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Au temps de l'unionisme
DE BUS DE WARNAFFE Charles - 1944

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Charles DU BUS DE WARNAFFE, Au temps de l’unionisme

(Paru en 1944 à Tournai et Paris, chez Casterman)

Chapitre XIII. Cabinet Nothomb (13 avril 1841-19 juin 1845)

Le dernier gouvernement unioniste - Le libéralisme radical - Les fraudes électorales - Activité des libéraux à Tournai - Echec de François du Bus aux élections de 1843 - Son élection à Turnhout en 1844 - Offensive contre le cabinet (janvier 1845) - Elections de 1845 et démission du cabinet

(page 274) Après avoir accepté la démission des ministres libéraux, le Roi confia à Nothomb la constitution d'un cabinet qui devait être le dernier gouvernement unioniste.

Comptant quatre libéraux modérés - Nothomb, Van Volxem, Demaisières, Buzen, - et deux catholiques, de Muelenaere et de Briey, la nouvelle équipe subit immédiatement l'assaut des libéraux. Oubliant qu'ils avaient accusé les catholiques d'avoir fait un procès de tendance au ministère précédent, ils en firent un au cabinet Nothomb, avant même de l'avoir vu à l'œuvre. Au mythe de l'« influence occulte » dont on avait gratifié le ministère de Theux, allaient succéder quelques épouvantails du même tonneau : la mainmorte, la dîme et les lois « réactionnaires. »

Nothomb eut le mérite de tenir tête aux violences, et la longévité de son ministère témoigne à la fois de son habileté et de son énergie, Comme aussi du concours qu'il trouva dans une majorité parlementaire hostile à l'extrémisme.

Ce furent néanmoins des années de luttes fort (page 275) vives au sein de l'hémicycle, et François du Bus ne manquera pas de s'en faire l'écho, non sans nourrir à l'endroit de Nothomb des suspicions passagères qu'il ne se fera pas faute d'exprimer.

Dès l'ouverture de la session, il note les tendances et marque les points.

« Les doctrinaires paraissaient atterrés sur leurs bancs, des résultats des divers scrutins. Leur force s'est encore révélée lors du scrutin pour la nomination de la commission d'adresse, samedi. Ils portaient Dumortier, de Behr, Angillis, Dolez, Dumont, Fleussu ; ils n'ont pas osé porté Devaux, ni Lebeau, ni Rogier ; de notre côté, on portait Dumortier, d'Huart, Dechamps, de Theux, Meeus et Pirmez ; or, excepté Dumortier, porté sur les deux listes, aucun des noms de la leur n'a obtenu plus de 19 voix, et il y avait 77 votans. De Behr, Fleussu, Dolez, étaient l'an dernier de cette commission. De Behr a fait ses doléances à Demonceau d'avoir été exclus par ceux de notre côté ; j'étais présent quand Demonceau a transmis ces plaintes à Raikem, ancien ami de de Behr : « Vous n'avez qu'à lui répondre, dit Raikem, qu'il faut qu'il choisisse d'être avec eux ou avec nous, et c’est ce que je lui dirai moi-même s'il m'en parle. »

« Je suis encore premier vice-président et tout à fait sans m'y attendre. On était convenu, parmi les catholiques, de porter de Behr avec moi, lorsque immédiatement avant le scrutin. il est revenu à Dumortier que les doctrino-libérâtres portaient de Behr en m'excluant, afin de lui assurer le premier rang ; aussitôt Dumortier de courir de banc en banc et le résultat de ces courses fut que beaucoup des nôtres, ou bien portèrent mon nom seul, ou bien substituèrent le nom de d'Huart ou de Coppieters à celui de de Behr.

« Il paraît que plusieurs de ceux que les libérâtres comptent pour leurs, ont quitté la Chambre (page 276) pendant l'appel nominal sur l'élection de M. de Mérode, afin de ne voter ni pour ni contre. Fallon a fait de même, afin de ménager la chèvre et le chou ; et son discours comme président (lequel a fortement déplu aux doctrino-libérâtres) prouve qu'il a fait de nouveau volte-face et qu'il nous juge les plus forts. «

Mais toute cette force se résume en une reconstitution ou un replâtrage de l'ancienne majorité dans laquelle entraient les libéraux modérés, mais dont les doctrinaires ne feront plus partie. Comme ceux-ci veulent dominer et paraître là où ils sont, leur changement de parti donnera probablement à cette majorité une couleur plus catholique ; mais ce sera de l'apparence, et son énergie n'ira pas plus loin que ce que vous avez vu. » (15 novembre 1841).

La lettre du 21 novembre confirme les prises de position :

« Lebeau, Rogier, Devaux et consorts sont maintenant plus unis que jamais avec Verhaegen et consorts ; ils feront ensemble de l'opposition systématique, et l'Observateur sera leur organe principal. »

François du Bus ayant pris ce jour-là la parole en faveur de la validation de l'élection de Cogels, il enregistre l'échec des libérâtres au vote des conclusions de la commission :

« Voilà quatre échecs déjà que subit ce parti. Cette fois ils se sont trouvés 24 ; mais Brabant croit que quelques-uns ont voulu faire de la popularité sans risque, certains qu'ils étaient que les conclusions de la commission passeraient. D’un autre côté, il y en a tels, comme Van Cutsem, qui, avouant après m'avoir entendu, que c'était clair, s'est retiré pour ne pas voter. Celui-là votera avec eux dans d'autres circonstances. Dumortier m'a dit aussi que Verhaegen, qui était inscrit (page 277) pour parler après moi, a dit en sortant qu'il avait a renoncé à la parole parce qu'il n'avait rien à répondre ; et il a voté cependant. »

Maintenant un coup de patte à Nothomb :

« Il paraît toujours que l'on ne fera rien (du côté catholique) pour l'élection de Bruxelles (où il s'agissait de remplacer Devaux, qui avait opté pour Bruges). Orts, aussi mauvais que Verhaegen, avec plus de jugement, a été nommé échevin par Nothomb ; son fils a été nommé du jury de l'exposition par Nothomb ; apparemment que Nothomb compte être soutenu par lui, et qu'il ne serait pas et fâché de voir affaiblir l'opinion catholique à la Chambre. » (30 novembre 1841).

Dans l'hémicycle, la température monte :

« La discussion a présenté ce phénomène que l'opinion catholique y a été provoquée de la manière la plus violente par quelques hommes de la gauche, et que cependant les hommes de cette opinion sont restés calmes et presque impassibles.

« Le discours de Lebeau nous a livré le but de ces provocations ; Lebeau s'est vanté que sa retraite avait jeté l'irritation et la discorde dans le pays, et que cette irritation se produisait maintenant dans la Chambre par la discussion la plus violente ; or il n'y avait eu de violence que de son côté, de sorte que son observation a porté tout à fait à faux.

« Au reste, les principales attaques de la trinité irritée, Rogier, Lebeau et Devaux, ont porté contre le ministère, et sans faire de longs discours, Nothomb leur a répondu avec beaucoup d'avantage. Et, en effet, les antécédens de ces hommes rendent leur position essentiellement fausse, et les paroles mêmes qui étaient prononcées au nom du cabinet à la session précédente sont une (page 278) réfutation des paroles d'aujourd'hui de ces ministres tombés.

« Mais c'est que ces paroles-là n'étaient pas sincères, au moins de la part de ceux qui font aujourd'hui une si violente opposition. Sur ce point, Indépendamment des inductions à tirer de leur conduite depuis leur chute, voici des faits.

« Je tiens de l'un de notre nouveau collègue M. Malou. Lorsque M. de Langhe eut annoncé en quelque sorte officiellement à la Chambre son intention de se retirer de la vie parlementaire, M. Malou, qui avait dessein de se mettre sur les rangs, et qui est fonctionnaire supérieur au département de la justice, crut devoir consulter son chef, M. Leclercq, se réservant de donner au besoin sa démission, si la réponse était défavorable. Leclercq dit qu'il en devait référer au conseil des ministres, et la réponse du conseil des ministres fut négative. Le prétexte était pris de ce qu'il était agent du gouvernement, immédiatement placé sous les ordres du ministre. Malou eut la franchise de dire qu'il n'était point dupe de ce prétexte, et que Cette exclusion devait sa cause véritable aux opinions qu'il professait, et le ministre ne lui dissimula pas qu'il en était ainsi.

« L'autre fait est plus significatif encore. Il m'a été confié par un député qui le tenait de M. Nothomb. Lorsque l'ancien cabinet demandait la dissolution de la Chambre, Lebeau a écrit au Roi que si les élections se faisaient sous l'influence de ce cabinet, il osait garantir que le parti libéral obtiendrait une immense majorité à la Chambre et que les catholiques y seraient représentés par 25 à 30 voix au plus ; et, ajoutait-il, c'est tout ce à quoi ils puissent avoir droit. Nothomb a, dit-on, cette pièce entre les mains. Son discours dans la séance de jeudi, discours où il parla du déplacement de la majorité, si la dissolution avait eu lieu, Où il parle de l'arrivée d'un parti en majorité (page 279) compacte, et cela, à l'aide de l'administration forcément engagée, fait allusion à ce document. Si on avait nié, je crois qu'il eût produit la pièce.

« D'après cela, vous voyez ce que nous avions à attendre de l'ancien cabinet. Au reste, je n'avais pas besoin de ces preuves-là. » (5 décembre 1841).

L'opposition des radicaux va jusqu'à faire adopter par ces derniers une attitude diamétralement opposée celle qu'ils défendaient quelques années auparavant, dès l'instant où il s'agit de faire pièce au cabinet. François du Bus est particulièrement bien placé pour déceler cette palinodie, au sujet du projet tendant à autoriser le Roi, dans ces cas exceptionnels, à nommer le bourgmestre hors du conseil - cela à la suite d'abus constatés dans le chef de bourgmestres incapables d'un minimum d'indépendance vis-à-vis de leurs électeurs :

« Les ex-doctrinaires sont maintenant complètement transformés en hommes de l'extrême-gauche et renient, quoiqu'ils en disent, leurs antécédents. En 1834-36, je soutenais qu'il ne fallait pas enlever au peuple une partie des libertés que le gouvernement provisoire lui avait accordées en 1830, avant d'avoir constaté qu'il en avait abusé ; j'avais pour chauds adversaires Devaux et ses amis. (voir page 173). Aujourd'hui Devaux embrasse précisément le même système que je soutenais en 1834-36 et ne veut pas retrancher rien que ce soit de libertés communales accordées par la loi de 1836, parce que l'on n'a pas constaté suffisamment qu’il y a des abus. Comme il est manifeste pour toute la Chambre que c'est là une manœuvre purement politique dirigée contre le ministère, et ainsi dans un intérêt de parti, cela fait quelque impression sur plusieurs députés. » (2 juin 1842).

Nouvelle indignation h l'occasion de la réélection de Dechamps (20 juillet 1842) :

(page 280) Voilà donc Dechamps réélu par 475 voix contre 458, à 17 voix seulement de majorité. J 'apprends de de Reine qu'on a commencé l'appel nominal seulement à midi et demi ; entre-temps on travaillait en ville les électeurs des campagnes : et un trait qui met en évidence l'impudente infamie des libérâtres, c'est que malgré la rétractation de l'Observateur, ils exploitaient encore publiquement sur la place d'Ath, la calomnie du placard dont je vous ai parlé, et que des hommes la parcouraient portant au haut de perches des affiches qui a signalaient toujours Dechamps comme condamné à la prison !!! »


La discussion de la loi sur l'enseignement primaire s'amorce et se développe heureusement dans une atmosphère plus calme, qui permet au ministère Nothomb de mettre un beau fleuron à sa couronne.

Mais une autre question ne va pas tarder à soulever les passions : celle des fraudes électorales, qui se terminera par la loi du 1er avril 1843.

Rien de tel, pour donner le climat que de laisser parler les lettres d'il y a un siècle...

« Il faut lire dans le Moniteur le discours que Dumortier a prononcé avant-hier ; il a stigmatisé les libéraux-puritains, qui ont largement profité des manœuvres frauduleuses employées pour favoriser les élections, et qui crient aujourd'hui contre la fraude, en voulant ainsi avoir les avantages du vice et les honneurs de la vertu. Ce mot a fait fortune, et il est remarquable que Savart a pris la parole pour un fait personnel. Aujourd'hui le Courrier belge revient sur le mot de Dumortier et parle à cette occasion d'un représentant qui se plaint de la fabrication de faux électeurs, et qui a fait de ses quatre fils quatre électeurs en partageant entre eux une partie de ses contributions. Or ceux à qui je demande qui ce journal a voulu (page 281) désigner, me répondent : c'est Savart, n'est-ce pas ? » (19 décembre 1842).

C'est décidemment le problème du moment, car François du Bus va récidiver :

« On vient de me dire confidentiellement que, dans les derniers jours de décembre, dans la diligence du chemin de fer, allant de Gand u Courtray, une conversation entre trois personnes sur les élections futures d'Ath et de Tournay a été entendue ; il y avait parmi eux deux hommes d'âge, mais assez véhéments dans leurs expressions. Ils étaient complètement du parti libéral, parlaient des campagnes comme étant exploitées par eux sans relâche et se flattaient d'avoir dorénavant beaucoup de paysans avec eux ; un moyen sur lequel ils fondent une grande confiance, c'est celui de reconnaître comment ceux sur qui ils ont compté ont voté, etc. Ils parlaient aussi d un voyage de Verhaegen à Gand et d'un autre qu'il devait faire à Liége, et pour recommander de fabriquer le plus de faux électeurs possible. » (12 janvier 1843.)

Le 7 février 1843, nouvelle indignation parce qu'un député libéral, pour devenir électeur, a fait une déclaration de patente d'agent d 'affaires, alors qu'il est procureur du Roi.

Tout cela aboutit un projet de loi qui est discuté en février. « Nous sommes toujours sur la loi de répression de la fraude. La recherche à l'intérieur, le droit de visiter tous les domiciles, le double rayon qui aurait englobé Tournay, mesures extrêmes proposées par divers membres, ont été rejetées à une forte majorité à l'appel nominal d’aujourd'hui. » (10 février).

Mais le 28 février, Edmond du Bus met son frère en garde : à Tournay ses adversaires se démènent énergiquement contre lui et préparent une campagne violente ; l'association libérale dresse ses batteries et (page 282) envisage de faire porter également l'attaque de Bruxelles.

François du Bus se concerte avec Dumortier. Il écrit à Edmond :

« L'opinion libérale a des organes actifs qui ne cessent jamais, et qui propagent, sans se rebuter, calomnies sur calomnies sur l'opinion catholique ; on a l'habitude de dormir sur l’oreiller de la confiance, s'imaginant que ces calomnies, souvent absurdes, n'auront pas de succès ; mais c'est la goutte d'eau qui finit par creuser la pierre. A force de calomnier toujours et de faire pénétrer la calomnie partout, on est parvenu à produire un effet sensible sur l'opinion d'un nombre assez considérable de personnes. Il ne faut pas mépriser ces calomnies. Or il faut bien reconnaître que nous, catholiques, faisons peu de chose en Belgique et même rien du tout à Tournay dans ce sens. Songe-t-on à apporter quelque remède à un pareil état de choses ?

« Barthélémy pense encore que nous devrions (lui et moi, p. ex.) parler au peuple, comme il voit qu'on le fait en Angleterre, par des adresses, des lettres signées et imprimées dans les journaux. Nous sommes, dit-il, très forts, si nous le voulons. Ceci est une idée à lui. »

Pareille publicité était dans la manière de Dumortier, elle n'entrait guère dans les cordes de François du Bus ; et pendant qu'il dormait « sur l'oreiller de la confiance », en face on continuait à s'organiser.

Son frère lui mande le 29 mars 1843 :

« Il y a eu ici vendredi dernier une réunion de l'association libérale pour le choix des candidats. La séance a été assez curieuse. Savart était suspect d'incivisme pour avoir dîné deux fois chez Dubost avec Dumortier et avoir causé aux ministres ; des demandes d'explication lui avaient donc été faites par le comité et on a lu sa réponse : vu ses (page 283) protestations et ses génuflexions, il a été admis comme candidat avec Le Hon, Ad. du Chastel et Castiau. Le Hon, qui était présent, a péroré pendant trois quarts d/heure. On y a décidé que dorénavant l'association ne voterait plus jamais que pour ceux qui en font partie. Cela met dans l'embarras Dumon-Dumortier qui ne voulait pas signer et se contentait de tirer la ficelle. Force lui sera bien de signer et dès lors de se dessiner encore plus complètement si possible.

« Jules de Rasse en compagnie de Delehaye qui a donné sa démission à l'association, d'Heugebaert et de quelques autres sont en travail pour organiser un tiers-parti dont l'Echo serait l’organe. C'est une vieille idée du baron Lefèbvre. Cette mesure peut être momentanément utile en ce qu'elle jettera la zizanie chez les libéraux, mais pour l'avenir elle est dangereuse, car le vernis de modération de ce tiers-parti lui attirera du monde »

Certes, la réunion de l'association libérale de Tournai eut être curieuse, et dénoter la souplesse d'échine de mandataires publics venant faire amende honorable devant les petits potentats d'un comité électoral.

Mais hélas, que voyait-on d'autre part ? Quelle initiative était prise avec quelque vigueur du côté catholique ? Où était la presse ? Où étalent les propagandistes ? Qu'avait-on fait pour riposter la calomnie ?

Partout dans le pays, depuis des mois, le libéralisme est dynamique, agressif, violent ; il a rallié les orangistes et les radicaux ; la maçonnerie l'épaule ; sa presse se dépense sans compter et revendique pour son parti le quasi-monopole de l'intelligence. La contre-action catholique est nulle ou notoirement insuffisante devant pareille poussée.

Et voici, au mois de juin, le renouvellement d'une moitié de la Chambre !

A Liége, le président de la Chambre, Raikem, (page 284) et le vice-président, libéral modéré, de Behr, restent sur le carreau.

A Tournai, « un des membres les plus considérés de la Chambre » (Balau, Histoire contemporaine de Belgique, p. 113), un « membre éminent du parti ministériel » (L. Hymans Histoire du règne de Léopold Ier, p. 211), « l’une des lumières du parlement » (Thonissen, La Belgique sous le règne de Léopold Ier, IV, p. 126) échoue tout comme eux : c'est François du Bus.


La première lettre qu'il reçoit au lendemain de son échec est de de Theux :

« J'apprends à l'instant que vous avez succombé à une bien faible majorité. Mais c'est plutôt l'arrondissement de Tournai qui s'est déshonoré par son ingratitude et par un sot aveuglement.

« Un autre arrondissement aura l'honneur de vous réélire ; j'ai reçu déjà une lettre de M. de Ram à ce sujet ; j'espère que vous et M. Raikem vous ne refuserez pas une éclatante réparation et de nouveaux services au pays. Q

« Que dire d'un parti qui écarte de la Chambre ce qu'il y a d'hommes les plus distingués par la vertu et le talent, et qui élit des hommes auxquels manque cette double considération. Ce n'est pas un triomphe, mais un suicide. Heureusement nous n'avons pas suivi le misérable conseil de n'attaquer nulle part les candidats libéraux et de nous borner à défendre les nôtres.

« Si vous et Raikem acceptez une nouvelle candidature, nous serons plus forts qu'auparavant. J'espère, mon cher ami, de vous voir et de vous entendre à la Chambre ; cela dépend de vous, votre patriotisme vous décidera »


Depuis 1839, François du Bus envisageait(page 285) d'abandonner la vie publique, mais autrement que sur un échec. Tl n'était pas homme à faire d'une défaite l'instrument de ses intentions.

De toutes parts, après de Theux, ses collègues le pressèrent de relever le gant.

Il finit par accepter lorsque le siège de Turnhout devint vacant par suite du décès de Peeters.

Dans cette élection isolée, il lutta contre l'ancien député Cools, qui avait représenté le district de Saint-Nicolas. Le 17 avril 1844, il fut élu par 486 suffrages sur 620 votants.

Une personnalité namuroise lui écrit aussitôt :

« C'est plutôt mon pays que vous, que je viens féliciter aujourd'hui, sur votre rentrée à la Chambre ou votre place a toujours été marquée parmi les hommes sages, éminemment capables et dévoués au bien-être de la patrie. Votre élimination et l'ingratitude des électeurs de Tournay m'avaient indigné ; leur injustice était bien faite pour dégoûter tous les vrais amis de la Belgique et faire douter de son avenir. Gloire à ceux qui l'ont réparée ! »

François du Bus répond. Va-t-il se plaindre des électeurs de Tournai ?

« Quoique je n'aie jamais suivi dans mes votes que les inspirations de ma conscience, et que je croie avoir défendu suivant mes moyens les intérêts généraux du pays et ceux de l'arrondissement de Tournai dont je tenais mon mandat, j'aurais mauvaise grâce de me plaindre des électeurs de cet arrondissement, qui étaient parfaitement dans leur droit en me repoussant, du moment où mes opinions, qui n'ont pas changé, ne leur convenaient plus. C’est là un événement ordinaire dans la vie constitutionnelle.

« D'autres électeurs me rappellent dans la carrière politique ; sans admettre qu’il y ait quelque injustice à réparer à mon égard, je comprends (page 286) qu'ils approuvent la ligne de conduite que, d'après mes convictions, je m'étais prescrite, et je m'efforcerai de suffire ce nouveau mandat. » (6 mai 1844).

Ce ne sont point là pensée ni langage de « politicien. »


Lorsque après dix mois de vacances parlementaires forcées, François du Bus rentra au Palais de la Nation, il retrouva le ministère Nothomb tel qu'il avait été remanié peu avant les élections de 1843, à la suite de successives démissions provoquées par des motifs personnels. A part Nothomb, chef du gouvernement et ministre de l'intérieur, et de Muelenaere, ministre sans portefeuille, c'était en fait une équipe toute différente, quant aux personnes, de celle d'avril 1841.

Mais les principes de l'union étaient restés à la base de la combinaison. L'opposition, de son côté, n'avait pas désarmé. C'était l’époque où la loge et le libéralisme faisaient hommage d'une plume d'or et d'une médaille à Eugène Sue...

« M. de la Coste a expliqué à M. de Theux qu'il avait voté pour l'article premier du projet de loi sur la promulgation et la sanction des lois, parce qu'il est ami de d'Anethan qui a de bons procédés pour lui, il a raconté à ce sujet que, peu après, étant allé à la Cour, il a été l’objet des prévenances de Van Praet et d'un accueil extraordinairement bienveillant par le Roi ; il a attribué cette distinction au vote qu'il venait d'émettre et en a conclu que Van Praet et le Roi désiraient vivement la conservation du ministère. Il y a plus d'une réflexion à faire sur ce récit. » (22 janvier 1845.)

Janvier 1845, c'est le moment de la grande (page 287) offensive préparée par l'opposition contre Nothomb, à l'occasion de la discussion de son budget.

L'opposition, par l'organe du député Osy, le 24 janvier, propose une adresse au Roi, engageant S. M. « à prendre en considération une position qui ne pouvait se prolonger, sans compromettre la dignité du pouvoir. » Cette opposition reprenait pour son compte une initiative qu'elle avait si violemment blâmée lorsque le Sénat en avait eu l'audace, quatre ans auparavant, sous le ministère Lebeau...

C'est de nouveau la bataille.

« de Theux, à qui je viens de parler, ne doute pas du succès du cabinet ; un grand nombre de membres de la droite, fort mal disposés, se trouvent depuis quelques jours subitement convertis. La réaction s 'est opérée du pays sur la Chambre ; il paraît que le discours d’évêque de Nothomb à l'assemblée des inspecteurs ecclésiastiques, et les dispositions favorables au culte que d’Anethan a montrées lors de la discussion de son budget, ont produit leur effet. Lorsque de Man d'Attenrode, qui était un des plus chauds opposants, a été voir le recteur à Louvain, le vicarie-général Corten à Malines et d'autres, il n'y avait qu'un refrain : surtout gardez-vous de renverser le ministère !

« Toute notre crainte, maintenant, c'est que des orateurs de notre côté ne défendent le ministère avec trop de chaleur, avec un dévouement trop absolu ! C'est ce que vient de faire aujourd'hui Cogels.

« Dumortier parle maintenant et attaque le ministère avec vivacité. Je suis peu satisfait de son discours, qui se ressent de la situation de Tournay sous le rapport électoral. Il y a fait l'apologie de l'irritation de Lebeau contre Nothomb, à cause que Nothomb avait consenti à lui succéder en 1841 !

« Il a présenté la majorité catholique comme ayant (page 288) été d'abord tout à fait dévouée à Nothomb, jusqu'au point de voter par complaisance des lois «le pays repoussait ; et il l'a présenté ainsi, uniquement pour faire ressortir l’ingratitude de « Nothomb, qui a fait demi-tour à gauche en 1843.

« En ce moment, il fait les révélations les plus imprudentes sur ce qui s'est passé dans les réunions particulières de membres de notre côté, lorsqu'on discutait la loi sur le mode de nomination des membres du jury d'examen. J'ai remarqué que de Theux prenait des notes pour lui répondre...

« Nothomb a répondu avec beaucoup de succès au discours de Dumortier ; il lui a contesté le droit de parler au nom de la majorité et a été appuyé sur nos bancs.

« Dechamps répond maintenant. » (28 janvier 1845).

Du 31 janvier 1845.

« La discussion dure toujours. de Theux a prononcé hier un discours dont vous serez content ; tout en annonçant qu'il voterait contre l'adresse, il a dit au ministère de bonnes vérités et a parlé de notre confiance comme étant encore à naître, à mériter. Ce discours, et ceux de Malou et de de la Coste facilitent le vote.

« Comme il y avait lieu de le craindre, nos adversaires ont tiré parti des imprudences, pour ne pas dire plus, du discours de Dumortier ; il y a eu des déclarations dans ce sens que la majorité n'avouait pas ce discours, et que nos bancs ont vivement appuyées. Cette manifestation a blessé Dumortier et j'apprends qu'à ce sujet, hier soir au café, il a fait une scène assez violente, reprochant à nos collègues les services par lui rendus à notre opinion et annonçant qu'il ne la défendrait plus. Je vous conte cela comme on me l'a confié. On ajoutait que Delehaye, qui était près de lui, lui disait : « Abandonnez-les ! Venez de notre côté ! » Il me semble que cette invitation lui aura été fort (page 289) désagréable aussi.

« Quant moi, il ne m'a as dit un mot de son discours, ni de l'effet qu'il a produit. »

L'adresse est rejetée par 65 voix contre 22.

Après un chaud engagement, la partie n'est que remise.

Les élections de 1843 avaient vu Tournai, Liége et Gand favoriser les candidats de l'opposition.

Celles de 1845 voient le même phénomène se manifester à Bruxelles et à Anvers.

Après quatre ans de lutte, Nothomb et ses collègues démissionnent, en juin 1845.

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