(Moniteur belge n°158, du 20 novembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à onze heures moins un quart.
Après avoir fait l’appel nominal, M. Jacques donne lecture du procès-verbal ; il est adopté.
M. Lebègue présente l’analyse de quelques pétitions, qui sont renvoyées à l’examen de la commission.
La lecture de la proposition faite hier par M. Destouvelles ayant été autorisée par les sections, l’honorable membre est admis à en faire la lecture et à la développer.
M. Destouvelles. - Messieurs, la partie du Limbourg que les 24 articles, souverainement décrétés par la conférence de Londres, le 15 octobre dernier, détachent de la Belgique, a été pendant plusieurs mois occupée par des corps de troupes irrégulières. Je vous épargne, messieurs, l’exposé des calamités de toute espèce que cette occupation a fait peser sur les habitants de la rive droite de la Meuse. Des plaintes aussi nombreuses que fondées sont parvenues au gouvernement, et jusqu’ici elle n’ont reçu aucun accueil. Dans le principe, ces troupes ne recevaient point de rations et vivaient à discrétion chez les cultivateurs. Plus tard, on leur distribua les vivres de campagne ; mais ces distributions ne suffisaient pas aux exigences d’hommes accoutumés à un régime très large et un genre de vie désordonné. D’un autre côté, les propriétaires, privés de leurs communications ordinaires par l’impossibilité de conduire les produits de leurs récoltes sur les marchés de Maestricht, et par l’interruption prolongée de la navigation de la Meuse, ont été forcés de chercher au loin et à leur grand détriment, des débouchés pour leurs céréales, seule richesse du pays. Enfin, depuis 1830, tout semble s’être réuni pour accabler les habitants de la rive droite. Cependant, ils se soumettent avec résignation à tous ces sacrifices exigés par les circonstances. Ayant embrassé avec ardeur la cause de la révolution, ils nourrissaient l’espoir d’en partager les résultats. Les 24 articles le leur ont arraché. Ils n’ont plus d’autre perspective que celle des réactions inséparables des grandes commotions politiques. Ainsi l’a décidé la force ; mais il n’a pas été en votre pouvoir de lutter contre elle, il dépend au moins de vous de venir au secours de ces pays replacés sous la domination hollandaise et de leur prouver par un acte de justice que, si la violence les a détachés de la Belgique, les Belges, au moment où cette cruelle séparation est sur le point de s’accomplir, ont saisi l’occasion de leur donner une dernière preuve de leur sollicitude.
Je viens de parler d’un acte de justice. C’en est un à mes yeux, et je n’hésite pas à croire que vous partagerez mon opinion. Oui, c’en est un que de suspendre la perception de l’emprunt de dix millions dans ces parties de provinces de Limbourg et de Luxembourg, sacrifiées au désir du maintien de la paix générale. L’avenir nous apprendra si les grandes puissances auront atteint leur but. Tout en continuant à déplorer ces moyens, j’en appelle la fin de tous mes vœux. Je vous propose, messieurs, de suspendre la perception de l’emprunt de 10 millions. L’état actuel de nos rapports avec la conférence et la Hollande me prescrit de me servir de termes en harmonie avec un provisoire qui subsistera jusqu’à l’adhésion du cabinet de La Haye.
Et comment pourriez-vous, messieurs, soutirer à une population déjà épuisée ses dernières ressources ? Comment exiger qu’elle contribue à faire les frais d’une indépendance dont elle n’est plus appelée à jouir ? Comment souffrir que d’impitoyables garnisaires notifient à ces malheureuses contrées les derniers adieux d’une autorité expirante ? D’ailleurs, la loi du 19 octobre, qui ordonne l’emprunt de 10 millions, renferme des dispositions réciproques. Si, d’une part, les contribuables sont forcés de s’acquitter dans les proportions et les délais qu’elle détermine, de l’autre, l’Etat contracte envers eux des obligations auxquelles il ne peut se soustraire. J’ouvre la loi du 19 octobre, et je lis les articles 9 et 16. Aux termes de l’article 9, les récépissés provisoires doivent être échangés du 1er avril 1832 au 30 juin suivant, dans l’arrondissement où ils auront été délivrés par les agents que désignera le pouvoir exécutif, contre des obligations du trésor de 500, 100, 50, 25 et 10 florins chacune. Ces obligations du trésor seront soumises au visa de la cour des comptes. Elles seront considérées comme effets au porteur.
Les récépissés provisoires seront échangés du 1er avril 1832 au 30 juin suivant ; mais si les 24 articles ne sont pas une vaine menace (et, en autorisant S. M. à les accepter, vous les avez regardées comme fixant irrévocablement les destinées de la Belgique), qu’existera-t-il de commun, le 1er avril, entre elle et les parties du Limbourg et du Luxembourg que vous abandonnez ? Rien, si j’excepte des souvenirs pénibles, des regrets mutuels. L’agent du pouvoir exécutif, où tiendra-t-il son bureau ? Où sera consommé l’échange des récépissés provisoires ? Avant le 1er avril la séparation sera accomplie. Vos agents, s’ils se présentaient alors sur la rive droite, seraient expulsés. Toutes ces opérations, telles qu’elles sont prescrites, deviendraient impossibles. Faudra-t-il que les habitants des pays cédés soient forcés de venir en Belgique solliciter un échange qui devait s’effectuer à leur porte ? Mais, en supposant qu’ils consentissent ou plutôt qu’ils fussent réduits à se soumettre à un déplacement dispendieux, que seront dans leurs mains les obligations de votre trésor, visées par votre cour des comptes.
L’article 16 les admet comme numéraire dans les caisses publiques pour droits et contributions, dont l’échéance et l’exigibilité seront postérieures au 30 juin 1832.
Mais, postérieurement au 30 juin 1832, vous n’aurez plus de caisses publiques sur ces territoires abandonnés. Pour vous, plus de droit à y percevoir, plus de contributions à y lever ; conséquemment, plus de moyens, pour ces porteurs de bons, de leur donner une destination qui les aurait mis à même de les placer avantageusement et de se désintéresser presque entièrement. Vous vous le rappellerez sans doute, messieurs, telle est l’importance que la chambre, dans ses délibérations a attaché à l’emploi de ces bons, qu’à ses yeux, il n’est resté à la mesure proposée par le gouvernement que le cours d’emprunt, et que dans la réalité elle a été ramenée dans les termes d’une simple avance de quelques mois. Tous ces avantages, qui ont adouci la rigueur d’une loi que la nécessité seule peut justifier, seraient perdus pour ceux en faveur desquels j’élève la voix. Ne pouvant utiliser pour leur propre compte les bons du trésor, ils verraient, aux garnisaires qui les auraient dépouillé, succéder de ces faiseurs d’affaires, de ces agioteurs ruraux qui saisissent toutes les occasions d’exploiter les besoins et soulèvent la crédulité des habitants des campagnes.
En dernier résultat, messieurs, la loi du 19 octobre 1831 ne pouvant, à l’égard des habitants du Limbourg et du Luxembourg, recevoir son exécution pleine et entière, ce serait, selon moi, le comble de l’injustice que de leur en faire supporter tout le fardeau sans les faire jouir des compensations qu’elle alloue aux autres contribuables. Messieurs, en accordant au Roi l’autorisation d’accepter les 24 articles, vous avez pu vous retrancher derrière la nécessité. En vain vous l’invoqueriez pour rejeter la proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre. Si votre adhésion a été forcée, la perception de l’emprunt serait un fait absolument volontaire et que rien ne pourrait excuser. Les termes d’exigibilité étant fixés aux 1er novembre et décembre, je demande que la chambre, reconnaissant l’urgence, s’occupe immédiatement de la présente proposition.
Je vais vous donner lecture du projet de loi sur lequel j’appelle vos délibérations. En vous le présentant, je crois remplir un devoir, et, quoique mes affections particulières ne soient pas étrangères à son accomplissement, je leur aurais imposé silence si je n’avais la profonde conviction qu’elles sont d’accord avec ce qu’exige une rigoureuse justice.
« Léopold, Roi des Belges,
« Considérant que, dans la position extraordinaire où se trouvent placés les pays qui, aux termes des 24 articles, imposés par les cinq grandes puissances, doivent être séparés de la Belgique, il convient d’adopter, à leur égard, des mesures particulières, relativement au recouvrement de l’emprunt de 10 millions ;
« Vu l’article 112 de la constitution ;
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Art. 1er. Le recouvrement de l’emprunt de 10 millions, ordonné par la loi du 19 octobre dernier, est suspendu jusqu’à disposition ultérieure dans les parties des provinces de Limbourg et de Luxembourg détachée de la Belgique par les 24 articles imposés par les cinq grandes puissances.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire immédiatement après sa sanction.
« Mandons et ordonnons, etc.
« Signé : Destouvelles, H. de Brouckere, Raymaeckers. »
- La chambre prend cette proposition en considération et, après un court débat, elle la renvoie à une commission de cinq membres pour la nomination desquels elle s’en remet au bureau.
M. le président désigne, pour composer la commission, MM. A. Rodenbach, de Theux, d’Huart, Fleussu et Osy.
L’ordre du jour est la suite de la discussion sur les crédits provisoires à accorder au ministère de l’intérieur.
M. de Theux donne des explications sur les intentions de la commission dont il a été le rapporteur, et répond aux diverses objections qui ont été faites hier contre son rapport.
(Moniteur belge n°159, du 21 novembre 1831) M. de Theux. - La question de personne a été entièrement écartée dans l’énuméré du budget ; c’est au gouvernement à apprécier leurs mérites ou leurs droits.
La commission a émis des opinions sur les économies à introduire dans l’administration : le gouvernement examinera si elles sont compatibles avec le bien du service, et la chambre aura à examiner aussi quelle somme il conviendra d’allouer ; mais, pour l’exercice courant, aucune réduction de ce chef n’a paru possible.
Plusieurs orateurs ont examiné s’il est utile de conserver des administrateurs spéciaux pour quelques branches du service. Cette question est susceptible de controverse : dans l’opinion de ceux qui en soutiennent l’utilité, il faudrait même en établir, par parité de raison, pour d’autres branches importantes ; dans l’opinion contraire émise par la commission, il faudrait donner plus d’importance aux chefs de division.
La commission a cru que c’est des corps enseignants et des corps recevant que le gouvernement doit recevoir les renseignements nécessaires pour l’instruction publique et que, sous le rapport des subsides à répartir, une administration spéciale n’était pas non plus indispensable. La commission a cru également que les améliorations à introduire dans le système pénitentiaire et le régime des prisons devaient résulter des lois et des règlements généraux, dont l’exécution serait dévolue aux gouvernements des provinces et aux commissions provinciales. Au surplus, je le répète, ce ne sont que des opinions qui méritent un mûr examen.
La commission a cru devoir, dès maintenant, supprimer les allocations pour l’industrie ; en cela elle a suivi les opinions émises par la commission des voies et moyens, et par celle des crédits dans les rapports faits au congrès national.
Le soutien d’industries factices ou d’établissements mal administrés, ou un privilège au détriment des établissements non secourus, telles ont été les suites ordinaires des secours accordés.
Mais il ne suit pas de là qu’aucune protection ne doive plus être accordée à l’industrie : lorsqu’un système de primes d’exportation aura été combiné, il pourra obtenir faveur auprès de la chambre, suivant l’importance des avantages qui pourraient en résulter, et suivant l’état de situation du trésor.
L’observatoire a excité l’intérêt de plusieurs orateurs ; mais la chambre remarquera que la commission n’a critiqué l’allocation du traitement et des frais pour autant de livres et d’instruments que parce que cet établissement n’est pas achevé ; ces observations deviendront sans objet si la ville de Bruxelles le met en état.
M. de Theux a terminé ainsi. - Je n’ai rien à ajouter aux observations faites par l’honorable M. Osy sur les subsides aux villes et aux communes ; en principe, ils constituent un véritable privilège, sauf les cas d’une absolue nécessité.
(Moniteur belge n°161, du 23 novembre 1831) M. Zoude. - Messieurs, j’appellerai votre attention sur une somme de 144,000 fl., qu’on vous propose d’allouer en faveur d’une route contre laquelle on a vivement réclamé dans la province de Luxembourg.
Pour justifier cette réclamation, diverses commerçants et rouliers ont adressés des mémoires au gouvernement, dans lesquels ils démontrent que cette route ne pourra être que peu ou point fréquentée par le roulage, à cause des nombreuses côtes ou montagnes qu’il faudra gravir ; et pour que cette démonstration soit faite d’une manière régulière, les pétitionnaires ont demandé qu’il fût nommé une commission qui serait présidée par le gouverneur de la province, que cette commission serait tenue de puiser les renseignements sur les lieux mêmes, persuadés, disent les pétitionnaires, que le résultat de l’enquête serait l’abandon d’une route aussi dispendieuse qu’inutile.
Dispendieuse, parce qu’il est posé en fait que, quand vous aurez accordé les 144,000 fl. dont plus de la moitié sera absorbée par la construction d’un pont à Vignis, et l’élargissement d’un autre à Payenne, on viendra vous dire qu’ayant dépense alors une somme de 324,000 fl., il y a nécessité, pour ne pas perdre le tout, de consentir un nouveau sacrifice de 200,000 fl.
Cependant, il pourra arriver que, dans l’embarras de ses finances, l’Etat se verra forcé d’ajourner une dépense qui laissera la route inachevé : et il en résultera que l’ancienne, qu’on veut abandonner, étant de plus en plus négligée, finira par devenir impraticable ; et alors nous serons menacés de voir nos communications presque interrompues entre Dinant et Luxembourg.
On a dit que cette nouvelle route sera inutile : en effet, les voituriers déclarent qu’ils ne pourront guère la fréquenter à cause de ses monstruosités périlleuses, tandis que l’ancienne peut être rendue très viable et aussi courte en construction, au moyen de 40,000 florins ; et à ce taux, ils garantissent l’entreprise.
Ainsi, messieurs, vous épargnerez d’abord plus de 100,000 florins sur le crédit qui vous est demandé, et puis celui de 200,000, qui deviendra indispensable si on s’obstine à l’achèvement de cette route.
Je ne parle pas de 5,000 florins que coûtera, en plus, l’entretien annuel de la nouvelle route sur l’ancienne.
Mais, je ne vous le cache pas, messieurs, si vous rejetez le crédit, vous mécontenterez les propriétaires de six à huit châteaux, près desquels passera cette nouvelle route ; vous irriterez, peut-être, quelques susceptibilités.
Mais la chambre décidera si la facilité de l’abord à quelques châteaux, si des considérations d’amour-propre à ménager, si quelques intérêts privés doivent l’emporter sur les besoins du commerce.
D’ailleurs, messieurs, la saison avancée est une considération que j’invoque pour vous prier de ne pas précipiter une allocation que la commission qui, j’espère, sera nommée, déclarera probablement inutile.
(une dizaine de mots illisibles) regardée comme inutile, il invoque l’application des sommes qui lui seraient destinées à l’exécution des projets consentis par les états provinciaux du Luxembourg et le gouvernement déchu ; projets qui lieraient entre elles les villes de Marche, Laroche, Bastogne, Saint-Hubert, Neufchâteau et Bouillon, et qui ouvrirait une communication directe entre Liége et Paris, et assurerait ainsi un développement de prospérité qui décuplerait la valeur de nos contrées ardennoises.
L’exécution de ces projets est surtout vivement réclamée, aujourd’hui que nous devons nous efforcer à créer sur notre propre sol un accroissement de valeur et de population qui puisse nous indemniser du sacrifice douloureux qui nous est imposé, si toutefois la perte d’un aussi grand nombre de nos frères peut jamais être compensée. A cet égard, le baume de l’espérance peut seul cicatriser une déchirure aussi violente.
Me résumant, je conclus à l’ajournement.
(Moniteur belge n°158, du 20 novembre 1831) M. Vandenhove. - Messieurs, sans approuver en tous points le rapport de la commission, je donne volontiers mon assentiment à plusieurs de ses réductions et observations, dont M. le ministre pourra tirer avantage lors de la confection du budget de 1832.
Au nombre des suppressions que propose la commission, il en est une que je ne saurais admettre, c’est celle de la somme destine à l’encouragement du commerce et de l’industrie, et, en en réclamant le maintien il n’entre point dans ma penser de lui donner la destination qu’elle eut le plus souvent sous l’ancien gouvernement, d’être le partage de l’intrigue et de la mauvaise foi : interroger, messieurs, les membres des chambres de commerce qui furent consultés sur les pétitions de secours ou d’avances, et vous apprendrez que la demande de l’intrigant, rejetées par celles-ci, fut communément bien accueillie par le gouvernement. Je me suis sans cesse prononcé contre l’usage, plus d’une fois scandaleux, que l’on faisait de ce fonds pour l’industrie, créé primitivement pour servir de prime à celle qui ne pourrait produire sous l’égide des 6 p. c. des droits d’entrée, maximum de la protection accordée à nos productions industrielles par le système financier de 1821.
Ce n’est que dans des cas bien rares que le gouvernement doit confier des fonds à une nouvelle branche d’industrie ; l’intérêt général devrait être bien clairement démontré, avant de lui faire aucune avance. J’ai constamment soutenu que ce capital ne devait servir qu’à faciliter la création de grandes associations commerciales, dont les ressources immenses permettraient l’établissement de comptoirs dans des contrées peu fréquentées par le commerce individuel, en raison de ce que l’éloignement retarde la rentré des mises dehors, et en exige de considérables pour avoir des magasins toujours approvisionnés. Dans notre pays, quelque grande que soit la fortune d’un négociant, il se résout difficilement à en exposer une partie dans des parages lointains ; ce genre d’affaire est abandonné au régime des sociétés anonymes, spécialement destinées à exporter les exubérances des produits, et de prendre en retour les matières premières à des prix très favorables, par la faculté qu’elles ont de contracter des marchés avantageux avec les grands propriétaires, et de saisir toutes les occasions où il y aurait surabondance de produits, ou baisse considérable de leurs prix.
J’appuie avec instance sur la conservation du fonds de l’industrie, parce qu’il sera indispensable pour faciliter l’érection de factoreries au-dehors, nécessaire à l’exportation de notre trop plein ; l’objection qu’en l’absence d’un chiffre affecté à l’industrie, le gouvernement pourrait toujours nous proposer l’allocation d’une somme pour exécuter semblable dessein, serait spécieuse, supposent qu’immédiatement après la reconnaissance de notre auguste souverain par les cinq puissances, il se présente une combinaison qui assure de nouveaux débouchés à notre industrie, et qu’elle exige un secours momentané pour aider à rassembler les capitaux nécessaire à son développement, croyez-vous, messieurs, que la législature accorde ce secours sur un simple exposé du gouvernement ? Une longue discussion ne s’engagera-t-elle pas sur la proposition du ministre ? Des demandes indiscrètes ne surgiront-elles pas dans le cours des débats ? Ne cherchera-t-on pas à contester les avantages qui pourraient en résulter pour le pays ? Ne provoquera-t-on pas des réponses qui pourraient compromettre, faire avorter même l’utilité bienfaisante de la mesure ? C’est pour prévenir ces discussions préjudiciables à l’intérêt général que je désirerais voir conserver dans les colonnes du budget des dépenses, une somme dont le ministère pourrait disposer, si quelque supériorité commerciale s’offrant à eux avec des connaissances acquises dans de longs voyages, ou des faveurs obtenues en pays étrangers.
L’idée de débouchés à l’extérieur donne chez toutes les personnes qui cultivent la science de l’économie politique. Avant la perte de Batavia, qui pouvait nous échapper par diverses circonstances, elle se répandait dans plusieurs classes de la société ; l’extension prodigieuse de notre industrie multipliait les prosélytes, ils sentaient que c’était trop donner au hasard que de se reposer sur la consommation de cette colonie, à laquelle la société de commerce n’a expédié, en 1828, que pour 2,000,000 de florins de marchandises manufacturées en coton, et, en 1829, pour 1,700,000 florins, indépendamment des envois de même espèce, faits par le commerce particulier, qui s’élèvent à 964,888 florins. Cessons de gémir sur la perte de Batavia, persuadons-nous bien, ce qui est échappé à des hommes à réputation, que toutes les combinaisons ne sont point épuisés, qu’il existe encore des pays immenses en quantité de nos productions n’ont jamais concouru avec celles des autres nations, et ne perdons point de vue que, dans notre état de neutralité, la seule base solide de notre politique doit être la politique commerciale. Si nos hommes d’Etat prennent cette vérité pour guide, et qu’ils sachent s’entourer des lumières nécessaires, ils assureront le bonheur matériel de la Belgique.
(Moniteur belge n°159, du 21 novembre 1831) M. A. Rodenbach. - Messieurs, je suis satisfait des vues d’économie de la commission ; néanmoins, j’entretiendrai quelques instants la chambre sur notre système des poids et mesures. Je crois de mon devoir de déclarer ici que ce n’est point en vertu d’une loi, mais en vertu d’un arrêté, d’une simple décision ministérielle, que le gouvernement néerlandais percevant un droit pour vérification des poids et mesures, on agit encore de même aujourd’hui. Cela est une violation manifeste de l’article 113 de la constitution.
Je remarque dans le budget que les frais d’administration des poids et mesures s’élève à la somme de 44,000 florins dont 42,000 pour les appointements, déplacement et frais de bureau des vérificateurs, et 2,000 pour frais de confection d’étalons. Cet impôt est prélevé illégalement sur le peuple, et ne rapporte pour ainsi dire rien au trésor. Il est donc de la plus haute importance qu’on présente au corps législatif une loi qui règle le système en question. Il existe une foule d’abus dans cette administration. Dans plusieurs arrondissements (je citerai celui de Courtray), les vérificateurs font le commerce de poids et mesures ; et, lorsque le public en achète dans les ventes provenant d’un marchand retiré depuis plusieurs années, on lui fait payer le droit de toutes les années depuis que les poids et mesures n’ont pas servi.
Les listes des régences, contrôlées par les commissaires de district, ne suffisent point ; il faudrait des registres à souches pour délivrer des quittances ; maintenant les vérifications n’en donnent point. Grand nombre des employés ne font pas leur métier, perçoivent des émoluments jusqu’à douze cents florins, et achèvent leur tournée souvent en un mois. Outre ces appointements, ils ont encore la moitié des amendes qu’ils constatent ; et notez bien qu’ils sont seuls pour dresser leurs procès-verbaux. Finalement, il faut une nouvelle loi ; si l’on veut que le système métrique soit suivi en Belgique. En France, le système des poids et mesures pour le détaillant est divisé en 1/4 et en 1/8. En Belgique, il ne l’est pas. Depuis 16 ans, les Hollandais n’ont pu l’exécuter, malgré les grandes amendes et la prison. Quoi qu’on fasse, le peuple dira toujours une livre, un quarteron, un demi-quarteron.
Après avoir blâmé l’exécution de l’excellent système métrique, je dois à la vérité de dire que l’on doit des éloges au chef du département qui a fait entrer naguère dans le trésor les dix mille florins qu’on donnait autrefois illégalement en gratification aux employés.
Je me plais à croire que, dans le nouveau budget, on aura égard à de pareilles observations, et que l’on simplifiera cette branche d’administration.
Pourquoi ne pas charger les régences du poinçonnage ? Cela ne coûterait point aux contribuables des 44,000 fl. Rien n’empêche que les municipalités aient des poids modèles (étalons).
Lorsqu’on s’occupera du budget prochain, j’aurai à peu près les mêmes vices d’organisation à signaler pour la garantie des ouvrages d’or et d’argent. Cet impôt coûte 10 p. c. au contribuable, ne rapporte que 26,000 fl., et coûte au gouvernement 37,000 fl. Cela ne doit point nous étonner ; car sous Napoléon, on ne donnait aux contrôleurs que 1,200 francs, tandis qu’aujourd’hui cela leur rapporte 1,800 fl.
Il est des gens qui considèrent le gouvernement à bon marché comme une utopie ; je ne partage par leur opinion. Les Belges n’ont pas fait la révolution seulement pour les intérêts moraux, mais aussi pour l’intérêt matériel, donc, pour leur procurer cet avantage, nous devons réclamer à grands cris des économies. Pourquoi, par exemple, accorder à un inspecteur de l’instruction publique, qui reçoit par an 4,100 florins d’appointements, trois florins par lieue pour indemnité de route, et huit florins par jour de séjour. Il s’ensuit que, lorsque M. l’inspecteur se rend à Gand, il gagne à peu près cent francs par jour. Vous savez, messieurs, que les diligences ne coûtent que 25 cents par lieue ; les ministres et les sénateurs même voyagent en diligence. Je ne pense pas que MM. les inspecteurs doivent voyager en poste pour aller incruster la science ; au surplus, le service des diligences est maintenant si bien organisé, que la petite propriété voyage aussi vite et aussi commodément que le grand seigneur.
Mon honorable collègue, M. Desmet, me signale à l’instant encore une inconstitutionnalité. Il s’agit d’une commission établie pour l’examen des artistes vétérinaires. Les professeurs perçoivent des rétributions des candidats pour droits d’examen et de diplôme. C’est sous ce ministère de huit jours de M. Teichmann que cet arrêté a été porté. J’ai dit.
(Moniteur belge n°156, du 19 novembre 1831) M. Barthélemy. - Messieurs, j’ai eu l’honneur de vous dire hier qu’il fallait examiner notre position véritable pour faire porter le budget de 1832 sur ses véritables bases. Il faut, par avance, que le ministère sache quelle est l’opinion de la chambres sur les diverses dépenses qu’elle est disposée à autoriser, et qu’il fasse le budget de 1832 en conséquence ; ainsi nous pourrons, dès le commencement de l’année entrer dans les voies constitutionnelles, car nous en sommes encore au régime des arrêtés.
Avant toute chose, il faut savoir ce que nous pouvons dépenser, il ne s’agit pas de mesurer nos dépenses sur les besoins plus ou moins réels, plus ou moins urgents, et sur les avantages plus ou moins grands de telle ou telle institution, mais sur la possibilité de satisfaire aux dépenses. Eclairons-nous sur nos vrais besoins, mais mesurons-les sur nos ressources.
Le ministère de la guerre, d’après ce que nous a dit M. le ministre lui-même, pourra suffire à ses besoins, en temps de paix, avec une somme de 8,000,000 de florins. Nous aurons tout à l’heure dix millions de dettes à payer : cela fait un total de 18 millions de florins. Comme nos ressources ne se portent annuellement qu’à une trentaine de millions de fl., il faudrait que tous les autres services fussent faits avec une somme de 12 millions de fl., ce qui n’est guère possible par le système en vigueur.
Je voudrais pouvoir indiquer pour chaque ministère les réformes qu’il faudrait opérer. Mais, puisque nous en sommes au ministère de l’intérieur, je me contenterai de vous présenter le système qui me semble le meilleur pour lui assurer une bonne position morale et financière.
L’orateur propose de supprimer l’administration du waterstaat, en confiant aux provinces l’administration des routes royales et des canaux, comme on lui confie l’administration des routes provinciales.
Il propose aussi de supprimer l’administration des prisons, et de confier cette administration aux provinces.
Il considère aussi l’administration de la police comme inutile, dès le moment où l’on aura fait une bonne loi sur les passeports.
Passant à l’instruction publique, l’orateur propose de supprimer les universités, qu’il appelle des créations gothiques et papales (on rit) ; l’orateur rappelle que l’université de Louvain fut créée en 1400 par le pape, et qu’il se réserva, à ce propos, des privilèges qui ne pourraient plus exister aujourd’hui. Le gouvernement n’a que deux choses à faire : voir ce qu’il veut dépenser pour l’enseignement supérieur, et les sacrifices qu’exige l’instruction primaire. Pour l’enseignement supérieur, l’orateur propose d’établir une école de droit à Louvain, une école de médecine à Gand, une école de philosophie à Liége, une de minéralogie à Namur, une de commerce et de dessin à Anvers. Pour l’enseignement primaire, on calculerait les secours qui sont nécessaires à chaque commune, et on voterait des sommes en conséquence. Mais, pour tout cela, dit-il, il n’est pas besoin d’une administration spéciale : il suffit de donner de l’argent aux provinces.
L’orateur ne pense pas que le gouvernement doive rétribuer les ministres de tous les cultes établis ou à établir. Le gouvernement ne doit rien aux cultes ; mais comme, lors de la révolution française, on enleva les biens du clergé catholique, on lui doit une indemnité pour représenter le revenu de ses biens. Qu’on calcule à quoi elle s’élève. Qu’on le donne aux évêques, et qu’ils fassent leur ménage comme ils l’entendront. (Hilarité.)
C’est ainsi, dit l’orateur, que vous entrerez dans un système véritable d’économie, et vous n’auriez rien fait en publiant des constitutions archi-libérales, et qu’on vante dans toute l’Europe, si vous suiviez toujours les errements de la prodigalité de Guillaume et du luxe impérial.
L’orateur pense, moyennant les suppressions qu’il a indiquées, que le ministre pourrait se contenter d’un budget de quatre millions.
M. Jamme. - Messieurs, la motion d’ordre que j’ai faite hier n’avait pour objet que de faire une économie de temps, en empêchant la discussion de se porter déjà sur le fond du budget de 1832, qui ne nous est pas encore présenté. La chambre n’ayant pas admis ma proposition, je dois aussi prendre la parole. Je vous occuperai peu de temps.
Nous sommes appelés à délibérer sur le crédit provisoire nécessaire pour terminer l’exercice de 1831 du budget du ministère de l’intérieur.
La commission que vous avez chargée de déterminer avec M. le ministre les sommes nécessaires à cet objet, vous a présenté son travail.
Il résulte de ce travail qu’il sera fait, sur la somme totale du budget proposé pour 1831, des économies pour la somme de 633,026 fl. 44 c., et qu’il faut pour terminer l’exercice de ce budget, outre les allocations existantes, celle de 2.090.218 fl. 31 c.
Alors la commission vous indique, par mode de renseignement, les changements qui lui semblent possibles à faire dans l’administration, et les économies qui en résulteraient.
Ces renseignements, messieurs, je les regarde comme fort utiles, et ils prouvent le soin particulier qu’a mis la commission à remplir son mandat ; mais la commission n’a pas entendu que vous les preniez en considération avant la discussion du budget de 1832.
Vous ne lui aviez pas donné mission de faire un plan de budget. Le ministre vous le présentera, le budget, et alors ce ne sera pas une commission de quatre membres qui vous présentera ses vues, ce sera la chambre entière appelée dans les sections, qui délibérera sur le fond et sur tous les éléments d’un des actes les plus importants de la législature.
Je rends justice aux vues de la commission, mais elles ne présentent pas d’ensemble ; mais la commission ne vous les a pas fournies pour en faire le sujet d’une délibération, et encore moins pour les voir soumises à une critique plus ou moins sévère.
Je ne disconviens pas que les débats qui nous ont occupés n’aient eu quelques résultats utiles ; mais, messieurs, fussent-ils sans réplique, répandissent-ils même plus de lumières encore, ils devront tous être reproduits lors de la discussion du budget.
Je n’entrerai donc dans aucune détail ; je me réserve pour la discussion ; alors chaque objet sur lequel on discute sans solution sera l’objet immédiat d’une discussion et d’un vote définitif et utile.
Je vais me borner, aujourd’hui, à manifester quelques vues générales.
Je ne vois d’abord rien qui s’oppose à ce que nous fassions, pour le restant de l’exercice, les économies proposée de (chiffre illisible), bien que quelques-unes d’elles portent sur des objets sur lesquels l’économie est mal entendue dans mon sens ; mais ces économies sont censées être déjà consommées : elles portent sur tout le cours de l’exercice de l’année ; nous avons la plus grande pénurie, et le ministre a dit que, selon lui, ces économies ne faisaient préjuger en rien pour le budget de 1832.
Messieurs, les questions que la commission a soulevées par les vues qu’elles a soumises aux réflexions de la chambre sont pour la plupart du plus haut intérêt, sous le rapport de l’ordre administratif, de nos intérêts moraux et de l’économie.
Personne plus que moi, messieurs, ne sent le besoin des économies ; mais il faut savoir les faire ; je n’admettrai jamais, qu’après le plus sévère examen, celles qui devront atteindre des institutions destinées à répandre les lumières, l’instruction et tous les bienfaits de la civilisation. Je n’admettrai jamais celles qui pourront ralentir les améliorations nécessaires à notre système pénitencier et à l’état des prisons. Quelles que soient les améliorations qui ont eu lieu dans nos prisons, il en existe encore d’urgentes et de très urgentes à faire : dans plusieurs provinces, l’état des prisons vous brise le cœur, et si nous sommes en arrière des autres peuples sur quelques points, c’est éminemment sur celui-là. Le peuple des prisons, messieurs, sont des malheureux ; ce sont des tristes victimes de l’ignorance, de la misère et de l’état d’abjection où un sort aveugle les a fait naître. Ils réclament notre appui : soyons plutôt prodigues que parcimonieux à leur égard ; ils sont nos frères, et nos frères malheureux. Je pense qu’il y a de grandes économies à faire dans diverses administrations, que l’on peut les atteindre par des réductions dans le traitement, des réductions dans le personnel, et par l’adjonction de diverses administrations entre elles, afin de mieux répartir le travail, et sans nuire à l’ensemble et à l’unité qui doit régner dans un bon gouvernement.
Nous pourrons déterminer, après un mûr examen, la dépense totale des diverses ministères, et de leurs principales subdivisions ; mais, messieurs, c’est aux ministres à nous fournir leurs vues à cet égard, et leur budget.
Puisque les ministres sont responsables, ils doivent être parfaitement libres dans le cercle de leurs attributions. C’est à eux qu’il appartient de régler l’intérieur de leur administration : ce n’est pas au moment où il faut tout improviser, où nous manquons de capacité, que nous devons courir la chance de compromettre le service par des réformes irréfléchies. Eux seuls, les ministres, connaissent les talents, l’aptitude des individus qui compensent leur administration, les besoins qu’ils en ont, les traitements qu’ils méritent.
C’est au ministre, après qu’ils se seront bien pénétrés de la nécessité de faire des économies, de les signaler dans leur budget : par cette disposition on pourra éviter bien des froissements, éviter de compromettre les plus grands intérêts.
Au surplus, messieurs, je n’entends pas, en émettant cette opinion, que la chambre cède en aucune manière le droit qu’elle a de prendre en tout temps l’initiative. J’entends seulement que, par des communications entre la chambre et les ministres, communications toutes fondées sur l’ordre et les convenances, les véritables intérêts de la nation soient discutés, et que de cette discussion, il résulte une bonne administration et un sage emploi des deniers publics.
(Moniteur belge n°160, du 22 novembre 1831) M. Angillis. - Messieurs, je remarque que l’on se méprend, et sur les expressions du rapport, et sur les intentions de la commission. On parle constamment des propositions de la commission, et cependant, le rapport, dans la partie qui fait la manière de cette longue discussion, ne contient pas un seul mot qui soit l’équivalent d’une proposition. Ce rapport se divise en deux parties : d’abord, et en premier lieu, on trouve la justification du projet de loi qui accompagne chaque rapport, et cette justification n’est point basée sur des économies futures, mais sur des faits patents, sur des dépenses proposées au profit du budget, et qui n’ont pas été effectuées, et qui ne le seront pas pendant le peu de temps qui reste à courir pour finir l’année ; cette partie seule du rapport est susceptible de discussion. L’autre partie renferme les vues de la commission sur le budget futur. La commission ayant été à même d’examiner, dans ses causes les plus intimes, les dépenses de l’Etat, a cru faire une chose utile en présentant ses idées sur une partie de ces dépenses, et en les soumettant à la méditation de chaque membre de cette assemblée ; elle a pensé qu’en indiquant, non une règle de conduite, mais quelques points principaux à l’attention des représentants de la nation, on aurait pu peut-être abréger les recherches et les travaux du budget futur, et cette partie du rapport ne me paraît nullement sujette à discussion. Mais puisque la discussion s’en est emparée, il faut la continuer.
Mon intention n’est point de défendre le travail de la commission, travail auquel j’ai franchement coopéré : ce travail est soumis à la délibération de la chambre ; elle appréciera ce qu’il peut contenir d’utile, et rejettera ce qui ne l’est pas. Placée entre l’intérêt privé et l’intérêt général, c’est-à-dire entre les deux systèmes les plus opposés, elle s’est souvenue qu’il est dans la justice même un excès que les législateurs doivent éviter, et qu’il ne faut jamais être extrême. C’est en présence de cette règle, dictée par l’équité, que la commission a cru devoir combiner les diverses branches du ministère de l’intérieur, leur utilité, les travaux qui en résultent, les suppressions que l’intérêt du service permet et que la pénurie du trésor réclame. Il est sans doute malheureux de perdre sa place par l’effet d’une suppression que l’intérêt général commande ; mais ce malheur est inséparable de toute organisation provisoire ; car, dans le passage d’un régime ancien à un ordre nouveau, tous les rapports ordinaires de la société sont inévitablement atteints par le mouvement qui les renouvelle. Pour suivre ces rapports dans leur changement, on doit tout faire à la hâte, et cette précipitation qu’on a mise dans l’organisation des ministères ne permet nullement, à ceux qui ont été appelés à une place quelconque, de croire qu’ils ont obtenu une espèce de droit acquis. Ceux qui obtiennent des places, lors d’une organisation définitive, se trouvent dans une tout autre position : il est des places qui tirent presque toute leur valeur de la certitude de leur durée ; les avantages qu’elles procurent actuellement sont en proportion de l’espoir qu’on a eu autrefois de les exercer à l’avenir. La différence, messieurs, entre ces deux positions est aussi grande que celle qui existe entre les lois de la nécessité et les institutions de la sagesse. Les employés de la première catégorie n’ont aucun droit acquis à une indemnité ; seulement ils peuvent nourrir l’espoir d’être placés à la première occasion. On attaque avec aigreur les suppressions que la commission indique ; mais ces honorables membres ont-ils bien examiné notre état financier ? Ont-ils songé à l’énorme déficit qui nous attend pour commencer l’année 1832 ? Ont-ils bien calculé les ressources de la nation ? J’abandonne ces remarques à leur savoir et à leur patriotisme.
Qu’on ne dise pas que nous poursuivons vainement une chimère, une perfection idéale et impossible. Non, nous ne formons pas ce vœu ; nous désirons qu’on organise toutes les administrations publiques sur une base certaine et durable, et qu’on ne crée point ou ne laisse point subsister des sinécures, parce que toute sinécure est un vol fait à la chose publique. Nous désirons enfin qu’on rappelle chaque branche de l’administration dans ses voies naturelles.
J’ai dit, messieurs, que je ne viens point défendre le travail de la commission ; je prie l’assemblée de n’en point conclure que chaque membre de la commission ne soit pas en mesure de le faire ; mais vous sentez, messieurs, qu’il serait souvent trop pénible de descendre dans tous les détails d’un travail de cette nature. D’ailleurs, quand on parle en public, les spectateurs exercent une certaine influence sur l’orateur, et cette influence empêche quelquefois les idées de paraître dans toute leur nudité : on ne dit rien qui ne soit vrai, mais on ne dit pas toujours tout ce qui est vrai. Au reste, la commission a pensé qu’avant d’être généreux, il fallait attendre que nos finances fussent dans un meilleur état ; que les charges qui pèsent sur la nation, et l’accablent, réclament toute l’attention de ses représentants ; que l’intérêt de ces malheureux contribuables, qui paient souvent jusqu’à la dernière obole au fisc, s’oppose à la conservation des places inutiles et largement payées. Elle a pensé que, dans la situation où se trouve le pays, la nation ne doit rien solder qui ne soit absolument nécessaire à son indépendance, à son bonheur et à sa tranquillité. C’est là l’idée qui a constamment guidé la commission dans son travail : si cette idée est une erreur, l’erreur est bien excusable, puisqu’elle a sa source dans une conscience pure, et dans la volonté d’alléger les fardeaux de la nation.
(Moniteur belge n°156, du 19 novembre 1831) M. Devaux combat les raisonnements de M. Barthélemy, touchant la suppression de l’administration de l’instruction publique ; il trouve cette branche trop importante, pour que le gouvernement ne la surveille pas d’une manière toute spéciale. Il fait remarquer que le ministre de l’intérieur aurait déjà beaucoup à faire quand il ne serait chargé que de l’administration des provinces, sans aller lui confier la direction de l’instruction publique, qui exige des connaissances spéciale et fort étendues pour que cette branche en reçoive une influence salutaire.
L’orateur s’élève aussi contre la suppression de l’administration et de l’inspection des prisons, et surtout contre l’idée émise de charger de cette partie les chefs de divisions. Les fonctions que l’on voudrait supprimer exigent un zèle que l’on ne peut obtenir que par la spécialité des travaux.
S’il ne s’agissait que de la partie matérielle des prisons, on pourrait concevoir la suppression ; mais la partie morale est une question de civilisation et non d’administration, et il fait pour cela des hommes qui aient des connaissances et même un caractère tout spécial. C’est par cela, dit M. Devaux, que je ne veux pas que les gouverneurs de province en soient chargés. Il faut des hommes spéciaux, je le répète, qui s’occupent de l’amélioration morale des prisons, en faisant jouir toutes les provinces de ces améliorations, ce qui n’arriverait pas si chaque gouverneur de province administrait les prisons à sa manière. Il fait d’ailleurs remarquer qu’il existe des prisons, comme celle de Vilvorde, de Gand, de Saint-Bernard, qui n’appartiennent à aucune province en particulier, mais à toutes.
L’orateur approuve la suppression de la place d’inspecteur des messageries ; il voudrait que le gouvernement cessât aussi de délivrer les brevets d’entrepreneur des messageries, mais qu’il laissât ces établissements se multiplier sans obstacle, chose qu’il n’existe pas aujourd’hui, au grand détriment des voyageurs. L’orateur voudrait même que l’on supprimât le privilège de la poste, et qu’on remplaçât le modique revenu qu’elle rapporte par une rétribution que l’on mettrait à la charge des messageries, qui se chargeraient du transport des lettres.
Après avoir examiné rapidement les questions relatives à l’instruction primaire, à l’enseignement supérieur qu’il ne trouve pas assez fort, et pour lequel il demande des encouragements capables d’exciter l’émulation, l’orateur s’oppose à la suppression du conservateur de la bibliothèque de Bourgogne, et de la place d’archiviste. Ces suppressions seraient intempestives aujourd’hui qu’il faut encourager les études historiques : quand la Belgique n’était rien, son passé avait peu d’intérêt ; mais aujourd’hui qu’elle prend place parmi les nations, son histoire particulière présentera un grand intérêt : le présent rétroagira sur son passé, et à son tour ce dernier devra influencer sur son avenir. Pour de telles études, les archives du royaume sont un trésor. Je m’opposerai à toute suppression à cet égard.
L’orateur exprime le vœu de voir réorganiser l’académie de Bruxelles, qui lui semble décrépite, quoique voisine de sa naissance. Il demande surtout qu’on donne un peu plus de publicité à ses travaux. Je ne veux pas croire, dit-il, aux choses singulières qu’on dit s’être passées dans cet établissement ; mais je crois que la publicité ne peut que lui faire un grand bien.
L’orateur insiste aussi pour qu’on maintienne l’allocation à la société d’émulation de Liége, qui a rendu des services moins grands peut-être qu’elle aurait pu rendre, mais qui était réellement en progrès au moment de la révolution.
Après quelques autres observations sur les écoles de musique et de peinture, l’orateur termine en insistant fortement pour qu’on ne supprime pas les allocations pour l’industrie et les subsides à accorder aux villes pour faire travailler la classe ouvrière. Il regarderait cette suppression, dans un pareil moment, comme impolitique et inhumaine.
M. Jullien. S’élève avec force contre l’énormité des charges qui pèsent sur l’Etat. D’emprunt en emprunt, de déficit en déficit, nous nous précipitons dans l’abîme, dit-il ; et, après ce début, il fait remarquer que la discussion actuelle devant se reproduire lors de l’examen du budget de 1832, est maintenant anticipée et prématurée. Il fait cependant observer que le budget de la guerre est énorme, et il trouve que l’armement extraordinaire que constitue la Belgique dans de si fortes dépenses (le budget de ce département s’élève à 34,800,000 francs), est en contradiction manifeste avec l’état de neutralité que les puissances ont prétendu vouloir lui assurer. L’orateur se réserve de revenir plus tard sur cette question, et il termine en se plaignant de ce que la ville de Bruges n’a jamais pu rien obtenir pour son athénée, tandis que des sommes plus ou moins considérables sont allouées à d’autres villes. Sur quelles bases, demanderai-je à M. le ministre, cette répartition est-elle faite ? Sur les bases de l’égalité ? Non, car les unes ont tout, tandis que les autres n’ont rien. C’est sur le besoin sans doute, car le besoin, c’est la base la plus équitable. Mais, messieurs, sous ce rapport, quelle ville a plus de droits que celle de Bruges ? Bruges n’a de prospérité que dans ses souvenirs ; et sa population s’élève à 40 mille âmes, sur lesquels 17,000 personnes sont inscrites pour recevoir des secours à domicile. Les habitants de Bruges ont épuisé leurs ressources l’hiver dernier pour donner du pain à ces malheureuses familles ; ils vont être obligés de faire de nouveaux sacrifices, et on leur refuse quelques milliers de florins pour leur athénée.
M. le Hon. - Avant d’examiner, messieurs, les différentes observations auxquelles le rapport de la commission a donné lieu, je présentera sur son travail une réflexion générale. La commission me semble avoir porté ses investigations sur des points qui sont en dehors du domaine de la chambre. Elle s’est attachée à savoir si telle ou telle branche d’administration était convenable, elle a cru voir un service mieux entendu d’après ces combinaisons ; mais elle n’a pas toujours attaché à ses observations un résultat de chiffres. Nous ne pouvons mieux faire, pour nous maintenir dans nos attributions, qui sont fort étendues, que de maintenir les attributions du pouvoir. La liberté est sortie triomphante de la révolution, et le pouvoir en est sorti plus faible en subissant la loi du vaincu. Aujourd’hui le peuple veut être gouverné avec force, il veut que le pouvoir soit fort. Ainsi la commission a dit : « Il faut détacher les prisons du ministère de l’intérieur ; il ne faut pas détacher des prisons l’administration de bienfaisance ; » et voilà comment la commission, en émettant dans la chambre son opinion sur la direction à donner à des administrations, nous a amenés à faire ici du gouvernement. Il faut en convenir, il reste trop souvent dans nos esprits des traditions du congrès, pouvoir souverain et constituant. Le congrès devait tout rêver, tout faire. Mais aussi le pouvoir législatif ne doit pas sortir des limites qui lui sont tracées. Il doit examiner le budget, et n’examiner les dépenses administratives que dans leur rapport avec les recettes. En un mot, messieurs, il faut nous renfermer dans nos attributions législatives, pour que le gouvernement se renferme dans ses attributions gouvernementales. De cette observations générale, je passe à quelques observations particulières.
Je répondrai d’abord que je n’ai pas compris les économies qu’on retirerait de l’organisation du ministère de l’intérieur telle qu’un honorable membre l’a établie devant vous. Je crois que l’Etat paierait les mêmes sommes qui sortiraient seulement de différentes caisses, et qu’au lieu d’une économie on aurait une dislocation de ce qui est central aujourd’hui et de ce qui doit l’être. Craignons un système fédératif qui porte la force aux extrémités, en ne laissant au centre que la faiblesse. La centralisation me paraît nécessaire, indispensable, pour lier les provinces au siège du gouvernement, pour lier les gouvernements au pouvoir.
L’orateur, en convenant qu’il est loin de déclarer toute économie impossible, ne croit pas que, pour parvenir à en établir une, il faille, par exemple, comme l’honorable M. Barthélemy le propose, constituer au clergé une rente représentative de la valeur des biens dont il a été dépossédé, et ne lui allouer aucun traitement. L’article 117 de la constitution reçoit une toute autre interprétation de la part de l’orateur, qui poursuit en ces termes :
Je ne partage pas l’opinion de la commission sur les travaux publics. Il faut aviser au meilleur moyen d’amener le soulagement, l’amélioration et la prospérité des intérêts matériels, qui sont inséparables des intérêts moraux dont la Belgique possède enfin la conquête et l’affranchissement. Les travaux publics me semblent devoir contribuer au bien-être matériel du pays. Quant à la suppression des administrateurs, je partagerai toujours l’avis de la commission, lorsqu’il s’agira de réunir sans inconvénients ces administrations à d’autres directions déjà existantes ; mais il est impossible que les administrations de l’instruction publique, des prisons et de la sûreté publique, viennent encore accroître encore les travaux multipliés des ministres, lorsque leur temps est absorbé en partie par les soins qu'ils doivent déjà à leurs départements.
Sur l’enseignement, je ferai deux observations. Notre enseignement moyen a besoin de quelques encouragements, et la répartition inégale qui a été faite des secours accordés tient peut-être à des causes locales qui ont été mal connues ou mal appréciées ; c’est ainsi qu’on s’est plaint de l’allocation de 9,000 fl. faite à la ville de Tournay pour son athénée, tandis que l’athénée de Bruges ne reçoit aucune subvention. J’expliquerai, pour ce qui concerne Tournay, que les 9,000 fl. dont il s’agit ne sont accordés à la ville qu’à la charge par elle de fournir 9,000 autres fl. pour compléter le traitement des professeurs. Convaincu encore que le gouvernement doit donner ses soins à l’instruction publique, afin d’exciter l’émulation entre les institutions publiques d’enseignement et les établissements privés, je crois que la commission n’a pas sainement envisagé la question, en provoquant une suppression sur les fonds alloués pour l’instruction.
Je n’ai pas été plus heureux pour comprendre, messieurs, la suppression demandée par la commission, des fonds destinés aux subsides pour les villes et communes, et aux encouragements pour l’industrie. On est dit-on, presque à la fin de l’année, et comme il n’y a pas encore eu de dispositions faites sur ces fonds, on refuse d’en consacrer l’allocation. Le principe d’où part la commission me paraît faux. Si on n’a pas disposé du fonds de l’industrie, tant mieux, on le retrouvera ; mais cette non-disponibilité ne peut pas motiver un refus d’allocation. Ensuite il faut considérer non seulement l’utilité du subside, mais encore la possibilité d’en apprécier d’un moment à l’autre l’utilité. Ne sommes-nous pas à la veille de l’hiver ? Pensez-vous que les villes et les communes, qui, l’année dernière, ont soutenu par d’énormes sacrifices les indigents et les établissements industriels, aient encore de pareilles ressources maintenant ? Loin de nous cette pensée, messieurs, car nous connaissons déjà des villes et des communes où les administrations locales sont tellement effrayées pour l’approche de l’hiver, qu’elles sont prêtes à donner leur démission en masse, si le gouvernement ne vient pas promptement au secours de leurs administrés.
L’orateur, après avoir développé plusieurs considérations, à l’appui du vote qu’il émet pour le maintien, même pendant les six dernières semaines de 1831, des fonds d’encouragement à l’industrie et les subsides, appuie sur la nécessité de conserver aux archives l’archiviste actuel, quelques observations que d’autres membres aient pu faire valoir.
M. le Hon, en examinant les recettes et les dépenses, déclare que l’avenir de nos finances lui paraît assuré. Il termine ainsi : Songeons, messieurs, que l’armée nous coûte des frais énormes, mas qui ne sont que provisoires ; songeons que nous sommes à la veille, selon toutes les probabilités de paix, d’opérer une immense diminution de nos forces armées, qui, sur le pied de paix, ne coûteront plus que 11,608,000 fl. Un membre a trouvé qu’on était peu d’accord en entretenant une armée qui était prête à entrer en campagne, et en votant un traité de paix. Il n’y a pas encore de traité définitif : vous avez autorisé le Roi à signer la paix ; eh bien ! jusqu’à une conclusion finale, nous sommes dans un état d’attente, attente qui n’est que la conséquence de la position que les intérêts de la patrie nous ont fait prendre.
M. Ullens. - Messieurs, dans tous les gouvernements représentatifs, le moment où la législature discute les budgets de l’Etat est un de ces où les chambres peuvent exercer le plus d’action sur la marche du gouvernement. Telle n’est pas toutefois la situation où nous nous trouvons placés aujourd’hui ; car sauf le peu de temps qui doit s’écouler d’ici au 31 décembre, le reste de notre ouvrage doit se borner à la régularisation de dépenses déjà faites. Je rends grâce au travail de la commission qui, vu la brièveté du temps, s’est dignement acquittée d’un mandat tout de confiance, dont la chambre l’avait investie. Dans un Etat naissant, et dont la condition a coûté tant de sacrifices au peuple belge, les économies ne sont pas seulement bonnes, elles sont indispensables. C’est dans cette voie sage qu’est entré le ministère ; et c’est d’après les mêmes principes qu’ont procédé les honorables membres chargés de nous présenter le rapport que nous discutons aujourd’hui.
Il existait une difficulté à vaincre ; elle consistait à réduire les dépenses, sans entraver la marche de l’administration. Ce problème me paraît résolu, pour autant que les circonstances semblaient le permettre, en simplifiant les rouages qui ralentissaient la machine administrative, ou qui étaient inutiles. Il est une réduction surtout qui mérite toute notre attention : c’est la suppression des administrateurs généraux. Abondant dans le sens de la commission, je pense, comme elle, qu’il serait infiniment plus utile que le ministre travaillât immédiatement dans l’administration de son département. Je pense également que l’administration de la sûreté publique et celle des prisons doivent entrer dans les attributions du ministère de la justice. Je forme, en attendant, des vœux pour que l’administration de la sûreté publique soit, en temps de paix, réduite à la plus petite expression possible.
Désirant, autant que personne, que le régime des prisons reçoive les améliorations dont elles sont susceptibles, il me paraît qu’on ne pourrait mieux faire que de charger exclusivement les gouverneurs de ces sortes d’inspection. Ces messieurs se hâteront de s’éclairer, sans doute, des lumières que leur fourniront les commissions gratuites attachées à ces prisons, et qui ont déjà rendu de si éminents services dans l’état physique et moral de tous les prisonniers. Quant à la place d’inspecteur des messageries, je trouve que nous ne sommes ni assez riches, ni assez bénévoles, pour continuer une semblable sinécure. Ne serait-il point utile, ici, comme l’a dit un de nos collègues, de remémorer qu’on pourrait réunir les postes aux messageries ? Sans préciser les économies à faire dans l’administration des ponts et chaussées, des réductions dans le personnel et dans les appointements permettraient de minorer le chiffre 174,400 fl. que coûte ce service.
Dans la section qui traite de l’instruction publique, on propose de supprimer l’inspecteur des universités : cette mesure me semble sage. Touchant les articles 2, 3, 4, relatifs aux universités, j’aime à me flatter que, lorsque le ministre aura présenté, sur l’instruction, une loi sage et en harmonie avec un peuple libre, on songera sérieusement à réduire le nombre de ces établissements, nullement en rapport avec le peu d’extension de notre territoire et l’exiguïté de nos moyens financiers.
Passant à l’observatoire de Bruxelles, je crois qu’il y a lieu à ne point retirer l’allocation mentionnée à l’article 2 de la 6ème section. L’utilité générale m’en semble démontrée, tant pour la marine que pour la triangulation du royaume. C’est le seul moyen, comme l’a dit un honorable député, de parvenir à la péréquation des contributions directes, dans laquelle il existe encore tant d’anomalies.
Il n’en est point ainsi du jardin botanique et du théâtre de Bruxelles, ainsi que de tout établissement qui n’est point d’un intérêt général, pour lesquels je pense que nous ne pourrons voter des fonds que dans des temps plus prospères. Les autres articles du budget qui vous est soumis ont mérité mon assentiment.
Il ne me reste plus qu’un seul vœu à émettre, c’est qui plaise à MM. les ministres de nous remettre prochainement les budgets de 1832, afin qu’après les avoir mûrement examinés, nous puissions à temps accorder les crédits nécessaires. D’autres projets de loi indispensables vont également nous être présentés, discutons-les avec calme et dignité ; car, ne nous y trompons point, l’Europe a grand nombre d’yeux ouverts sur nous, et nous ne serons jamais grands au-dehors et forts au-dedans qu’autant qu’il existera une union parfaite entre le gouvernement et les représentants de la nation. En agissant ainsi, nous consoliderons notre édifice social, et nous serons dignes de nous asseoir dans la famille européenne, où la paix générale va incessamment marquer notre place, que nous occuperons alors avec gloire et qu’au besoin nous saurions défendre avec vigilance.
M. d’Elhoungne réfute d’abord M. le Hon sur le prétendu droit que la commission se serait arrogé de « faire du gouvernement. » Il était en fait que l’examen consciencieux du budget est inséparable des projets d’amélioration administrative, que la commission soumet seulement à la chambre et aux ministres ; qu’elle n’entend au reste que donner des avis, et non pas rendre des décrets.
L’honorable membre appuie ensuite, et par les mêmes raisons que plusieurs membres de la commission ont fait valoir, les suppressions des allocations portées pour le théâtre, pour l’observatoire de Bruxelles et pour le jardin botanique, et il se résume sur ce point en soutenant que les dépenses purement locales ne doivent jamais figurer dans le budget de l’Etat, et que les établissements de luxe ne doivent être soutenus par le trésor public que quand il n’y a pas déficit dans les finances de l’Etat, que quand on n’a pas payé par triples sommes les impôts personnels et fonciers.
On a combattu, dit l’orateur, la suppression proposée des subsides accordés aux villes et communes. Messieurs, le système de répartition de ces secours pécuniaires est vicieux, et le gouvernement est le moins apte à faire une distribution sage et équitable de ces subsides entre les villes nécessiteuses. Ne soyons pas si prompts, messieurs, à grever l’Etat de charges nombreuses, pour avoir le plaisir ou la vanité de faire l’aumône avec un argent qui n’est pas le nôtre. Il y a, messieurs, charlatanisme et hypocrisie dans ces fanfaronnades d’humanité, de générosité ; et trop souvent on impose le cens du pauvre pour donner du secours à des intrigants ou à des favoris. (Mouvement.) Ces subsides ne sont que des prêts ; et alors pourquoi empruntons-nous nous-mêmes, si nous pouvons faire des prêts aux autres ? Voilà pourtant l’acte de démence qu’on vous propose, en soutenant la nécessité de conserver les fonds de subsides.
M. d’Elhoungne entre dans de longs développement pour prouver qu’il y aurait impossibilité de trouver dans les ministères aucun de ces hommes capables qui, selon des préopinants, sont largement rétribués, mais en raison de leur seule capacité. Il s’élève contre la conservation de l’administration des prisons, qui a un nombre double d’employés à ceux qui, sous Louis XIV, faisaient les affaire de tout le département de la guerre confié à Louvois, et contre le traitement de l’administrateur qui absorbe les appointements réunis d’un président, de deux juge et d’un substitut dans certaines juridictions. L'orateur termine en appuyant le rapport de la commission.
Quelques observations s’échangent entre M. le Hon et M. Barthélemy aux quelques points de leur premier discours.
M. Brabant présente sur le système des ponts et chaussées des vues et des calculs, d’où il résulte que les Belges paient aujourd’hui 126,000 fl., ce qui sous l’empire et dans les départements réunis qui forment aujourd’hui la Belgique coûtait 153,200 fr.
M. Rouppe. - Messieurs, permettez, je vous prie, que j’aie l’honneur de vous entretenir pendant quelques instants de l’observatoire de Bruxelles. Est-il bien vrai que cet établissement ne présente qu’un intérêt local ? Que ce soit un établissement particulier, fondé seulement dans l’intérêt d’une ville ?
Aux partisans de cette opinion, je demanderai si les observatoires de Paris, de Londres, de Berlin, de Gotha ou même de Genève, ont été faits dans l’intérêt de ces villes, ou bien s’ils ont été fondés dans l’intérêt général des sciences et des pays auxquels ils appartiennent ? La réponse ne me paraît nullement douteuse. S’ils ont été placés dans ces villes, c’est qu’il fallait bien les placer quelque part, et qu’il valait mieux les mettre à côté des sociétés savantes telles que les académies et les instituts. Les gouvernements qui les ont établis ont senti que l’édifice des sciences, dont tous les pays sont appelés à recueillir les avantages, doit se conserver et s’agrandit par leur soin ; qu’il était de leur dignité de le faire.
Notre royaume serait aujourd’hui le seul en Europe qui n’aurait pas de monument pour l’astronomie.
Rappelons-nous, messieurs, que quand la France, au milieu de ses guerres, conçus la belle et gigantesque idée de son système métrique, et qu’elle voulut prendre pour base un degré du méridien ; les Anglais, malgré leur rivalité, et les Espagnols (dont nous déplorons chaque jour l’état d’ignorance !) prirent part aux mesures astronomiques qui commencèrent sur nos frontières, dans les environs de Dunkerque. Les Hollandais, les Piémontais et la plupart des petits peuples qui entourent la France, vinrent prendre part à cette grande opération ; et, il faut bien l’avouer, notre pays n’envoya pas un seul représentant. Aujourd’hui qu’il s’est constitué indépendant, continuerons-nous cet état d’abandon où languit la science ? Détruirons-nous ce qui existe, sous le vain prétexte qu’il s’agit de l’intérêt de Bruxelles ?
On a formé une vaste triangulation qui comprend toute l’Angleterre, l’Ecosse, la France, la Hollande, la Prusse ; les astronomes Gauss et Schumacker exécutent celle du Hanovre et du Danemark ; le directeur de l’observatoire de Dorpat, l’astronome Struve, est chargé de pousser cette grande opération jusqu’au fond de la Sibérie.
Notre pays est le seul qui fasse une lacune dans ce vaste réseau, qui unit le nord de l’Europe et de l’Asie.
Ainsi la Sibérie se trouverait soumise à la triangulation et offrirait une base sûre au cadastre, tandis que notre royaume, bien loin de jouir de ce précieux avantage, examine encore la question de savoir si l’observatoire de Bruxelles n’est pas d’un intérêt local.
Nous ne parlerons pas de l’utilité dont serait l’observatoire comme centre d’un bureau de longitude, comme monument consacré à répandre dans le royaume le goût des mathématiques et des sciences d’observation, comme le dépôt des étalons des poids et mesures, et comme essentiellement utile à notre marine. Nous observerons seulement que, quoique nous ayons des universités et des établissements spéciaux pour enseigner les sciences, nous n’en aurions pas un seul pour contribuer à leur agrandissement, par un seul pour prendre rang parmi les nations de l’Europe qui méritent véritablement le nom de nations éclairées.
Il est une autre considération à faire valoir ; elle est d’un intérêt purement matériel : c’est le triste état dans lequel se trouve notre horlogerie. Cette branche intéressante de l’industrie, qui se rattache à tous les arts de précision, est tellement négligée dans ce royaume, que la plupart de nos artistes ignorent même la différence qui existe entre le temps vrai et le temps moyen. Qui jugera dans ce pays, avec connaissance de cause, de la valeur d'un chronomètre et de la régularité de sa marche ? Ce sont les besoins de l’horlogerie qui ont déterminé, dans ces derniers temps, le petit gouvernement de Genève à créer un observatoire nouveau, qui a été commencé après le nôtre, et qui se trouve déjà achevé.
Les observations qui précèdent suffiront sans doute pour montrer que l’observatoire de Bruxelles, bien loin d’être d’un intérêt spécial, est un monument utile et honorable pour le pays, un monument qui a déjà fixé l’attention des savants étrangers les plus distingués, et que sa chute, dont on nous menace, retentirait en Europe de la manière la plus honteuse pour nous.
A des considérations si puissances, sous le rapport scientifique et sous celui de la splendeur nationale, viennent se joindre des motifs de justice et des raisons d’équité.
Lorsque le précédent gouvernement conçut le projet d’établir un observatoire en Belgique, il sentit si bien que les frais de cet établissement d’utilité générale devaient être supportés par l’Etat. Mais, maître qu’il était de déterminer le lieu où le monument serait érigé, il offrit à la ville de Bruxelles la préférence, en s’obligeant à pourvoir à l’acquisition des instruments et à la rétribution du personnel, à la condition que la ville se chargerait des frais de construction des bâtiments.
La ville de Bruxelles accepta. Elle a, sous la foi de l’engagement pris par le gouvernement, fait exécuter les constructions indiquées, dont le devis emporter la somme de fl. 61,982 04 c., et qui sont presque toutes achevées. Cette énorme dépense serait entièrement perdue, si le gouvernement, violant la foi des conventions, se refusait à remplir ses engagements.
Mais non, messieurs, ce ne sera pas une mince économie d’environ 5,000 florins, supportés annuellement par le trésor de l’Etat, et répartibles sur tout le pays qui vous déterminera à priver votre pays d’un établissement que le bien public réclame à juste titre, et que des engagements sacrés vous obligent de maintenir à la ville de Bruxelles.
J’ose donc espérer que vous continuerez au budget l’allocation demandée par M. le ministre pour l’observatoire établi en cette ville.
Quant aux observations faites par un honorable préopinant contre l’allocation proposée au profit de la société d’horticulture, société particulière entièrement indépendante de l’administration de la ville, j’aurai l’honneur de faire observer, messieurs, que cette allocation est due à ladite société en vertu d’un contrat, lequel, pour le terme à courir, doit recevoir son exécution.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere) développe le système qu’il voudrait que le gouvernement adoptât franchement pour des économies réelles. Les deux moyens qu’il présente se réduisent à l’abolition complète des sinécures, 2° à l’emploi exclusif d’hommes capables; après avoir exprimé que ce n’est pas une œuvre facile ni prompte à accomplir que cette rénovation de toutes les administrations, il passe à quelques explications relatives, d’une part, au département des archives de Ruremonde, et de l’autre, à l’allocation de 10,000 fl. pour les frais de premier établissement du gouverneur de Liége.
M. le ministre dit qu’il ne s’est décidé à faire enlever les archives de Ruremonde que pour se convaincre si elles sont d’un intérêt général pour la Belgique, ou si elles ont rapport à la Hollande, ou enfin si elles n’intéressent que la ville de Ruremonde. Dans ce dernier cas, ajoute M. de Muelenaere, nous les restituerons aux autorités de Ruremonde, et, par contre, nous tâcherons d’obtenir de la Hollande l’échange d’une partie de nos archives qui s’y trouvent en ce moment.
Quant aux 10,000 fl. de l’établissement pour le gouverneur de Liége, M. le ministre conclut qu’en supprimant les 2,000 fl. accordés annuellement pour frais de logement, il y aura bientôt une économie réelle pour le trésor, puisque le gouverneur actuel pour résider à l’hôtel du gouvernement.
M. le ministre terme son discours en demandant, au nom de l’humanité et de la sûreté de l’Etat, l’allocation d’une somme pour encouragement à l’industrie, et pour les subsides.
M. le président. - Il n’y a plus d’orateurs inscrits ; la discussion générale est close.
On passe à la discussion des articles.
L’article premier du projet est adopté sans discussion, en ces termes :
« Art. 1er. Le ministère de l’intérieur est autorisé à disposer de l’excédant des crédits qui lui ont été alloués. »
La discussion s’ouvre sur l’article 2.
M. Mary propose de diminuer le crédit à allouer au ministère de l’intérieur, de la somme de 18,000 florins, portée au budget économique des provinces, pour frais de routes et de séjour des membres des conseils provinciaux, qui n’ont pas été et qui ne seront pas réunis en 1831.
- Après une discussion sans intérêt, à laquelle cependant beaucoup d’orateurs ont pris part, l’amendement est mis aux voix et adopté.
M. Zoude propose et développe un amendement qui a excité un léger débat, après lequel l’amendement a été retiré par son auteur.
M. Dumortier propose un amendement tendant à augmenter le budget de l’intérieur de 100,000 fl. pour subventions à accorder, à titre de prêt, à l’industrie et aux villes.
Plusieurs orateurs sont entendus pour et contre l’amendement.
Après un débat très vif, M. Gendebien demande le renvoi de la discussion à demain.
Cette proposition excite elle-même un vif débat ; mais enfin elle est adoptée.
La séance est levée à quatre heures et demie.
Nom des représentants absents sans congé à la séance du 18 novembre 1831 : MM. Ch. De Brouckere, F. de Mérode, de Sécus, Goblet, Rogier, de Foere, de Robaulx, Gelders, Nothomb, Seron, Watlet.