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Au temps de l'unionisme
DE BUS DE WARNAFFE Charles - 1944

Charles DU BUS DE WARNAFFE, Au temps de l’unionisme

(Paru en 1944 à Tournai et Paris, chez Casterman)

Chapitre IV. Un membre du Congrès national

(page 83) Edmond du Bus connaissait mieux que personne et admirait l'érudition et la prodigieuse capacité de travail de son frère ; il était au courant de son assiduité exemplaire à toutes les séances des commissions et des sections ; il était le confident épistolaire et verbal de l'activité qu'il y déployait et du rôle qu'il y jouait, mais sa fierté fraternelle souffrait de ce que l'action de son aîné n'apparût pas davantage aux yeux du public.

Si bien qu'il s'avisa un jour de l'avertir charitablement : « Il n'y a pas de milieu : il faut ou parler ou passer pour ne rien faire au Congrès » (23 janvier 1831).

Autrement dit : Parlez!

« Une grosse centaine de membres du Congrès (sur 200) se sont pour ainsi dire abstenus de jamais prendre la parole. Il n'y eut pas cinquante députés pour intervenir fréquemment dans les débats, et au cours de ceux-ci ce sont les noms d'une trentaine d'entre eux qui reviennent, toujours les mêmes. » (Comte de Lochtervelde, Le Congrès national, par le vicomte du Bus de Warnaffe et Carl Beyaert, Préface, p. 4.)

François du Bus prit rang parmi la grosse (page 84) centaine de taiseux, et l'exhortation de son frère ne l'amena pas à sortir de son mutisme : il se souciait peu de faire figure pour la galerie.

Il se souvenait d'une autre lettre que dix ans auparavant son père lui avait adressée de La Haye, avec des conseils différents :

« Ne point courir après la célébrité dans les journaux par des motions et des discours d'éclat et sans fruit, mais se contenter de remplir son devoir et de rendre service à l'Etat par des travaux plus obscurs, mais réellement productifs. »

Cette voie lus obscure, très souvent plus féconde, François du Bus ne la choisit pas ; il ne courut pas au-devant des tâches occultes mais utiles : on vint le chercher pour les remplir, et dès le premier jour. La poudre s'était à peine tue dans les frondaisons du parc de Bruxelles, que le gouvernement provisoire jeta sur lui son dévolu pour en faire un des douze membres de la commission de Constitution. Quelques semaines plus tard, au Congrès, ses pairs le désignèrent comme membre de la section centrale chargée de faire rapport sur le projet de Constitution. Il était pris dans l’engrenage : qu’il s'agisse de commissions ayant pour objet l'organisation judiciaire, la création de la cour des comptes, la rédaction d'un manifeste, il en était. - « Encore une commission ! » se plaignit-il un jour, tout en acceptant chaque fois le fardeau supplémentaire qu'on lui imposait d'autant plus volontiers qu'il le portait allégrement.

C'est qu'en section et en commission, - en commission surtout, - François du Bus se trouvait dans son élément.

Il était de ces parlementaires trop rares qui, parlant pour dire quelque chose, prétendent être écoutés.

On sent chez lui un sentiment confinant parfois au mépris pour les séances publiques, à cause des vains discours qu'on y doit « subir », selon son expression. Il a en horreur le député qui a préparé (page 85) un laïus et qui, inscrit vingtième dans une discussion au cours de laquelle tout a été exposé, ne se résigne pas à rentrer son papier, et répète pour la vingtième fois ce que dix-neuf autres ont développé aussi bien sinon mieux que lui. Il déteste ceux qui ont « besoin de parler et de faire parler d'eux. » Surtout ces derniers.

Lui-même à la Chambre, de 1832 à 1848, se révélera un des maîtres de la tribune ; mais il ne l'abordera jamais qu'à l'occasion des problèmes, pour y apporter l'appoint d une parole d'autant plus influente qu'elle était plus rare.

Une assemblée délibérante compte diverses variétés d' « orateurs », en incluant sous ce vocable les péroreurs à qui l'on a la courtoisie de l'appliquer par euphémisme.

Voici d'abord celui qui donne son avis sur tout ; il parle ordinairement en ignorance de cause « de omni re scibili », avec d'autant plus d'aplomb que son incompétence est connue de tous, sauf de lui. C'est le type qui fait le vide en montant aux rostres, mais s'en moque pourvu que les journaux - en 1830, on disait les « feuilles », - citent son nom. Il veille d'ailleurs avec soin à ce qu'il y soit mentionné.

Voici l'opposant perpétuel, qui rejetterait le budget de son département s'il était ministre. Partagé entre le désir de le devenir et le besoin congénital d'être « contre », il choisit l'occasion - ou la crée - pour se lancer dans de violentes diatribes, ponctuées d'apostrophes vindicatives et de menaces terrifiantes, dans le solennel fracas des foudres de Jupiter. C'est l'élément pittoresque d'un Parlement.

Voici le chef de groupe. Il vit un peu dans l'Olympe, d'où il daigne s'évader dans les grandes circonstances, à l'orée d'un débat pour en marquer l'orientation, à la fin pour en dégager la conclusion, ou au moment critique où doit donner la Garde. Il a habituellement assez de bouteille pour savoir (page 86) le discrédit qui s'attache aux interventions intempestives ou aux manifestations matamoresques. Il lui importe d'être écouté.

Voici le spécialiste. Il a la sagesse de comprendre que l'investiture populaire ne fait pas de l'élu un Pic de la Mirandole. Sa profession, ses études, ses préoccupations, ses ambitions le dirigent vers quelques problèmes qu'il s'efforce d'approfondir et dans lesquels son opinion n'est pas sans prix. Il se confine dans quelques secteurs bren choisis ; lorsque l'assemblée les aborde, son discours est attendu, fût-ce sous forme d'une réédition démarquée.

Voici l'honnête homme. La chose publique l'intéresse ; il a une conception saine de l'Etat et le souci de son bon fonctionnement. Sa spécialité - si l’on ose dire - est le domaine des Idées générales ; on ne s'y écrase pas. Il laisse parler, mais il écoute, souvent avec impatience. Si tout est dit, il se tait ; si une erreur n est pas relevée, il la redresse. Il intervient quand il l’estime utile : pas souvent. Il rejoint la catégorie des taiseux.

Les taiseux le sont avec des mérites variables.

Tel n'ouvre pas la bouche et ne l'ouvrira jamais, parce qu'il est incapable de proférer deux paroles en public ; mais son cerveau est parfois remarquablement équilibré, et dans ses profondeurs trône une sagesse qui s'exprime dans les votes.

Tel autre est muet parce qu'il n'ose pas inaugurer un débat, et a assez de bon sens pour constater bientôt qu'il serait superflu d'exprimer une opinion qu'un autre vient de formuler pour lui.

Tel se tait par réaction contre le débordement de discours ; il les estime trop dévalués par leur nombre, pour se donner la peine d'en ajouter un à la liste.

Tel enfin se confine dans le silence, qui ne dit rien mais n'en pense moins, estime les jeux faits et ne se forge pas d'illusions sur les chances de les (page 87) modifier. Les plus méchants disent qu'il ne faut pas jeter de perles aux pourceaux.

Toute cette gamme d'orateurs et de taiseux se retrouva au Congrès, sauf qu'à défaut de partis, il n'y avait point de chefs de groupe, et que l’opposition trouvait en face d'elle une imposante majorité profondément nationale recevant ses mots d'ordre non d'un homme, mais de leur amour pour la patrie.

Devant un Robaulx excessif, François du Bus se tait ; mais ses lettres en disent long sur les sentiments qu'il nourrit à l'endroit de ce collègue qu'il cite souvent en le nommant par ironie : l' « honorable » M. de Robaulx.

Plus tard, avec autant de conviction que Gendebien, François du Bus votera contre le traité des XXIV articles ; toutefois il estimera inutile de faire du théâtre et de hurler « trois-cent quatre-vingt trois mille fois non. » Il abhorre l'emphase et se cantonne dans un silence d'autant plus obstiné qu'autour de lui il y a plus de bruit : éloquence suprême, forme cinglante de la réprobation.

Mais à l'encontre des péroreurs qui paraissent pour placer un discours et puis s'en vont, François du Bus assiste à toutes les séances publiques du Congrès et s'astreint à les suivre de la première minute à la dernière. Il digère mal quantité de discours ennuyeux ; il souffre d'attitudes outrancières, mais il écoute tout le monde, ne rejetant aucune lumière, aucune lueur, dans son désir passionné de rechercher, pour les servir, les intérêts du pays, dût-il pour cela se déjuger. C'est ainsi que, résolu à ne point voter pour le Prince de Saxe-Cobourg si ce dernier ne jurait pas de maintenir l'intégrité du territoire (29 mai 1831), il se rend aux raisons de Lebeau dans son fameux discours du 5 juillet, et vote sans réserve le traité des XVIII articles.

Après l'illusion du premier jour, il se rend compte que l'œuvre du Congrès ne se réalisera pas « de soi-même. »Il discernera bientôt les suspects du dehors et les indésirables du dedans, tenaces et (page 88) habiles les uns et les autres dans la poursuite de desseins dont la réalisation serait la ruine de l'indépendance, fraîchement attachée à une nation qui est à peine un Etat.

Cette indépendance, c'est ce qu'il veut sauver à tout prix. Avec la majorité de ses collègues, il travaille à la mettre loin de mains prêtes à l'étouffer ; ces mains sont peu nombreuses mais obstinées, et jusqu'à l'élection du Prince Léopold l'instabilité même de la situation leur donne une chance, qu'une erreur des patriotes peut favoriser.

Tuteurs Improvisés de l'indépendance nationale, sans expérience ni traditions politiques propres sinon une habitude d'indiscipline et une tringale de particularisme, les membres du Congrès se voient inopinément astreints à une tâche que d'un coup ils doivent réussir, ou risquer de galvauder sans retour. Sur leur flanc ou sur leur tête, la pression ou la menace des Puissances équivalent par moment à une intervention directe que « l'honneur national » ne peut tolérer, mais que la prudence conseille d'admettre ; et il faut choisir, sans possibilité de biaiser ou de compromettre. Ah non! « la position des membres du Congrès est difficile, et leur responsabilité devient immense. »

Depuis qu'est parvenu le protocole du 20 janvier 1831 relatif aux limites, et celui du 27 concernant le partage des dettes, l'ombre de la guerre plane sur les esprits. Comme toujours, les bellicistes font grand tapage et camouflent des arrière-pensées idéologiques ; les patriotes veulent la paix mais dans la dignité, croient les hostilités inévitables, craignent l'impréparation et tremblent pour l'avenir. N'est-ce pas pour avoir négligé militairement d'y songer un peu plus tôt ?

Si au moins le jeune gouvernement avait eu une vieille diplomatie ! Sur ce point il a réalisé une gageure en se fondant aveuglément sur cet antique principe qui veut voir la fortune sourire aux (page 89) audacieux. Le comité diplomatique était une maison de verre ; des membres de l'assemblée connaissaient la teneur de communications étrangères avant ceux du cabinet ; le traité des XVIII articles était à peine déplié devant le gouvernement qu'il était lu aux membres du Congrès. Le premier miracle eût été qu'il n'en résultât nul incident ; il y en eut. Le second miracle serait qu'en fin de compte il n'en procédât rien d'irrémédiable ; ce miracle-là se produisit. Le Congrès n'y eut d'autre mérite que de croire à l'infaillibilité de l'antique principe rappelé plus haut. J.-B. Nothomb, pour bonne part, fit le reste auprès de la Conférence de Londres, tandis que Lebeau gagnait ses parties dans l'hémicycle. Ni l’un ni l'autre n'étaient responsable de ce que la Russie fût coincée par les affaires de Pologne au moment où nous réglions les nôtres ; cela non plus ne nous desservit pas.

Au total, comme l'écrivait François du Bus, la donné des Providence ne nous avait-Elle pas donné des preuves manifestes d'une protection toute particulière ?


François du Bus croyait en la Providence ; il avait foi aussi dans son pays, et rien n'est émouvant comme de sentir palpiter dans ses lettres l'amour qu'il témoigne pour « notre chère Belgique. »

Pour lui la révolution fut une immense promesse échue à son peuple, mais qu'il fallait entourer de soins délicats pour qu'elle donnât tous les fruits qu'on en pouvait espérer. Plus que d'autres, il comprit et vécut l'équilibre fragile des premières semaines de notre indépendance, le danger d'un faux pas, le péril d'une maladresse. Caractère entier, passionné à froid, plus d'une fois il dut soumettre les élans de son cœur à la rigueur de son cerveau, et sacrifier le « geste » à la raison d'Etat.

On l'a vu à propos du traité des XVIII articles, (page 90) qui laissait ouvert le problème du Luxembourg, mais qui néanmoins ne satisfaisait pas le besoin de certitude qui le tourmentait dans cette question. Ce qui devait le dépasser, c'était le traité des XXIV articles. C'est anticiper un peu sur la chronologie, mais c'est rester dans le cadre des grandes heures du Congrès, que d'en parler ici. La figure de François du Bus s'en dessinera d'autant mieux.

C'est le 19 octobre qu'il manifeste ses premières appréhensions à la nouvelle qu'un nouveau document diplomatique va être soumis aux délibérations de la Chambre.

« J'ai parlé au général Goblet, qui avait accosté Dumortier, tout exprès pour lui dire quelques mots de nos affaires. Il est très vrai que Van de Weyer est arrivé avec un projet de traité, arrêté par la Conférence samedi, et qu'elle veut nousimposer. Et la France, nous a-t-il dit, ne nous défendra pas ; elle se met à nos genoux pour que nous acceptions. La France, a-t-il ajouté, ne nous a que bien faiblement soutenus dans la conférence, ou plutôt ne nous a point soutenus du tout et c'est l'Angleterre seule qui nous a donné quelque appui.

« M. Goblet a parlé, entre autres, à Wellington qui est (nous a-t-il dit) tout à fait revenu de ses préventions contre l'existence indépendante de la Belgique et qui, tout en confessant son antipathie pour Lord Grey, a ajouté qu'il s'accordait cependant en ce point avec son ennemi politique, parce qu’il y voyait l'intérêt de l'Angleterre. que, si nous refusons, nous perdrons assurément notre indépendance ; et il nous a paru qu'il n'avait accosté Dumortier que pour lui faire partager la conviction que nous devions accepter. Nous avons rencontré au café Nothomb ; il nous a paru qu'il était aussi pour l’acceptation. »

Le surlendemain, François du Bus revient sur le même thème :

(page 91) Je vous dirai qu'il paraît que le Roi, de l'avis unanime de son conseil, va proposer l'acceptation et que de Brouckère, qui était d'abord la guerre, est revenu de son opinion. Sur la demande s'il proposera l'acceptation pure et simple, M. de Muelenaere a cependant répondu à un membre : l'on nous renvoie la balle. peut-être que beaucoup regardent notre situation comme désespérée en cas de refus. Elle est bien honteuse en cas d'acceptation ! »

Les XXIV articles le hantent les jours suivants ; il interroge, il consulte :

« Dumortier, qui se frappe vivement et qui ne connaît pas le doute, est pour le rejet. Quant à moi, a je me trouve dans une cruelle irrésolution. Raikem, qui ne manque pas d'énergie et que nous voyons souvent, nous dit que la seule question est celle de savoir si l'on peut refuser, et il est convaincu qu'il y a nécessité absolue d'accepter. » (27 octobre 1831)

Poussant plus loin son enquête, François du Bus demande à son frère quelle est l'opinion sur le traité, à Tournai. Edmond lui répond :

« On regarde les 24 articles comme onéreux à payer et comme honteux, mais on croit généralement, qu’il y a nécessité par force majeure d'accepter, que l’on n'a pas la faculté de dire non. Qu'il n'y a que les exaltés et les orangistes qui pensent autrement ; que dans les cafés on entend parler beaucoup plus pour l'acceptation que contre. »

Voici donc François du Bus cruellement déchiré. Des hommes qu'il estime et dont le patriotisme est, pour lui. hors question, Goblet, Nothomb, Raikem ; la voix populaire elle-même poussent à l’acceptation.

Son frère a deviné le cas de conscience de son aîné. Et voici qu'il lui suggère une solution (28 octobre) :

(page 92) « Si vous pouviez vous abstenir, ce serait, me semble-t-il, le meilleur parti à prendre ; tout dépend de savoir si les menaces des puissances seraient effectuées en cas de refus. Si elles doivent l'être certes il vaut encore mieux les 24 articles qu'une restauration ou un partage ; si elles ne doivent pas l'être, il faut refuser ; dans ce dernier cas on serait désolé d'avoir consenti à la honte du pays et dans le premier cas on serait fâché des calamités que l'on a attirées par un refus. Mais après tout puisqu'il s'agit de conditions ruineuses et honteuses pour nous, et que certainement nous rejetterions si nous étions assez forts pour avoir une volonté, je ne vois pas, si on nous impose ces conditions «ar force, que nous devrions avoir l'air de les accepter de bonne grâce et de notre libre volonté, et c’est le cas de dire : vous employez la contrainte, je n'ai pas le choix de vouloir ou de ne pas vouloir, d'accepter ou de refuser. Je me tais donc ; vous voulez faire tout à votre tête et ruiner ainsi mon pays ; que ce soit au moins sans ma participation. »

Conseil insidieux, raisonnement captieux, alibi tentant..

Réponse de François du Bus :

« 1er novembre 1831.

« La Chambre des représentans vient d'adopter cet après-midi le projet de loi qui autorise le Roi à conclure et signer le traité, sauf les réserves qu'il jugera utiles dans l'intérêt du pays. Lors de l’appel nominal, 59 ont répondu oui, 38 non et deux se sont abstenus. »

Est-il un des deux-là ?

« J'ai donné un vote négatif. Il y avait, selon moi, une sorte de lâcheté à s'abstenir. »

Fière leçon, mais après quel drame intérieur.


(page 93) Préoccupé, parfois jusqu'au tourment, des problèmes qui mettent en jeu le statut international du pays, François du Bus est un de ces hommes pour qui il n'y a pas de petites questions, parce qu'il estime que toutes s'intègrent dans un ensemble et que l'harmonie du tout est faite de l'équilibre des parties. On voit ce souci se manifester chez lui dans tout ce qui touche l'organisation politique interne de la nation.

« Vous aurez vu qu'il y a une proposition pour écarter la plus grande partie de la besogne que l'on nous a taillée. Il me semble que cette proposition va trop loin. J'incline même à croire que si nous voulons que l'organisation provinciale et communale, ce complément si important de nos institutions constitutionnelles, ait lieu dans l'esprit qui a présidé à la Constitution, nous devons la régler nous-mêmes. » (22 mai 1831)

Il est monarchiste, mais partisan d'une monarchie constitutionnelle. Il est bicaméraliste, mais veut un sénat très différencié de la chambre, au point d'envisager des sénateurs élus à vie ou héréditaires.

Sous ce double aspect, on pourrait le considérer plutôt comme « conservateur » ; mais, d'autre part, il propose et fait admettre l'abaissement du cens dans les campagnes.

On découvre en lui le type du politique qui connaît l'histoire, admirablement documenté sur les anciennes institutions de son pays, témoin clairvoyant des avantages et des abus du régime napoléonien et de l’administration hollandaise, imbu des traditions nationales en ce qu'elles ont de meilleur et de moins bon, à l'unisson des aspirations de son époque, conscient de l'importance de son rôle personnel et cherchant à extraire de ce complexe (page 94) d'expérience, de sentiments et de raison la formule nouvelle appropriée aux contingences et suffisamment souple pour pouvoir survivre, en s'adaptant, à leur évolution.

Mais il était et resta toujours en garde contre le pouvoir. En cela, il était de son temps. A cet égard, comme bien d'autres, on retrouve son portrait, étonnamment fidèle, sous les traits de Henri de Beugnet :

« Durant toute son existence antérieure, l'autorité publique lui était apparue en quelque sorte comme l'ennemie ; il avait dû tantôt lutter, tantôt ruser contre elle ; jamais encore il n'avait pu lui accorder cette cordiale confiance qui revient de droit dans une société organisée à l'autorité investie de la charge du bien commun. L'opposition était devenue pour lui une attitude naturelle dont jamais plus il ne se déferait complètement. Vis-à-vis du gouvernement quel qu'il fût, Henri de Beugnet se montrait instinctivement rétif et frondeur. Positivement, il aimait moins ses amis le jour où ils devenaient ministres... » (Comte Louis de Lichtervelde, Génération, p. 73.)

Au Congrès, déjà cette tendance apparaît chez lui. Sa raison lut dicte d'être gouvernemental lorsqu'il écrit :

« Je ne me défie ni de notre gouvernement ni de notre diplomatie, et je crois qu'il faut plus que jamais les entourer de confiance. (12 janvier 1831).

Mais le sentiment incompressible reprend le dessus trois semaines après :

« Lorsque je vois tout notre gouvernement provisoire et tout notre comité diplomatique appuyer cette combinaison (Nemours) non seulement de leurs suffrages mais encore de leur influence ; lorsque je reconnais que leur conviction a, le plus souvent, sa source dans des intérêts personnels... » (2 février 1831).

(page 95) Plus tard, à la Chambre, cette défiance contre le pouvoir central se manifestera plus ouvertement encore. Dans l'éternel conflit entre l'autorité et la liberté, il sera farouchement pour la liberté, ce qui lui vaudra en 1836, de la part de Félix de Mérode, la prophétie d un ami prévoyant lui prédisant qu'un jour il « pleurerait amèrement son opposition tenace aux projets d'un gouvernement, ami de l'ordre. »

Et, en 1837, Léopold Ier écrira de lui à Metternich que c'est « un individu violent et méchant. »

Mais nous empiétons sur la suite de l'histoire...