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matières de l’Essai
« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR
Par
Jean-Baptiste Nothomb
CHAPITRE IV - Réunion de la
Conférence de Londres et reprise des négociations générales. - Proposition de
mise en accusation de M. Lebeau.- Marche des négociations de Londres; question
du Luxembourg : engagement pris par le cabinet de La Haye de fournir le
consentement de la Diète germanique et des agnats de la maison de Nassau à la
cession de la partie wallonne du Luxembourg ; rupture des négociations ; note
des plénipotentiaires belges, du 28 septembre 1833.
L'article 5 de la convention du 21 mai 1833 portait:
« Les hautes parties
contractantes s'engagent à s'occuper, sans délai d'un traité définitif qui doit
fixer les relations entre les Etats de S. M. le roi des Pays-Bas, grand-duc de
Luxembourg, et
Le ministère belge, en
adhérant à l'article 5 de la convention du 21 mai et en déférant à l'invitation
qui lui était faite en vertu de cet article, ne contractait en réalité aucune
obligation nouvelle pour le pays. En effet, le 4e article du traité du 15
novembre suppose qu'il reste à conclure un traité direct avec
Aux termes des notes du
15 octobre 1831, le traité direct entre
Trois raisons étaient venues rendre cette reproduction littérale impossible et peut-être dangereuse:
1° Les réserves, dont le
ministère précédent n'était pas parvenu à préserver les ratifications, tout en
laissant subsister le traité à l'égard des cinq cours[1]
accordaient à
2° Une étude approfondie des textes a dû faire découvrir des défectuosités et des obscurités qui, quand même il n'existerait pas de réserves, feraient désirer un nouvel examen de quelques articles, à l'effet d'amener les éclaircissements et les développements convenables;
3° Les auteurs des vingt-quatre articles, pressés par les circonstances, et faute de notions suffisantes, ont laissé sans solution quelconque ou sans solution complète quelques questions[2] qu'il eût convenu de résoudre dans un arrangement définitif.
Ainsi, il part les
réserves, la rédaction des vingt-quatre articles est telle que la transcription
littérale de (page 49) ces articles dans un traité direct avec
Les cinq cours étaient
représentées à
1° Que les plénipotentiaires de Belgique et des Pays-Bas (page 50) seraient entendus séparément et traités de la même manière;
2° Que l'on négocierait autant que possible verbalement;
3° Que le traité du 15 novembre servirait de base aux négociations;
4° Que les articles de ce traité seraient présentés séparément à chaque partie et paraphés, en cas d'adoption, avec ou sans modification[4].
Ainsi,
La question territoriale dut former le premier objet des négociations. Il ne fut élevé aucune objection contre le principe même des arrangements arrêtés par le traité du 15 novembre; mais on s'attacha à un point secondaire, en apparence.
Nous avons vu[5]
que ces arrangements reposent sur l'idée d'un échange entre une partie du
territoire belge de la province du Limbourg et une partie du grand-duché de
Luxembourg ; pour être conséquent avec cette idée, il eût fallu considérer la
partie du Limbourg comme, de plein droit, substituée à la partie du Luxembourg,
dans tous les rapports de ce pays avec
. Le cabinet de La Haye
avait conçu l'espoir d'incorporer à
Les articles 1, 2, 4, et 6, relatifs à la délimitation territoriale, furent donc paraphés de part et d'autre, après avoir subi les changements de rédaction que nous venons d'indiquer, et les articles 3 et 5 supprimés sous la réserve exigée par le cabinet belge.
Les deux parties paraphèrent successivement, sans modification notable:
L'article 7, qui reconnaît l'indépendance et la neutralité de la Belgique[6] ;
L'article 8, qui règle l'écoulement des eaux des Flandres; .
L'article 10, qui déclare libre et commun l'usage des canaux traversant à la fois les deux pays;
L'article 15, qui réduit le port d'Anvers à un port de commerce;
L'article 16, qui règle la propriété des canaux, routes et autres ouvrages d'utilité publique construits en tout ou en partie pendant l'union;
L'article 17, relatif aux séquestres[7];.
(page 53) Les articles 18, 19 et 20, qui règlent les rapports de propriété des deux pays;
L'article 21, qui stipule une amnistie[8];
Les articles 22 et 23, concernant les pensions, traitements d'attente et cautionnements;
L'article 24 qui fixe l'époque de l'évacuation réciproque. .
On parapha un 25e article, additionnel, portant qu'il y aura paix et bonne intelligence entre le roi des Pays-Bas (page 54) et le roi des Belges, leurs héritiers et successeurs, leurs états et sujets respectifs, à perpétuité[9] .
Les deux parties avaient abordé en même temps l'examen des cinq articles suivants:
L'article 9, relatif à la navigation des rivières et des fleuves;
L'article 11, concernant l'usage des routes qui traversent le Limbourg;
L'article 12, concernant la faculté d'établir un canal ou une route à travers le Limbourg;
L'article 13, relatif au paiement annuel de la dette et à la liquidation du syndicat d'amortissement;
L'article 14, concernant les arrérages de la dette.
Ces articles soulevaient les questions les plus graves, et notamment les suivantes : .
Y aura-t-il un péage sur l'Escaut ?
Le taux ~du péage
sera-t-il fixé pour la partie où elle est riveraine par
En cas d'affirmative, à quelles conditions le paiement de ce droit sera-t-il soumis? Quel en sera le montant, (page 55) où sera-t-il perçu, et cette perception entraînera-t-elle une visite, un arrêt quelconque ?
La communauté de la surveillance du pilotage et du balisage sera-t-elle maintenue[10] ?
Le pilotage dans tout le cours du fleuve sera-t-il réciproquement facultatif ?
(page 56) La communauté de la pêche sera-t-elle maintenue?
L'exemption de tout droit de transit sur les routes du Limbourg sera-t-elle maintenue?
La disposition concernant la faculté d'établir de nouvelles communications à travers le Limbourg sera-t-elle supprimée sans compensation? .
(page 57) A quelle
condition
Les négociations n'ayant
été que verbales, les plénipotentiaires belges résolurent d'en résumer la
marche ; ils rédigèrent, à cet effet, une note qui porte la date du 28
septembre. Le 30, ils furent invités à se rendre dans le sein de
« Au moment où l'on
croyait toucher au terme et tenir la solution de certaines questions, le cabinet
de La Haye faisait surgir tout à coup des difficultés inattendues et laissait
ses plénipotentiaires dans l'impuissance de les aplanir. Ce fait fixa d'autant
plus vivement l'attention de
« On apprit alors, avec
étonnement, que le cabinet de La Haye, à la demande spéciale duquel toute cette
transaction avait eu lieu, trouvait que, pour la compléter, les choses
n'étaient point arrivées à un degré suffisant de maturité et qu'il révélait
ainsi tout à coup la prétention de ne faire la démarche auprès de
« Le cabinet de La Haye
conservait donc ainsi la faculté de rendre inutiles et vaines, à défaut de
l'assentiment de
« Cependant, pour mieux
constater combien le cabinet de La Haye, entraîné par on ne sait quelles
arrière-pensées, sacrifiait les véritables intérêts de
« Ce fut alors que
« Telle est, en résumé,
la marche qu'a suivie la négociation; telle est, en réalité, la nature de la
difficulté qui en a occasionné la suspension. - En plaçant ce récit sous les
yeux de
Cette note reçut.une grande publicité par la communication qui en fut faite, le 4 octobre, aux Chambres (page 60) belge, et elle excita la colère du cabinet de La Haye[12] l.
Cette communication vint en quelque sorte clore la session extraordinaire de 1833, dont l'ouverture avait été marquée par les débats sur la convention du 21 mai, et le cours par une tentative de mise en accusation dirigée contre M. Lebeau. Le but de cette proposition était, au fond, tout politique ; elle mit de nouveau en présence les deux systèmes qui se sont disputé la direction de la révolution belge, l'un personnifié dans M. Gendebien, l'autre dans M. Lebeau. La lutte fut décisive; et c'est à ce titre que nous croyons devoir nous y arrêter. Le prétexte de la proposition était l'extradition d'un banqueroutier français, effectuée en l'absence d'une loi formelle et spéciale.
La discussion fut fixée au 23 août. Nous laissons au lecteur à juger de la différence de langage. A l'ouverture de la séance, M. Gendebien fut admis à développer sa proposition.
« Dans une circonstance aussi grave, dit-il, je devais craindre que la parole ne m'entraînât trop loin, et j'ai écrit les développements pour lesquels je réclame votre attention.
« Depuis trop longtemps le sieur J. Lebeau, ministre (page 61) de la justice, méprise vos décisions, brave votre autorité et vous provoque insolemment à faire usage de vos plus importantes prérogatives, le droit de mettre les ministres en accusation.
« Habitué à l'impunité, comptant trop sur votre longanimité, sur vos répugnances à soulever d'aussi graves discussions, le sieur Lebeau crut pouvoir vous braver toujours impunément; et dans votre séance du 14 août, il provoqua lui-même sa mise en accusation, au sujet de la violation la plus flagrante de plusieurs articles de notre Constitution.
« Je relevai le gant
qu'il jetait pour la vingtième fois peut-être au milieu de nous; j'ai pensé,
Messieurs, qu'il était du devoir de
« Voulez-vous fermer le gouffre des révolutions, faites respecter la loi des lois, prononcez sans hésiter le châtiment réservé aux grands coupables, ou tout au moins fulminez l'anathème de l'impopularité sur le téméraire qui ose la violer.
« J'ai accusé le sieur
J. Lebeau d'avoir violé les articles 7 et 128 de
M. Gendebien fait connaître les circonstances particulières de l'extradition et donne lecture des dispositions constitutionnelles et législatives prétendûment violées; il entre ensuite dans de longs développements historiques.
(page 62) « Quel
est donc le motif, se demande-t-il, qui a fait hésiter quelques membres de
« Eh bien, Messieurs, jugez le sieur Lebeau par ses actes, par ses paroles, et sans sortir du cercle de sa vie publique, vous y trouverez plus d'un motif d'accusation bien autrement sévère que celle dont vous êtes saisis.
« Lisez les discours qu'il
a prononcés au Congrès et à
« Que sont devenues toutes les belles promesses, toutes les brillantes prédictions de M. Lebeau? Nous sommes aujourd'hui moins certains de notre avenir qu'au 2 avril 1831, lorsqu'il annonçait pompeusement, « que.la carrière des protocoles avait expiré le 17 fëvrier 1831, et que le rôle de la diplomatie belge devait être court et serait très court. »
« Deux ans et demi
se sont écoulés en négociations stériles, et aujourd'hui M. Lebeau trouve
admirable le statu quo systématique, qui peut encore, pendant dix ans,
prolonger le rôle court et très court de la diplomatie: la carrière des
protocoles avait, disait-il, expiré le 17 février 1831 ; et depuis lors, plus
de 60 protocoles et des milliers de notes verbales, de memorandum et
d'ultimatum sont venus fondre sur
M. Gendebien remonte au
premier ministère de (page 63) Lebeau; il lui reproche d'avoir laissé à dessein
le pays désarmé, d'avoir tenté de faire entrer
« Voilà, Messieurs, les titres du sieur J. Lebeau à votre indulgence ! Non, Messieurs, point d'indulgence pour un ministre, alors qu'il est accusé d'avoir porté une .main sacrilège sur notre pacte social, alors surtout que cette violation est tellement flagrante que personne n'ose le contester, pas même les journaux stipendiés par le gouvernement. De l'indulgence, Messieurs! et pour qui? Pour un ministre qui vous brave sans cesse, pour un ministre qui a provoqué lui-même l'accusation sur laquelle vous avez à délibérer. Non! point d'indulgence. » Après avoir rappelé la conduite de M. Van Maanen et la condamnation du juge de paix de Couvin, pour extradition illégale, et cité un discours prononcé par M. Surlet de Chokier, l'orateur continue :
« A mon tour, je vous dirai, Messieurs : serons-nous des sentinelles moins vigilantes pour la conservation de notre pacte social que le roi Guillaume que nous avons chassé, que le ministère Van Maanen, si odieux aux (page 64) Belges, que le procureur criminel et la cour d'assises de Namur, que Charles X lui-même, sous le règne duquel le procureur du roi et le tribunal de Rocroy ont flétri l'extradition? Serons-nous des sentinelles moins vigilantes que les petits États de l'Allemagne, qui, au milieu de tous les éléments du despotisme, n'hésitent pas à mettre leurs ministres en accusation pour des violations moins évidentes de leur Constitution?
« Vous ne consentirez pas, Messieurs, à jouer le rôle ignoble de la majorité hollandaise aux États-Généraux. .
« Vous ne vous exposerez
pas à l'anathème qui .a retenti dans toute
« Messieurs, je me suis acquitté sans but personnel, comme sans arrière-pensée, du devoir sacré que m'imposait mon. Mandat ; depuis longtemps ma conscience me le dictait, et j'hésitais encore, lorsque l'insolente provocation du sieur Lebeau m'a donné la force de vaincre toutes mes répugnances.
« J'ai rempli ma tâche ; la vôtre commence, vous saurez l'accomplir.
« La nation attend avec anxiété l'issue de cette grave discussion; quel qu'en soit le résultat, elle aura au moins la conviction qu'il y aura toujours en Belgique des hommes qui sauront remplir leur devoir, sacrifier leur repos, leur vie même, pour le bonheur du peuple ct pour le maintien de ses droits. »
Le défenseur de M. Lebeau s'attacha d'abord à faire (page 65) ressortir le but de l'accusation et à faire sentir quel en serait l'effet sur le public.
. « J'ai besoin, dit M. Nothomb, de me faire illusion, j'ai besoin de me rappeler que tout est grave dans vos discussions, pour donner à la question qui vous est soumise un caractère sérieux et des proportions qui puissent la rendre digne de vous et de vos débats. Ce n'est pas que l'attaque dirigée contre mon honorable ami, le ministre de la justice, m'étonne ; ce qui m'étonne, ce qui fera l'étonnement du pays et de l'étranger, c'est l'objet de cette attaque. Après de si longs dissentiments politiques, pouvait-on s'attendre à voir l'opposition se heurter à une question de droit privé, importante sans doute en temps ordinaire, mais secondaire, mesquine à côté des grands intérêts que nous avons débattus, à côté des destinées de la révolution dont nous avons été les arbitres.
« Lorsque, dans la séance du 14 de ce mois, M. Gendebien se réserva de proposer la mise en accusation du ministre de la justice, il s'exprimait ainsi: Les griefs ne me manquent pas, et si mes collègues veulent en ajouter quelques uns à celui qui fera la base de mon acte d'accusation, nous pourrons nous concerter, afin que l'acte soit. complet. D'après cet engagement de M. Gendebien, je m'attendais à voir inculper, non un acte isolé et presque administratif de M. Lebeau, mais la vie politique tout entière de mon honorable ami ; je pensais que nous étions arrivés au jour des grands comptes, espèce de jugement dernier que nous a prédit M. de Robaulx.
« M. Gendebien a voulu réparer aujourd'hui cette faute : violant le règlement dont M. le président aurait pu exiger l'observation, violant tous les principes de la (page 66) procédure criminelle que l'honorable député doit connaître, il s'est occupé de tout, sauf de son acte d'accusation; il vous a fait l'histoire de M. Lebeau et de la révolution, et quelle histoire! Le recuei1 de toutes les dégoûtantes absurdités que nous entendons depuis trois ans, et qui ont été réfutées à satiété. Je ne remuerai point cet amas d'erreurs, d'injures, qu'on s'est plu à accumuler : l'accusé, ce n'est plus M. Lebeau, c'est la majorité de cette Chambre; l'accusation a même reçu un effet rétroactif; on a traduit à votre barre la majorité du Congrès et la majorité de la législature qui l'a suivi. Je n'ai pas à répondre à ces accusations ; moi-même je suis accusé par l'honorable préopinant d'être l'auteur d'un ouvrage sur la révolution, crime d'un nouveau genre, sans doute ; je le remercie de vous l'avoir rappelé: j'ai en effet répondu d'avance à tout ce que vous a dit M. Gendebien. C'est à tel point; que je suppose qu'il se proposait de répondre à mon livre, et qu'il a saisi cette occasion pour publier sa réfutation.
« Mes amis et moi nous avions dit maintes fois : Accusez, ne calomniez point. Depuis deux ans, vous teniez en réserve l'arme la plus terrible; et c'.est à l'occasion d'un prétendu délit, sans portée, sans caractère politique, que vous nous invitez à recourir à ce que vous appelez la dernière raison du gouvernement représentatif. En réduisant de la sorte l'accusation à un fait isolé, vous vous donnez à vous-même le plus éclatant démenti ; les griefs vous ont donc manqué : battu sur les questions politiques, vous vous êtes réfugiés dans une question douteuse de légalité; et l'homme d'État sur qui depuis deux ans vous appelez toutes les haines, à (page 67) qui, dans nos grandes luttes parlementaires, vous avez imputé tous les crimes de haute trahison, que la presse a successivement condamné à parcourir toute l'échelle pénale, cet homme est à votre barre, prévenu d'un délit digne d'un commissaire de police et des débats d'un tribunal correctionnel.
« Comme ami de M. Lebeau, je le félicite de cette accusation; comme ami de mon pays, comme ami des institutions nationales que j'ai aidé à fonder, j'en suis affligé. Après les deux mémorables procès dont la restauration et la révolution de France nous ont légué le souvenir, quel spectacle offrons-nous à l'Europe? Nous parodions ce qu'il y a d'extrême, ce qu'il y a pour ainsi dire de tragique dans la vie parlementaire. Craignons les conséquences de cette profanation : on ne profane point un principe impunément. Alors surtout qu'une réaction s'opère dans les esprits, l'opposition a besoin d'être modérée et circonspecte : les attaques irréfléchies contre les gouvernements affaiblissent,. déconsidèrent les libertés publiques, en procurant au pouvoir des succès trop faciles et en le fortifiant outre mesure.
Voyez la presse: par son mépris des hommes et des principes, par l'inconstance de ses doctrines, par ses accusations forcenées ou frivoles, par son système de dénigrement et d'incrédulité, elle s'est frappée d'impuissance. C'est un malheur que cette impuissance de la presse, réduite pour longtemps parmi nous à un rôle secondaire ; l'impuissance de la tribune serait un plus grand malheur : le gouvernement représentatif manquerait d'une de ses bases ; il faut que la tribune reste debout, respectée, à côté du trône.
(page 68) « Quelle que soit l'issue de cet étrange incident, la nation y rattachera un souvenir accablant pour quelques hommes. Elle en tirera cette conséquence, que, sommés de formuler leur accusation, les adversaires de mon honorable ami se sont prudemment désistés de leurs prétendus griefs politiques, heureux de pouvoir; en désespoir de cause, se retrancher dans une accusation en quelque sorte privée.
« Cette accusation, Messieurs, je viens la discuter devant vous, en vertu d'un mandat que je dois à une amitié dont je m'honore, que je revendiquerai surtout au jour du danger; mandat qui ne m'est point imposé et que je n'aurais point hésité à emprunter à mon seul devoir de député. »
Le défenseur cherche ensuite à démontrer que la loi du 28 vendémiaire an VI, sur l'expulsion des étrangers, était demeurée en vigueur, et, qu'au défaut d'une loi spéciale sur l'extradition, le ministre a fait dériver le droit d'extradition du droit d'expulsion, à l'exemple du gouvernement impérial, du gouvernement des Pays-Bas, du gouvernement provisoire dont M. Gendebien avait fait partie, et du ministère précédent ; il cite de nombreuses extraditions opérées sans réclamations à ces diverses époques. Il essaye, en terminant, de caractériser la conduite politique de M. Lebeau:
« Il me resterait, dit-il, si je le croyais nécessaire, à user d'un dernier droit que l'on ne refuse jamais à la défense ; je pourrais vous parler du prévenu lui-même, vous dire quel est cet homme si étrangement méconnu, vous raconter ce qu'il a fait avant la révolution pour la préparer, depuis la révolution pour la consolider; (page 69) j'aurais même pu me borner à énumérer les grands et incontestables services qu'il a rendus, et vous dire :Voilà ce que le prévenu a fait pour son pays, condamnez-le.
« En commençant, j'ai exprimé mon étonnement de voir l'accusation réduite à un seul acte; j'ai peut-être montré trop d'étonnement : l'accusation, Messieurs, n'est qu'un prétexte; c'est l'homme tout entier, c'est le système dont il est devenu parmi nous la personnification qu'on voudrait condamner, qu'on voudrait flétrir. Un des premiers, mon honorable ami a compris qu'il est un point où les révolutions doivent s'arrêter, transiger même, sous peine de périr. Cette vérité, il l'a mise en action; voilà son crime. Il ne s'est point dissimulé les difficultés de la tâche qu'il assumait; il savait qu'il aurait à la fois à lutter contre les deux extrêmes qui se retrouvent partout; qu'il aurait pour adversaires, et ceux qui voudraient faire rétrograder la révolution jusqu'à la restauration, et ceux qui, contre leurs intentions sans doute, l'auraient précipitée dans la guerre générale et l'anarchie. Il a accepté cette double lutte et vous avez admiré le courage avec lequel il l'a soutenue.
« Et cependant vous n'avez été témoins, Messieurs, que des combats publics ; il est d'autres combats, plus pénibles encore, ce sont ceux qu'on se livre à soi-même dans ces accès de découragement et de dégoût qui viennent saisir l'homme politique dans son cabinet, au sein de sa famille; tourments qui fortifient quelques organisations d'élite, qui plus souvent brisent leurs victimes ; car les outrages de la tribune et de la presse viennent retentir jusqu'au foyer domestique et détruire (page 70) tous les charmes de la vie privée. Et est-il une accusation que la tribune, que la presse se soient interdite? Dans cette enceinte, les expressions les plus fleurissantes, les comparaisons les plus odieuses n'ont pas été punies par un rappel à l'ordre ; en dehors de cette enceinte, la presse a tout osé; elle s'est vautrée dans la calomnie; elle a épuisé, contre l'homme qu'on vous dénonce, toutes les ressources de la langue.
« Tel est, depuis deux ans, le sort de mon honorable ami : s'il défend la révolution, ce n'est pas pour le bien matériel qu'elle lui a fait; il a eu ses jours de dangers, il a attaché son nom à la monarchie belge ; et cependant le gouvernement provisoire et le régent ont été seuls jugés dignes d'une récompense nationale; c'est à peine s'il. a accepté une modeste part dans la splendide moisson judiciaire, et cependant il pouvait tout demander ; il ne s'est pas même permis la tentation d'aspirer à une haute position dans la magistrature. Il est sorti une première fois du ministère comme il y était entré; je me trompe: il en est sorti les mains vides, mais l'âme navrée; il en est sorti exténué par sa victoire même.
Lorsque les forces sont revenues à cet homme dont l'existence avait été si cruellement flétrie, le monarque lui a fait un appel dans des circonstances difficiles : il a répondu à cet appel ; et depuis un an, placé il la sommité sociale, il touche le modeste traitement de 5,000 francs[13]; c'est de fait pour lui la brillante compensation attachée au rôle de chef du cabinet belge.
(page 71) « Mais, lui a dit, dans une de nos dernières séances, un honorable député: « Le pouvoir vous console de tout, bien que vous n'ayez la confiance de personne~ ni dans le pays, ni à l'étranger. » »
« Non, le pouvoir
ne console pas de tout, il n'est rien
par lui-même; il n'est quelque chose que pour celui qui a le courage de s'en
servir pour faire le bien, et un bien qui reste. Il devient alors le plus actif
instrument de prospérité publique et de renommée personnelle. C'est à ce titre
que mon honorable ami s'est dévoué à la monarchie nouvelle. Il se console,
parce qu'il n'a rien à expier clans le passé, rien à redouter de l'avenir; en
face d'un gouvernement tout-puissant, il l'a bravé ; en face de passions
populaires toutes-puissantes, il les a également bravées : dans l'une et
l'autre lutte, il a été lui-même. Il se console, parce qu'en dépit des dénégations
les plus hautaines, il se sent fort de la véritable confiance du pays et de
l'étranger, confiance qui ne se manifeste pas par des acclamations bruyantes,
mais par des faits. Il se console, parce qu'il est convaincu qu'il est des
minorités qui aspirent en vain à devenir majorité, c'est à dire pouvoir ; qu'il
est des hommes qui, s'ils venaient par un accident parlementaire à saisir le
pouvoir, ne pourraient le conserver vingt-quatre heures qu'en se reniant
eux-mêmes, qu'en abjurant leurs antécédents, qu'en acceptant les conditions
d'ordre que nous avons posées et sans lesquelles il n'y a pas de gouvernement
possible pour
« Je me trompe, Messieurs; en ce jour, vous devancerez, pour lui, les arrêts du temps: vous ferez justice à tous. »
Sur les instances du défenseur, l'assemblée se déclara en permanence; et, après avoir encore entendu quelques orateurs et une réplique de M. Gendebien, elle passa à l'ordre du jour à la majorité de 53 voix contre 18[14].
[1] Voyez chap. XVII, t.. I, p. 286, et
chap. XVIII, t.. I, p. 296.
[2] Par exemple la question du syndicat
d'amortissement. Voyez chap. XIV,
t. I,
p. 259.
[3] Avant l'ouverture officielle de la
négociation,
[4] Il fut décidé, 5° que l'on
conclurait deux traités: l'un entre
[5] Chap. XIV, p. 246.
[6] Les plénipotentiaires néerlandais
avaient proposé d'ajouter à l'article 7 un § 2, ainsi conçu: « Il est entendu
que
[7] Les plénipotentiaires néerlandais
manifestèrent le désir qu'il fût ajouté à l'article 17, relatif aux séquestres,
un § portant que l'on comprendrait dans les biens de la maison de Nassau, en
Belgique, la part du Roi dans
Par
le traité de La Haye du 5 novembre 1842,.la Belgique accorda la levée du
séquestre de la manière la plus large. (Note de la 4e édition.)
[8] Les plénipotentiaires belges
proposèrent d'intercaler entre le 21e et le 22e article une disposition portant
reconnaissance de la validité des jugements .rendus et des actes passés depuis
le commencement de la révolution dans les parties du Luxembourg et du Limbourg
destinées à rentrer sous la domination du roi Guillaume.
Cette
déclaration de la validité des actes était nécessaire, surtout dans le
grand-duché de Luxembourg, les autorités grand-ducales réfugiées dans la
forteresse ayant annoncé qu'elles considéreraient comme de nulle valeur les
contrats passés pendant l'occupation belge devant les notaires et les jugements
rendus par les tribunaux. (Note de la 4e édition)
[9] Ce n'est pas sans peine que les
plénipotentiaires néerlandais approuvèrent et paraphèrent l'article portant
stipulation de paix ct de bonne intelligence entre les deux Rois, leurs
héritiers et successeurs ; ils demandèrent la suppression des mots leurs
héritiers et successeurs et des expressions de bonne amitié ;
[10] Cette communauté de surveillance qui
crée pour l'Escaut un régime exceptionnel sans lequel la liberté de navigation
eût été illusoire, avait été expressément admise par le § 2 de l'article IX du
traité du 15 novembre 1831 ; elle était considérée comme attentatoire à ses
droits de souveraineté par le gouvernement néerlandais qui voulait qu'il y eût
deux Escaut, l'un, néerlandais, régi exclusivement par lui de Flessingue à Bath
(18 lieues), l'autre, belge, de Bath à Anvers (4 lieues). Ce fut un des motifs
principaux du roi Guillaume pour justifier son refus d'accéder aux vingt-quatre
articles; cette disposition fut une de celles qu'il dénonça avec le plus de
force à l'empereur Nicolas, qui en réserva la révision dans sa ratification du
traité. La longue résistance du gouvernement néerlandais, qui ne s'est résigné
qu’après sept ans d'opposition, atteste précisément la valeur de l'exception.
Dans
la réunion de
Il
fut même un temps où le gouvernement hollandais prétendait qu'il ne fallait pas
s'occuper de l'Escaut dans le traité à conclure avec les cinq grandes
puissances, cette question étant purement intérieure ; dans sa protestation du
21 juillet 1831 contre les dix-huit articles, il déclarait que, bien que
disposé à ouvrir sans délai une négociation pour régler la libre navigation de
l'Escaut, il ne saurait en cette négociation accepter les bons offices d'autres
puissances. .
Tous
ces prétendus attentats à la souveraineté de
Quelque
vitale que soit cette question de l'Escaut pour
L'article
IX du traité du 15 novembre '1831, devenu l'article IX renforcé du traité du 19
avril
Soutenir
aujourd'hui qu'il y a des cas non prévus où les autorités hollandaises,
agissant isolément, ont le droit d'arrêter et même de capturer un navire de
Bath à la mer et de la mer à Bath, c'est rétrograder, c'est au fond revenir à
une doctrine que le roi Guillaume le a vainement cherché à faire prévaloir,
c'est rouvrir un débat clos irrévocablement par le traité du 19 avril 1839.
Si
même ce traité avait consacré des dérogations à la souveraineté hollandaise, il
serait vrai de dire que
[11] Toute tentative pour obtenir une
réduction de la quote-part de la dette fixée par le traité du 15 novembre 1831
à une rente annuelle de 8,400,000 florins eût été vaine en 1833. Aussi les
plénipotentiaires belges ne l’essayèrent-ils pas. Ils réclamèrent la remise des
arrérages en soutenant même que ce serait une indemnité insuffisante des
armements extraordinaires que l’attitude de
[12] L'un des plénipotentiaires
néerlandais, le baron Verstolck van Soelen, ayant de son côté, en sa qualité de
ministre des affaires étrangères, présenté aux États-Généraux à La Haye, le 24
octobre, un rapport en quelques points inexact ;
[13] L'article 103 de
[14] Ont voté pour la prise en
considération: MM. Dams, H. de Brouckere. de Renesse, de Robaulx, Desmaisières,
Desmet, d'Huart, Doignon, Dubus, Dumortier, Ernst, Fleussu, Gendebien, Jadot,
Julien, Pirson, Seron et Vergauwen.
Ont
voté contre: MM. Beckaert, Boucqueau-de-Villeraie, Brixhe, Coghen, Cols,
Coppieters, Davignon, de Foere, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de
Longrée, Deman, W, de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Roo, de Sécus, Desmanet
de Biesme, de Stambier, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dewitte, d'Hane; Dubois,
Dugniolle, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Hye-Hoys, Lardinois, Legrelle,
Milcamps, Morel-Danneel, Nothomb, Olislagers, Pollénus, Poschet, A. Rodenbach,
Schaetzen, Simons, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Vanderheyden,
Verdussen, II. Vilain XlIII, Vuylsteke, Wallaert, Zoude et Raikem.