(Moniteur belge n°70, du 10 mars 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à midi et demi.
Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et approuvé.
M. Lebègue analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
L’ordre du jour est la suite de la discussion générale des budgets.
M. de Robaulx. - Je m’étais proposé de m’absenter aujourd’hui pour des affaires urgentes, lorsque j’ai appris qu’un membre de la chambre avait manifesté le désir que je fusse présent pour prononcer son discours. Je me suis rendu ici à l’effet de l’entendre et de répondre à tout ce qui pourrait m’être dit de personnel. Je suis fort étonné que ce membre ne soit pas présent lui-même. J’attendrai encore quelques instants, et s’il n’arrive pas, je serai forcé de partir.
(M. de Robaulx se retire quelques instants, et M. Ch. Rogier n’arrive qu’après son départ.)
M. Lardinois. - Messieurs, si je ne consultais que mon penchant, sans me rendre raison de notre malheureuse situation politique et commerciale, je me laisserais aller aux récriminations ; j’exhumerais le passé, et je redirais aussi les fautes commises et les malheurs qui en furent la suite.
Protée à tous les formes, le budget est favorable à l’attaque comme à la défense ; car toutes les opinions s’en étaient, et l’on remarque souvent dans les assemblées délibérantes que députés et ministres s’agitent comme s’ils étaient sur le trépied de la Pythie.
La discussion du budget est aussi une belle occasion pour faire des fleurs d’éloquence, pour critique la marche du gouvernement, se plaindre des charges publiques et s’apitoyer sur les misères du peuple ; mais l’essentiel n’est pas de connaître l’étendue de nos maux, c’est de trouver le remède qui doit les guérir, et le médecin capable de l’appliquer.
Assez d’orateurs nous ont signalé les vices de notre administration ; je ne prétends pas répéter les vérités qu’ils vous ont dites avec tant de force, c’est de trouver le remède qui doit les guérir, et le médecin capable de l’appliquer.
Rappelons-nous, d’abord, qu’une révolution ne se fait pas sans ébranler les masses, sans exciter les partis, ni sans détruire beaucoup d’intérêts. Au milieu de cette conflagration générale, les peuples sont délirants, et on est longtemps avant d’arriver à une union mutuelle. Alors, les hommes qui doivent conduire le vaisseau de l’Etat sont débordés de tous côtés ; et c’est, je crois, la position de notre gouvernement, qui est dominé par les embarras intérieurs et la politique extérieure. Notre révolution, si pleine de vie à sa naissance, est tombée en défaillance depuis que nous nous sommes abandonnés à la diplomatie, et elle ne peut reprendre sa vigueur sans une crise ou des circonstances favorables.
On vous a dit : Les ministres n’ont pas de système ; ils n’ont pas fait de déclaration de principes, ce qui fait qu’il n’existe pas de majorité ou qu’elle est toujours flottante. Je pense, messieurs, que, si l’on interrogeait chacune de nous sur le système qu’il faut suivre pour sauver le pays, nous avouerions bonnement notre impuissance pour résoudre un pareil problème. Vous auriez beau recourir au catalogue de l’honorable M. Nothomb, il ne vous indiquerait rien, sinon que le sort de la Belgique sera décidé par les grandes puissances de la famille européenne, c’est-à-dire qu’on nous fera payer les pots cassés.
Le système administratif n’est pas beaucoup plus facile, car nous manquons presque totalement des lois organiques en harmonie avec notre constitution. Cependant je dois reconnaître, avec l’honorable M. H. de Brouckere, que le ministère manque de fermeté à l’égard de certains fonctionnaires qui conspirent adroitement contre le nouvel état de choses ; c’est trop longtemps les chiffrer : qui sert le pays pour le trahir doit être chassé ! Mais, répond le ministre, précisez vos accusations, citez des faits ? Je lui ferai observer que notre rôle n’est pas celui de dénonciateur, mais qu’il n’y a pas un seul membre de cette assemblée qui ne pourrait attester la vérité de cette remarque affligeante. Et, par exemple, si je voulais, je pourrais nommer tel inspecteur provincial qui engageait ses subordonnés à déserter le service de la Belgique ; tel receveur de l’enregistrement qui assister aux conciliabules des satellites du despote, qui forme des vœux impies contre notre révolution, et calomnie ceux qui la servent ; enfin je pourrais nommer tel receveur des contributions qui éprouve une vraie jouissance lorsqu’il lance une contrainte, pour avoir dire au contribuable : « Vous avez voulu de la liberté, eh bien ! vous en aurez ; mais payez-moi de suite, ou je vous envoie le garnisaire. »
Quoique de pareils faits révoltent et soient patents, j’applaudis néanmoins à la sage réserve du gouvernement qui se garde d’accueillir des rapports incertains, pour faire écarter des gens qui ont des talents : avant d’éloigner des emplois un citoyen, il faut éclaircir les accusations dont il est l’objet. Les fonctionnaires sont les serviteurs de l’Etat et non du ministre ; chacun, dans l’ordre de la hiérarchie, doit obéissance à son supérieur pour les affaires dépendantes de ses fonctions, en se conformant aux lois. C’est le principe que vous a si noblement exprimé hier le ministre de la justice.
Puisque je suis à parler des fonctionnaires, je dois m’élever aussi contre les réductions de traitements dont on veut les frapper. Tous ceux qui s’occupent d’affaires savent qu’on n’obtient des produits qu’en raison du salaire que l’on paie aux travailleurs. Belle économie que celle qui tendrait à diminuer la production, lorsque vous êtes obligés de produire ! Et cependant, c’est ce qui arriverait si vous réduisiez sans mesure les traitements des fonctionnaires, parce qu’alors le découragement se jetterait parmi eux ; les hommes d’un mérite distingué renonceraient à une profession sans avenir, et bientôt les ministres pulluleraient d’employés incapables qui rougiraient l’Etat sans le servir utilement. Une observation principale à faire, messieurs, c’est que le fonctionnaire mal rétribué est toujours un mauvais employé ; car, ne gagnant pas assez pour pourvoir à son existence ou à celle de sa famille, il n’a pas de zèle ; ses soins sont partagés, et c’est la cause première de la corruption administrative. Du reste, je sais qu’une nuée d’hommes incapables et sans titre ont envahi les administrations, et je concourrai de tout mon pouvoir à éloigner ces parasites.
Nous éprouvons le besoin des économies et nous proclamons partout cette nécessité. Mais nous ne devons pas cacher à la nation que nous ne pouvons y arriver que par la paix, qui nous permettra de diriger nos vues vers toutes les améliorations possibles et d’établir un système financier. D’ici là, il faut se résigner aux sacrifices et se préparer à la guerre.
Le ministre de l’intérieur m’a paru satisfait de notre position commerciale et industrielle. Je me permettrai de lui dire qu’il s’abuse ou qu’il est abusé. Sans doute, notre détresse n’est pas telle que nos ennemis se plaisent à le répandre ; mais il ne faut pas se dissimuler que beaucoup de branches de la prospérité publique sont dans un grand état de souffrance. Depuis 18 mois, nos débouchés à l’extérieur de même que la consommation intérieure sont paralysés ; privés de moyens d’écoulement, la production et conséquemment le travail sont suspendus. Il est plus que temps, messieurs, que le gouvernement s’occupe de remédier à cet état de choses, afin que des milliers d’ouvriers vivent de leur travail et non de la charité publique. Il servira en même temps ses intérêts ; car la classe industrielle est celle sur laquelle il faut s’appuyer, parce qu’elle possède la force réelle par les richesses dont elle dispose.
Depuis la présentation des 24 articles, on berce le public de l’espoir d’un chemin de fer qui nous conduirait d’Anvers à Cologne. Je crois, messieurs, que lorsqu’on sera en présence des obstacles qu’il faudra surmonter, on sera forcé d’abandonner ce projet. La Prusse, vous dit-on, a les mêmes intérêts que nous à avoir ce chemin ; oui, mais vous serez toujours à sa discrétion, et, avant que le gouvernement ne commence les travaux, je l’engage beaucoup à déterminer celui de la Prusse à lever les droits de transit dont elle frappe nos marchandises. Nos communications avec l’Allemagne sont tracées par les routes fluviales de la Hollande, et vous ne pouvez y renoncer sans porter un coup de mort à notre commerce maritime.
Nouveau système d’impôts, économie dans toutes les branches de l’administration, tel doit être le but de nos efforts. Je le répète, pour y parvenir il nous faut la paix ; alors nous pourrons jeter un œil scrutateur sur le département de la guerre, qui est le grand dissipateur de la fortune publique, et qui détruit toujours sans rien produire. Mon vote pour le budget sera affirmatif, parce que, dans les circonstances actuelles, refuser des subsides au gouvernement serait exposer le pays à une perturbation que nous devons éviter.
M. Osy. - Messieurs, je me réserve de prendre la parole lors de la discussion des budgets, pour ce qui regarde la partie financière.
Je crois que par la suite, lorsque nous pourrons mettre notre armée sur pied de paix, que nous aurons encore un budget de 40 millions, nous serons donc obligés de trouver de nouvelles impositions ; cependant, comme le pays ne pourra plus produire aussi facilement qu’avant la révolution, parce que, si nous ne voulons pas nous faire illusion, nous devons prévoir que notre indépendance nous ravira une grande partie de notre prospérité, et que le commerce et l’industrie auront beaucoup de peine à se relever, à cause de nos limites resserrées, et étant entourés de trois pays qui ont des systèmes opposés, ce qui fera que nous serons toujours dépendants, tandis que nous avions pour nos produits de grands débouchés dans un royaume de 6,000,000 et dans des colonies d’une très grande étendue.
Je crois maintenant que notre industrie manufacturière n’aura plus la grande protection qu’elle avait : on devra faire des efforts d’améliorations ; mais, si même nous faisons de grands progrès, et que finalement le gouvernement accordera quelques protections, nous serons obligés de faire une grande partie de nos expéditions sous pavillon étranger, et c’est si bien senti, qu’un de nos plus grands armateurs a déjà quitté le pays avec sa belle flotte marchande ; et, si le gouvernement ne se presse de porter remède au mal, il est à craindre que tous nos beaux navires ne soient avant peu sous un pavillon voisin : toutes les importations se feront sous pavillon étranger, et je n’ai pas besoin de vous dire quel mal cela nous fera, tant pour nos ports de mer que pour toutes nos industries. J’ai vu que le gouvernement a nommé une commission pour le commerce et l’industrie ; j’espère que M. le ministre de l'intérieur s’efforcera de l’engager de mettre de l’activité pour trouver moyen de ranimer ces branches si intéressantes de prospérité, et dont on ne peut plus se passer dans ce siècle, nonobstant tout ce que l’on vous a dit.
J’espère aussi que le gouvernement fait et fera tous ses efforts auprès d’un gouvernement voisin pour donner quelque activité à nos exportations de toiles, fer et houilles, comme il nous l’a promis, ce qui est dans son intérêt pour nous voir forts et heureux ; mais il est à craindre qu’il n’y ait beaucoup d’opposition si on n’y met beaucoup d’activité et de persévérance.
M. le ministre de l'intérieur vous a parlé hier du chemin de fer d’Anvers à Cologne, et nous a dit qu’il se présentait déjà des adjudicataires ; pour moi, je crois qu’il faudra bien du temps avant de pouvoir commencer à y travailler, et il ne suffit pas de faire des plans, il faut avant lever les difficultés qui vous empêcheront d’utiliser cette route. Je vois que le gouvernement travaille à rebours. On avait espéré que le gouvernement prussien aurait baissé son droit de transit de moitié, mais nous savons positivement qu’il maintient l’ancien droit, qui se monte à 15 gros, ce qui fait juste autant que les frais de transport, y compris le droit de navigation du Rhin pour les expéditions d’Anvers à Cologne. Vous voyez, messieurs, qu’avant de faire la route pour pouvoir la fréquenter, il faut tâcher d’obtenir de nos voisins l’abolition du droit de transit, car sans cela vous ne trouverez pas d’adjudicataires, étant certains que cette route ne pourra pas lutter contre la navigation du Rhin.
Je crains donc que d’ici à longtemps nous ne jouissions de cette nouvelle communication avec l’Allemagne, et il est heureux que la conférence nous ait assuré la navigation du Rhin, quoique nous sachions que la Hollande s’oppose à nous faire passer par les eaux intérieures pour aller à Cologne. Il faut espérer qu’avec la protection de la France et de l’Angleterre, on finira pas vaincre le refus de la Hollande, et nous n’y parviendrons jamais, si notre gouvernement ne prend pas une attitude ferme, s’il ne se refuse à toute nouvelle concession, après avoir fait déjà de si grands sacrifices à la paix. C’est dans ce sens que je comprends la déclaration de M. le ministre des affaires étrangères dont je prends acte ; je crois qu’il aurait bien tort de croire que nous et la nation permettions encore de faire le moindre changement aux 24 articles.
M. le ministre ne m’a pas répondu dans le temps sur la demande que j’avais faite pour mettre à la charge de la Hollande notre état de guerre : ma demande a trouvé de l’écho dans la chambre, et elle vous a été reproduite par la section centrale ; la réponse que m’a faite dans le temps un de nos collègues attaché aux affaires étrangères m’avait donné des inquiétudes, mais j’espère que M. le ministre nous écoutera davantage que son secrétaire. Je conçois qu’avant la fin des négociations, il ne puisse pas tout nous dire : ma confiance dans M. le ministre des affaires étrangères est telle, que je n’en dirai pas davantage ; j’espère qu’il agira avec énergie dans le sens de notre désir et de nos besoins.
Je ne reviendrai plus sur le marché onéreux qui pèsera sur le pays jusqu’à la fin de l’année ; je respecte la décision de la majorité, mais je prierai M. le ministre de la guerre de faire tous ses efforts pour soulager, autant qu’il dépendra de lui, les habitants qui sont obligés de loger et de nourrir notre armée, et je crois que des camps, pendant l’été, seraient très convenables à cet effet, et pour aguerrir en même temps notre armée et se tenir prêt à tout évènement.
Je ne puis finir sans m’élever de toutes mes forces contre le système tyrannique du commandant en chef des Flandres que le gouvernement paraît apprécier, et contre lequel nous nous sommes déjà élevés si souvent, sans pouvoir faire redresser aucun des abus. Nous savons maintenant que toutes les craintes de conspirations et transport de poudre, dont on nous a entretenus, ne sont que de pures inventions pour nous effrayer, et trouver moyen pour légitimer et pallier tous les actes arbitraires et inconstitutionnels.
Si les Flandres étaient dans une situation telle que nous l’a dépeinte M. le ministre de la guerre à la fin de janvier, je ne crois pas qu’il aurait pu permettre au commandant en chef de se rendre presque toutes les semaines à Bruxelles, et profiter des plaisirs de la capitale ; cela me confirme tout ce qu’on m’a dit de soi-disant conspirations, et que le peuple belge se résigne avec patience dans la situation malheureuse du pays, et soyez sûrs que vous tiendrez le pays tranquille beaucoup plus facilement, en faisant respecter les lois et la constitution, qu’en les foulant tous les jours aux pieds. Mais, si vous continuez d’agir comme vous le faites depuis 6 mois, vous aurez attiré sur le gouvernement autant et plus de griefs que l’ancien gouvernement pendant 15 ans ; et cependant il est beaucoup plus facile de gouverner la Belgique que deux nations dont la religion et les intérêts étaient si différents.
J’attendrai donc les explications que nous promet M. le ministre de la justice sur les divers arrêtés anticonstitutionnels du commandant des Flandres, qui nous ravit la liberté de la presse, la liberté individuelle et la garantie d’être jugés par nos juges naturels. Je demande aussi formellement des explications sur l’expulsion du territoire des deux Flandres d’un citoyen, devenu Belge (le sieur Dixon).
Je ne connais pas son crime ; mais, s’il est coupable, renvoyez-le devant les tribunaux, mais ne permettez pas qu’il soit traité comme ne le ferait pas le plus grand despote. Ici il ne suffit pas de venir avec les arrêtés et loi de l’état de siège, ou montrez-nous l’arrêté royal qui déclare les deux provinces des Flandres en état de siège, ce qui d’après mon opinion ne vous permettrait pas encore de suspendre la constitution, car les anciens arrêtés doivent être mis en harmonie avec notre loi fondamentale, et tout ce qu’elle vous garantira doit être respecté, et il faut effacer des anciens arrêtés, qu’on a déterrés, ce qui est contraire aux libertés garanties.
Si, à cette occasion du budget, le ministère ne nous donne pas les assurances les plus formelles de rentrer finalement, franchement, sans détours ni interprétations dans la voie constitutionnelle, c’est fini de vos libertés, et vous n’aurez pas la peine de voter le budget de 1833 ; car on sera las de se plaindre sans pouvoir faire redresser le moindre grief.
On nous a parlé des sommes que la banque doit annuellement au trésor ; je ne reviendrai pas sur la loi qui a donné à la banque des domaines pour une somme de 20 millions, mais on a oublié de vous dire que la banque doit rembourser en 1840 ce capital en écus ou en fonds publics nationaux, donnant 5 p. c. d’intérêt ; cette somme n’aurait donc pas été perdue pour le pays ; mais, depuis l’adoption des 24 articles, c’est avec la Hollande que la banque aura à faire sa liquidation ; ainsi elle ne peut payer à notre trésor la redevance annuelle, d’autant plus qu’une grande partie de ces propriétés sont en Hollande, et n’en reçoit pas les revenus. Nous devons donc attendre la liquidation qui se fera à Utrecht, avant de pouvoir rien demander.
Je profite de cette occasion pour dire quelques mots sur le service que la banque n’a cessé de rendre au crédit du pays, et sans elle vous n’auriez pas trouvé de crédit à l’étranger ; cependant, sans l’emprunt de 24 millions, notre trésor serait à sec, et on aurait dû recourir à de nouveaux emprunts forcés, ce qui n’aurait pu se faire sans de graves inconvénients. Les achats continuels de la banque et l’autorisation de payer à des cours beaucoup plus élevés que celui de la bourse, les domaines vendus avec des bons des emprunts forcés, ont fortement contribué à améliorer notre crédit, à éviter de plus fortes pertes aux contribuables, et à soulager ainsi le mal inévitable des emprunts de 12 et 10 millions.
M. le président. - La parole est à M. Ch. Rogier. M. Robaulx était là tout à l’heure pour entendre M. Ch. Rogier ; mais, ne le voyant pas dans la salle, et se trouvant dans la nécessité de s’absenter aujourd’hui, il s’est retiré.
M. Rogier. - Sa présence n’est pas indispensable, M. le président ; je ne l’avais demandé que parce qu’il y a un passage dans mon discours qui le concerne.
Messieurs, un orateur dont j’ai regretté l’absence à la séance d’hier est venu déclarer pourquoi il refusait son vote approbatif au budget général des dépenses ; je viens dire pourquoi ce budget aura le mien. J’aurai à relever, à cette occasion, quelques opinions quelque peu étranges émises en cette enceinte, et restées encore sans réfutation.
Le gouvernement aura mon vote approbatif pour ses budgets, parce que les hommes qui le composent ont, dans une mesure suffisante, la confiance du pays ; parce que le devoir de tout bon citoyen me paraît être, en ces jours difficiles encore d’organisation intérieure et d’incertitudes extérieures, d’offrir à ceux qui gouvernent appui, encouragement, concours unanime ; parce que je ne verrais ni courage bien grand, ni politique bien sage, ni vrai patriotisme, à se conduire vis-à-vis d’un ministère, dont l’opiniâtreté n’est certes pas le défaut, avant autant de sévérité ou de défiance qu’on le ferait contre un gouvernement vieilli dans le despotisme, inaccessible à toutes les vues d’amélioration, en révolte ouverte et permanente contre le pays.
J’entends déjà résonner à mes oreilles l’épithète de ministériel.
Messieurs, je le déclare, si par cette qualification on prétend désigner les députés qui, sans se refuser le droit de conseiller, d’avertir, de contrôler le ministère, sentent toutefois en ce moment et par-dessus tout le besoin de le rendre fort à l’intérieur, de le montrer respecté à l’étranger ; si, parce qu’on aura continué de marcher sous la bannière de ceux avec lesquels on a dès longtemps combattu, et qu’on répugne à voir dans ses amis politiques de la veille de dangereux ennemis le lendemain ; si, à ces divers signes, se reconnaît le ministérialisme, je le déclare sans détour : tombe sur moi l’anathème ! je suis ministériel.
N’est-il pas bien temps d’ailleurs de se dépouiller, comme d’un costume passé de mode, de ce ridicule préjugé qui rattache toujours je ne sais quelle sainte horreur à tout ce qui est gouvernement ? Comme si le cercle dans lequel se meut le gouvernement ne pouvait être franchi, je dis par les meilleurs et les plus purs des hommes, qu’ils ne soient à l’instant suspectés de contagion, et bientôt après désignés au doigt comme des pestiférés qu’il faut fuir !
C’est ainsi qu’il se rencontre par le monde une certaine espèce d’hommes qui ne peuvent parler de gouvernement sans frémir de colère, qui n’ont pour cette espèce de fantôme monstrueux que haine ou répugnance, et qui se croiraient déshonorés s’ils apprenaient qu’on a pu les croire capables de soutenir, de défendre le gouvernement. Ces hommes-là ne prennent pas la peine de voir ce que c’est, au fond, que le gouvernement sous un régime constitutionnel. Le gouvernement d’un pays constitutionnel ne se résume pas dans la personne de trois ou quatre ministres ; il faut, en regardant plus au large, y voir la réunion, la pensée, l’action de tous les mandataires auxquels le pays, à divers titres, a délégué la direction de ses affaires générales.
C’est ainsi que les députés qui font les lois, les juges qui les appliquent font, à vrai dire, aussi bien partie du gouvernement du pays que les ministres qui les exécutent.
Si donc j’avais à chercher le gouvernement et ses agents, je ne m’arrêterais pas au ministère ; je le chercherais aussi dans les chambres, et alors tout ce que l’opposition compte de plus intraitable aurait beau crier et protester, je pourrais, sans forcer les conséquences du principe, lui répondre : Prenez garde, car vous aussi vous êtes du gouvernement, et je vous déclare atteints et convaincus de gouverner le pays. Le temps n’est pas loin, je l’espère, où prendre part aux affaires d’un pays en qualité de ministre n’entraînera pas plus de préventions fâcheuses que d’y participer en qualité de législateur ; mais jusque-là il faut bien que les ministres supportent les conséquences des préjugés qui se rattachent encore à leur position. Car eussiez-vous figuré parmi les premières capacités, eussiez-vous été mis au nombre des plus impartiaux ou des plus forts, à peine aurez-vous touché de quelques heures le portefeuille fatal, vous devenez, par une métamorphose nécessaire, hommes à petites vues, égoïstes, incapables, despotes.
En conséquence, vous êtes indignes de ma confiance ; je vous refuse tout subside : le pays marchera comme il pourra, qu’importe ? pourvu que je vous aie dit votre fait. C’est ce qu’a très bien fait sentir l’honorable orateur qui a le premier pris la parole dans cette discussion.
Du reste, messieurs, il ne faut pas croire que tout ce qui fait de l’opposition invariable contre le gouvernement belge enveloppe dans une même antipathie tout ce qui gouverne.
Etre homme de l’opposition en tout et contre tous les gouvernements de son pays n’empêche pas de conserver, pour certaines têtes couronnées, de ces égards dont nos ennemis ne manqueront sans doute d’apprécier toute la délicatesse. Qui de vous, messieurs, n’a pas été édifié du compliment tout à fait galant adressée par la même bouche qui n’a pas eu de paroles assez énergiques pour flétrir le gouvernement belge ; adressé, dis-je, par cette même bouche au roi Guillaume, « respecté et considéré à juste titre » ?
Car voilà, messieurs, jusqu’où conduit l’entraînement d’un certain genre d’opposition : mépris pour le gouvernement belge ; contre lui les attaques, les injures, la défiance : respect et considération pour le roi de Hollande ; à lui les hommages, à lui les flatteries républicaines.
Si c’est là, messieurs, du patriotisme ; si, pour avoir la satisfaction de se dire : « Je suis, moi, de l’opposition, » il faut descendre jusque-là, je le répète de nouveau, plus que jamais je suis et me déclare ministériel.
Et voilà que mon rôle commence :
Au nombre des griefs reprochés au ministre de l’intérieur, et sur lesquels il n’a pas répondu, je vois figurer sa tendance à favoriser l’esprit de caste qui veut tout envahir et confisquer la liberté à son profit.
Ce grief, messieurs, n’est pas nouveau dans notre histoire, et il est à remarquer qu’il est devenu dans les rangs de nos ennemis, bâtis sur d’autres points, le principal pivot de leurs récriminations. Pour moi, messieurs, qui tiens surtout au catholicisme par les doctrines politiques qui s’y rattachent si heureusement dans notre pays, je cherche en vain jusqu’à présent les suites funestes de ces envahissements dont on nous fait si grand-peur.
La révolution s’est, dit-on, faite par et pour les catholiques. Je ne nie pas l’influence du catholicisme dans notre révolution ; mais combien étaient guidés par des sentiments purement catholiques, parmi les volontaires accourus à Bruxelles ? Combien de jésuites dans les légions parisiennes, qui venaient de frapper d’un coup mortel le jésuitisme au sein de la capitale des Français ? Combien de catholiques (j’entends ce mot dans son expression la plus étroite) figuraient au gouvernement provisoire ? Un seul. Combien dans les divers ministères qui se succédèrent ? Pas un seul. Singulière influence du catholicisme, étranges envahissements du clergé, qui, ayant à choisir entre un régent libéral et un régent catholique, donna la préférence au régent libéral ; qui plus tard se choisi un roi protestant ; qui, dans le congrès, où il est certain que les catholiques étaient en majorité, abolit les dimanches et les jours de fêtes, et ne voulut ni cette religion d’Etat, ni cette religion de la majorité, dont la France de juillet fit encore un axiome politique de sa charte régénérée !
L’influence du clergé envahit tout ? Mais, si du trône nous descendons à tous les pouvoirs publics, je demanderai dans quel cercle de fonctions se manifestent ces envahissements. Je vois le ministère partagé par les deux opinions. Mais où règne l’influence catholique après cela ? Est-ce dans les administrateurs généraux ? Voyez les noms qui figurent aux finances, aux prisons, à l’instruction publique, à la sûreté publique. Est-ce dans les gouvernements de provinces ? Voyez Liége, le Luxembourg, Anvers, la Flandre occidentale, et d’autres encore.
Est-ce dans les commissariats de districts ? Faites, je vous prie, le même calcul, et voyez, sans sortir de la chambre. Est-ce dans les parquets que domine le parti prêtre ? Est-ce dans les cours ? Qu’à plus forte raison, peut-être, il pourrait adresser le reproche contraire au parti libéral ! Serait-ce par hasard dans l’armée ? Et combien comptons-nous de chefs portant de la même main le cierge et l’épée ? Quoi ! nous croupissons honteusement abrutis sous la férule du clergé, et tout ce qui paraît d’écrits libéraux en France est lu et réimprimé avec avidité en Belgique ! Le jésuitisme envahit tout ; et, des 8 ou 10 journaux qui partent de notre capitale, pas un seul ne représente pas même l’opinion catholique unioniste, et n’a mission de la défendre !
Quant à moi, qui ai encore quelque foi dans l’avenir et dans les progrès de l’esprit humain, je ne suis pas atteint de ces craintes contre les influences malignes de la religion et du clergé. Il y a déjà plusieurs années que je professe cette opinion, et je ne vois pas qu’aucun fait soit venu me démontrer qu’elle était une erreur. A la vérité, j’entends bien des assertions, des hypothèses ; mais des preuves, ou elles n’existent pas, ou on ne se donne pas la peine de les montrer ; de telle manière que les plaintes sur la résurrection des jésuites et les envahissements successifs d’un clergé ignorant et suppôt de la tyrannie, je les mettrai provisoirement, et jusqu’à plus ample informé, sur la même ligne que les oraisons funèbres de notre industrie toujours à l’agonie, au milieu des spectacles et des fêtes ; sur la même ligne que les imprécations vertueuses contre les dilapidateurs des deniers publics gorgés des sueurs du peuple, ou bien encore les doléances sur le dépérissement général de l’instruction publique, sur l’anéantissement entier et à tout jamais de notre commerce : toutes assertions de même espèce, faisant fort bien dans les colonnes des journaux orangistes, donnant de nous une détestable opinion à l’étranger, mais produisant, je l’avoue, peu d’impression sur les esprits impartiaux et sérieux, qui veulent, pour être persuadés, autre chose que des assertions vagues et ronflantes.
On me dira peut-être incrédule ; on trouvera que je charge d’ornements le tableau que d’autres se plaisent à charger de couleurs sombres. Messieurs, le premier reproche fût-il vrai, en ami sincère de mon pays, je l’accepterais de préférence à l’autre. Je ne sais pas m’ingénier à retourner la Belgique dans tous les sens pour en trouver et faire ressortir les défauts. Il me semble qu’une sorte de piété filiale nous ordonnerait plus de jeter un voile sur les faiblesses et les malheurs de la patrie : il n’y a vraiment ni générosité ni sentiment national à chercher ainsi sans cesse à découvrir les plaies du pays, et à les mettre, sans prudence comme sans pitié, aux yeux de nos ennemis, comme pour leur montrer la place où ils devront porter leurs coups ; aux yeux des étrangers, comme pour achever de détruire en eux ce qu’ils peuvent, après nos derniers malheurs, avoir conservé de sympathie pour nous.
Un membre de l’opposition a fortement insisté pour une prompte épuration dans la magistrature du parquet. C’est fort bien. Il est bon que de pareilles fonctions soient confiées à des hommes zélés et dévoués : sous ce rapport, le ministère ferait peut-être prudemment de ne pas suivre en tout les errements de ses prédécesseurs. Il est, par exemple, tel membre très notable de l’opposition qui, dès le mois d’octobre, vint à Bruxelles offrir ses services pour la réorganisation du parquet de Liége, et, n’ayant pas réussi, continua de les offrir avec une très louable persévérance sous ce ministère tant flétri du régent. C’est chose regrettable qu’on n’ait point accepté des services offerts de si bon cœur ; car il est très probable que le gouvernement eût trouvé, dans l’honorable membre de l’opposition auquel je fais allusion, un de ces serviteurs zélés et dévoués dont il signale l’absence.
Je dois maintenant relever des erreurs échappées à l’improvisation d’un honorable collègue, dont je suis aussi loin d’ailleurs de contester la bonne foi que le talent oratoire.
L’honorable M. Jaminé, en jetant le blâme sur la politique extérieure du ministère, a répété ce qui mille fois a été dit : savoir que « le gouvernement provisoire a commis une faute capitale en signant l’armistice. » Il a même donné à entendre qu’à cette époque la voix de la minorité ne fut pas écoutée.
Messieurs, quand on veut parler des premiers pas des gouvernement révolutionnaires dans les « sentiers tortueux » de la diplomatie, ce n’est pas à l’armistice signé le 15 décembre qu’il faut s’arrêter, mais bien à la suspension d’armes accepte plus d’un mois auparavant, dès le 10 novembre, par tous les membres du gouvernement provisoire, avec « remerciements aux puissances, » et signé le 21 du même mois, encore par tous les membres, à l’exception cette fois de l’honorable M. de Potter, qui avait quitté le gouvernement non pour une question de politique extérieure, comme l’on sait.
Si donc on a des malédictions pour l’initiation de la révolution belge aux actes de la conférence ; si cette révolution s’est perdue, s’est flétrie, s’est suicidée en cherchant, dès le second mois de sa naissance, à se faire reconnaitre par le droit européen, alors qu’elle n’avait pas à elle un bataillon organisé pour résister à l’invasion étrangère ; que ces malédictions, du moins, ne fassent pas anachronisme : au lieu de s’arrêter à l’acte du 15 décembre, qu’elles remontent à celui des 10 et 21 novembre ; car, s’il y eut faute capitale, ce fut ce jour-là qu’elle fut consommée. Mais est-il vrai que ce fut une faute ? L’histoire impartiale, qui n’a pas encore commencé pour le gouvernement provisoire, le pourra dire ; mais, s’il fallait justifier ici l’opinion du gouvernement par celle du pays, on rappellerait quelles sensations de surprise et quelles marques unanimes de satisfaction éclatèrent dans le congrès, quand le gouvernement vint, par l’organe de M. de Potter, annoncer qu’il venait de recevoir des cinq puissances des communications officielles, d’où l’on pouvait présager la fin prochaine des hostilités. Si donc il y eut faute, le gouvernement provisoire n’est pas le seul coupable : il faudra citer comme complices depuis le premier jusqu’au dernier membre du congrès, car l’assentiment fut unanime, et jamais gouvernement ne fut plus fortement soutenu, plus impérieusement poussé dans un système dont, plus tard, on a trouvé commode de lui laisser toute la responsabilité.
Une autre assertion de M. Jaminé m’a causé une surprise pénible, quand il est venu nous montrer le commerce et l’industrie gémissant sous un système de fiscalité plus pesant que du temps de l’administration hollandaise.
A la vérité, cette assertion, que nos adversaires les plus acharnés n’avaient pas encore été, je crois, jusqu’à posé mettre en avant, n’est appuyée d’aucun fait à l’appui : si elle était vraie, je n’hésite pas à le dire, un ministère qui présiderait à un tel système ne mériterait que les malédictions du pays ; et pour celui-là je concevrais les refus de subsides.
Quoi ! notre système de fiscalité est plus pesant que sous l’administration du roi « si justement estimé et considéré » !
Et la mouture, et l’abattage, et la loterie ont successivement disparu de nos lois.
Quoi ! notre commerce et notre industrie gémissent sous plus d’entraves et de vexations !
Demandez aux entrepreneurs de messageries, aux entrepreneurs de journaux, aux propriétaires de bâtiments, aux cultivateurs de la vigne indigène, aux patentables : tous ceux-là ont vu successivement diminuer de près de moitié, ou même abolir les droits dont leur industrie était frappée. Quoi ! notre fiscalité est plus pensante que sous l’administration du roi Guillaume ! Et les procès ruineux contre les fabriques d’église ont cessé ; et on vient se plaindre ici presque chaque jour de l’impunité des fraudeurs, et l’on trouve ici même, presque chaque jour, que le gouvernement a tort de ne pas entrer dans un système de fiscalité plus sévère vis-à-vis de l’industrie étrangère.
Pour moi, messieurs, je dois le dire, si quelque reproche pouvait être adressé à l’administration financière, de ce chef, ce serait peut-être de tolérer trop de mollesse dans quelques agents qui, précisément pour éviter le reproche de fiscalité, et dans la crainte exagérée de se voir dénoncés comme d’anciens serviteurs, trop zélés, de l’ancien fisc, aiment mieux fermer les yeux sur les abus que de s’exposer, en les réprimant ou les faisant réprimer, à d’anciennes récriminations, à des rancunes encore mal éteintes.
Si je n’ai pas trouvé dans les actes ou le système du gouvernement, des motifs suffisants pour en venir contre lui à cette extrémité assez périlleuse d’un refus de subsides, je dois dire que je ne trouve pas non plus les motifs de ce refus, soit dans le montant des budgets, soit dans l’esprit et la distribution des dépenses.
A la vérité, le rapport général de la section centrale a jeté, dès son début, un jour un peu sombre sur notre situation financière ; mais, en y regardant d’un peu plus près, on s’aperçoit bientôt que cet abîme entre-ouvert sous nos pas n’est pas aussi effrayant qu’auraient pu le craindre les amis du pays. Il importe que la Belgique le sache, et que l’étranger l’apprenne. Il faut que, sur ce point comme sur le texte de vingt autres lamentations hostiles et inconséquentes, les hommes impartiaux soient désabusés, et apprécient jusqu’à quel point le peuple belge, la Belgique de la révolution, gémit ou gémira accablée sous le poids de ses impôts.
En portant le budget à son maximum le plus élevé, la moyenne ne serait pour chacun des habitants que de fl. 10-80, cotisation d’un tiers moins élevé que celle qui était payée sous le régime hollandais, sous le régime de ce monarque estimé et considéré à juste titre.
A la vérité, la section centrale, par l’organe de son laborieux rapporteur, ajoute qu’il faut absolument que la moyenne de l’impôt ne dépasse point 9 florins ; qu’à ce prix, seulement, le gouvernement sera populaire, et nous goûterons en paix les fruits de la révolution. Messieurs, je désire, autant que qui que ce soit, que le chiffre fatal au-delà duquel commencerait le malheur de la Belgique ne dépasse pas 9 florins ; mais je dois vous avouer qu’un florin, fût-ce même un florin 80 cents de plus par tête, n’entraînerait peut-être pas la Belgique à de si grands désastre. Du reste, j’ai vu avec plaisir qu’il pourrait arriver que le taux fatal ne serait pas atteint, puisque la section centrale nous promet, avant qu’il soit peu, des économies notables.
Toutefois, quand je parle d’économies, ce n’est pas pour me joindre au système désorganisateur qui consiste à vouloir réduire au plus strict nécessaire, ou même au-dessous, le traitement de certains fonctionnaires.
J’ai entendu avec quelque surprise, dans le rapport de la section centrale, parler, à cet égard, du luxe du gouvernement provisoire. Comme ce qui a été fait par le gouvernement a été suivi par ceux qui nous ont succédé, je dois rappeler que c’est du gouvernement provisoire que date la réduction de beaucoup de traitements ; et j’aurais plutôt compris la section centrale, si elle avait parlé de son luxe dans les réductions.
En effet, messieurs, le gouvernement provisoire réduisit successivement les traitements des gouverneurs, des commissaires de district, des états-députés, des greffiers, des receveurs et ceux d’un grand nombre d’employés, par la suppression des leges.
Or, il faut savoir que ce droit de leges équivalait pour beaucoup d’entre eux au quart de leurs appointements, et que cette suppression n’a pas contribué à populariser beaucoup la révolution dans cette classe laborieuse et modeste, dont les travaux, pour être ignorés, n’en sont pas moins utiles.
Je défendrai donc ces traitements contre de nouvelles réductions.
Et quand on viendra parler des intérêts et des sueurs du peuple, je dirai, moi, que c’est parce que je tiens à protéger ces intérêts que je veux rendre la carrière administrative accessible à tous, et même assez lucrative pour que la classe moyenne y puisse parvenir, sans aller porter toutes ses capacités au barreau, dans le commerce, dans l’exercice des professions libérales.
C’est parce que je suis du peuple, et que j’ai à cœur ses intérêts, que je ne veux pas que les emplois administratifs deviennent le monopole de l’aristocratie et de la richesse.
Enfin, ce qu’il faut au peuple, c’est une bonne et loyale administration, avant une administration à bon marché, qui ressemblera toujours, quoi qu’on fasse, à tous ces achats à bon marché qui finissent par ruiner ceux qui s’y laissent prendre.
Ces idées que je présente ici, en passant, sont susceptibles de développement : je me réserve d’y revenir, s’il y a lieu, dans la discussion particulière de chaque budget.
Je ne finirai pas sans appuyer le vœu émis, hier, par l’honorable M. Angillis, de voir bientôt présenter à la sanction des chambres le compte de l’exercice 1830.
Il importe en effet à l’honneur de la révolution belge qu’il soit enfin connu de tous à quel prix elle a été faite, en quelles mains elle est tombée ; il importe que la vérité luise enfin sur ces fameux dilapidateurs des deniers publics, dont les uns sont aujourd’hui de notoriété publique plus pauvres qu’en entrant à l’administration, dont les autres seraient tombés du gouvernement dans le besoin, si le congrès n’était venu à leur aide. Ce n’est pas ici, messieurs, une question de personnes : c’est une question d’honneur national. Il a été tant de fois répété que de nombreuses dilapidations ont été faites, que la Belgique se trouve placée, chez certains peuples d’Europe, sous la prévention honteuse d’avoir vécu et de vivre encore sous le régime du dol et du brigandage. Je dis qu’il importe à son honneur que de pareilles accusations s’éclaircissent au grand jour de la publicité ; je dis que j’appelle de tous mes vœux le moment où les dilapidateurs seront démasqués ; mais ce jour-là, aussi, sera celui de la justice pour ces calomniateurs infâmes, qui ont sans doute leurs raisons pour ne pas croire à la probité ; ceux-là auront à accuser sous peine d’être traînés à la barre ; ils auront à flétrir sous peine d’être flétris.
M. le président. - Le tour d’inscription de M. l’abbé de Foere est maintenant arrivé. S’il voulait monter à la tribune, qui est le point central de la chambre, on entendrait mieux son discours.
M. l’abbé de Foere. - Le règlement ne le prescrit pas, je pense. (On rit.)
M. le président. - Je disais cela à M. de Foere pour qu’il fût bien compris par toute l’assemblée ; car autrement ce sera un bon discours qu’on n’entendra pas.
M. l’abbé de Foere. - Je n’ai pas eu l’honneur de comprendre ce qu’a dit M. le président. (Hilarité générale.)
M. le président. - Mon observation était faite dans l’intérêt de M. l’abbé de Foere, et je ne l’invitais à monter à la tribune que pour que ses paroles pussent être saisies par tout le monde.
M. l’abbé de Foere. - J’aurai l’honneur de répondre à M. le président que cela est facultatif. (Nouvelle hilarité.)
- Après cet incident, l’honorable membres s’exprime ainsi. - Messieurs, les débats de la chambre, sur le budget général de l’Etat, présentent des phénomènes bien singuliers. Les uns ne voteront pas les dépenses, parce que le gouvernement et la majorité du congrès et de la chambre n’ont pas suivi leur opinion, surtout à l’égard de nos affaires étrangères. Quelles sont les conséquences de cette étrange doctrine ? Que les majorités ne font plus la règle des assemblées parlementaires, qu’elles ne sont plus l’expression des vœux de la nation, qu’un gouvernement représentatif devrait suivre une faible minorité, sous peine de se voir entravé dans sa marche ; en un mot, que la majorité ferait la loi, que toute décision parlementaire et toute administration, dans un Etat représentatif, deviendrait impossible. Quand une doctrine mène à l’absurde, elle est jugée. Je ne ferai pas à ces honorables membres l’injure de leur demander la définition d’un Etat représentatif ; ils ne l’ignorent pas, ils ont eux-mêmes souvent posé nettement le principe. Mais je leur demanderai pourquoi ils ne sont pas conséquents dans son application ? Je leur demanderai si la majorité ne fait pas la loi, et si, parce que le gouvernement a suivi cette majorité, comme il le devait, il faut le mettre dans l’impossibilité de marcher. Je leur demanderai si, en acceptant leur mandat et pour le congrès et pour la chambre, ils n’ont pas eu l’intention de se soumettre à la décision de la majorité, non pas sous le rapport de leurs opinions particulières, je ne leur conteste pas le droit de les conserver, mais sous le rapport de l’existence, de la vie de l’Etat même ; car le delenda Carthago semble être leur principe, si leur opinion particulière n’est pas suivie. Je ne leur ferai aucune question sur les singulières prétentions que recèle un semblable système de conduite parlementaire ; mais je crois avoir posé nettement d’autres questions, sur lesquelles j’attends leurs réponses.
Quant au système même de relations extérieures que les majorités du congrès et de la chambre ont suivi, concurremment avec nos ministres qui se sont succédé, j’en dirai mon opinion en peu de mots : Si ce système de paix et de modération n’avait point été adopté, non seulement la diplomatie, y compris celle de la France, nous aurait écrasés, mais, je ne crains pas de le dire hautement, les nations elles-mêmes nous auraient chargés de leurs anathèmes ; elles-mêmes, elles auraient provoqué contre nous l’oppression de la diplomatie. Messieurs, ne nous y trompons pas, si vous décomposez bien les nations modernes, vous aurez pour dernière expression, d’un côté, une immense majorité qui, pour ses intérêts matériels, se rattache à la paix, et, de l’autre, quelques propagandistes exaltés, auxquels se réunissent des gens sans feu et sans aveu, qui cherchent un avenir dans le désordre et dans les calamités publiques. Nous devons à la sagesse de nos majorités et à celles des ministères qui les ont suivies, de n’être plus les ilotes de la France et de la Hollande, de n’être plus leur étoffe taillable, et d’avoir conservé dans l’opinion des nations contemporaines notre antique réputation d’être attachés à une liberté sainement entendue, et à un ordre de choses qui soit compatible avec les intérêts et les vœux d’autres peuples.
D’autres membres de cette chambre veulent que le ministère adopte un système unique. Un honorable député s’est exprimé hier à cet égard d’une manière nette et précise. Il se plaint aussi que le ministère ne se fasse pas une majorité dans cette chambre. Il n’est pas difficile de saisir l’intention et le but de cet orateur ; mais il est difficile de les exprimer ou de leur donner une signification positive. Ce sont des propositions vagues et hiéroglyphiques, dont on nie à volonté le sens et les conséquences pour peu qu’on les pousse à leur véritable application. L’honorable membres lui-même nous en a donné hier une preuve incontestable. Il énonce une proposition générale, il va plus loin ; il désigne des qualités et des titres, il y comprend les gouverneurs et les procureurs-généraux ; l’application en est saisie avec précision ; il prend la parole ; il dénie ces applications ; il n’a désigné personne. Mais s’il n’a désigné personne, quel est le sens de sa proposition ? Où est-il ? J’aurais désiré que l’honorable membre eût déterminé le système unique que, selon lui, le ministère devrait se prescrire, son opinion présenterait un corps saisissable, la chambre saurait sur quoi elle délibère. Maintenant son opinion ressemble à une chimère qui s’échappe à nos sens. Il veut que le ministère se crée une majorité dans cette chambre ; l’honorable député ne s’explique pas plus sur les moyens de former cette majorité. Quand un ministère se respecte et qu’il tient à la probité politique et parlementaire, les moyens d’atteindre un but si important ne peuvent lui être indifférents. Cependant l’honorable député a exprimé une opinion positive : le ministère devrait se faire une majorité.
J’énoncerai aussi mon opinion sur cette question, si toutefois c’en est une. Je pense, moi, et j’en conserverai l’intime conviction jusqu’à ce que le contraire me soit démontré, non pas des opinions mais par des faits, je pense, dis-je, qu’il est impossible à un ministère quelconque de se créer une majorité sans entrer dans des voies de corruption parlementaire, sans froisser la liberté des discussions et des votes, sans dénaturer les véritables majorités, et sans détruire radicalement la base même sur laquelle tout Etat représentatif est fondé. Le seul principe qu’un ministère qui se respecte et qui tient par quelque fil à la prospérité publique puisse suivre, est celui-ci : Il doit consulter les majorités et les suivre d’une manière ferme et imperturbable. C’est là le principe de politique intérieure, que toutes les supériorités parlementaires du monde constitutionnel ont constamment tracé à tous les ministres ; toute autre marché parlementaire a été celle d’esprits étroits et bas pour lesquels l’intrigue et la corruption ont été les seuls moyens d’administration. Chose étrange ! messieurs, les raisons pour lesquelles d’autres membres voteront contre le budget, sont pour moi les mêmes pour lesquelles je voterai pour, sauf les opinions que je me réserve d’exprimer sur ses détails.
M. H. de Brouckere. - Je demande la parole pour un fait personnel. Je ne répondrai à l’honorable orateur qui vient de parler que par une simple observation, c’est qu’il ne m’a pas compris, et que les paroles qu’il a mises dans ma bouche pour appuyer un de ses arguments, ont été forgées par lui-même. En effet, il n’y a pas dans tout mon discours une phrase où il soit dit que le ministère devait se créer une majorité. J’ai dit que le ministère n’avait pas jusqu’à présent adopté de système, et que, quand il en aurait un, la majorité se formerait d’elle-même.
M. l’abbé de Foere. - Il est dit dans le discours que le ministère n’a pas encore de système arrêté, c’est un fait (assentiment de M. H. de Brouckere) ; et plus loin qu’il doit se créer une majorité…
M. H. de Brouckere. - Non, il n’y a point un mot de cela. D’ailleurs, mon discours est imprimé, vous pouvez le voir.
M. l’abbé de Foere. - Eh bien ! je dois déclarer que j’avais prévenu M. H. de Brouckere de mon intention de combattre la proposition qu’il avait émise ; je lui ai expliqué sur quoi je fondais mon raisonnement, et il n’a rien objecté… (Murmures.)
M. Lebeau. - Il ne faut pas que pour combattre un système on se livre à des personnalités. Je demande que la discussion continue.
M. Dumortier, rapporteur. - Messieurs, dans la discussion générale, sur le budget, c’est un usage consacré que le rapporteur, résumant les discussions, réponde aux objections qui sont faites au travail préparatif de la chambre. J’avais espéré que la discussion se serait assez prolongée pour que je pusse avoir connaissance du travail de M. le ministre des finances, car vous le savez, messieurs, on n’improvise pas sur des chiffres ; mais puisque la discussion sur l’ensemble du budget va être close, je ne puis laisser sans réponse quelques allégations que j’ai annotées pendant la rapide lecture du long mémoire de M. le ministre. Je regrette de ne pas pouvoir le suivre dans toutes ses erreurs, mais ce que j’en dirai suffira, je pense, pour montrer combien sont peu fondées ses critiques amères et déplacées.
Je répondrai d’abord à l’honorable général qui le premier a combattu, mais avec urbanité et suivant les formes parlementaires, les conclusions de la section centrale.
Mon honorable collègue établit d’abord, en principe, que les peuples sacrifient souvent leur bien-être matériel à leurs intérêts moraux. Ici nous devons remarquer que si les intérêts moraux ont suscité en Belgique le soulèvement de la classe intelligente, ce sont les seuls intérêts matériels, et les lourds impôts imposés au profit de la Hollande qui ont soulevé la classe ouvrière. C’est elle, c’est le peuple qui a fait la révolution, il est donc de notre devoir de lui en faire goûter les fruits en évitant de faire retomber uniquement sur elle le poids des dépenses qu’a occasionnées le salut du pays.
Abordant le mémoire de M. le ministre des finances, j’abandonnerai les inculpations personnelles dont je n’ai cessé d’être l’objet, pour entrer directement en matière.
M. le ministre nous a reproché d’avoir admis des allégations sans base et des données contraires à la vérité, et d’abord il nous reproche d’avoir fait figurer le supplément de la liste civile, attendu qu’il doit, dit-il, figurer sur l’exercice 1831. Cette observation vous paraîtra bien futile, messieurs, lorsque vous remarquerez que c’est avec le produit des ressources de 1832, qu’il doit être fait face à ce crédit, ce fait est incontestable.
M. le ministre me reproche ensuite de n’avoir pas tenu compte de l’excédent sur les recettes de 1831, qui s’élèvent à plus d’un million. Si je voulais user de personnalités comme M. le ministre, ou pour mieux dire comme ses faiseurs, je ne manquerai pas à révoquer leur bonne foi en doute, puisqu’à la page 6 de mon rapport général, il est écrit : « Je me hâte de vous dire que le ministre des finances a déclaré à la section centrale que les recettes de 1831 avaient dépassé de plus d’un million les prévisions que l’on s’était formées. » Et c’est en présence d’un texte aussi formel que l’on vient nous reprocher de n’avoir tenu aucun compte de l’excédent des recettes de 1831.
Ce que je dis ici s’applique aussi aux passeports. Si les faiseurs de M. le ministre s’étaient donné la peine de lire le rapport des affaires étrangères, ils auraient trouvé à la page 4 que le produit des passeports à l’étranger figure dans les droits du timbre. Mais votre section centrale a pensé que comme il s’agissait ici d’un remboursement d’un ministère à un autre, il était nécessaire qu’un article spécial fût porté au budget des voies et moyens et que l’absence de cette formalité était une irrégularité.
La même irrégularité existe relativement aux poudres achetées par la marine à la guerre et dont il n’est rendu aucun compte au budget des voies et moyens ; une pareille comptabilité prête trop à des abus, pour ne pas avoir dû être signalée par votre section centrale. Loin de moi, messieurs, l’idée d’élever le moindre blâme sur l’honorable citoyen à qui est confié le portefeuille de la guerre. Il n’y a que peu de jours encore, je lui ai trop bien prouvé toute mon estime et ma reconnaissance pour qu’il puisse croire qu’il y ait ici rien de personnel à son égard ; mais lui-même est trop bon financier pour méconnaître qu’il y a irrégularité de porter en dépense une propriété de l’Etat, employée pour le compte de l’Etat, sans aussi la renseigner au budget des recettes.
On nous a reproché d’avoir fait un double emploi des dépenses imprévues ; ce fait est d’une évidente fausseté, puisque nous ne les avons pas portées deux fois en compte, mais que nous nous sommes bornés à les extraire des divers budgets pour montrer leur élévation.
On a dit que nos comparaisons sur l’enregistrement entre la France et la Belgique ne prouvent rien, puisqu’en France l’enregistrement et les domaines sont séparés, tandis qu’ils sont réunis en Belgique.
Mais le ministre ne voit-il pas que cette réunion même devait nous procurer une réduction dans les dépenses et qu’ainsi elle prouve directement contre lui.
Voilà, messieurs, comment sont fondées les déclarations de données contraires à la vérité et d’allégations sans bases, que s’est permises M. le ministre des finances.
Il a poussé tellement loin de le désir de trouver mauvais tout le rapport de la section centrale, que dans l’explication qu’il a voulu donner des frais de l’administration de l’enregistrement, il a été jusqu’à baser ses calculs sur des données qu’il regarde lui-même comme douteuses. Qu’a fait au contraire votre section centrale ? Elle n’a fait que poser le chiffre du budget décennal, duquel il résulte que sous le gouvernement précédent, la dépense de l’administration centrale de l’enregistrement, non compris l’administrateur, ne coûtait que 37,450 fr., tandis qu’aujourd’hui l’administration centrale de l’enregistrement et des domaines, nous coûte 63,164 fl., et entre 14,000 fl. au chapitre 4, en sorte qu’elle nous coûte en tout 77,164 fl. pour la seule Belgique.
J’arrive à l’examen de notre système financier, exposé dans mon rapport général, et dont M. le ministre a fait longuement la critique. Ici, messieurs, il m’est impossible de suivre pas à pas, sur une lecture rapide, tous les calculs du ministre, et de vous démontrer successivement la fausseté de ses allégations. Si j’avais des calculs sous les yeux, rien ne me serait plus facile que de le faire, et je regrette vivement de ne pouvoir le suivre dans tous ses arguments. Mais il m’est au reste facile de donner à la chambre entière satisfaction à cet égard, et en peu de mots.
Les calculs que j’ai présentés dans mon rapport général ne sont pas établis sur des données vagues et incertaines, comme l’a dit le ministre, mais ils reposent entièrement sur les pièces imprimées et distribuées aux chambres, et je défie M. le ministre des finances de prouver que je m’en sois une seule fois écarté ; d’où vient donc la différence dans les résultats présentés par M. le ministre ? C’est que nous avons tous deux raisonnés dans des hypothèses différentes, moi sur les budgets et lui sur des calculs faits à sa manière. J’ai dit que mes calculs sont basés sur des documents irrécusables, sur les pièces imprimées pour les chambres, il fallait donc pour les détruire prouver de deux choses l’une, ou bien la fausseté des calculs, ou bien la fausseté des positions. Or qu’a fait M. le ministre des finances ? Il n’a prouvé la fausseté ni des uns ni des autres. Pour prouver la fausseté de mes résultats, il a raisonné constamment dans des hypothèses entièrement différents, il s’est mis toujours en dehors de la question.
Ainsi il a raisonné dans l’hypothèse que les impôts pourront produire 35 millions, tandis qu’il nous a présenté lui-même un budget de recettes ne s’élevant qu’à la somme de 31,421,972 florins.
Il a raisonné dans l’hypothèse que l’armée ne resterait sur le pied de guerre que pendant six mois, tandis que j’ai raisonné d’après les budgets qui nous sont présentés, l’un pour le pied de paix et l’autre pour celui de guerre.
Il a raisonné dans l’hypothèse que le second emprunt se négocierait au pair ou du moins à 92, tandis que j’ai établi mon calcul d’après des bases qui dépassent même de beaucoup le taux actuel.
Il a raisonné dans l’hypothèse que la liquidation du syndicat produira un boni qui couvrira notre déficit, tandis qu’il est évident, pour les moins entendus, que cette liquidation ne produira que de la perte.
Il a raisonné par mes moyennes, en prenant des époques entièrement différentes, et puis il a trouvé qu’elles ne concordaient pas avec les siennes.
Enfin, il a raisonné dans l’hypothèse que nos dépenses évaluées de la manière la plus large, ne s’élèveront qu’à 35 millions, tandis que le budget qu’il nous présente, déduction faite des charges nécessitées par notre état actuel, s’élève à la somme de 40,261,349 fl., à quoi il faudra ajouter les services qui naîtront de la paix et les intérêts de l’emprunt à créer pour combler le déficit de l’année courante.
D’après cet exposé, je vous le demande, messieurs, n’est-il pas constant que le ministre a constamment raisonné dans des hypothèses qui s’écartent totalement des documents officiels fournis à cette chambre ? Lorsque l’on veut expliquer les budgets, il faut les raisonner sur eux-mêmes et non sur des hypothèses. Hors de là ce pompeux échafaudage n’est qu’une vaine divagation qui prouve, il faut le dire, la faiblesse des faiseurs du ministre des finances.
Pour nous, au contraire, tous nos calculs ont été établis d’après des données irrécusables : nous avons montré le déficit où nous marchons, toute choses restant dans l’état actuel, et non d’après des hypothèses. Nos résultats ne sont donc pas, comme l’a dit M. le ministre des finances, basés sur des données contraires à la vérité, et s’il fallait ajouter un témoignage, je dirais qu’ayant été faits en commun avec le premier financier de cette chambre, M. Osy, ils présentent autant de garantie que s’ils avaient été faits par les employés du ministère des finances.
Maintenant, messieurs, n’est-il pas étranger d’entendre M. le ministre des finances proclamer à cette tribune que notre situation est satisfaisante, qu’il n’y aura pas de déficit, que notre avenir financier est parfaitement garanti ? Les prétendues explications données par le ministre, ont nécessité pour ma justification une explication pleine et entière. Je vais donc, maintenant, vous dévoiler un mot funeste, que votre section centrale aurait désiré voiler à demi, mais que je me trouve forcé de vous révéler pour ma justification. (Ecoutez ! écoutez !) Si l’état de choses actuel continue jusqu’à la fin de l’année, indépendamment du second emprunt, nous aurons à créer encore, pour combler le déficit inévitable de nos finances, un troisième emprunt de trente millions, et le budget de la dette publique s’augmentera d’une somme annuelle d’un million huit cent mille florins, savoir : un million et demi d’intérêt, et trois cent mille florins d’amortissement. Par conséquent, le budget annuel des dépenses, au lieu de monter à la somme de fl. 40,261,349, s’élèvera à une somme annuelle de plus de 42 millions, et le déficit annuel probable sur les recettes présentées au budget des voies et moyens, au lieu d’être de fl. 8,839,376 sera de fl. 10,600,000 ; de manière que pour le combler, sans rien changer à l’état actuel des dépenses, il faudra augmenter les impôts du tiers de ce qu’ils sont aujourd’hui.
Après cela, comment qualifier l’imprudent quiétisme du ministre des finances ? Comment qualifier surtout l’accusation portée envers la section centrale, d’avoir voulu abuser le peuple, de s’être rendue coupable du crime de lèse-majesté ? Depuis quand les ministres ont-ils le droit de nous déclarer coupables ? Qu’ils sachent que chacun de nous a le droit d’émettre ses opinions dans cette enceinte ; qu’ils sachent que chacun de nous a le droit de demander l’accusation des ministres prévaricateurs ; mais que, si nul n’a le droit de les déclarer coupables, ils peuvent bien moins se permettre une pareille condamnation. Ne pensez pas au reste, messieurs, que ce soit au ministre à qui est confié le portefeuille des finances que je veuille adresser ces reproches ; lui, du moins, est pur de patriotisme et à l’abri de toute atteinte, et, malgré les personnalités sans nombre qu’il a fait retomber sur moi, mon cœur est trop chaud, trop généreux et trop vrai pour méconnaître un seul instant les services qu’il a rendus à la patrie. Mais quant à ces hommes, naguère vendus aux tyrans que la Belgique a chassés, et qui aujourd’hui encore se servent des organes de la maison déchue, pour leur défense, ou bien qui se sont rendus coupable des faits qui viennent d’être signalés par l’honorable M. Lardinois ; quant à ces hommes qui, abusant de la faiblesse du ministre, viennent vous montrer les portes d’un nouvel Eden en vous conduisant aux bords d’un précipice : ces hommes sont traîtres à la patrie, et je vous les signale comme tels.
Dans la séance d’hier, l’honorable M. H. de Brouckere s’est élevé avec force contre l’adoption des économies. Je ne relèverai pas toutes les absurdités, toutes les hérésies politiques contenues dans son discours à propos du budget ; la manière dont vous avez accueilli les réfutations qui en ont été prononcées en a fait suffisamment justice. Mais il est des faits qui se rattachent plus particulièrement, soit aux volontés manifestées par la chambre, dans les sections, relativement au budget, soit au travail du rapporteur, et ceux-là je ne puis les laisser sans réponse.
Pour s’opposer à l’adoption des économies, l’honorable membre a établi que l’argent est le seul mobile des actions des fonctionnaires. Suivant lui, les sentiments bas et vils de l’attachement à la matière sont tout, l’honneur et la loyauté ne sont rien dans le cœur de l’homme.
Pour nous, messieurs, qui chérissons l’idée que l’espèce humaine n’est pas encore abrutie à ce point, nous croyons qu’il est encore des hommes chez qui les sentiments d’honneur et d’amour de la patrie sont aussi forts que l’amour du budget ; nous croyons que la vileté et la bassesse ne sont pas les seuls mobiles de toutes les actions des fonctionnaires ; nous repoussons cette injure pour tous et même pour ceux dont la famille figure au budget pour la somme de 20,000 fl.
Que ceux qui sont attachés aux feuilles du budget trouvent que rien n’est moins logique que de proclamer les économies ; cela n’a rien que de très naturel ; qu’ils trouvent que le rapport n’a pas le sens commun, cela s’explique encore. Hier, je vous le disais, messieurs, il est impossible de demander des économies sans éveiller des susceptibilités de plus d’un genre. Examinons cependant lequel a été le plus logique de M. H. de Brouckere ou de moi.
Lorsque, dans la séance du soir du 27 décembre, mon honorable ami M. Gendebien, le même que l’on a désigné hier sous le nom de ministre-président, mais à qui certainement on n’adressera pas le reproche d’avoir fait ses affaires et de s’être casé comme tant d’autres, à la faveur de la révolution ; lorsque l’honorable M. Gendebien, dis-je, eut proposé de continuer la retenue ordonnée par le congrès sur les traitements des fonctionnaires, nous nous trouvâmes M. Ch. de Brouckere et moi opposés comme aujourd’hui, tandis qu’il fît tous ses efforts pour la faire échouer. Il soutint que la retenue n’avait rien que de précaire, et qu’il valait mieux lors de la discussion du budget régler définitivement le sort des fonctionnaires en retranchant sur les appointements. Maintenant, vous penseriez sans doute que l’honorable membre, fidèle à cette logique qu’il chérit si fortement, va venir se réunir à nous pour opérer les réductions dont il n’a fait que reculer l’époque ; il n’en est rien cependant, et il trouve aujourd’hui beaucoup plus logique de s’opposer au système des réductions.
Après cela, n’est-il pas étrange d’entendre cet orateur nous crier : soyez conséquents avec vous-mêmes ! Il vous sied bien de nous parler d’inconséquence lorsque vous-même vous en donner l’exemple. Si vous voulez établir cette accusation d’inconséquence et de défaut de logique que vous nous reprochez si légèrement, c’était par des chiffres qu’il fallait répondre aux chiffres que nous avons posés et non par des lieux communs et de vaines déclamations.
Après avoir démontré le peu de fondement des raisonnements de ceux qui ont voulu attaquer les faits posés dans le rapport général, il me reste à vous démontrer, messieurs, que des économies sont possibles et qu’elles sont nécessaires.
Il est une chose sur laquelle on ne peut assez s’appesantir, c’est l’inégale répartition des traitement soit dans les emplois, soit dans les différents ministères. J’ai déjà eu l’honneur d’établir la comparaison entre les employés des ministères et de la cour des comptes, je vais maintenant vous citer d’autres faits.
La moyenne des employés de la cour des comptes est de 887 fl. ; celle des employés de la justice, ministre et secrétaire-général non compris, est de 994 fl. ; aux finances, la moyenne est de 1,218 fl. ; à la marine elle est de 1,300 fl. et aux affaires étrangères 1,471 fl.
Il y a plus, dans presque tous les ministères beaucoup d’employés ont reçu des augmentations de traitement. (L’orateur entre dans des explications sur les augmentations.) On vous a dit que j’avais mis en parallèle deux choses qui n’ont aucune analogie, en comparant les employés de la cour des comptes avec ceux des ministères.
Pour prouver combien ce raisonnement est peu fondé, il me suffira d’observer qu’il y a dans chaque ministère une division pour la comptabilité ; maintenant, je le demande, faut-il plus de capacité pour être chef de la comptabilité dans un ministère que dans la cour des comptes ? Non sans doute, et cependant nous voyons qu’à la cour des comptes les chef de division chargé de la comptabilité n’a que 1,500 fl. d’appointement, tandis que dans les ministères, il touche 2,500 fl. et qu’aux affaires étrangères, celui qui est chargé de cette division, était porté l’an dernier à la somme de 2,700 fl., c’est-à-dire à près du double de ce que recevait le chef de division de la cour des comptes.
Je viens vous donner la moyenne des employés des ministères, comparons-le avec les fonctionnaires publics.
Un juge de première instance reçoit 800 à 1,300 florins ; les commissaires de district ont 675, 1,000 ou 1,500 florins, et quelques-uns 1,800 fl., et cependant ces fonctionnaires sont plus élevés dans l’échelle que ne le sont de simples employés des ministères.
Que si on compare ces traitements avec ceux de l’armée, la différence est bien plus grande encore, puisqu’un sous-lieutenant d’infanterie ne reçoit que 900 fl., un lieutenant 700 fl., un capitaine 1,200 fl. Et cependant ces officiers sont tenus à des frais d’équipement et à des dépenses dont les employés sont toujours exempts. D’ailleurs, ignore-t-on que tandis que ces derniers sont rétribués pour vivre, les officiers sont rétribués pour verser leur sang pour la patrie.
Ce peu de faits suffit, messieurs, pour prouver toute l’inégalité des traitements, et la possibilité d’opérer des réductions, mais il en est d’autres qui le prouvent bien davantage. Je vous ai donné dans mon rapport général la proportion des dépenses occasionnées par l’enregistrement avec le produit de cet impôt en France et en Belgique, et je vous ai fait voir combien le chiffre est à notre désavantage ; il me reste, messieurs, à vous démontrer la proportion des frais de perception des impôts avec leur produit en Angleterre et en France sous la restauration comparés avec ce qu’ils sont aujourd’hui en Belgique.
Contributions directes, accises et douanes :
En Angleterre, 6 p. c. ;
En France, 13 1/3 p. c. ;
En Belgique, 19 p. c.
Enregistrement :
En Angleterre, 3 1/3 p. c.
En France, 5 2/3 p. c.
En Belgique, 8 3/10 p. c.
Postes :
En Angleterre, 30 1/2 p. c.
En France, 30 1/2 p. c.
En Belgique, 42 1/2 p. c.
Ainsi, vous voyez, messieurs, par ces comparaisons, combien il est possible d’opérer chez nous des réductions, soit que le gouvernement veuille opérer par les traitements ou par le nombre, car rien n’est moins rationnel que de prétendre que chez nous la perception des impôts doive coûter plus que dans les pays voisins.
Quant à la nécessité des réductions, pour quiconque connaît l’état de nos finances et le déficit qui se prépare, il est évident que tous nos efforts doivent tendre à mettre de niveau les recettes et les dépenses ; hors de là, la banqueroute est inévitable. Mais ces réductions ne peuvent s’opérer sur toutes les branches, et chacun sent que dans le ministère de la guerre il faut qu’elles soient consenties par le ministre afin d’éviter de compromettre le salut du pays. D’autre part on reconnaîtra facilement qu’il est impossible de faire subir toute la différence par la nation en élevant les impôts à la hauteur des recettes actuelles. Il faut donc augmenter les recettes et diminuer les dépenses, de manière de se réunir vers le chiffre de 35 à 36 millions, et c’est ce que le ministre des finances à reconnu. Or voici, messieurs, les réductions qui vous sont proposées :
Dette publique, fl. 70,000.
Justice, fl. 5,744.
Affaires étrangères, fl. 70,050.
Marine, fl. 8,700.
Finances, fl. 694,139.
Guerre, fl. 1,877,078.
Intérieur, fl. 1,043,345.
Total, fl. 3,769,056.
Vous voyez, messieurs, que cette réduction n’a rien d’exagéré, puisqu’elle ne descende pas encore le budget au taux où M. Coghen voudrait le voir parvenir.
J’ajouterai que quant au ministère des finances, en retranchant les réductions sur le matériel et les dépenses diverses, consistant en 100,000 fl. pour les postes dont le service a été renvoyé à des temps meilleurs, 159,000 fl. pour le cadastre et quelques autres dépenses de ce genre, les réductions ne s’élèvent qu’à la somme de 400,000 fl. Or, il n’est personne qui ne reconnaisse qu’il est facile d’opérer des réductions pour au moins cette somme sur ce ministère. On peut bien différer d’opinion sur les parties à réduire, et moi-même je ne partage pas toutes les réductions proposées, mais quant à la somme intégrale on doit convenir qu’elle peut facilement être retranchée.
Messieurs, lorsque j’acceptai la difficile mais honorable fonction de rapporteur de la section centrale, j’étais bien loin de m’attendre à être en butte à des attaques aussi personnelles, aussi violentes, que je l’ai été dans cette discussion. J’étais loin surtout de penser que l’on se serait permis de dire que j’ai torturé le vœu de la section centrale. Dans la rédaction du rapport nous avons pu différer d’opinion en matière de forme, mais jamais on ne m’a reproché d’avoir voulu changer en rien les décisions et les propositions de la section centrale. J’en adjure tous mes collègues, qu’ils déclarent si ce que j’avance n’est pas la vérité tout entière. Si par ces attaques personnelles on a cru m’intimider, on s’est gravement trompé ; je n’en continuerai pas moins à remplir mon mandat. Au reste, quoi qu’il en soit de ces inculpations, ma conscience me dit que j’ai fait mon devoir. La nation jugera lequel de nous a eu raison, ou de ceux qui ont pris la défense des gros traitements, ou de ceux qui ont défendu les intérêts du peuple en cherchant à élever le plus possible les impôts qui pèsent déjà trop sur les contribuables.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Après les réponses péremptoires de plusieurs de mes honorables collègues aux adversaires du gouvernement, j'aurais pu me dispenser de payer mon tribut à la discussion générale, n'était le discours que vous venez d'entendre, et n'était surtout le besoin que j'éprouve de revendiquer ma part de cette solidarité que l'on prétend que nous cherchons à esquiver. Toutefois, je resterai dans le cadre qui m'est fixé, et je ne m'attacherai pas aux objections qui ont été déjà réfutées.
Je répondrai d'abord à ce qu'a dit M. le rapporteur de la section centrale, qu'il y avait plus de colère que de raison dans le discours de mon collègue, M. le ministre des finances. Si je l'ai bien compris, il a surtout été choqué de ce que M. le ministre des finances a pris à partie le rapporteur plutôt que la section centrale dont il était l'organe. Messieurs, il y a, selon moi, deux choses dans son rapport : d'abord, la résolution, la conclusion, chaque, et ensuite la du rapport.
Quant à la résolution, à la décision, elle appartient à la section centrale; mais la rédaction, la forme, le cadre, ils sont du rapporteur, et quand on discute les vagues considérations hypothétiques contenues dans un aussi long travail, c'est tout naturellement à ce dernier qu'on doit s'adresser.
M. le rapporteur s'est offensé à tort d'une phrase du ministre des finances, dont il s'est fait mal à propos l'application. Le ministre des finances a dit que crétait rendre un fort mauvais service au peuple, que de lui parler toujours de sa misère, de ses larmes et de lui répéter que ses charges sont accablantes; il a ajouté qu'il fallait plutôt l'éclairer, et il a dit qu'en imposer au peuple était un crime de lèse-nation. Mais ces mots, il n'a entendu les appliquer à personne, et moins encore à l'honorable rapporteur qu'à tout autre.
On ne doit pas s'étonner que les ministres mettent quelque chaleur dans leur réponse, quand ils entendent des orateurs rembrunir le présent et jeter des couleurs plus sombres encore sur l'avenir du commerce de notre pays. Lorsqu'il s'agit de constituer un Etat, de jeter les fondements de l'édifice social, je conçois que chacun calcule suivant ses impressions et sa politique, la portée de l'édifice, qu'on cherche à faire triompher ses opinions, à scruter l'avenir le plus éloigné ; mais que l'orateur qui, sur les dix-huit articles, nous a peint un avenir couleur de rose, vienne aujourd'hui nous dire que nous n'avons acheté notre indépendance que par la perte de notre industrie et de notre commerce, voilà ce que je ne puis concevoir.
On a attribué les causes d'un présent et d'un avenir si sombre à ce que le gouvernement s'est laissé traîner à la remorque de l'Angleterre. Si au lieu de cela, nous dit-on, vous aviez suivi la politique de la France, nous aurions déjà obtenu un traité de commerce. Et depuis quand, la politique du gouvernement a-t-elle été contraire à celle du gouvernement français ? Les premiers ministres de France et d'Angleterre, Périer et Grey, se tiennent par la main et suivent une marche uniforme. Mais si l'Angleterre a fourni à la Hollande, pendant le mois de novembre dernier près de 5,000,000 de florins d'objets fabriqués, est-ce notre faite, messieurs ? n'est-ce pas la conséquence inévitable de notre état de guerre avec la Hollande ? Si vous avez suivi le raisonnement du même orateur, ce n'est pas la politique du gouvernement de la France qu'il nous fallait adopter, c'est la politique de l'opposition française.
Mais l'opposition française, messieurs, nous eût-elle constitués ? Nous eût-elle donné un traité de commerce ? Les peuples comme les individus consultent leurs intérêts ; ce qui doit amener un traité de commerce et changer les tarifs des douanes, c'est l'état de souffrance d'une partie du pays que nous avons en vue. Les traités de commerce sont le résultat non des sympathies, mais des besoins réciproques des nations ; vous savez qu'ils ne peuvent être réalisés en un instant : ils ne peuvent l'être qu'après de successives et de prudentes démarches, et de ce côté, le gouvernement n'a aucun reproche à se faire.
Ce sont, a-t-on dit, les entraves fiscales qui ont été la cause de la décadence de notre industrie. Les entraves fiscales . Est-ce de ces lois qu'on a entendu parler ? Je ne le pense pas. Aucune loi n'a été faite dans cet esprit depuis la révolution : au contraire, on a aboli celles qui existaient. Mais c'est l'excessive fiscalité des agents du ministère des finances qu'on a signalée. Je ne sais, en vérité, comment on peut parler de fiscalité. Je me souviens qu'au commencement de la révolution, lorsque j'étais à la tête de ce département, des gens qui n'ont d'autre dieu que l'argent, d'autre conscience que l'intérêt, étaient parvenus à détourner les agents du fisc du point qu'ils n'osaient faire aucun exercice : s'ils en faisaient, les fraudeurs se procuraient des certificats accusant ces agents d'orangisme. Aussi, quand l'administration fut réorganisée, à chaque visite que l'on faisait, il y avait un procès-verbal à dresser. Non, messieurs, il n'y a pas d'excessive fiscalité, il y en avait autrefois, mais l'abus n'existe plus. Toutefois j'avoue que je ne connais pas d'administration financière sans fiscalité, et cette administration n'est jamais paternelle; on en fait disparaître les formes odieuses, on la retient dans certaines limites, mais il faut avant tout que le gouvernement veille aux intérêts du trésor.
Un orateur a émis le voeu qu'on fît disparaître tout impôt tendant à entraver la liberté de commerce, et voilà que tout à coup il propose d'imposer le tabac. Je ne me prononce pas sur la question de savoir si le tabac est ou non imposable ; mais je ferai remarquer combien il est difficile de substituer un impôt à un autre. Votre intention n'est pas, sans doute, d'établir la régie, de donner au gouvernement le monopole de l'industrie, et de réduire à rien une branche de commerce que notre nouvelle position doit raviver. Si ce n'est pas la régie, l'impôt le plus contraire à la liberté que vous voulez, alors consultez les discussion des chambres françaises sur l'abolition du monopole, et vous verrez si cet impôt peut être productif. La science du financier est de toutes les sciences celle qui est la plus arriérée, celle dont on s'occupe le moins ; ne vous étonnez donc pas des lenteurs mises à l'introduction d'un nouveau système.
Je suis loin de m'abuser et de m'éblouir sur notre situation commerciale ; mais ailleurs que chez nous on se plaint d'une stagnation générale, et dans ce pays qui sait si bien, comme on l'a dit, se gouverner avec ses émeutes, on sait pourtant ce que coûte chaque émeure. Mais n'exagérons pas notre position. Un des signes de la misère d'un pays, c'est la mendicité et la criminalité. Eh bien ! depuis un an la mendicité s'est-elle accrue ? et la criminalité, voyez les cours d'assises et répondez !
Maintenant je reviens aux observations du rapporteur de la section centrale ; il a dit que M. le ministre des finances avait eu tort d'imputer sur 1831 les arriérés de la liste civile, parce qu'ils devaient être payés avec les fonds de 1832, et cependant il est convenu qu'il y avait un excédant en 1831 : il n'y avait donc aucun tort à porter les arriérés sur les excédants. Le ministre a prétendu à tort que l'honorable rapporteur n'avait pas tenu compte du solde de 1831 : et à cet égard M. Dumortier renvoie à la page 6 du rapport ; mais ce n'est pas à la page 6 qu'il fallait mentionner les 1,300,000 florins d'excédant, c'était dans l'évaluation des recettes dans la balance des produits et des dépenses.
Quant aux passeports, il a trouve que le ministre avait eu tort de relever une erreur qu'il avait rectifiée lui-même dans un rapport subséquent, ou plutôt il a soutenu que cette erreur n'existait pas et qu'il fallait un transfert d'un département à un autre. S'il avait lu l'arrêté de 1814, il aurait vu que c'est seulement du papier timbré que le ministre des affaires étrangères prend au ministère des finances et qu'il n'y a aucun transfert.
M. le ministre des finances avait démontré hier que la perception de l'enregistrement pour le matériel et le personnel coûtait moins qu'en France, et que cependant l'administration des domaines y était jointe ; d'où le rapporteur conclut qu'il doit y avoir plus d'économie encore, puisque le service ne peut coûter autant par le fait de la réunion. Cela est vrai, messieurs, mais l'honorable membre a oublié de voir combien coûtent les domaines séparément : la perception des revenus domaniaux et particulièrement des bois, est plus coûteuse que l'enregistrement.
Mais, dit encore M. le rapporteur, la différence de l'opinion du ministre des finances, d'avec la sienne, provient de ce que nous avons raisonné dans des hypothèses différentes. Je ne conçois pas, messieurs, que pour l'évaluation des budgets antérieurs, on puisse recourir à des hypothèses. Le rapporteur a tiré ses chiffres de documents authentiques, mais il lui manquait des pièces ; il n'a dit qu'une partie de la vérité, le ministre vous l'ai dite entière.
Nous avons un déficit, ajoute-t-il, et M. le ministre des fnances a cherché à prouver que ce déficit n'existe pas. Il a porté les dépenses à 35 millions, et il n'y a que 31 millions de recettes. Il est certain, messieurs, que les recettes et les dépenses ne se compensent pas. Et ici je réfuterai la réponse du rapporteur à un honorable général : « le peuple a fait la révolution pour son bonheur matériel, et la révolution qu'a-t-elle fait pour le peuple ? » Messieurs, la révolution a fait tomber l'abattage, digne émule de la mouture, elle en a supprimé un autre non moins immoral, l'impôt de la loterie. Mais est-ce la faute du gouvernement provisoire si on est allé plus loin ? Souvenez-vous que lors de la discussion du budget de 1830, chacun, dans la vue d'acquérir de la popularité, venait avec un petit amendement, l'un sur les cents additionnels et d'abolition d'impôts, l'autre sur les patentes, et un autre encore sur le personnel. C'est après cette espèce de distraction forcée de cents additionnels et d'abolition d'impôts que nous avons été conduits à un emprunt qui ne nous coûtera pas 20 millions pour 12, comme on l'a dit : car au taux de la première négociation, il n'en coûterait pas 17 ; aujourd'hui au taux où sont les effets publics, il n'est coûte aps 16, et quand la sécurité sera un peu rétablie, il n'en coûtera pas 14.
L'honorable membre a cherché à démontrer ensuite qu'en fixant le chiffre du budget à 35 millions, mon collègue, M. le ministre des finances a commis un grave erreur; et cependant lui-même l'a porté à 34 millions, et plus tard il pense qu'il arrivera à 42 millions. Et comment est-il parvenu à supputer le budget pour l'avenir ? en comptant quelques pensions et la dotation de la légion d'honneur, tandis que M. le ministre des finances a démontré que nous étions dans une époque de transition, ainsi que j'avais eu l'honneur de le dire moi-même lorsque j'ai présenté le budget, que dans deux ans l'impôt sera établi sur son assiette ordinaire. J'admets que son raisonnement soit forcé, et que le budget s'élève à 38 millions, au lieu de 35 ; il aurait encore raison, et vous paierez toujours un quart de moins que lors de la réunion à la Hollande, eu égard à la population des deux frontières de l'ancien royaume.
Plusieurs membres sont revenus sur les comptes, et un orateur a dit que ses collègues et lui avaient insisté pour que le gouvernement avait plus tôt les comptes. Je ne sais si l'orateur a effectivement fait cette demande, mais pendant quinze ans nous n'avons jamais eu un compte et on ne nous donnait que des livres de caisse sans contrôle. On ne livrait aucun compte à notre examen, mais nous les eût-on livrés, cela n'aurait servi à rien, puisqu'ils étaient sans contrôle. Aujourd'hui, messieurs, les comptes sont prescrits par la constitution, mais les créances et ainsi les comptes ne peuvent être terminés et soumis à la législature avant le mois d'octobre. Mais, dira-t-on, cette époque est passée et nous n'avons pas encore les comptes de 1830. Messieurs, après une révolution, alors que tout est à constituer, il faut du temps et du travail pour régulariser la comptabilité. Cependant, les comptes de 1830 sont faits et ils vous seront incessamment présentés.
Messieurs, tout le monde demande des économies ; les uns proposent d'en faire en diminuant les gros appointements ; les autres en créant des places honorifiques. Quant à moi, je me déclare contre tout emploi honorifique, à moins que ce soit pour les établissements de charité ; car à l'égard de ceux-là, il se présentera toujours des hommes généreux pour les remplir. Mais ce n'est pas dans la diminution des appointements, ni dans les mesures que l'on propose, que l'on trouvera un remède au mal ; c'est dans une sage amélioration de notre système financier d'une part, et du système général d'administration de l'autre ; mais tout cela ne peut être que la suite d'une rénovation complète. Dans mon département des réductions considérables ont déjà eu lieu par suite d'innovation. Quand mon budget sera mis en délibération, j'y reviendrai plus amplement.
Mais je ne sais où l'on trouve qu'il existe de gros appointements, et je ne conçois pas comment on est allée en prendre des moyennes entre les officiers et les employés civils. Cela cloche tellement que sous l'ancien gouvernement, quand un officier venait occuper une place dans les bureaux, il recevait une indemnité.
On vous a cité quelques augmentations de traitements dans le département des finances et on a tiré de là la conclusion qu'une pareille augmentation aira lieu dans les autres. Je dois déclarer que dans le mien il n'y en a pas eu une seule. M. le ministre des finances expliquera lui-même quels sont les motifs qui ont amené ces augmentations. Messieurs, toutes les diminutions sur les appointements ont été faites, tous les fonctionnaires ont été réduits autant que cela se pouvait par le gouvernement provisoire. Un honorable orateur a dit avec raison qu'aucun employé n'avait échappé à cette réduction ; on a même fait peser une autre réduction encore sur les agents du fisc, en supprimant les leges. Et vous voulez les diminuer encore aujourd'hui, c'est-à-dire que vous voulez les condamner à un état tout à fait précaire ?
On a beau dire qu'ils ne travaillent pas seulement pour un vil métal. Non, messieurs, ils ont de l'honneur, mais ils veulent vivre de leur emploi, comme les avocats vivent avec leurs clients et les médecins avec les malades. Et si je voulais ici cier, à mon tour, la république des Etats-Unis, qu'en fait d"économie on prend toujours pour type et pour modèle, je vous dirais que là un général de division à 35,000 fr., un général de brigade 24,000, un colonel d'artillerie 16,905, un colonel d'infanterie 16,032, un capitaine 5,000 et quelques cents francs, un lieutenannt 7,000 fr. (Rumeur), et un sous-lieutement 5,500 fr. Je vous dirais plus, c'est que le secrétaire d'Etat au département des finances a proposé d'augmenter les traitements de tous les emplois civils, parce que, a-t-il dit, l'aristocratie (car là aussi il existe une aristocratie) s'en empareta. Et voilà ce qui arrievra en Belgique si vous diminuez toujours les émoluments des employés.
Je dois quelques mots de réponse aux reproches qu'on a adressés collectivement au ministère. Quant à notre politique extérieure, je n'ai pas besoin de répéter ce qu'a dit mon collègue, le ministre des affaires étrangères. Nous avons adopté les 24 article,s nous voulons les 24 articles, et rien que les 24 articles. Quant à notre faiblesse vis-à-vis des fonctionnaires, à la résistance qu'ils nous opposent, je demanderai, comme l'ont fait mes collègues, des faits et non des allégations; je ne connais dans l'armée pas un acte d'indiscipline qui n'ait été aussitôt réprimé, de résistance qui n'ait été châtié.
Mais nous reculons devant la plus légère opposition, nous cédons à la plus petite minorité ; nous sommes, a dit un orateur, et je me félicite d'avoir entendu sortir ces paroles de sa bouche, des hommes sans énergie, sans décision ; quoi ! vous nous accusez de mollesse aujourd'hui et hier, il y a huit jours, notre persistance était de l'entêtement, de l'obstination. Quoi ! vous nous accusez d'indécision, de faiblesse envers la minorité, et vous nous reprochez de laisser les volontaires sans pain, par amour-propre et pour le seul plaisir de faire parade de résolution ; vous nous accusez de mollesse et d'autres nous refusent les subisdes, parce que nous persistons à maintenir Gand et Anvers en état de siège. Je vais m'expliquer clairement sur ces points.
Quant aux volontaires que je laisse sans pain, par entêtement ; il y en avait, vous a-t-on dit, il y a un instant, deux à trois mille, je leur fait une part plus large, et je suppose qu'il y en a eu de cinq à six mille. Eh bien ! depuis mon entrée au ministère, depuis le 16 août, il y en a eu quatre cents placés comme officiers dans l'armée, c'est-à-dire un sur douze ; il me semble que c'est assez généreusement récompenser les services rendus.
Quant à la mise en état de siège de Gand et d'Anvers, je l'ai crue non seulement utile, mais indispensable de la sécurité du pays. L'une de ces villes est sous le canon de l'ennemi, l'autre à une demi-marche de ses cantonnements ; aussi longtemps que ces points principux de feront seront ainsi menacés, l'état de siège continuera ; je n'en démordrai pas. Qu'on me blâme, qu'on me mette en accusation si l'on veut, mais tant que je conserverai le portefeuille, j'aurai assez d'énergie pour faire mon devoir. (Très bien, très bien)
Ce qui m'a surtout étonné dans la bouche d'un député d'Anvers, c'est le grief qu'il a fait au gouvernement de l'expulsion de Gand, d'un étranger qu'il a qualifié de Belge; et à propos il a ajouté que nous avions commis plus d'actes de despotisme que les gouvernements les plus absolus et que du train dont allaient les choses, il devriendrait inutile de voter un budget l'an prochain. Et c'est donc le moment où l'on nous accuse de mollesse que des reproches aussi insensés sont articulés dans cette chambre.
Mais où sont donc ces actes de despotisme ? Où est l'acharnement contre la presse . Quelle liberté est entravée même à Anvers ? Nous avons expulsé un étranger de Gand et cet acte vous a fait oublier que les impôts révoltants ont disparu, que toutes les libertés vous sont rendues ! Oui, nous avons expulsé un étranger, nous l'avons fait par suite de la mise en état de siège ; je tiens cette expulsion pour bonne.
Dixon, suivant vous, est Belge, et cependant il réclame comme sujet anglais l'intervention d'un ambassadeur. Or, tout étranger, regardé par la police civile et militaire comme sujet d'entretenir des relations avec l'ennemi, peut être expulsé d'une ville en état de siège. Cet individu, messieurs, avait séjourné en Hollande pendant des mois, il en arrivait. Nous savions qu'il était partisan quand même du gouvernement déchu, et par sa profession de foi et par ses rapports avec la Hollande. C'est parce que nous connaissions sa conduite, ses relations, que nous avons cru devoir sacrifier un étranger au salut du pays. (Bravo ! bravo !)
- La discussion est continuée à demain à midi.
La séance est levée à quatre heures.