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« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR LA RÉVOLUTION BELGE » Première continuation

      

Par Jean-Baptiste Nothomb

 

 

CHAPITRE IV - Réunion de la Conférence de Londres et reprise des négociations générales. - Proposition de mise en accusation de M. Lebeau.- Marche des négociations de Londres; question du Luxembourg : engagement pris par le cabinet de La Haye de fournir le consentement de la Diète germanique et des agnats de la maison de Nassau à la cession de la partie wallonne du Luxembourg ; rupture des négociations ; note des plénipotentiaires belges, du 28 septembre 1833.

 

L'article 5 de la convention du 21 mai 1833 portait:

« Les hautes parties contractantes s'engagent à s'occuper, sans délai d'un traité définitif qui doit fixer les relations entre les Etats de S. M. le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg, et la Belgique. Elles inviteront les cours d'Autriche, de Prusse et de Russie à y concourir. » Cette invitation fut adressée à ces trois cours, ainsi qu'au gouvernement belge et la Conférence de Londres, dissoute à la suite des mesures coercitives, se trouva reconstituée.

Le ministère belge, en adhérant à l'article 5 de la convention du 21 mai et en déférant à l'invitation qui lui était faite en vertu de cet article, ne contractait en réalité aucune obligation nouvelle pour le pays. En effet, le 4e article du traité du 15 novembre suppose qu'il reste à conclure un traité direct avec la Hollande ; le principe d'une négociation directe entre la Belgique et la Hollande est donc posé par le 4e article du traité (page 48) conclu avec chacune des cinq cours. Mais quelle doit être la base de cette négociation directe, quel doit être le caractère de cc traité direct.

Aux termes des notes du 15 octobre 1831, le traité direct entre la Belgique et la Hollande aurait dû consister dans la reproduction littérale des vingt-quatre articles, lesquels auraient été acceptés, mot pour mot par la Hollande, comme ils l'ont été par la Belgique.

Trois raisons étaient venues rendre cette reproduction littérale impossible et peut-être dangereuse:

1° Les réserves, dont le ministère précédent n'était pas parvenu à préserver les ratifications, tout en laissant subsister le traité à l'égard des cinq cours[1] accordaient à la Hollande le droit de provoquer, de gré à gré, un nouvel examen de quelques uns des vingt-quatre articles;

2° Une étude approfondie des textes a dû faire découvrir des défectuosités et des obscurités qui, quand même il n'existerait pas de réserves, feraient désirer un nouvel examen de quelques articles, à l'effet d'amener les éclaircissements et les développements convenables;

3° Les auteurs des vingt-quatre articles, pressés par les circonstances, et faute de notions suffisantes, ont laissé sans solution quelconque ou sans solution complète quelques questions[2] qu'il eût convenu de résoudre dans un arrangement définitif.

Ainsi, il part les réserves, la rédaction des vingt-quatre articles est telle que la transcription littérale de (page 49) ces articles dans un traité direct avec la Hollande laisserait subsister de graves difficultés ; le traité du 15 novembre devait néanmoins servir de base aux négociations nouvelles; et si elles n'amenaient pas de résultat acceptable par le gouvernement belge, il n' en demeurait pas moins, malgré l'inutilité de cette tentative, le droit public de la Belgique par rapport à l'Europe. Il n'y avait donc pas, dans le consentement à l'ouverture des négociations nouvelles, de renonciation au traité du 15 novembre, bien que le but de ces négociations ne pût être la transcription littérale et intégrale de cet acte dans le traité à intervenir entre les deux pays.

Les cinq cours étaient représentées à la Conférence par leurs anciens plénipotentiaires, l'Autriche par le prince Esterhazy et le baron de Wessemberg, la France par le prince de Talleyrand, la Grande-Bretagne par lord Palmerston, la Prusse par le baron Bulow, la Russie par le prince Lieven. MM. Van de Weyer et Salomon Dedel étaient demeurés à Londres pendant la suspension des négociations ; les ministres des affaires étrangères des deux pays, le général Goblet et le baron Verstolck van Soelen s'y rendirent également en qualité de plénipotentiaires, et la présence des représentants les plus directs des deux cabinets dut contribuer à donner plus de solennité aux négociations nouvelles.

La Conférence tint sa première séance le 15 juillet[3] ; elle décida :

1° Que les plénipotentiaires de Belgique et des Pays-Bas (page 50) seraient entendus séparément et traités de la même manière;

2° Que l'on négocierait autant que possible verbalement;

3° Que le traité du 15 novembre servirait de base aux négociations;

4° Que les articles de ce traité seraient présentés séparément à chaque partie et paraphés, en cas d'adoption, avec ou sans modification[4].

Ainsi, la Conférence continua à interpréter le protocole d'Aix-la-Chapelle, du 15 novembre 1818 en ce sens que les plénipotentiaires néerlandais n'avaient pas droit de siéger avec voix délibérative; elle se borna, comme médiatrice, à recevoir les communications directes des deux parties, en traitant leurs plénipotentiaires sur un pied de réciprocité parfaite comme agents de gouvernements également reconnus. Elle écarta à la fois tous les thèmes présentés à la suite du traité du 15 novembre, et maintint ce traité comme base de l'arrangement direct. Enfin, elle adopta les négociations (page 51) verbales, pour ne pas allonger inutilement la longue série des soixante-dix protocoles.

La question territoriale dut former le premier objet des négociations. Il ne fut élevé aucune objection contre le principe même des arrangements arrêtés par le traité du 15 novembre; mais on s'attacha à un point secondaire, en apparence.

Nous avons vu[5] que ces arrangements reposent sur l'idée d'un échange entre une partie du territoire belge de la province du Limbourg et une partie du grand-duché de Luxembourg ; pour être conséquent avec cette idée, il eût fallu considérer la partie du Limbourg comme, de plein droit, substituée à la partie du Luxembourg, dans tous les rapports de ce pays avec la Confédération germanique. Tout en exprimant (art. 3) la corrélation qui existe entre les deux cessions, le traité du 10 novembre admet (art. 4, 1 °) l'alternative de la réunion de la partie du Limbourg soit à la Hollande, soit à la Confédération germanique, et réserve (art. 5) au Roi grand-duc de s'entendre à cet égard avec la Diète et les agnats de sa maison.

. Le cabinet de La Haye avait conçu l'espoir d'incorporer à la Hollande la rive droite de la Meuse; ses plénipotentiaires furent chargés de demander qu'on retranchât du traité les articles 3 et 5 et les expressions de l'article 2 qui indiquaient un rapport entre les deux cessions. Les plénipotentiaires belges, ayant référé à leur gouvernement de cette demande imprévue, furent autorisés à consentir à cette suppression, à condition (page 52) que le Roi grand-duc produirait, avant la signature du traité, le consentement de la Diète germanique et des agnats de la maison de Nassau. Les plénipotentiaires hollandais ne tardèrent pas à être, de leur côté, autorisés à prendre ce double engagement.

Les articles 1, 2, 4, et 6, relatifs à la délimitation territoriale, furent donc paraphés de part et d'autre, après avoir subi les changements de rédaction que nous venons d'indiquer, et les articles 3 et 5 supprimés sous la réserve exigée par le cabinet belge.

Les deux parties paraphèrent successivement, sans modification notable:

L'article 7, qui reconnaît l'indépendance et la neutralité de la Belgique[6] ;

L'article 8, qui règle l'écoulement des eaux des Flandres; .

L'article 10, qui déclare libre et commun l'usage des canaux traversant à la fois les deux pays;

L'article 15, qui réduit le port d'Anvers à un port de commerce;

L'article 16, qui règle la propriété des canaux, routes et autres ouvrages d'utilité publique construits en tout ou en partie pendant l'union;

L'article 17, relatif aux séquestres[7];.

(page 53) Les articles 18, 19 et 20, qui règlent les rapports de propriété des deux pays;

L'article 21, qui stipule une amnistie[8];

Les articles 22 et 23, concernant les pensions, traitements d'attente et cautionnements;

L'article 24 qui fixe l'époque de l'évacuation réciproque. .

On parapha un 25e article, additionnel, portant qu'il y aura paix et bonne intelligence entre le roi des Pays-Bas (page 54) et le roi des Belges, leurs héritiers et successeurs, leurs états et sujets respectifs, à perpétuité[9] .

Les deux parties avaient abordé en même temps l'examen des cinq articles suivants:

L'article 9, relatif à la navigation des rivières et des fleuves;

L'article 11, concernant l'usage des routes qui traversent le Limbourg;

L'article 12, concernant la faculté d'établir un canal ou une route à travers le Limbourg;

L'article 13, relatif au paiement annuel de la dette et à la liquidation du syndicat d'amortissement;

L'article 14, concernant les arrérages de la dette.

Ces articles soulevaient les questions les plus graves, et notamment les suivantes : .

Y aura-t-il un péage sur l'Escaut ?

Le taux ~du péage sera-t-il fixé pour la partie où elle est riveraine par la Hollande, qui s'engagera seulement à se contenter d'un droit modéré, ou le sera-t-il dans le traité même?

En cas d'affirmative, à quelles conditions le paiement de ce droit sera-t-il soumis? Quel en sera le montant, (page 55) où sera-t-il perçu, et cette perception entraînera-t-elle une visite, un arrêt quelconque ?

La communauté de la surveillance du pilotage et du balisage sera-t-elle maintenue[10] ?

Le pilotage dans tout le cours du fleuve sera-t-il réciproquement facultatif ?

(page 56) La communauté de la pêche sera-t-elle maintenue?

L'exemption de tout droit de transit sur les routes du Limbourg sera-t-elle maintenue?

La disposition concernant la faculté d'établir de nouvelles communications à travers le Limbourg sera-t-elle supprimée sans compensation? .

(page 57) A quelle condition la Belgique peut-elle renoncer à la liquidation du syndicat d'amortissement?

La Belgique doit-elle les arrérages de la dette[11] l?

La Conférence suivit pendant quelque temps les deux parties dans l'examen de ces questions. Revenant sur ses pas, elle acquit la certitude que le cabinet de la Haye n'avait fait aucune démarche pour obtenir le double consentement nécessaire pour la cession du Luxembourg ; elle crut devoir de nouveau suspendre les négociations et en subordonner la reprise à l'accomplissement de l'engagement contracté par le Roi grand-duc.

Les négociations n'ayant été que verbales, les plénipotentiaires belges résolurent d'en résumer la marche ; ils rédigèrent, à cet effet, une note qui porte la date du 28 septembre. Le 30, ils furent invités à se rendre dans le sein de la Conférence, et ils reçurent le témoignage que cette note renfermait l’exposé fidèle des motifs qui avaient amené la rupture des négociations. Voici en quels termes il est rendu compte de ces motifs :

« Au moment où l'on croyait toucher au terme et tenir la solution de certaines questions, le cabinet de La Haye faisait surgir tout à coup des difficultés inattendues et laissait ses plénipotentiaires dans l'impuissance de les aplanir. Ce fait fixa d'autant plus vivement l'attention de la Conférence, qu'elle n'entendait plus parler de la démarche à faire par le cabinet de La Haye auprès de la Diète germanique et des agnats de la maison de Nassau ; qu'elle ignorait si cette indispensable formalité avait été remplie et, si elle ne l'était point, pourquoi son accomplissement éprouvait un retard qui paraissait inexplicable.

« On apprit alors, avec étonnement, que le cabinet de La Haye, à la demande spéciale duquel toute cette transaction avait eu lieu, trouvait que, pour la compléter, les choses n'étaient point arrivées à un degré suffisant de maturité et qu'il révélait ainsi tout à coup la prétention de ne faire la démarche auprès de la Diète que lorsqu'il le jugerait convenable, et de la subordonner aux progrès ultérieurs dans la négociation, progrès dont le gouvernement hollandais serait resté, dans ce cas, le seul juge.

« Le cabinet de La Haye conservait donc ainsi la faculté de rendre inutiles et vaines, à défaut de l'assentiment de la Diète et des agnats, toutes les négociations sur les autres points en litige.

« Cependant, pour mieux constater combien le cabinet de La Haye, entraîné par on ne sait quelles arrière-pensées, sacrifiait les véritables intérêts de la Hollande dans leurs rapports avec ceux du Luxembourg, la Conférence suivit encore, pendant quelque temps, MM. les plénipotentiaires hollandais sur le terrain des négociations relatives à l'article 9 du traité du (page 59) 15 novembre. - Là on eut bientôt lieu de se convaincre pleinement que, tandis que le cabinet de La Haye déclarait qu'il ne ferait de démarche auprès de la Diète et des agnats de Nassau qu'après des progrès ultérieurs sur ces points, il n'avait jamais, en réalité, donné à ses plénipotentiaires ni les instructions nécessaires, ni les pouvoirs suffisants pour convenir, d'un commun accord, de ces stipulations.

« Ce fut alors que la Conférence, ne voulant pas continuer à tourner dans ce cercle vicieux où le cabinet de La Haye cherchait à la renfermer, déclara à son tour que tout progrès ultérieur dans la négociation était rendu impossible, et parce que MM. les plénipotentiaires hollandais manquaient de pouvoir pour signer les stipulations relatives aux arrangements territoriaux qu’ils avaient eux-mêmes proposées, qu'ils avaient même provisoirement paraphées, et parce que S. M. le roi des Pays-Bas différait toujours de faire les démarches nécessaires pour obtenir l'assentiment de la Diète germanique et des agnats de la maison de Nassau. - Les négociations se sont donc ainsi trouvées forcément interrompues. .

« Telle est, en résumé, la marche qu'a suivie la négociation; telle est, en réalité, la nature de la difficulté qui en a occasionné la suspension. - En plaçant ce récit sous les yeux de la Conférence, les soussignés en appellent, avec confiance,. à son jugement, sur l'exactitude et la fidélité de tout ce qui précède. »

Cette note reçut.une grande publicité par la communication qui en fut faite, le 4 octobre, aux Chambres (page 60) belge, et elle excita la colère du cabinet de La Haye[12] l.

Cette communication vint en quelque sorte clore la session extraordinaire de 1833, dont l'ouverture avait été marquée par les débats sur la convention du 21 mai, et le cours par une tentative de mise en accusation dirigée contre M. Lebeau. Le but de cette proposition était, au fond, tout politique ; elle mit de nouveau en présence les deux systèmes qui se sont disputé la direction de la révolution belge, l'un personnifié dans M. Gendebien, l'autre dans M. Lebeau. La lutte fut décisive; et c'est à ce titre que nous croyons devoir nous y arrêter. Le prétexte de la proposition était l'extradition d'un banqueroutier français, effectuée en l'absence d'une loi formelle et spéciale.

La discussion fut fixée au 23 août. Nous laissons au lecteur à juger de la différence de langage. A l'ouverture de la séance, M. Gendebien fut admis à développer sa proposition.

« Dans une circonstance aussi grave, dit-il, je devais craindre que la parole ne m'entraînât trop loin, et j'ai écrit les développements pour lesquels je réclame votre attention.

« Depuis trop longtemps le sieur J. Lebeau, ministre (page 61) de la justice, méprise vos décisions, brave votre autorité et vous provoque insolemment à faire usage de vos plus importantes prérogatives, le droit de mettre les ministres en accusation.

« Habitué à l'impunité, comptant trop sur votre longanimité, sur vos répugnances à soulever d'aussi graves discussions, le sieur Lebeau crut pouvoir vous braver toujours impunément; et dans votre séance du 14 août, il provoqua lui-même sa mise en accusation, au sujet de la violation la plus flagrante de plusieurs articles de notre Constitution.

« Je relevai le gant qu'il jetait pour la vingtième fois peut-être au milieu de nous; j'ai pensé, Messieurs, qu'il était du devoir de la Chambre, autant que de sa dignité, de punir l'insolence et d'arrêter enfin la main sacrilège qui menace de destruction le palladium des libertés et du repos public, la seule arche de salut pour les peuples et les gouvernements.

« Voulez-vous fermer le gouffre des révolutions, faites respecter la loi des lois, prononcez sans hésiter le châtiment réservé aux grands coupables, ou tout au moins fulminez l'anathème de l'impopularité sur le téméraire qui ose la violer.

« J'ai accusé le sieur J. Lebeau d'avoir violé les articles 7 et 128 de la Constitution. Pour le démontrer, il suffit d'exposer les faits et de lire les articles. »

M. Gendebien fait connaître les circonstances particulières de l'extradition et donne lecture des dispositions constitutionnelles et législatives prétendûment violées; il entre ensuite dans de longs développements historiques.

(page 62) «  Quel est donc le motif, se demande-t-il, qui a fait hésiter quelques membres de la Chambre à adhérer à l'accusation ? Ils croient encore à la bonne foi du ministre, ils le jugent encore digne d'indulgence.

« Eh bien, Messieurs, jugez le sieur Lebeau par ses actes, par ses paroles, et sans sortir du cercle de sa vie publique, vous y trouverez plus d'un motif d'accusation bien autrement sévère que celle dont vous êtes saisis.

« Lisez les discours qu'il a prononcés au Congrès et à la Chambre des représentants, comparez-les entre eux, comparez-les à notre situation actuelle et, la main sur la conscience, demandez-vous si M. Lebeau mérite encore votre confiance, votre indulgence.

« Que sont devenues toutes les belles promesses, toutes les brillantes prédictions de M. Lebeau? Nous sommes aujourd'hui moins certains de notre avenir qu'au 2 avril 1831, lorsqu'il annonçait pompeusement, « que.la carrière des protocoles avait expiré le 17 fëvrier 1831, et que le rôle de la diplomatie belge devait être court et serait très court. »

« Deux ans et demi se sont écoulés en négociations stériles, et aujourd'hui M. Lebeau trouve admirable le statu quo systématique, qui peut encore, pendant dix ans, prolonger le rôle court et très court de la diplomatie: la carrière des protocoles avait, disait-il, expiré le 17 février 1831 ; et depuis lors, plus de 60 protocoles et des milliers de notes verbales, de memorandum et d'ultimatum sont venus fondre sur la Belgique, sans parler de plusieurs traités toujours définitifs et irrévocables, toujours garantis et jamais respectés. »

M. Gendebien remonte au premier ministère de (page 63) Lebeau; il lui reproche d'avoir laissé à dessein le pays désarmé, d'avoir tenté de faire entrer la Belgique la Confédération germanique; d'avoir négocié secrètement les dix-huit articles et d'avoir trompé le Congrès en cachant la part qu'il avait eue à cette négociation. Ici il s'appuie des révélations faites par l'un des deux commis3aires près la Conférence de Londres, l'auteur de l'Essai sur la révolution belge. II examine ensuite .le discours prononcé par M. Lebeau en faveur des dix-huit articles, et n'y voit que mensonge et déception. Sans s'attaquer aux actes du deuxième ministère de Lebeau, il se résume en ces termes:

« Voilà, Messieurs, les titres du sieur J. Lebeau à votre indulgence ! Non, Messieurs, point d'indulgence pour un ministre, alors qu'il est accusé d'avoir porté une .main sacrilège sur notre pacte social, alors surtout que cette violation est tellement flagrante que personne n'ose le contester, pas même les journaux stipendiés par le gouvernement. De l'indulgence, Messieurs! et pour qui? Pour un ministre qui vous brave sans cesse, pour un ministre qui a provoqué lui-même l'accusation sur laquelle vous avez à délibérer. Non! point d'indulgence. » Après avoir rappelé la conduite de M. Van Maanen et la condamnation du juge de paix de Couvin, pour extradition illégale, et cité un discours prononcé par M. Surlet de Chokier, l'orateur continue :

«  A mon tour, je vous dirai, Messieurs : serons-nous des sentinelles moins vigilantes pour la conservation de  notre pacte social que le roi Guillaume que nous avons chassé, que le ministère Van Maanen, si odieux aux (page 64) Belges, que le procureur criminel et la cour d'assises de Namur, que Charles X lui-même, sous le règne duquel le procureur du roi et le tribunal de Rocroy ont flétri l'extradition? Serons-nous des sentinelles moins vigilantes que les petits États de l'Allemagne, qui, au milieu de tous les éléments du despotisme, n'hésitent pas à mettre leurs ministres en accusation pour des violations moins évidentes de leur Constitution?

« Vous ne consentirez pas, Messieurs, à jouer le rôle ignoble de la majorité hollandaise aux États-Généraux. .

« Vous ne vous exposerez pas à l'anathème qui .a retenti dans toute la Belgique contre la décision que cette majorité a prise au sujet de l'expulsion de Fontan, qui compromettait bien moins la dignité, l'honneur et la Constitution du pays.

« Messieurs, je me suis acquitté sans but personnel, comme sans arrière-pensée, du devoir sacré que m'imposait mon. Mandat ; depuis longtemps ma conscience me le dictait, et j'hésitais encore, lorsque l'insolente provocation du sieur Lebeau m'a donné la force de vaincre toutes mes répugnances.

« J'ai rempli ma tâche ; la vôtre commence, vous saurez l'accomplir.

« La nation attend avec anxiété l'issue de cette grave discussion; quel qu'en soit le résultat, elle aura au moins la conviction qu'il y aura toujours en Belgique des hommes qui sauront remplir leur devoir, sacrifier leur repos, leur vie même, pour le bonheur du peuple ct pour le maintien de ses droits. »

Le défenseur de M. Lebeau s'attacha d'abord à faire (page 65) ressortir le but de l'accusation et à faire sentir quel en serait l'effet sur le public.

. « J'ai besoin, dit M. Nothomb, de me faire illusion, j'ai besoin de me rappeler que tout est grave dans vos discussions, pour donner à la question qui vous est soumise un caractère sérieux et des proportions qui puissent la rendre digne de vous et de vos débats. Ce n'est pas que l'attaque dirigée contre mon honorable ami, le ministre de la justice, m'étonne ; ce qui m'étonne, ce qui fera l'étonnement du pays et de l'étranger, c'est l'objet de cette attaque. Après de si longs dissentiments politiques, pouvait-on s'attendre à voir l'opposition se heurter à une question de droit privé, importante sans doute en temps ordinaire, mais secondaire, mesquine à côté des grands intérêts que nous avons débattus, à côté des destinées de la révolution dont nous avons été les arbitres.

« Lorsque, dans la séance du 14 de ce mois, M. Gendebien se réserva de proposer la mise en accusation du ministre de la justice, il s'exprimait ainsi: Les griefs ne me manquent pas, et si mes collègues veulent en ajouter quelques uns à celui qui fera la base de mon acte d'accusation, nous pourrons nous concerter, afin que l'acte soit. complet. D'après cet engagement de M. Gendebien, je m'attendais à voir inculper, non un acte isolé et presque administratif de M. Lebeau, mais la vie politique tout entière de mon honorable ami ; je pensais que nous étions arrivés au jour des grands comptes, espèce de jugement dernier que nous a prédit M. de Robaulx.

« M. Gendebien a voulu réparer aujourd'hui cette faute : violant le règlement dont M. le président aurait pu exiger l'observation, violant tous les principes de la (page 66) procédure criminelle que l'honorable député doit connaître, il s'est occupé de tout, sauf de son acte d'accusation; il vous a fait l'histoire de M. Lebeau et de la révolution, et quelle histoire! Le recuei1 de toutes les dégoûtantes absurdités que nous entendons depuis trois ans, et qui ont été réfutées à satiété. Je ne remuerai point cet amas d'erreurs, d'injures, qu'on s'est plu à accumuler : l'accusé, ce n'est plus M. Lebeau, c'est la majorité de cette Chambre; l'accusation a même reçu un effet rétroactif; on a traduit à votre barre la majorité du Congrès et la majorité de la législature qui l'a suivi. Je n'ai pas à répondre à ces accusations ; moi-même je suis accusé par l'honorable préopinant d'être l'auteur d'un ouvrage sur la révolution, crime d'un nouveau genre, sans doute ; je le remercie de vous l'avoir rappelé: j'ai en effet répondu d'avance à tout ce que vous a dit M. Gendebien. C'est à tel point; que je suppose qu'il se proposait de répondre à mon livre, et qu'il a saisi cette occasion pour publier sa réfutation.

« Mes amis et moi nous avions dit maintes fois : Accusez, ne calomniez point. Depuis deux ans, vous teniez en réserve l'arme la plus terrible; et c'.est à l'occasion d'un prétendu délit, sans portée, sans caractère politique, que vous nous invitez à recourir à ce que vous appelez la dernière raison du gouvernement représentatif. En réduisant de la sorte l'accusation à un fait isolé, vous vous donnez à vous-même le plus éclatant démenti ; les griefs vous ont donc manqué : battu sur les questions politiques, vous vous êtes réfugiés dans une question douteuse de légalité; et l'homme d'État sur qui depuis deux ans vous appelez toutes les haines, à (page 67) qui, dans nos grandes luttes parlementaires, vous avez imputé tous les crimes de haute trahison, que la presse a successivement condamné à parcourir toute l'échelle pénale, cet homme est à votre barre, prévenu d'un délit digne d'un commissaire de police et des débats d'un tribunal correctionnel.

« Comme ami de M. Lebeau, je le félicite de cette accusation; comme ami de mon pays, comme ami des institutions nationales que j'ai aidé à fonder, j'en suis affligé. Après les deux mémorables procès dont la restauration et la révolution de France nous ont légué le souvenir, quel spectacle offrons-nous à l'Europe? Nous parodions ce qu'il y a d'extrême, ce qu'il y a pour ainsi dire de tragique dans la vie parlementaire. Craignons les conséquences de cette profanation : on ne profane point un principe impunément. Alors surtout qu'une réaction s'opère dans les esprits, l'opposition a besoin d'être modérée et circonspecte : les attaques irréfléchies contre les gouvernements affaiblissent,. déconsidèrent les libertés publiques, en procurant au pouvoir des succès trop faciles et en le fortifiant outre mesure.

Voyez la presse: par son mépris des hommes et des principes, par l'inconstance de ses doctrines, par ses accusations forcenées ou frivoles, par son système de dénigrement et d'incrédulité, elle s'est frappée d'impuissance. C'est un malheur que cette impuissance de la presse, réduite pour longtemps parmi nous à un rôle secondaire ; l'impuissance de la tribune serait un plus grand malheur : le gouvernement représentatif manquerait d'une de ses bases ; il faut que la tribune reste debout, respectée, à côté du trône.

(page 68) « Quelle que soit l'issue de cet étrange incident, la nation y rattachera un souvenir accablant pour quelques hommes. Elle en tirera cette conséquence, que, sommés de formuler leur accusation, les adversaires de mon honorable ami se sont prudemment désistés de leurs prétendus griefs politiques, heureux de pouvoir; en désespoir de cause, se retrancher dans une accusation en quelque sorte privée.

« Cette accusation, Messieurs, je viens la discuter devant vous, en vertu d'un mandat que je dois à une amitié dont je m'honore, que je revendiquerai surtout au jour du danger; mandat qui ne m'est point imposé et que je n'aurais point hésité à emprunter à mon seul devoir de député. »

Le défenseur cherche ensuite à démontrer que la loi du 28 vendémiaire an VI, sur l'expulsion des étrangers, était demeurée en vigueur, et, qu'au défaut d'une loi spéciale sur l'extradition, le ministre a fait dériver le droit d'extradition du droit d'expulsion, à l'exemple du gouvernement impérial, du gouvernement des Pays-Bas, du gouvernement provisoire dont M. Gendebien avait fait partie, et du ministère précédent ; il cite de nombreuses extraditions opérées sans réclamations à ces diverses époques. Il essaye, en terminant, de caractériser la conduite politique de M. Lebeau:

« Il me resterait, dit-il, si je le croyais nécessaire, à user d'un dernier droit que l'on ne refuse jamais à la défense ; je pourrais vous parler du prévenu lui-même, vous dire quel est cet homme si étrangement méconnu, vous raconter ce qu'il a fait avant la révolution pour la préparer, depuis la révolution pour la consolider; (page 69) j'aurais même pu me borner à énumérer les grands et incontestables services qu'il a rendus, et vous dire :Voilà ce que le prévenu a fait pour son pays, condamnez-le.

« En commençant, j'ai exprimé mon étonnement de voir l'accusation réduite à un seul acte; j'ai peut-être montré trop d'étonnement : l'accusation, Messieurs, n'est qu'un prétexte; c'est l'homme tout entier, c'est le système dont il est devenu parmi nous la personnification qu'on voudrait condamner, qu'on voudrait flétrir. Un des premiers, mon honorable ami a compris qu'il est un point où les révolutions doivent s'arrêter, transiger même, sous peine de périr. Cette vérité, il l'a mise en action; voilà son crime. Il ne s'est point dissimulé les difficultés de la tâche qu'il assumait; il savait qu'il aurait à la fois à lutter contre les deux extrêmes qui se retrouvent partout; qu'il aurait pour adversaires, et ceux qui voudraient faire rétrograder la révolution jusqu'à la restauration, et ceux qui, contre leurs intentions sans doute, l'auraient précipitée dans la guerre générale et l'anarchie. Il a accepté cette double lutte et vous avez admiré le courage avec lequel il l'a soutenue.

« Et cependant vous n'avez été témoins, Messieurs, que des combats publics ; il est d'autres combats, plus pénibles encore, ce sont ceux qu'on se livre à soi-même dans ces accès de découragement et de dégoût qui viennent saisir l'homme politique dans son cabinet, au sein de sa famille; tourments qui fortifient quelques organisations d'élite, qui plus souvent brisent leurs victimes ; car les outrages de la tribune et de la presse viennent retentir jusqu'au foyer domestique et détruire (page 70) tous les charmes de la vie privée. Et est-il une accusation que la tribune, que la presse se soient interdite? Dans cette enceinte, les expressions les plus fleurissantes, les comparaisons les plus odieuses n'ont pas été punies par un rappel à l'ordre ; en dehors de cette enceinte, la presse a tout osé; elle s'est vautrée dans la calomnie; elle a épuisé, contre l'homme qu'on vous dénonce, toutes les ressources de la langue.

« Tel est, depuis deux ans, le sort de mon honorable ami : s'il défend la révolution, ce n'est pas pour le bien matériel qu'elle lui a fait; il a eu ses jours de dangers, il a attaché son nom à la monarchie belge ; et cependant le gouvernement provisoire et le régent ont été seuls jugés dignes d'une récompense nationale; c'est à peine s'il. a accepté une modeste part dans la splendide moisson judiciaire, et cependant il pouvait tout demander ; il ne s'est pas même permis la tentation d'aspirer à une haute position dans la magistrature. Il est sorti une première fois du ministère comme il y était entré; je me trompe: il en est sorti les mains vides, mais l'âme navrée; il en est sorti exténué par sa victoire même.

Lorsque les forces sont revenues à cet homme dont l'existence avait été si cruellement flétrie, le monarque lui a fait un appel dans des circonstances difficiles : il a répondu à cet appel ; et depuis un an, placé il la sommité sociale, il touche le modeste traitement de 5,000 francs[13]; c'est de fait pour lui la brillante compensation attachée au rôle de chef du cabinet belge.

(page 71) « Mais, lui a dit, dans une de nos dernières séances, un honorable député: « Le pouvoir vous console de tout, bien que vous n'ayez la confiance de personne~ ni dans le pays, ni à l'étranger. » »  

«  Non, le pouvoir ne console pas de tout,  il n'est rien par lui-même; il n'est quelque chose que pour celui qui a le courage de s'en servir pour faire le bien, et un bien qui reste. Il devient alors le plus actif instrument de prospérité publique et de renommée personnelle. C'est à ce titre que mon honorable ami s'est dévoué à la monarchie nouvelle. Il se console, parce qu'il n'a rien à expier clans le passé, rien à redouter de l'avenir; en face d'un gouvernement tout-puissant, il l'a bravé ; en face de passions populaires toutes-puissantes, il les a également bravées : dans l'une et l'autre lutte, il a été lui-même. Il se console, parce qu'en dépit des dénégations les plus hautaines, il se sent fort de la véritable confiance du pays et de l'étranger, confiance qui ne se manifeste pas par des acclamations bruyantes, mais par des faits. Il se console, parce qu'il est convaincu qu'il est des minorités qui aspirent en vain à devenir majorité, c'est à dire pouvoir ; qu'il est des hommes qui, s'ils venaient par un accident parlementaire à saisir le pouvoir, ne pourraient le conserver vingt-quatre heures qu'en se reniant eux-mêmes, qu'en abjurant leurs antécédents, qu'en acceptant les conditions d'ordre que nous avons posées et sans lesquelles il n'y a pas de gouvernement possible pour la Belgique, de Belgique possible pour l'Europe : ce sont ces hommes qui n'ont la confiance ni du pays ni de l'étranger ; le jour de leur triomphe, le jour où vous leur diriez: voilà le pouvoir, (page 72) il est à vous, prenez-le ; ce jour serait pour eux celui d'une éclatante abjuration. Il se console enfin, parce que, selon les belles expressions d'un homme d'État dont la trop courte vie laissera un impérissable souvenir, il n'attend pas sa récompense d'une vaine et passagère popularité : il attend le prix du combat, sa destinée, la seule qui l'intéresse, la destinée de son nom, du temps qui fait justice à tous.

« Je me trompe, Messieurs; en ce jour, vous devancerez, pour lui, les arrêts du temps: vous ferez justice à tous. »

Sur les instances du défenseur, l'assemblée se déclara en permanence; et, après avoir encore entendu quelques orateurs et une réplique de M. Gendebien, elle passa à l'ordre du jour à la majorité de 53 voix contre 18[14].



[1] Voyez chap. XVII, t.. I, p. 286, et chap. XVIII, t.. I, p. 296.

[2] Par exemple la question du syndicat d'amortissement. Voyez chap. XIV,

t. I, p. 259.

[3] Avant l'ouverture officielle de la négociation, la Conférence avait officieusement reçu des plénipotentiaires néerlandais communication des deux projets de traité, l'un entre la Hollande et les cinq cours, l'autre entre la Hollande et la Belgique. La Conférence en fit l'objet d'un examen particulier à la suite duquel elle maintint en principe que les vingt-quatre articles du 14 octobre 1831 serviraient de base aux négociations. (Récit de la négociation, 1e séance, 15 juillet 1833, p. 1 de l'édition du Foreign-Office.) (Note de la 4°e édition.)

[4] Il fut décidé, 5° que l'on conclurait deux traités: l'un entre la Hollande et les cinq puissances pour poser le principe de la dissolution du royaume des Pays-Bas,.l’autre entre la Hollande et la Belgique pour régler les conditions de cette dissolution. Cette décision avait déjà été prise par les protocoles 65, du 11 juin, et 67, du 10 juillet 1831, auxquels sont annexés les projets de deux traités de ce genre. (Récit de la négociation, 1er séance, 15 juillet.) (Note de la 4° édition.)

[5] Chap. XIV, p. 246.

[6] Les plénipotentiaires néerlandais avaient proposé d'ajouter à l'article 7 un § 2, ainsi conçu: « Il est entendu que la Belgique ne pourra jamais et en aucun cas se prévaloir de sa neutralité pour manquer aux obligations résultant du présent traité. » Addition que les plénipotentiaires belges repoussèrent comme inutile et comme tendant à inculper la bonne foi de la Belgique. (Récit de la négociation, 14e séance, 6 août.) (Note de la 4e édition.)

[7] Les plénipotentiaires néerlandais manifestèrent le désir qu'il fût ajouté à l'article 17, relatif aux séquestres, un § portant que l'on comprendrait dans les biens de la maison de Nassau, en Belgique, la part du Roi dans la Banque de Bruxelles, ainsi que la rente annuelle à payer à ce prince, conformément aux statuts de ladite Banque. Les plénipotentiaires belges firent la réponse suivante: « Le gouvernement belge n'entend pas faire aux biens particuliers que la maison de Nassau possède en Belgique l'application des principes du droit politique. Toutefois, la levée du séquestre ne peut s'étendre qu'aux biens et revenus acquis à titre particulier ; mais ceux dont le prix a été payé avec les fonds du trésor du royaume des Pays-Bas, ainsi que ceux qui n'ont d'autre origine que la liste civile, une dotation, etc., resteront la propriété du gouvernement belge. - Quant aux biens acquis et payés pal' la maison de Nassau, dans la vue d'agrandir et d'embellir le palais et les dépendances de Laeken, le gouvernement belge en remboursera le prix, conformément aux actes d'acquisition ou d'après une expertise contradictoire. » (Extrait du récit de la négociation, 14e séance, 6 août.)

Par le traité de La Haye du 5 novembre 1842,.la Belgique accorda la levée du séquestre de la manière la plus large. (Note de la 4e édition.)

[8] Les plénipotentiaires belges proposèrent d'intercaler entre le 21e et le 22e article une disposition portant reconnaissance de la validité des jugements .rendus et des actes passés depuis le commencement de la révolution dans les parties du Luxembourg et du Limbourg destinées à rentrer sous la domination du roi Guillaume. La Conférence a paru approuver cette disposition et l'a soumise à l'adhésion des plénipotentiaires néerlandais. (Récit de la négociation, 9e séance, 29 juillet; 14e séance, 6 août 1833.)

Cette déclaration de la validité des actes était nécessaire, surtout dans le grand-duché de Luxembourg, les autorités grand-ducales réfugiées dans la forteresse ayant annoncé qu'elles considéreraient comme de nulle valeur les contrats passés pendant l'occupation belge devant les notaires et les jugements rendus par les tribunaux. (Note de la 4e édition)

[9] Ce n'est pas sans peine que les plénipotentiaires néerlandais approuvèrent et paraphèrent l'article portant stipulation de paix ct de bonne intelligence entre les deux Rois, leurs héritiers et successeurs ; ils demandèrent la suppression des mots leurs héritiers et successeurs et des expressions de bonne amitié ; la Conférence proposa de substituer à ces derniers mots, qui semblaient répugner à Sa Majesté néerlandaise, ceux de bonne intelligence, et se refusa à la première suppression ; il. fallut enfin menacer les plénipotentiaires néerlandais de rompre les négociations. (Récit de la négociation, 13e séance, 2 août.) C'est cet article qui renferme la reconnaissance du roi Léopold et de sa dynastie. (Note de la 4° édition.)

[10] Cette communauté de surveillance qui crée pour l'Escaut un régime exceptionnel sans lequel la liberté de navigation eût été illusoire, avait été expressément admise par le § 2 de l'article IX du traité du 15 novembre 1831 ; elle était considérée comme attentatoire à ses droits de souveraineté par le gouvernement néerlandais qui voulait qu'il y eût deux Escaut, l'un, néerlandais, régi exclusivement par lui de Flessingue à Bath (18 lieues), l'autre, belge, de Bath à Anvers (4 lieues). Ce fut un des motifs principaux du roi Guillaume pour justifier son refus d'accéder aux vingt-quatre articles; cette disposition fut une de celles qu'il dénonça avec le plus de force à l'empereur Nicolas, qui en réserva la révision dans sa ratification du traité. La longue résistance du gouvernement néerlandais, qui ne s'est résigné qu’après sept ans d'opposition, atteste précisément la valeur de l'exception.

La Hollande a longtemps prétendu qu'en vertu de sa souveraineté comme riveraine, elle avait le droit de fixer le montant du péage, s'engageant seulement à exiger un péage modéré; elle n'a pas reproduit cette prétention en 1833; mais en acceptant la fixation dans le traité, elle voulait que la perception se fît à Flessingue. (Récit des négociations, p. 6.) Les plénipotentiaires belges proposèrent, dans la séance du 29 juillet 1833, Anvers comme lieu de perception, ce lieu offrant le seul moyen d’exécuter la clause relative à la libre navigation sans visite des navires ni examen de cargaison. (Récit, p. 8.)

La Hollande revendiquait le pilotage exclusif de Flessingue à Bath, n'attribuant à la Belgique que celui de Bath ou de Lillo à Anvers et vice versa.

Dans la réunion de la Conférence, le 25 juillet 1838, les plénipotentiaires néerlandais persistèrent à protester contre l'admission des Belges à la pêche, dans l'Escaut inférieur, considérant cette faculté comme attentatoire aux droits de souveraineté de la Hollande en qualité de riveraine. (Récit, p. 6.)

Il fut même un temps où le gouvernement hollandais prétendait qu'il ne fallait pas s'occuper de l'Escaut dans le traité à conclure avec les cinq grandes puissances, cette question étant purement intérieure ; dans sa protestation du 21 juillet 1831 contre les dix-huit articles, il déclarait que, bien que disposé à ouvrir sans délai une négociation pour régler la libre navigation de l'Escaut, il ne saurait en cette négociation accepter les bons offices d'autres puissances. .

Tous ces prétendus attentats à la souveraineté de la Hollande ont été couverts depuis par la signature du traité du 19 avril 1839.

Quelque vitale que soit cette question de l'Escaut pour la Belgique, quelque grave qu'elle soit surtout depuis la capitalisation du péage qui devait être perçu à Anvers sans qu'il fût permis d'arrêter sous aucun prétexte les navires dans le trajet et depuis la capitalisation de la rente annuelle de 400,000 florins tenue en réserve comme garantie, il serait fastidieux d'entrer ici dans plus de détails; nous renvoyons ci-après aux documents politiques, où nous constatons la position prise dès 1832 par la diplomatie belge.

L'article IX du traité du 15 novembre '1831, devenu l'article IX renforcé du traité du 19 avril 1839, a reçu des développements dans l'exécution ; pour rendre tout arrêt impossible de la pleine mer à Anvers et vice versa, le traité de La Haye du 5 novembre 1842, par son article 16, a affranchi les navires de toute formalité par rapport aux douanes néerlandaises ; le règlement du 20 mai 1843 a été jusqu'à prescrire, par son article 56, que les navires suspects sous le rapport sanitaire pourraient seulement être obligés d'admettre à leur bord un garde de santé sans entrave ni retard. Le principe dominant a constamment été que sous aucun prétexte un navire ne pourrait être arrêté de la mer à Anvers ni d'Anvers à la mer.

Soutenir aujourd'hui qu'il y a des cas non prévus où les autorités hollandaises, agissant isolément, ont le droit d'arrêter et même de capturer un navire de Bath à la mer et de la mer à Bath, c'est rétrograder, c'est au fond revenir à une doctrine que le roi Guillaume le a vainement cherché à faire prévaloir, c'est rouvrir un débat clos irrévocablement par le traité du 19 avril 1839.

Si même ce traité avait consacré des dérogations à la souveraineté hollandaise, il serait vrai de dire que la Belgique a payé ces exceptions; elle a eu même la générosité de se dessaisir du gage, confiant qu'elle était en la bonne foi de sa voisine dans laquelle elle s'est toujours plu à ne pas voir une rivale. (Note de la 4° édition.)

[11] Toute tentative pour obtenir une réduction de la quote-part de la dette fixée par le traité du 15 novembre 1831 à une rente annuelle de 8,400,000 florins eût été vaine en 1833. Aussi les plénipotentiaires belges ne l’essayèrent-ils pas. Ils réclamèrent la remise des arrérages en soutenant même que ce serait une indemnité insuffisante des armements extraordinaires que l’attitude de la Hollande avait forcé la Belgique de maintenir. Ils déclarèrent ne pas être en mesure d'indiquer la compensation à demander pour la renonciation à la liquidation du syndicat d'amortissement. (Récit de la négociation, 6 août, p. 12.) La quote-part de là dette imposée en 1831 ne fut sérieusement contestée qu'en 1838. (Note de la 4e édition.) T. II. . 1)

[12] L'un des plénipotentiaires néerlandais, le baron Verstolck van Soelen, ayant de son côté, en sa qualité de ministre des affaires étrangères, présenté aux États-Généraux à La Haye, le 24 octobre, un rapport en quelques points inexact ; la Conférence, dans sa séance du 2 novembre, résolut de faire dresser elle-même un récit de la négociation, récit qu'elle approuva dans sa 18e séance le 15> novembre, qui confirme l'exposé des plénipotentiaires belges et auquel nous nous sommes référé. Ce récit très simplement écrit a été imprimé in-folio par les soins du Foreign-Office et clôt le 20 volume in-4° du recueil du ministère des affaires étrangères de France. (Note de la 4e édition.)

[13] L'article 103 de la Constitution s'oppose à ce qu'un juge exerce d'autres fonctions si ce n'est gratuitement. Quelque temps après, M. Lebeau donna sa démission de conseiller de la cour d'appel de Liége.

[14] Ont voté pour la prise en considération: MM. Dams, H. de Brouckere. de Renesse, de Robaulx, Desmaisières, Desmet, d'Huart, Doignon, Dubus, Dumortier, Ernst, Fleussu, Gendebien, Jadot, Julien, Pirson, Seron et Vergauwen.

Ont voté contre: MM. Beckaert, Boucqueau-de-Villeraie, Brixhe, Coghen, Cols, Coppieters, Davignon, de Foere, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, Deman, W, de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Stambier, de Terbecq, de Theux, Devaux, Dewitte, d'Hane; Dubois, Dugniolle, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Hye-Hoys, Lardinois, Legrelle, Milcamps, Morel-Danneel, Nothomb, Olislagers, Pollénus, Poschet, A. Rodenbach, Schaetzen, Simons, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Vanderheyden, Verdussen, II. Vilain XlIII, Vuylsteke, Wallaert, Zoude et Raikem.