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« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR LA RÉVOLUTION BELGE »

 

       Par Jean-Baptiste Nothomb

 

 

CHAPITRE XII – Inauguration du Roi et clôture du Congrès – Nouveau ministère – Invasion hollandaise et première intervention française

 

(page 212) Le Congrès, après avoir, dans sa séance du 9 juillet, adopté les propositions de la Conférence, chargea cinq de ses membres[1] de se rendre à Londres pour remettre ce décret au prince Léopold; Son Altesse Royale reçut les députés le 11 juillet; fidèle à sa parole et sans attendre la résolution du roi Guillaume, elle fixa le jour de son départ et régla son itinéraire; la nouvelle de l'acceptation définitive arriva à Bruxelles le 14, à huit heures du matin.

Le 16, le prince Léopold quitta Londres; le 21, il fit son entrée à Bruxelles; le même jour, le premier roi des Belges, dont l'élection venait d'être ratifiée par les acclamations populaires, fut solennellement inauguré au sein du Congrès, dont les travaux se trouvèrent ainsi glorieusement terminés.

Le surlendemain, le Roi recomposa le ministère dissous par la retraite du régent et par la démission (page 213) volontaire des deux hommes qui avaient été les chefs du précédent cabinet[2].

(page 214) Le 21 juillet fut une époque d'illusion et de bonheur, et nous ne pouvons nous empêcher d'y reporter un moment nos souvenirs; la révolution n'avait rien perdu ni de son prestige, ni de sa puissance; la gloire des journées de septembre était entière; la Belgique venait de dicter des conditions à l'Europe et de recevoir les serments du roi de son choix; le passé était sans tache, l'avenir apparaissait sans nuages. Mais, hélas! il nous restait à subir une épreuve à laquelle n'échappent ni les peuples ni les individus, l'épreuve de l'adversité, qui, au jour marqué, vient troubler les fêtes des nations comme celles des familles; et, si nous n'avons pas succombé, c'est grâce à la royauté que nous avions eu la sagesse d'associer à nos destinées. Il n'est pas de nation qui n'ait eu ses jours de malheur et même d'humiliation; l'histoire pardonne les revers, mais ce qu'elle ne pardonne point, c'est le manque de foi, c'est la violation d'engagements sacrés; la véritable gloire désavoue celui qui n'a dû ses succès qu'à la surprise et à la déloyauté. Les duels entre peuples comme entre particuliers ont leurs lois; et ces lois, on ne les viole pas impunément.

Il nous importe donc de retracer les circonstances qui ont accompagné l'irruption hollandaise; laissant de côté les détails stratégiques, nous n'avons à nous (page 215) occuper que de la partie politique et pour ainsi dire morale de la campagne du mois d'août.

La Belgique et la Hollande étaient placées, depuis le mois de novembre 1830, sous l'empire d'une suspension d'armes que l'une et l'autre avaient acceptée sans lui assigner de terme et dont les cinq puissances s'étaient portées garantes.

La Hollande a-t-elle dénoncée la reprise des hostilités?

L'a-t-elle dénoncée à la Belgique? Non; et elle ne le devait pas, dira-t-on; le roi Guillaume ne pouvait pas traiter avec les Belges, qui n'étaient pour lui qu'un rassemblement de rebelles ; le général Chassé, qui avait conclu une capitulation particulière relativement à la citadelle d'Anvers, dut se borner à remplir les obligations résultant pour lui de cet acte, d'après les usages militaires.

La reprise des hostilités a-t-elle été dénoncée à la Conférence?

Non; la Conférence en a reçu la première nouvelle par les journaux; rappelons en peu de mots quels avaient été ses derniers rapports avec le cabinet de La Haye[3].

(page 216) Le 21 juillet, le roi Guillaume avait protesté contre les dix-huit articles, en déclarant que si le prince Léopold prenait possession du trône, il ne pourrait le considérer que comme placé dans une attitude hostile et comme son ennemi[4].

Le 25 juillet, la Conférence avait, en réponse à cette (page 217) protestation, invité le gouvernement hollandais à ouvrir une négociation, pour parvenir à un traité définitif; elle avait en même temps rappelé tous les engagements résultant de la suspension d'armes: « Garantes de la suspension d'armes, disait-elle, qui a eu lieu dès le mois de novembre, les cours sont tenues, par des engagements solennels qui subsistent dans toute leur force, de prévenir une reprise d'hostilités. »

Le 1er août, le gouvernement hollandais répondit à cette communication en déclarant qu'il consentait à l'ouverture d'une nouvelle négociation: cette réponse arriva à Londres le 3 août[5]; la veille, les hostilités avaient été reprises en Belgique sur toute la ligne.

Il est bien vrai que la note du 1er août renfermait le passage suivant: « Selon les intentions du Roi, je me trouve dans le cas d'ajouter que Sa Majesté s'est déterminée à appuyer la négociation par des moyens militaires; détermination devenue doublement impérieuse depuis les derniers événements qui viennent de se (page 218) passer en Belgique, où l'on a vu un prince se mettre en possession de la souveraineté, sans avoir préalablement satisfait aux conditions fixées par la Conférence dans les 12e et 19e protocoles, et jurer sans restriction une constitution dérogeant aux droits territoriaux de Sa Majesté et de la Hollande. » Mais peut-on voir dans ce passage une dénonciation préalable? Qu'est-ce qu'appuyer une négociation par des moyens militaires? Depuis quand peut-on à la fois chercher la solution des mêmes difficultés par la guerre et par les négociations, par la force et par le raisonnement? Est-ce que l'un de ces moyens n'exclut point l'autre? .

On ne pouvait donner qu'un sens raisonnable à la note du 1er août, c'était de supposer que la gouvernement hollandais, tout en négociant, entendait continuer ses armements à l'intérieur; c'est l'interprétation que la Conférence adopta dans sa note du 5 août, ainsi conçue :

« Par la lettre que Votre Excellence nous a fait l'honneur de nous adresser le 1er août, elle veut bien nous prévenir qu'il entre dans les intentions du Roi, son auguste maître, d'appuyer par des mesures militaires les négociations que ses plénipotentiaires sont chargés d'ouvrir à Londres.

« Nous aurions pensé que ces mesures ne seraient adoptées que dans l'intérieur du territoire de la Hollande, si le bruit public ne nous apprenait qu'elles ont été étendues au delà de ses frontières, que les hostilités ont été reprises contre les Belges, d'après les ordres du Roi et que l'armistice qui avait été établi à Anvers venait d'être dénoncé.

(page 219) « N'ayant pu obtenir des plénipotentiaires néerlandais aucune explication de ces faits, nous nous refusons encore à croire que le Roi, au moment même où il nous faisait communiquer son intention de négocier un traité de paix définitif, ait pris la résolution de rallumer la guerre et d'amener la destruction d'une ville de commerce: événement déplorable en lui-même et qui risquerait, par les sentiments de haine et de vengeance qu'il ferait naitre, de rendre presque impossible la conclusion de cette paix désirée par Sa Majesté et par la Hollande.

« Votre Excellence connaît les motifs d'intérêt général qui ont porté les cinq puissances, dès le mois de novembre, à établir une suspension d'armes entre la Hollande et la Belgique. Elle connaît les engagements qui subsistent à cet égard entre les cinq cours et que mentionnait en termes exprès la lettre que nous avons eu l'honneur, Monsieur le baron, de vous adresser le 25 juillet dernier. Ces motifs et ces engagements sont les mêmes aujourd'hui. Le repos de l'Europe s'y rattache. Nous espérons qu'il suffira de les rappeler ici et que Votre Excellence ne manquera pas d'obtenir du Roi les ordres nécessaires pour que toutes les hostilités cessent sans aucun délai, pour que les troupes de Sa Majesté rentrent dans les frontières de son territoire et pour que la ville d'Anvers ne soit pas exposée à une catastrophe infiniment regrettable. »

 

Les partisans du gouvernement hollandais objecteront que la suspension d'armes n'avait été, en novembre 1830, qu'une mesure préliminaire, que cet état de choses était (page 220) destiné à être régularisé par l'armistice, que l'armistice n'ayant pas été exécuté, la cessation des hostilités ne s'était prolongée que de fait; que plusieurs fois, et notamment en répondant au protocole du 21 mai, la Hollande avait manifesté l'intention de reprendre les armes. Tout cela serait vrai, qu'une des parties n'aurait pas eu le droit d'assigner seule un terme à la suspension d'armes; et si elle avait eu ce droit, encore aurait-elle dû fixer ce terme à l'avance et d'une manière expresse.

Nous avons dit que le général Chassé avait formellement dénoncé la reprise des hostilités en ce qui concernait la ville d'Anvers; la capitulation du 5 novembre 1830 prescrivait un délai de trois jours; la suspension d'armes devait expirer à Anvers le 4, à neuf heures du Soir.

Dès le 2, au matin, les Hollandais s'étaient emparés du Capitalendam et de l'écluse de Verlaat (Flandre). Le 3, ils occupèrent la ville de Turnhout (province d'Anvers).

La lettre du général Chassé arriva à Bruxelles le 2, vers trois heures et demie de l'après-midi; le Roi était à Liége et il reçut la même lettre vers la même heure. Les ministres restés à Bruxelles se bornèrent à inviter M. Le Hon à porter le fait à la connaissance du gouvernement français; M. Van de Weyer fut chargé de faire la même notification à la Conférence. Le Roi, de son côté, fit écrire par M. Lebeau à M. Le Hon de réclamer le secours d'une armée française; cette deuxième lettre ne fut pas transmise à Londres[6].

(page 221) M. Le Hon reçut la lettre de Bruxelles le 3, à sept heures du soir, celle de Liége le 4, à huit heures du matin; le ministère français, qui était sur le point de se dissoudre, se reconstitua aussitôt et l'intervention française fut spontanément résolue; cette nouvelle parvint à Bruxelles le 5, au soir[7].

(page 222) L'armée française n'est entrée en Belgique que le 10 août; elle aurait pu y entrer plus tôt; nous dirons en peu de mots les causes de ce retard.

L'article 121 de la Constitution porte qu'aucune troupe étrangère ne peut occuper ou traverser le territoire qu'en vertu d'une loi. Cette loi n'existait pas, et le Congrès, qui encore représentait éventuellement les Chambres, n'était pas réuni.

Et ici se présentait une singulière alternative: permettre aux troupes françaises d'intervenir sans attendre que l'armée belge eût combattu, c'était s'exposer à entendre dire: Vous avez violé la Constitution et déshonoré l'armée. D'un autre côté, attendre la défaite de l'armée, pour permettre aux troupes françaises d'intervenir, c'était s'exposer à cet autre reproche : Vous deviez connaître l'état de l'armée et lui épargner une défaite; pourquoi n'avez-vous pas violé la Constitution?

Dans cette alternative, le ministère belge a cédé à des sentiments d'amour-propre et à des considérations de légalité; avant de se porter à violer la Constitution, il a voulu que la nécessité eût prononcé.

Dès la première nouvelle de la reprise des hostilités, le Roi avait projeté la jonction des armées de l'Escaut et de la Meuse: jonction qui aurait eu pour premier résultat d'arrêter la marche des ennemis. Le Roi fut jusqu'au 8 sans troupes régulières; le 8, il parvint à se (page 223) réunir à l'armée de l'Escaut, près d'Aerschot; Il attendait l'armée de la Meuse et il fit part en ces termes de ses projets et de ses espérances au général Belliard[8].

« Aerschot, le 9 août 1831

« MON CHER GÉNÉRAL,

« Je suis arrivé ici d'assez bonne heure. J'ai pris 1,500 gardes civiques de différents cantons et 20 gendarmes, et je me suis rendu avec toutes les précautions militaires à Westmeerbeek, assez près de Westerloo. Là, j'ai eu le bonheur de me réunir à Tieken : ce général, que j'ai amené ici, a à peu près 13,000 hommes sous les armes. J'ai été reçu par la troupe, qui était fatiguée à mort, avec des acclamations et une joie extrême. Je pense réunir ici demain matin, pour enlever Montaigu et marcher vers Daine, qui paraît avoir eu des succès, environ 17,000 hommes et une vingtaine de canons.

« Je respire à présent, ayant ce bon gros bataillon qui est animé du meilleur esprit.

« Les circonstances se trouvant si favorables, je crois qu'il est urgent d'arrêter le mouvement du maréchal Gérard: le sentiment est extrêmement fort dans l'armée, et je le trouve naturel, de combattre sans secours étranger.

« Je pense que, pour la bonne harmonie entre les puissances, il est absolument désirable de ne faire marcher (page 224) le maréchal que lorsque l'urgence des circonstances le demandera.

« Veuillez me croire, mon bien aimé comte, toujours votre

« sincèrement dévoué ami,

« LÉOPOLD. »

Le 10, le Roi donna le signal de l'attaque de Montaigu; les troupes se portèrent en avant; l'attaque allait commencer, lorsque le Roi apprit la déroute de l'armée de la Meuse. L'occupation de Montaigu, qui devait faciliter la jonction, devenait dès lors sans objet, et l'armée de l'Escaut était exposée à être coupée. A cette nouvelle imprévue, sans changer de physionomie, renfermant en lui-même tous les tourments de son âme, le Roi ordonna la retraite. Le même jour, les Français étaient entrés en Belgique; ils ne purent arriver assez vite pour dégager Louvain; le 13, l'armée hollandaise commença ses mouvements rétrogrades.

Léopold, dans sa proclamation du 4 août, avait dit à ses nouveaux concitoyens: « Chacun de nous fera son devoir. » Et il avait fait le sien: sa popularité sortit intacte de cette grande épreuve; il s'était écoulé moins d'un mois depuis l'inauguration; il y avait dans cette rapide succession des événements, dans cette inconstance de la fortune, dans ce revers après l'éclat d'un si beau jour, quelque chose qui devait toucher profondément le peuple belge. Si, à son retour à Bruxelles, le 16 août, le Roi ne retrouva pas les illusions du 21 juillet, il fut accueilli par les mêmes acclamations: il y retrouva de (page 225) plus la reconnaissance. Après la bataille de Cannes, Rome rendit des actions de grâces au consul qui n'avait point désespéré de la chose publique.

On a demandé quelles étaient les causes des désastres. du mois d'août; sans porter une accusation individuelle, on a proposé de faire une enquête générale. Ces causes cependant n'ont échappé à aucun homme réfléchi et ne seront pas un secret pour l'histoire. J'en ai déjà signalé une: la surprise.

II faut chercher les autres dans l'état même du pays: les incertitudes politiques, le relâchement de tous les liens sociaux, la confiance excessive inspirée par nos succès de septembre, le mépris de toute science stratégique, le défaut de traditions, l'absence de hautes capacités militaires, les provocations d'une presse absurde ou malveillante, voilà les circonstances qui ont assuré, en août, aux Hollandais, unis et disciplinés, une supériorité momentanée sur les Belges, surpris, désunis et indisciplinés; le courage individuel est resté sans reproche. A qui faut-il faire un crime de cette situation intérieure qui se retrouve partout au sortir d'une révolution? A personne ou à tout le monde[9].

Non content d'accuser le deuxième ministère' du régent de négligence (j'ignore pourquoi on ne remonte pas au premier ministère et au gouvernement provisoire), on a été plus loin: on a supposé je ne sais quelle (page 226) combinaison infernale, qui eût consisté à s'abstenir d'organiser l'armée, pour mettre la Belgique dans l'impossibilité de faire la guerre et pour la plier aux exigences de la diplomatie. La calomnie, du moins, ne devrait pas être absurde, elle devrait chercher un peu de vraisemblance pour colorer ses noirceurs. Les hommes politiques qui ont fait partie du deuxième ministère du régent n'ont cessé de dire, dans le cabinet comme à la tribune, qu'il fallait en même temps poursuivre les négociations et les armements; les négociations, ils en étaient spécialement chargés et ils en ont courageusement accepté la responsabilité; quant aux armements, ils devaient poser en principe: Il faut armer; là s'arrêtait leur compétence; c'était aux hommes de l'art à faire le reste, sous la direction de la responsabilité du département de la guerre. Ils avaient même poussé plus loin leur sollicitude: dès le mois d'avril 1831, ils avaient demandé au Congrès l'autorisation de faire un appel aux capacités étrangères; la proposition primitive, conçue en termes généraux, fut ramenée aux limites les plus étroites et, ainsi modifiée, elle n'obtint que deux tiers des voix. Du Congrès, l'opposition passa dans l'armée, et le régent n'osa mettre le décret à exécution. En avril 1831, on avait soulevé la question de savoir si la Belgique avait des hommes capables d'organiser la victoire[10] L'opposition répondit affirmativement, le ministère et ses amis négativement: à qui les déplorables (page 227) événements du mois d'août ont-ils donné un démenti? Qu'a-t-on fait depuis? En septembre 1831, les Chambres ont accordé au Roi l'autorisation générale qu'on avait refusée au régent en avril de la même année[11] .



[1] MM. Lebeau, comte Félix de Mérode, baron Joseph d'Hooghvorst, de Muelenaere et Fleussu.

Cette députation fut nommée au scrutin secret; M. Lebeau réunit 136 voix; les dix-huit articles n'avaient été adoptés que par une majorité de 126 voix; nous laissons au lecteur le soin de faire les réflexions que peut suggérer ce rapprochement.

 

[2] Premier ministère du Roi. 24 juillet 1831 - 17 septembre 1832.

Affaires étrangères: M. de Muelenaere ; Justice: M. Raikem. ; Finances: M. Coghen ; Intérieur: M. de Sauvage, 24 juillet-3 août, M. Ch. de Brouckere, 3 août-16 août, M. Teichman (par intérim), 16 août-25 septembre., M. de Muelenaere (par intérim), 25 septembre-21 novembre, M. de Theux, 21 novembre 1831-17 septembre 1832 ; Guerre : Le général de Failly, 24 juillet-16 août, M. Ch. de Brouckere, 16 août-15 mars, Le comte F. de Mérode (par intérim), 13 mars 1832-20 mai, Le général Évain, 20 mai 1832. Ministres d'État : M. Lebeau a été adjoint au conseil, comme ministre d'État, du 4 au 26 août 1831, M. le comte F. de Mérode a été nommé ministre d'État le 12 novembre 1831, (Note de la 1re édition.)

M. Van de Weyer, nommé ministre à Londres, remit le 2 août au roi Guillaume IV ses lettres de créance.

Le baron de Stockmar, en correspondance directe avec le Roi et constamment son intermédiaire près des ministres anglais, a été de fait le conseil de M. Van de Weyer, avec lequel il avait des rapports de confiance; il a influé sur plus d'une résolution. Son fils, dans les mémoires extraits des papiers de son père, mort à Cobourg le 9 juillet 1863 (Denkwürdigkeiten aus den Papieren des Freiherrn Ch)'istian Friedrich von Stockmar, Braunschweig, 1872), l'indique suffisamment.

M. Le Hon fut maintenu comme ministre à Paris; il y eut quelque retard dans la remise de ses nouvelles lettres de créance, qui n'eut lieu que le 3 août.

M. Nothomb resta secrétaire général du ministère des affaires étrangères, travaillant avec le Roi en l'absence du ministre, souvent même pendant sa présence à Bruxelles, que Sa Majesté quitta rarement pendant les premières années.

Le secrétaire de légation, M. Jules Van Praet, que le Roi élu avait eu l'occasion d'apprécier comme chargé des affaires à Londres après la non-réception du comte d'Arschot, fut attaché au cabinet de Sa Majesté avec le modeste titré de secrétaire; ce n'est qu'en 1839 qu'il reçut celui de ministre de la maison, sans faire partie du ministère officiel responsable. L'influence que M. Van Praet a exercée pendant un règne de plus de trente-quatre ans ne sera jamais constatée et restera ignorée de l'histoire. (Note de la 4e édition.)

[3] On a aussi invoqué des actes antérieurs à la protestation du 21 juillet; on a notamment prétendu trouver la révocation de la suspension d'armes dans les termes suivants, qui servent de conclusion à la note du 21 mai, par laquelle les plénipotentiaires hollandais ont fait part à la Conférence de la lettre écrite par M. Lebeau au baron Verstolck de Soelen :

« Sa Majesté déclare qu'à partir du 1 er juin, elle se regardera comme libre soit de coopérer aux mesures à adopter par les puissances pour réaliser enfin la séparation d'après l'annexe A du 12e protocole, soit d'agir pour son propre compte et de la manière que les circonstances lui paraîtront exiger, mais toujours dans le seul et unique but de parvenir à l'ordre de choses que l'acte de séparation a reconnu juste et convenable. »

Le gouvernement hollandais s'est fondé sur cette déclaration pour soutenir qu'il avait dénoncé la reprise des hostilités à partir du 1er juin.

Mais il est à remarquer que la Conférence, par son protocole n° 23, du 10 mai 1831, avait annoncé que si le gouvernement belge n'avait point adhéré avant le 1er juin aux bases de séparation, elle arrêterait, au nom des cinq cours, d'un commun accord, les mesures ultérieures que les circonstances pourraient exiger dans ce but. En réponse à la note hollandaise du 21 mai, la Conférence, par le protocole n° 24, rédigé le même jour, se borna à rappeler l'époque du 1er juin, fixée pour la mise à exécution des bases de séparation; la note du 21 mai n'était donc pas restée entière aux yeux de la Conférence.

Les plénipotentiaires hollandais avaient à leur tour expliqué ou modifié la note du 21 mai, par une note du 10 juin, où ils s'exprimaient de la manière suivante:

« Une chose également évidente et certaine, c'est .que les Belges ayant laissé passer le terme du 1 er juin, sans accepter les propositions de la Conférence, le Roi est, aux termes du § 4 du 22e protocole, parfaitement libre de recourir aux mesures nécessaires pour établir son autorité légitime à Venloo, par exemple, et dans tout autre district à lui appartenant et situé hors du territoire belge, déclaré neutre. » (Papers relative to the affairs of Belgium, B. 1re partie, n° 16.)

Par cette note, le gouvernement hollandais, loin d'annoncer une reprise des hostilités, considérait la Belgique proprement dite et déclarée neutre comme inviolable. (Note de la 3e édition.)

[4] La même déclaration se trouve dans une note adressée par les plénipotentiaires hollandais à la Conférence, sous la date du 22 juin 1831, note qui ne renferme aucune protestation contre l'élection du prince Léopold en elle-même, mais qui considère l'avènement du nouveau roi comme subordonné à l'acceptation pure et simple des bases de séparation. Il est encore impossible d'assimiler cette note à une déclaration de guerre. (Papers relative to the affairs of Belgium, B. 1re partie, n° 17.) (Note de la 3e édition.)

 

[5] Dans la matinée du 3 août, le baron Van Zuylen Van Nyevelt remit cette note à lord Palmerston.

Dans l'après-midi, le ministre anglais reçut la nouvelle de la reprise des hostilités et il écrivit immédiatement au plénipotentiaire hollandais pour lui manifester toute sa surprise. (Papers relative to the affaires of Belgium, B. 1er partie, n° 19.)

Le baron Van Zuylen Van Nyevelt, dans une lettre datée du 4 août, neuf heures et demie du matin, soutint que, dans l'entretien de la veille, remarquant que le ministre anglais n'ouvrait pas la lettre, il avait ajouté verbalement que son gouvernement avait l'intention de reprendre en même temps les négociations à Londres et les hostilités en Belgique, le prince Léopold ayant déclaré la guerre à la Hollande par son serment inconditionnel à la constitution, par les assurances officiellement données aux députés du Limbourg et du Luxembourg, et par la convocation des collèges électoraux dans ces deux pr0vinces. (Même Recueil, n° 20.) (Note de la 3e édition.)

[6] M. Lebeau se trouvait à Liége, où il résidait comme conseiller à la Cour d'appel; M. de Muelenaere, qui l'avait remplacé comme ministre des affaires étrangères, était à Bruges; M. Nothomb à Bruxelles; le Roi, n'étant accompagné à Liége d'aucun de ses ministres, s'adressa. à M. Lebeau, qui écrivit, au nom de Sa Majesté, à M. Le Hon, à Paris; à son retour à Bruxelles, M. de Muelenaere confirma la lettre de M. Lebeau, qui rentra le 4 août dans le cabinet avec le titre de ministre d'État; toutefois, le ministère exprimait le désir que l'entrée de l'armée française ne fût point immédiate. Il voulait que la nécessité en fût constatée; elle ne le fut que trop vite. Le ministère parvint même à faire hésiter le Roi, qui arrêta les mouvements de l'armée française.

Le défaut de qualité officielle de M. Lebeau, qui prit une courageuse initiative, et l'absence de M. de Muelenaere qui, même à son retour à Bruxelles, hésita, ont répandu sur ce grave incident une obscurité qui a embarrassé les historiens, entre autres M. Thonissen, III, 67, note.

Voyez, p.140, t. III, Révolution belge, de CH. WHITE; Léopold 1er, roi des Belges, par TH. JUSTE, I, 145, et surtout p. 55 de la Biographie de Joseph Lebeau, par TH. JUSTE. M. Lebeau, dont la lettre à M. Le Hon est rapportée p. 59, affirme avoir aussi écrit à M. Van de Weyer, à Londres.

Il faudrait de plus tenir compte des lettres restées inconnues du Roi lui-même à Louis-Philippe et à lord Palmerston. (Note de la 4e édition.)

[7] Dans la réunion du 6 août, lord Palmerston informa la Conférence que le gouvernement britannique avait donné à une division de la flotte l'ordre de se rassembler aux Dunes; le prince de Talleyrand annonça que, sur la demande du roi des Belges, le gouvernement français s'était décidé à faire marcher une armée au secours de la Belgique; la Conférence déclara que l'entrée des troupes françaises en Belgique serait regardée comme ayant eu lieu, non dans une intention particulière à la France, mais pour un objet vers lequel les délibérations communes s'étaient dirigées, que l'extension à donner aux opérations de ces troupes et la durée de leur séjour en Belgique seraient fixées d'un commun accord, que la flotte anglaise, dans le cas où sa coopération deviendrait nécessaire, agirait d'après les mêmes principes, enfin, que les troupes françaises ne franchiraient pas les anciennes frontières de la Hollande, que leurs opérations se borneraient à la rive gauche de la Meuse; que, dans aucune hypothèse, elles n'arriveraient ni à Maestricht ni à Venloo. (Protocole n° 31, du 6 août 1831.) La Conférence s'est ainsi appropriée la mesure prise spontanément par la France. Il lui a été rendu compte de la marche et de la retraite de l'armée française. (Protocoles n° 32, du 12 août, n° 33, du 18 août, n° 34, du 23 août 1831.) (Note de la 3e édition.)

[8] Un fac-simile de cette lettre est jointe aux deux premières éditions de cet ouvrage

[9] L'armée belge a éprouvé à Louvain, en 1831, le sort qu'une autre armée révolutionnaire y avait éprouvé en 1793 : qu'on lise, dans les Mémoires de Dumouriez, les détails de la capitulation de Louvain, à la suite de la bataille de Neerwinden, t. II, chap. 8 et 9.

[10] Cette question ne portait aucune atteinte à l'honneur belge; l'état de l'armée, sous le rapport des capacités militaires, était le résultat du système d'exclusion suivi pendant quinze ans par le gouvernement hollandais; nous renvoyons au tableau qui se trouve p. 69, à la note.

 

[11] La proposition tendante à autoriser le régent à admettre dans l'armée des officiers supérieurs étrangers a été faite, le 9 avril 1831, par M. Nothomb et appuyée par dix-neuf députés, dont deux ont retiré leurs signatures pendant les débats; cette proposition était conçue en ces termes: « Au nom du peuple belge, le Congrès national,

« Vu l'article 6 de la Constitution ainsi conçu: « Les Belges sont égaux devant la loi; seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers. »

« Attendu que, dans les circonstances graves où se trouve la Belgique, la défense du territoire peut exiger que des emplois militaires soient, par exception, conférés à des étrangers; que le gouvernement doit être mis à même d'accueillir les offres que pourraient lui faire des étrangers connus par leur amour de la liberté et leurs talents militaires, décrète:

« Art. 1 er. Le gouvernement est autorisé, jusqu'à la paix, à employer des officiers supérieurs étrangers et à leur donner des commandements dans l'armée belge, en tant que les besoins de la guerre l'exigent et que leurs talents les recommandent.

« Art. 2. Les officiers étrangers qui seront employés ou auxquels il sera confié des commandements prêteront, avant d'entrer en activité, le serment suivant: « Je jure fidélité au régent de la Belgique; je jure de défendre l'indépendance, la Constitution et les lois du peuple belge. »

« Art. 3. Charge le pouvoir exécutif de l'exécution du présent décret.

« Bruxelles, 9 avril 1831 »

Le 11 avril, le Congrès a adopté le décret suivant, à la majorité de 80 voix contre 42 :

« Au nom du peuple belge, le Congrès national, vu l'article 6 de la Constitution ainsi conçu:

« Les Belges sont égaux devant la loi; seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers. »

« Considérant que, dans les circonstances graves où se trouve la Belgique, la défense du territoire peut exiger que des emplois militaires soient, par exception, confiés à des étrangers; que, par suite du système du gouvernement déchu, les Belges étaient, en général, écartés des emplois d'officiers d'artillerie; que le gouvernement actuel doit être mis à même d'accueillir les offres que pourraient lui faire des étrangers connus par leur amour pour la liberté et leurs talents militaires; mais que la Constitution fait un devoir au pouvoir législatif de déterminer, d'une manière particulière, les emplois militaires que le gouvernement pourra conférer à des étrangers, décrète:

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à employer, jusqu'à la paix, les officiers étrangers dont la désignation suit, savoir:

« 1° Un général en chef et trois officiers supérieurs;

« 2° Dans l'artillerie: un colonel, trois chefs de bataillon, douze capitaines et vingt lieutenants et sous-lieutenants.

« Art. 2. Les officiers nommés en vertu de l'article 1 er prêteront, avant d'entrer en fonctions, le serment suivant: « Je jure fidélité au régent de la Belgique; je jure de défendre l'intégrité du territoire, l'indépendance du peuple belge et d'obéir à sa Constitution et à ses lois. »

« Art. 3. Ces officiers pourront, à la paix, demeurer au service de la Belgique si, en raison de leurs services, ils obtiennent des lettres de naturalisation.

« Art. 4. L'article 124 de la Constitution est applicable aux étrangers auxquels le gouvernement provisoire a conféré des grades dans l'armée; ils sont maintenus et admissibles à des grades supérieurs de la même manière que des Belges.

« Charge le pouvoir exécutif de l'exécution du présent décret.

En septembre 1831, les deux Chambres ont voté la loi suivante:

« Léopold, roi des Belges, à tous présents et à venir, salut.

« Considérant que les circonstances graves où se trouve la Belgique exigent impérieusement que des emplois militaires soient conférés, par exception, à des étrangers;

« Nous avons, de commun accord avec les Chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit:

« Art. 1 er. Le Roi est autorisé à prendre au service de l'État tel nombre d'officiers étrangers qu'il jugera utile ou nécessaire pour le bien du pays.

« Cette autorisation cesse à la paix pour toute nouvelle admission:

« Art. 2. Avant d'entrer en fonctions, ils prêteront le serment prescrit aux officiers de l'armée.

« Art. 3. Le Roi est également autorisé à employer des officiers étrangers qui, sans renoncer à leurs grades et prérogatives dans leur patrie, offriraient leurs services pour la durée de la guerre.

« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le troisième jour après celui de sa promulgation.

« Donné à Bruxelles, le 22 septembre 1831. »