucun motif particulier de soupçonner les intentions personnelles de M. de Theux, ministre de l’intérieur, mais les faits que je viens de citer, et quelques autres que je pourrais ajouter, et qui trouveront leur place, me font craindre les effets de sa faiblesse : au milieu des embûches que Satan, cet infernal intrigant, suscite autour de lui, il serait prudent à lui de faire retraite et d’éviter les prochaines occasions, toujours si dangereuses.
Messieurs, j’avais besoin de donner publiquement des explications sur ce qui se passe à Dinant, parce que le mécontentement général et qui ne raisonne pas, s’attaque quelquefois aux personnes à tort, à travers. On m’accuse d’avoir donné ma démission sans réflexion et sans m’assurer d’un remplacement convenable ; on accuse bien aussi le ministre de la justice, parce qu’on suppose qu’il connaissait l’état des choses et la localité : nous n’avons tort ni l’un ni l’autre.
Quoique j’ai annoncé que je voterai contre l’ensemble du budget de l’intérieur, je suivrai cependant la discussion sur les spécialités, et me réserve la parole si je crois utile de vous donner quelques éclaircissements.
(Supplément au Moniteur belge, non daté et non numéroté) (Remarque du webmaster : le discours qui suit a été placé à son emplacement le plus probable.) M. Fallon. - Messieurs, beaucoup d’honorables collègues qui m’ont précédé dans la discussion générale, nous ont fait remarquer que, pour une nation au berceau, le règlement de son premier budget est l’opération la plus importante à laquelle elle puisse se livrer, après avoir posé les bases de son nouveau système politique.
Je crois aussi que l’avenir de la Belgique est tout entier dans son premier budget.
C’est là, en effet, où il s’agit de donner la vie à ses nouvelles institutions, d’y approprier le régime intérieur de son gouvernement, de lui donner les moyens de pourvoir aux besoins des différentes branches de l’administration de l’Etat et c’est surtout dans le budget de l’intérieur qu’il s’agit de mettre en action et de faire fructifier les principes libéraux qui ont fait éclater l’insurrection et qui seuls peuvent la justifier.
Or, comme on ne doit pas se dissimuler que c’est ce premier budget qui servira de point de départ pour les budgets subséquents et qui servira surtout de base pour déterminer le chiffre auquel le nouveau système financier devra atteindre, il ne suffit pas de chercher à simplifier les rouages de l’administration intérieure, de réduire ou de supprimer des traitements, il faut encore ne pas masquer les véritables besoins de l’Etat et par conséquent satisfaire avec franchise et loyauté aux charges que l’équité et la justice imposent.
La justice comme la liberté doit être en tout et pour tous, et si l’on veut sérieusement que la probité politique ait gagné quelque chose par la révolution, il ne faut pas imiter le gouvernement précédent et ajourner, pour esquiver comme lui, de justes réparations.
C’est pourquoi je désire, qu’en ouvrant le budget de l’intérieur, on y trouve l’application de ces principes, que je vais signaler quelques lacunes qu’il importe de remplir.
J’appellerai notamment votre attention, messieurs, sur le régime vicieux et injuste des enfants trouvés, sur la situation actuelle de cette branche d’administration, et sur l’inconcevable improbité de continuer à faire profiter l’état de la spoliation des routes qui appartenaient aux communes, non seulement sans proposer au budget un fonds d’indemnité ; mais même sans y poser le principe d'une réparation prochaine.
Régime des enfants trouvés et abandonnés
Pour vous faire partager ma conviction et vous faire plus clairement apprécier le vice et l’injustice du système hollandais sur le régime des enfants trouvés et abandonnés, il est indispensable que je reporte d’abord vos souvenirs sur le système qui avait été adopté par une nation beaucoup plus avancée en civilisation et qui avait été assez sage pour profiter des leçons de l’expérience.
Le clergé, se trouvant en possession d’immenses richesses, le privilège d’exercer un acte de charité en se chargeant de l’entretien des enfants trouvés, lui fut originairement dévolue.
Plus tard, on conçut et l’on voulut exécuter le projet d’en charger les communautés d’habitants par application du principe qu’elles étaient obligées de nourrir leurs pauvres.
Mais ce système ne fut pas plus tôt essayé qu’il fut abandonné.
De nombreuses contestations surgirent sur la question de savoir si la charge de l’entretien devait peser sur le lieu du domicile de la mère, sur le lieu de l’accouchement, ou bien sur celui de l’exposition, et enfin sur les moyens de constater l’origine de l’enfants.
Toutes ces difficultés étaient interminables parce qu’il était évident que le principe que les communautés d’habitants doivent nourrir leurs pauvres ne pouvait aucunement s’appliquer aux enfants trouvés.
Il n’est pas très difficile, en effet, de s’assurer du véritable domicile de secours d’un mendiant, puisque l’on peut toujours savoir d’où il vient, tandis qu’il est presque toujours impossible de découvrir si le lieu de l’exposition de l’enfant est bien le lieu de domicile de la mère ou de la naissance.
il fallut donc abandonner un système qui reposait sur un principe dont l’application était évidemment faussée dans l’exécution et c’est alors que l’entretien des enfants trouvés devint une charge des profits attachés aux anciennes justices seigneuriales.
Ces justices se trouvant supprimées, l’assemblée constituante, par son décret du 27 novembre 1790, déchargea les seigneurs haut justiciers de l’obligation de nourrir et entretenir les enfants exposés dans leurs juridictions, mais elle se garda bien de remettre en vigueur un système communal qui avait été frappé de réprobation, elle déclara qu’il était de son devoir et de son humanité de s’occuper sans délai du sort de ces enfants ; et le principe que la nourriture et l’entretien de ses enfants étaient une charge de la nation, fut adopté.
Par la loi du 19 août 1793, la convention nationale débuta par faire payer, sur les fonds affectés aux dépenses du ministère de l’intérieur, des indemnités aux familles, ou individus, de même qu’aux ci-devant seigneurs haut-justiciers, qui étaient demeurés chargés d’enfants trouvés, et le sort de ceux-ci fut définitivement fixé par la loi du 27 frimaire an V et l’arrêté réglementaire du 30 ventôse suivant.
Par cette loi il fut arrêté que les enfants abandonnés nouvellement nés seraient reçus gratuitement dans les hospices où il fut établi des tours pour les recevoir et le trésor public fut chargé de suppléer au défaut de fonds affectés à cette dépense.
Il suffit sans doute, pour justifier cette mesure, d’indiquer qu’elle fut délibérée et adoptée successivement par l’assemblée constituante, par la convention nationale et ensuite, par le corps législatif.
Les motifs qui réclamaient la préférence pour ce système étaient d’ailleurs sensibles.
L’exposition de l’enfant était un crime ; c’est à ce titre que les anciennes justices seigneuriales avaient été tenues d’en supporter les conséquences ; la suppression des justices seigneuriales reportait donc naturellement la charge sur le trésor de l’Etat.
Aujourd’hui l’exposition de l’enfant est encore un délit, et par conséquent c’est à l’Etat et non aux communes du lieu de l’exposition qu’il appartient d’en procurer la réparation.
L’infanticide est un crime et c’est encore à l’Etat qu’il appartient d’employer les mesures préventives. Or, le moyen préventif le plus efficace était de fournir à la fille-mère le moyen facile de couvrir, sans crime, la honte de la faiblesse ou du libertinage.
Enfin, comme il était presque toujours impossible de constater le véritable domicile de secours des enfants trouvés, l’obligation de leur entretien imposée à la commune de l’exposition était évidemment arbitraire et par conséquent injuste.
Le régime qui prit naissance dans le sein de l’assemblée constituante était donc rationnel et fondé sur les véritables principes d’administration générale.
Nous vécûmes pendant trente ans sous ce régime et le service de l’entretien des enfants trouvés n’avait soulevé aucune plainte, lorsque le mauvais génie qui poussait le gouvernement hollandais à tout bouleverser chez nous sans discernement, lui fit aussi porter la hache sur cette institution et sans égard que cette institution était protégée par une loi, maintenue par l’article 2 additionnel à la loi fondamentale, le système du domicile de secours des enfants trouvés fut ordonné par simple arrêté et déchargea l’Etat de leur entretien.
Abstraction faite à l’inconstitutionnalité de la mesure, ce gouvernement, comme on vient de le voir, n’eut pas même le mérite de l’invention. Il se borna à regarder en arrière et, sans s’arrêter aux désordres comme aux injustices que ce régime gothique devait reproduire, il s’en empara comme moyen astucieux de faire disparaître une charge qui prenait dans le budget de l’Etat une place qui convenait à ses prodigalités.
Vous allez apprécier, messieurs, quelles furent les conséquences d’une innovation tellement irréfléchie qu’on n’avait pas même pensé de séparer le passé de l’avenir.
Le lieu de l’exposition redevenant le domicile de secours, les tours furent naturellement fermés et la morale publique fut de nouveau scandalisée par de criminelles expositions dont le souvenir était perdu.
Les communes qui, depuis trente ans, ne connaissaient plus semblable charge et qui se révoltèrent naturellement à l’idée de devoir fournir à l’alimentation d’enfants trouvés dans le cas même où ils ne provenaient pas du fait de leurs habitants, se plaignirent amèrement ; et comme leurs plaintes ne furent point écoutées, on eut recours à un nouveau genre de fraude.
Si l’exposition avait lieu dans une commune rurale, on s’empressait de porter l’enfant sur le territoire de la commune voisine et il était ainsi ballotté de commune en commune jusqu’à ce que la mort s’en suive ou que la charité finît par l’arrêter dans sa course.
Tels sont les désordres que produisent toujours des mesures injustes.
Ce n’est pas tout. En imposant ainsi aux communes une obligation arbitraire et en ne prenant pas soin surtout de séparer le passé de l’avenir, on avait commis une autre genre d’injustice, source bien plus onéreuse et par conséquent bien plus révoltante encore, et c’est ici, messieurs, que je réclame plus spécialement votre attention.
Lorsque la loi du 27 frimaire an V chargea l’Etat de l’entretien des enfants trouvés, la ville de Namur s’empressa de placer un tour à l’extérieur de l’un de ses hospices et, comme ce ne fut que très longtemps après que les départements voisins créèrent de semblables établissements, la ville de Namur devint le dépôt des enfants trouvés de la province de Liége, du Luxembourg et surtout des parties des Ardennes qui, avoisinant la Meuse jusqu’au-delà de Givet, avaient des moyens de transport très faciles, et par suite très fréquents. Je crois bien que dans les établissements de Liège et de Luxembourg les enfants recevaient les mêmes soins qu’à Namur, mais il est de fait que ces établissements tardifs n’avaient pas fait diminuer sensiblement le nombre d’enfants qui étaient apportés et entretenus à Namur.
A la fin de 1821, à l’époque de l’innovation hollandaise, l’hospice de Liége entretenait 280 enfants, la ville de Luxembourg en entretenait 264, tandis que l’hospice de Namur en comptait 958 et, comme on sait, en raison de la population de ces provinces, la disproportion est énorme.
Jugez maintenant, messieurs, combien il est difficile de déraciner d’anciennes habitudes.
Jugez en même temps de l’effet désastreux que produisit pour la ville de Namur, cette brutale mesure.
Deux ans après, en 1823, il existait à l’hospice de Namur 1,159 enfants, 1,083 en-dessous de 12 ans et 76 au-dessus de cet âge.
A part l’injustice dont le changement de système dotait l’avenir, il fallait tout au moins réfléchir sur le passé et ne pas y ajouter la seconde injustice bien plus criante, celle de l’effet rétroactif.
La loi du 25 frimaire an V, fidèlement exécutée pendant 30 ans par la ville de Namur, ne pouvait avoir été pour elle un guet-apens ; et cependant en sachant comment accommoder le nouveau système avec les enfants qui y avaient été, non pas exposés, mais déposés et reçus en exécution de cette loi, on vient lui dire tout à coup : la nation ne se chargera plus de l’entretien des enfants trouvés, tel est notre bon plaisir, les communes y pourvoiront ; ils auront pour lieu de secours le lieu de l’exposition et puisque c’est bien chez vous que doivent être censés avoir été exposés ceux que la loi de 25 frimaire vous a obligés de recevoir aux frais de la nation, vous voudrez bien continuer à vous en charger à vos frais. Et, du reste, comme on est depuis longtemps dans l’habitude de vous en porter et que probablement cette habitude durera encore longtemps, vous voudrez bien prendre en outre une part toute privilégiée dans les inconvénients du nouveau système.
Vous aurez peine à croire, messieurs, qu’une aussi révoltante mesure ait pu être conçue et exécutée ; et cependant la chose est ainsi.
Déjà en 1823, le budget de la ville de Namur avait été forcé, par ordre supérieur, de 20.000 florins, acompte seulement d’un contingent de 41,139 florins 99 cents, et son budget de 1825 se trouva grevé de la même manière de 84,997 flor. 49 cents, pour les premiers exercices de 1823, 1824 et les deux premiers trimestres de 1825 ; et, tandis que cette ville n’a d’autres ressources que les taxes municipales et qu’elles y sont portées à un maximum qui dépasse celui des autres villes de la Belgique, elle voyait la dépense des enfants trouvés absorber la moitié de ses revenus.
Vous pensez bien, messieurs, qu’elle ne garda pas le silence et qu’elle réclama.
Mais, sous le gouvernement hollandais, elle fut froidement écoutée et on se borna à lui promettre que la province viendrait à son secours, ce qui amena une taxe sur les chiens, qui produit annuellement environ 9,000 florins, et dont elle ne profite même que pour une partie.
Elle a réclamé aussi sous le gouvernement actuel, mais sans plus de succès.
Cependant il arrive le moment où, fatigué de se plaindre et de ne pouvoir obtenir justice, on finit par recourir aux moyens extrêmes, pour se la donner soi-même, et c’est ce qui vient d’arriver de la part de l’administration de la ville de Namur. En effet, elle n’a plus rien porté pour les enfants trouvés dans ses budgets de 1831 et 1832 et, ne vous y trompez pas, messieurs, il n’y aura pas moyen de la contraindre à agir différemment.
Une loi légitime son opposition. Cette loi n’a pas été révoquée, elle est encore debout. C’est un simple arrêté qui lui impose la charge et il ne sera pas facile au pouvoir exécutif de nous faire rétrograder au temps où il pouvait commodément grever les communes par simples arrêtés.
Je conçois qu’en ne tenant pas compte à la ville de Namur des sacrifices qu’elle a déjà faits au-delà de ses moyens, on pourra parler d’inhumanité ; mais ce reproche ne pourra l’atteindre, il rejaillira plus haut et d’ailleurs c’est du pain qu’il faut aux enfants trouvés et non de stériles déclamations.
Dans cet état des choses que va-t-on faire de nos enfants ? qui va payer et leur procurer des nourrices ? va-t-on les laisser périr d’inanition ?
J’ignore si, à cet égard, le ministre de l’intérieur a pris des mesures, tout ce que je sais, c’est que je ne trouve rien dans son budget de nature à faire disparaître la double injustice que je viens de signaler et à venir au secours du service de cette branche importante de son département, car il ne doit pas compter qu’il trouvera le conseil provincial plus disposé que le conseil de la ville à se charger du fardeau.
Déjà, sous le gouvernement hollandais, le ministère chercha à différentes reprises à animer les états de Namur à convertir en charge provinciale l’entretien des enfants trouvés, mais l’assemblée des états s’y opposa constamment et avec raison, puisqu’en transformant le régime communal en régime provincial, ce n’était que placer l’injustice sur un autre terrain et non la faire cesser.
En effet, dès lors que la charge imposée aux communes n’avait pour motif que la fiction arbitraire de l’exposition pour lieu de domicile de secours, l’injustice ne disparaissait pas en grevant la province de cet onéreux fardeau.
Depuis 30 ans le chef-lieu de la province avait servi de dépôt aux enfants trouves des provinces de Liége, de Luxembourg et du département des Ardennes.
L’établissement légal qui y avait été formé en premier lieu ; les soins qui y était donnés ; la facilité des communications par la Meuse, y avaient fait affluer les enfants trouvés des départements voisins.
Les états de Namur ne pouvaient donc que s’opposer fortement à ce que la dépense fut reportée à la charge de la province, non seulement pour l’avenir, puisque l’expérience avait prouvé que la province de Namur se trouverait grevée des enfants qui lui arriveraient de l’extérieur, mais surtout pour le passé, puisqu’ainsi cette province eut adopté une masse d’enfants que la loi lui avait permis de recueillir aux frais de l’Etat et qui ne lui appartenaient pas.
Il ne faut pas se faire illusion, messieurs, si l’on voulait tenter encore aujourd’hui à décentraliser le régime légal des enfants trouvés pour y substituer le système provincial, vous trouveriez de la part du conseil provincial de Namur une opposition insurmontable.
D’abord, parce qu’aujourd’hui il se prévaudrait de l’article 110 de la constitution qui ne permet de grever la province que de son consentement, et parce qu’en supposant même qu’il fût possible de lui faire adopter ce système provincial pour l’avenir, le passé ne devrait pas moins, sous peine d’effet rétroactif, rester régi par la loi préexistante.
Il y aurait effectivement impossibilité de répartir aujourd’hui dans les provinces auxquelles ils appartiennent, les enfants qui ont été reçus dans le dépôt de Namur.
En supposant donc que le système provincial put être plus tard converti en loi, il faudrait toujours porter au budget des subsides pour fournir à l’entretien des enfants qui ont été recueillis sous la foi d’une législation qui chargeait le trésor de cette dépense.
Entre-temps, il faut bien se soumettre au régime légal, et le régime légal est celui de la loi du 27 frimaire an V, et non le régime inconstitutionnel et despotique de l’arrêté du 6 novembre 1822.
Il y a urgence d’ailleurs à fournir provisoirement à la dette de la loi, puisque nos institutions ne donnent au gouvernement aucun moyen de contraindre les communes qui, depuis la révolution, se sont refusées à porter aucuns subsides dans leurs budgets.
Spoliation des chaussées
Ce n’est pas seulement sur le régime des enfants trouvés que je trouve en défaut le budget de l’intérieur, il est un autre genre d’injustice administrative qu’il laisse subsister et dont la ville de Namur est encore plus spécialement atteinte.
Je veux parler des routes dont cette ville continue à rester spoliées au profit de l’Etat.
Par divers octrois du gouvernement autrichien du 11 mars 1711, 15 juin 1725, 8 et 11 mars 1728, 21 février même année, 29 août 1753 et 3 juillet 1784, le magistrat de la ville de Namur fut autorisé à faire des emprunts pour construire :
1° La route de Namur à Louvain.
2° Celle de Namur au vivier l’Agneau (route du Luxembourg.)
3° Celle de Namur à la Pairelle (route de Givet.)
4° Et concurremment avec les deux autres membres des états, celle de Namur à Alsin (route de Liége.)
L’acquisition des terrains que ces routes devaient traverser et leur construction exigea des capitaux considérables.
Ces capitaux furent levés en rentes et le produit des barrières, ainsi que des autres revenus de la ville furent affectés en hypothèque aux prêteurs.
Le produit annuel de ces barrières, non compris la route d’Alsin, était en 1702, de fl. Ct Bt 35,870-0-0, ce qui, après en avoir déduit les frais d’entretien et les intérêts des capitaux, laissait un fond d’amortissement qui donnait le moyen de rembourser chaque année une partie de l’emprunt.
En 1793, le gouvernement français, en vue de régulariser le service de l’administration générale, s’empara de ces routes et se borna à déclarer que la dette de la ville serait liquidée par l’Etat.
Les crédirentiers, qui n’avaient pas seulement pour hypothèque le produit des barrières mais encore les autres revenus de la ville, ne se soucièrent pas d’avoir affaire à ce nouveau débiteur qui, dans ce temps-là, leur offrait peu de garantie et ils continuèrent à se faire payer par la ville les intérêts de leurs capitaux.
Lors des événements de 1814, le gouvernement français n’avait rien liquidé de cette dette ; la ville de Namur n’avait reçu aucune indemnité, elle continuait à payer les intérêts des capitaux levés et restait spoliée de sa propriété.
Le gouvernement hollandais trouva les choses en cet état et il lui parut commode d’en profiter avec la même bonne foi que le gouvernement précédent, c’est-à-dire en promettant qu’il s’occuperait nécessairement d’une liquidation.
Mais, entre-temps, il perçut le produit des barrières tandis qu’il forçait la ville à payer la dette.
Comme il n’était pas possible de méconnaître la justice des réclamations qui se succédaient et qu’il fallait bien enfin donner au moins des espérances pour gagner du temps, un arrêté royal du 3 novembre 1818 déclara, article 6, que la ville de Namur obtiendrait des indemnités du chef des chaussées pour la confection desquelles elle restait chargée d’aussi nombreux capitaux.
Cet arretê n’était que l’application d’un arrêté précédent du 23 janvier 1815 qui avait admis les intéressés à faire valoir leurs droits du chef des dépossessions de routes qui avaient eu lieu sous le gouvernement français.
On crut aisément que justice allait être rendue parce qu’alors on ne connaissait pas encore toutes les lenteurs et toutes les déceptions du gouvernement hollandais ; dix ans s’étaient écoulés et l’exécution de cet arrêté avait été en vain sollicitée, lorsqu’enfin par un autre arrête royal du 17 novembre 1825, M. Piepers, référendaire au conseil d’Etat, fut chargé de faire le travail relatif aux routes dont les communes avaient été dépossédées par le gouvernement français.
Il avait reçu probablement pour instruction de se hâter fort lentement ; car ce n’est que deux ans après qu’il ouvrit sa correspondance et se mit en relation avec le gouverneur de la province et la régence de Namur.
Inutile de vous retracer les minutieuses exigences de cette correspondance, il suffit que vous sachiez qu’il avait en mains des copies authentiques des octrois et des titres de la ville de Namur ; qu’il avait reconnu le fondement de ses réclamations et que cette ville allait enfin obtenir justice lorsque les événements de septembre 1830 éclatèrent.
La ville de Namur se sentit momentanément contrariée par ce nouvel incident, mais elle s’en consola lorsqu’elle vit que la révolution proclamait que les principes les plus généreux et les plus libéraux la dirigeait, que la justice et l’équité auraient tout à gagner au changement de gouvernement et qu’enfin la révolution se faisait pour réparer les injustices et non pour les consommer.
Ne serait-ce encore là qu’une déception, pour la ville de Namur ; et notre glorieuse révolution resterait-elle en défaut sur ce point comme sur plusieurs autres ?
Le langage de M. le ministre de l’intérieur augmente et justifie cette appréhension.
Ecoutez-le, messieurs, dans l’exposé des motifs qui accompagnent ses projets de loi relatifs aux barrières et à la classification des routes.
Sans égard aux droits dont il va consommer la spoliation au profit du gouvernement, il étend le réseau de son administration sur toutes les routes du royaume.
Il est urgent, dit-il, de faire cesser ce système odieux qui obligeait les provinces à fournir à la dépense des routes dont elles n’avaient pas la propriété et sur lesquelles elle ne percevaient pas le produit des barrières et, lorsqu’il s’agit de routes spoliées sur les communes, dont elles supportent les charges sans profiter des bénéfices et dont le gouvernement jouit à leur préjudice il ne trouve plus rien d’odieux, il ne trouve plus rien d’urgent.
De reste, admirez, messieurs, combien M. le ministre est réservé sur ce point. Voici ses expressions :
« Du moment où le gouvernement aura pu récupérer tous les documents relatifs à ces droits, aux droits des communes dépossédées (sans indemnité) et reposant à La Haye, il en prendra connaissance pour y avoir tel égard que l’équité prescrira. »
Je ne sais si je vais faire l’éloge de M. le ministre, mais je vais tout au moins prouver qu’il est beaucoup plus ingénieux que les ministres de Guillaume sur les moyens dilatoires à employer pour reculer le jour de la justice.
Si vous voulez franchement que justice soit promptement rendue aux communes, vous n’avez pas besoin d’attendre qu’il vous revienne de La Haye des documents qui pourraient bien n’arriver jamais. Je tiens en mains la preuve que vous avez dans les archives du ministère des documents qui vous ont instruit suffisamment que ce ne sont pas les originaux des octrois et des titres des communes qui sont à La Haye, mais bien des copies et que le double des actes d’instruction se trouvent également dans les mains des administrations municipales et provinciales. Il eût dont suffi, comme il suffit encore, de faire un simple appel pour abréger le terme indéfini et incertain que vous demandez, non pas encore pour faire droit aux communes, mais seulement « pour y avoir tel égard que l’équité prescrira. »
Le gouvernement français avait mis tout au moins quelque pudeur dans la spoliation ; il ne s’était pas borné à renvoyer les communes à ce que prescrirait l’équité, il avait admis sur le champ le principe de l’indemnité en disant qu’il se chargeait de la dette et puis, comme il avait supprimé les barrières, il ne jouissait pas tout au moins entre-temps des fruits de la spoliation.
Le gouvernement déchu, et dont nous maudissons tous les jours les tergiversations, ne s’était pas plus tôt aperçu qu’il succédait dans cette spoliation et qu’il allait en jouir par le rétablissement des barrières, qu’il reconnut également, par un arrêté spécial, le principe de l’indemnité, sans en renvoyer non plus l’application à ce que l’équité prescrirait plus tard.
Et aujourd’hui que nous nous flattons d’avoir formé un gouvernement tout autrement libéral, on propose de consommer de nouveau la spoliation et on recule sans aucune nécessité le moment de rendre justice, sans même oser poser franchement le principe de l’indemnité qui pourra seulement être admis pour lors que l’équité le prescrira ; et même pour ne pas trop se lier à cet égard, on a bon soin dans le projet de loi d’envoyer purement et simplement le gouvernement en possession des routes des première et deuxième classes, sans toucher un mot des parties de ces routes qui ont été spoliées sur les communes.
D’après cela, je ne suis pas étonné que, nonobstant les réclamations de la ville de Namur renouvelées à quatre reprises depuis 18 mois, M. le ministre n’ait proposé dans son budget aucune allocation pour satisfaire à l’une des plus impérieuses nécessités d’un gouvernement qui veut entrer avec honneur et probité dans la grande famille des Etats européens et qui, pour cela faire, doit tout au moins payer religieusement ses dettes et ne pas arbitrairement et despotiquement les ajourner.
Je m’attends bien que l’on objectera qu’avant de payer il faut liquider et que d’ailleurs le budget est déjà chargé au-delà des recettes ordinaires. Mais, à mon avis, une pareille excuse serait une fort pitoyable raison.
Sans doute, avant de payer il faut liquider, mais reconnaissez tout au moins la dette et ne renvoyez pas à un temps incertain pour examiner seulement alors si l’équité prescrira de la reconnaître et d’y satisfaire. Et, du reste, si nous n’avons pas les moyens de payer de suite les indemnités de l’expropriation, nous avons tout au moins celui de nous abstenir de nous rendre complices de la spoliation en rendant provisoirement aux communes la jouissance des routes qui leur appartiennent, sauf à les reprendre légalement lorsque nous pourrons les payer.
Voilà ce que prescrivent les principes de probité et de justice. Voilà ce qu’exige la loyauté d’un gouvernement vraiment libéral.
Du reste, il est du devoir du ministre de prévenir les actions judiciaires évidemment fondées et de ne pas attendre que le pouvoir judiciaire vienne faire sa besogne et celle de la chambre en complétant forcément son budget.
Il ne faut pas se faire illusion, messieurs, si le budget de l’intérieur ne contient rien de satisfaisant pour la ville de Namur et que cette ville soit bien conseillée, elle n’attendra pas que les moyens de lui rendre justice, lui arrivent de La Haye, elle se hâtera d’assigner le gouvernement en revendication pour se faire envoyer en possession des barrières, si mieux n’aime celui-ci payer sur-le-champ la juste indemnité telle que le tribunal l’arbitrera, soit par experts, soit sur les documents qui lui seront fournis.
Vous ne doutez pas sans doute plus que moi, messieurs, que cette démarche serait couronnée d’un plein succès et même beaucoup plus promptement, car le pouvoir judiciaire ne renvoie jamais à une époque incertaine et indéterminée la question de savoir si l’équité prescrira de rendre justice.
Lorsque l’honorable M. Barthélemy a développé la proposition relative aux routes dont les communes avaient été dépossédées, le mot de « prescription », comme moyen de repousser l’action des communes, est venu frapper mon oreille.
Je ne sais s’il a fait écho, mais je dirai d’abord que ce moyen odieux, que le mot de prescription, retentit mal dans une enceinte consacrée à la loyauté et à la bonne foi.
Du reste, c’est fort mal à propos qu’on a fait entendre ce mot et voici pourquoi.
A la vérité il y aura d’abord 40 ans que la ville de Namur paye et ne jouit pas, mais ce terme n’est pas encore atteint.
Du reste, il existe des principes que vous connaissez et qui empêchent ou interrompent le cours d’une prescription.
Elle ne court pas d’abord contre celui qui ne peut agir et telle était la position de la ville de Namur sous le gouvernement français, position qui resta la même sous le gouvernement hollandais puisqu’elle ne pouvait agir sans son autorisation.
Il n’en est pas de même aujourd’hui. L’article 92 de la constitution lui permet d’intenter son action et de faire condamner le gouvernement à lui rendre ce qui lui appartient.
Non seulement la prescription n’a pas fourni à défaut par la ville de Namur de pouvoir agir, mais encore, parce qu’il y a eu interruption.
Veuillez lire, messieurs, l’arrêté du 23 janvier 1815 et celui plus spécial du 3 novembre 1818, et vous verrez si le droit de la ville de Namur sur les chaussées dont il s’agit n’y est pas formellement reconnu.
Jugez maintenant, messieurs, si ce n’est pas avec de justes motifs que je me plains des injustices que le budget de l’intérieur perpétue à l’égard de la ville de Namur !
Elle reste accablée des intérêts d’une dette énorme qu’elle a contractée pour la construction de routes et M. le ministre continue les effets de la spoliation sans proposer aucune espèce d’allocation même provisionnelle.
L’innovation néerlandaise dans le système d’entretien des enfants trouvés, innovation introduite par simple arrêté, absorbait la moitié des revenus de cette ville par une double injustice, celle du lieu de l’exposition comme domicile de secours et celle plus odieuse encore de l’effet rétroactif.
Depuis la révolution elle s’est émancipée elle-même de cet injuste fardeau : le gouvernement est sans moyens pour la forcer à le supporter plus longtemps et rien n’est proposé au budget de l’intérieur pour fournir à l’entretien de ces enfants et venir au secours des nourrices.
Ce budget cependant nous demande plus d’un million pour faire face à des dépenses qui sont loin d’être justifiées par des droits aussi positifs, par des besoins aussi pressants.
Il nous demande nommément 720,218 florins 50 cents pour secours aux arts, à l’industrie et au commerce.
Il est loin de ma pensée de contester l’utilité d’une semblable dépense ; mais avant de s’occuper de ce qui est utile, il faut au moins commencer par satisfaire à ce qu’on doit.
Il nous demande 362,104 fl. pour satisfaire aux besoins de l’instruction, et je reconnais que c’est bien là une obligation que la constitution nous impose. Mais cette dette n’est pas plus liquide que celles que je signale, puisque la loi qui doit régler cette branche d’administration n’est encore ni présentée, ni votée, et qu’il n’est d’ailleurs pas plus urgent d’y pourvoir qu’il ne l’est de rendre aux communes en nature ou en argent ce qui leur appartient.
Je ne me rendrai pas complice d’omissions aussi injustes. Je n’abuserai pas de mon mandat au point de voter un budget qui étant incomplet, ne serait pas une vérité, parce que je ne veux pas qu’alors qu’il s’agira d’élever le chiffre du nouveau système de voies et moyens (et il n’est pas douteux qu’il faudra en venir là), on me reprochera d’avoir aidé à dissimuler à la nation une partie de ses obligations pour l’entraîner plus aisément dans des dépenses qui n’étaient que d’utilité ou de luxe.
En conséquence et pour que vous puissiez, messieurs, prendre le temps d’apprécier le mérite des considérations que je viens de vous soumettre, et de ne pas précipiter une détermination sur des matières aussi importantes je vais déposer à l’instant sur le bureau les deux amendements suivants :
« Chapitre III, article 2. Indemnités pour expropriation de routes dont l’Etat est en possession : fl. 500,000
« Chap. XI, article 3. Entretien des enfants trouvés et abandonnés, conformément à la loi du 27 frimaire an V : fl. 250,000. »
Ces allocations ne sont pas de nature à pouvoir être précisées actuellement, mais il est évident que le chiffre n’en est pas trop élevé.
En ce qui concerne les indemnités pour expropriation de routes, il n’est pas douteux que la somme demandée sera en dessous du besoin.
En ce qui regarde les enfants trouvés et abandonnés, j’ai pris, pour base du calcul proportionnel et approximatif, la dépense que cette branche d’administration nécessitait sous le gouvernement français et sous le gouvernement hollandais.
Suivant le décret du 19 janvier 1811, l’allocation au budget de l’Etat était de 4 millions de francs.
En suivant les arrêtés des 1er juin 1816 et 15 janvier 1818, cette dépense pour les provinces méridionales seulement était de fl. 269,193-66.
(Moniteur belge n°104, du 13 avril 1832) M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je crois devoir répondre quelques mots aux discours que vous avez entendus. Toutefois, je déclare à l’avance que je ne pourra suivre les honorables préopinants dans les développements où ils sont entrés, d’abord pour des raisons de convenance, et ensuite parce que cela n’aurait pour résultat que de retarder la discussion du budget. D’ailleurs, la plupart de leurs arguments trouveront mieux leur place dans la délibération des articles de ce budget et dans celle des lois provinciale et communale.
L’honorable M. Barthélemy vous a présenté de très longs développements pour vous montrer la prétendue nécessité d’une décentralisation. Je ferai remarquer d’abord que la centralisation ne pourrait être détruite qu’avec les lois qui l’ont établie ; mais, quant au fond, je suis loin de partager l’opinion de l’honorable membre, et je suis sûr que, si on l’adoptait, on ne tarderait pas à regretter bientôt tous les avantages obtenus à la suite de la révolution française.
Quant à l’arrêté pour autoriser une commune à couper cinq arbres, c’est un fait qui tient à un principe général ; car il s’agit d’arbres croissant dans un bois communal, et les lois ne permettent l’exploitation des arbres dans les bois communaux que moyennant l’observation de certaines formalités qui ont été jugées nécessaires pour la conservation des forêts.
Je crois, messieurs, que le projet de loi sur l’organisation des provinces et des communes, qui sera discuté après le budget, leur accorde tout ce qu’on pouvait accorder ; il y aurait des inconvénients et du danger à aller plus loin, et à laisser à une province la liberté de prendre telle décision et de faire tel acte qu’il lui plairait, sans avoir besoin de l’approbation du gouvernement.
Je ne répondrai rien à ce qu’a dit M. Barthélemy, que le ministère de l’intérieur devait se borner à remplir le rôle d’une cour de cassation. Vous sentez, messieurs, qu’il a une toute autre mission à accomplir vis-à-vis de la nation. D’ailleurs, le système de l’honorable orateur suppose toujours des réclamations individuelles contre l’infraction des règlements d’administration générale, tandis qu’il y aurait une foule d’actes irréguliers qui passeraient inaperçus, si les autorités n’étaient pas obligées de faire conster à l’administration centrale, par l’envoi des pièces nécessaires pour obtenir l’approbation supérieure, que les lois et les règlements administratifs sont régulièrement observés ; et alors une véritable anarchie règnerait dans l’administration, car on peut bien appeler anarchie un ordre de choses où il n’y aurait plus d’unité ni d’ensemble.
On a parlé aussi du génie civil, et on a vanté ce qui se passait sous le gouvernement autrichien ; je suis encore bien loin de partager l’avis de l’orateur ; je regarde au contraire le génie civil comme une des plus belles institutions de notre époque ; c’est un corps composé d’hommes capables qui ont consacré toute leur vie à l’étude, et c’est à lui qu’on sera redevable d’utiles travaux et de grandes améliorations.
On a signalé l’économie qui pourrait résulter de la suppression des ponts et chaussées, en les attribuant aux communes ; mais comme ils devraient toujours être surveillés, ce ne serait simplement qu’un transfert, et je ne vois pas les grands avantages qu’on en retirerait. Je ne citerai qu’un seul fait relativement à cette économie.
A Bruxelles, on paie, par mètre carré de pavage, dix cents, y compris le sable, tandis que l’Etat et la province du Brabant ne paient que cinq à huit cents, selon ses localités et la difficulté de se procurer le sable.
La ville de Bruxelles paie 50 cents pour le mètre cube de sable pour le transport seulement, car elle n’a ni indemnité de terrain, ni fouille à payer ; les entrepreneurs des routes de l’Etat et des provinces, qui ont ces frais à payer, ne reçoivent cependant, pour prix moyen que 40 cents.
Vous pouvez juger, par ce seul fait, combien est illusoire l’avantage qu’on se promet de la décentralisation.
On a parlé de l’injustice du gouvernement à l’égard des propriétaires qui ont droit à une indemnité du chef des routes qui ont été déclarées nationales ; mais le gouvernement n’a jamais entendu dire que ces propriétaires ne devaient pas être indemnisés ; seulement il a voulu n’agir à leur égard qu’en pleine connaissance de cause, pour fixer l’indemnité avec équité sans nuire à ses propres intérêts. On ne peut donc pas dire que notre système soit d’ajourner leurs réclamations. J’ai déjà dit que les documents relatifs à cet objet se trouvent à La Haye, et, jusqu’à ce que nous ayons ces documents, il n’y a pas de reproches à nous faire ; car il ne s’agit pas seulement de reconnaître les anciens propriétaires, il faut aussi connaître les créances que l’Etat a payées à leurs décharges, et d’autres faits qui doivent influer sur la fixation de l’indemnité.
M. Barthélemy vous a entretenus aussi des créanciers des communes dépossédés. Il existe en ce moment une contestation à ce sujet devant l’autorité judiciaire ; il interviendra une décision qui pourra servir de règle, mais c’est une question tout à fait étrangère au département de l’intérieur ; elle concerne exclusivement celui des finances.
Quant à l’instruction publique, une loi vous sera bientôt présentée, et c’est à l’occasion de cette loi qu’on pourra se livrer à une discussion utile.
Quant aux cultes, en effet, le gouvernement n’intervient plus et ne doit plus intervenir que pour le paiement des traitements et la répartition des secours accordés par la législature ; mais c’est à lui à faire cette répartition.
Relativement aux enfants trouvés, les honorables préopinants vous ont cité les lois françaises ; mais ils ont oublié une autre loi française, du 19 juillet 1819, qui met cet objet à la charge des départements et des communes.
On nous a adressé des reproches au sujet de la ville de Namur, et ici une réponse est nécessaire, parce que la réclamation se présente avec une apparence d’équité ; cette réclamation serait fondée, en effet, si la ville eût été obligée d’avoir un tour pour recevoir le dépôt des enfants ; mais cette obligation n’existe plus depuis longtemps. C’est ainsi que la ville de Maestricht a supprimé le sien.
Au surplus, il n’y a pas de système uniforme dans tout le royaume. Dans des localités, les maisons d’enfants trouvés sont à la charge des provinces, dans d’autres, à la charge des communes, et dans d’autres encore, des provinces et des communes à la fois. Il n’y aurait pas de justice à ce que le gouvernement supportât toute la dépense ; car c’est surtout à Bruxelles et dans les grandes villes que l’on expose les enfants, tandis que cela n’a pas lieu dans les communes rurales.
Il y a même une province, celle de Luxembourg, où il n’y a pas d’enfants trouvés ; les mères élèvent leurs enfants elles-mêmes. Or, pourquoi voudrait-on la faire contribuer aux dépenses ? J’avoue, cependant, qu’il serait équitable que l’Etat fût chargé, non pas de toute la dépense, mais d’une partie, et c’est à cause de cela que j’ai demandé une somme de 100,000 fl. pour venir au secours des établissements de bienfaisance ; une partie quelconque pourra être employée à secourir les hospices des enfants trouvés, au moins dans les villes que l’existence des tours expose plus particulièrement à recevoir des enfants qui leur sont étrangers.
Je ne dirai rien relativement à l’allocation que j’ai demandée pour encouragement de l’agriculture, de l’industrie et du commerce ; ma réponse sera mieux placée dans la discussion des articles.
Quant aux dégâts occasionnés par les Hollandais et par les émeutes, j’aurai l’honneur de vous soumettre deux rapports ; mais ce n’est pas encore en ce moment, car il est impossible de constater aujourd’hui toutes les pertes essuyées, et ce n’est qu’après ces rapports que la chambre aura à décider si elle veut adopter le principe de l’indemnité ou accorder des secours, soit aux deux classes des perdants, soit tout à l’une seulement, et dans quelle proportion ; mais auparavant elle doit s’assurer et du montant définitif des pertes, et des ressources du trésor, pour délibérer en pleine connaissance de cause.
Quant aux distributions faites sur les crédits accordés par le congrès, elles l’ont été exclusivement aux plus nécessiteux, et de manière à s’adresser qu’il n’y a aucune distribution trop forte, quelle que soit la base de secours que la législature veuille adopter à l’avenir pour le règlement définitif.
Répondant à M. Osy, je dois faire observer que, d’une part, des demandes et des observations nombreuses, et, d’autre part, la présentation prochaine de la loi communale, légitimaient la suspension de l’exécution de l’arrêté relatif aux secrétaires et aux receveurs communaux, alors que, des principes différents pouvant être consacrées par la législature, il serait résulté de l’exécution momentanée de cet arrêté la privation de l’état de plusieurs de ces employés.
Quant à la suspension d’un bourgmestre, elle a dû être confirmée, par la raison que les autres membres de l’administration communale ne voulaient plus délibérer avec lui, et que leurs motifs étaient légitimes : un tel état de choses compromettrait trop gravement l’administration de la commune pour ne pas user de la faculté accordée par les anciens règlements, dont l’abolition ne résulte pas du seul fait de l’élection tellement que les fonctionnaires municipaux du plat pays soient soustraits à toute autorité supérieure.
Quant aux primes réclamées par la construction de navires, je n’ai point passé ces réclamations sous silence ; j’ai eu même l’occasion d’expliquer dans cette enceinte, au sujet d’une pétition qui m’était adressée, que ces primes devaient être prises sur un fonds spécial qui n’est pas à ma disposition ; je n’avais pas cru devoir en provoquer le paiement sur les fonds de mon département.
L’honorable député de Dinant s’est plaint avec outrance de ce que je ne lui ai pas donné pour successeur le candidat de son choix, et s’est permis de critiquer le fonctionnaire qui le remplace.
Je ferai observer toute l’inconvenance de diriger des attaques personnelles dans cette assemblée contre des individus absents, qui se trouvent dans l’impossibilité d’y répondre.
Mais je dois, dans l’intérêt du fonctionnaire absent et de l’administration, déclarer que je considère ces attaques comme dénuées de fondement.
Certes, il y a loin d’un manque de procédé de ma part envers l’honorable député, alors que j’ai tardé pendant deux mois à accepter sa démission ; jamais je ne lui ai donné aucune assurance pour son successeur, et, si dans les premiers moments, je lui ai exprimé l’intention de ne proposer de nomination définitive que lors de l’organisation provinciale, c’est que j’ignorais alors un fait qui, étant parvenu à ma connaissance, a dû me décider de suite.
En effet, l’ancien commissaire du district de Philippeville ayant été destitué par erreur, le gouvernement provisoire donna l’assurance par écrit qu’il serait replacé à la première occasion. Dès lors, j’ai dû saisir cette occasion de réparer l’erreur ; j’ai dû proposer sa réintégration, et en même temps proposer le commissaire actuel pour la place de Dinant.
En ne donnant pas la préférence au candidat de M. Pirson, j’ai suivi ce que commandent l’équité et les règles de l’administration, et je ne puis que répéter qu’après avoir observé tous les procédés à son égard, je ne devais point m’attendre à une attaque qui est au moins inconvenante.
M. Rogier. - J’ai demandé la parole pour relever les erreurs qu’a commises M. Osy. Il a dit que plusieurs bourgmestres avaient été suspendus dans la province qu’il représente ; je lui ferai d’abord observer qu’il n’y en a pas eu plusieurs, mais un seul. Quant aux motifs de la suspension, M. le ministre les a déjà fait connaître ; il suffit de savoir que tous les jours, l’autorité provinciale réclamait, et ne voulait plus délibérer avec ce bourgmestre, pour approuver la mesure qui a été prise à son égard.
Il a parlé aussi de la circulaire qui autorise à suspendre l’arrêté qui prescrivait d’opter aux personnes qui cumulaient les fonctions de secrétaire-général et de receveur ; cela vient de ce qu’il se présentait des inconvénients, et qu’on ne trouvait pas toujours des remplaçants pour ces emplois. Voilà pourquoi on a suspendu l’arrêté provisoirement, jusqu’à ce que la loi communale soit rendue.
M. Mary présente des considérations générales sur le budget de l’intérieur, et notamment sur les travaux publics ; relativement aux cultes, il dit qu’avant de nommer l’archevêque de Malines, la cour de Rome a demandé l’autorisation du roi des Pays-Bas. (Murmures d’incrédulité.) L’orateur ajoute qu’il ignore si ce fait qu’on lui a rapporté est vrai, mais il pense qu’on devrait ajourner la nomination de l’évêque de Bruges.
M. Osy répond à M. Rogier et M. le ministre de l'intérieur que c’est sur les plaintes de quelques habitants que le bourgmestre dont il a parlé a été suspendu. Il soutient qu’on aurait dû le juger et non le suspendre.
M. Rogier. - J’ai avancé que c’était sur les réclamations de l’autorité communale que la suspension du bourgmestre dont il s’agit avait eu lieu. M. Osy dit que c’est seulement sur la plainte de quelques habitants. Cependant, quand j’ai reçu moi-même les réclamations de l’autorité communale, il me semble qu’il devait me croire.
M. le président se dispose à mettre aux voix la clôture de la discussion générale.
M. d’Elhoungne demande que la discussion des articles soit remise demain, pour le motif que personne ne s’y trouve préparé.
M. Ch. de Brouckere demande la parole pour adresser quelques observations. Il croit en effet qu’il y a eu une irrégularité dans la suspension d’un arrêté royal par une circulaire ministérielle, et il dit que si on recommence à se servir de circulaire, on retomberait dans le système du gouvernement déchu. Il ajoute qu’on aurait pu agir régulièrement, en rendant un arrêté royal qui aurait permis momentanément le cumul.
Il demande ensuite s’il y a un arrêté royal qui excepte du service les jeunes gens qui se trouvent dans les petits séminaires.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) répond que cet arrêté n’existe pas, mais qu’il a été fait des réclamations, sur lesquelles il n’est pas encore intervenu de décision.
M. Ch. de Brouckere, dans le but de prévenir tout abus, fait observer que la loi sur la milice ne dispense que les élèves des séminaires épiscopaux, et qu’il n’y a pas lieu à interprétation quand la loi est si claire. Il insiste pour qu’on n’accorde pas ce privilège à d’autres établissements d’éducation religieuse ; car ce serait, selon lui, un abus effroyable qui tournerait au détriment des collèges, qui l’on déserte déjà. Il y a eu assez de circulaires ministérielles et d’interprétations royales, qui ont déchiré la loi de la milice ; il ne faut pas encore en augmenter le nombre.
M. Barthélemy. - Je ne répliquerai qu’un seul mot à M. le ministre de l'intérieur ; c’est que nous avons eu tort de faire une révolution dans l’espoir d’une meilleure administration.
- La discussion générale est close, et celle des articles, renvoyée à demi à midi.
La séance est levée à 4 heures.