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« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR LA RÉVOLUTION BELGE »

 

 

       Par Jean-Baptiste Nothomb

 

 

CHAPITRE VIII. Régence – Premier ministère du Régent – Tentatives pour obtenir l’exécution de l’armistice

 

(page 149) Le refus de Louis-Philippe était connu à Bruxelles avant le retour de la députation envoyée à Paris par le Congrès national[1]. Le président, M. Surlet de Chokier, ne put rendre compte de sa mission que dans la séance du 21 février 1831; il fit un noble appel au patriotisme et à l'union. Le découragement avait pénétré dans bien des esprits et. les séances se passaient à enregistrer des démissions. La constitution était achevée depuis le 7 février; on résolut de la promulguer, en remplaçant le gouvernement provisoire par une régence et en réservant au Congrès le pouvoir législatif sans partage, et le choix du chef définitif. Ce fut une heureuse idée ; les membres du gouvernement provisoire abdiquèrent le pouvoir avec le même à-propos et la même noblesse d'âme qu'ils l'avaient saisi dans des jours d'anarchie; ils revendiquèrent même l'initiative de la proposition. Le 24 février, M. Surlet de Chokier fut nommé régent de la Belgique, par 108 voix sur 157; son compétiteur (page 150) était M. le comte Félix de Mérode. Le Régent fut solennellement installé le lendemain.

Le premier ministère du régent n'eut qu'un mois de durée[2].

Deux événements principaux se rattachent à cette époque: l'un est la réception de M. Ch. Le Hon par le roi des Français, le 19 mars, comme envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du régent de la Belgique; l'autre, la proclamation adressée le 10 mars par le régent aux Luxembourgeois.

La réception de l'envoyé belge à Paris équivalait à la reconnaissance de la Belgique par la France, et rien ne le prouvait mieux que la conduite du gouvernement anglais, qui ne voulut pas recevoir officiellement M. le comte d'Arschot comme ministre du régent. Louis-Philippe était en droit de répondre: aux cabinets qu'après avoir refusé la couronne offerte à son fils, il donnait un nouveau gage à l'Europe en considérant la Belgique comme État indépendant.

La proclamation du 10 mars fut provoquée par l'arrivée du duc de Saxe-Weimar à Luxembourg: cet acte de représailles n'était qu'une conséquence de la protestation du Congrès; il sauva une province alors très étendue d'une contre-révolution qui était imminente et (page 151) qui eût été peut-être un commencement de restauration pour la Belgique entière[3].

. Nous sommes amené à rendre compte des tentatives faites pour obtenir l'exécution de l'armistice, dont nous avons annoncé la conclusion au chapitre III.

La suspension d'armes, signée le 21 novembre, était destinée à n'être qu'une mesure préliminaire[4]; aux (page 152) termes du protocole n° 2, du 17 novembre, elle devait être remplacée par un armistice, pendant lequel les troupes respectives se seraient réciproquement retirées derrière la ligne qui séparait, avant le traité du 30 mai 1814, les possessions du prince souverain des Provinces-Unies de celles qui avaient été jointes à son territoire pour former le royaume des Pays-Bas. La proposition d'armistice, faite en ces termes, soulevait les questions suivantes:

1° Le grand-duché de Luxembourg est-il considéré comme réuni au royaume des Pays-Bas?

2° La Hollande, avant le 30 mai 1814, était-elle censée de droit se composer de tout l'ancien territoire de la république des Provinces-Unies, sans égard aux traités survenus depuis 1790 ?

La première question étant résolue négativement, le grand-duché de Luxembourg se trouvait en dehors de l'armistice[5] 1.

(page 153) La deuxième question venant à être résolue affirmativement, les Belges étaient tenus d'évacuer provisoirement Venloo et les villages de la généralité dans le Limbourg, et de laisser en la possession des Hollandais Maestricht et la rive gauche de l'Escaut.

Ces questions furent débattues dans une négociation particulière, qui s'ouvrit entre les commissaires de la Conférence et le comité diplomatique, le 23 novembre; le comité diplomatique eut l'occasion d'exposer dès lors, et comme par anticipation, tous les droits territoriaux de la Belgique[6].

(page 154) L'armistice fut accepté le 15 décembre 1830, aux conditions résultant du protocole n° 2, selon l'interprétation des commissaires de la Conférence. Il devait, sans préjuger en rien les questions politiques et territoriales, entraîner l'évacuation réciproque des territoires et, notamment, de Venloo par les Belges, et l'évacuation de la citadelle d'Anvers par les Hollandais[7].

Par une note du 21 février 1831, le comité diplomatique avait demandé l'exécution de l'armistice, en notifiant à la Conférence le choix des commissaires démarcateurs pour la Belgique; cette demande fut réitérée sous le premier ministère du régent, dans plusieurs notes, adressées soit à la Conférence, soit au gouvernement français; ces démarches restèrent sans effet.

Le gouvernement du :régent allait aborder la question du choix du chef de l'État lorsque des dissentiments intérieurs amenèrent la dissolution du premier cabinet.

L'interrègne ministériel se prolongea du 20 au 26 mars et fut marqué par des soulèvements populaires : ce terrorisme de quelques jours ne peut être imputé ni au premier ministère, qui n'était plus, ni au deuxième, qui n'était pas encore.

 



[1] Cette députation se composait de MM. Surlet de Chokier, président du Congrès, le comte Félix de Mérode, le comte d'Arschot, MM. Ch. Le Hon, Ch. de Brouckere, Marlet, Gendebien père, le chanoine Boucqueau de VilIeraie, Barthélemy et le marquis de Rodes.

 

[2] Composition du ministère (arrêté du 26 février 1831) : Affaires étrangères, M. S. Van de Weyer ; Justice, M. A. Gendebien ; Intérieur, M. Tielemans ; Finances, M. Ch. de Brouckere ; Guerre, M. Goblet. M. de Gerlache, nommé président du conseil le 27 février, résigna ces fonctions quelques jours après.

[3] Cette proclamation est l'acte public le plus caractéristique du premier ministère du régent; on n'en trouve le texte dans aucun des quatre recueils. Nous l'avons placée parmi les documents politiques, à la suite de la protestation du Congrès, dont elle est la mise à exécution. (Note de la 4e édition.)

 

[4] Toutefois, la Conférence, en acceptant l'adhésion du gouvernement belge à la suspension d'armes, avait déclaré que la cessation des hostilités constituait un engagement envers les cinq cours; déclaration qui, dès lors, mettait la Belgique et la Hollande dans l'impossibilité de reprendre les armes sans l'autorisation de la Conférence.

Le gouvernement belge ne voulut point donner cette portée à son adhésion et déclara aux deux commissaires de la Conférence, par une note verbale du 20 novembre 1830, qu'il n'avait point, entendu s'obliger envers les puissances par un engagement dont aucune circonstance ne pût le délier.

La Conférence, saisie de cette réclamation, adressa, sous la date du 30 novembre (protocole n° 4), à ses commissaires l'instruction suivante :

« Nous avons examiné avec attention la note verbale que vous nous avez transmise et où se trouve exprimé le désir de connaître la signification de l'engagement d'armistice que les cinq cours ont déclaré, par leur protocole du 17 novembre, avoir été contracté envers elles.

« Le motif de cet engagement est, qu'animés du désir d'éteindre tout sentiment d'inimitié entre les populations que divise en ce moment une lutte déplorable, et non d'en faire prévoir le retour, les puissances ont jugé utile de rendre l'armistice indéfini et le considèrent comme un engagement pris envers elles-mêmes et à l'exécution duquel il leur appartient désormais de veiller.

« En conséquence, celle des deux parties qui romprait cet engagement se trouverait en opposition ouverte avec les intentions salutaires qui ont dicté les démarches faites par les cinq puissances pour arrêter l'effusion du sang. »

La Conférence parle d'un engagement d'armistice déjà contracté, c’est-à-dire de la suspension d'armes, le véritable armistice, qui est resté sans exécution, n'ayant été accepté que postérieurement, le 15 décembre.

Le ministre des affaires étrangères, dans son rapport fait aux États-Généraux le 20 janvier 1831, se plaignit de la réserve que le gouvernement belge avait essayé de faire contre la stipulation qui rendait la suspension d'armes obligatoire envers les puissances, stipulation qu'il considérait comme la seule garantie. (Recueil diplomatique de La Haye, t. l, p. 78.) Ainsi, c'est malgré le gouvernement belge que la suspension d'armes de novembre 1830 a été déclarée indéfinie, et c'est malgré lui que, par la suite, on lui a dénié ce caractère. (Voyez le chap. XII.) (Note de la 3e édition.)

[5] Il est à remarquer, toutefois, qu'il est intervenu une espèce d'arrangement entre le gouvernement belge et le gouvernement militaire fédéral de Luxembourg, relativement au rayon stratégique. Sous la date du 20 mai 1831, le prince de Hesse-Hombourg, gouverneur militaire de la forteresse pour la Diète germanique, et le général Ch. Goethals, gouverneur militaire de la province pour le régent de Belgique, échangèrent deux déclarations, par suite desquelles la garnison fédérale devait s'interdire tout mouvement hors du rayon et le gouvernement belge toute opération militaire dans le rayon. Ces déclarations nous ont paru assez importantes pour trouver place parmi les pièces justificatives imprimées à la suite de cet ouvrage.(Note de la 1 r" édition.)

Le prince de Hesse-Hombourg avait-il les pouvoirs nécessaires pour conclure cet arrangement?

Cet arrangement a-t-il été soumis à la Diète de Francfort et approuvé au moins par le silence de cette assemblée?

Ce sont des questions sur lesquelles le gouvernement belge, au défaut de désaveu en temps utile, ne pouvait admettre que l'affirmative.

Il n'avait pas non plus à rechercher si la Diète pouvait, sans manquer à ses actes constitutifs, autoriser le gouverneur de la place fédérale à traiter avec le gouvernement belge; la Diète trouvait sa justification dans les circonstances extraordinaires qui dominaient l'Europe.

L'état de possession de la Belgique dans le grand-duché de Luxembourg a donc été, comme état de fait, réglé par deux actes et par rapport à deux autorités différentes:

1° Par rapport à l'autorité militaire fédérale et dans le rayon stratégique de la forteresse, par les déclarations du 20 mai 1831;

2° Par rapport au roi grand-duc, par l'article explicatif de la Convention de Londres du 21 mai 1833. (Note de la 4" édition.)

[6] Les notes et mémoires du comité diplomatique, où sont exposés les droits de la Belgique sur la rive gauche de l'Escaut, sur la ville de Maestrlcht et sur le Luxembourg, ne sont point annexés aux actes de la Conférence de Londres, à laquelle ces pièces furent transmises par les deux commissaires; ces documents se trouvent dans les recueils de Bruxelles (rapport du 15 mars 1831) et de La Haye (t. Ier). (Note de la 4e édition.)

[7] La Conférence avait rédigé, le 17 novembre 1830, deux protocoles: l'un, portant le n° 2, est celui qui a été communiqué au gouvernement provisoire; l'autre, portant le n° 3, a été tenu secret; il explique le protocole n° 2 dans le sens des instructions données aux commissaires envoyés à Bruxelles et de manière à exclure de l'armistice le grand-duché de Luxembourg et tout ce qui, dans le Limbourg, avait autrefois appartenu à la république des Provinces-Unies. Le gouvernement provisoire et le comité diplomatique ont signé l'armistice sans avoir connaissance de ce protocole.