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« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR
Par Jean-Baptiste Nothomb
CHAPITRE VII. Election du
duc de Nemours
(page 141) Nous arrivons à un incident bizarre; le passer sous silence serait laisser incomplet le drame révolutionnaire.
Il y a, d'ailleurs, dans la vie des peuples comme dans celle des individus, tel épisode inattendu qui, plus que la conduite habituelle, fait ressortir le caractère et les passions; l'homme se trahit surtout dans ses déviations, dans ses caprices, dans ses inconséquences. Il n'est donc pas hors de propos de nous arrêter à un fait qu'on s'était plu à considérer comme un dénouement, et qui n'était qu'un hors-d'œuvre.
Et pour que les
intentions ne fussent pas douteuses, on discuta préalablement la question de
savoir si on prendrait l'avis de
Ce n'était pas assez: pour se soustraire à toute influence étrangère, on fixa un délai très court: on déclara que le 28 janvier il serait procédé au choix du chef de l'État.
Par la double action de la tribune et de la presse, huit jours suffirent pour entraîner le pays dans une fatale alternative; il n'y eut plus que deux cris: le duc de Nemours, le duc de Leuchtenberg...
Le choix du duc de Leuchtenberg était antifrançais, sans être européen;
Le choix du duc de Nemours était exclusivement français et antieuropéen.
Ainsi, par l'un ou
l'autre choix, l'accord était également rompu entre les cinq cours; il y avait
hostilité de
Le roi Louis-Philippe déclara qu'il ne donnerait pas le duc de Nemours et qu'il n'accepterait pas le duc de Leuchtenberg. Le ministre des affaires étrangères, le comte Sébastiani, fit connaître de la manière la plus formelle les intentions du gouvernement français au chargé d'affaires de Belgique, M. Firmin Rogier, qui rendit compte de son entrevue dans une lettre confidentielle dont le Congrès exigea la lecture en séance (page 143) publique. Instances, prières, menaces, tout fut inutile: le sort en était jeté.
Arrivé là, il n'y avait plus qu'à choisir, de deux maux, le moindre; et c'est ce que fit la majorité, sans qu'elle s'en doutât; elle fut excellente tacticienne, de la meilleure foi du monde.
Après cinq jours de discussion, le second fils de Louis-Philippe fut proclamé roi des Belges, et, pour que cette affaire eût un caractère unique de bizarrerie, aucun des deux candidats ne réunit la majorité absolue au premier tour de scrutin; on procéda à un deuxième tour de scrutin, et le duc de Nemours l'emporta d'une voix[1].
(page 144) A l’issue de la séance du 3 février, les membres du Congrès qui venaient d’élire un roi apprirent que, la (page 145) veille, le colonel Ernest Grégoire, avait tenté de faire reconnaître à Gand le prince d’Orange ; l’énergie populaire (page 146) fit échouer cette candidature; la diplomatie avait déjà condamné l'autre.. .
Dans une réunion du 1er février, par un protocole resté secret, la Conférence avait prononcé l'exclusion des ducs de Nemours et de Leuchtenberg; cette décision fut confirmée par un protocole daté du 7 du même mois et qui fut notifié au gouvernement belge[2].
On sait quel a été le résultat du choix du duc de Nemours; les esprits impartiaux se demanderont quelles eussent été les conséquences de l'élection de son concurrent. Qu'il eût accepté, qu'il eût refusé, les suites eussent été également désastreuses.
Par son refus, le duc de Leuchtenberg nous eût laissé dans le status quo ; nous serions restés dans la voie pacifique, mais la nouvelle dynastie française aurait eu un grief contre nous; l'hostilité eût été flagrante, personnelle, et peut-être le projet de partage eût-il rencontré moins de répugnance.
En acceptant, malgré la France, malgré la Conférence, le duc de Leuchtenberg, mis au ban de l'Europe, (page 147) devenait le représentant couronné du système belliqueux; sa mission eût été grande et belle; il se fût placé à la tête du mouvement qui emportait le monde: vaincu, il tombait avec la Belgique, laissant un impérissable souvenir; vainqueur, le trône belge était pour lui le marchepied d'un autre trône. Dans toutes les hypothèses, c'en était fait de notre indépendance.
Il est sorti de cet épisode un grand enseignement qui n'a été perdu ni pour la Belgique, ni pour la France: Louis-Philippe, en proclamant à la face du monde l'impossibilité où il était, comme roi et comme père, d'accepter la Belgique pour son fils, apprenait à la France qu'aucun peuple n'est assez puissant pour se mettre au dessus des lois générales de l'Europe[3].
(page 148) On avait offert à la France la réunion par personne interposée. L'Europe lui dit: Ne touchez point à cette couronne, il y va de la paix du monde; et la France n'y toucha point. Cette expérience était peut-être nécessaire pour convaincre certaines opinions d'impuissance[4].
[1] (Le livre original comprend la liste nominal des
députés et le vote qu’ils ont individuellement émis. Non repris dans cette version
numérisée).
[2] Le comité diplomatique restitua ce protocole à lord
Ponsonby, en opposant la souveraineté du Congrès belge à celle de la Conférence
de Londres; cette note, datée du 14 février, n'est pas annexée aux actes de la
Conférence et se trouve dans le recueil de Bruxelles (rapport du 15 mars 1831,
p. 123). C'était toujours une conséquence du système ultra-révolutionnaire, qui
déclinait la mission européenne de la Conférence. (Note de la 4e édition.)
[3] « Si je n'écoutais que le penchant de mon cœur et ma
disposition bien sincère de déférer au vœu d'un peuple dont la paix et la
prospérité sont également chères et importantes à la France, je m'y rendrais
avec empressement; mais, quels que soient mes regrets, quelle que soit
l'amertume que j'éprouve à vous refuser mon fils, la rigidité des devoirs que
j'ai à remplir m'en impose la pénible obligation et je dois déclarer que je
n'accepte pas pour lui la couronne que vous êtes chargés de lui offrir.
« Mon premier devoir
est de consulter avant tout les intérêts de la France et, par conséquent, de ne
point compromettre cette paix que j'espère conserver pour son bonheur, pour
celui de la Belgique et pour celui de tous les États de l'Europe, auxquels elle
est si précieuse et si nécessaire. Exempt moi-même de toute ambition, mes vœux
personnels s'accordent avec mes devoirs. Ce ne sera jamais la soif des
conquêtes ou l'honneur de voir une Couronne placée sur la tête de mon fils qui
m'entraîneront à exposer mon pays au renouvellement des maux que la guerre
amène à sa suite et que les avantages que nous pourrions en retirer ne
sauraient compenser, quelque grands qu'ils fussent d'ailleurs. Les exemples de
Louis XIV et de Napoléon suffiraient pour me préserver de la funeste tentation
d'ériger des trônes pour mes fils et pour me faire préférer le bonheur d'avoir
maintenu la paix à tout l'éclat des victoires que, dans la guerre, la valeur
française ne manquerait pas d'assurer de nouveau à nos glorieux
drapeaux. » (Extrait du discours de Louis-Philippe. - 17 février 1831.)
[4] Élu par le Congrès, le duc de Leuchtenberg eût pris
conseil du roi Louis-Philippe, qui l'eût dissuadé d'accepter la couronne belge.
C'est le même duc de
Leuchtenberg (CharIes-Auguste-Eugène-Napoléon, né à Milan le 9 décembre 1810)
qui a épousé la reine de Portugal, dona Maria, et qui est mort prématurément à
Lisbonne le 25 mars 1835. Sa veuve a épousé le neveu du roi Léopold 1er. (Note
de la 4e édition.)