(Moniteur belge n°154, du 17 novembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à midi et demi.
M. Jacques, l’un des secrétaires, fait l’appel nominal.
Le même lit le procès-verbal. Il est adopté.
M. Lebègue analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
M. Milcamps et M. Dellafaille demandent un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. Jaminé s’excuse de ne pouvoir prendre part aux délibérations de la chambre, et annonce qu’il demandera un congé vers la fin du mois, afin qu’il puisse se mettre en mesure de se fixer en Belgique, qui sera toujours sa patrie.
M. le président. - L’ordre du jour appelle le développement des deux propositions de MM. Nothomb et Jonet. M. Nothomb a la parole.
M. Nothomb. - Messieurs, vous avez naguère, vous élevant à la hauteur de l’homme d’Etat, porté une décision rigoureuse, mais dictées par des causes supérieures, indépendantes de votre volonté. En ce jour, je m’adresse à vous comme hommes, invoquant, non la raison d’Etat qui opprime, mais l’humanité qui soulage ; je réclame de vous une intervention plus douce, qui serait un acte expiatoire, si une conduite qui n’a pas été libre avait besoin d’être expiée.
Je serais affligé si la proposition dont vous avez permis la lecture allait renouveler de pénibles, de lamentables discussions, et devenir le prétexte de récriminations au moins inutiles ; je ne veux pas rouvrir des plaies trop récentes, mais les fermer. Pour que mes intentons ne soient pas méconnues, je dois encore ajouter que, né dans un village resté belge, quoique domicilié depuis nombre d’années dans une commune qui rentre sous la domination du roi de Hollande, ce n’est pas un intérêt purement personnel que je viens défendre.
Il me faudra peu d’efforts pour justifier la mesure que je propose : l’initiative que j’exerce est dans tous les esprits, dans tous les cœurs.
La patrie, messieurs, n’est pas dans le sol, mais dans l’association morale ; la patrie est partout où se trouve l’universalité des Belges.
Identifier la patrie ou la famille avec le sol, ce serait ôter à l’association, à la famille, tout ce qu’elle a de moral ; ce serait matérialiser notre existence. La nation qui se voit privée d’une partie de son territoire, subsiste comme la famille qui verrait tomber son antique habitation. Ce n’est pas un arbre qui ne vit que là où une fois il a pris racine.
Pour les Espagnols, la patrie, dans la première guerre de l’indépendance, s’était renfermée avec les Cortès dans les murs de Cadix, ou errait avec Mina dans les montagnes de la Catalogne. Napoléon avait asservi le sol ; mais la patrie, l’être moral s’était soustrait à sa puissante influence.
La constitution accorde à la législature le droit de céder une partie du territoire, sans lui donner directement prise sur les habitants ; ceux-ci conservent la qualité de Belges, et la législature ne peut qu’en soumettre l’exercice, la conservation à des formalités, à l’inaccomplissement desquelles elle attache la déchéance. Le cercle se rétrécit, mais ne se rompt pas.
Voici un exemple frappant de ces principes. Vous avez accordé la naturalisation à des étrangers qui sont domiciliés à Maestricht ou à Luxembourg. Ces étrangers continueront à jouir du bénéfice de la naturalisation, malgré la perte de ces deux villes, pourvu qu’ils fixent leur domicile en Belgique. Vous ne pouvez enlever aux habitants nés Belges le bénéfice de la naissance, pour les placer dans une condition moins favorable que les étrangers naturalisés.
Ces principes sont même conformes à l’article 20 du traité de paix qui, combiné avec l’article 14 du traité du 3 mai 1815, conserve pendant huit ans, à chaque habitant des territoires cédés, le droit de s’établir en Belgique, pourvu qu’il en obtiennent la concession du gouvernement belge. Ma proposition tend à accorder une concession générale pendant un temps déterminé.
Les habitants du Luxembourg et du Limbourg, en se retirant devant la domination nouvelle pour s’établir en Belgique, useront des mêmes droits que les habitants des Flandres si la mer venait à submerger une partie de leur province.
Ce que je réclame n’est donc ni une exception ni une faveur, mais un principe, un droit. L’indépendance, la nationalité sont une conquête commune ; chaque province y a contribué, et si la part pouvait se calculer à raison des souffrances, du courage et des sacrifices, le lot des Limbourgeois et des Luxembourgeois ne serait pas le moindre. Le titre de Belges, nos volontaires l’ont acquis pour nous sur les barricades de Bruxelles, au pont de Walhem et sous les murs d’Anvers ; ils l’on acquis dans ces journées dont beaucoup de nos familles portent encore le deuil, où les Francq de Luxembourg, les Aimar de Neufchâteau, sont tombés sous la mitraille hollandaise, ne se doutant pas qu’un jour la qualité qui leur faisait braver la mort serait un objet de contestation, et plus heureux que ceux qui ont survécu et aux combats et aux illusions d’alors.
Par le fait seul de l’insurrection, les Luxembourgeois ont rendu un immense service à la révolution belge : dans le midi, ils ont enlevé au roi de Hollande l’accès de la Belgique. S’ils avaient gardé cette immobilité par laquelle ils se sont signalés au 16ème siècle et en 1790, la frontière méridionale, sur une étendue de plus de 20 lieues, restait ouverte à tous les envahissements, et exposée à toutes les réactions.
En s’insurgeant, les Luxembourgeois ont fermé au duc de Saxe-Weimar la voie par laquelle le duc d’Albe, don Juan d’Autriche et Bender ont pénétré en Belgique.
S’il me fallait une nouvelle preuve du patriotisme des Luxembourgeois et des Limbourgeois, je la trouverais dans leur conduite d’aujourd’hui : l’arrêt est prononcé, ils le connaissent, et ils espèrent encore, résistant et aux tentatives contre-révolutionnaires, et peut-être aux conseils de la sagesse.
Si nous vivions à une époque moins éclairée, il me serait nécessaire peut-être de démontrer que ce n’est pas nuire à la prospérité du pays que d’en ouvrir l’accès à des milliers de citoyens qui apporteront parmi nous leurs talents, leur dévouement, leur industrie et leur fortune. Ne craignons pas leur concurrence ; qu’ils montent même aux sommités sociales. Le ciel ne nous a pas assez largement dotés pour que nous puissions dédaigneusement repousser cet orateur dont la touchante parole nous remue si profondément, et ce jeune poète qui vient de révéler en beaux vers une croyance nouvelle.
Je me borne aujourd’hui, messieurs, à vous demander des garanties pour les personnes. Par la suite, à l’époque de la révision du tarif des droits d’entrée et de sortie, ou par des propositions spéciales, si cette époque est trop éloignée, j’appellerai votre sollicitude sur quelques conséquences matérielles, non pas seulement du morcellement de ma province, mais de la séparation du grand-duché d’avec la Belgique. Cette séparation vient briser subitement des rapports civils et commerciaux établis par quarante années de communauté ; et ces effets eussent été les mêmes, quelle qu’eût été l’étendue de la portion réservée au roi de Hollande. C’est ce que commencent à comprendre les plus fougueux partisans du roi grand-duc. Privé des débouchés de la Belgique, que fera le Luxembourg hollandais de ses vins, de ses céréales, de ses fers, de ses draps, de ses faïences ? la Hollande acceptera-t-elle ces produits avec un surcroît de frais de transport ? Ne faudra-t-il pas que la Belgique, dans sa générosité, vienne au secours de la portion cédée, en réduisant quelques droits d’entrée ? Ce sont des questions que je recommande dès à présent à vos esprits ; vous aurez à concilier les intérêts de la Belgique avec les sentiments de fraternité qui, malgré les combinaisons politiques, vous lient pour toujours à des hommes qui sont de la même famille que vous et qui ont combattu et souffert pour la même cause. La triste position du Luxembourg hollandais ne provient pas seulement du morcellement de la province, comme on pourrait le croire, mais du fait de sa séparation d’avec la Belgique. Naguère j’ai souhaité dans cette enceinte que mes compatriotes, en très petit nombre qui, dans leur aveuglement, ont voulu que le Luxembourg formât un Etat à part, fussent heureux ; ces vœux, par lesquels je répondais à tant d’injures, ne seront pas exaucés : ces hommes ont fini par comprendre ce qu’ils ont nié pendant 15 mois, mais, hélas !, après l’événement ; et ils portent déjà la peine d’une aussi grande erreur.
A toutes ces conséquences, que malheureusement je crois trop réelles, viennent encore se joindre toutes les incertitudes politiques qui enveloppent l’avenir du Luxembourg hollandais, et qui sont dignes de fixer toute votre attention. Quelle sera la condition politique de la portion du Luxembourg que nous abandonnons ? Ce pays, si resserré dans ses limites, formera-t-il un Etat séparé, régi constitutionnellement, ayant ses assemblées d’états, comme l’exige l’article 13 de l’acte fédéral ? Le protocole n°48 du 6 octobre, ayant mis à la charge de la Belgique toutes les dettes des anciens Pays-Bas autrichiens, de neuf départements français, le grand-duché devra-t-il néanmoins supporter une part de ce chef ? Le grand-duché, ayant été en 1815, d’après le système de la conférence, indûment réuni au royaume des Pays-Bas et à la Belgique, peut-il dûment supporter une part dans les dettes communes ? Est-ce dûment qu’il a, pendant 15 ans, contribué au paiement de toutes les dettes ? Est-ce dûment que ses belles forêts ont été vendues au profit du trésor général ? N’a-t-il pas une répétition à exercer ? Telles sont les questions, et d’autres que j’omets, qui viennent encore aggraver la position de mes malheureux compatriotes, en les livrant à l’arbitraire des décisions du roi Guillaume.
Messieurs, je vous ai entretenus trop longuement peut-être des intérêts particuliers et des douleurs des deux provinces mutilées : rattachons-nous à la patrie qui nous reste, au principe de notre existence qui, je l’espère, est sauvée. Que l’union règne au milieu de nous ! La discorde civile est la dernière plaie des révolutions et la première cause des contre-révolutions. Nous avons beaucoup souffert, sans avoir encore atteint le terme de nos maux. Nos pères aussi ont eu leurs jours, leurs années de souffrance, et, plus malheureux que nous, c’était toujours pour une cause qui n’était pas la leur : à l’issue de leurs peines, ils ne voyaient pas l’aurore de l’indépendance, mais le retour de l’ilotisme politique. Depuis la révolution du 16ème siècle, la Belgique a, une fois au moins tous les 25 ans, enduré tout ce qu’elle endure encore aujourd’hui ; tous nous avons vu les guerres et les désastres de 1814 et 1815 ; beaucoup d’entre nous ont été témoins des guerres de 1793-1794, où notre pays, épuisé par des troubles intérieurs, a été quatre fois conquis et reconquis. C’est la première fois que nous souffrons pour une cause qui n’est pas celle de l’étranger ; nous souffrons, mais pour nous faire une condition plus digne de nous. Tout en déplorant ce qu’il y a de déplorable dans la nécessité qui nous domine, profitons, en hommes, de la position qui nous reste : reconnaissons l’omnipotence des faits, et ne perdons pas en stériles reproches l’époque unique où il nous est donné de fonder un peuple nouveau et un nouvel ordre social. Accueillons parmi nous tous ceux de nos frères du Limbourg et du Luxembourg que des intérêts inséparables du sol ne retiennent pas ; que les noms de ces deux malheureuses provinces ne soient pas effacés de nos lois, de nos traditions ; qu’ils reste comme deux pierres d’attente ; que la Belgique s’élève comme un monument inutile à qui l’avenir réserve une main réparatrice !
M. A. Rodenbach. - Le Roi n’ayant pas encore accepté les 24 articles du traité de paix, on ne peut pas admettre dès à présent que le Limbourg et le Luxembourg sont détachés de la Belgique. Je demande, ou le renvoi aux sections, ou l’ajournement de la discussion.
M. Lebeau. - J’appuie les observations faites par l’honorable M. Rodenbach ; mais nous ne pouvons ordonner que le renvoi aux sections.
M. le président. - Il ne s’agit maintenant que de la prise en considération.
M. Lebeau. - Je vote pour la prise en considération ; mais le renvoi aux sections me paraît indispensable.
M. le président met aux voix la question de savoir si la demande de M. Nothomb, prise en considération par la chambre, sera renvoyée aux sections. (Non ! non ! A une commission !)
La proposition est, à l’unanimité, renvoyée aux sections.
M. le président. - M. Jonet a la parole pour le développement de sa proposition.
M. Jonet. - Messieurs, la proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire a pour but, sinon l’interprétation, au moins la modification de l’article 7, paragraphe 1, du décret du 6 mars 1831, relatif aux barrières.
Le droit de barrière, considéré comme taxe d’entretien des routes, est un droit juste, dont l’assiette peut d’autant moins être contestée, qu’elle fait supporter par les personnes qui usent et profitent d’une chose la charge que la conservation de cette chose exige.
Aussi, depuis qu’il existe des routes et des canaux, il existe des droits de barrière et de navigation. Le commerce, qui profite de ces moyens de communication, paie avec plaisir un droit qu’il sait lui être utile, et qui, lorsqu’il est bien appliqué, tourne tout entier à son avantage.
L’agriculture n’est pas, sous ce rapport, dans une position aussi favorable. Souvent les grandes routes, sur lesquelles on paie des droits, lui sont d’une utilité moins directe ; il est plus d’un cultivateur qui désirerait pouvoir arriver à son champ sans devoir suivre les chemins pavés, pour lesquels ses voitures ne sont pas faites, et qui l’assujettissent à des dépenses qu’il voudrait éviter. Obligé de passer dix fois, vingt fois par jour par la même route, pour labourer, fumer, semer sa terre et enlever ses récoltes, le produit de ses sueurs serait quelquefois insuffisant pour payer l’impôt, si à chaque passage il devait le supporter. Le découragement du laboureur en serait la suite immédiate, et, en définitive la société perdrait beaucoup plus qu’elle ne gagnerait en percevant une contribution qui, gênant et grevant le cultivateur, ne lui permettrait pas de soigner son champ, comme il convient qu’il le soigne.
Dans tous les temps, les législateurs ont fait, en faveur de l’agriculture, une exception à l’obligation qu’ils imposaient à ceux qui parcourent les routes de payer une taxe pour leur entretien et leur conservation. La loi du 9 vendémiaire an VI, celle du 21 floréal même année, l’arrêté du 19 mars 1814, celui du 13 février 1815, en contiennent des dispositions diverses.
On doit le reconnaître, le décret du congrès du 6 mars 1831, a été rendu dans le même esprit. L’article 7, paragraphes h, i, l et m, en contiennent la preuve.
D’après ces paragraphes :
« h. Les chariots, voitures ou animaux servant au transport de la récolte des champs, vers la ferme ;
« i. Les chariots, voitures et animaux exclusivement chargés d'engrais, fumier ou cendres pour l'agriculture, lorsque le chargement sera au moins aux 2/3 complet ;
« l. Les chariots, voitures ou animaux appartenant à des fermes ou à des usines activées par le vent, l'eau ou la vapeur, situées à moins de 2,500 mètres de la barrière, lorsqu'ils servent au transport d'objets nécessaires au service de ces usines ou de ces fermes ;
« k. Et enfin les chariots, voitures ou animaux qui transportent dans les villes, les jours de marché, des légumes ou fourrages verts, du beurre et du laitage, sont exempts du droit. »
On voit que la sollicitude du législateur a été grande ; elle ne laisserait même rien à désirer si elle avait prévu l’aller et le retour à vide, aussi clairement qu’elle a prévu l’aller et le retour à charge.
D’après les renseignements que j’ai pris et obtenus, je pourrais étendre mes observations aussi bien au paragraphe l qu’au paragraphe i ; mais comme ma proposition ne concerne que cette dernière partie (manque deux mots), je dois, pour le moment, me borner à démontrer la nécessité de revoir cette partie, c’est-à-dire de la rejeter ou de la modifier.
Tout le monde sait ce que c’est qu’un chariot exclusivement chargé d’engrais ; mais qu’est-ce que la loi entend ici par chariot dont le chargement est aux deux tiers complet ?
Ces mots sont-ils relatifs, et se rapportent-ils à l’engrais qui forme l’objet du chargement ? Ou bien sont-ils absolus, et ne concernent-ils que le chargement même ?
En d’autres termes, par voiture d’engrais dont le chargement est aux deux tiers complet, le législateur a-t-il entendu parler d’une voiture complétement ou incomplètement chargée, de manière que ces deux tiers de chargement, quel qu’il soit, sont en engrais, et l’autre tiers en sucre, café, riz ou autres marchandises ? Ou a-t-il entendu parler d’une voiture dont le chargement était au moins au deux tiers de ce qu’elle pourrait transporter ?
Selon moi, c’est la première signification qui est celle de la loi ; mais, d’après l’administration, c’est la seconde.
Il en résulte cette singularité que les voitures chargées, c’est-à-dire celles qui usent et détruisent le plus la route, ne paient rien, tandis que les voitures à vide, et celles qui n’ont que la moitié, le tiers, le quart ou la centième partie de leur chargement, sont assujetties à l’impôt.
Tout le monde doit sentir cette inconvenance. C’est pour la faire cesser que j’ai eu l’honneur de vous faire ma proposition.
Dans le considérant de cette proposition, j’ai dit que le droit n’était exigé sur les voitures à vide que « dans certaines localités. » Je dois reconnaître ici que j’ai commis une erreur en faisant cette assertion ; car je sais aujourd’hui que la mesure est générale, et que le droit est perçu à Bruxelles comme à Liége, en France comme en Hainaut. Si vous prenez ma proposition en considération, les trois mots ci-dessus soulignés devront être rayés du projet.
Je sais que l’on dira, pour repousser ma proposition, qu’elle est inutile, puisque s’il y a abus, les parties lésées peuvent s’adresser aux tribunaux.
Je conviens de cette faculté et de cette possibilité ; mais, de ce que les tribunaux sont ouverts, s’ensuit-il que la tribune législative doive être fermée ? Je ne l’ai pas cru, et je ne le crois pas encore.
Peut-on, en effet, renvoyer aux tribunaux de malheureux cultivateurs de qui on exige journellement un impôt, de quelques cents à la vérité, mais qui, souvent répété, devient très important pour eux ? Pour quelques cents, ces gens devront-ils soutenir un procès en première instance, en appel et probablement en cassation ? Comment feront-ils pour pourvoir aux dépenses que ce procès exigera ? S’ils le peuvent, et quand ils y auront pourvu, quand ils auront plaidé en première instance, en appel, en cassation, auront-ils ce qu’ils demandent ? Les tribunaux leur adjugeront-ils ce qu’un texte de loi, vicieux, paraît leur refuser ? Et enfin, quand ils auront plaidé, quand définitivement ils se seront ruinés, ne faudra-t-il pas toujours qu’on en reviennent au point d’où nous partons, c’est-à-dire à une interprétation législative ?
Pour mon compte, messieurs, je ne saurais me résoudre à exposer les cultivateurs à tant de frais, à tant de déboires et à tant d’amertume. Je réclame pour eux, dès le principe, ce qu’on ne peut leur refuser. En définitive, je demande et réclame une modification ou une interprétation de la loi, en vertu de laquelle on les opprime.
Je sais que l’on dira encore, contre ma proposition, qu’on ne peut l’admettre sans porter atteinte aux droits acquis aux fermiers des barrières.
Mais ici je ferai un dilemme et je dirai : si le droit de percevoir en droit sur les voitures à vide a été garanti aux barrières, ce serait l’administration qui aurait commis la faute, et alors elle devrait supporter les conséquences de sa conduite, en bonifiant aux préposés une somme égale à celle qu’elle leur aurait indûment garantie.
Si, au contraire, l’administration n’a rien garanti, alors les préposés qui ont connu la loi, et qui ont dû l’entendre sainement, n’auraient pas de reproche à faire à personne, et ils en seraient seulement quitte pour faire, à la fin de leur bail, ce qu’ils auraient dû faire au commencement. Dans les deux cas, il y aurait abus ou fausse intelligence de la loi. Dans les deux cas, une nouvelle loi serait nécessaire.
Je sais que l’on m’opposera, enfin, qu’en accordant un passage gratis aux voitures à vide, qui vont chercher de l’engrais, on donne aux fermiers et cultivateurs un moyen de frauder le droit, puisque, sous prétexte d’aller chercher de l’engrais, ils peuvent aller chercher du charbon, des pierres, du bois ou tout autre denrée.
Mais je répondrai que ce mal possible trouve son remède dans la loi même : l’article 14 du décret du 6 mars porte que toute contravention sera constatée par un procès-verbal, signé et affirmé par le préposé.
Déclarer qu’on va chercher une matière exempte de l’impôt, pour frauduleusement aller chercher une autre matière qui y est soumise, c’est contrevenir à la loi. Cette contravention doit être punie ; et elle est d’autant plus facile à constater, qu’en passant le voiturier doit faire connaître qui il est, où il va, et pour quoi il va. Il est facile de rédiger un procès-verbal à sa charge, s’il ne repasse pas.
On peut même, pour éviter la fraude, faire consigner les droits lors du passage à vide, sauf à les restituer au retour.
Après vous avoir démontré, messieurs, la nécessité d’une loi réformatrice de l’abus signalé, il ne me reste plus qu’à examiner si cette loi doit être interprétative ou simplement modificative de la loi du 6 mars. Si elle est interprétative, elle aura un effet rétroactif, et, si elle n’est que modificative, elle ne produira son effet qu’à compter de sa promulgation.
D’après ce que je viens d’avoir l’honneur de vous dire, je pense qu’elle doit être interprétative : sa rétroactivité ne nuira pas aux préposés qui ont traité de bonne foi avec l’administration, puisqu’ils auront leur recours contre elle. Quant aux autres, j’estime qu’ils méritent d’autant moins d’égards qu’ils auront entendu la loi d’une manière plus judaïque et plus littérale.
Quoi qu’il en soit, interprétative ou modificative, peu importe : une loi est nécessaire ; j’ose donc croire que vous en porterez une, après avoir pris ma proposition en considération.
M. Goethals. - Je demande l’ajournement jusqu’à une nouvelle adjudication des barrières.
M. le ministre des finances (M. Coghen). - Je partage entièrement l’avis du préopinant. En vertu de la loi du 6 mars, l’administration a passé des contrats pour la perception des droits de barrière. La moindre innovation dans la loi dénaturerait les droits acquis à des tiers ; elle présenterait des inconvénients fort graves, qui compromettraient tout à la fois l’intérêt public et l’intérêt du trésor.
M. Delehaye. - C’est par suite de pétitions qui vous ont été adressées que la proposition de M. Jonet vous est soumise. Vous ne devez examiner maintenant que l’utilité de la loi qu’on vous propose, sauf pour ne pas blesser les droits de tiers à décider que cette loi ne sera exécutoire qu’au mois de mars, à l’expiration des contrats passés.
M. H. de Brouckere appuie purement et simplement la prise en considération, et trouve que les orateurs précédents devaient se borner à cette prise en considération, la combattre ou l’admettre, et non s’occuper du fond de la question.
M. Goethals. - Je ne me suis occupé du fond de la question que pour m’opposer à la prise en considération, parce que non seulement vous allez faire naître des procès contre les cessionnaires et les propriétaires des chevaux et voitures soumis au droit de barrière, mais encore parce que cette loi, si vous ne voulez lui donner d’effet qu’au mois de mars, ne doit pas absorber maintenant les moments de la chambre. (Aux voix ! aux voix !)
- La proposition de M. Jonet, prise en considération, est renvoyée aux sections.
M. le président. - L’ordre du jour est la nomination de quatre commissions. On va s’occuper d’abord de la commission d’enquête.
- Après plusieurs explications sur le nombre des membres, il est décidé qu’il sera fixé à sept.
Une discussion s’engage sur la question de savoir si cette commission sera nommée à la majorité absolue ou à la majorité relative.
M. le Hon. - Comme il s’agit d’une commission qui doit remplir une mission délicate, je demanderai que les membres qui la composeront soient nommés à la majorité absolue.
- Cette proposition est mise aux voix : après quatre épreuves qui ne paraissent pas décisives au bureau, on procède à l’appel nominal.
41 membres votent pour la majorité relative ; 31 pour la majorité absolue.
La proposition de M. le Hon est rejetée.
On tire au sort trois bureau de scrutateurs. Voici le résultat du scrutin :
MM. Gendebien, 36 voix ; Dumortier, 38 ; d’Elhoungne, 31 ; de Blargnies, 27 ; Helias d’Huddeghem, 23 ; Leclercq, 20 ; Bourgeois et Dumont, 19. M. Bourgeois, comme étant le plus âgé, est nommé membre de la commission d’enquête avec les six autres membres.
On procède ensuite à la nomination de la commission des finances. On fixe à sept le nombre de ses membres.
Au premier tour de scrutin, trois membres obtiennent seulement la majorité absolue sur 76 votants ; ce sont MM. d’Elhoungne, 56 voix ; Osy, 53 ; Angillis, 52.
On procède à un second tour de scrutin pour la nomination des quatre autres membres, qui sont : MM. Dubus, 50 voix ; Legrelle, 46 ; Brabant, 46 ; Seron, 38. Il y avait 65 membres.
La nomination de la troisième commission est renvoyée à demain.
- La séance est levée à quatre heures.
Noms des représentants absents sans congé à la séance du 14 novembre 1831 : MM. Barthélemy, Dams, Davignon, Ch. De Brouckere, F. de Mérode, de Muelenaere, de Sécus, Dewitte, Fallon, Gelders, Lardinois, Pirmez, Rogier, Tiecken de Terhove.