(Moniteur belge n°18, du 18 janvier 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure moins le quart.
M. Lebègue fait l’appel nominal.
M. Dellafaille lit le procès-verbal ; il est adopté.
M. Lebègue analyse les pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
M. de Woelmont s’excuse de ne pouvoir assister à la séance, à cause des élections de son district, et M. W. de Mérode., parce qu’il se trouve indisposé.
M. Goethals annonce qu’il est retenu par les travaux des conseils cantonaux de son district, et demande un congé de 8 jours, qui est refusé par la chambre.
M. Blargnies adresse au bureau une lettre ainsi conçue :
« Des occupations très multipliées, et la coïncidence du temps des audiences de la cour de justice avec celui des séances de la chambre, m’empêchent d’assister aux travaux de mes collègues. Depuis longtemps j’aurais donné ma démission, sans le besoin que j’éprouve de voir, avant ma retraite, le sort du pays définitivement fixé ; ce désir bien légitime serait satisfait, si la chambre daignait m’accorder congé jusqu’à l’arrivée des ratifications, si impatiemment attendue. Si elle croyait ne pas pouvoir adhérer à la demande, je la prierais de recevoir ma renonciation au mandat que les électeurs du Mons m’ont fait l’insigne honneur de me conférer.
« Agréez, etc.
« C. de Blargnies. »
- La chambre, consultée, accorde un congé à M. de Blargnies jusqu’au 31 de ce mois.
L’ordre du jour est la suite de la discussion de la loi sur les mines.
M. Barthélemy. - J’ai demandé la parole pour répondre à M. le rapporteur, et, ensuite, pour dire deux mots sur l’opinion de M. Nothomb.
M. Jonet a déclaré qu’il était frappé de l’injustice de la loi de 1810 à l’égard des propriétaires fonciers, et que, pour cela, il se sentait dans l’impossibilité de voter le projet. Mais de cette manière de raisonner, si peu législative, il résulterait que tous les droits relatifs aux mines seraient laissés en suspens. Et quelle est la question soulevée par le projet de loi ? C’est celle de savoir s’il n’y a pas lieu de substituer un conseil à un autre, pour ne pas entraver la marche d’une industrie très importante. Tout le monde doit convenir que ce remplacement est indispensable. D’ailleurs, est-il vrai, comme on l’a dit, que les propriétaires de la surface soient lésés par la loi de 1810 ?
Ici, l’orateur examine à son tour l’ancienne législation sur les mines, depuis les derniers temps de l’empire romain. D’après cette législation, chacun avait la liberté d’exploiter la mine avec l’autorisation des princes. Il cite l’opinion d’Heineccius, dont les ouvrages sont entre les mains de tous les élèves de l’école de droit, et qui dit que, tous les pays de l’Europe ayant été soumis au droit de conquête, toutes les choses d’intérêt public ont été laissées à la disposition des princes. Dans cet état de législation européenne, les propriétaires de la surface ne pouvaient exploiter une mine sans la permission des princes ou des hauts-justiciers de ceux-ci.
Il réfute ce qu’a dit M. Jonet pour Charleroy. C’est par erreur que M. Jonet a cru que les propriétaires fonciers exploiteraient librement la mine de leur terrain. Il fallait un permis du prince, et il y a des arrêts de conseils du Hainaut qui ont déclaré les concessions légalement faites irrévocables, tandis que ceux qui exploitaient sans titres ont été expulsés, même par la force armée.
Répondant à M. Nothomb, il dit que cet honorable membre a raisonné comme si le conseil d’Etat tout entier, sous l’empire, était chargé des affaires contentieuses, tandis qu’il y avait une section spéciale pour le contentieux, présidée par le grand-juge. Quand il s’agissait de concessions de mines, c’était la section de l’intérieur qui en faisait rapport au conseil d’Etat, et non la section du contentieux. On procédait donc administrativement ; ainsi rien ne s’oppose à ce que ces fonctions soient attribuées au pouvoir administratif.
Enfin, M. Barthélemy, examinant la question soulevée par M. Poschet sur la différence qui existe entre les mines de houilles et les mines de fer, pense qu’il y a lieu de faire attention à l’amendement de cet honorable membre, tendant à suspendre les concessions de mines de fer.
M. H. de Brouckere. - En lisant les conclusions de la commission que vous aviez chargée d’examiner le projet en discussion, en parcourant les motifs sur lesquels elles sont fondées, je m’étais figuré qu’elles ne devaient rencontrer que peu d’opposition, et qu’elles obtiendraient sans peine l’assentiment de la majorité de l’assemblée.
La discussion qui a eu lieu avant-hier m’a prouvé que je m’étais trompé. Plusieurs orateurs se sont élevés avec chaleur contre la demande d’ajournement ; quelques-uns soutenaient en même temps que le projet du gouvernement, tel qu’il est, d’autres exigeaient seulement qu’il subît de légères modifications.
Puisque le projet ministériel a des chances de succès, permettez-moi, messieurs, à moi qui le trouve inadmissible, de vous exposer à cet égard ma pensée en peu de mots.
On a vivement attaqué d’un côté, défendu de l’autre, la législation qui régit aujourd’hui les mines. Mon intention n’est pas de rentrer dans une discussion, qui certes n’était ni oiseuse ni déplacée puisqu’elle était nécessaire pour nous faire bien apprécier l’objet qui nous occupe, mais qui a peut-être été assez longue puisque, pour le moment, il ne s’agit point de réformer cette législation.
Je me bornerai donc à dire que, selon moi, les lois de 1791 et de 1810 présentent des vices nombreux ; que cette dernière surtout méconnaît et méprise par trop les droits des propriétaires ; qu’elle offre par trop de latitude et de facilité à l’intrigue, à la faveur et à l’arbitraire.
Des considérations d’intérêt général devaient, je le conçois, exercer une grande influence sur la législation des mines ; il s’agissait de concilier les intérêts de l’Etat et ceux des exploitants avec les intérêts des propriétaires du sol ; on pouvait donc modifier les droits de ces derniers, qui en général possèdent, comme on sait, le dessus et le dessous, usent et abusent, comme ils le jugent à propos. Mais il ne fallait pas les sacrifier entièrement ; il ne fallait pas permettre au pouvoir de les spolier sans nécessité, de les évincer de leurs champs, pour en gratifier un tiers de son choix, en ne suivant, à cet égard, pour règle que son bon plaisir.
La loi de 1810 n’a aucune considération pour les propriétaires, ou, si elle leur montre quelques égards, ils sont dérisoires comme l’a démontré (article 12) M. Barthélemy. Elle a pu paraître bonne, cette loi, au moment où elle a vu le jour : aujourd’hui, son injustice, ses imperfections sont saillantes pour tous ; peu de personnes du moins s’abstiennent à les nier.
J’émets, avec l’honorable M. Pirmez, le vœu qu’aussitôt que nos travaux législatifs les plus urgents seront terminés, soit le ministère, soit un membre de la chambre, présente un travail destiné à remplacer la loi du 20 avril 1810 ; c’est une chose de la plus haute importance pour un pays aussi fécond en mines que le nôtre, où elles sont une des principales sources de la richesse et de la prospérité publique.
En attendant, messieurs, on vous présente un projet qu’on appelle provisoire, et qui a pour objet de désigner une autorité qui remplacerait le conseil d’Etat ; car, vous le savez, c’est en conseil d’Etat que doivent être délibérés les actes de concession de mines, bien qu’ils ne soient signés que par le chef du gouvernement et un ministre. On vous propose le conseil des ministres, c’est-à-dire qu’on vous demande de supprimer la seule et dernière garantie qui restait aux propriétaires, aux inventeurs de mines, en un mot, à ceux qui croyaient avoir droit à la préférence pour l’obtention d’une concession. Il résulterait, en effet, d’une pareille loi qu’on ferait à l’avenir, pour les concessions de mines, ce que l’on fait pour tous les actes du gouvernement qui ont quelque importance. Le ministre que la chose concerne fera son rapport à ses collègues ; ceux-ci n’étant pas obligés d’avoir des connaissances spéciales sur la matière, s’en référeront à lui, et un arrêt, contresigné par ce même ministre, et en tête duquel se trouvera la formule : « Le conseil des ministres entendu, » pourra arracher au propriétaire son champ, à l’inventeur le produit de ses études et de son travail, pour enrichir arbitrairement qui ? peut-être, messieurs, un intrigant, qui n’aura d’autres titres que d’avoir arpenté les antichambres, flatté quelques employés subalternes, et connu l’art de tromper un ministre, qui, sans le savoir, aura ainsi commis une révoltante injustice.
Quand je parle ainsi des ministres, c’est que je sais qu’il est impossible qu’ils jugent ici en pleine connaissance de cause. Une demande en concession donne ordinairement lieu à une foule de demandes en concurrence, de réclamations, de mémoires, d’écrits de toute espèce. Comment voulez-vous que, occupés qu’ils sont chacun de la direction des nombreuses affaires qui sont de leur ressort, ils pèsent mûrement toutes ces pièces, dont une simple et superficielle lecture exigerait souvent plusieurs jours ? Ce sera donc un employé subalterne qui, en dernière analyse, sera investi du pouvoir exorbitant de refuser ou de conférer, selon son caprice, une propriété dont la valeur est incalculable.
On vous représente, messieurs, que ce n’est que d’une loi provisoire qu’il s’agit ; qu’ainsi, eût-elle-même des inconvénients, ils ne seront pas de longue durée. Le mot ne me séduit pas : on a vu des lois provisoires vivre beaucoup plus longtemps que leurs auteurs ; je ne veux donc pas m’exposer à voir un jour remettre, entre les mains d’hommes qui n’auraient pas ma confiance au même degré que les ministres actuels, la décision d’intérêts d’une importance aussi majeure.
Un honorable collègue, qui était ministre sous l’administration du régent, vous à dit, messieurs, que c’était de son plein droit que le conseil des ministres remplaçait le conseil d’Etat ; que l’on en avait jugé ainsi, du temps qu’il faisait partie du gouvernement. Il vous a fait entendre qu’il y avait donc en quelque sorte bonhomie au ministère de nous présenter un projet de loi qui, en résultat, ne contiendrait que la déclaration d’une chose simple et incontestable.
Nous savons, messieurs, que, du temps où l’honorable membre était au ministère, on a quelquefois tranché un peu légèrement des questions qui présentaient de graves difficultés, et qu’on ne l’a pas fait toujours dans le sens le plus constitutionnel. Je n’en fais de reproches à personne ; je sais apprécier les circonstances dans lesquelles on se trouvait alors. Mais aujourd’hui que ces circonstances ne sont plus les mêmes, aujourd’hui que notre constitution est en pleine vigueur et doit être rigoureusement exécutée, les ministres s’exposeraient à de fâcheuses conséquences s’ils s’arrogeaient imprudemment des attributions que la constitution ne leur accorde pas : si, par exemple, ils se figuraient réellement qu’ils remplacent à tous égard le conseil d’Etat, corps distinct du conseil des ministres, non seulement sous l’empire, mais encore sous le dernier gouvernement, où il y avait aussi un conseil des ministres organisé par arrêté royal.
Un autre orateur a soutenu une thèse dont l’étrangeté vous a sans doute frappés comme moi. Il nous a dit : « Si la loi du 21 avril 1810 est obligatoire, la chambre n’a pas le pouvoir, en paralysant l’action du pouvoir exécutif, de suspendre cette loi par voie indirecte ; car on ne peut faire indirectement ce que l’on ne peut pas faire directement. Or l’ajournement ne peut, selon moi, produire d’autre résultat que de paralyser l’action du pouvoir exécutif, d’empêcher ou d’arrêter l’exécution de la loi. » C’est ce qu’il a cherché ensuite à démontrer. Ainsi l’orateur soutient que nous n’avons pas le droit de refuser notre vote au projet actuel : mais alors pourquoi nous l’a-t-on présenté ? Pourquoi le discutons-nous ? On nous l’a présenté et nous le discutons parce que, dans l’état actuel des choses, le gouvernement est dans l’impuissance de faire droit aux demandes en concession de mines, et aux demandes en maintenue et en délimitation. On nous l’a présenté et nous le discutons parce que c’est au pouvoir législatif qu’il appartient de remplacer, par de nouvelles dispositions, les dispositions d’une loi que la force des choses a abrogée. Or, si les dispositions qu’on nous présente ne nous paraissent pas bonnes, nous avons sans doute le droit de les rejeter ; nous pouvons aussi en ajourner la discussion aussi longtemps que nous le jugerons convenable. Le système que je combats tendrait à établir que, quelle que soit la proposition du ministère, nous devons l’adopter parce qu’il s’agit de l’exécution d’une loi et que nous ne pouvons arrêter cette exécution ; système assurément inadmissible. Il n’y a ici, quoi qu’on en dise, aucune confusion de pouvoir ; et, s’il est vrai qu’il n’appartient pas à la chambre d’apprécier l’opportunité de chaque demande en concession prise à part, il est incontestable aussi qu’elle reste dans ses attributions, en examinant s’il ne serait pas opportun de refuser en général, soit définitivement, sot provisoirement, au pouvoir exécutif les moyens d’accorder de nouvelles concessions, et a fortiori si les mesures proposées par le gouvernement offrent des garanties suffisantes.
On vous a parlé de confier à une partie du pouvoir judiciaire l’examen des demandes en concession, parce qu’il s’agit ici d’une question de propriété à discuter entre les divers prétendants, et que les questions de propriété sont du ressort des tribunaux.
Il y a ici confusion d’idées.
Jamais les tribunaux ne confèrent la propriété ; ils reconnaissent et déclarent qu’elle appartient à tel individu, malgré que tel autre la lui contestait ; mais elle lui appartient en vertu de la loi que le tribunal ne fait qu’appliquer au cas litigieux. Il n’y a jamais le moindre arbitraire dans ses décisions ; il s’en tient à la loi, dont il explique seulement la volonté.
Si vous attribuiez au pouvoir judiciaire le droit de décider à qui des concurrents doit être donné la préférence, lors d’une demande en concession, vous lui donneriez le droit de conférer une propriété, et non de reconnaître à qui elle appartient. Ce ne seraient plus deux ou plusieurs individus qui se présenteraient devant un tribunal et soutiendraient contradictoirement que, d’après la loi, ils ont tel ou tel droit sur l’objet en contestation ; ce seraient des individus priant le tribunal, chacun de son côté, de lui faire, de préférence à ses compétiteurs, donation d’une propriété qui, jusque-là, appartenait à la nation ou n’appartenait à personne. Et remarquez que la décision serait toujours arbitraire, puisqu’elle aurait pour fondement l’article 16 de la loi du 20 avril 1810, qui est ainsi conçu : « Le gouvernement juge des motifs ou considérations d’après lesquels la préférence doit être accordée aux divers demandeurs en concession, qu’ils soient propriétaires de la surface, inventeurs ou autres. »
Ainsi le tribunal n’aurait aucune base fixe pour asseoir sa décision, et il serait impossible qu’elle ne devînt plus ou moins le résultat de la faveur ou de considérations étrangères à la justice distributive. Vous auriez donc détourné le pouvoir judiciaire de la mission qui est la sienne ; vous lui auriez confié des attributions tout à fait nouvelles, et qui ne pourraient, sans danger, s’allier à celles qui lui appartiennent.
Si le projet ministériel est mis aux voix, je lui refuserai mon vote ; je voterai pour l’ajournement ou pour le renvoi du projet à la commission, qui serait chargée de nous en présenter un nouveau. Il me paraît qu’il serait fort facile de remplacer le conseil d’Etat par une commission ad hoc, qui serait composée de manière à offrir aux intéressés toutes les garanties désirables. Je me réserve, quand le temps sera venu, de présenter, s’il y a lieu, tel amendement que je croirai de nature à satisfaire le mieux à toutes les exigences.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Le projet de loi que vous a présenté mon prédécesseur a été rédigé avec une circonspection digne de remarque. On s’en convaincra en lisant l’exposé des motifs et l’article unique qui le compose. Il demande simplement que le conseil des ministres soit investi provisoirement des attributions du conseil d’Etat, en ce qui concerne l’exécution de la loi du 21 avril 1810 et des règlements en vigueur sur les mines ; et, dans l’exposé des motifs, il indique suffisamment que le gouvernement s’occupera de la révision de la loi de 1810, aussitôt que les circonstances le permettront. Comment se passeront les choses si le projet dont il s’agit est adopté ? A qui seront soumises les affaires relatives aux concessions des mines ? D’abord au corps électif de la province, composé en grande partie de propriétaires ; ensuite au conseil des mines, composé de membres choisis par les chambres de commerce et de personnes prises parmi les corps d’ingénieurs. Il me semble que ces deux corps remplaceront suffisamment le conseil d’Etat, en ce qui concerne les garanties que réclame la propriété foncière. A propos du projet du gouvernement, on a attaqué la loi de 1810 elle-même sur trois points principaux : 1° pour ce qui touche les mines de fer ; 2° pour l’indemnité allouée au propriétaire ; 3° et pour l’étendue de la concession.
Quant à la concession des mines de fer, l’orateur dit que les causes militant en faveur de cette concession sont les mêmes que pour les mines de houilles. Quand les propriétaires ne peuvent pas exploiter la mine eux-mêmes, il faut bien que cette richesse ne reste pas enfouie dans la terre. Les mines cessent de faire partie de leurs propriétés, quand ils n’en peuvent faire aucun usage.
D’ailleurs, leur droit de propriétaires a été respecté par la loi, puisqu’elle a consacré le principe de l’indemnité. Cette indemnité, il est vrai, est très minime ; mais il faut remarquer qu’il y a très peu d’extracteurs de mines qui s’enrichissent et que la plupart se ruinent. Ainsi, l’on a tort de dire que les propriétaires de la surface sont sacrifiés aux exploitants. Cependant, on ne peut se dissimuer que l’indemnité ne soit quelquefois illusoire ; mais, pour pouvoir fixer une évaluation plus équitable, il faut consulter les corps des ingénieurs, les besoins du commerce et de la justice, et cela rentre dans les attributions du pouvoir administratif. S’il fallait recourir à l’autorité judiciaire, il y aurait des obstacles immenses, et les propriétaires seraient dégoûtés par les lenteurs et les difficultés.
En troisième lieu, s’il y a eu abus de concessions, loin que ces abus proviennent de la loi de 1810, ils sont contraires à son texte et à son esprit.
L’orateur combat en terminant la proposition d’ajournement, et il pense qu’en adoptant le projet, on mettra le gouvernement à même de satisfaire, sans inconvénient, à tous les besoins, en attendant que les circonstances permettent de réviser la loi, révision qui exigera beaucoup de peine et de temps.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, je ne viens pas m’opposer au projet de loi en discussion, et refuser d’accorder au conseil des ministres les attributions dévolues au conseil d’Etat en matière de concessions ; mais, cet objet étant d’une grande importance pour les provinces wallonnes, je crois pourvoir me livrer à quelques considérations à cet égard.
Dans la séance de samedi dernier, la loi du 21 avril 1810 a été envisagée de diverses manières : les uns la regardent comme un chef-d’œuvre, tandis que d’autres la critiquent amèrement. Je pense, comme notre honorable collègue M. Jonet, que cette loi offre d’excellentes dispositions, mais que plusieurs autres peuvent et doivent être changées, surtout en ce qui concerne les droits des propriétaires de la surface, qui devaient être réglés d’une manière plus équitables. La nécessité de réviser l’ensemble de la législation sur les mines le fait sentir depuis longtemps : déjà, sous l’ancien gouvernement, une commission avait été constituée à cet effet.
L’assemblée des états provinciaux de Namur, dont j’avais l’honneur de faire partie, présenta une adresse au roi dans la session de 1829, dans laquelle elle demandait que, « dans la nouvelle législation sur les mines, on voulût prendre en sérieuse considération les intérêts des propriétaires de la surface. »
Les observations que je fais en ce moment ont donc pour but de prier le ministère de ne pas perdre de vue que, si réellement il est nécessaire de réviser les lois existantes sur les mines, on ne doit accorder de nouvelles concessions qu’avec une extrême réserve : il serait temps que d’autres titres que la faveur seule pussent prévaloir. On sait l’abus qui a été fait des concessions pendant les dernières années de l’ancien gouvernement ; abus qui ont été jusqu’à accorder dans une société, à un ministre qui était un des grands actionnaires, si toutefois il n’était pas le prête-nom d’un plus haut personnage, la concession de provinces entières.
Si le même état de choses se fût prolongé, on eût dû finir par faire sa profession de foi politique au bas de sa demande en concession, car on n’en accordait guère aux signataires de pétitions.
Je partage, en grande partie, les opinions de M. Pirmez en ce qui concerne les petites concessions de terre-houille. Autrefois, comme il vous l’a dit, du temps même de la féodalité, la position des habitants était plus heureuse. Je sais que l’on objecte que l’intérêt général exige que les exploitations soient bien dirigées pour ne pas nuire à d’autres, et empêcher que des travaux importants ne puissent s’effectuer dans l’avenir : aussi ne voudrais-je nullement les soustraire à la surveillance de l’administration des mines. Et que l’on ne me dise pas que cela est impossible : quand MM. les ingénieurs cesseront d’être un objet de terreur pour les petits exploitants, et prendront le soin de les diriger, cela deviendra très possible. J’en ai à citer un exemple bien honorable dans la province de Namur, et je saisis cette occasion de rendre hommage à un fonctionnaire aussi distingué par ses talents que par ses vues bienfaisantes. Loin, comme quelques autres, d’abreuver les petits exploitants de dégoûts, M. Cauchy, ingénieur des mines de cette province, a pris à cœur leurs intérêts : il dirige leurs travaux à leur avantage, comme ceux de l’administration ; il est sévère, mais juste. J’ai souvent ouï les houilleurs et les petits houillers dire qu’ils le regardaient comme leur bienfaiteur.
Je pense donc que le gouvernement, dans la nouvelle loi, doit chercher à concilier les intérêts des petits particuliers, sans nuire aux grands travaux, qui ne peuvent être exécutés que par de gros capitalistes.
Je ferai aussi observer qu’il est d’une bonne administration et dans l’intérêt général de ne pas accorder un grand nombre de concessions aux mêmes individus, mais de favoriser les petites sociétés charbonnières qui, ne pouvant attendre longtemps la rentrée de leurs fonds, empêchent le monopole, et maintiennent le charbon de terre à un prix modéré.
Je voterai pour le projet en discussion si, toutefois, l’amendement proposé par M. Poschet, qui en excepte les mines de fer, reçoit l’approbation de la chambre.
Je crois, enfin, messieurs, qu’après avoir fait, sans doute, beaucoup pour les intérêts moraux de la nation, le moment est venu de nous occuper de ce qui tient au bien matériel, par l’établissement de bonnes lois financières et industrielles, et que c’est peut-être moins dans celles de l’empire français et du dernier gouvernement, qui tendaient toujours à la centralisation, que nous devons chercher nos inspirations, que dans les anciennes lois et coutumes communales et provinciales des temps qui ont précédé la réunion à la France.
M. Jullien. - Si la question des mines n’était pas par elle-même très importante, elle aurait acquis un très haut degré d’intérêt et de gravité par la question de propriété qui s’y rattache. On a invoqué avec chaleur le droit sacré du propriétaire foncier ; on a expliqué que le dessus emportait le dessous ; enfin l’on a critiqué la loi de 91 et de 1810. Dans le droit civil, le propriétaire a, incontestablement, le droit d’user et d’abuser de son terrain ; il est encore certain que la propriété du sol emporte le dessus et le dessous ; mais il faut bien remarquer que ces droits ont leur limite. Cette limite se trouve dans la restriction posée par l’article 544 du code civil, qui dit que « les propriétaires exercent leurs droits, en ce conformément aux lois et règlements sur l’usage et l’exercice de ce même droit. » Voilà la limite : par exemple, vous ne pouvez faire sur votre terrain une construction qui nuise à votre voisin, bien que votre droit de propriété soit absolu ; vous ne pouvez y chasser sans autorisation de l’administration, comme vous ne pouvez le convertir en tourbière ou en carrière sans la permission exigée par les lois de police.
La loi de 91 a consacré tous ces principes ; je la propose même comme modèle à ceux qui ont la manie de vouloir faire des lois nouvelles, et qui ne pourraient atteindre à la perfection de celle dont il s’agit. Elle portait que les mines métalliques ou non-métalliques ne seront expoitées que sous l’autorisation et avec le consentement du gouvernement. Du reste, elle permettait au propriétaire de creuser son terrain jusqu’à cent pieds de profondeur ; il devenait exploitateur de la mine quand il le demandait : s’il ne le demandait pas, on accordait la concession à un autre, pour ne pas laisser enfouie dans la terre une des richesses du pays ; mais, par un princpe d’équité, elle accordait au propriétaire non exploitant lui-même une indemnité. Toutefois, ce que je dis de la loi d’avril 91, je suis loin de le dire de celle du mois d’avril 1810. Tout le monde doit reconnaître que cette dernière loi a évidemment méconnu le droit de propriété ; car, d’après ses termes, le propriétaire n’a plus la faculté de fouiller son terrain : ce droit est transporté au gouvernement, et c’est aussi le gouvernement qui est l’appréciateur de l’indemnité. Aussi mérite-t-elle les critiques qu’elle a subies. Lisez et comparez les deux lois, messieurs, et vous verrez facilement qu’elles ont été dictées sous l’influence de circonstances différentes. Dans celle de 91, on retrouve les vues régénératrices de l’assemblée constituante et son respect pour le droit de propriété ; dans celle de 1810, vous retrouvez l’influence de la volonté impériale, le désir de centralisation, et l’empreinte d’un despotisme presque oriental.
Je pense donc que cette loi ne peut pas être exécutée. D’ailleurs, une fin de non-recevoir contre son application se puise dans l’article 11 de notre pacte fondamental, qui porte que « nul ne peut être dépossédé de sa propriété sans une juste et préalable indemnité. » Il est incontestable que cette partie de la loi, qui n’accorde au propriétaire qu’une indemnité illusoire, est virtuellement abrogée par la constitution. Je pense donc que, sous ce rapport, vous ne pourriez jamais la mettre à exécution.
J’arrive maintenant au projet du gouvernement : je suis fâché de le dire mais ce projet, selon moi, se ressent de la précipitation et de l’irréflexion. L’article unique tend à substituer au conseil d’Etat le conseil des ministres. Pour vous prouver combien il est vicieux, il faut rapprocher ce qui se passait, non pas en 91, je ne remonte pas si loin, mais même sous le gouvernement impérial, de ce qui se pratiquerait aujourd’hui. Sous l’empire, messieurs, la réclamation du propriétaire était portée devant le conseil d’Etat ; elle était publiée. Il y avait ensuite requête de l’avocat du réclamant ; enfin des débats contradictoires s’établissaient en présence du conseil d’Etat, et c’était après toutes ces formalités qu’intervenait la décision. Il est à remarquer, en outre, que ce conseil, composé d’un grand nombre de membres, renfermait des hommes spéciaux sur toutes les matières.
Eh bien ! est-ce dans les cinq hommes du ministère (je ne nie pas d’ailleurs leur capacité), mais est-ce dans ces cinq hommes que vous trouverez l’homme spécial des mines ? Ensuite, comment remplacerez-vous les avocats qui présentaient les requêtes et les garanties du débat contradictoire ? D’un autre côté, quand le gouvernement sera intéressé dans la question, il sera donc juge et partie en même temps. Quoi ! c’est le gouvernement qui se ferait à lui-même un rapport et qui statuerait sur son propre rapport ! C’est une prétention, je ne dirai pas absurde, parce que ce mot n’est point parlementaire, mais tout à fait extraordinaire. Mais, va-t-on me dire : qu’allons-nous faire ? Je pense, messieurs, que vous avez à rejeter le projet, s’il n’est pas retiré, ou bien à améliorer par un amendement qui y introduirait les principes que j’ai posés. On a proposé de renvoyer la loi à une commission ; mais, si le projet n’est pas retiré, nous serons obligés toujours de le discuter, et cela ne sera que nous retarder encore. Il me semble que, si l’on avait pris pour base la loi de 91, et qu’on l’eût combine avec les exigences du droit de propriété, on aurait fait une bonne loi qui n’aurait pas été susceptible d’une longue discussion et qui maintiendrait le principe des concessions des mines métalliques ou non-métalliques par le gouvernement. Quant à celle en discussion, je la rejetterai si elle n’est amendée dans le sens que j’ai indiqué.
M. Milcamps. - Messieurs, y a-t-il lieu, conformément aux conclusions de la commission, à ajourner la discussion du projet de loi tendant à investir provisoirement le conseil des ministres des attributions du conseil d’Etat en matière de mines ? Telle est la seule et unique question à l’ordre du jour.
Dans mon opinion, c’était une question de principe qui touche à la constitution, puisque l’ajournement doit avoir nécessairement pour résultat de suspendre la loi du 21 avril 1810, ce qui ne me paraît pas être dans la puissance seule d’une des trois branches du pouvoir législatif.
Il ne paraît pas que mes paroles aient fait une forte impression sur cette assemblée, car presque tous les orateurs entendus jusqu’à ce moment n’ont pas considéré la question sous le même point de vue ; ils se sont principalement attachés, pour soutenir l’ajournement ou le faire rejeter, à disserter sur la loi de 1810, à l’examiner sous le rapport de ses dispositions bonnes ou mauvaises.
Un seul orateur, l’honorable M. Jonet, a exprimé l’opinion que, si l’action du pouvoir exécutif se trouvait paralysée, si la loi de 1810 restait suspendue, ce n’était point par le fait de l’ajournement, mais par la suppression du conseil d’Etat.
Cet argument n’est que spécieux ; car l’objet du projet de loi tend précisément à suppléer le conseil d’Etat, et ainsi à donner le moyen de rétablir l’action du gouvernement ; et ce moyen, c’est une des trois branches du pouvoir législatif, réunissant le pouvoir exécutif, qui vous le propose, et qui se décharge d’une responsabilité morale envers une masse de citoyens, qui ont des droits à une responsabilité qui vous est renvoyée, qui pèse maintenant tout entière sur vous, et que vous acceptez.
Mais le système est changé, a dit l’honorable M. de Brouckere. Oui, sans doute, il serait changé si je ne disais pas que c’est par une voie détournée, indirecte, que l’on arrête l’exécution de la loi.
Mais enfin, puisque la question a été particulièrement traitée dans ses rapports avec les lois de 1791 et 1810, c’est aussi sous ce point de vue que je vais l’examiner.
Les partisans de l’ajournement ont fait une critique amère de la loi de 1810 ; mais, si elle était aussi défectueuse, aussi injuste qu’ils cherchent à le démontrer, encore ne devrait-on pas la suspendre par le moyen qu’on adopte ; il faudrait faire une proposition directe, qui passerait par la filière de toutes les branches du pouvoir législatif. L’honorable M. Pirmez trouve particulièrement l’injustice de la loi dans l’atteinte portée au droit de propriété. Mais la loi de 1810 respecte ce droit de propriété ; car la concession n’est accordée que moyennant indemnité, et à l’égard des terrains où le minerai se trouve confondu avec la terre végétale, ou tellement épars à la surface qu’il faille nuire à la culture des champs pour l’obtenir. Dans ce cas, les exploitants doivent nécessairement s’arranger avec les propriétaires des terrains, de manière à indemniser, outre le prix de la concession, du tort que l’extraction causera à la surface ; car c’est là un dommage pour lequel l’action est ouverte devant les tribunaux. Ainsi point d’atteinte à la propriété. Ce qu’il ne considère point, c’est que les mines ne sont pas une propriété ordinaire, qu'il s'agit là de droits mélangés avec l'intérêt national, à ce point qu'il peut y avoir nécessité de sacrifier ce droit ou de le convertir en indemnité. Tout ce que le législateur peut faire de plus sage, c’est de préciser le cas où le sacrifice emportera indemnité.
Ces principes ont été consacrés par toutes les législations du dernier siècle.
Voici comme s’exprimait le conseiller d’Etat Regnaut de Saint-Jean d’Angely, séance du 13 avril 1810 :
« Selon l’ancien droit romain, le propriétaire de la surface l’était de toutes les matières métalliques renfermées dans le sein de la terre.
« Depuis, et sous les empereurs, on put exploiter des mines dans le fonds d’autrui, puisque la loi régla la redevance à payer dans ce cas. Elle était d’un dixième au profit du propriétaire, et d’un dixième au profit du fisc.
« Dans la partie septentrionale de l’Europe, le droit des propriétaires, la prétention des seigneurs, l’intérêt de l’exploitation, ont été les mobiles divers qui ont dirigé la législation.
« Mais le résultat auquel on est arrivé dans le dernier siècle est presque uniforme dans les Etats voisins.
« En Prusse, l’ordonnance de 1772 réserve au domaine le droit d’exploiter ou de concéder toutes les mines. La concession réserve un droit au propriétaire du sol.
« En Hongrie, l’ordonnance de Maximilien désigne toutes les mines comme « biens de la chambre royale », et défend d’en ouvrir sans l’autorisation du souverain.
« En 1781, l’empereur Joseph, dans son règlement sur les mines, consacre formellement le même principe.
« En Bohème, le droit régalien, également consacré, a été cédé aux Etats, à la charge d’accorder des concessions, ainsi qu’il est dit à l’article 1er de l’ordonnance de Joachimisthal.
« En Autriche, l’ordonnance de Ferdinand établit le même principe qu’en Hongrie.
« En Saxe, la loi distingue les mines des houilles des autres mines. Celles-là ne sont pas sujettes au droit régalien qui est établi pour toutes les autres ; cependant nulle exploitation, même les houillères, ne peut avoir lieu sans la permission et la concession du souverain.
« En Hanovre, en Norvège, la loi dispose comme l’ordonnance de Joachimisthal.
« En Suède, pays que la nature semble avoir voulu consoler par ses richesses minérales d’être si maltraité sous d’autres rapports, toutes les mines appartiennent à la couronne.
« En Angleterre, le droit d’entamer la surface du terrain, non seulement pour exploiter les mines, mais encore les carrières, se nomme « royalti » et appartient au souverain.
« En Espagne, les mines sont considérées comme propriétés publiques. »
On tenait pour constant en France, avant la loi de 1791, que les mines étaient une propriété domaniale ; mais M. Merlin prouve très bien que ce n’était qu’une faculté de disposer en indemnisant.
Vous connaissez, messieurs, les dispositions de cette loi de 1791 ; vous connaissez aussi celles de 1810.
Beaucoup d’orateurs entendus semblent accorder une préférence à la loi de 1791 sur celle de 1810. Cependant celle-ci n’a été provoquée que parce que celle de 1791 était imparfaite, inexécutable.
D’abord, on faisait observer que l’article premier de la loi de 1791 mettait les mines à la disposition de la nation, ce qui supposait que le gouvernement en disposerait selon l’intérêt de la société ; et l’article 3 attribuait une préférence aux propriétaires de la surface, ce qui excluait pour le gouvernement la liberté de disposition. Puis venait l’article 10 qui subordonne le droit des propriétaires à l’examen de leurs moyens d’exploitation, c’est-à-dire fait réserver l’exercice d’un droit positif de la décision arbitraire d’un fait.
Ainsi l’auteur du rapport, dont j’ai extrait ce qui précède, faisait remarquer que cette loi, dans les premières années, était presque inexécutée et que les mines, dans toute la France, sans surveillance, sans activité, pour ainsi dire sans produits, lorsque le comité du salut public créa, en l’an II, une administration des mines.
Cette institution du conseil des mines fut spécialement l’ouvrage de ce Fourcroy, que les arts et les sciences regrettent encore.
Mais, ajoute encore le conseiller d’Etat, l’imperfection de la législation de 1791 offrait tant d’obstacles, tant de lacunes, plus sensibles encore depuis la réunion des départements voisins de l’Escaut et du Rhin, que le ministre de l’intérieur essaya de remédier aux embarras sans cesse renaissants, en publiant, le 18 messidor an IX, une instruction fort détaillée, réglant un grand nombre de cas non prévus, et modifiant par de nombreuses interprétations les dispositions positives de la loi de 1791.
C’est cependant à cette loi de 1791 qu’on semble donner la préférence, tandis que celle de 1810 a été demandée par l’opinion générale et n’a été portée qu’après avoir été examinée dans de longues conférences, et après que les hommes les plus éclairés en métallurgie eurent été entendus.
Mais pourquoi cette préférence ? C’est parce que l’article 3 de la loi de 1791 accordait une préférence au propriétaire de la surface. Mais un article de la loi de 1810 autorise aussi le propriétaire à faire des recherches ; et, s’il offre les moyens d’une bonne exploitation, il peut obtenir une concession.
Messieurs, gardons-nous de prononcer légèrement sur des matières qui sont toutes spéciales, et qui ne peuvent être bien appréciées que par les hommes qui y ont acquis des connaissances positives. Je ne dis pas que la loi de 1810 n’est pas susceptible d’améliorations ; mais on en exagère les vices, et le mieux que jusqu’ici nous puissions faire, c’est d’adopter une loi qui supplée le conseil d’Etat.
Mais un honorable membre, M. Nothomb, pense que le conseil des ministres ne peut être assimilé au conseil d’Etat de l’empire : il a raison, mais ce n’est pas ce que le projet de loi propose. Il propose simplement, du moins tel que le projet a été amendé, d’investir le conseil des ministres des attributions du conseil d’Etat en matière de mines ; et il faut ici entendre le dernier conseil d’Etat, qui n’était appelé qu’à donner son avis. (Voyez l’arrêté du 15 septembre 1818). Un autre orateur, l’honorable M. Gendebien, exprime le désir que les questions sur les mines soient déférées à l’une des chambres des cours de Liége ou de Bruxelles. Mais la proposition de M. Gendebien, pour être comprise, a besoin d’être développée ; car une foule de questions en matière de mines sont de la compétence des tribunaux et doivent subir les différents degrés de juridiction. Mais il ne s’agit ici que du titre de concession, et le pouvoir administratif me paraît être celui auquel on doit attribuer le droit de concéder, c’est-à-dire que c’est le pouvoir administratif qui doit préparer la décision royale à cet égard.
Il paraît s’élever contre le pouvoir administratif un préjugé qui semble gouverner beaucoup de membres de cette chambre. C’est cependant le plus ancien des pouvoirs, et c’est peut-être là son malheur. Mais je soutiens qu’en matière de mines, et en général toutes les fois qu’il s’agit d’exiger des citoyens un sacrifice dans l’intérêt général, le pouvoir administratif est plus à même qu’un tribunal, dont les jugements sont déclaratifs et non attributifs des droits de propriété, d’examiner les intérêts de localités, d’ordonner des informations de commodo et incommodo, de faire dresser des procès-verbaux, d’appeler les lumières des personnes qui ont des connaissances en métallurgie. Je le demande, un tribunal pourrait-il, sans nuire à la justice ordinaire, s’occuper de pareils détails ? Assurément, non.
M. Leclercq, dont le tour d’inscription est arrivé, renonce à la parole.
M. Gendebien. - Je n’abuserai pas longtemps de vos moments, messieurs. Il ne s’agit pas maintenant de réviser la loi de 1810. Pour avoir une bonne loi sur les mines, qui concilie l’intérêt des propriétaires de la surface et celui de l’industrie générale, il faudra qu’elle soit lentement élaborée dans le silence du cabinet, pour qu’elle soit publiée afin que tous les intéressés puissent apporter dans la question tous les éclaircissements nécessaires. Eh bien ! il se passera huit mois avant qu’un tel travail soit achevé. Or, je demande si vous pouvez laisser en suspens, pendant un espace de temps si considérable, tous les droits relatifs aux mines ? Cela est impossible ; il faut au moins que vous preniez une mesure qui vous justifie du reproche de déni de justice. Les amendements que je propose forment un projet tout à fait nouveau ; car, d’une part, je demande que l’une des chambres des cours de Liége ou de Bruxelles remplace le conseil d’Etat pour les questions relatives aux mines, et, d’une autre part, je propose que le gouvernement, sur l’avis de l’une de ces cours, ne statue sur les demandes en maintenue de possession que pour ceux qui ont des droits acquis antérieurement.
L’orateur démontre, par plusieurs observations, l’avantage que présente le mode qu’il propose ; il réfute l’objection qu’on a faite contre l’idée de transférer au pouvoir judiciaire les questions relatives aux mines, et il pense que la chambre, pour ne pas léser une foule de droits légalement acquis, repoussera l’ajournement, et votera le projet avec les amendements qu’il propose, et qui concilient toutes les opinions.
- On demande la clôture de la discussion sur l’ensemble. Elle est mise aux voix et adoptée.
M. Nothomb. - Je demande la parole. La clôture qui vient d’être prononcée n’a pu l’être que sur la question de l’ajournement, puisque cette seule question était en discussion ; il faut que la chambre comprenne bien cela. Dès lors, si l’ajournement est rejeté, il n’en résultera pas que nous devions voter sur le fonds immédiatement, mais il faudra le renvoyer à la commission ; car la chambre n’est pas certainement assez éclairée pour voter maintenant sur une loi de cette importance.
M. H. de Brouckere. - Je partage entièrement l’avis de M. Nothomb, qu’il faut d’abord voter l’ajournement ; mais, après, la chambre sera certainement libre de voter sur le fond.
M. Gendebien. - Il me semble qu’après deux jours de discussion, lorsque déjà il y en a eu trois, quatre, il y a six semaines, on peut bien aborder les deux articles dont se compose le projet.
M. Mary. - C’est d’ailleurs ce qui fut convenu dans la séance de samedi. M. Gendebien demanda qu’on ne discutât que sur l’ajournement ; mais, sur une fin de non-recevoir que je proposai, la chambre décida que la discussion aurait lieu et sur l’ajournement et sur le fond.
M. Jonet. - Quand vous ordonnâtes le renvoi à une commission, vous lui donnâtes le mandat d’examiner le projet de loi et les amendements proposés ; la commission fut arrêtée d’abord par une considération provenant de la difficulté de réviser dans un bref délai toute la législation, et elle vous proposa l’ajournement. Ce n’est que sur cette question que la commission a donné son avis ; elle n’a pas émis d’opinion sur les amendements, et, si vous alliez décider au fond aujourd’hui, vous le feriez sans avoir eu l’avis de votre commission.
M. Lebeau. - Messieurs, il y a, je crois, un moyen de concilier toutes les opinions. La commission propose l’ajournement de la discussion ; c’est là-dessus qu’il faut aller aux voix. Si l’ajournement est rejeté, vous ne pouvez aller immédiatement aux voix sur le projet ministériel, puisque la commission ne vous a pas donné de conclusion au fond, et que cependant vous lui aviez demandé son avis par le fait du renvoi. Il faut donc nécessairement, si l’ajournement est rejeté, renvoyer de nouveau le projet à la commission, qui, avertie du dissentiment qui s’est manifesté entre la chambre et elle sur l’opportunité de la loi, l’examinera cette fois au fond et vous fera son rapport. La loi, telle qu’elle se présente en ce moment, avec les amendements présentés, est trop incohérente pour que vous puissiez voter sans que le projet n’ait été préalablement élaboré par la commission : la marche contraire ne produirait qu’un mauvais travail. Je crois qu’il y a urgence qu’une décision soit prise au fond, car on ne peut pas laisser frapper d’interdit une loi importante comme celle des mines ; mais son importance même exige qu’on ne la vote qu’après un mûr examen.
- Après un léger débat et la lecture faire de tous les amendements proposés, M. le président met aux voix la proposition d’ajournement ; elle est rejetée unanimement.
Le renvoi du projet et des amendements à la commission est ensuite mis aux voix et adopté.
L’ordre du jour appelle le développement de la proposition de M. Jullien sur le marché Hambrouk ; mais, M. le ministre de la guerre étant absent, le développement est ajourné à vendredi, jour de la prochaine séance publique.
- La séance est levée à trois heures et demie.