(Moniteur belge n°163, du 25 novembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure moins un quart.
M. Jacques fait l’appel nominal à une heure moins un quart.
M. Dellafaille lit le procès-verbal. Il est adopté.
M. Lebègue analyse quelques pétitions, parmi lesquelles nous remarquons celle de M. Emeriau, d’Ath, qui réclame contre l’inconstitutionnalité d’un arrêté du gouverneur de la province du Hainaut. Elles sont renvoyées à la commission.
- M. de Rottigny, éditeur du tableau représentant l’entrée du Roi à Bruxelles, en fait la dédicace à la chambre, ainsi que d’un autre qui représentera l’inauguration à la Place Royale.
La chambre accepte la dédicace, et mention en sera faite au procès-verbal.
M. de Robaulx demande la parole sur la pétition de M. Emeriau, d’Ath, et il s’exprime ainsi. - Messieurs, M. Emeriau, d’Ath, capitaine des gardes civiques, réclame contre l’arrêté du gouverneur du Hainaut comme était inconstitutionnel. Je crois devoir dire un mot à l’égard de cette pétition. On avait demandé la mobilisation des quatre bataillons de la garde civique de la province du Hainaut. Quand il s’est agi de mettre cet ordre à exécution, il s’est rencontré un obstacle. Les gardes civiques de telle compagnie ont dit qu’ils ne voulaient pas faire partie de cette mobilisation plutôt que ceux de telle autre compagnie. Alors, M. le gouverneur a trouvé un moyen nouveau, c’est le tirage au sort des soldats et des officiers qui devront composer ces bataillons. Outre plusieurs inconvénients qui résulteront de cette mesure, il s’ensuivra que les gardes civiques de Tournay, par exemple, seront commandés par un officier de Mons et ceux de Mons par un officier de Charleroy, etc. Ainsi, tout se trouvera désorganisé, et les gardes civiques qui ne seront pas tombés au sort passeront sous le commandement d’officiers étrangers. C’est là une violation manifeste de la loi sur la garde civique, qui veut que les compagnies ne soient commandées que par des officiers de leur choix. Vu l’urgence et les protestations qui se sont élevées contre ce tirage, il faut que la chambre intervienne par une décision. Je demande donc qu’en revoyant la pétition à la commission, on décide qu’il en sera fait un rapport vendredi prochain.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Quant aux ordres du ministre de la guerre tendant à mobiliser 4 bataillons, ils sont déjà exécutés, et ces 4 bataillons se trouvent à Anvers. Quant au tirage au sort, il s’est fait sous ma participation ; car, ne connaissant pas l’habilité des gardes civiques qui étaient le plus propres à faire partie de ces corps, j’en laissai le choix aux autorités locales. Du reste, on vient de m’apprendre une chose toute nouvelle pour moi, c’est le tirage au sort des officiers. Je croyais que cette mesure n’avait été appliquée qu’aux simples gardes civiques.
M. le président. - Il me semble que le rapport de la pétition viendra tout naturellement vendredi prochain, car la commission des pétitions est au courant.
M. de Robaulx insiste sur sa proposition.
- Personne ne s’y opposant, la pétition est renvoyée à la commission et sera rapportée vendredi prochain.
M. Ullens demande un congé de 4 jours.
- Accordé.
M. Jamme demande aussi un congé dont il ne peut fixer le terme.
- Il est également accordé.
M. le président. - L’ordre du jour est la présentation du budget de la guerre de 1832, mais nous devons avant entendre les rapports de MM. Liedts et Dumortier.
M. Liedts monte à la tribune pour faire un rapport sur l’organisation judiciaire, et s’exprime ainsi. - Messieurs, la loi qui établit la hiérarchie des tribunaux détermine l’étendue de leurs fonctions, les entoure de tout ce qui est nécessaire à l’exercice de leur action, règle leurs rapports avec les autres pouvoirs, fixe les conditions et le mode de la nomination des juges, et assure leur indépendance, est sans contredit l’une des plus importantes de toutes celles dont la législature actuelle aura à s’occuper ; et il n’en est aucune qui mérite d’être examinée avec une prudence plus inquiète, une précaution plus scrupuleuse.
Pénétrée de cette vérité, la chambre a cru devoir appeler, sur le projet d’organisation judiciaire qui lui est soumis, les méditations et les critiques de tous les magistrats et du barreau de la Belgique.
Cet appel n’a pas été fait en vain.
Outre les deux cours supérieures et les barreaux de Liége et de Bruxelles, 23 tribunaux de première instance se sont occupés de ce projet, et ont transmis à la chambre le fruit de leurs lumières et de leur expérience.
La chambre ne s’est pas bornée à cette seule mesure, et dans le but de retirer de ces observations toute l’utilité possible, elle a institué une commission de neuf membres, chargée de lui présenter, à la suite des observations des deux cours, une analyse comparée de celles des tribunaux et du barreau.
La commission, convaincue des inconvénients et des lenteurs qu’aurait entraîné la division de ce travail entre neuf personnes, a bien voulu me la confier en entier ; la commission a consacré plusieurs séances à le revoir, et elle a l’honneur de vous le soumettre aujourd’hui, tel qu’il a été approuvé par elle. Voici, messieurs, la marche qui a été suivie : comme la commission n’avait à remplir que l’office de rapporteur, et n’était pas appelée à substituer ses opinions à celles des tribunaux et du barreau, elle a conservé religieusement, et autant que possible, les termes mêmes dans lesquels les observations étaient conçues, sans en omettre ou modifier aucune, de quelque faible importance qu’elle pût être.
Cependant, lorsque, dans le développement des changements réclamés, elle a aperçu des répétitions, elle n’a pas hésité à les retrancher ; de même, lorsque les critiques, au lieu d’être présentées dans un style simple et serré, l’étaient dans un style évidemment trop délayé, elle s’est permis de les soumettre à une fidèle analyse.
Quelquefois des tribunaux faisaient sur un article les mêmes remarques que d’autres tribunaux avaient crues mieux placées sous un autre article ; et alors, pour éviter des redites, ces remarques ont été fondues et placées à l’endroit auquel elles ont le plus de rapport. Souvent aussi plusieurs tribunaux demandaient les mêmes changements, en s’appuyant sur les mêmes motifs, exprimés cependant en des termes différents ; et, dans ce cas, on a comparé leurs observations et conservé celles qui paraissaient rendre le mieux l’opinion de tous.
Enfin, quand les observations des barreaux ou des tribunaux rentraient tout à fait dans celles développées par l’une des deux cours, on s’est borné à indiquer cette circonstance par une note.
La difficulté, s’il y en a, ne consistait pas, comme l’on voit, à tout lire, mais à coordonner, à comparer, à classer le tout avec méthode. Quoi qu’il en soit, l’ouvrage du barreau et des tribunaux a été réduit à peu près de deux tiers, sans qu’aucune des considérations qu’ils font valoir à l’appui de leurs opinions ait été négligée ou omise.
La commission, messieurs, croit avoir satisfait ainsi à la mission dont elle avait été chargée, et espère que son travail ne sera pas sans utilité pour l’examen approfondi du projet.
- La chambre dispense le rapporteur de donner lecture du travail de la commission et en ordonne l’impression et la distribution à tous les membres.
M. Fleussu demande que toutes les pièces et renseignements joints aux rapport soient renvoyés au ministre de la justice.
M. de Robaulx. - Il ne pourra jamais lire tout cela ! (On rit.)
Après une légère discussion, M. Fleussu retire sa proposition.
M. Dumortier monte à la tribune et s’exprime ainsi. - Messieurs, votre commission d’enquête, après s’être constituée, a dû s’occuper d’abord des moyens d’exécution du mandat que vous lui avez confié.
Le droit d’enquête, conféré à chacune des chambres par l’article 40 de la constitution, est l’une des plus importantes prérogatives dont puisse être investie la représentation nationale. Par lui, les députés d’une peuple libre peuvent connaître les véritables besoins de l’Etat ; ils peuvent s’assurer de l’origine des maux qui pèsent sur la patrie et préparer les moyens de les réparer. Ce droit résume à lui seul toutes les garanties de la souveraineté nationale inscrite dans l’article 25 de la constitution, et sert de palladium à la liberté. Il importe donc d’en établir l’exercice, de manière que dans aucun cas il ne puisse être rendu illusoire ; et c’est pour y parvenir que votre commission vous présente le projet de loi que j’ai l’honneur de déposer en son nom sur le bureau.
L’article 40 de la constitution, en accordant aux deux chambres le droit d’enquête, s’est borné à en établir le principe, laissant à la représentation future le soin d’y donner les développements nécessaires et de tracer la marche à suivre en cette circonstance.
En Angleterre, le parlement exerce en matière d’enquête un pouvoir illimité. Sur un ordre de ses commissions, toute personne mandée, de quelques partie que ce soit du royaume, est tenue de se présenter au bureau de la commission, et d’y exhiber les livres, registres, contrats, papiers ou écrits qu’ils demandent. En cas de refus, les commissaires font saisir le récalcitrant, et cela sans autre formalité que leur ordre : c’est d’ailleurs ce qui est réglé par les lois soit les titres 43, Georges III, et 16 et 45, Georges III. Si la personne mandée pour information refuse de se rendre au jour fixé, il en est fait part au président, qui ordonne au sergent d’armes de la chambre d’aller saisir le délinquant et de l’enfermer dans sa prison ; celui-ci se sauve-t-il pour éviter d’être pris, le président provoque une proclamation du roi pour promettre une récompense à quiconque en fera l’arrestation. Ce n’est pas tout : la chambre peut condamner le défaillant aux frais, dépens et à l’amende qu’il lui plaît de prononcer ; elle peut même l’obliger de recevoir sa sentence à genoux, à la barre de son bureau ; et sa rigueur, lorsqu’il s’agit de son autorité, est telle que l’on a calculé que, depuis 1547 jusqu’à nos jours, elle a fait incarcérer près de mille personnes.
Telle est la règle du parlement anglais en matière d’enquête. Les chambres, sentant toute l’importance de ce droit précieux, ont reconnu qu’il deviendrait illusoire, s’il était loisible au pouvoir exécutif de venir à chaque instant l’entraver. C’est aussi ce qui a frappé votre commission dans l’examen qu’elle a dû faire des moyens coercitifs indispensables pour arriver à un résultat certain.
Votre commission a pensé qu’en matière d’enquête elle exerçait un pouvoir judiciaire, et qu’à ce titre d’enquête elle devait être investie des attributions qui appartiennent à l’exercice de ce pouvoir : tels sont le droit de lancer des mandats d’amener et celui de comminer des amendes. La constitution, qui a voulu la fin, a dû vouloir les moyens, et ces moyens n’existeraient pas si les commissions d’enquête n’étaient pas investies du pouvoir nécessaire, pouvoir qui par conséquent résulte de la nature des choses.
Toutefois votre commission a pensé qu’il était convenable de régulariser, une fois pour toutes, et par une loi également applicable pour les deux chambres, les attributions des commissions d’enquête ; et c’est pour arriver à ce résultat qu’elle a cru devoir vous présenter le projet de loi suivant.
L’orateur lit deux articles du projet. Pendant qu’il commence la lecture du troisième, M. H. de Brouckere demande la parole pour un rappel au règlement.
M. H. de Brouckere. - Ce n’est pas un rapport que nous présente M. Dumortier, c’est un projet de loi. Or, d’après l’article 35, il doit être renvoyé préalablement dans les sections. Je m’oppose donc à la lecture immédiate.
M. Dumortier. - Cette objection, messieurs, n’a rien de nouveau pour nous, et nous l’avions prévue. Mais l’honorable membre qui l’a faite aurait dû se rappeler que, quand une commission présente un projet de loi, elle n’est pas astreinte à cette formalité ; c’est ainsi que nous avons procédé relativement aux crédits provisoires.
M. Gendebien. - On a parlé de l’article 35 du règlement ; mais c’est l’article 63 qu’il s’agit d’appliquer ici. Il est ainsi conçu : « Les rapports des commissions seront imprimés et distribués au moins trois jours avant la discussion en assemblée générale, si la chambre n’en décide autrement. »
M. H. de Brouckere. - Messieurs, je persiste à soutenir que M. Dumortier donne lecture non d’un rapport, mais d’un projet de loi ; et d’abord je défie qu’on puisse citer un antécédent en faveur du cas qui se présente aujourd’hui. Jamais commission n’a présenté un projet de loi à la chambre, à moins qu’elle n’en ait reçu la mission spéciale. On dit que ce n’est pas l’article 35, mais l’article 63 qui est seul applicable ici ; c’est une erreur, messieurs (l’orateur lit l’article 63.) Si la commission d’enquête, ayant terminé sa mission, venait nous soumettre ses conclusions, alors nous nous en rapporterions à l’article 63. Mais, je le répète, ce n’est pas un rapport et des conclusions que vient nous présenter la commission, c’est un projet de loi. Je ne lui conteste pas le droit de proposer un projet de loi, puisque chacun de ses membres a ce droit comme représentant ; mais je soutiens qu’il fait se soumettre aux règles posées par l’article 35.
M. Leclercq. - Messieurs, on dit qu’il n’y avait pas d’antécédent pour le cas qui se présente ; mais, s’il n’y a pas d’antécédents, c’est qu’il ne pouvait y en avoir, car il y a très peu de temps que le règlement a été voté. On ne peut donc tirer un argument de cette circonstance.
L’honorable orateur auquel je réponds a dit aussi que la commission n’était pas chargée spécialement de présenter un projet de loi sur le mode de l’enquête. Cela est vrai ; mais vous lui avez donné la mission de prendre toutes les mesures convenables et de faire tous les actes nécessaires pour cette enquête. Or, le projet de loi dont il s’agit entrait dans les mesures, dans les moyens qu’elle devait prendre pour arriver au but que vous avez en vue, et remplir la mission dont vous l’avez chargée. Il faudrait prouver que ce projet n’entre pas dans sa mission, et cela est impossible ; car il est évident qu’elle ne pouvait procéder à la recherche des causes de nos désastres sans en avoir les moyens, et elle nous les demande par le projet de loi. On ne peut donc appliquer à ce projet les raisonnements généraux qui s’appliquent aux propositions faites par un simple membre. Le règlement a voulu seulement, en admettant le renvoi aux sections, éviter une perte de temps, dans le cas où la proposition serait oiseuse ou inutile. Mais la commission que vous avez nommée est chargée d’atteindre un but ; le projet de loi qu’elle nous soumet est nécessaire, tout le monde le reconnaît, pour atteindre ce but. Dès lors, c’est une mesure qui rentre dans sa mission. Cependant, la commission n’entend pas que la proposition soit soustraite à l’examen des sections. Elle pense seulement n’avoir pas besoin d’obtenir la permission de la lire.
M. le Hon. - Messieurs, le cas est assez nouveau et assez important pour être traité avec toute la maturité possible. L’article 35 est écrit dans un sens général ; il veut, d’une manière absolue, que toute proposition faite par un membre de la chambre passe par les sections, qui en autorisent ou qui en refusent la lecture. On ne disconviendra pas, quoique l’article 35 ne parle que de la proposition faite par un membre, que si 5 ou 6 membres se réunissaient pour faire une proposition, elle ne dût tout aussi bien être soumise aux sections avant la lecture ; et ce serait jouer sur les mots que de vouloir restreindre l’article 35 à l’individualité d’un seul membre. Il y a deux genres de propositions de lois : celles qui viennent du gouvernement ou du sénat, et celles qui émanent d’un membre de la chambre exerçant son initiative. Eh bien ! quelle est la position dans laquelle se présente devant nous la commission d’enquête ? Elle nous présente un projet de loi, parce que, dit-elle, il lui est nécessaire de remplir sa mission. Eh bien ! je soutiens qu’elle se trouve dans les termes du règlement comme les membres qui prennent l’initiative. Sa proposition doit être soumise à la règle générale, parce qu’elle ne peut être discutée sans formalité. Au fond, la question est extrêmement grave, messieurs : car il ne s’agit de rien moins que d’accorder une espèce de dictature à une commission en lui donnant un droit extraordinaire d’investigation, au moyen duquel elle pourrait tout bouleverser dans l’Etat.
Je sais bien que les honorables membres qui composent la commission n’abuseraient pas d’un pareil pouvoir, mais il n’en est pas moins vrai que la proposition doit être examinée préalablement, en raison même de son importance ; car, si vous agissiez autrement, vous établiriez un funeste précédent qui ferait loi par la suite.
On dit qu’une commission doit toujours être entendue quand elle fait un rapport, et sous ce prétexte, on veut même qu’elle puisse présenter un projet de loi. Messieurs, cet argument porte à faux. Car ceci n’est pas le rapport final de la commission, ni le terme du but vers lequel elle se dirige. C’est une proposition qu’elle croit devoir faire avant d’aller plus avant. Elle en a le droit sans doute, mais en se conformant aux dispositions du règlement. (manque quatre ou cinq mots) de suivre la marche ordinaire, et j’en fais la demande formelle.
M. Lebeau. - La question n’est pas de savoir si la commission d’enquête avait le droit de présenter un projet de loi ; nous sommes tous d’accord sur ce point : il s’agit simplement de savoir si elle se trouve dans une position exceptionnelle. Or, il est bien évident qu’elle n’a pas été chargée par la chambre de la mission spéciale de présenter un projet de loi. Elle se trouve absolument dans les mêmes termes que les diverses commissions dont il est parlé à l’article 56 de votre règlement, c’est-à-dire la commission des finances et celle d’industrie et de commerce. Eh bien ! si les commissions, exerçant l’initiative que chacun de nous a le droit de prendre, présentaient des projets de loi, ils devraient être soumis aux mêmes formalités que ceux proposées par de simples membres. Voyez ce qui arriverait si vous en décidiez autrement. Le ministère qui, en présentant un projet de loi, exerce un droit collectif, ne pourrait échapper aux obligations prescrites par le règlement, tandis qu’une commission qui, pour remplir la mission dont vous l’auriez chargée, proposerait la loi la plus importante qui eût été encore soumise à cette chambre, pourrait s’exempter des formalités auxquelles est astreint le gouvernement lui-même. Il me semble que la commission d’enquête est tout au moins dans le cas des commissions permanentes des finances, de l’industrie et du commerce. Or, si une de ces commissions vous présentait un projet, vous le soumettriez aux règles ordinaires. Il doit en être de même pour celui dont il est question en ce moment : vous ne jugerez pas à propos, sans doute, de l’affranchir des formes protectrices du règlement. Je demande donc qu’il soit déposé sur le bureau et renvoyé aux sections.
M. d’Elhoungne. - Je partage pleinement l’avis de notre collègue M. Lebeau, relativement à ce qu’il a dit : que la commission d’enquête se trouve régie par les mêmes termes du règlement que les commissions dont il est parlé à l’article 56. Mais si elle se trouve régie par les mêmes termes, je demande si les propositions que ces commissions ont à soumettre à la chambre doivent subir les mêmes formalités que celles émanées d’un membre de la chambre. Pour trancher la difficulté, il suffit de lire l’article 59 du règlement. Il porte, entre autres choses : « Les deux commissions permanentes sont chargées de présenter des conclusions motivées sur les propositions. » Or, soumettre à la chambre un projet de loi avec un rapport, est-ce autre chose que des conclusions motivées ? Il ajoute : « de préparer à la chambre des projets de résolutions. » Eh bien ! n’est-ce pas ici un projet de résolution qui doit échapper aux formalités d’une simple proposition émanée d’un membre de l’assemblée ? Est-ce à dire pour cela que la proposition ne sera pas soumise aux formes protectrices du règlement ? Non, messieurs, elle ne sera pas astreinte à l’autorisation préalable pour la lecture.
M. Leclercq. - Messieurs, j’avais l’intention de faire valoir les mêmes observations que notre honorable collègue M. d’Elhoungne. Dès qu’on place la commission d’enquête sur la même ligne que les commissions permanentes, il serait absurde de dire qu’elle est astreinte à obtenir la permission de lire sa proposition. On a dit qu’elle était de la plus haute importance, et que pour cela même elle devait être soumise à l’examen ; mais nous n’avons jamais entendu autre chose. De ce que nous croyons pouvoir lire la proposition sans recourir à l’autorisation préalable, nous ne voulons point pour cela qu’elle soit votée sans examen.
M. Dewitte. - Il me semble que le rapport et la proposition de la commission sont parfaitement en harmonie avec les termes du règlement.
L’orateur lit l’article 63, et dit qu’on n’est pas obligé de discuter immédiatement. La chambre ordonnera l’impression et la distribution, et la proposition aura le temps d’être examinée.
M. Dumortier fait remarquer que, depuis huit jours, on suit la marche que la commission a adoptée, et qu’on vote sur les crédits provisoires proposés par une commission. Et qu’on ne dise pas que la commission a reçu une mission spéciale pour présenter ces projets ; car, si elle avait été investie de ce droit pour les crédits des ministère, il est dit dans le procès-verbal : « à l’exception du ministère de la guerre. » D’ailleurs, nous sommes loin de demander que notre proposition ne soit pas examinée.
M. Nothomb. - Je crois qu’il eût été plus exact d’assimiler la commission d’enquête à une commission ordinaire, entre autres la commission des pétitions. Or, croyez-vous que la commission des pétitions ait le droit de présenter une loi à l’occasion des pétitions qui lui sont soumises ? Si elle avait ce droit exorbitant, celui que veut exercer la commission d’enquête ne pourrait être contesté. Mais je ne puis admettre ce droit, pas plus pour l’une que pour l’autre. Sans cela, messieurs, qu’arriverait-il ? Sur les plaintes qui seraient soumises à la commission des pétitions relativement aux douanes, elle pourrait proposer une loi sur les douanes. S’il s’agissait de plaintes sur un ministre, elle pourrait présenter une loi sur la responsabilité ministérielle. Le règlement a eu en vue, au contraire, de fixer la spécialité des commissions. Prenons pour exemple la commission des pétitions. Si une pétition lui est renvoyée, sa mission spéciale est d’en faire le rapport, et si un membre de cette commission juge à propos de présenter un projet de loi à cet égard, il sort momentanément de la commission et rentre dans le droit commun. Si donc la commission avait le droit de proposer une loi sur l’enquête, elle pourrait, par la même raison, en présenter une sur la responsabilité ministérielle.
Je soutiens que la proposition, quoique n’étant pas faite par un seul membre, n’en est pas moins astreinte aux formalités du règlement.
Si la commission croit que les moyens lui manquent pour poursuivre sa mission, elle doit constater ce fait à la chambre, mais s’arrêter là, et rentrer dans le droit commun.
La discussion se prolonge. On entend encore M. H. de Brouckere, M. Van Meenen, M. le Hon et M. Devaux, qui parlent contre la lecture, et M. de Robaulx et M. Leclercq qui parlent pour. (La clôture ! la clôture !)
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je m’oppose à la clôture, parce qu’il s’agit d’une question très grave. Je désire donc qu’elle soit éclaircie avant de fermer la discussion.
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
On demande l’appel nominal.
M. Nothomb. - Je demande la parole sur la position de la question. La question doit être ainsi posée : « Le rapport de la commission pourra-t-il être lu à l’instant, oui ou non ? »
M. Dumortier combat cette proposition.
M. Devaux. - Je demande, au contraire qu’on pose ainsi la question : « La proposition de la commission sera-t-elle lue avant d’être renvoyée aux sections, aux termes de l’article 35 du règlement ? »
M. de Robaulx.- Je m’oppose à ce que la questionssoit ainsi posée, car ce serait interpréter l’article 35 du règlement. « Lira-t-on immédiatement la proposition, ou ne la lira-t-on pas ? » Voilà la seule chose qu’il s’agit de décider.
Après un léger débat auquel prennent part M. Devaux, M. de Robaulx et M. H. de Brouckere, la question est ainsi posée : « Lira-t-on la proposition ? »
On procède à l’appel nominal, dont voici le résultat : 44 ont voté contre la lecture, et 36 pour.
Ont voté pour : MM. Dams, Dautrebande, Davignon, de Haerne, d’Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Robaulx, Desmet, Dewitte, de Woelmont, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubus, Dumortier, Fleussu, Gendebien, Goethals, Helias d’Huddeghem, Jaminé, Jullien, Lardinois, Lebègue, Leclercq, Osy, Pirmez, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Seron, Tiecken de Terhove, Vergauwen, Vuylsteke, Watlet, Zoude, Berger et Corbisier.
Ont voté contre : MM. Ch. De Brouckere, H. de Brouckere, de Foere, Delehaye, Dellafaille, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Roo, de Sécus, Desmanet, de Terbecq, Devaux, Dugniolle, Duvivier, Hye-Hoys, Jacques, Jonet, Lebeau, Lefebvre, Le Hon, Liedts, Mary, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Poschet, Raikem, Raymaeckers, Serruys, Thienpont, Ullens, Vanderbelen, Van Innis, Van Meenen, Verdussen, Verhaegen, Ch. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, Barthélemy, Boucqueau de Villeraie, Bourgeois, Brabant, Cols, Coppieters, de Gerlache.
L’ordre du jour est la discussion sur les crédits provisoires à accorder au ministre de la guerre.
M. Dumortier. - Ce serait agir contradictoirement à ce que vous venez de décider que d’examiner les crédits qui ne vous ont été proposés que par la commission.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Pour prouver que la commission n’a pas pu présenter un projet de loi sur les crédits de la guerre, l’honorable membre a lu tout à l’heure un passage du procès-verbal où il est dit qu’on s’occupera des crédits à accorder à tous les ministères, « à l’exception du ministère de la guerre. » Or, il est certain que c’est sur ma proposition même que l’on a effacé ces mots.
M. Gendebien. - Il faut savoir ce qu’on fera du rapport de la commission d’enquête.
M. le président. - J’ai consulté la chambre là-dessus, on a répondu rien. (Hilarité générale et prolongée.)
M. Ch. Vilain XIIII fait observer que si la lecture du projet de la commission est autorisé, le rapport en sera comme l’exposé des motifs. (Appuyé !)
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) demande à présenter le budget de son département pour l’année 1832 ; il monte à la tribune et fait cette présentation.
Nous donnerons son discours, dont la lecture a duré une heure et demie, et qui est très remarquable par les détails et les renseignements qu’il contient sur l’état de l’armée. (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé dans le Moniteur. Il est néanmoins possible de le retrouver sur google.be, d’où est extrait le texte qui suit : )
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - L'état de crise où la Belgique s'est trouvée, par suite d'évènements qui l'ont maîtrisée dans les derniers jours de 1830, et de la confiance aveugle qui a succédé à l'acceptation de l'armistice, n'est pas encore entièrement terminé. La paix n'est pas encore conclue avec la Hollande, et cependant je viens soumettre à vos délibérations un projet de budget pour les dépenses du ministère de la guerre, calculé pour le pied de paix.
Il est inutile que je vous dise, messieurs, que j'eusse désiré que le sort des armes eût pu décider de nos querelles avec la Hollande. Confiant dans l'armée, convaincu que sa force numérique, son instruction, son moral, nous étaient garants du succès, j'aurais voulu venger notre honneur mal à propos compromis à l'étranger, et conquérir les parties de territoire qu'on nous dispute. Cette politique a toujours été la mienne ;< elle a facilité ma tâche comme ministre, en me montrant un but conforme à mes désirs, à mes inclinations.
En travaillant, messieurs, à assurer le succès de nos armes, je ne pouvais toutefois m'isoler de la politique générale, perdre de vue tant d'autres intérêts, vouloir compromettre l'avenir du pays. Vous connaissez, messieurs, notre position vis-à-vis des autres puissances de l'Europe ; vous savez quelles conditions de paix elles nous ont imposées ; jusqu'à quel point elles ont lié nos mouvements. Néanmoins, jusqu'à ce jour, le gouvernement a redoublé d'efforts pour augmenter la force physique aussi bien que la force morale de l'armée.
Une décision prompte de paix ou de guerre avec la Hollande est désirable ; l'incertitude de l'avenir fatigue, épuise le pays ; une conclusion prochaine parait d'ailleurs être une nécessité politique comprise par les grandes puissances européennes : le traité du 15 de ce mois en est garant. Les probabilités de paix et le besoin que la nation a de savoir que les sacrifices qu'elle s'impose sont momentanés, dépendent de l'état de guerre, ont porté le gouvernement à vous proposer d'abord le budget du département de la guerre calculé sur le pied de paix ; il vous en sera présenté un second pour faire apprécier les dépenses en cas de guerre.
La Belgique a déjà fait de grands sacrifices pour soutenir une cause sacrée, pour conquérir ses droits de nation, son indépendance ; il lui en est encore demandé de nouveaux pour terminer l'exercice de 1831. Cependant, messieurs, les dépenses de la guerre sont bien faibles si vous voulez tenir compte de la pénurie de matériel de tout genre : c'est en effet sans armes, sans magasins, sans soldats, que la Belgique a obtenu en 1830 des succès miraculeux !
Enivrés de nos victoires, nous avons eu trop de confiance dans notre supériorité, nous avons trop présumé du courage individuel, perdu de vue les véritables éléments de force des armées. Des fautes ont été commises par tous les pouvoirs. La législature se montra parcimonieuse, parce que l'expérience des affaires manquait à ceux qui étaient chargés de lui renseigner les besoins de l'armée ; la presse, cédant à l'exaltation patriotique, suscita des jalousies en tenant trop peu compte de la position des officiers de l'ancienne armée, des habitudes, des préjugés ou des lois de l'honneur militaire ; le gouvernement les entretint par l'impossibilité où il se trouvait d'apprécier dans des moments de fermentation le mérite, les droits de chacun. De là, messieurs, le découragement chez les uns, une ambition démesurée chez les autres.
Ce triomphe qui exaltait nos esprits, produisit un effet tout contraire sur l'ennemi. Il ne pouvait se voir froidement enlever une vieille réputation dont il vivait depuis des siècles ; plus nous rehaussions nos victoires, plus il se sentait humilié, plus il nourrissait des idées du vengeance. Il avait une administration organisée depuis longues années, les cadres de presque tous les régiments de l'ancienne armée, des arsenaux pourvus d'armes et de munitions ; l'habitude de se recruter d'étrangers n'était pas encore détruite chez lui. Et pendant que nous, confiants dans l'armistice, puis dans les engagements des puissances représentées à la conférence de Londres, nous demeurions presque oisifs, il mit tout en œuvre pour organiser une armée nombreuse, il doubla ses légions de vieux soldats allemands.
Après l'élection du Roi, après l'adoption des 18 articles de paix, nous fûmes attaqués à l'improviste. D'Anvers à Maestricht nous n'avions pas vingt mille hommes à opposer à l'ennemi, et encore notre force était divisée sur les deux points extrêmes, sans aucune communication entre les parties. Cependant les premiers combats furent tous à notre avantage : à Turnhout, à Merkxem, à Houthalen, à Kermpt, nous résistons à des forces décuples ; nous repoussons l'ennemi. L'imprévoyance dans les moyens de subsistance, l'hésitation dans l'exécution d'un ordre démoralisent le soldat sur un point, il cède le terrain sans être battu ; ailleurs, la politique intervient, et pour éviter de répandre du sang inutilement, pour prévenir le bombardement d'une ville, on conclut une suspension d'armes, pendant que douze mille hommes étaient en marche pour joindre la division qui s'était battue à Bautersem, et pouvait se défendre dans Louvain.
L'évacuation de cette ville n'eut lieu que par suite d'une armistice, et seulement pour hâter la marche rétrograde d'une division ennemie ; dès le onze août, on connaissait au quartier-général les instructions données par le Roi de Hollande pour faire replier son armée dès qu'elle serait en contact avec l'armée française.
Messieurs, j'éprouvais le besoin d'expliquer les faits antérieurs à mon administration comme je les ai vus, comme je les ai compris ; non pour défendre l'imprévoyance, la confiance aveugle ou l'inexpérience administrative de quelques hommes, quoiqu'elle ne soit pas étonnante chez un peuple nouveau, traité pendant quinze ans en ilote, et privé de tous moyens de produire ses capacités, parce que toute étude pratique lui était interdite. Quelque douleur que me cause le passé, je crois qu'il faut user d'indulgence sur les fautes commises dans un temps dont je ne parle que pour rectifier autant qu'il est en mon pouvoir, des jugements portés de loin et basés sur les bravades des journaux hollandais. C'est ainsi que, le 30 septembre 1830, après avoir abandonné leurs canons à Sainte-Walburge, les Hollandais rentrèrent en triomphe à Maestricht, étalant un guidon pour attester de leurs hauts faits.
En réclamant indulgence pour le passé, je suis le premier à reconnaître qu'elle doit avoir un terme : je ne demande rien de personnel, je me soumets volontiers à un contrôle rigoureux. Non, messieurs, que je me croie supérieur à ceux qui m'ont précédé ; mais éclairé par les évènements du mois d'août, j'ai vu, comme vous tous, où était le mal, quelles étaient les fautes. Je dirai plus, avant ces évènements malheureux je n'eusse pas assez préjugé de mes forces pour accepter le portefeuille de la guerre.
Maintenant que ma pensée est claire, personne ne m'imputera à mal d'expliquer dans quel état j'ai repris les affaires.
Les gardes civiques avaient à peine rejoint l'armée le 12 août, elles n'avaient reçu aucune organisation, aucune instruction ; le plus grand nombre même était arrivé sans armes, sans linge, sans chaussure. Des corps de volontaires avaient été formés dans le mois de mai, je ne doute pas de leur courage, mais j'ai été témoin de l'indiscipline qui régnait dans les cantonnements et dans les marches ; des bataillons entiers s'étaient débandés les 15 et 16 août.
Plusieurs corps avaient abandonné leurs bagages ; le soldat indiscipliné avait déposé le sac pour se battre. Les armes étaient en mauvais état, les objets de campement n'avaient jamais été fournis à l'armée.
Les régiments de cavalerie n'avaient pas leur complet de chevaux, leur force était d'ailleurs dans une disproportion effrayante avec celle des autres armes ; l'artillerie de campagne était également trop faible comparativement à l'infanterie ; il manquait de matériel pour la compléter et de chevaux pour l'atteler, pendant qu'il y avait absence complète de chevaux et de voitures pour la formation d'un parc.
Les hôpitaux, étaient encombrés par les fièvres d'automne et partout les lits et les fournitures manquaient.
Les liens de la discipline étaient relâchés, la plupart des régiments n'avaient jamais manœuvré réunis. Quelques bataillons étaient dépourvus de tout vêtement, d'autres n'avaient que la veste ou la capote pour entrer en campagne.
Il y avait manque d'officiers généraux, et encore une partie en était reléguée dans des commandements de division territoriale. Il nous manquait des capitaines expérimentés ; nous n'avions hérité de l'infanterie de l'ancienne armée que 170 lieutenants sur 538, et 157 sous-lieutenants sur 424 ; tant était grande la partialité hollandaise !
Si je vous fais entrevoir l'énormité de la tâche que j'avais entreprise, c'est pour justifier les demandes de crédits que je vous soumets, pour m'acquitter d'un devoir constitutionnel imposé à tout ministre qui réclame des subsides. Loin de tirer vanité du bien que je puis avoir fait, je déclare, si toutefois mon administration est honorée de votre approbation, devoir le succès aux hommes que j'ai trouvés à la tête des différentes divisions du ministère, et à quelques capacités militaires qui ont bien voulu m'aider de leurs conseils et de leur travail. S'il entrait dans les usages parlementaires de citer des noms propres, je vous nommerais celui du général qui, dès les premiers jours qu'il arriva en Belgique, n'a cessé de coopérer activement à tout ce qui a été fait de bien, et allège encore aujourd'hui considérablement ma tâche : mais déjà son nom est sur vos lèvres.
Le gouvernement du Roi, usant de la latitude accordée par un décret du Congrès, avait réclamé les services de quelques officiers généraux français ; par suite de la loi du 22 septembre, il reçut dans les rangs de l'armée et prit au service de la Belgique deux chefs de bataillons, 40 capitaines d'infanterie, et quatre d'artillerie française ; je me hâte de citer les chiffres pour répondre à des calomnies soutenues même à des tribunes étrangères sur la composition de l'armée belge. Un petit nombre d'officiers étrangers a été de plus admis momentanément au service ; mais parmi ceux-ci aucun officier supérieur, aucun capitaine n'est entré ou ne fait service dans les régiments de l'armée.
Je reprends l'ordre des opérations ; dès les derniers jours du mois d'août, les régiments rentrèrent en garnison pour se refaire ; les divisions territoriales furent supprimées, l'armée embrigadée, des inspections ordonnées dans tous les corps, la hiérarchie établie sur de nouvelles bases dans l'artillerie et le génie, le corps d'administration militaire réorganisé, la liquidation de l'ex-intendance générale dévolue au ministère de la guerre.
Pendant le même temps les gardes civiques regagnèrent leurs foyers, et furent licenciés aussi bien que les tirailleurs francs ; les bataillons de chasseurs réunis en trois régiments.
Onze régiments d'infanterie de ligne étaient organisés, le 12ème le fut sur le même pied et sans fixation de complet. Cette organisation et celle des chasseurs ont excité des plaintes et des murmures. Inflexible dans l'accomplissement de mon devoir, désireux de reconnaître tous les services rendus à la révolution, j'ai institué une commission d'examen, j'ai confié au chef du personnel la mission d'entendre toutes les réclamations, de vérifier les titres ; je puis dire que pendant 2 mois il n'a cessé d'employer tous les jours plusieurs heures à s'acquitter consciencieusement de cette mission : de mon côté j'ai poussé le scrupule jusqu'à consacrer les moments que je pouvais dérober à d'autres travaux à contrôler les examens de titres et de connaissances, et j'ose en appeler à ceux même dont j'ai froissé les intérêts, détruit les illusions, pour rendre témoignage de mes procédés et des soins que j'ai mis à faire placer ailleurs, ou à donner les moyens de reprendre leur ancienne profession, à ceux dont l'incapacité militaire était évidente.
Les états de situation présentaient au commencement d'août un effectif de 64,000 hommes, y compris neuf bataillons de tirailleurs francs, formant à peu près 4,000 hommes ; les compagnies sédentaires, le dépôt des étrangers qui étaient sans armes, et plutôt traités comme prisonniers de guerre que comme soldats, toute la gendarmerie ce qui formait 2,000 hommes ou chargés du service de la police, ou nuls à la guerre. Les tirailleurs francs furent licenciés ; mais les hommes valides reprirent presque tous service dans les corps réguliers ; les officiers qui avaient montré de l'aptitude. et dont la conduite avait été ferme et loyale, furent soumis à des examens, puis placés dans l'armée. Près de 500 hommes du dépôt des étrangers furent également incorporés dans la ligne.
Dans l'effectif se trouvaient également portés par quelques chefs de corps les miliciens de 1826 congédiés dès le mois de juin, et qui jamais n'avaient figuré que sur les contrôles ; ailleurs, on avait inscrit tous les miliciens sans s'enquérir de leur position nouvelle : ainsi dans un régiment 300 hommes comptaient, comme absents, dans l'effectif, tandis qu'ils avaient été incorporés réellement dans un autre corps ; ainsi dans un régiment plus de 800 hommes appartenant à la levée de 1826, n'avaient pas été définitivement rayés des contrôles.
Il nous fut impossible d'évaluer même approximativement la force de l'armée ; un nouveau mode de situation fut prescrit, et en attendant, nous prîmes pour point de départ la force des hommes sous les armes, renseignée à 41,700 ; nous y ajoutâmes la levée de 1831, ce qui formait un effectif de 50,000 indépendamment des hommes à admettre à la réforme et des cadres des dépôts.
Cependant les maladies et les autres causes d'absence momentanée devaient considérablement réduire le nombre des combattants. La levée de 1831 était à peine vêtue, elle n'avait pas l'instruction nécessaire au soldat, l'âge requis pour supporter toutes les fatigues de la guerre ; le gouvernement se proposa d'y suppléer par un nouvel appel aux hommes de la levée de 1826. En attendant il s'occupa des mesures propres à équilibrer les différentes armes de l'armée. Mille chevaux de cavalerie et 1432 chevaux de trait et d'artillerie furent adjugés, les harnachements achetés et fournis pour ce surcroît ; 200 voitures de parc entreprises et livrées. En outre, il a été construit dans les arsenaux de l'État 44 affûts de campagne avec avant-train, et 113 caissons pour compléter le nouveau matériel de l'artillerie. Le nombre des bouches à feu attelées fut porté de 66 à 94 ; les approvisionnements augmentés et les batteries pourvues de munitions d'infanterie. Ainsi une division en campagne avait avec elle et sous la direction du commandant d'artillerie un approvisionnement complet ; ainsi devint possible la formation d'un parc de réserve propre à pourvoir à tous les besoins ; 1,000,000 de florins fut affecté à ce matériel. Le service de santé de l'armée subit aussi des modifications ; des rouages inutiles furent supprimés ; des abus corrigés ; le personnel réduit à ses limites véritables ; mais l'achat des objets de couchage et d'habillement emporta une somme assez considérable.
Pendant que les corps se refaisaient dans les garnisons, pendant que tous les ateliers étaient en activité, le gouvernement songea aux moyens de réunir les troupes, de former un camp pour les habituer au service de guerre, les faire manœuvrer en ligne et affermir la discipline, trois éléments constitutifs de la force des armées. Il fallait prendre une position propre à couvrir le pays en cas de nouvelle agression : Diest fut choisi et le 25 septembre 20,000 hommes étaient présents au camp. La saison était avancée, l'automne était là ; mais il n'y avait pas à hésiter : le baraquement et les vivres occasionnèrent des dépenses extraordinaires.
Le 22 septembre la loi de rappel sous les drapeaux des miliciens fut publiée ; le même jour les arrêtés d'organisation et de fixation de force des régiments d'infanterie et de cavalerie furent signés.
Il parut au gouvernement que le meilleur parti à tirer des anciens militaires était de les incorporer dans les régiments ; la supériorité de la levée de 1826 devait suppléer à l'inexpérience de celle de 1831 ; les 12 régiments de ligne furent portés à un effectif de 3,800 hommes, répartis en quatre bataillons et un dépôt organisé de manière à former les recrues et à débarrasser les bataillons de guerre des hommes inutiles, et qui jamais n'entrent dans les rangs ; les régiments de chasseurs furent portés à 2,900 hommes divisés en 3 bataillons : ce qui donne un effectif d'infanterie régulière de 54,300 hommes. Le 15 septembre, par suite de la fusion des corps francs, et en tenant compte des erreurs non encore rectifiées, la force de l'infanterie était de 47,000 hommes environ ; depuis malgré l'incorporation des anciens canonniers et cavaliers dans leur arme, malgré la radiation des hommes impropres au service, la force des régiments réunis s'est élevée à 54,000 hommes par le recrutement et la rentrée de la classe de 1826. Le nombre diffère bien peu du complet fixé par les arrêtés d'organisation.
L'artillerie se recruta dans une proportion plus forte encore ; l'effectif fut porté de 4,670 à 6,160 ; la cavalerie reçut aussi une augmentation de force par le recrutement, les mutations de l’une arme à l'autre, la rentrée de miliciens ; elle compte 5,200 cavaliers, y compris trois escadrons de gendarmerie.
La gendarmerie avait rejoint l'armée au mois d'août, mais ces escadrons réunis à la hâte, formés d'hommes qui avaient perdu l'habitude du service actif, d'officiers étrangers aux manœuvres de cavalerie, ne furent presque d'aucune utilité, leur réorganisation et leur réunion en régiment de grosse cavalerie, depuis le mois de septembre, les soins donnés à l'instruction, en ont fait un véritable corps d'élite.
A l'exception de la gendarmerie, tous les hommes nouvellement incorporés durent être équipés et armés à neuf. Plus de 12,000 hommes étaient dans cette catégorie, pendant que des milliers d'autres n'avaient reçu avant le 20 août que les objets de petit équipement, pendant qu'une partie d'armes devait être renouvelée.
L'activité fut si grande dans les préparatifs de réorganisation que les miliciens rappelés par la loi du 22 septembre rejoignirent leurs corps du 1er au 5 octobre, furent habillés, équipés et armés dès le lendemain. L'organisation des 4 bataillons était achevée à la même époque ; j'assistais dès les 6 et 8 octobre aux manœuvres des 4ème bataillons des 5ème,10ème et 11ème régiments.
En suivant la marche progressive de la réorganisation et du recrutement de l'armée, j'ai négligé des faits qui se rapportent à des dates plus reculées : j'y reviens.
Aucune ligne de défense n'avait été établie sur nos frontières, dégarnies de places fortes sur plusieurs points importants ; depuis notre séparation de la Hollande, on n'avait pas remédié à ce vice ; à peine quelques travaux de défense entrepris après la reprise des hostilités étaient-ils achevés, lorsque j'arrivai au ministère de la guerre. J'ai eu l'honneur de vous le dire, quelques officiers du génie furent chargés de l'assiette d'un camp ; d'autres eurent la mission de mettre à profit toutes les difficultés du terrain, de défendre les points de passage de nos rivières et d'augmenter les obstacles qu'elles présentaient naturellement ; d'autres encore mirent nos places fortes en état de défense. Depuis le mois de septembre il a été ordonnancé ou demandé 322,079 florins pour travaux de campagne, et 283,238 pour mise en état de défense ; il est à présumer qu'une somme de 50,000 florins sera encore nécessaire pour achèvement de travaux. Ce sont là des dépenses extraordinaires et indépendantes de l'entretien régulier des places de guerre et de quelques réparations estimées à 300,000.
Le manque d'armes de guerre s'était fait sentir depuis longtemps : les magasins étaient épuisés, si j'en excepte 15,000 fusils, la plupart impropres au service de la guerre, funeste présent que l'Allemagne avait fait à mes prédécesseurs, et qui arriva au milieu des évènements du mois d'août, dans un moment où de toute part on réclamait des fusils ; dans un moment où tout contrôle était impossible.
Je le déclare, dans l'intérêt de la vérité, le ministre qui a siégé avec moi pendant plusieurs mois dans le conseil du Régent avait usé de tous les moyens pour procurer des armes au pays ; des marchés importants avaient été passés ; mais il ne put parvenir à les faire tous exécuter. Je fus plus heureux sans être plus zélé.
Je fis revivre avec quelques changements, un contrat qui devait procurer 30,000 fusils sans nuire aux fabrications existantes ; je compte qu'il en sera fourni de 20 à 25,000 sur ce marché, dont la fourniture expire à la fin de l'année. J’eus le bonheur d'obtenir ailleurs 25,000 fusils dont les 4/5 sont du modèle 1777 corrigés en 1816, ou en d'autres termes semblables à ce qu'on fabrique de mieux dans le pays.
Cette bonne fortune me permit de devenir plus difficile sur la fabrication intérieure ; les fournitures faites à Liége et à Bruxelles me donnèrent les moyens d'échanger les armes défectueuses et de compléter l'armement de la garde civique.
Ceux qui voulurent bien nous céder des armes, nous proposèrent en même temps des délais pour le paiement ; les dépenses pour cet objet figurent au budget de 1832 pour les 4/5 ; mais depuis le mois de septembre, il a été fourni 24,746 fusils et 5,000 sabres, il sera encore livré avant le 1er janvier prochain 35,000 fusils indigènes, dont le paiement se fait au comptant. Messieurs, j'estime qu'ainsi l’Etat sera en possession de 200,000 fusils de munition, et que le gouvernement peut dès lors rendre au commerce des armes la liberté dont il a été privé dans l'intérêt du pays.
J'arrive, Messieurs, à un nouvel élément de force publique que le gouvernement ne pouvait perdre de vue. La garde civique, bien organisée, était appelée, malgré les vices nombreux de la législation, à rendre d'éminents services ; rien ne fut négligé pour l'utiliser.
Les ambiguïtés de la loi, la confusion des expressions « mobilisés et mis en activité » employées l'une pour l'autre, avaient donné lieu à des conflits d'attributions. D'accord avec mon collègue le ministre de l'intérieur, nous tranchâmes toutes les difficultés, simplifiâmes le travail en chargeant l'un de nous de l'organisation, de l'armement et de la mobilisation des gardes civiques. Cette milice citoyenne ne pouvait fournir que des fantassins et des artilleurs, et cependant l'arme de la cavalerie était en apparence celle qui réclamait le plus de surcroît de force. Messieurs, il eût fallu s'écarter des règles en usage dans les armées européennes, se soumettre à la nécessité, si le genre de guerre que nous avions à soutenir, la situation topographique du pays, n'avaient pas favorisé une dérogation : nos places fortes réclamaient surtout de l'infanterie et de l'artillerie ; toute la gauche de notre ligne est impropre à l'action de la cavalerie. Dès le 1er octobre, 10,000 hommes de garde civique étaient sous les armes, avaient quitté leurs foyers et tenaient garnison ou occupaient la ligne de défense des Flandres. Aujourd'hui ce nombre est doublé, tous les bataillons font le service avec zèle ; plusieurs peuvent rivaliser d'instruction avec l'infanterie de ligne. A mesure de la mise en activité, les hommes furent armés, les mauvais fusils échangés. Il a été délivré ainsi à la garde civique et à la ligne 30,000 armes à feu de bonne qualité.
Par suite du rejet d'une proposition du gouvernement, les gardes furent habillés aux frais de l'Etat. Le dénuement de tous les bataillons, l'urgence de pourvoir aux vêtements, forcèrent le gouvernement à généraliser les fournitures, à pourvoir à l'habillement de tous indistinctement. Il n'avait pas le temps de différer la mise en activité : l'armistice devait expirer le 10 octobre : il n'avait pas les documents nécessaires pour distinguer le pauvre de l'homme aisé ; il ne pouvait laisser le soldat dépourvu de linge ou de chaussure en attendant les décisions des conseils communaux ; et d'ailleurs, messieurs, ces décisions eussent entraîné une confusion, parce que la loi n'était plus applicable. Dès que l'habillement n'était pas une charge communale pour les gardes indigents, il ne pouvait être une obligation personnelle pour les autres gardes.
De ce chef, il a été fait déjà des fournitures pour 300,000 florins, et cependant l'équipement est incomplet, et le besoin de capotes se fait vivement sentir ; les dépenses pour cet objet exigeront encore une somme égale à celle employée jusqu'ici.
Indépendamment des troupes dont je viens de parler, un bataillon de mineurs et sapeurs était organisé depuis longtemps, sa force s'élève à 1,064 hommes. Le Gouvernement jugea utile la création d'un régiment étranger, vous me permettrez de ne pas m'étendre sur les motifs de cette détermination. Il comprit également le besoin de former un corps de partisans peu nombreux, mais composé d'hommes de résolution. Ce corps compte déjà 500 hommes. Le régiment étranger se recrutera plus lentement, les conditions mises à l'admission en sont la cause unique.
L'énumération qui précède vous livre le secret gardé jusqu'ici sur notre véritable force. Le gouvernement belge n'a rien à redouter de la publicité quand il vous compte 87,000 hommes sous les armes, indépendamment des compagnies sédentaires et de la gendarmerie chargée de la police intérieure ; au moment même où il a mis à la réforme les hommes impropres au service ; quand il a devers lui les moyens d'augmenter en quelques heures, la force active de 2,000 à 3,000 hommes instruits ; quand il peut disposer pour le service des places de plusieurs autres mille hommes de garde civique.
Je ne terminerai pas, messieurs, ce qui concerne la force de l'armée, sans dire un mot des gardes civiques à cheval d'Anvers et de Liége ; depuis la rupture de l'armistice, ils font avec zèle et désintéressement le service de cavaliers.
Il me reste, messieurs, à vous entretenir d'une branche essentielle du service, celui des subsistances. Le passé nous avait donné une cruelle leçon, aussi je n'eus ni paix ni repos avant que le service des vivres ne fût assuré de manière à procurer sur tous les points une nourriture saine au soldat, sans lésion pour le trésor public.
J'ai été l'objet d'accusations assez graves pour les marchés que j'ai conclus ; avant d'expliquer les faits, je vous déclare, messieurs, que j'ai traité directement et seul tout ce qui concerne cet objet. L'importance de la chose ne fut pas la cause unique de ma sollicitude, elle était plutôt excitée par le besoin d'imposer silence à la calomnie, d'éviter jusqu'au plus léger soupçon des envieux et des jaloux. Plein de confiance dans les chefs du service administratif, je crus néanmoins devoir agir sans leur intermédiaire, parce que j'étais placé dans une position favorable, ma vie ayant été plus publique que la leur.
Précédemment l'on avait tenté infructueusement d'adjuger publiquement les vivres de campagne ; l'on en était revenu forcément à traiter de gré à gré : les essais comme les marchés furent partiels, chaque fournisseur était circonscrit dans les limites d'une province. Dans le Brabant, le service n'était pas assuré ; dans le Limbourg il ne l'avait été que pour la formation d'un camp à partir du 10 août. Cet état de choses compliqua singulièrement notre position ; non seulement il devait en résulter une extrême difficulté de se procurer des vivres au moment de l'entrée en campagne, mais encore celle d'établir ex abrupto un service régulier de transport et de distribution. Les résultats de ces embarras dans le Limbourg vous sont connus, dans le Brabant on parvint à traiter avec l'entrepreneur d'Anvers, au moment même où une division passait de l'une province à l'autre.
Des Flandres il ne s'éleva aucune réclamation ; la nature des opérations militaires, la fertilité du sol y rendaient le service plus facile. Au moment où j'entrai au ministère, on soumit à mon approbation un contrat de subsistance pour la Flandre Occidentale. Il renfermait une clause à laquelle je ne pus souscrire ; celle d'avertir l'entrepreneur quinze jours d'avance du terme de la distribution des vivres de campagne. Je fus forcé de ne donner qu'une approbation conditionnelle parce que dès lors je ne comptais plus laisser le soldat dans les cantonnements. Cette clause d'ailleurs était illusoire, parce que le marché était passé pour un nombre d'hommes indéterminé, pour les brigades mobiles dans la Flandre Occidentale. Ces brigades pouvaient être réduites à rien par suite de mutations ; elles l'eussent été infailliblement par les fièvres des polders, qui accablaient les 6ème et 8ème régiments. Cependant pour éviter tout froissement d'intérêt, je laissai continuer le service de l'entrepreneur jusqu'au 1er septembre. A cette époque, toutes les troupes rentrèrent en garnison.
Le sieur De Visser Vanhove, entrepreneur de la province d'Anvers, avait dans un moment difficile, fourni des vivres au gros de l'armée ; je lui offris de continuer le service au camp sur le pied de son contrat, du moins provisoirement ; il insista pour une augmentation de prix, mais pressé par le besoin d'évacuer ses magasins, il souscrivit à mes propositions et continua la fourniture à raison de 26 75/100 la ration complète.
Toutefois j'avais la conviction que le sieur De Visser ne consentirait pas à étendre les clauses de son marché ; qu'il était impossible qu'au prix stipulé il s'engageât à fournir des approvisionnements de réserve, à suivre les mouvements d'une armée en campagne ; je nourrissais d'ailleurs l'idée de passer un marché général, seul moyen d'assurer les subsistances toutes les fois que l'armée se meut.
Le peu de succès des tentatives antérieures d'adjudication publique, le besoin d'une spécialité, d'un homme habitué à ce genre de service, enfin la nécessité de tenir le munitionnaire au courant des mouvements de l'armée, me firent abandonner tout essai d'adjudication publique, et me déterminèrent à faire un marché de gré à gré.
Je priai le sieur De Visser Vanhove de se rendre à Bruxelles, je lui fis des propositions et l'engageai à me donner ses conditions par écrit. L'expérience qu'il avait acquise et le bas prix de son entreprise me firent d'abord recourir à lui.
Les différents marchés antérieurs avaient été conclus aux conditions ci-après :
27.c. 49 à Namur ; bois et vinaigre non compris ;
30 c. dans le Hainaut ration complète ;
27 c. 40 dans la Flandre orientale ;
27 c. dans la Flandre occidentale ;
26 c. 75 à Anvers et postérieurement dans le Brabant.
Je ne parle pas de l'entreprise pour le camp de Zonhoven ; la ration était calculée à raison de 26 cents, mais à part le chauffage ; cette ration était plus élevée de 0 c. 50 que celle du sieur Vanhove ; ce contrat n'était d'ailleurs conclu que pour des troupes concentrées dans un camp.
Le sieur De Visser, celui qui avait fourni jusque-là les subsistances au plus bas prix, et même dans des localité moins riches de grains et de bestiaux que d'autres, me fit une soumission, le 26 septembre, à raison de 31 1/4 de cents la ration : j'ai produit la pièce originale à votre commission.
Je fis les mêmes propositions au sieur Renier Hambrouk ; ancien agent des subsistances de l'armée française, munitionnaire des armées étrangères qui nous envahirent en 1814, qui occupèrent la Belgique en 1815, il avait une réputation bien établie, les connaissances et l'activité nécessaires. Il soumissionna à raison de 28 50.
Ce prix me parut avantageux, attendu l'importance du service, les approvisionnements immenses à réunir, l'obligation de suivre tous les mouvements de l'armée. Cependant je revis encore le premier soumissionnaire, je cherchai à obtenir d'autres conditions ; il accéda à une diminution d'un cent et fixa définitivement son prix à 30 c. 25, protestant des pertes énormes qu'il faisait à son marché antérieur.
Les plaintes se succédaient déjà sur le service des vivres au camp, je me hâtai de conclure, convaincu que le seul moyen de procurer au soldat des vivres sains, était une augmentation de prix : le sieur Hambrouk devint entrepreneur général. Il n'y avait d'ailleurs pas de temps à perdre, les hostilités pouvaient recommencer le 10 octobre ; le service devait être assuré avant cette époque, les magasins établis, les places fournies d'approvisionnements de siège.
Messieurs, je m'applaudis tous les jours d'avantage du marché que je suis parvenu à conclure : tous les rapports attestent que depuis le 10 octobre, les subsistances ont été assurées d'une manière régulière sur tous les points, que jamais armée n'a été mieux nourrie. Du 26 septembre au 10 octobre, au contraire, les plaintes étaient journalières sur la qualité des vivres. Je m'applaudis d'avoir obtenu un prix qui, en promettant des bénéfices raisonnables, ne permet de supposer ni dilapidation ni prodigalité ; à cet égard, j'ai recueilli des preuves authentiques, et puis donner officieusement tous les apaisements désirables.
Messieurs, je viens de vous exposer fidèlement les faits. Je ne puis donc concevoir comment on a pu supposer que des offres avaient été faites à raison de 23 cents par ration, à moins qu'une fourniture extraordinaire d'un jour de durée, n'y ait donné lieu.
Antérieurement à mon administration, dans un moment d'urgence, on invita un entrepreneur à fournir 10,000 rations ; engagé par d'autres contrats, il voulut faire preuve de bonne volonté, et fournit ce qu'on lui avait demandé à raison de 22 c. 75, non compris le riz, le vinaigre et le bois qui eussent porté le prix à 26 c. 50 ; et depuis, l'entrepreneur m'a déclaré qu'il avait fait une perte considérable sur cette entreprise d'un jour.
Telles sont, messieurs, les mesures prises pour réorganiser l'armée et la mettre sur un pied capable, non seulement d'en imposer à l'ennemi, mais d'assurer la victoire ; telles les mesures pour l'établissement d'un système de défense, et l'action régulière de tous les services.
Leur énumération justifiera, je l'espère à vos yeux, la demande du crédit supplémentaire ; l'économie apportée dans les changements introduits dans la fixation des soldes des officiers promus à de nouveaux grades, m'autorise à réclamer un nouvel acte de confiance. Oui, messieurs, le gouvernement réclame la confiance de la législature, il en a besoin pour accomplir sa mission ; il en a plus spécialement besoin pour régulariser et liquider les exercices de 1830 et 1831 . Il y a en effet des dépenses non renseignées au ministère, des comptes qui ne lui ont jamais été soumis. Tous les jours encore des communes présentent des états de logement et de fournitures faites à la troupe en 1830, tandis que le ministère, de son côté, n'a pas encore obtenu ses apaisements sur l'emploi de fonds confiés, dans les premiers mois de la révolution, à plusieurs officiers de l'armée.
Toutefois, Messieurs, pour éclairer la discussion, je joins ici l'état des dépenses faites pour les 10 premiers mois par nature de service (le relevé de ces dépenses n’est pas repris dans la présente version numérisée). A ce relevé, messieurs, il faut ajouter les crédits du mois d'octobre, ouverts trop tard pour être payés avant le 1er novembre ; le crédit pour solde, vivres, etc., du mois de novembre ; les demandes de paiement faites et non ordonnancées, et déjà renseignées à l'état qui vous a été fourni à l'appui de la demande de crédit ; enfin toutes les autres sommes qui figurent sur le même état, ce qui forme un total de 34,763,247 fl. 94 c., tandis qu'il est demandé un crédit à concurrence de fl. 34,800,000. Cette différence provient encore des crédits du mois d'octobre. En effet, messieurs, d'après les renseignements que vous possédez, il ne serait resté disponible au 1er novembre que 5,181,100 florins sur des crédits qui s'élèvent ensemble à 52,000,000 fl. ; ou en d'autres termes, il aurait été disposé de 26,819,000 fl. soit en ordonnances, soit en crédits ouverts, mais pour le mois d'octobre il a été ouvert un crédit supplémentaire de 840,000 ; savoir, le 24 octobre 350,000 fl. le 27 octobre, 190,000 fl et le 3 novembre 300,00 fl.
Les deux dernières parties ne peuvent être portées en dépense par les administrateurs du trésor qu'en novembre ; il doit en être de même pour quelques mille florins sur le crédit primitif. Ainsi donc la nouvelle manière de vous présenter les chiffres, confirme l'exactitude des calculs qui ont servi de base à la demande de 2,800,000 florins, et vous donne un moyen de les vérifier approximativement.
L'examen rapide du budget que j'ai l'honneur de vous présenter sera, je m'en flatte, un titre de plus à votre confiance. Mais avant le budget, le gouvernement soumet à votre approbation un projet de loi qui fixe le contingent de l'armée pour l'année 1832.
Ce projet est dicté par le même esprit que la loi des dépenses ; il prévoit d'abord l'état de paix.
Le contingent de l'armée est divisé en trois catégories : les hommes sous les drapeaux, les miliciens en congé et ceux en réserve.
La réserve se compose de la levée de 1832, elle est évaluée à 12,000 hommes, sauf à n'appeler plus tard sous les armes que les hommes nécessaires au service. Le mode de fixer un maximum présente l'avantage de pouvoir passer plus vite du pied de paix au pied de guerre. Il correspondrait à une force de 80,000 hommes, si toutes les levées avaient été fixées de la même manière.
Le pouvoir législatif est substitué par l'article 119 de la constitution au pouvoir que le Roi exerçait en vertu de l'article 11 de la loi du 8 janvier 1819. Les inconvénients de la fixation annuelle se sont fait sentir dans l'exécution de cet article, depuis que nous sommes en état de guerre. Les contingents n'avaient été portés qu'aux 3/4 des limites fixées par la loi, et, chose étonnante, celui de 1831 ne dépasse guère la moitié, ou 1 homme sur 600.
Il eût fallu une interprétation judaïque pour revenir sur le passé, instituer des conseils de milice pour examiner tous les cas d'exemption des hommes appelés complémentairement ; la fixation du maximum remédie à cet inconvénient, sans entraîner l'obligation d'appeler plus d'hommes sous les armes.
Je m'explique : les hommes propres au service sont, après examen des conseils de milice, les uns désignés pour le service, les autres pour suppléer aux mutations, et tous renvoyés dans leurs foyers. Les hommes désignés pour le service sont nominalement incorporés jusqu'à l'appel sous les armes, et s'il survient après l'incorporation des motifs d'exemption, il y est fait droit chaque année à une époque fixe, en vertu de l'article 21 de la loi du 8 janvier 1817 ; tandis que les hommes non désignés, dans le principe, font valoir leurs réclamations, constater leur nouvelle position au moment où ils sont appelés par suite de mort, de désertion au d'autres causes de mutation. Il résulte de là que dans le dernier cas, il faudrait procéder aux longues opérations des conseils de milice, pour appeler au service tous les hommes non désignés si le contingent primitif n'était pas porté au maximum ; tandis que dans le premier cas, l'opération de la révision se fait à époque fixe, et que d'un jour à l'autre on peut appeler tous les hommes d'une levée sous les drapeaux ou bien telle fraction que le gouvernement juge utile. En divisant le maximum en plusieurs parties suivant l'ordre des numéros du tirage au sort et de la population des cantons, il ne résulterait aucun préjudice pour les individus, parce que chacun connaîtrait le degré de probabilité qu'il a de servir activement.
Le contingent en congé illimité est formé de l'excédant des miliciens de 1830, 1829, 1828 et 1827, après la formation des cadres au complet de paix ; la levée de 1827 n'y figure que pour une partie de l'année. Le nombre d'hommes de cette catégorie est indéfini, il dépend du nombre de volontaires qui se trouveront sous les armes au 1er janvier, et de toutes les mutations à intervenir avant cette époque.
Enfin le contingent réel est fixé à 27,000 sous-officiers et soldats.
Ce nombre, dont les tableaux à l'appui du budget expliquent la composition, paraîtra peut-être trop élevé au premier aperçu, mais il ne représente pas un pied de paix définitif. Il exprime un état transitoire, le passage du pied de guerre au pied de paix. Vous partagerez sans doute l'opinion qu'il est impossible de désarmer brusquement ; un licenciement est à la fois impolitique et dangereux.
Le projet ne fait pas mention du rappel des hommes en congés ; le gouvernement ne compte pas assujettir aux exercices d'automne les hommes dont la présence au corps n'a pas été interrompue depuis la révolution. Il attendra la révision des lois sur la milice pour régler ce point, et profitera de l'intervalle pour l'instruction théorique et pratique des cadres.
Enfin, l'article 4 du projet fixe le contingent du pied de guerre. Il est déterminé d'après la force actuelle, plus la levée de 1832.
Messieurs, l'imperfection du projet tient au mode du recrutement établi ; le gouvernement du Roi comprend qu'il doit être mis en harmonie avec la constitution, il s'occupe de l'étude des différents systèmes en vigueur chez les peuples de l'Europe, afin de vous présenter un projet qui réunisse l'économie à la facilité d'arriver promptement à mettre l'armée sur le pied de guerre, qui se prête à former le plus grand nombre de soldats en blessant le moins possible les intérêts domestiques.
Le budget que j'ai l'honneur de vous présenter est basé sur le projet qui fixe le contingent ; après vous avoir expliqué les motifs de celui-ci, je vais parcourir successivement les différentes parties de celui-là.
(Note du webmaster : le ministre de la guerre poursuit son exposé en détaillant les crédits demandés : cette partie de son discours n’est pas reprise dans la présente version numérisée. Il termine ainsi : )
Messieurs, le gouvernement soumet avec confiance à votre investigation et à votre approbation le budget des dépenses du ministère de la guerre ; il est persuadé que vous trouverez dans les détails minutieux qui le justifient la preuve de son désir de suivre franchement les voies constitutionnelles, de travailler au grand jour, et d'agir dans l'intérêt bien entendu de la nation belge.
Pour moi, messieurs, heureux de pouvoir vous donner une nouvelle preuve de loyauté et de dévouement, j'espère avoir concilié les intérêts du trésor de l'Etat avec ceux de la brave armée dont le Roi a bien voulu me confier l'administration ; citoyen et soldat, je n'oublierai jamais ni ce que je dois au pays, ni ce que je dois à l'armée.
(Moniteur belge n°163, du 25 novembre 1831) La séance est levée à 4 heures et un quart.
Noms des représentants absents sans congé à la séance du 23 novembre 1831 : MM. Angillis, Blargnies, Coppens, Domis, Dumont, Gelders.