(Moniteur belge n°155, du 18 novembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à midi et demi.
M. Jacques fait l’appel nominal, et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, qui est adopté.
M. Lebègue fait l’analyse de trois pétitions, qui sont renvoyées à la commission ; il donne ensuite lecture d’un message du sénat, annonçant l’adoption de la loi sur le crédit accordée au ministère des finances.
Par suite d’une lettre de M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere), qui désire que la discussion sur les crédits à accorder au ministère de la guerre ne s’ouvre pas demain, cette discussion est renvoyée à samedi.
L’ordre du jour est la discussion du projet de loi sur les crédits supplémentaires demandés par le ministère de l’intérieur.
M. le président. - M. Dumortier a la parole sur l’ensemble du projet.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere) demande la parole. Il monte à la tribune.
Il présente sur le budget de l’intérieur dont il est ministre intérimaire plusieurs observations qui tendent à introduire des réductions dans le chiffre des crédits : de ses longs développements il résulte qu’il renonce au crédit demandé pour subvenir aux indemnités à accorder par suite des pertes éprouvées au moment de la révolution, ayant à sa disposition les fonds que la commission des secours avait en caisse et qui peuvent momentanément suffire pour venir à l’aide des habitants qui ont le plus souffert. Cette première réduction dans le crédit du ministère de l’intérieur, et une diminution assez importante que présente encore M. le ministre sur les traitements des ingénieurs, le déterminent à rédiger ainsi le deuxième article du projet de loi : « Il est alloué au ministère de l’intérieur… la somme de 2,090,218 fl. 31 c. », au lieu de 2,136,418 fl. 31 c. demandés d’abord.
M. le ministre propose ensuite, pour régulariser le transport à son ministère du tiers des fonds dits de non-valeurs, portés en leur ensemble au budget du département des finances, d’ajouter au projet de loi un troisième article qui serait ainsi conçu : « La somme de 183,206 fl. formant le tiers de 549,618 fl., portée au budget du département des finances pour l’exercice de 1831, sous le titre de fonds de non-valeur, est transférée du budget du département de l’intérieur pour le même exercice. »
M. le président. - C’est un véritable amendement que M. le ministre vient de déposer. Je demanderai d’abord si 5 membres l’appuient ?
M. Delehaye. - Les amendements proposés par un ministre n’ont pas besoin d’être appuyés.
M. le président. - La discussion demeure ouverte sur les articles 1 et 2 du projet. M. Dumortier a la parole.
M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. d’Elhoungne. - D’après les observations présentées par M. le ministre et les changements qu’il a proposés, le travail de la commission se trouve non seulement modifié, mais entièrement détruit. Nous ne pouvons discuter ces changements sans les avoir examinés avec attention ; je demande le renvoi de la discussion à demain.
M. Osy. - J’appuie la proposition de M. d'Elhoungne, et je demande le renvoi à la commission qui a fait le rapport. (Appuyé !)
M. le président met aux voix le renvoi à la commission. Il est adopté.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le président. - Mais à présent, sur quoi ?
M. Dumortier. - Sur le renvoi. (C’est décidé ! c’est décidé !)
Je demande que la commission se retire de suite, et qu’elle revienne vous présenter son rapport après une suspension de séance. (Appuyé ! appuyé !)
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je ne pense pas que les changements que j’ai présentés puissent donner lieu à de longues observations. (A demain ! à demain !)
M. le président. - Veut-on suspendre la séance et attendre que la commission fasse son rapport ?
- De tous côtés. - Oui ! oui !
M. le président. - La séance est suspendue pour une demi-heure.
M. Osy. - Il nous est impossible de vous présenter un rapport dans une demi-heure.
M. Lebeau. - Il faut suspendre purement et simplement la séance. Si dans une demi-heure le travail de la commission est prêt, elle nous le présentera. Si elle a besoin d’un plus long délai, elle nous le fera dire, et alors on pourra renvoyer la séance à demain. (Appuyé !)
- La commission se retire, et la séance est suspendue.
Après trois quarts d’heure, la commission rentre, et M. de Theux monte à la tribune.
M. de Theux. - La commission, dit le rapporteur, vient d’examiner les changements que M. le ministre vous a proposés. Elle ne les trouve susceptibles d’aucune contestation, et elle les admet, ainsi que le mode proposé par M. le ministre pour régulariser le transfert porté à l’article 3 qu’il a proposé.
M. Dumortier. - Messieurs, partisan du gouvernement à bon marché, je vous présenterai plusieurs observations sur des réductions que je crois utiles. Je ferai, à l’égard du ministère de l’intérieur, cette réflexion générale : que le nombre des employés me paraît trop élevé et peut facilement être diminué.
Je proposerai la suppression, en temps de paix, de la sûreté publique. Cette administration ne me paraît compatible qu’avec la guerre ou un état de troubles. Vous savez d’ailleurs, messieurs, combien de fois, sous les Hollandais, on s’est élevé contre une administration semblable. Loin de moi de vouloir en aucune manière jeter le blâme sur l’administrateur actuel ; mais vous savez que trop souvent les hommes revêtus de ces fonctions, et guidés par le désir de les conserver, imaginent des complots et des conspirations, et servent plus souvent à semer l’inquiétude qu’à rétablir la confiance publique.
Je ne partage pas l’opinion de la commission sur la suppression de l’inspection spéciale des prisons. Cette institution me paraît être un bienfait pour les prisonniers, et nous ne pouvons les priver de la garantie qui leur est donnée par cette inspection pour un bon régime intérieur des prisons.
Passant à la section 6 du rapport de la commission, je vois avec peine qu’elle est d’avis de supprimer désormais les fonds d’encouragement pour l’industrie, le commerce et l’agriculture. Je crains, messieurs, qu’on ne vienne trop tard à s’apercevoir que cette prétendue économie porte avec elle de funestes résultats. A l’appui de mon opinion, je vous citerai le fait suivant. Sur les fonds d’industrie, un prêt de 25,000 fl. a été fait à la ville de Tournay. Eh bien ! grâce à la bonne direction donnée à ces fonds, qui, je vous le répète, ne sont pas un don, il n’y a eu à Tournay, dans la classe ouvrière, aucun excès, aucun tumulte, parce que les ouvriers ont été maintenus dans leurs fabriques et occupés. Si à présent on vient tout à coup à supprimer le fonds d’industrie qui, dans beaucoup de villes, a pu recevoir un emploi aussi utile qu’à Tournay vous ouvrez une carrière aux désordres. Je pense que la chambre réfléchira sérieusement sur ce point, et que dans tous les cas, on continuerait, pour les six dernières semaines de l’année, les allocations accordées jusqu’à ce jour.
Je ferai, sur l’article 2 de la même section, plusieurs réflexions pour combattre des réductions proposées par la commission, et qui ne me paraissent porter que sur des objets utiles, puisqu’ils rapportent en gloire et en honneur national plus qu’ils ne coûtent. On propose d’abandonner l’observatoire ; d’abord il y a eu erreur de la part de la commission. Cet établissement est établi ; il est même payé, et sur les fonds du budget de 1831, les instruments d’observation et d’astronomie qui s’y trouvent doivent être soldés. Pour que l’observation puisse servir à sa destination, 2,000 florins seulement sont à dépenser. Un arrêté de M. le régent a mis cette somme, à titre de prêt, à la disposition de la régence de Bruxelles ; la régence a touché cette somme, qui doit maintenant recevoir sa destination. Cet établissement n’est pas d’ailleurs un objet de luxe pour le pays ; c’est une nécessité. Et, en effet, vous avez souvent entendu les députés des Flandres se plaindre de la lenteur des opérations cadastrales : eh bien ! sans un observatoire, vous n’aurez jamais une bonne triangulation du pays, ni par conséquent la péréquation si désirable pour bien asseoir l’impôt. La triangulation de la France est opérée, elle l’est aussi en Hollande et partout, même en Sibérie ; et nous sommes tellement arriérés sous ce rapport, nous, Belges, qu’en ce moment (ceci vous étonnera sans doute) il n’est pas un seul point de la Belgique dont on connaisse exactement la latitude et la longitude. Je demande qu’on suspende, si l’on veut, la commande faite en Angleterre de deux grandes lunettes astronomiques, mais qu’on vote les fonds nécessaires pour le traitement du directeur et l’entretien des instruments que nous possédons.
On vous a encore proposé de réunir à l’administration des archives du royaume la place de conservateur de la bibliothèque de Bourgogne. Je ne partage pas cette opinion. La conservation de ce dépôt, qui est un des plus riches de l’Europe, mérite bien une légère dépense. Cette bibliothèque se compose de 6,000 manuscrits ; il n’y a pas même un inventaire, et M. Marchal a trouvé un tel désordre dans cette magnifique collection, qu’il n’a pu donner qu’un reçu général, sans détails, sans indication précise ; en sorte qu’aujourd’hui il dépendrait de lui (chose, au reste, dont je suis bien loin de le croire capable), il dépendrait de lui de substituer aux plus précieux manuscrits des manuscrits sans valeur. Le conservateur actuel est incapable de cette déloyauté, et ce n’est pas au sujet du traitement modique que reçoit M. Marchal, un des hommes les plus savants du pays, que la commission aurait dû établir une suppression.
Quant à la société d’émulation à Liége, la commission refuserait tout subside. Je ferai valoir cette considération ; que la nation doit prendre sous la protection les établissements consacrés aux arts, parce que l’amour des arts et des sciences fait naître aussi l’amour de la patrie. Ces établissements dotent souvent le pays de gloire, de célébrité. Je crois donc que la commission est partie d’un faux principe, en s’imaginant que de semblables allocations de fonds sont faites en pures pertes.
L’orateur fait valoir une partie des mêmes considérations en faveur de la conservation nécessaire du jardin botanique, qui ne peut exister qu’avec un subside.
Le discours de M. Dumortier a été écouté avec un intérêt marqué.
M. le président. - M. Mary a la parole.
M. Devaux. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je voudrais que la chambre sût parfaitement sur quel objet elle discute et sur quel objet elle doit voter. Or, il me semble que le rapport de la commission nous laisse dans le vague, en ce sens qu’on ne nous dit pas positivement quel est le chiffre des réductions qu’on propose.
M. de Theux. - Ce rapport me paraît cependant très compréhensible, et les réductions fort aisées à comprendre.
M. Devaux. - Je ne veux pas blâmer la commission ; seulement je voudrais qu’on nous présentât, d’une part, les réductions que la commission désire trouver dans le budget de 1832, et, d’une part, les réductions qu’on pourraient établir dès à présent.
M. Gendebien appuie non seulement l’opinion de M. Devaux, mais encore il demande que la discussion n’ait pas immédiatement lieu, parce qu’il est impossible d’improviser des chiffres. On nous a signalé des irrégularités dans un travail fait dans le silence du cabinet ; jugez à combien d’erreurs nous sommes exposés en commençant une discussion sur un rapport que la commission vient de modifier à l’instant.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere), qui se dirigeait vers la tribune pour donner les explications demandées par M. Devaux, retourne à sa place.
M. A. Rodenbach. - Je demande que M. le ministre nous fasse connaître toutes les réductions qu’il propose, et que la commission nous soumette également un travail plus complet. S’il ne peut être fait aujourd’hui, que la séance soit renvoyée à demain.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Veut-on, sauf à la commission à fournir, de son côté, des explications, que j’énumère les réductions que j’ai demandées sur le budget de l’intérieur ? (Oui ! oui !)
- M. de Muelenaere donne lecture de toutes les réductions proposées par le gouvernement.
La plupart des membres écrivent sous la dictée.
- Plusieurs voix. - Le total de toutes ces réductions est de 187,000 florins.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Non, il est de 194,550. Je vais reprendre tous les chiffres pour que MM. les représentants les écrivent avec exactitude.
M. Gendebien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Messieurs, je m’oppose à ce que nous jouions plus longtemps ce rôle d’écoliers. Cela est au-dessous de la dignité de la chambre. Je demande que la commission se réunisse pour examiner ces chiffres, et que son travail soit imprimé et nous soit distribué au moins 24 heures d’avance.
M. le président. - On pourra remettre la discussion à vendredi.
- Plusieurs voix. - Appuyé ! appuyé !
- D’autres voix. - Non ! non ! A demain !
- Après une légère discussion, à laquelle prennent part M. Devaux, M. Gendebien, M. de Theux, M. Osy, M. Angillis, M. Delehaye, M. d’Elhoungne, M. Lebeau, M. le Hon et M. Destouvelles, la chambre décide qu’un tableau en deux colonnes, des réductions proposées par MM. le ministre et de celles de la commission, sera imprimé et distribué, et elle ajourne la discussion à demain à une heure.
- La séance est levée à trois heures.