(Paru en 1944 à Tournai et Paris, chez Casterman)
Le cabinet Van de Weyer - Bienveillance de la droite - Projet de loi sur l'enseignement moyen et démission du cabinet - Le cabinet de Theux - Désorganisation de la droite - Election de 1847 et démission du cabinet - Le cabinet Rogier - La loi sur les incompatibilités et le choix de François du Bus
(page 290) Les dernières années de la carrière politique de François du Bus vont être témoin de luttes chaque jour plus âpres entre les libéraux radicaux et les catholiques. Elles vont s'écouler sous trois cabinets : un éphémère essai de replâtrage avec Van de Weyer (30 juillet 1845-31 mars 1846) ; un ministère de Theux, catholique homogène (31 mars 1846-12 juin 1847) ; elles se termineront enfin sous le ministère libéral homogène de Rogier (12 août 1847).
L'effort tenté par Van de Weyer, rentré de son poste Londres pour prendre la tête du gouvernement, fut un effort sincère en vue de maintenir une union fortement ébranlée. Aussi les attaques de Devaux et de Rogier s'avérèrent-elles violentes dès que le gouvernement se présenta devant la Chambre, et la violence même de leur offensive eut-elle pour effet de rallier les catholiques et les plus modérés libéraux dans un soutien décidé du ministère.
(page 291) François du Bus exprime l'état d'esprit de la majorité, et spécialement des catholiques, quand il écrit :
« Le nouveau ministère de l'Intérieur (Van de Weyer) a parlé, hier surtout, en unioniste si franc, si sincère, si prononcé, qu'il s'est concilié tous les suffrages sur nos bancs, sauf bien entendu celui de Dumortier, qui n'est pas payé pour lui être favorable, et qui ne lui pardonne pas sa brochure. Van de Weyer n'a pas du tout ménagé les libéraux ; il répondait immédiatement à un discours très long et très longuement calculé de Devaux, et l'a fait avec un très grand succès. Il a fait preuve d'un très grand talent, de l'opinion de tous.
« Je pense qu'avec Malou dans le ministère, Malou si ferme et si intelligent, nous pouvons nous y rallier, et nous avons cet avantage que si, en présence d'une résolution du conseil qu'il considérerait comme nous étant hostile, il se retirait, Dechamps, qui a la prétention de nous représenter aussi, devrait se retirer également. Je crois qu'on peut compter sur la ferme résolution de Malou dans un cas pareil. » (21 novembre 1845).
La confiance manifestée à droite doit évidemment être balancée par la méfiance de la gauche ; et de ce côté Van de Weyer, rationaliste avéré et l'un des fondateurs de l'université de Bruxelles, est accusé, à son tour, de subir « l'influence occulte », - celle du clergé, évidemment...
Le vote de l'adresse, amendée par Van de Weyer dans un sens nettement unioniste, oppose une majorité de 63 voix à une minorité de 25.
Ce succès est confirmé peu après par une adoption massive du budget de la justice (55 voix contre et le cabinet semble avoir le vent en poupe, lorsqu’il (page 292) l'écueil qui le fera échouer : un projet de loi organique de l'enseignement moyen.
Le gouvernement avait déclaré prendre pour bases de ce projet les dispositions contenues dans celui qu'avait déposé Rogier en 1834, et que le ministère libéral de 1840 avait entériné.
Désireux de donner certains gages à l'opinion libérale, Van de Weyer voulut aller plus loin dans un sens étatiste, contrairement aux principes qui avaient, lors de sa constitution, entraîné l'adhésion des membres catholiques du cabinet.
La crise gouvernementale était donc ouverte.
Qu'en pensez-vous, François du Bus ?
« Aujourd'hui (11 février 1846) de Theux est arrivé chez moi. Il était chargé de m'inviter à aller à Malines, où nous étions demandés par les Evêques pour causer de la loi d'enseignement moyen. Nous avons dîné avec le corps épiscopal, le Nonce, M. de Gerlache, M. Stas.
« Chemin faisant pour la station, de Theux m'a fait connaître, confidentiellement, ce qu'il avait appris de même, de la situation du ministère. Vous vous souvenez que Van de Weyer disait, lors de la discussion d'il y a environ quatre semaines, que les principes de la loi sur l'enseignement étaient arrêtés dans son esprit. Il vient d'aller plus loin, puisque sans avoir causé du projet qu'il a conçu, ni avec ses collègues, ni avec le Roi, il vient de le faire imprimer. Il est vrai qu'il a prétendu n'en avoir fait tirer que dix exemplaires, et avoir numéroté ceux qu'il a donnés afin de s'assurer qu'ils rentreront entre ses mains. Il est toujours singulier de délibérer en conseil sur un projet de loi déjà imprimé. Ceci est relatif à la forme seulement ; mais c'est le fond qu'il faut connaître et admirer.
« Au lieu de trois athénées a du gouvernement, il en crée dix dont un Tournay.
« Le ministre devient maître non seulement de ces (page 293) dix athénées, mais encore d'un grand nombre de collèges dont les communes feront les frais.
« La liberté des communes quant aux autres collèges n'ira pas jusqu'à traiter avec le clergé, pour en assurer la direction ; au contraire, semblables traités sont formellement interdits, selon le désir exprimé par M. Verhaegen dans la discussion prémentionnée, et les traités déjà faits sont révoqués et annulés. Seulement cela permettra aux communes de mettre des locaux à la disposition du clergé pour y instituer des collèges que le clergé dirigera ; mais de semblables institutions ne pourront obtenir de subsides de l'Etat.
« L'instruction religieuse sera donnée par des laïques et, par ce moyen ingénieux, on évite toute difficulté avec les Évêques, puisqu'on n'aura rien à leur demander. Tout le droit de ceux-ci se bornera à faire quelquefois visiter l'établissement par le curé et à faire des représentations au gouvernement.
« Tel est le résumé de ce beau projet, tel que je l'ai saisi de la bouche de de Theux, et tel que M. Stas, qui en avait aussi connaissance, me l'a confirmé.
« On ne peut se persuader que ce soit sérieux. On suppose plutôt que Van de Weyer est fatigué de ses fonctions et qu'il imagine ce moyen de les quitter pour retourner à son poste de Londres.
« C'est aujourd'hui que cela devait venir en conseil. Mais Dechamps était bien résolu à s'opposer à la discussion de semblable projet, se fondant sur ce qu'il avait été convenu qu’on prendrait pour base le projet de 1834, auquel il serait fait quelques amendements, et que cela a été ainsi annoncé à la Chambre. Tout ceci se terminera, j'espère, par la retraite de Van de Weyer.
« Mais les autres demeureront-ils d'accord ? Pourront-ils marcher ? Pourront-ils se compléter ? Il serait désirable que d’Huart consentît à faire l'Intérieur au moins jusqu'après la discussion de la loi, et alors il (page 294) deviendrait plus facile de reconstituer le ministère.
« On dit que le Roi se montre très bien.
« Les bons Prélats avaient imaginé de rédiger, en forme d'articles, les stipulations de la convention de Tournay, et de les faire insérer dans le projet de 1834, en même temps que la stipulation formelle de l'obligation pour les communes d'obtenir le concours du clergé. Nous leur avons fait comprendre qu'il n'y avait pas de chance de faire adopter une loi semblable et qu'il était plus adroit et plus prudent de se fonder sur le principe de la liberté des communes, qui est celui de ce projet, et d'écarter ainsi toute disposition qui aurait pu faire obstacle à l'accord des communes avec les Évêques. de Theux a raconté alors les détails ci-dessus ; Stas les a confirmés et Nos Seigneurs en ont paru fort ébahis. »
François du Bus mande le lendemain, 12 février :
« Rien de nouveau encore. Hier soir, au bal du Prince de Chimay, on répandait le bruit que Van de Weyer se retirait. Mais Van Praet a démenti le bruit. Toutefois les délibérations ne sont pas terminées. Il paraît que Van de Weyer renonce à son malencontreux projet ; mais il paraît aussi que pour arriver à un bon accord, Dechamps se montre disposé à faire des concessions, tandis que Malou tient ferme. Rien ne m'étonne là. On me dit ici qu'Osy tout à l'heure louait Dechamps de ce qu'il se montrait raisonnable. « Mais quant à Malou, ajoutait-il, c'est un entêté qui ne veut entendre rien ». Nous avons donc bien fait de mettre notre confiance en Malou. »
Du 17 février :
« Les conseils de ministres se continuent et on ne sait pas encore quel en est le résultat. On dit, parmi les libéraux, que Van de Weyer se retirera ; on ajoute qu'il se montre roide et difficile le matin (page 295) et accommodant le soir. Aujourd'hui le conseil a été présidé par le Roi. Il paraît assez que l'on n'est pas encore d'accord. »
Du 26 février :
« Le ministère n'est pas encore d'accord. Les ministres parviendront-ils à s'entendre ? Pour ma part, je ne l'espère pas. Il paraît seulement que Van de Weyer reconnaît maintenant que son projet était d une exagération telle, qu'il avait mis l'opinion publique contre lui et qu'il cherche maintenant à en mettre en avant un autre qui lui a donne le moyen de se trouver en désaccord avec moins de désavantage. Il est grand temps que ceci se dénoue d'une manière ou d'une autre. »
Du 5 mars :
« Il n y a pas de doute, selon moi, sur la démission des ministres. Plusieurs persistent à dire que Van de Weyer est chargé par le Roi de constituer un nouveau cabinet ; fis font remarquer que le Roi ayant lui-même appelé Van de Weyer de Londres pour le mettre la tête du ministère, il ne pouvait l'y renvoyer en gardant les autres sans avoir l'air de le chasser, ce qui aurait produit de l'irritation dans le parti libéral. D'un autre côté, il faut convenir que le charger de composer un cabinet, c'est autoriser ce cabinet à adopter, par la loi d'enseignement, le système auquel Van de Weyer n'a pas voulu renoncer, et ce système, le Roi lui-même l'a combattu dans le Conseil. C'est de l'inconséquence. Car il faut savoir qu'en dernière analyse, il paraît que sur cette question Van de Weyer s'est trouvé seul de son avis et que tous les autres étaient accordés.
« Quoiqu'il en soit, il paraît encore que Van de Weyer a pour conseils intimes Gendebien et Van Meenen, et certains de mes amis s'inquiètent beaucoup de la situation. Mais mon ami de Theux (page 296) pense qu'il n'est pas présumable que Van de Weyer parvienne à composer une administration viable. Quant à moi, je ne suis pas sans appréhension ; ces sortes d'hommes ont un appétit très âpre du pouvoir et s'y cramponnent résolument quand ils y sont établis. »
Du 6 mars :
« Je n'ai aucune raison de douter que Van de Weyer ait été chargé de composer un nouveau et ministère ; ou plutôt j'ai des raisons de n'en pas douter.
« Il paraît qu'il n'est point parvenu et qu'il n'a point l'espoir de parvenir à former une administration libérale homogène.
« En conséquence, il s'est rapproché hier de ses anciens collègues ; on a repris le projet de loi sur l'enseignement tel que d'Huart l'avait proposé et qui avait réuni toutes les autres opinions ; moyennant une légère modification il s'y est rallié et il y a eu, par ce moyen, accord parfait de tous. Ceci se passait hier soir.
« Mais la nuit porte conseil. Et ce matin Van de Weyer a déclaré que, toutes réflexions faites, cet accord était impossible.
« Je présume que la conclusion de tout cela, c'est que Van de Weyer se retirera. Mais comment les autres parviendront-ils se compléter ? C'est ce que j'ignore. »
Du 11 mars :
« On s'accorde assez à reconnaître que Van de a Weyer veut s'en aller et s'en va.
« La déclaration qu'il a faite que le Roi l'avait chargé de composer un ministère sur la base de celui de juillet dernier, a déplu à ses ex-collègues, et on dit qu'il n'était pas autorisé à faire cette déclaration-là. Au reste, il paraît que la plupart des journaux, de diverses nuances libérales, ont (page 297) attaqué Van de Weyer ce sujet, soutenant qu'il a découvrait la Royauté.
« J'ai tout à l'heure causé avec d'Anethan (ministre de la justice) et je lui ai demandé si la crise ministérielle aurait vraisemblablement un terme prochain. Il m'a répondu : dans deux jours peut-être. Il paraît, d'après ce qu'il m'a dit, que cela est déjà bien avancé et que les collègues de Van de Weyer restent et se compléteront.
« Scheyven vient de me dire que Dechamps avait parlé dans le même sens. Il m'a dit que d'Hoffschmidt s'en va, ne trouvant pas son opinion représentée par un homme d'un talent et d'une influence comparables à ceux de Van de Weyer. Quel sera donc ce remplaçant ? »
En réalité, ce n'est pas d'un remaniement, mais d'une nouvelle équipe qu'il va s'agir. Appréhensions de François du Bus, aux premières nouvelles qui lui en arrivent :
« Il est question de la formation d'un ministère exclusif où entrent Rogier, de Brouckère, Delfosse, de Bavay, Chazal, et où d'Hoffschmidt reste. « Voilà la combinaison formée, mais dans quelles conditions ? Ces conditions conviendront-elles au Roi ? Ce ministère, pris tout entier hors de la majorité, voudra se soutenir par l'intimidation. Demandera-t-il le droit de dissoudre ? Le Roi l'accordera-t-il ?
« J'ai causé successivement avec de Theux et de Chimay. de Theux trouve que le Roi s'est bien pressé de charger Rogier de composer un ministère. de Chimay explique cela en disant que le Roi a cédé à un mouvement d'humeur ; de Theux paraît incliné à croire que ce ministère pourra se former mais il espère qu'il ne pourra se soutenir, et que le caractère personnel même des membres qui le composent est déjà une cause de dissolution.
« Il y avait un moyen assuré de sauver la situation ; (page 298) c'eût été que d'Huart et de Muelenaere consentissent à entrer dans le cabinet pour quelques mois, afin d'arriver à la fin de la session ; ce n’aurait été de leur part qu'un sacrifice momentané de leur temps et de leurs habitudes domestiques. Et entre les deux sessions, un homme comme de Theux aurait pu composer à son aise un ministère durable. Mais ils ne l'ont pas voulu. » (23 mars 1846).
Le lendemain :
« Point de doute sur la combinaison que je vous ai indiquée hier. Au commencement de la séance de ce jour, Delfosse a dit à un député qui me l'a répété : Rogier est en ce moment chez le Roi avec la liste.
« Il nous reste un espoir, il est fondé sur l'esprit d'intolérance de nos adversaires, sur les exigences qu'en conséquence ils mettront en avant et qu'ils mettent sans doute le Roi en demeure d'accepter. Il paraît en effet qu'ils ont arrêté leur programme où ils prévoient quatre cas dans lesquels le Roi devrait dissoudre les Chambres, où ils demandent des destitutions, telles que celle de M. Desmaisières qui, il y a trois ans, a soutenu comme ministre un débat fort aigre contre M. Rogier et que celui-ci considère comme son ennemi politique.
« Nous croyons que le Roi ne peut accepter de semblables conditions ; ce serait une abdication. « Cela explique peut-être un mot de Van de Weyer, « d'où il résulterait que son administration provisoire va se prolonger.
« Devaux vient d'entrer dans la salle et paraît fort sombre. Fasse le ciel que ce soit parce que la combinaison est avortée !
« Quatre heures.
« De Brouckère vient d'entrer dans la salle, et il a annoncé qui a voulu l'entendre que le Roi n'a pas accepté leur programme, et qu'ils se (page 299) trouvent complètement dégagés. Très bien ! Hommage soit rendu à la sagesse du Roi ! Cette nouvelle a causé une satisfaction générale sur nos bancs. »
Ne venons-nous pas de vivre les péripéties d'une crise ministérielle au jour le jour, si non même d'heure à heure et parfois de minute en minute. avec une précision quasi photographique ?
Les exigences des libéraux « exclusifs » avaient pour conséquence d'amener au pouvoir un cabinet catholique homogène : on risque de tout perdre à vouloir trop gagner.
Après le refus de souscrire au programme de Rogier, le Roi fit successivement appel à deux libéraux, d'Hoffschmidt et Dumon-Dumortier en les autorisant - quoique les catholiques fussent la majorité - à former un cabinet entièrement ou principalement libéral, à seule condition de ne pas demander de blanc-seing pour la dissolution des Chambres. Ils ne trouvèrent aucun écho auprès de leur coreligionnaires politiques, qui ne voulaient pas démordre du programme de Rogier.
C'est dans ces conditions que le Roi se tourna vers de Theux, qui groupa autour de lui une équipe catholique homogène, mais d'esprit toujours unioniste.
Ajournée le 25 mars 1846, la Chambre reprit séance la 20 avril pour entrer en contact avec le nouveau gouvernement. La gauche était plus déchaînée que jamais ; il y a quelques mois elle avait accusé Van de Weyer d'être le jouet de l' « influence occulte » ; à présent, entendre les Castiau et consorts le Roi lui-même s'était soumis à sa loi !
Beaux jours en perspective...
(page 300) Les catholiques le sentent, et semblent vouloir faire un effort d'organisation :
« Dans une réunion qui eut lieu chez le Prince de Chimay, on a reconnu la nécessité de s'organiser, de se concerter, pour soutenir la lutte formidable qui se présente. On s'occupera de cette organisation cette semaine.
« On a nommé il y a deux jours les présidents des sections ; les libéraux s'étaient donné le mot pour y aller, les nôtres y ont fait défaut, et les libéraux ont emporté quatre nominations sur six. Il importe donc grandement que les nôtres soient réveillés de leur apathie et de leur négligence.
« On dit que nos adversaires se lient l'un envers l'autre par un engagement écrit de voter sur toutes les questions importantes avec l'opposition.
« La session sera rude à traverser et notre vie parlementaire sera bien pénible. de Theux me paraît toutefois plein de confiance.
« Goblet a quitté sa place du centre gauche pour aller s'asseoir au milieu de l'extrême-gauche. Thirion, président à Huy, aussi ; il a cependant été élu par les conservateurs. Il croit apparemment que le vent ne souffle plus de ce côté. » (25 avril 1846).
Même son de cloche trois jours plus tard :
« La crise est des plus sérieuses. Nous formerons une majorité très modérée, placée en présence d'une minorité très forte et très violente, qui ne recule devant aucun moyen. La présente session sera terrible à traverser.
« Nos adversaires se réunissent tous les soirs chez M. de Bonne, afin de se concerter tous les jours et de se maintenir au même degré de fièvre.
« Parmi nous il n'y a qu'un cri ; c'est que nous devons nous organiser aussi et dans la Chambre et dans le pays. Nous avons déjà eu deux réunions chez le Prince de Chimay. Une commission a été a nommée aujourd'hui.
(page 301) « Notre situation est bien pénible. Les hommes sur lesquels on aurait cru devoir compter, viennent avec des opinions individuelles qu'ils ne veulent pas modifier même momentanément en présence d'une pareille crise.
« M. Eloi de B., par exemple, qui est mécontent du ministre des finances à cause du projet de loi sur les sucres, veut bien dire non sur la proposition : le ministère n'a pas la confiance de la Chambre. Mais sur celle-ci : le ministère a la confiance de la Chambre, il ne dirait pas oui et s'abstiendrait.
« M. de Decker croit qu’un ministère homogène ne répond pas aux exigences de l'opinion publique. On a beau lui dire qu'on n'a pas pu ne pas le composer ainsi : il ne tient aucun compte de cette nécessité. Et si la question est posée, il s abstiendra.
« Où allons-nous avec de pareilles divisions dans les moments les plus critiques ? »
Une droite divisée en 1846. Déjà...
Aussi François du Bus n est-il pas gai.
De son banc où sont rédigées tant de ses lettres, il écrit le 5 mai :
« On appelait le banc des ministres un « banc de douleur ». Je n'ai jamais trouvé que le banc du député fût un banc de joie ou de satisfaction quelconque. Maintenant Je ne sais comment le qualifier, mais je m'y déplais plus que je ne pourrais vous le dire. Nous n'y avons en perspective qu'une guerre continuelle et sur le ton que vous connaissez avec des adversaires dont vous avez pu apprécier la bonne foi, faisant armes de toutes les déclamations les plus violentes. »
Au moins l'organisation des catholiques et leur assiduité font-elles des progrès ? Hélas...
« Nos bancs sont presque dégarnis, comme si ceux de notre opinion ne s’attendaient pas à une nouvelle discussion politique.
« Vendredi, chez de Mérode, le Prince de Chimay, (page 302) de la Coste, Orban ont fait des objections sur l'organisation proposée des conservateurs.
« Je viens d'apprendre de Vanden Eynde et de Malou qu'une espèce d'intrigue est maintenant ourdie pour former ce que l'on appelle un ministère centre gauche. Il paraît qu'Orban et le Prince de Chimay sont mêlés là-dedans. Et probablement cela a été suscité par nos adversaires pour opérer une scission dans la majorité. Tout à l'heure je voyais le Prince de Chimay en grande conférence avec de Decker. Ceci entre nous. » (11 mai 1846).
L'absentéisme se maintient remarquable droite, spécialement funeste dans les sections. De ce fait, les rapporteurs leur sont soufflés sans peine.
« Il est vraiment désolant de voir une pareille conduite. » (19 mai).
Pourtant - ô ironie - on continue à parler de projets d'organisation :
« J'ai causé avec de Theux, Malou et Dechamps. Ils apprennent avec satisfaction qu'on ne se décourage pas et qu'on songe sérieusement s'organiser pour continuer la lutte. »
C'est écrit le 12 janvier 1847. Voilà près de neuf mois que les catholiques « songent sérieusement à s'organiser. » Conclusion :
« Nous laissons l'opposition s'emparer de l'examen des lois importantes, parce que nous sommes paresseux et que nous aimons nos aises. » (2 février 1847.)
« Jusques à quand les parleurs de la Chambre feront-ils durer la session ? se lamente François du Bus en avril. Cette session lui pèse ; l'apathie de beaucoup de ses amis le désole. Pour la première fois depuis seize ans, le rythme de sa correspondance se ralentit ; les longues lettres sont remplacées par des billets.
Au dehors, la campagne en vue des élections de (page 303) juin bat son plein, - et le cabinet vit ses dernières semaines.
Il trouve en face de lui le libéralisme, et le libéralisme explique aux futurs électeurs éblouis ce qu'il est :
« Le libéralisme, c'est la personnification de toutes les grandes pensées, de tous les sentiments généreux, de toutes les idées de progrès, des conquêtes du passé et des espérances de l’avenir. C'est lui qui a réveillé la race humaine de son long sommeil, secoué le joug des préjugés vulgaires, retrouvé les titres du genre humain et revendiqué les droits de l'homme et la souveraineté des peuples. C'est lui qui a remplacé l'anarchie féodale par la majestueuse loi de l'unité, effacé les dernières traditions de la barbarie, désarmé le fanatisme, prêché la loi de la tolérance, proclamé l'indépendance de la pensée et de la conscience, renversé le régime des corporations et des castes, et préparé la réalisation de l'égalité et de la fraternité humaine. C'est lui qui, par le prodigieux essor qu'il a imprimé l'intelligence, a enfanté les merveilles réunies des sciences, des arts, de l'industrie et du commerce, et qui, toujours infatigable, doit guider les sociétés modernes vers cet avenir de grandeur, de puissance et de liberté qui est, en quelque sorte, la terre promise des peuples. » (Castiau, Le Libéralisme, p. 16).
Le libéralisme n'est que cela ; c'est suffisant pour que l'électeur soit sidéré.
François du Bus est réélu à Tournai ; mais Dumortier mord la poussière, et dans les arrondissements où les députés sont soumis à réélection, les catholiques perdent et les libéraux gagnent.
Le cabinet de Theux démissionne le 12 juin 1847.
(page 304) Le ministère libéral homogène assuma le pouvoir le 12 août 1847.
Annonce d une « politique nouvelle », qui est celle du congrès libéral et de l'Alliance de 1846.
Révocation de trois gouverneurs, et destitution de dix commissaires d'arrondissement, comme don de joyeuse entrée.
Quelles clameurs dans les rangs de la gauche, si elles avaient été l'œuvre d'un cabinet de droite !
« J'ai l'impression que la politique nouvelle ne s'usera pas vite et coûtera cher au pays qui l'aura voulue, et qui sera payé de manière à s'en dégoûter profondément. Encore si l'on s'organisait pour profiter aussitôt que ce sera possible, du revirement des opinions ! » (28 décembre 1847).
La « politique nouvelle » durera en tout cas plus longtemps que l'activité parlementaire de François du Bus...
Ce dernier reçoit, le 1er juin, une lettre du ministre de la Justice, de Haussy :
« Monsieur le Président,
« La loi récente sur les incompatibilités déclarant vos fonctions judiciaires incompatibles avec celles de représentant, il me serait agréable de connaître le plus tôt possible la résolution que vous croirez devoir prendre en conséquence de la dite loi. »
François du Bus répond le 3 juin :
« Je désire conserver mes fonctions judiciaires. En conséquence je n'ai point accepté de candidature pour les élections prochaines. »