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« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR LA RÉVOLUTION BELGE »
Deuxième continuation
Par Théodore
Juste
CHAPITRE III - La coalition
et le ministère en France. - Discours du trône - Débats de l'adresse à la
Chambre des pairs. - Discours de M. de Montalembert et réponse de M. Molé. -
Discours de M. Villemain. - Débats de l'adresse à la Chambre des députés. -
Discours de M. Mauguin et de M. Thiers. - Réponses du président du conseil. -
Rôle de l’opposition - Elle n'était pas disposée à braver l'Europe pour
conserver à la Belgique le Limbourg et le Luxembourg.
(page 178) A la veille de
l'ouverture de la session législative de 1839, le Jounal des Débats, qui
soutenait énergiquement le ministère Molé contre la coalition des chefs des
divers partis parlementaires, s'exprimait en ces termes: « Que des politiques
purement spéculatifs tranchent d'un mot les plus grosses questions, ne tiennent
aucun compte des obstacles, des engagements, des traités, de la complication
des intérêts qui sont en jeu dans une affaire comme celle de la Belgique, cela se
conçoit. Les orateurs et les écrivains de l'opposition n'ont pas fait autre
chose depuis huit ans. Mais ce qui nous étonnerait à bon droit, ce serait que
des. hommes qui ont passé par les affaires, de véritables hommes d'État
pratiques, et se glorifiant de l'être, en fussent maintenant à ce point d'abjurer
tous leurs souvenirs et de renier leurs propres œuvres pour exiger du ministère
ce qu'ils n'ont pas voulu, ce qu'ils n'ont pas fait eux-mêmes, et ce qu'ils ont
eu les mêmes raisons (page 179) que lui de ne pas faire ou de ne pas
vouloir. » C'était mettre le public en garde contre les attaques
prochaines de la coalition et justifier d'avance la politique adaptée par le
cabinet du 15 avril 1837.
Cette politique fut
assez ouvertement indiquée par Louis-Philippe dans le discours du trône. Après
avoir annoncé la reprise des conférences à Londres sur les affaires de la Belgique et de la Hollande, il ajouta : «
Je ne doute pas que ces conférences n'aient une issue prochaine et pacifique,
en donnant à l'indépendance de la
Belgique et au repos de l'Europe une nouvelle garantie. »
Dans la discussion de
l'adresse à la Chambre
des pairs, le comte de Montalembert et M. Villemain furent les seuls qui
défendirent les droits de la
Belgique. M. de Montalembert parla avec une grande éloquence
S'inspirant de l'adresse de la
Chambre des représentants, il soutint que le traité du 15
novembre 1831 n'était plus exécutoire et qu'il fallait une nouvelle
transaction: « La
Belgique, dit-il, consent à racheter ses enfants à prix
d'argent; mais elle ne veut les livrer qu'à la force... Je n'attaque pas le
ministère; il est aussi bon qu'un autre, il vaut peut-être mieux que celui qui
le remplacera. J'attaque le système général de notre politique extérieure; je
dis que ce système se résume en un seul mot: reculer. En 1831, notre influence
était sur la Vistule;
nous avons reculé de la
Vistule au Rhin, de l'Adriatique aux Alpes, et maintenant on
veut nous pousser derrière la
Meuse. Si ce dernier pas est fait, (page 180) si le drapeau
orange est relevé sur les frontières de la France, où il a été arraché en 1830, alors, je ne
crains pas de le dire, ce sera le premier signal et la première, victoire d'une
troisième restauration... » Le comte Molé répondit immédiatement: «
L'orateur ne s'est-il pas exprimé comme si la question était entière et comme
si aujourd'hui, nous trouvant au lendemain de la révolution belge, il
s'agissait de statuer sur les conditions d'existence du nouvel État? - Vous
déclarez qu'il n'y a plus de traité ! Est-ce bien la partie qui a provoqué ce
traité et qui l'a sanctionné à tant de reprises diverses, qui a le droit de
tenir ce langage? S'il n'y a plus de traité, dites-nous sur quoi repose votre
indépendance? » Le président du conseil ajouta que, depuis le mois de mars, la France avait constamment
soutenu les intérêts de la
Belgique, mais que, sur la négociation elle-même, il devait
garder une grande réserve. « On a, poursuivit-il, traité un peu légèrement
peut-être les conséquences que cette négociation pourrait éventuellement avoir
si elle n'arrivait à bonne fin. La question hollando-belge est la plus grave
assurément de toutes celles qui peuvent être encore en suspens et que la
révolution de juillet a soulevées; elle porte dans ses flancs pour l'Europe la
paix ou la guerre, pour nous la consolidation de nos alliances ou l'isolement.
»
M. Villemain, sans
provoquer à la guerre, adjurait toutefois le cabinet de ne point faiblir.
« … Vous avez, dit-il, laissé s'engager ce roi, vous avez laissé ce
patriotisme, qui espérait en vous, se manifester avec tant d'ardeur et
d'empire; vous avez laissé cet enthousiasme se former dans toute la Belgique. Eh bien!
n'avez-vous (page 181) pas le droit de pousser jusqu'à la ténacité votre
résistance diplomatique et régulière? Car, enfin, ce traité n'est pas sacré; on
y déroge pour l'argent; pourquoi ne le modifierait-on pas pour le territoire? -
Si vous devez trouver un obstacle invincible, n'avez-vous pas encore la
puissance de la ténacité qui refuse, de la ténacité qui ajourne, qui raisonne,
qui expose de quelle conflagration l'Europe pourrait être menacée? Et quand le
roi de Hollande a eu sept ans pour se raviser, pour se déterminer, pourquoi la Belgique n’aurait-elle
que quelques jours ? »
Les conseils de M.
Villemain, de même que les pathétiques revendications de M.de Montalembert,
devaient demeurer. stériles.
A la Chambre des députés, les
débats furent plus vifs sans être plus décisifs. Le projet d'adresse, présenté
le 4 janvier 1839, était l'œuvre des diverses nuances de l'opposition en
majorité dans la commission. Celle-ci blâma la politique extérieure du cabinet
quant à l’évacuation d'Ancône et, sur ses négociations relatives aux affaires
de Belgique, gardait, dit M. Guizot lui-même,
une réserve où perçait à dessein l'inquiétude.
« Votre Majesté espère
que les conférences reprises à Londres donneront de nouveaux gages au repos de
l'Europe et à l'indépendance de la Belgique. Nous faisons des vœux sincères pour un
peuple auquel nous lie étroitement la conformité des principes et des intérêts.
La Chambre
attend l'issue des négociations. »
(page 182) Lorsque ce
paragraphe, fut mis en discussion dans la séance du 11 janvier, M. Mauguin
reprocha à M. Molé de persévérer dans la faute qu'il avait déjà commise en 1830
en remettant le jugement des affaires belges à une conférence composée de cinq
puissances dont trois étaient ennemies de la France de juillet comme de la Belgique de septembre.
« L'orateur, répondit M. Molé, a rappelé qu'à cette même époque où je me
trouvais comme aujourd'hui ministre des affaires étrangères, on avait eu le
tort ou la faiblesse de porter la question belge devant une conférence composée
de cinq puissances où nous étions loin d'avoir la majorité en notre faveur.
Cependant, ne s'agissait-il pas de faire accepter aux puissances mêmes
signataires du traité de Vienne l'événement qui venait de s'accomplir? A moins
d'entrer complétement dans la politique qui a été celle de l'honorable M.
Mauguin depuis huit ans, à moins de dire avec lui que nous ne devions à ce
moment ni depuis compter avec personne; que nous pouvions nous élever
impunément au dessus de tous les traités; que notre puissance en Europe devait
s'exercer à l'instant, se faire sentir par la propagande et la guerre, à moins
de tout cela, nous étions obligés de nous entendre avec les puissances signataires
du traité de Vienne sur ce nouvel et grave événement. Le concert ne fut pas
très difficile à établir. Mais ne vous faites pas illusion sur le motif qui en
suggéra l'idée à tout le monde. Ce motif fut le besoin généralement senti de
maintenir la paix. C'est à ce grand et général intérêt que furent véritablement
dédiés les vingt-quatre articles. »
(page 183) M. Thiers,
qui monta ensuite à la tribune, accusa le ministère de faiblesse, mais sans
révéler ce qu'il aurait fait à sa place. « Le vice du ministère, dit-il, c'est
d'être faible, c'est de ne pas savoir prendre son parti… Il a laissé la Conférence et la Belgique dans
l'incertitude. S'il désapprouvait la conduite des Belges, notre ministère
n'aurait-il pas dû leur dire dès l'abord: Vous êtes des insensés; nous ne-vous
soutiendrons pas? ... Le roi des Belges vint à Paris, et c'est à son retour à
Bruxelles qu'éclata en Belgique le grand mouvement de résistance à la Conférence. Les
Belges et leur roi, ne comptant pas sur la France, ne se seraient peut-être pas engagés si
avant. - Le cabinet a hésité ici comme ailleurs, et il m'est bien permis de
signaler les dangers de tous ces tâtonnements... La Conférence de Londres,
qui ne veut rien céder, et les Belges, qui ne veulent rien céder, sont en
présence; c'est la paix ou la guerre pour la France. Secourir
les Belges est fort dangereux; les abandonner à leur désespoir n'est pas moins
dangereux. »
Le président du Conseil
répondit avec à-propos que M. Thiers avait laissé la Chambre dans le doute sur
la question de savoir si, à ses yeux, le traité des vingt-quatre articles était
obligatoire ou non pour la
Belgique. « Ce qu'il nous a prouvé, poursuivit-il, c'est
qu'il aurait cherché tous les moyens d'en ajourner l'exécution ou d'y échapper
complètement, soit en le faisant tomber en déchéance, soit en obtenant à ce
traité d'importantes modifications. La seule différence qu'il y ait entre lui
et nous, c'est que nous maintenons que le traité des vingt-quatre articles est
obligatoire; mais il (page 184) ne faut pas en induire, comme il l'a fait, que
nous ayons commencé la négociation tellement préoccupés de ce point de vue que
nous ayons renoncé à obtenir aucune modification... Soyons de bonne foi. M.
Thiers a voulu, tout en se compromettant le moins possible sur la question
étroite du caractère obligatoire ou non du traité, condamner notre conduite, en
revenir à sa pensée favorite, l'insuffisance du cabinet. »
Telle fut cette
discussion. Les autres chefs de la coalition, M. Guizot et M. Odilon-Barrot,
gardèrent le silence
Ils se bornèrent il voter contre l'addition de deux mots dans le paragraphe sur
la question belge. M. Lanyer avait proposé de dire : « La Chambre attend avec
confiance l'issue des négociations. » Cet amendement fut adopté par 216 voix
contre 212.
M. Guizot, dont le rôle
dans la coalition fut prépondérant, a écrit plus tard: « Quelques uns de nos
reproches à la politique extérieure de M. Molé étaient, au fond, très
contestables et avaient été efficacement contestés dans le débat. »
(page 185) Il faut bien
le reconnaître, il résultait à l'évidence de ce débat que l'opposition n'était
pas plus disposée que le ministère à recourir aux armes ni même à braver
longtemps l'Europe pour conserver à la Belgique le Limbourg et le Luxembourg. La
coalition manqua de franchise en n'approuvant pas le gouvernement dans son
abandon de la cause belge. Le parti libéral français resta indifférent; il ne
considérait pas même comme un malheur le retour partiel des populations du
Limbourg sous la domination hollandaise, du Luxembourg sous la domination
allemande. Leur sort ne rencontra de sympathie que parmi les rares
représentants de l'école catholique, car il n'y avait pas encore de parti de ce
nom, frappés avant tout des dangers qui pourraient menacer les croyances
religieuses. Le jour n'était pas venu où là France entière devait souffrir de
ces violences faites aux sentiments de nationalité et comprendre ces grandes
douleurs.