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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 29 février 1832

(Moniteur belge n°62, du 2 mars 1832)

(Présidence de M. de Gerlache.)

La séance est ouverte à midi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et adopté.

Pièces adressées à la chambre

Quelques pétitions sont renvoyées, après analyse, à la commission.

Proposition de loi relative au jury d'assises

Vote sur l'ensemble du projet

L’ordre du jour est le vote sur l’ensemble du projet de loi relatif au jury.

Les amendements sont remis aux voix, conformément aux termes du règlement, et adoptés.

On procède à l’appel nominal sur l’ensemble du projet ; il est adopté par 48 membres contre 7.

MM. Gendebien, Dumortier, Jamme et Fallon s’abstiennent, le premier par le motif qu’il désirait de plus grandes améliorations que celles adoptées, et les autres parce qu’ils n’ont pas pris part à la délibération.

Projet de loi relatif aux exercices du premier ban de la garde civique

Discussion générale

M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif aux nouveaux exercices du premier ban de la garde civique.

M. H. Vilain XIIII. - Messieurs, je ne puis qu’applaudir à la proposition que nous fait M. le ministre de l'intérieur, dans le but de rendre plus fréquents les exercices des gardes civiques. Depuis longtemps cette mesure était désirée par tous les vrais amis de l’indépendance nationale, et seulement je regrette qu’elle ait été si tardive, et par cela même peut-être infructueuse. Par l’exemple du passé, par le peu d’aptitude des gardes au maniement des armes lors de la mise successive en activité, il devenait évident que des exercices hebdomadaires étaient loin de suffire à leur instruction et ne pouvaient guère servir qu’à une vaine démonstration de parade militaire, sans utilité comme sans fruit. Mais des exercices journaliers feront-ils atteindre complètement le but qu’on se propose, et donner à tous les gardes du premier ban cet aplomb, cette connaissance du service militaire, qui peuvent seuls les mettre à même de se mesurer avec succès contre l’ennemi ? Ne faudrait-il pas y joindre l’exercice du tir à la cible, si utile pour l’arme des tirailleurs et le services des corps de partisans ; les astreindre à des marches militaires plus ou moins prolongées, et surtout, pour les officiers et sous-officiers de ces divers corps, à des théories et à des examens fréquents ? Les leçons du passé doivent nous profiter, messieurs, et nous faire éviter qu’au moment du danger, tous ces gardes civiques mal exercés, mal tenus, subitement mis en activité et lancés en première ligne contre l’ennemi, ne jettent le désordre dans les rangs de l’armée de ligne, et, non par manque de courage, mais bien par inexpérience, n’accomplissent qu’avec peine la tâche périlleuse qu’on leur aura confiée.

Je préférerais qu’avant tout on exigeât des officiers les connaissances indispensables à leurs grades, que le gouvernement traçât les conditions d’éligibilité, et que si, parmi les gardes d’un même bataillon, des candidats habiles ne pouvaient se trouver, le bataillon fût obligé de chercher ses officiers ailleurs et même dans l’armée de ligne ; car la loi dit bien que les gardes ont le droit de se choisir leurs chefs ; mais, comme l’Etat doit solder ces chefs, celui-ci peut exiger qu’ils soient habiles, car les lois de l’humanité et du salut général veulent qu’on ne mène point inconsidérément de braves citoyens à la mort, et un officier est responsable envers la patrie de l’existence de ses soldats. En outre, au moment de la mise successive en activité, il serait à désirer que ces bataillons fussent organisés en armée de réserve, en les faisant séjourner quelque temps dans les villes fermées du sud du royaume. Ces divers corps seraient là formés à la discipline militaire bien plutôt que dans les cantonnements, et pourraient comme corps de réserve, et en cas d’un premier échec, appuyer salutairement et grossir les divisions de l’armée. Je crois en avoir assez dit sur l’emploi immédiat que l’on peut faire du premier ban, en invitant le gouvernement à ne point se reposer dans une fausse sécurité.

Le roi de Hollande n’a cessé tout l’hiver de renforcer son armée, et de lever des subsides. Il vient encore de décréter de nombreuses promotions d’officiers et de généraux, et d’appareiller de nouveaux vaisseaux. Tous ces préparatifs ne sont sans doute point faits pour passer au printemps de simples revues, mais bien plutôt pour appuyer ses prétentions par la force des armes, et exiger tout d’une fois des modifications au traité de séparation, en s’emparant soit d’Anvers, soit du Limbourg, ou de toute autre position militaire. Des alliés viendraient peut-être alors à notre aide ; mais il vaut mieux s’aider soi-même, et ne point devoir acheter l’onéreux secours d’un ami intéressé. J’aime donc à croire que le gouvernement est prêt à repousser victorieusement tout attaque, qu’il surveille avec vigilance les mouvements ennemis, et que, sans avoir une foi trop vive dans la lettre des traités, il n’oublie point que ceux-ci sont souvent caducs, alors que c’est seulement le bon droit et non pas la victoire qui les soutient.

M. Fleussu. - Au moment où l’échange des ratifications est annoncé devoir se faire, au moment où tout le monde aime à se livrer à l’espoir d’une paix prochaine, l’apparition d’un projet de loi tendant à prescrire de nouveaux exercices à la garde civique m’a fait une impression dont il est inutile d’entreprendre la chambre. Toutefois le ministère, dans la prévoyance des événements futurs, peut bien se mettre en garde ; mais je regrette de le voir ne proposer qu’une demi-mesure propre à alarmer le pays et à jeter le trouble au sein des familles.

L’honorable membre s’élève contre l’injustice du projet, qui enlèverait le médecin, le notaire, l’avocat, le négociant et l’ouvrier à leurs occupations pour les forcer à quatre heures d’exercice par jour ; il faut remarquer que la garde civique est mobilisée dans presque toutes les villes, et que la mesure ne concerne que les campagnes, où elle rencontrerait les plus grandes difficultés dans un moment où les travaux de la terre sont les plus urgents. Il soutient, en outre, que le projet est inconstitutionnel en ce qu’il autorise le gouvernement à nommer des instructeurs pour les gardes, tandis que l’article 122 de la loi fondamentale porte que les titulaires de tous les grades jusqu’à celui de capitaine sont nommés par les gardes. Il croit qu’il vaudrait mieux mobiliser 10 ou 12 mille hommes de plus, et il vote contre la loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - On a fait ressortir les inconvénients du projet de loi ; mais, pour placer la question sur son véritable terrain, il fallait aussi parler des avantages qui doivent en résulter. Je ferai observer d’abord que, pour avoir des hommes capables de résister à l’ennemi, il est nécessaire de les instruire à la discipline, et c’est ce qui nous a fait recourir à la mesure dont il s’agit.

Mais, dit-on, mobilisez dès aujourd’hui quelques bataillons de plus, et vous aurez obtenu, par cela même, un résultat beaucoup plus avantageux. Messieurs, le chiffre du département de la guerre est déjà assez élevé et les charges militaires assez lourdes sans qu’il faille les aggraver encore. D’ailleurs, les gardes civiques mobilisés sont assimilées aux militaires et sont obligés de quitter leurs occupations, tandis qu’étant exercés au sein de leurs foyers, ils pourront toujours se livrer à leurs travaux.

On ajoute que les gardes civiques, étant astreints à quatre heures d’exercice, perdront ainsi la plus grande partie de leurs journées. Je prie la chambre de remarquer qu’aucune disposition de la loi ne porte que les exercices journaliers seront de quatre heures ; elle dit seulement qu’ils ne pourront excéder quatre heures. D’un autre côté, son exécution ne contrariera en rien les travaux des gardes dans les campagnes, car les exercices auront lieu aux heures qui leur conviendront le mieux pour ne pas négliger leurs occupations, par exemple vers midi ou le soir, et on les fera faire plus spécialement aux bataillons qui seront destinés à marcher les premiers.

Quant au reproche d’inconstitutionnalité, l’orateur n’a pas remarqué que les instructeurs ne seront pas des officiers et des sous-officiers de la garde civique ; ils n’aurons que la mission de l’instruire : par conséquent, l’article 122 de la constitution n’est nullement applicable.

M. Delehaye vote contre le projet, par le motif que son exécution serait trop onéreuse pour les habitants de la campagne, et il voudrait que le gouvernement mobilisât quelques bataillons de plus.

M. Leclercq. - Il paraît résulter de ce projet qu’il donnerait au gouvernement l’autorisation de porter l’armée à un nombre d’hommes plus considérable que celui déterminé lors de la fixation du contingent, ce qui serait contraire à la loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) répond que la garde civique ne fait jamais partie du contingent de l’armée.

M. Fleussu soutient, en réponse aux observations de M. le ministre de l'intérieur, qu’elles ne s’accordent par avec le texte du projet, et il prétend que la garde civique mobilisée fait partie du contingent de l’armée, puisqu’elle est mise à la disposition du ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) fait remarquer que jamais l’on n’a entendu que la garde civique faisait partie de ce que l’on appelle le contingent de l’armée ; car, lorsqu’on a fixé ce contingent à 80,000 hommes, il a déclaré que les troupes actives, y compris les gardes civiques mobilisés, étaient de 87,000 hommes. Donc, si l’on avait compris que les gardes en faisaient partie, il aurait fallu les renvoyer. Il appuie le projet.

M. Leclercq rectifie lui-même son erreur, et dit qu’un article de la loi sur le contingent porte : « Le contingent de l’armée est fixé à 80 mille hommes, non compris la garde civique. »

- La discussion se prolonge.

M. Poschet et M. Gendebien s’élèvent contre l’injustice du projet ; M. Mary et M. Liedts parlent pour.

M. Dumortier rappelle qu’en vertu de l’article 12 de la loi sur la garde civique, les gardes mobilisés, ayant atteint 31 ans au 1er mars, devaient être libérés. Il prie le ministre de lui dire si leur service sera prolongé.

Il fait remarquer, en outre, que le projet ne contient pas de sanction pénale.

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) répond à la premier question que demain, 1er mars, les hommes ayant atteint 31 ans seront conduits dans leurs foyers par des détachements, qui ramèneront les nouveaux gardes qui doivent les remplacer.

Quant à la seconde question, M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) dit que son intention est de présenter un projet de loi séparé, contenant un système disciplinaire complet.

M. Destouvelles demande que l’on ajourne la discussion jusqu’à la présentation du second projet qu’annonce M. le ministre, et en fait la proposition formelle qu’il dépose sur le bureau.

- Un long débat s’engage sur cette proposition et sur les dispositions de la loi.

M. de Woelmont, M. Lardinois, M. Jamme, M. Poschet, M. de Robaulx et M. Gendebien parlent contre le projet, qui est soutenu par M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux).

La motion de M. Destouvelles est appuyée par M. Delehaye.

M. Lebeau, après avoir fait remarquer l’inconséquence de plusieurs membres qui ont reproché souvent au ministère de ne pas compter sur le patriotisme des citoyens, et qui, aujourd’hui que l’on fait appel à ce patriotisme, le blâment encore et réclament l’un pour les avocats, les médecins, et l’autre pour le laboureur, s’attache à démontre que le projet, loin de n’être qu’une demi-mesure, est le complément de la loi sur la garde civique. Cependant, l’observation de M. Destouvelles lui semble fort juste, et il vote pour un ajournement fixé de la discussion.

M. Destouvelles se rallie à cette proposition.

- Plusieurs membres demandent le renvoi à la commission, pour rédiger, de concert avec M. le ministre, un système de pénalité.

- La discussion est close sur l’ensemble.

Discussion des articles

M. le président se dispose à mettre aux voix la motion de M. Destouvelles.

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) fait observer qu’avant de renvoyer le projet à la commission, il faut voir d’abord si la chambre adopte le principe de la loi qui se trouve dans les premiers articles.

- L’article premier est mis aux voix.

L’épreuve paraissant douteuse, on procède à l’appel nominal. Sur 77 membres, 34 se prononcent pour et 43 contre. Il est rejeté.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il est inutile de s’occuper des autres articles, puisque le premier est rejeté.

Proposition de nommer une commission pour examiner les conditions et la possibilité de résilier le marché Hambrouck

Discussion générale

M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion sur le marché Hambrouk.

Il donne lecture des conclusions de la section centrale qui tendent à la nomination d’une commission chargée d’examiner si, et jusqu’à quel point, le marché Hambrouk est onéreux au pays, et pour faire ensuite telle proposition qui serait jugée convenable.

M. Milcamps. - Messieurs, il n’est pas étonnant que la proposition de M. Jullien ait reçu dans les sections l’assentiment général, puisqu’elle tendait uniquement à la nomination d’une commission chargée d’examiner si, et jusqu’à quel point, le marché Hambrouk était onéreux au pays et s’il était susceptible de résiliation.

Cet assentiment général des sections n’élevait aucune présomption contre l’opération du marché Hambrouk ; car les présomptions sont des conséquences tirées d’un fait connu à un fait inconnu.

Or, nous ne connaissions pas le fait essentiel de ce marché, savoir : s’il était onéreux ; ce qui était subordonné à des évaluations, à des calculs.

Jusque là donc nous ne pouvions tirer la conséquence qu’il y eût, dans cette convention, erreur, imprudence ou fraude de la part des agents, ni si, pour ces causes, l’acte pouvait être résilié.

Aujourd’hui, messieurs, la proposition ne se présente plus dans les mêmes circonstances. Les réponses très amples de M. le ministre de la guerre, ont mis chacun de nous à même d’apprécier les faits du marché Hambrouk. Et telle est l’idée que je me forme de cette affaire que, si nous votions actuellement pour la proposition, nous présumerions nécessairement, et tout au moins, que l’imprudence ou l’erreur a présidé à l’opération du marché Hambrouk.

Envisagée sous ce point de vue, la question qui nous occupe est grave : aussi, messieurs, me suis-je fait un devoir de l’examiner avec une attention particulière.

Je serai, contre mon habitude, un peu long, et j’ai besoin de votre indulgence.

Lorsqu’on jette les yeux sur l’acte du marché Hambrouk, il est difficile de se défendre de cette impression : que les clauses et les conditions de cette convention sont toutes à l’avantage de l’entrepreneur.

Terme de la fourniture, quinze mois.

Prix de la rations des vivres de campagne, vingt-six cents.

Avance à l’entrepreneur, les 5, 10, 15, 20, 25 et le dernier jour de chaque mois, du sixième du montant de la fourniture du mois entier.

Paiement des fournitures immédiatement après la vérification des pièces.

Aucune réserve pour la résolution du contrat.

Mais, messieurs, j’attache et l’on doit, ce me semble, attacher peu d’importance à ces diverses stipulations. J’en excepte celle concernant le prix des fournitures ; car là est toute la question.

Si le prix stipulé devait élever nos dépenses à des sommes effrayantes et ruineuses, et qu’il y eût moyen, soit de résilier le contrat, ainsi que l’insinue l’honorable M. Jullien, soit de le rendre sans effet, comme l’insinue M. Lebeau, notre devoir, messieurs, nous obligerait à y avoir recours, et, en le remplissant, je ne croirais pas faire injure à M. le ministre de la guerre, dont, au milieu des embarras que lui a occasionnés la réorganisation de l’armée, la bonne foi et la religion auraient été surprises.

C’est sous ces différents rapports, messieurs, que j’ai examiné les questions qui se présentent.

Et d’abord le marché Hambrouk est-il onéreux au pays ?

Messieurs, nous ne pouvons méconnaître que ce marché, en date du 26 septembre, a été contracté dans une présomption de guerre, puisque l’armistice expirait le 10 octobre suivant. Bien des personnes s’attendaient, pour cette époque, à la reprise des hostilités, et le ministre se mettait en mesure à cet égard.

Assurément, si la guerre avait eu lieu, une hausse se dût fait sentir dans le prix des denrées ; on eût dû faire opérer de mouvements à l’armée ; l’entrepreneur eût été forcé d’avoir de grands moyens de transport, un nombreux personnel. Tout cela l’eût entraîné dans des frais considérables et extraordinaires, et, au lieu de faire des bénéfices, il eût peut-être éprouvé des pertes. C’était un marché à forfait, et nous ne devons pas perdre de vue que le ministre a posé en fait que, « de toutes les offres qui lui avaient été faites, celle du sieur Hambrouk était la plus favorable pour le gouvernement. »

Mais la guerre n’a point eu lieu, les denrées ont subi une baisse, l’entrepreneur n’a pas été assujetti à de grands frais ; enfin, il a fait des bénéfices qu’on évalue de 4 à 5,000 florins par jour.

Il y a de l’exagération dans ces calculs.

Sans doute, si, dans l’état de l’espèce de trêve dans laquelle nous sommes, l’on fournissait des vivres de campagne à toute notre armée, à raison de 26 cents la ration, sans doute, dis-je, la convention produirait au sieur Hambrouk des bénéfices considérables.

Mais en fait, et depuis le premier trimestre de la présente année, d’après les renseignements que j’ai recueillis, l’on ne fournit les vivres de campagnes qu’à environ 10,000 hommes répartis dans diverses localités.

L’entrepreneur fournit la ration de pain seulement, à raison de onze cents la ration, à 60 à 70 mille hommes répartis dans les différentes garnisons.

Sur la fourniture des vivres de campagne à environ 10,000 hommes, l’entrepreneur ne doit pas obtenir de produits bien importants ; car, dans le principe de la convention et d’après une présomption de guerre, il a dû établir un personnel nombreux qu’il a dû maintenir en partie, et cela même lui a occasionné des dépenses que ses bénéfices sur les rations des vivres de campagne peuvent à peine couvrir.

Sur la fourniture des rations de pain, l’entrepreneur, dans l’état de trêve, fait des bénéfices certains, et que, d’après les renseignements que j’ai recueillis, j’évalue à 2 cents 1/2 à 3 cents par ration.

Or, supposé 70,000 rations de pain chaque jour à 3 cents, cela donne un produit de 2,100 fl.

Mais n’oublions pas, messieurs, que c’est un marché à forfait qui a été contracté, puisqu’il s’y agissait d’une fourniture à faire à perte ou à gain.

La chance a été heureuse pour le sieur Hambrouk ; mais la chance était-elle probable à l’époque à laquelle le contrat a été passé ? je n’ose le prétendre.

Ne suffit-il pas, messieurs, que les avantages que retire le sieur Hambrouk ne soient pas les résultats immédiats de la convention, mais ceux de la fortune, pour que nous nous abstenions d’amères critiques sur cette affaire ?

J’ignore les données que présenteront mes honorables collègues sur le marché Hambrouk.

Mais supposons qu’ils le présentent comme onéreux au pays, par la faute de M. le ministre de la guerre, y a-t-il moyen ou de le résilier ou de le rendre sans effet ?

Messieurs, la convention intervenue entre M. le ministre de la guerre et le sieur Hambrouk est un acte d’administration dans les attributions du département de la guerre.

En effet, les fournitures des vivres et autres approvisionnements pour les armées de terre ont constamment été, depuis la publication dans ce pays de la loi du 10 vendémiaire an IV, jusqu’à ce jour dans les attributions de ce département.

Si le marché Hambrouk pouvait être considéré comme un traité grevant l’Etat, rentrant dans l’article 68 de la constitution, ce ne pourrait être que parce qu’en stipulant au-delà de l’annuité du budget, le ministre ou aurait excédé ses attributions, ou n’aurait pas procédé dans l’exercice de ses fonctions.

Mais alors la proposition de l’honorable M. Jullien impliquerait avec l’article 68 de la constitution ; car, dans ce cas, il ne s’agirait pas de faire résilier l’acte, mais la chambre devrait plutôt lui refuser son assentiment.

Mais, si l’on considérait le marché Hambrouk pour plus d’une année comme un traité grevant l’Etat, dans le sens de l’article 68 de la constitution, l’on devrait également considérer comme telle la location d’un bâtiment pour un service public, dont le terme excéderait une année. Cela ne serait-il pas absurde ?

Tenons donc pour constant que le marché Hambrouk est un acte d’administration dans les attributions du ministre de la guerre.

Mais les marchés que le ministre consent ne doivent être que l’exécution des lois qui règlent ses attributions, qui établissent le contingent de l’armée et le budget des dépenses.

C’est dans ces dispositions législatives que le ministre a dû trouver son mandat légal et forcé pour assurer la subsistance de l’armée.

Or, je remarque que des lois ont fixé l’état de l’armée pour l’année 1831, et le contingent pour l’année 1832 ;

Que, pour 1831 et pour le premier trimestre de 1832, nous avons voté des crédits provisoires, au moyen desquels le ministre de la guerre a eu à pourvoir aux besoins de son département.

Ainsi le ministre a trouvé dans les actes législatifs une autorisation suffisante pour faire opérer les fournitures nécessaires à la subsistance de l’armée.

Mais nous avons à rechercher ici si le ministre a procédé dans l’exercice de ses fonctions. Car, messieurs, l’Etat n’est lié par les actes de ses agents qu’autant qu’ils procèdent dans l’exercice de leurs fonctions.

Ainsi, si les actes des ministres sont soumis à des formalités essentielles, l’Etat, à défaut d’accomplissement de ces formalités, ne serait pas lié, parce qu’alors le ministre n’aurait pas procédé dans l’exercice de ses fonctions, mais il aurait substitué sa propre volonté à celle de la loi.

Par exemple, si le marché Hambrouk avait dû être passé par adjudication publique, point de doute que la résiliation ou la nullité n’en pût être prononcée.

Mais à cet égard existe-t-il des dispositions ?

Les seules que j’ai pu découvrir sont :

1° La loi du 21 avril, 7 septembre 1791, rappelée dans le code Merlin, d’après laquelle, en temps de paix, les fournitures de toute espèce, pour le service des armées de terre dans les garnisons et quartiers, doivent être faites par entreprises, en suite d’adjudication publique.

Cependant le ministre peut préférer des compagnies ; mais les conventions doivent être imprimées, et les seules clauses rendues publiques sont obligatoires pour la nation.

2° Un décret du 20 septembre, 14 octobre 1791, qui porte, article 6, que toutes les entreprises des fournitures militaires, excepté celles des vivres et des fourrages, doivent être laissées au rabais.

J’ai bien remarqué des dispositions d’après lesquelles les difficultés qui naissent avant la conclusion des marché doivent être décidées par le ministre, mais que celles qui naissent après la conclusion, relative aux droits privés, sont du ressort du conseil d’Etat ou des tribunaux.

Pour le temps de guerre, je n’ai trouvé aucune loi, aucun règlement sur le mode de faire opérer les fournitures pour la subsistance de l’armée.

Si, comme je le suppose, il n’existe point de règles, ne devons-nous pas tirer la conséquence que le ministre a pu traiter de gré à gré avec le sieur Hambrouk ? C’est mon opinion.

Mais des ministres pourront donc à loisir semer les abus, et ruiner le gouvernement ?

Messieurs, nous avons le vote du budget et l’accusation des ministres.

Ce sont, j’en conviens, de vaines et fragiles ressources.

Mais, enfin, ce sont les deux seules prérogatives que je puisse reconnaître à la chambre.

Quoi ! si, par impéritie ou par faiblesse, des ministres nuisent à la chose publique, s’il n’y a pas crime dans leurs faits nous n’aurons aucun moyen de prévenir ou d’empêcher leurs abus ? Messieurs, ce n’est pas ce que je soutiens : si, par exemple, vous vous prononciez, si l’opinion publique se prononçait contre le marché Hambrouk, vous pourriez faire valoir, auprès du Roi, les prières du peuple et les vôtres pour le renvoi au ministre.

Messieurs, ce n’est pas ce que je viens proposer, d’autant moins que, dans mon opinion, ce marché a été exécuté du consentement tacite de la chambre.

En effet, dans le rapport de votre commission, du 15 novembre 1831, sur la demande d’un crédit provisoire pour subvenir aux dépenses du département de la guerre, je remarque ce passage : « Un marché de subsistance récemment conclu à été l’objet de critiques nombreuses. M. le ministre s’est expliqué à cet égard, et il est doux pour votre commission d’avoir à ajouter que ses éclaircissements lui ont paru satisfaisants. Elle aime à croire que la chambre en jugera de même lorsque M. le ministre lui en aura fait part, ainsi qu’il en a manifesté l’intention. »

En suite de ce rapport, nous avons accordé le crédit provisoire ; nous en avons accordé depuis pour le premier trimestre de 1832.

Dirons-nous que nous ne connaissions pas les conditions du marché Hambrouk ? Mais, messieurs, on nous reprocherait avec juste raison que c’est notre faute, et cette réponse, je l’appréhende : cette exécution n’est-elle pas même une renonciation aux moyens et exceptions qu’on aurait pu faire valoir contre l’acte ?

J’ai réfléchi, messieurs, sur le marché Hambrouk ; je ne vois aucun moyen d’en obtenir la résiliation : inutile donc de nommer une commission.

Mais, et toujours dans la supposition que le marché soit onéreux au pays par la faute du ministre, un honorable membre, M. Lebeau, à insinué un moyen de le rendre sans effet ; mais il n’a pas dit qu’il fallait l’employer : c’est le refus du subside.

Le remède est un peu violent.

Refuser le subside ! Mais c’est là une ressource dangereuse et qu’il est impossible d’employer légèrement, à laquelle on pourrait, tout au plus, recourir s’il s’agissait d’empêcher une guerre injuste, désastreuse et ruineuse, que le Roi ou ses ministres, contre l’opinion générale, voudrait entreprendre. Mais refuser le subside à propos d’un marché onéreux, mais point ruineux, dans lequel on supposerait qu’un ministre aurait été entraîné par erreur, c’est ce que je ne puis comprendre, alors surtout que l’action de validité de la convention serait ouverte au sieur Hambrouk. Car, messieurs, le refus du subside ne peut jamais avoir l’effet de rompre ou d’anéantir un contrat qu’un ministre, dans le cercle de ses attributions et procédant dans l’exercice de ses fonctions, aurait passé avec un particulier. Car, j’ai déjà eu l’honneur de le dire dans une autre occasion, les engagements de la nation envers des particuliers ne sont pas moins sacrés que ceux des particuliers entre eux.

Gardons-nous, messieurs, de remettre ce point en question lors de la discussion du budget. La chambre a donné, dans cette circonstance, une preuve de sa sollicitude pour les intérêts de l’Etat. Je la conjure de ne plus s’occuper désormais que de notre organisation constitutionnelle, qu’à assurer au gouvernement son énergie et son activité. Songeons que, pendant que nous discutons sur des objets trop souvent étrangers à la liberté et à la sûreté, notre ennemi concerte peut-être ses vues et ses plans pour nous attaquer…

M. Osy. - (Voyez les discours). (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé dans les documents à notre disposition.)

M. Lebeau. - Je regrette, messieurs, de devoir interrompre une discussion aussi grave pour un fait personnel ; mais j’ai été directement attaqué, je dois avoir le droit de répondre. Messieurs, on a qualifié de tactique (expression, je le dis en passant, fort peu parlementaire) ce que j’ai dit dernièrement pour appuyer l’ordre du jour. Ce que j’ai dit m’était dicté par les paroles que venait de prononcer le ministre. Je ne sais si l’honorable membre assistait à la discussion, et s’il a écouté avec attention la défense du ministre de la guerre, devoir sacré d’un accusateur. Eh bien ! voici ce que disait M. le ministre :

« L’adoption de la proposition est une véritable mise en accusation ; c’est une présomption de culpabilité admise par la chambre, que je dois repousser de toutes mes forces. Ministre, je ne signerai jamais la résiliation d’un contrat passé de bonne foi ; ministre, je ne demeurerai pas sous le poids d’une accusation. Je préparerai, dans la retraite, des moyens qui sont sacrés dans la bouche d’un accusé, qui seraient des dénonciations dans celle d’un ministre, etc. »

Je demande si le résumé fidèle de ce passage n’est pas qu’il faisait de la question qui s’agite une question d’existence ministérielle. En m’accusant de m’être fait le compère du ministre de la guerre, M. Osy ne s’est-il pas, à son insu, rendu l’écho de certaines feuilles qui ont affecté de s’étonner d’un rapprochement subit entre M. de Brouckere et moi ? Je ne partage pas toutes les opinions de M. de Brouckere ; mais, ayant la conviction que c’est un homme d’honneur et de capacité, j’ai cru devoir ne pas me joindre à ceux qui l’attaquent. Je tiens peu compte, quand il s’agit d’examiner la conduite d’un homme public, de mes antipathies ou de mes sympathies. La possession d’un portefeuille, dans d’autres mains que les miennes, n’a rien qui m’offusque ou qui excite mon dépit. Je défends les actes, abstraction faite des personnes. Je ne crois pas qu'un ministre ne fasse jamais de fautes, tout le monde en fait ; c’est le sort de tous les ministres passés, présents et futurs. Je suis d’autant plus étonné de m’entendre accusé de tactique et d’une sorte de compérage, que j’ai l’habitude de mettre une entière franchise dans mes paroles. J’appelle par leur nom les hommes et les choses, et, si je parle de Pierre, je ne dis pas Paul, comme si je parlais de Guillaume, je ne dirais pas Charles. (Hilarité bruyante et prolongée.) Je désire que l’honorable membre puisse toujours en dire autant de ses propres actes et de son langage. (Agitation prolongée.)

M. de Robaulx. - Il faut que M. Osy réponde.

M. Osy. - Je demande la parole. (Hilarité générale). J’ai dit que c’était une tactique de M. Lebeau, parce que, messieurs, depuis quelques temps, M. Lebeau se croit la majorité de la chambre. (Nouvelle explosion d’hilarité.)

M. Lardinois. - (Voyez les discours). (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé dans les documents à notre disposition.)

M. Dumortier. - Messieurs, je croirais manquer à mon devoir si, dans une discussion aussi solennelle, je ne motivais mon vote, qui sera pour l’ordre du jour ; car, dans les sections, j’ai aussi voté pour l’envoi de la proposition à l’examen d’une commission. Mais aujourd’hui je puise la négative dans la situation actuelle du pays et dans la justification du ministre, qui me satisfait. Ce n’est pas que je prétende applaudir en tout au marché Hambourk ; mais, tel qu’il est, il serait souverainement imprudent de le résilier dans les circonstances actuelles.

Pour bien juger du marché qui fait le sujet de cette discussion, il faut se reporter au moment où il a été contracté. Rappelez-vous, messieurs, que sous ce ministère déplorable du général Dufailly, que vous avez voulu flétrir en adoptant le principe de l’enquête, l’armée manquait de vivres et de subsistances, et qu’elle fut forcée, pendant les désasres du mois d’août, de se nourrir de bruyères et de racines (hilarité générale), de boire de l’eau saumâtre, alors qu’elle était attaquée par l’ennemi. Déjà on vous l’a dit depuis longtemps, c’est bien plus dans le manque de vivres et de subsistances que dans le défaut de courage de nos soldats que réside la cause de nos désastres. A la suite de ces tristes événements, il y avait urgence d’organiser le service des vivres, et, l’honorable auteur de la proposition l’a reconnu lui-même, il fallait accepter les propositions qui se présentaient. C’est dans cet état de choses que le contrat a été passé : on devait reprendre les hostilités le 10 octobre, et des entreprises partielles étaient incompatibles sans doute ; mais pouvait-il en être autrement, lorsque, à chaque instant, l’entrepreneur pouvait être ruiné par la perte de ses magasins ? D’ailleurs, il résulte des renseignements les plus positifs que, jusqu’au jour où le sieur Hambrouk devint entrepreneur de l’armée, la nourriture du soldat était excessivement mauvaise, tandis que depuis lors elle n’a plus rien laissé à désirer. C’est là un point bien important pour le maintien de la discipine, si nécessaire au moment où les hostilités devaient recommencer.

Messieurs, l’honorable auteur de la proposition vous l’a dit, toute la question réside en ce que le marché a été de trop long terme. Pour moi, je ne saurais jamais croire que le marché est de trop long terme, aussi longtemps qu’une invasion est possible. Oui, si j’en crois mes propres prévisions, un mois ne s’écoulera pas sans que nous soyons attaqués par la Hollande. Dans de telles circonstances, le marché fût-il deux fois plus onéreux encore, il faudrait le maintenir, afin de ne pas exposer notre armée aux revers qu’elle a essuyés au mois d’août.

Maintenant, si vous renvoyez le marché à une commission, quel peut être le résultat d’une pareille démarche ? Ou bien elle l’approuvera, et alors vous aurez tenu l’armée en suspens, vous aurez affaibli le pouvoir exécutif et fortifié l’ennemi : voilà ce que vous aurez produit ; ou bien elle le désapprouvera, et alors que ferez-vous ? Déclarerez-vous que vous voulez le conserver ? Alors vous vous serez mis dans la plus fausse position dans laquelle assemblée délibérante puisse se placer ; car, en renvoyant le marché à l’examen d’une commision, la présomption aura été contre son maintien, et vous devrez reculer devant votre propre ouvrage. Déclarerez-vous que vous voulez l’anéantir ? Mais alors, en supposant que vous passiez au-dessus des graves questions constitutionnelles qui vous ont été signalées, vous vous trouverez sans entrepreneur ; vous aurez anéanti la confiance et nui à votre crédit ; vous aurez replongé l’armée dans la position où elle se trouvait au mois d’août, sans vivres, sans nourriture : et, n’en doutez pas, le prince d’Orange, qui épie tout ce qui se passe ici, profitera du désordre de notre armée pour venir nous attaquer. (On rit.) Oui ! messieurs, il faudrait qu’il connût bien peu ses intérêts pou ne pas nous attaquer en ce moment funeste. Un jour, un seul jour de manque de nourriture, peut suffire pour nous faire perdre tout le fruit de notre révolution.

Messieurs, dussé-je déplaîre à quelques personnes, je ne saurais m’empêcher de m’expliquer avec franchise envers celui qui a rendu au pays les plus grands services, et à qui seul nous avons dû d’avoir une armée ; je regarde sa retraite du ministère comme un grand malheur dans les circonstances où le pays se trouve placé, et lorsqu’il fait de la question qui nous occupe une question d’existence ministérielle, mon vote ne saurait être douteux. D’ailleurs, cette discussion affaiblit le gouvernement et donne de la force aux ennemis de la patrie, lorsque nous devrions rester unis pour les combattre. Lorsque l’épée est tirée, la plume est hors de saison, et les délibérations ne font que compromettre le sort des empires. Ainsi périt l’empire de Constantinople, parce que l’on délibérait plus que de combattre. (Hilarité générale et prolongée.) On délibérait, et le cimeterre des musulmans mit bientôt tout le monde d’accord. Et nous, quel moment choissisons-nous pour délibérer sur une question qui résume à elle seule l’existence de notre armée ? Alors que le prince d’Orange établit son quartier-général à nos frontières, et qu’il se dispose à nous attaquer, c’est alors que nous délibérons pour savoir s’il convient de résilier le marché qui assure l’existence de notre armée ? Rappelez-vous, messieurs, ces paroles célèbres, et qui s’appliquent si bien à l’époque actuelle : « Catilina est à nos portes, et vous délibérez ! »

M. Verdussen. - Messieurs, en réclamant un instant votre attention, mon but n’est pas d’accuser ou de défendre le marché Hambrouk : assez d’orateurs ont parlé sur cette matière et vous ont présenté tout ce qu’il fallait vous en dire ; peut-être même quelques-uns d’entre eux ont été au-delà. Mais, quand j’ai naguère entendu dire et répéter dans cette enceinte, même par M. le ministre de la guerre, que le vote que nous allons émettre, pour ou contre la nomination d’une commission, pouvait et devait être envisagé comme une accusation ou comme une déclaration positive de non-culpabilité de celui qui a contracté le marché, je me trouve obligé de déclarer à la chambre que, libre d’attacher à mon vote tel prix que j’entends lui donner, cette manière de voir n’est point la mienne et que, par le vote affirmatif que je me propose d’émettre, je ne veux autre chose que de confier à une commission, choisie avec soin, une question extrêmement délicate, dont je sens de plus en plus qu’un examen approfondi devient nécessaire ; conviction qui se raffermit chaque jour davantage, au fur et à mesure que les attaques et les défenses du marché se succèdent, soit dans cette enceinte, soit dans les feuilles puliques. Mon intention se bornant à ce résultat, j’ai désiré d’en instruire publiquement mes honorables collègues.

M. Jaminé. - Messieurs, il m’arrive rarement de vous ennuyer ; car je ne prends pas souvent la parole. Je pars de là pour réclamer le droit d’être écouté avec bienveillance. Je ne viens pas d’ailleurs escalader la tribune, pliant sous un in-folio de problèmes et de démonstrations ; il ne s’agit que de quelques courtes observations : bonnes, vous en jugerez ; impartiales, je l’affirme ; elles ont été faites à vingt lieues de l’atmosphère ministérielle, l’accès interdit à tout vain désir de vaine popularité.

Rien de moins rationnel, d’après moi, que de chercher à légitimer un abus, parce que le même abus existe chez le voisin, et rien de moins concluant dans une défense que la mauvaise humeur. Il m’importe donc peu de savoir qu’en Hollande un entrepreneur trouve sa fortune toute faite dans une seule entreprise, sans qu’il vienne à l’idée des gouvernants ou des gouvernés de s’en occuper ; et je suis tout fort peu touché de voir Paul-Louis Courrier nous menacer de l’extinction totale et prochaine de la famille des ministres. Pour juger d’un abus qu’on nous signale, ne sortons pas du pays, et ne nous laissons pas effrayer par un avenir qui est à un million de lieues de nous, surtout lorsque nous chantons et dansons tout près d’un avenir gros d’orages.

Jusqu’au mois d’août dernier, tout était désordre en Belgique. Je défie de citer une administration qui marchât avec régularité. L’administration de la guerre brillait en première ligne par son incapacité, son apathie, sa vanité et ses galons.

Le mois d’août nous amène des désastres et nous donne une dure leçon ; le département de la guerre en profite ; il apprend enfin que, pour n’être pas battu, il faut se défendre ; il faut des soldats qui aient de la discipline, de l’instruction et du pain.

Tout pressait pourtant : les Hollandais avaient prix goût aux promenades militaires, et ils ne cachaient pas leur dessein de nous rendre bientôt une nouvelle visite.

C’est en présence de ces menaces et de ces événements qu’un marché à long terme fut conclu pour la nourriture de l’armée.

Ce marché est accablant pour le pays, dit-on ; la presse s’en empare, les avertissements partent de tous les coins de cette enceinte, et nous voyons enfin quelque chose de positif. Une proposition est faite et déposée. On nommera une commission qui sera chargée d’examiner si le marché est effectivement onéreux, et s’il y a moyen de le faire résilier. La chambre doit ensuite décider sur le travail de cette commission.

J’aurais désiré qu’arrivé à ce point, le ministre qui a conclu le marché nous eût dit avec franchise. « Je ne crois pas m’être trompé ; mais, comme je ne suis pas infaillible, cherchez, et, si vous trouvez que le marché soit onéreux, ayez égard aux circonstances malheureuses dans lesquelles je me trouvais, et n’oubliez pas surtout les travaux immenses qui pesaient sur moi. » Et tout serait dit peut-être maintenant, car la franchise fait passer sur bien des choses, et le ministre n’aurait pas heurté le pouvoir le plus important pour l’Etat.

Mais le ministre ne suit pas cette ligne de conduite. Attaqué, il se défend, et, sans défense connue, il ne peut plus être question d’une commission ; c’est la chambre entière qui est cette commission, c’est la chambre entière qui va examiner sans intermédiaire.

Membre de cette chambre, j’ai examiné, et si je voulais parler sur des chiffres, mesurer du froment et éplucher une botte de paille, je démontrerais à l’évidence que le marché est très onéreux à la Belgique. Mais, n’est-il pas vrai que, si les fournisseurs étaient rares lorsque nous étions à l’apogée de notre gloire, alors que nous nous imaginions pouvoir faire trembler toute l’Europe, n’est-il pas vrai que les entrepreneurs étaient plus rares encore lorsque nous ne faisions plus trembler personne ? Oui, l’armée française nous avait prêté son appui et j’ai cru un instant qu’elle allait raffermir notre crédit ou du moins nous replacer dans l’état où nous étions auparavant ; mais j’ai changé d’opinion lorsque j’ai vu les Français reconduire poliment les Hollande jusqu’à la frontière, et lorsque j’ai entendu les tambours de la sainte-alliance battre le rappel.

Ces considérations m’engageraient à donner au ministre de la guerre gain de cause plein et entier, s’il pouvait m’expliquer pour quelle raison on a évité toute concurrence et pourquoi l’on a traité jusqu’au mois de décembre 1832 : la concurrence eût été une garantie pour la nation, pour la nation, pour la chambre et pour le ministre lui-même ; et, malgré mes recherches, je n’ai pas encore découvert la nécessité d’adopter aveuglément le protocole irrévocable du sieur Hambrouk. (On rit.)

Le ministre nous a dit : Expliquez-vous. Je le fais en déclarant que je flétris le marché, mais que je respecte le ministre qui l’a conclu. Mais après, quel est le but de la proposition ? quel sera le résultat de l’examen ? Si nous déclarons que le marché est onéreux et qu’il n’y ait pas de remède au mal, nous aurons perdu un temps précieux à nous disputer ; si nous déclarons qu’il est onéreux et qu’il y a moyen de le faire résilier, nous allons nous trouver en contact avec le gouvernement.

Si le gouvernement ne veut pas agir, point de milieu : il sera renversé ou la chambre sera dissoute, et on sait si ces secousses violentes ébranlent tout un pays.

Si le gouvernement agit au contraire, c’est parce que nous l’y aurons forcé, et alors nous aurons dépassé la ligne de démarcation que la constitution trace entre les divers pouvoirs de l’Etat ; et, pour le dire en passant, on craint que la constitution ne s’en aille. Songez qu’il n’y a pas de meilleurs moyens pour la faire partir que de confondre les pouvoirs : c’est la confusion des pouvoirs qui a brisé le trône de Charles X ; c’est pour avoir confondu les pouvoirs que le roi de Hollande ne règne plus à Bruxelles. Si les empiètements du pouvoir exécutif peuvent conduire à une révolution et à un changement de dynastie, les empiétements du pouvoir législatif sont bien plus dangereux ; ils conduisent à la guerre civile.

Mais, poursuivons, nous sommes devant les tribunaux. Si le marché est résilié, on nous reprochera à nous, pouvoir législatif et pouvoir chargé d’interpréter les lois, d’avoir exercé une funeste influence sur la magistrature. Si au contraire le marché est maintenu, le pouvoir législatif sera avili, et la chambre, n’en doutez pas, perdra cette influence morale qui fait toute sa force. Mais la proposition, dira-t-on, n’est plus intacte, la section centrale y a fait des changements, ; c’est par des voies constitutionnelles qu’il faut tâcher de résilier le marché.

Je comprends, il faut mettre le ministre en accusation et le marché tombera ; et sans doute, si plusieurs d’entre nous désirent qu’on dépouille devant le peuple les fortunes scandaleuses de ceux que la révolution a tirés de la boue et dont le luxe est un sanglant ouvrage à la misère publique, il faut s’arrêter ici et vous vous arrêtez ; car tous vous rendez hommage à la probité du ministre. Et convenons-en : pour soupçonner seulement, il faudrait admettre que, pour une pile d’écus, le plus honnête homme est toujours prêt à couronner par un crime un faisceau de vertus civiques. (Sensation profonde.)

Et la retraite du ministre ! Mais il y voit une flétrissure, et, s’il en est ainsi, je n’irai pas jusque là.

Lorsqu’on a voulu signaler les auteurs directs de ces pillages qui on désolé le pays, on a étouffé cette scandaleuse affaire : cependant ces hommes n’avaient rendu aucun service, ils avaient commis un crime, et un crime lâche ; car, lorsque les tribunaux étaient occupés à juger leurs dupes et leurs instruments, ils n’ont pas même eu le courage de dire : C’était nous.

Et lorsque vous avez ouvert une enquête pour signaler les désastres du mois d’août, ceux à qui nous devons tous nos maux, tous, le marché Hambrouk inclus, vous avez cloué le voile sur cette scandaleuse affaire ; et pourtant ces hommes n’avaient pas servi la Belgique, ils l’avaient déshonorée.

Et maintenant vous avez devant vous un homme qui a commis une faute, mais qui aussi a rendu des services au pays : je ne veux pas pour lui une enquête que vous n’avez pas vouu dans d’autres circonstances, et qui, d’ailleurs, ne conduirait à rien.

J’ai examiné avec attention le marché Hambrouk, et je dis au ministre qui l’a contracté : Je ne suis pas assez complaisant pour convenir que vous n’avez pas commis une erreur, mais je ne suis pas injuste non plus pour méconnaître ce que vous avez fait dans l’intérêt de la Belgique. Mais ce marché (car, s’il y avait un remède au mal, je ne le négligerais pas), ce marché, je ne vois pas la possibilité de l’anéantir. Je vote pour l’ordre du jour.

- Ce discours est suivi d’une assez longue agitation et de marques nombreuses d’assentiment.

- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !

- D’autres voix. - Non ! non !

- La chambre, consultée, décide que la discussion continue.

M. Jullien. - Messieurs, ce n’est pas sans une sorte de répugnance que je prends encore une fois la parole dans cette discussion ; mais je dois à la chambre, qui a adopté ma proposition dans les sections, de lui démontrer à elle-même qu’elle ne s’est pas trompée.

Messieurs, quand on s’attaque aux abus, on est à peu près sûr d’ameuter contre soi tous ceux qui en vivent. On a feint de se méprendre sur mes intentions ; je n’ai cherché, je n’ai demandé qu’un examen consciencieux, et on m’a prêté des sentiments hostiles contre la personne du ministre : vieille tactique à l’aide de laquelle on parvient presque toujours à faire d’un simple question de choses une question de personnes, et à jeter dans une discussion tout le désordre des passions.

Je le déclare hautement, je n’ai jamais eu et je n’ai encore d’autre but que de décharger le pays s’il est possible, et de relever le ministre lui-même d’un acte qui est peut-être le résultat de l’erreur, de la précipitation ou de la surprise, mais qui assurément se présente avec toutes les apparences d’un contrat illégal et excessivement onéreux.

Je viens maintenant aux observations que m’a fait naître une lecture attentive du discours de M. le ministre de la guerre. Je n’abuserai pas longtemps de vos moments.

Pour justifier apparemment la clandestinité du marché Hambrouk, M. le ministre débute par l’emprunt Rothschild, qui a été fait aussi à huis-clos et auquel il a pris une part active. Il vous sera loisible, messieurs, d’adresser à M. le ministre de la guerre, pour son opération de finances, vos félicitations quand le gouvernement vous rendra le compte qu’il vous doit de cet emprunt à 30 p. c. de perte ; mais, en attendant, je me bornerai à faire remarquer que l’exemple est mal choisi, parce que, pour l’emprunt Rothschild, c’est après une discussion sur l’opportunité de la concurrence qu’on a donné au gouvernement carte blanche pour contracter. Il a donc pu le faire à huis-clos ; et d’ailleurs, M. le ministre n’étant pas seul chargé de cette mission, il n’y a donc aucune conséquence à tirer de ce traité qui n’a rien de commun avec un marché de fournitures.

Vient ensuite une longue nomenclature d’objets d’habillement et d’équipement, sur lesquels M. le ministre prétend avoir faire de grandes économies, sans dire pourtant avec quel régime antérieur il établit la comparaison par la différence des prix.

Je veux bien admettre ces économies sur parole, mais je suis tenté de croire qu’elles sont dues à la publicité et à la concurrence ; il est donc à regretter que M. le ministre, qui a su apprécier si bien la bonté de ce système pour les effets d’équipement, n’en ait pas fait l’application lorsqu’il s’agissait des vivres.

Vous le voyez, messieurs, jusqu’à présent, M. le ministre est resté un peu loin de la question : on dirait qu’il a voulu faire une espèce de bilan, dans lequel il porte à son actif toutes ses économies sur l’habillement, pour compenser le passif des prodigalités qu’on lui reproche sur les vivres.

Enfin, nous abordons avec lui la question. J’ai dit, dans le développement de ma proposition, qu’en thèse générale l’Etat ne pouvait être grevé sans l’assentiment des chambres et qu’en vertu d’une loi, et j’ai invoqué l’article 68 de la constitution où ce principe est implicitement consacré comme il l’est encore dans d’autres ; mais, comme il est question dans ce même article de traités de paix, d’ailliance et de commerce, on en a très plaisamment conclu que j’avais pris le sieur Hambrouk pour une puissance ; cela prouverait, tout au plus, que nous ne sommes pas heureux en fait de traités avec les puissances ; mais cela détruirait-il le principe incontestable que j’ai posé ? C’est cependant avec de semblables pauvretés qu’on entend expliquer tout ce qu’il y a d’insolite ou plutôt d’extraordinaire dans le marché.

J’ai dit que le contrat qui a été déposé sur le bureau porte en tête : « Cahier des charges et conditions auxquelles le ministre fera adjuger, etc. » M. le ministre en convient, mais il prétend que le cahier que vous avez sous les yeux a été imprimé au nombre de 200 exemplaires, et qu’il était destiné à l’adjudication des vivres dans le Limbourg.

Et c’est par "économie" d’écriture qu’on en a fait l’emploi.

Messieurs, le cahier qui est sous vos yeux est le seul titre que les parties contractantes puissent produire. Ce titre est imprimé en entier, à l’exception de deux stipulations écrites à la main et qu’on a subsituées aux conditions d’usage concernant la faculté du gouvernement de résilier.

Je vous demande maintenant si on peut retrancher quelque chose de la partie du titre qui est imprimée ou qui est écrite à la main, sans dénaturer la convention ; je vous demande si, lorsque l’Etat qui traite par l’intermédiaire d’un ministre déclare dans le titre les « charges et conditions auxquelles le ministre fera adjuger, » ces charges et conditions ne sont pas essentiellement subordonnées à l’adjudication.

Si vous songez au fait qui est ici constaté, que toute notre légisaltion civile et criminelle n’admet comme règle générale, pour tout ce qui concerne les biens et les domaines de l’Etat, des communes, des hôpitaux, des mineurs, que les adjudications publiques, vous reconnaîtrez que, sous le rapport du fait comme du droit, la question n’est pas aussi futile que le pense M. le ministre, et qu’elle vaut tout au moins la peine d’être examinée.

Mais le ministre s’est-il trouvé dans un cas d’exemption ? N’a-t-il écrit plusieurs pages que pour démontrer l’urgence ? J’y répondrai en quelques mots. En fait de marchés, messieurs, l’urgence est le besoin du moment ; un marché d'urgence n’est donc pas seulement un phénomène, c’est un contresens, et tout le monde, je pense, sera d’accord avec moi qu’à aucune époque de la révolution on n’a pu dormir plus tranquille sur les projets de la Hollande qu’au mois de septembre dernier.

M. le ministre parle de soumissions d’autres entrepreneurs sur lesquelles il n’a pu, dit-il, s’accorder. Je suis autorisé à croire que, si on leur eût présenté les conditions qu’on a faites à Hambrouk, il n’y a pas un seul entrepreneur dans le royaume qui n’eût été disposé à traiter à de meilleures conditions pour l’Etat ; et ce n’est pas être téméraire que de dire que si à cette époque on eût publié ces conditions, on eût pû trouver des soumissions à 20 cents la ration.

Je crois encore que si on entendait tous les entrepreneurs qui à cette époque avaient traité ou étaient en mesure de traiter avec le gouvernement, leur langage pourrait bien ne pas s’accorder tout à fait avec celui de M. le ministre.

On s’est étendu sur les risques de l’entrepreneur et sur la baisse possible des grains.

Je crois très sérieusement que tout le risque que court ici l’entrepreneur, c’est de faire une fortune colossale ; mais j’ajouterai qu’il n’y a personne qui ne sache qu’après une bonne récolte, c’est presque toujours à coup sûr qu’au mois de septembre on spécule sur la baisse.

Je ne vous parlerai pas, messieurs, des prix et des bénéfices ; mon honorable ami M. Gendebien a pris sur lui cette tâche ; il s’en acquitte beaucoup mieux que moi, mais je doute fort que son arithmétique soit tout à fait d’accord avec celle de M. le ministre.

On a objecté, contre la nomination d’une commission, que c’était s’immiscer dans l’administration que d’examiner et de s’enquérir des actes du ministère.

Non, ce n’est pas sans raison que l’article 37 de la constitution vous accorde l’initiative des lois relatives aux recettes et aux dépenses de l’Etat. Dispensateurs de la fortune publique, vous en êtes aussi les gardiens : examiner, s’enquérir, ce n’est pas administrer, c’est contrôler ; et le contrôle vous appartient. Que devons-nous donc faire ici si nous n’avons pas le droit de prévenir ou d’empêcher les dilapidations des deniers publics, lorsque ce danger est à craindre ? Voyez, messieurs, ce qui se passe dans un pays voisin : le caissier Kesnet disparaît et laisse un déficit ; la chambre française nomme de suite une commission d’enquête et fait, de sa pleine autorité, toutes les investigations nécessaires pour découvrir la cause du déficit.

Si elle trouve les coupables, croyez-vous que le pouvoir lui manquera pour charger directement un procureur-général de faire les poursuites nécessaires ? Pensez-vous qu’elle s’arrêtera devant la crainte de s’immicser dans le gouvernement ou dans l’administration de la justice ? Et cependant, si enquérir est administrer, on peut dire avec la même logique que mettre en action les officiers du ministère public, c’est s’immiscer dans le pouvoir judiciaire.

Vous ne vous arrêterez pas, j’espère, à de pareils sophismes.

En résumé, messieurs, je ne vois dans le discours de M. le ministre que des allégations sans preuve, des comptes sans pièces à l’appui, des allégations vagues, des chiffres contredits par des chiffres. Comment donc pourriez-vous vous faire jour à travers une telle complication, si ce n’est au moyen d’une commission ?

Un dernier mot : si vous êtes convaincus que le marché n’est pas répréhensible, finissons-en, rejetez ma proposition, laissez Hambrouk et compagnie faire en paix leurs affaires, et occupons-nous des nôtres.

Si, au contraire, vous pensez que le marché a tout au moins les apparences d’un acte onéreux et illégal ; que, dans l’état de la discussion, il est impossible de se faire une opinion ; que rien ne justifie la prétendue urgence, vous serez conséquents avec vous-mêmes, et vous nommerez une commission.

M. Gendebien, dont le tour de parole est arrivé, annonce qu’ayant travaillé à des affaires sérieuses depuis sept heures du matin, il lui serait impossible de parler aujourd’hui.

- La suite de la discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à quatre heures et demie.