(Moniteur belge n°199, du 31 décembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
Après l’appel nominal, M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; il est adopté.
M. Jacques fait l’analyse de quelques pétitions, qui sont renvoyées à l’examen de la commission, et donne lecture de plusieurs lettres entre lesquelles nous remarquons celle de M. Camille de Tornaco, qui se plaint d’être détenu à Namur et demande sa mise en liberté.
M. d’Hoffschmidt écrit pour annoncer qu’une indisposition l’empêche de se rendre à la séance.
M… écrit d’Arlon pour annoncer que les événements dont le Luxembourg est le théâtre, mais dont il prévoit bientôt la fin, grâce au bon esprit des habitants de cette province, l’empêcheront de se rendre à la chambre pendant quelques jours.
M. Osy. - Je demande la parole pour demander l’attention de la chambre sur l’article 36 de la constitution. Cet article porte : « Le membre de l’une ou de l’autre des deux chambres, nommé par le gouvernement à un emploi salarié qu’il accepte, cesse immédiatement de siéger, et ne reprendre ses fonctions qu’en vertu d’une nouvelle élection. » Il y a un mois que M. de Theux a été nommé ministre de l’intérieur, l’arrêté qui le nomme ne dit pas qu’il exercera ses fonctions gratuitement, et cependant il a continué de siéger à la chambre. A la vérité, sur la demande que je lui ai faite, M. de Theux m’a affirmé qu’il ne touchait pas de traitement ; mais je ne crois pas que son refus à cet égard change la nature de ses fonctions, et je demande que la chambre prenne une décision pour savoir si M. de Theux doit ou non se soumettre à une réélection.
M. H. de Brouckere. - Ce n’est pas une question que l’on puisse discuter ainsi ; il faut que M. Osy fasse une proposition.
M. Osy. - Ma proposition consiste à demander que la chambre décide la question.
M. H. de Brouckere. - Ce n’est pas là une proposition ; il faudrait que M. Osy dît : Je demande que M. de Theux cesse de siéger dans la chambre.
M. Osy. - Voici mon opinion sur la question ; je pense que M. de Theux, ayant accepté une fonction salariée, ne peut plus faire partie de la chambre.
M. Brabant, et plusieurs autres. - Ce n’est pas là une proposition. (Agitation.)
M. Dumortier. - Je suis de l’avis de M. H. de Brouckere ; ceci doit être l’objet d’une proposition faite dans la forme ordinaire. Si M. Osy ne veut qu’adresser des interpellations, il faut au moins attendre que l’honorable membre soit présent.
M. Destouvelles. - Toute proposition doit être faite par écrit et renvoyée aux sections pour savoir si elles en autorisent la lecture ; le règlement prescrit ensuite d’autres formalités, dont je demande qu’on ne s’écarte pas.
M. H. de Brouckere. - Je ne suis pas de l’avis de M. Destouvelles ni de M. Dumortier; je pense que la question peut être décidée sur une simple motion d’ordre, et, quand j’ai parlé de proposition, je n’ai pas voulu dire qu’une proposition fût faite dans la forme ordinaire, mais seulement que la chambre ne pouvait prendre de décision que sur une proposition formelle. Je pense, comme M. Osy, que M. de Theux doit se soumettre à une réélection ; mais, pour discuter la question, il est dans les convenances d’attendre qu’il soit présent à la séance.
- La chambre entend encore M. Jullien et M. Osy, qui sont d’avis que la chambre peut décider sur une simple motion d’ordre, et elle ajourne la discussion jusqu’à l’arrivée de M. de Theux.
M. le président. - Une proposition de M. Gendebien avait été renvoyée aux sections, qui en ont autorisé la lecture ; j’invite l’honorable membre à la lire.
M. Gendebien. - J’ai l’honneur de proposer à la chambre un projet de loi ainsi conçu :
« Article unique. Les aubergistes et les hôteliers sont exemptés de la contribution sur les foyers excédant le nombre de douze. »
L’orateur, du consentement de la chambre, développe sa proposition qui a pour but de ne faire tomber l’impôt que sur les riches, et d’en affranchir ceux qui, par leur profession, ont besoin d’un grand nombre de foyers. Il serait d’autant plus injuste de faire payer cette classe de contribuables, qu’ils paient déjà une patente au taux de laquelle le nombre des foyers a servi de base.
- La chambre prend la proposition en considération, et sur la demande de M. Mary, le bureau nomme une commission pour examiner le projet séance tenante.
La commission se compose de MM. Gendebien, Dumont, Destouvelles, Bourgeois, Legrelle et Verdussen.
M. Mary fait, au nom de la section centrale, un rapport sur le projet de loi relatif à l’aliénation des domaines, bois et rentes appartenant à l’Etat, présenté par M. le ministre des finances. Il résulte de ce rapport que presque toutes les sections ont trouvé que le moment de faire cette vente n’était pas opportun ; la section centrale a partagé cet avis : en conséquence, son rapport conclut à l’ajournement.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Avant la séance, mon collège du ministère des finances m’a dit qu’il ne s’opposerait pas à l’ajournement.
- L’ajournement est mis aux voix et adopté.
La séance est suspendue pendant quelques instants : M. de Theux arrive, et la séance est reprise aussitôt.
M. Osy renouvelle sa motion d’ordre.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, cette question prend sa source dans l’article 36 de la constitution. (Il le lit). Il faut, d’après cet article, que la fonction soit salariée, pour que le député qui l’accepte soit soumis à une réélection. Il est parfaitement compris que si, en acceptant le portefeuille du ministère de l’intérieur, j’avais accepté le traitement, j’aurais dû cesser de faire partie de la chambre. Mais j’ai accepté l’un et refusé l’autre ; dès lors, mes fonctions ne sont pas salariées, et j’échappe à l’application de l’article 36. Maintenant suffit-il d’être nommé à des fonctions salariées pour devoir se soumettre à la réélection, abstraction faite du refus du traitement ? Je ne le pense pas, et, à l’appui de mon opinion, j’invoque la constitution elle-même. L’article 103 porte : « Aucun juge ne peut accepter du gouvernement des fonctions salariées, à moins qu’il ne les exerce gratuitement, et sauf en cas d’incompatibilité déterminés par la loi. » Cet article interdit à un fonctionnaire de l’ordre judiciaire d’accepter les fonctions salariées ; il le peut toutefois, mais en n’acceptant pas le traitement. Il y a parité exacte entre cette position et la mienne. Je ne pouvais accepter de fonctions salariées sans me soumettre à une réélection ; mais, en renonçant au salaire, j’ai le droit de m’en affranchir. Un exemple peut être invoqué à l’appui de ces principes. Un président de cour a été nommé, il y a quelques mois, président du conseil des ministres, et il n’a pas cessé de faire partie de la législature. Il ne suffit donc pas d’accepter une fonction salariée pour cesser d’être député, il faut encore accepter le traitement.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, je suis bien certain que M. de Theux est convaincu de la vérité des principes qu’il avance, et que, sans cela, il aurait été le premier à se soumettre aux exigences de l’article 36 de la constitution. Si je viens combattre ses arguments, je prie la chambre de croire que je ne fais pas de ceci une question de personnes, mais une question de principes. C’est là ma seule pensée, que si la chambre décidait conformément aux principes que je soutiens, je suis convaincu que M. de Theux serait réélu par ses commettants. Je partage entièrement l’avis de M. Osy. La place de ministre est un emploi salarié ; que, par désintéressement, M. de Theux ait refusé le traitement, peu importe ; la fonction est acceptée, et cela suffit pour que l’article 36 soit applicable, et je m’étonne que, pour prouver le contraire, on ait invoqué l’article 103 de la constitution, alors que je peux tirer de cet article un argument péremptoire en ma faveur : en effet, dans le cas où on a voulu permettre à un juge l’acceptation d’une fonction, on s’en est expliqué ; on n’aurait pas manqué de le faire dans le cas de l’article 36, si on avait voulu qu’il en fût ainsi. Mon opinion consciencieuse est donc que quiconque accepte une fonction salariée se soumet par ce seul fait à une réélection, qu’il ait accepté le traitement ou qu’il l’ait refusé.
M. Jullien. - Il me semble, messieurs, qu’il n’est guère possible de présenter une question plus claire que celle que nous a soumise M. Osy. Les fonctions de ministre sont-elles salariées ou non ? C’est tout ce qu’il faut savoir. Oui ? Vous devez vous soumettre à l’article 36. Non ? Vous continuez de siéger dans la chambre. Personne ne soutient que les fonctions de ministre ne soient pas salariées. Mais, dit-on, le ministre a renoncé à son traitement. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu’il ne touche pas la rétribution qu’il était en droit d’exiger, et que le trésor en profite. Mais cela fait-il que la fonction perde son caractère de fonction salariée ? Non, pas plus que si le ministre, touchant son traitement, en faisait l’abandon aux pauvres. Remarquez, messieurs, où on irait avec un système contraire. Le gouvernement pourrait s’entourer de tous ses amis dans la chambre, en les faisant renoncer à leur traitement, renonciation d’autant plus facile qu’il serait très aisé de les indemniser par des moyens détournés. Ce système est insoutenable, et je suis persuadé que M. de Theux s’exécutera de bonne grâce, en demandant à ses commettants la confirmation de son mandat.
M. Angillis. - Messieurs, là où la conscience parle, l’affection doit se taire. J’aurais voulu voir toujours M. de Theux faire partie de la chambre, je partage l’espoir de M. H. de Brouckere qu’il sera réélu ; mais quand la constitution est là qui nous prescrit un devoir, il faut le remplir.
L’honorable membre partage l’avis des deux préopinants ; il pense que l’article 36 est absolu et n’admet pas d’exception.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) persiste à soutenir qu’il y a parité de raison pour décider dans le cas de l’article 36, comme dans celui de l’article 103.
- L’honorable membre sort de la salle après cette observation.
M. Devaux. - Messieurs, la question me semble d’autant plus douteuse qu’il s’agit ici d’un ministre ad interim. Il faut bien laisser au gouvernement le pouvoir de nommer des ministres ad interim dans cette chambre, et vous le lui ôteriez en les soumettant à une réélection : remarquez, d’ailleurs, qu’un ministre ad interim n’exerce ses fonctions que pour un temps très court. Pourra-t-on forcer un ministre qui ne l’aura été que pour huit jours, sans en retirer aucun avantage, de se faire réélire ? Ceci me semblerait un précédent fort dangereux, d’autant plus que les ministres refusant leur traitement ne seront pas communs ; et, après une révolution, le pouvoir n’a pas assez d’attraits pour qu’en en veuille pour le pouvoir lui-même. Voyez, d’ailleurs, où vous iriez avec ce principe. Quand un ministre est malade ou empêché par quelque cause que ce soit, c’est ordinairement le secrétaire-général qui le remplace : le voilà ministre intérimaire ; le forcerez-vous à se faire réélire ? Vous allez bientôt faire une loi provinciale : quand un gouverneur de province s’absentera pendant deux ou trois jours, il aura un remplaçant par interim ; faudra-t-il aussi que ce remplaçant se soumette à la réélection ? Il me semble, messieurs, puisqu’il s’agit ici de fonctions temporaires, qu’il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 36. Je crois que cet article devra être développé par une loi, car il y a une foule de cas qui n’y sont pas prévus ; il n’y est pas déclaré, par exemple, ce qui arriverait en cas d’avancement d’un fonctionnaire, ni dans le cas d’augmentation de traitements. En l’absence de disposition précise, tout ce que vous pourriez faire, ce serait de proposer une loi qui bornerait l’interim d’un ministre à un temps déterminé.
L’orateur termine en faisant observer qu’au surplus il n’y a pas de loi qui dise que les ministres seront rétribués.
M. Legrelle. - Je dois combattre le système de M. Devaux. Il me semble qu’il y a des hérésies dans ce système-là. La distinction qu’il établit entre un ministre ad interim et un ministère définitif n’est pas admissible ; car on donnerait au gouvernement la faculté de nommer tous les députés à des fonctions, et on les affranchirait de la réélection en disant qu’ils ne sont nommées que ad interim. Si je dis ceci, ce n’est pas que je sois opposé à M. de Theux ; au contraire : c’est pour que son interim se change en définitif ; car j’estime beaucoup M. de Theux, non comme ministre, mais comme M. de Theux.
On entend encore sur la question, et pour la proposition de M. Osy, M. H. de Brouckere, M. Gendebien, M. Van Meenen et M. Fleussu.
Dans un sens contraire : M. F. de Mérode et M. Lebeau.
M. Brabant. - Je n’ai pas demandé la parole pour entrer dans le fond de la question, mais seulement pour prévenir la chambre que demain j’adresserai des interpellations à M. le ministre des finances, pour lui demander si les commissaires nommés pour aller négocier l’emprunt à Calais ont été salariés, me réservant de faire sur sa réponse telle motion que je jugerai convenable. (Hilarité générale.)
M. Osy. - Je demande la parole pour un fait personnel. Messieurs, comme peut-être je serais demain chez moi, je dirai que, quand M. le ministre des finances m’a prié de donner mes soins à la négociation de l’emprunt, je n’ai accepté que dans l’intérêt de la nation ; j’ai fait un voyage à Londres et deux à Calais, sans recevoir aucune rétribution, et, si le ministre des finances m’avait offert le moindre salaire, je l’aurais refusé.
M. Brabant. - Je n’en persiste pas moins dans mon intention de faire au ministre des finances les interpellations que j’ai annoncées. Je crois parfaitement à la vérité de la déclaration de M. Osy, mais c’est de M. le ministre des finances que nous devons attendre des renseignements.
M. Dewitte, M. Devaux, M. le ministre de la justice (M. Raikem) et M. Lebeau, parlent encore contre la proposition de M. Osy.
Leur opinion est combattue par M. Leclercq, M. H. de Brouckere, M. Jullien, M. Van Meenen et M. de Woelmont.
M. Lebeau demande l’ajournement de la discussion à huitaine.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere) dit que, lorsque M. de Theux fut nommé ministre, il n’accepta qu’à la condition de ne pas recevoir de traitement. L’orateur appuie la demande d’ajournement, en annonçant que l’interim de M. de Theux cessera demain ou après-demain.
- La chambre ajourne la discussion au 10 janvier.
M. Destouvelles, rapporteur de la commission chargée d’examiner la proposition de M. Gendebien, fait un rapport dans lequel il déclare que la commission a été unanimement d’avis de l'ajournement de la proposition, sauf à y avoir tel égard que de raison lors de la révision des lois sur la contribution personnelle.
M. Gendebien explique de nouveau les motifs qui l’auraient dirigé dans la présentation de sa proposition ; il ajoute que M. le rapporteur s’est trompé en disant que la commission avait été unanime pour l’ajournement ; à la vérité, il ne s’y est pas formellement opposé ; mais il n’y a pas non plus formellement consenti.
- L’ajournement est mis aux voix et prononcé.
Plusieurs membres propose un ajournement de la chambre jusqu’au 10 janvier ; tout le monde paraît y consentir : on convient cependant de ne pas se séparer jusqu’à samedi, pour donner au sénat le temps de voter sur les projets qui lui ont été renvoyés et qui le lui seront demain.
La séance est levée à quatre heures.