(Moniteur belge n°105, du 28 septembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure et quart.
M. Liedts fait l’appel nominal.
M. Lebègue donne lecture du procès-verbal ; il est adopté.
M. Liedts donne lecture de quelques pétitions qui sont renvoyées à la commission, et d’une lettre du ministre de l’intérieur qui invite la chambre à assister demain au service funèbre en l’honneur des hommes morts dans les journées de la révolution.
- La chambre décide qu’elle s’y rendra en corps.
M. Leclercq fait un rapport de pétitions.
- On passe à l’ordre du jour sur une pétition de M…, qui fait des observations sur la loi qui rappelle les miliciens de 1826.
M. Leclercq, rapporteur. - « M. Dubois réclame l’intervention de la chambre pour obtenir le paiement d’une pension de 500 fl., qui est sa seule ressource, et dont il est privé depuis le mois de décembre. »
- Renvoi au ministre des finances.
M. Leclercq, rapporteur. - « 47 négociants d’Anvers se plaignent des droits d’entrée perçus par l’ouverture et la fermeture des entrepôts particuliers, et de ce que partie de ces droits est versée au trésor de l’Etat. »
- Ordre du jour pour la première partie, renvoi au ministre des finances pour la seconde.
M. Leclercq, rapporteur. - « Un sieur Masse, détenu pour dettes à Louvain, se plaint de la diversité de jurisprudence dont il est victime, la cour de Liége jugeant qu’après 5 ans un détenu pour dettes doit être élargi, et que le code de commerce n’a pas abrogé la loi de germinal an IV, tandis que la cour de Bruxelles juge le contraire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
M. Seron, autre rapporteur, fait un rapport sur les pétitions suivantes :
« Un sieur Bourgeois, commandant de la maison de détention à Vilvorde, se plaint d’avoir été privé de cette place par suite de la révolution. »
- Renvoi au ministre de l’intérieur.
M. Seron, rapporteur. - « M. Roland, de Liége, demande que tous les miliciens de 1822 à 1826 non mariés soient rappelés sous les drapeaux. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. Seron, rapporteur. - « M. Vanderlinden, colonel de la légion du canton de Hal, fait des observations sur la loi qui rappelle les miliciens de 1826. »
- Ordre du jour.
M. Seron, rapporteur. - « 20 propriétaires de Gand se plaignent de ce que leurs locataires ne les paient pas. (On rit.) Ils demandent la révision de la loi sur le déguerpissement.
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. Seron, rapporteur. - « Le sieur Ch. Dupont propose de diminuer la solde militaire d’un cinquième. »
- Renvoi au ministère de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - J’aurai l’honneur d’informer la chambre que, par arrêté du 6 septembre, la solde est diminuée pour tous les officiers promus à des grades supérieurs au grade de lieutenant.
M. Seron, rapporteur. - « M. Lambinais, continue M. le rapporteur, réclame contre l’élection de M. d’Huart. »
Il y a chose jugée, puisque M. d’Huart est admis.
- L’assemblée passe à l’ordre du jour.
M. Corbisier, autre rapporteur, fait un rapport sur une pétition de M. de Souter, avocat à Gand, qui demande à être jugé par les assises qui viennent de s’ouvrir.
- Renvoi au ministre de la justice.
M. Corbisier, rapporteur. - « 80 habitants d’Audenarde demandent une enquête sur les désastres de la dernière campagne. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. Corbisier, rapporteur. - Messieurs, deux pétitions vous ont été adressés, l’une signée par 25 officiers du 12ème régiment de ligne, l’autre par 19 officiers du 3ème régiment de chasseurs à pied. Les pétitionnaires se plaignent d’avoir été arbitrairement démissionnés par M. le ministre de la guerre. Ils protestent contre sa décision en rappelant les services qu’ils ont rendus dans les journées de septembre et depuis, services qui leur avaient valu, disent-ils, d’avoir été confirmés dans leur grade par un arrêté de M. le régent. Parmi les pétitionnaires, les uns sont admis à faire valoir leurs droits à une indemnité pécuniaire ; les autres ont été mis en disponibilité avec une demi-solde inférieure à celle à laquelle leur grade leur donnait droit. Tous demandent de jouir du bénéfice de la loi du 22 septembre, et de ne pouvoir être renvoyés que conformément aux dispositions de cette loi.
La commission a pensé que la demande des pétitionnaires était digne d’occuper l’attention de la chambre. Elle pense qu’une espèce d’enquête est nécessaire pour éclaircir les faits ; en conséquence, elle a l’honneur de proposer le renvoi à M. le ministre de la guerre, en l’invitant à donner des éclaircissements sur la démission des pétitionnaires.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Je suis prêt à répondre, si la chambre le désire.
M. le président. - M. le ministre de la guerre a la parole.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere)., à la tribune. - Le ministre commence par dire qu’il ne répondra pas au libelle répandu par les pétitionnaires, qu’ils ont intitulé : « Appel à l’opinion publique, » et dans lequel ils se représentent comme les victimes de la haine et d’une basse jalousie ; il déclare qu’il considère comme indignes de figurer dans l’armée belge ceux qui ont écrit ces atroces calomnies répandues dans cet écrit, et il poursuit ainsi : Messieurs, il ne faut pas ainsi calomnier l’armée tout entière ; quelques officiers, j’en conviens, ont forfait à l’honneur, mais le 12ème régiment a-t-il mieux fait que les autres ? Si j’en crois les rapports qui m’ont été faits et les documents que je possède, là aussi se sont trouvés des faibles. Les 1er et le 4ème régiments se sont battus à ses côtés ; est-ce au 12ème qu’il appartient de calomnier la brigade du général Clump ? Est-ce aux pétitionnaires de tenir un pareil langage ? Mais, parmi les signataires de la pétition, il en est qui n’étaient pas présents au régiment dans les journées d’août, d’autres n’avaient pas de commandement dans l’armée, d’autres enfin n’ont été à Louvain que comme volontaires.
Le 12ème régiment, dit-on, a subi un licenciement. Messieurs, les 11 régiments de ligne étaient tous composés de 3,000 à 3,500 hommes, et par un ne comptait un cadre de 100 officiers, et dans le 12ème régiment, qui ne comptait que 11 ou 1,200 hommes, il y avait 129 officiers quand il aurait suffi de 33. Eh bien ! sur ces 129, 78 ont été employés dans le régiment même, 26 ont été mis à la demi-solde, 24 ont été remerciés ou démissionnés avec trois mois de solde. Loin donc d’avoir licencié le 12ème régiment, le gouvernement a usé d’une indulgence presque extrême. Fallait-il que des hommes, qui ne savent rien et qui se vantent de ne rien savoir, conservassent un emploi qu’ils étaient incapables de remplir ? Je dis qu’ils se vantent de ne rien savoir : car un journal a publié une lettre dans laquelle ils avouent qu’ils ne connaissaient, je ne dis pas l’école de bataillon ou de peloton, mais pas même l’école du soldat ; mais que devant l’ennemi ils sauront prendre un fusil et s’en servir, comme si les officiers étaient faits pour faire le coup de feu. Mais alors on n’aurait pas besoin d’officiers, il ne faudrait que des soldats. On ne demande pas à un officier d’envoyer des balles à l’ennemi, on lui demande de diriger les soldats qui sont sous ses ordres, et pas davantage. Les pétitionnaires appuient leur demande sur le décret du 13 avril. C’est moi qui ai proposé l’amendement formant l’article 4 du décret, et qui rend l’article 124 de la constitution applicable aux étrangers, auxquels le gouvernement provisoire a conféré des grades dans l’armée. Mais les pétitionnaires étaient-ils officiers de l’armée ? Non, car les uns n’ont jamais eu de brevet, et les autres n’ont appartenu qu’à des corps francs ; et on sait comment les brevets ont été donnés dans ces corps, et quelle indiscipline y régnait. J’ai été témoin du fait que je cite. J’ai entendu un chef de bataillon d’un corps franc dire à son général : « Mon bataillon ne marchera pas aujourd’hui si tels et tels ne sont pas faits officiers. » Ce n’est donc ni le décret du mois d’avril, ni par l’article 124 de la constitution, que les pétitionnaires peuvent faire triompher leur demande. Reste l’arrêté du régent. Cet arrêté porte que les corps de volontaires seront réunis pour former trois régiments. Cela est vrai, mais ces régiments n’ont jamais été organisés. Cet arrêté fut pris dans un temps où les habitants du Luxembourg faisaient retentir des plaintes continuelles sur l’indiscipline et les désordres commis par les volontaires, et parce qu’ils refusaient d’obéir à l’autorité militaire supérieure. Mais, en formant ces régiments, on n’a jamais certainement entendu qu’il y eût plus d’officiers que les cadres ne l’auraient jamais comportés. Du reste, on a toujours reculé devant l’organisation de ces régiments, parce que dans les corps francs il n’y avait ni ordre, ni discipline, et les officiers eux-mêmes convenaient qu’ils n’étaient pas maîtres du soldat.
La position de ces officiers n’a jamais été fixée ; ils le savent si bien, qu’ils ont toujours demandé des brevets définitifs. Je ne parle ici que pour les officiers du 12ème régiment, et non pour les officiers du 3ème régiment de chasseurs, parce que là rien n’est encore consommé.
De 24 officiers du 12ème, 7 ont été mis à la demi-solde comme officiers de corps franc ; et rien n’est changé quant à eux relativement à la solde ; ils ont celle à laquelle ils avaient droit. 3 ont été placés dans un autre régiment, ils y étaient sans aucune espèce de brevet ; 8 n’avaient de brevets que comme officiers de corps franc.
Du reste, si j’avais voulu étouffer la plainte de ces pétitionnaires, j’en étais bien le maître. On est venu m’avertir que la pétition était faite ; cet avertissement a été accompagné de menaces, et, si j’avais voulu écouter les plaintes de 2 ou 3 hommes, tous les autres ne se seraient pas plaints. Il y a deux ou trois meneurs dont la pétition est l’ouvrage ; la preuve, c’est qu’on était parvenu à faire accroire à un malheureux blessé que lui-même était dans la disgrâce. Il est venu au ministère, où l’on a été étonné de sa plainte, et où il a reçu l’assurance qu’il était porté pour obtenir sa retraite, car il est hors d’état de servir.
Il faut bien vous le dire, messieurs : parmi les pétitionnaires, les uns n’ont aucun précédent militaire ; les autres disent avoir été sous-officiers, mais ils n’en administrent pas les preuves.
On me reproche, à moi, de vouloir écarter les hommes de septembre ; mais ne suis-je pas moi-même un homme de septembre ? Est-ce parce que je n’ai pas combattu au Parc qu’on me refuserait ce titre ? Mais à cette époque j’étais à La Haye, où l’on mettait la séparation en question, et où je disais : « Il est inutile de délibérer sur ce point, la séparation a été cimentée par le sang. » Celui qui a osé tenir ce langage dans les circonstances où il se trouvait, a montré autant de courage peut-être que ceux qui ont combattu à Bruxelles. Du reste, j’invoquerai en faveur de mes actes un homme de septembre qu’on ne reniera pas, le brave général Niellon ; il m’a soutenu que j’ai traité le 12ème avec trop d’indulgence. On a donc cherché à vous abuser en faisant rejaillir le blâme sur l’organisation de l’armée ; j’ai pour le moins le contrôle du général que je viens de nommer, et le contrôle de beaucoup d’officiers qui ont descendu d’un grade, et qui ont reconnu que c’était avec raison.
On a parlé des officiers du 2ème chasseurs. Là les officiers resteront, parce qu’ils sont capables. Ceux qui ne l’étaient pas il y a dix mois ont appris leur métier. Ils ont utilisé leur temps et le (manque quelques mots) demande des pétitionnaires.
M. A. Rodenbach. - Je demanderai à M. le ministre de la guerre pourquoi on accorde un an aux officiers d’état-major pour faire leur examen et aux officiers du 12ème quelques semaines seulement.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Les officiers d’état-major doivent avoir des connaissances spéciales ; ils doivent connaître certaines sciences, le dessin, en un mot des choses qui exigent d’assez longues études. Ceux qui, n’ayant pas les connaissances nécessaires, ont montré de l’aptitude à les acquérir, ont été placés pour un an dans les régiments de ligne. Ceux qui se sont trouvés dans un cas contraire ont été placés dans les régiments de leur arme.
M. de Robaulx. - Messieurs, il me paraît que M. le ministre a fait une réponse inutile en répondant à une pièce qui a été distribuée, il est vrai, mais qui n’est pas signée, et qui, j’en conviens, contient des termes peu convenables. Cette pièce, inconvenante dans la forme, ne méritait pas l’honneur d’une réfutation sous ce rapport ; mais voyons le fond. D’abord, dit-on, voyez la différence qu’il y avait entre le 12ème et les onze autres régiments. Ceux-ci au complet comptaient 3,000 hommes commandés par 100 officiers, tandis que le 12ème, pour 11 ou 1,200 hommes, comptait 129 officiers. A cela je réponds : Est-ce la faute des officiers s’il y en avait 129 là où il n’aurait dû y en avoir que 33 ? C’est la faute du gouvernement. Il y en a eu, dit-on, 78 de ces officiers replacés. Que l’on ait fait justice à 78 individus, c’est bien ; mais est-ce une raison pour que par caprice on renvoie les autres ? 7 ont été mis à la demi-solde, en attendant qu’on puisse juger de leur capacité. Voyez la belle justice qu’on leur rend ! Ils sont démissionnés d’abord, en attendant qu’on voie s’ils sont capables. Je dis qu’on ne devait pas les démissionner, mais qu’on devait les faire jouir de la garantie de la loi que nous avons rendue tout récemment. Mais fallait-il, dit-on, que ceux qui se vantent de ne rien savoir conservassent leur grade ? C’est répondre par une personnalité qui ne peut être commune à tous les officiers ; car la lettre dont on parle, et que du reste je ne connais pas, car je ne l’ai pas lue, n’est probablement pas signée de tous les pétitionnaires. Faut-il frapper un corps entier pour quelques imprudents ?
M. le ministre nous a rappelé que c’est sur sa proposition que fut inséré l’article 4 au décret du 13 avril, et il soutient que ce décret n’est pas applicable aux pétitionnaires. Mais s’ils font partie de l’armée… ! et peut-on le leur contester, messieurs, eux qui sont venus, en septembre, nous aider à couronner la révolution ? Il y a beaucoup de Français parmi eux, et nous devons aux Français, messieurs, beaucoup de motifs de reconnaissance. Quand ils retourneront chez eux, dans leurs familles, eux qui ont occupé le grade de capitaine, et qu’ils arriveront avec une simple lettre de démission, on croira qu’ils se sont mal conduits, et qu’ils ont été chassés ignominieusement de l’armée belge. Les uns, dit-on, n’ont pas de brevets ; les autres n’ont de brevets que comme officiers de corps franc. Pour les premiers, je conçois la réponse du ministre ; mais je m’étonne que ceux-là pétitionnent, car enfin il ne suffit pas de dire : « Je suis officier, » il faut le prouver, et quand on demande d’être maintenu dans un grade, on a ordinairement un brevet. Quant à ceux qui ont reçu des brevets du général Nypels, ceux-là, est-il bien certain qu’ils sont officiers ? Ils ont servi comme tels, ils ont dû se considérer comme tels ; on leur a fait la retenue comme aux officiers de ligne, ils faisaient dont partie de la société générale de l’armée, et on ne peut pas les démissionner par un caprice du ministre. Je soutiens que, par l’arrêté du régent, ils ont été incorporés dans l’armée : ce n’est pas leur fait si l’on n’a pas organisé les régiments. C’est une mauvaise raison, je dirai même une misérable argutie, de dire qu’ils ne sont pas officiers de l’armée belge, et qu’ils n’en ont rempli que les fonctions.
Ici l’orateur fait remarquer que, parmi les officiers démissionnés, il y a un major auquel on a écrit pour lui annoncer qu’il est mis à la demi-solde comme capitaine d’un corps franc ; il soutient que c’est là une injustice, et il ajoute : On a dit que le général Niellon avait dit que les officiers du 12ème avaient été traités avec trop d’indulgence. Sans doute le général Niellon est un brave, il a fait ses preuves ; mais a-t-il raison quand il parle ainsi, et le ministre devrait-il l’écouter ? Non : s’il y a des officiers indignes ou incapables, qu’on les écarte ; mais nous demandons que ce soit en vertu de la loi. C’est ce que les pétitionnaires eux-mêmes demandent. Renvoyez-les, s’il y a lieu, conformément à la loi ; que leurs supérieurs soient entendus, qu’ils passent par le conseil de guerre, mais point de démission arbitraire.
Savez-vous, messieurs, quel est le principal motif de toutes ces destitutions ? C’est qu’il y a scission entre les officiers de l’ancienne armée et les officiers de volontaires, et qu’il fallait sacrifier les uns aux autres ; je l’ai entendu d’une bouche dont on ne répudiera pas le témoignage. Vous sacrifiez une minorité à la majorité. S’il en état ainsi partout, il y a longtemps que je ne serais plus ici. (On rit.) L’orateur termine en disant qu’approuver une telle mesure serait sanctionner une mesure contre-révolutionnaire, et il espère que, le jour anniversaire de la révolution, on ne voudra pas frapper en masse les hommes de la révolution au profit de gens qui y ont été tout à fait étrangers et qui en ont beaucoup profité.
M. Gendebien. - Je demande une seconde lecture des conclusions de la commission.
M. Destouvelles, vice-président, vice-président, à qui M. de Gerlache vient de céder le fauteuil, relit les conclusions.
M. Gendebien. - Il me semble qu’on avait parlé d’enquête à faire.
M. Corbisier, rapporteur, déclare que la commission a considéré comme une enquête les explications à demander au ministre de la guerre.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Je relèverai quelques assertions du préopinant. C’est la faute du gouvernement, dit-il, s’il se trouvait 129 officiers dans le 12ème régiment. Non, car le gouvernement n’en a jamais breveté un seul. Les 11 autres régiments avaient été organisés et tous leurs officiers brevetés ; si les pétitionnaires avaient un brevet signé, je me serais bien gardé de les (manque quelques mots) afin de pouvoir démissionner les officiers brevetés que je vous ai présenté un projet de loi que vous avez voté. On a dit que ceux qui n’avaient pas de brevet avaient pu être démissionnés : eh bien ! messieurs, tous sont dans ce cas, pas un n’a de brevet définitif. On veut considérer les brevets donnés par M. le général Nypels comme tels, c’est une erreur : le gouvernement provisoire n’avait pas donné au général d’autre mission que de reconnaître les officiers qui étaient dans ces corps, de constater un fait, et pas davantage. On m’a cité un major, le major Duchêne ; on me blâme de l’avoir mis à la demi-solde comme capitaine de corps franc. D’abord le général Nypels n’a jamais eu le pouvoir de donner des brevets de major, même provisoires ; ce major ne l’était donc pas par le fait du gouvernement.
C’est, a-t-on dit, une récompense que le régent a voulu accorder à ces officiers en les incorporant dans l’armée. Non, messieurs, ce n’était pas une récompense, ce sont des régiments qu’il s’agissait d’organiser et qui ne l’ont jamais été, voilà tout. On vient me reprocher de destituer ces officiers en masse, tandis que 78 sont employés dans le régiment même et 19 dans d’autres régiments.
On sacrifie, dit-on, le petit nombre au grand. Non, messieurs, on ne sacrifie personne ; mais, obligés de diminuer le nombre de nos officiers, à qui fallait-il donner la préférence ? A ceux qui étaient brevetés ou à ceux qui ne l’étaient pas ?
Je demande, au reste, que la chambre statue d’une manière ou d’une autre. Si on veut une enquête sur mes actes, qu’on la fasse et qu’on la fasse sans délai, car qu’on n’espère pas me retenir au ministère en ajournant l’enquête. Obligé d’organiser l’armée, si je suis accusé d’un côté tandis que je serais obligé de continuer l’organisation de l’autre, ma position serait insoutenable. Si l’on m’accuse donc, que ce soit tout de suite, je ne demande pas mieux.
M. de Robaulx fait une courte réplique dans laquelle il produit un certificat délivré au major Duchêne par des officiers de la garde civique de Termonde, et duquel il résulte que cet officier a organisé leur bataillon, opération pour laquelle on lui fait des remerciements. L’honorable membre conclut au renvoi de la pétition au ministre de la guerre ; il comprendra, malgré ses explications, que la chambre désire que la pétition soit prise en considération.
M. H. de Brouckere déclare que, quoiqu’il soit le frère du ministre dont on critique les actes, il croit pouvoir prendre la parole, parce qu’assis sur les bancs de député, il oublie complètement toute relation de famille. Après ce début, l’orateur blâme énergiquement les calomnies répandues dans l’écrit distribué au nom des pétitionnaires. Il examiner ensuite si, en démissionnant les officiers du 12ème, le ministre est sorti des bornes de la constitution et si, étant constitutionnelle, cette mesure serait injuste. L’orateur pense que les brevets de ces officiers n’étaient que provisoires. Or, personne, dit-il, n’ignore la facilité avec laquelle on distribuait ces brevets, et avec quelle profusion on les répandait. En voulez-vous une preuve ? Lorsqu’on organisa la brigade Van den Broeck dans le Limbourg, après avoir pris tous les officiers nécessaires, il en resta de quoi fournir garnison en trois endroits différents, et quand l’évêque de Liége passa à Maeseyck, il eut constamment à sa porte deux lieutenants en sentinelle. (On rit.) Si l’on accuse le ministre pour avoir démissionné des officiers de cette catégorie, il y a longtemps qu’on aurait dû le faire ; car il y a des individus qui ont rempli les fonctions de major et même de colonel, et qui se sont contentés plus tard d’épaulettes de lieutenant. Si la mesure est constitutionnelle, la chambre n’a pas le droit de la blâmer. Est-elle injuste ? Ce n’est pas à vous à en juger. L’administration de la guerre n’a à répondre que de ce qui serait contraire à la loi. Si plus tard le ministre perdait la confiance de la nation, dont il paraît jouir aujourd’hui, à vous permis de le mettre en accusation. Je demande que la chambre passe à l’ordre du jour.
M. A. Rodenbach. - Si des officiers du 12ème sont sans talents et s’ils n’ont pas de conduite, il est fort facile de leur appliquer la loi que nous avons votée contre les joueurs. (On rit.) Je demande le renvoi de la pétition au ministre.
M. Nothomb soutient que le ministre a agi légalement. Il soutient que les brevets, délivrés par le général Nypels, n’étaient que provisoires et considérés comme tels par les officiers eux-mêmes. Chargé d’une mission dans le Luxembourg, au mois de janvier, il a été sollicité par plusieurs officiers de tirailleurs du Luxembourg de faire convertir leur brevet provisoire et brevet définitif, faveur qu’il a demandée et obtenue pour plusieurs. Encore aujourd’hui, s’il voulait produire sa correspondance, il pourrait prouver que des officiers lui disent que leur sort n’est pas fixé, qu’on pourrait leur enlever leur grade, et ils le prient de leur faire obtenir leur brevet définitif. L’orateur appuie l’ordre du jour.
M. Blargnies soutient que les pétitionnaires ont toujours été considérés comme officiers, qu’on ne leur a pas disputé cette qualité quand il s’est agi d’aller combattre, et qu’ayant leur part dans la peine ils doivent avoir leur part dans la récompense.
M. de Theux parle en faveur de l’ordre du jour.
M. H. de Brouckere répond à ce qu’a dit M. Rodenbach, et soutient que le ministre n’a pas besoin de se conformer à la loi pour des officiers qui ne sont pas dans les termes de l’article 124 de la constitution. Il rend hommage, en passant, à la bravoure des officiers du 12ème, qu’il a vus combattre vaillamment au village de Bautersem.
- MM. Desmanet de Biesme et d’Elhoungne prêtent serment.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Toute la question se réduit à savoir si le gouvernement avait le droit de renvoyer les pétitionnaires, ou plutôt si les pétitionnaires ont le droit de demander ce qu’ils réclament ; car toute demande, pour être accueillie, suppose l’existence d’un droit. Les officiers avaient-ils des droits acquis à leur grade ? S’ils n’en avaient pas, le gouvernement a pu les renvoyer, et par conséquent il faut passer à l’ordre du jour sur leur demande. On prétend leur trouver des droits dans la constitution, dans le décret du 11 avril, enfin dans l’arrêté du régent. Ecartons d’abord la constitution et le décret du 11 avril, car l’un et l’autre supposent des droits acquis. Reste l’arrêté du régent : que dit cet arrêté ? Que les bataillons de volontaires seront incorporés dans les régiments de la ligne.
Il n’y a là aucune nomination d’officiers, il n’y a qu’une formation de régiments. Cet arrêté ne confère aucun grade, car on sent bien que le pouvoir exécutif ne confère pas les grades en masse ; et, par disposition générale, on nomme des officiers en leur délivrant des brevets. Il ne suffit donc pas d’incorporer des hommes dans des régiments, pour qu’ils aient un droit acquis, il faut encore leur conférer des brevets. Or, les pétitionnaires ont-ils un grade qui leur ait été conféré définitivement ? Qu’ils produisent leurs brevets. Mais ils ne l’allèguent même pas.
On a allégué pour eux qu’ils se sont distingués, qu’ils ont vaillamment combattu. Cette conduite est sans doute un titre à obtenir un brevet, mais elle ne le confère pas. Si donc les pétitionnaires n’ont pas de droit acquis, leur pétition ne doit pas être écoutée, elle est sans objet. M. le ministre de la guerre vous a donné des explications, les seules qu’il pût vous donner ; lui renvoyer la pétition serait tout à fait inutile ; vous devez passer à l’ordre du jour.
M. Gendebien commence par dire qu’étant atteint depuis plusieurs jours d’une assez grave indisposition, il s’était abstenu de toute affaire quelconque, mais, apprenant qu’il s’agissait de sacrifier encore quelques hommes de septembre à des hommes du lendemain, j’ai cru, dit-il, que je devais oublier tout pour les défendre. Souvenez-vous qu’à pareil jour qu’aujourd’hui, il y a un an, cette ville était remplie de sbires hollandais, et que ces hommes que l’on veut décimer les ont chassés au péril de leurs jours, tandis que des représentants qui ne représentaient rien étaient à La Haye à la suite du char d’un tyran qui les foulait aux pieds.
On a dit que le nombre d’officiers étaient tellement considérable qu’il a fallu les décimer pour en réduire le nombre à de justes proportions. S’il y a trop d’officiers, c’est la faute du gouvernement, parce qu’il a renvoyé impitoyablement une foule de volontaires qui avaient rendu d’imminents services et qui ne demandaient qu’à continuer.
Ici l’orateur énumère longuement les services rendus par les volontaires. Il fait un rapprochement entre les faits accomplis et ce qui s’est passé dans la dernière campagne. Il accuse le ministère précédent d’avoir causé tous ces revers par son imprévoyance et par sa négligence.
Honte donc ! s’écrie-t-il, honte à ce ministère et à ces hommes qui ont fait mettre en doute la valeur de nos braves, et qui ont calomnié les patriotes dont ils n’ont jamais su imiter le noble dévouement ! Je savais bien, lorsque certains hommes disaient ici qu’au jour du péril ils sauraient faire leur devoir, ce qu’il fallait penser de leurs fanfaronnades.
L’orateur raconte comment il s’est rendu à l’armée de Louvain, ce qu’il y a fait, les choses affligeantes dont il a été témoin. Il énumère les fautes stratégiques qui ont été commises, l’abandon où on laissait les soldats, le désordre, le découragement produits par le manque de subsistance. Il rejette toute ces fautes sur l’ancien ministère.
M. le président. - Il me semble, monsieur, que vous vous écartez tout à fait de la question.
M. Gendebien. - Il faut bien que je justifie ces braves gens, parce que, si je ne les justifiais pas, on pourrait croire qu’ils ont été renvoyés par défaut de courage ; et, en disant qu’ils ont rempli leur devoir, je crois pouvoir dire quels sont ceux qui ne l’ont pas rempli. Je regrette de paraître long, mes poumons sont plus fatigués que vos oreilles ; mais je remplis un devoir, et je le remplirai jusqu’à ce que la chambre m’impose le silence.
L’orateur poursuit son discours, en rappelant l’abandon dans lequel furent laissés les 1,200 hommes qui étaient en garnison à Tirlemont.
Pour répondre à ce qui a été dit, qu’on ne nommait pas des officiers en masse, il lit un arrêté du gouvernement provisoire, par lequel plusieurs individus furent nommés officiers. Ce brevet, ajoute-t-il, est en date du 10 octobre ; alors personne ne songeait à nous disputer le pouvoir, le poste était trop périlleux ; ce n’est que depuis que des envieux ont occupé tous les postes, et qu’ils en ont écarté tous ceux qui ont pris part à la révolution.
L’orateur soutient ensuite que l’arrêté du régent confère le titre aux pétitionnaires, et que d’ailleurs les brevets délivrés par le général Nypels sont définitifs. Il lit le contenu d’un de ces brevets où il est dit : « Votre brevet de capitaine ne pouvant vous être expédié en ce moment, la présente vous en tiendra lieu. » Il y avait donc un droit acquis, et l’arrêté du régent en fut la confirmation.
C’est cet anniversaire que l’on choisirait pour déshériter les patriotes des droits qu’ils ont acquis à la confiance de la nation. Et qui l’oserait ? Des hommes qui n’ont pas combattu avec eux, des hommes qui, si on les eût écoutés, nous auraient replacés sous le joug d’un tyran. En septembre, les membres des états-généraux, et M. de Brouckere y compris, voulaient terminer la révolution par les voies légales ; ils nous abandonnèrent et nous privèrent, par cet abandon, d’une influence morale immense. Car quelle n’eût pas été cette influence si les représentants de la nation se fussent réunis à nous ! Qui donc a pris leur place alors ? Le peuple ! le peuple que l’on veut déshériter aujourd’hui ! Qu’avez-vous fait effectivement pour le peuple depuis douze mois ? Vous n’avez rien fait. Je ne prétends pas que M. de Brouckere soit hostile aux hommes de septembre. Mais comment se fait-il qu’on attaque précisément ceux-là ? Cette conduite me donne le droit de soupçonner, non pas vous, mais d’autres.
L’orateur énumère ici toutes les destitutions faites dans la Belgique, et dont les hommes de septembre ont, selon lui, été les victimes ; il raconte l’histoire du coup de main de Grégoire à Gand, l’enlèvement des canons des pompiers et les troubles qui en furent la suite, et il apostrophe ainsi M. de Brouckere : Et vous voudriez destituer ces hommes qui vous ont fait ce que vous êtes ! car sans eux vous ne seriez pas ministre de la guerre. (Bravos dans les tribunes publiques.)
M. le président. - Les signes d’approbation et d’improbation sont défendus.
M. Gendebien termine en disant que, quand en droit les pétitionnaires auraient tort, un devoir sacré est imposé à la chambre, c’est d’être plus juste que le droit ; il conclu à un plus ample informé, avant de prononcer une décision.
- Une grande agitation succède à ce discours.
M. Lebeau. - Je demande la parole pour un fait personnel. (A demain ! A demain ! Bruit, agitation.)
Je demande la parole au nom du droit de défense et pour un fait personnel. Messieurs, je regrette, dans une discussion qui me paraissait toute de principe, d’avoir vu ramener des formes irritantes et contumélieuses que je croyais bannies pour jamais de cette enceinte. Eh quoi ! c’est en parlant des membres de cette courageuse opposition que l’on ose dire…
M. Gendebien. - Cela ne vous regarde pas.
M. Lebeau. - Cela me regarde, je sens aussi vivement qu’eux l’injure que vous leur avez faite. Eh quoi ! ces hommes qui ont organisé une courageuse opposition, qui ont formé cet esprit public par lequel la révolution a été si glorieusement secondée, on ne craint pas de les montrer sous les pieds de l’ex-roi, dans une attitude peinte avec des expressions que je n’ai pu entendre sans douleur. On a parlé du ministère dont j’ai fait partie, on a dirigé des accusations contre ce ministère en masse, on l’accuse d’avoir préparé et amené la honte de la nation. Il n’en est pas ainsi, messieurs, et déjà, dans une de vos précédentes séances, vous avez fait justice de cette accusation. Je dois dire que c’est avec une égale injustice que le ministère sortant a été accusé d’avoir conspué la France. Non, le ministère a toujours considéré la France comme une nation grande et généreuse ; la dynastie régnante, comme la meilleure et la plus favorable au bonheur et aux libertés de notre pays. Ce n’est pas le ministère qui se met entre Louis-Philippe et son peuple par un appel à la guerre civile. Voilà comme j’entends la sympathie qui nous unit à la France, sympathie augmentée par le service solennel qu’elle vient de nous rendre et que je me félicite d’avoir provoqué.
Il est étrange qu’on ne renonce pas à une accusation en masse contre le ministère, et que, lorsque tout au plus on pourrait s’en prendre à un seul ministre, on les accuse tous d’avoir négligé l’organisation et le service de l’armée. Eh quoi ! parce qu’on n’a pas une tête encyclopédique, qu’on ne réunit pas aux notions de droit public les notions stratégiques les plus étendues, on sera accusé de trahison. Nous savons qu'il est des esprits qui ne reculent pas devant cette prétention de réunir les connaissances les plus diverses, le droit civil et public, la stratégie ; telle n’est pas notre faculté. On nous a accusés d’être les hommes du lendemain, tandis que, lorsque encore la révolution était loin d’être accomplie, nous avons écrit en faveur de cette révolution sous les canons de la citadelle de Liége qui menaçait de brûler la ville ; il y avait moins loin de Liége à Bruxelles que de Bruxelles à Valenciennes. (Sensation.) Celui qui nous accuse d’ambition a quitté le pouvoir en se donnant une place de premier président, et il nous appelle homme de curée. Nous attachions, dit-il, notre existence ministérielle à une combinaison qui nous a fait négliger tous les autres intérêts ; cette question est déjà jugée. Les électeurs de la capitale ont prouvé comment ils entendaient l’intérêt du pays, et ils ont prononcé entre nous et nous adversaires.
C’est ici, si je ne me trompe, une seconde discussion de l’adresse, une seconde discussion de l’amendement que vous avez proscrit. Si vous croyez que le ministère est coupable, s’il est associé à des actes qui ont amené la honte du pays, ne restez pas dans de stériles déclamations, osez nous accusez, et alors sans doute il en résultera pour vous un brevet de calomniateur.
M. Gendebien. - Je demande la parole.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Je l’ai demandée avant.
- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Si on veut ajourner la discussion, je demande le renvoi à après-demain, parce que je suis obligé de partir ce soir pour Diest.
M. Gendebien. - Je demande à répondre à un fait personnel.
M. Legrelle. - M. le ministre de la guerre renonce à parler aujourd’hui, il consent à ne répondre qu’après-demain, je demande que son exemple soit imité, et que plus de calme règne dans nos discussions.
- La séance est levée, au milieu d’une vive agitation, à 5 heures et demie.