Accueil Séances plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et liens Note d’intention
Retour à la table des matières de l’Essai
« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR
Par
Jean-Baptiste Nothomb
CHAPITRE III. Gouvernement provisoire
– Congrès national – Indépendance, monarchie, exclusion de la maison d’Orange
(page 95) La période qui s'est écoulée depuis les Journées d'août jusqu'aux Journées de septembre offre un caractère indéfinissable: ce n'était ni l'ordre légal, ni l'insurrection. C'est ordinairement d'un seul bond qu'on se précipite de l'ordre légal dans l'insurrection; il a fallu un mois aux Belges pour prendre cet élan: un mois entier ils se sont arrêtés sur le seuil de la légalité, face à face avec la révolution. Ce fut l'attaque sur Bruxelles qui décida l'événement: cette attaque est une grande faute, si, comme on l'a prétendu, le prince Frédéric avait cru devoir céder à l'invitation de quelques notables de Bruxelles; c'est un crime, si elle a été le résultat d'un plan conçu à La Haye; car, quoi de plus criminel que d'entreprendre de résoudre par la force, à Bruxelles, des questions qu'à La Haye on avait remises aux débats parlementaires[1]? Quoi qu'il en soit, ce jour, la (page 96) maison d'Orange a cessé de régner en Belgique; le gouvernement provisoire naquit pendant les Journées de septembre; il tenait son mandat de la nécessité. Lorsqu'un ordre de choses périt, il y a, entre le passé qui n'est plus et l'avenir qui n'est pas encore, un interrègne où le pouvoir appartient momentanément à qui le prend; si la lacune n'était pas remplie, la société elle-même serait et resterait dissoute; il faut bien que quelqu'un vienne prononcer le « fiat » tout-puissant qui doit la maintenir et la réorganiser. C'est là une légitimité incontestable.
Le 24 septembre 1830, à
sept heures du matin, un premier gouvernement se forma sous le nom de
« Commission administrative ». Cette commission se composait de MM.
le baron E. d'Hooghvorst, Ch. Rogier et Jolly; de MM. de Coppin et J. Vanderlinden,
secrétaires; le 25, elle s'adjoignit M. Nicolaï. Le « gouvernement
provisoire » se constitua définitivement le 25 septembre; il se composait
de MM. le baron E. d'Hooghvorst, Ch. Rogier, comte F. de Mérode, A. Gendebien, S. Van de Weyer, Jolly, J.
Vanderlinden, Nicolaï et de Coppin. Le
Le gouvernement provisoire apporta beaucoup de modération dans l'exercice de ses pouvoirs extraordinaires; le premier jour, il avait pu se poser à lui-même et comme a priori les trois questions fondamentales qui devaient surgir des événements encore incomplets:
Quelle forme de gouvernement adoptera-t-elle?
Se séparera-t-elle entièrement de la maison d'Orange?
Le gouvernement provisoire réserva dans sa pensée la solution définitive de ces trois questions au Congrès national, qu'il convoqua par son arrêté du 4 octobre 1830. Pour satisfaire à l'impatience des esprits, il laissa entrevoir son opinion, mais ne l'exprima point.
Dans le même arrêté, il
se contentait de dire: « Les provinces belges, violemment détachées de
Il chargea une commission de rédiger un projet de constitution qu'il publia sans l'adopter lui-même, sans le faire sien.
Cette commission se composait de MM. de Gerlache, président; Van Meenen, vice-président; Nothomb, secrétaire; Lebeau, secrétaire-adjoint; Ch. de Brouckere, Devaux, Ballin, Thorn, Zoude (de Namur), Tielemans, Dubus et Blargnies.
Dans sa première séance, le 12 octobre, la commission s'occupa de la question de savoir si l'on prendrait pour base du travail l'état monarchique ou l'état républicain. Trois membres, MM. Van Meenen, Tielemans, et Nothomb, demandèrent l'ajournement de cette question; ils voulaient que les grands principes de liberté politique fussent posés et chaque pouvoir organisé, sans autre préoccupation, et qu'on réservât pour le couronnement de l'œuvre l'organisation du pouvoir du chef de l'État; les autres membres furent d'avis qu'il était nécessaire d'adopter avant tout soit le système monarchique, soit le système républicain, et cette opinion prévalut.
Le même jour, dans une séance du soir, la commission décida, à la majorité de huit voix contre une[2], que la forme du gouvernement serait monarchique; elle arrêta dans les séances suivantes les bases de la constitution et, le 16, elle s'ajourna, après avoir chargé son secrétaire et M. Devaux de préparer un projet d'après ces bases. Elle se réunit de nouveau le 25, prit lecture du projet et l'adopta, après y avoir fait quelques changements partiels. Le projet fut publié le 28; la veille, le secrétaire-rapporteur en avait donné lecture au gouvernement provisoire; M. de Potter ne put s'empêcher de lui dire: Ce n'était pas la peine de verser tant de sang pour si peu de chose.
Il faut s'être trouvé à Bruxelles à cette époque pour se faire une idée de l'accueil que reçut ce projet monarchique; il fut généralement considéré comme une œuvre de réaction. La commission avait fait cependant un sacrifice aux passions du moment, en s'abstenant de (page 99) se servir de la qualification de roi et en employant la dénomination générale de chef de r État.
Le Congrès national
ouvrit ses séances le 10 novembre; le 18, il proclama, à l'unanimité de 197
voix, l'indépendance de
Nous avons dit pourquoi
le gouvernement provisoire s'était abstenu de prononcer la déchéance du roi
Guillaume et de sa dynastie; néanmoins, il refusa formellement, et à plusieurs
reprises, d'entrer en relation avec le prince d'Orange, qui avait établi à
Anvers une espèce de contre-gouvernement, et il affecta de considérer comme
insignifiante la proclamation du 16 octobre, par laquelle le prince
reconnaissait l'indépendance de
Le gouvernement
provisoire. avait établi son siége, dans l'ancien palais des États-Généraux, à
Bruxelles; du haut du péristyle il pouvait, en quelque sorte, assister
à1'incendie d'Anvers. Fidèle à la marche qu'il avait adoptée, il ne. crut pas,
même en présence d'un événement aussi déplorable, pouvoir s'arroger un droit
réservé au Congrès national. Enfin, le 23 novembre, la question fut mise à
l'ordre du jour, sur la demande de M. C. Rodenbach, deputé
l
[1] Il aurait suffi à l'armée des Pays-Bas de cerner
Bruxelles; mais on voulait qu'il fût dit que le gouvernement légitime avait
écrasé la révolte.
Le
roi Guillaume aurait pu répéter au prince Frédéric ce que l'empereur Joseph II
écrivait au général d'Alton, après la déroute de Turnhout: « Je ne puis vous
cacher mon étonnement sur l'inconséquence et le peu d'à-propos que je vois
régner dans les dispositions que vous faites et dans les projets desquels vous
vous laissez éblouir... Sachant les soi-disant patriotes entrés dans
Hoogstraeten et Turnhout, vous formez un plan d'attaque par trois colonnes qui
ne s'exécute pas... Il fallait faire approcher les troupes de Turnhout et de
Hoogstraeten, leur faire parler, leur faire concevoir les dangers auxquels ils
allaient s'exposer s'ils ne retournaient pas à leurs foyers.
Enfin,
s'ils ne voulaient point entendre raison, il ne fallait que les camper dans Ies
environs et les y bloquer; car, comment auraient-ils pu y subsister et sortir
pour venir attaquer l'armée en: rase campagne?.. (Recueil de lettres originales
de l'empereur Joseph II au général Allan, lettre datée de Vienne, 7 novembre
1789, p. 63.)
Le
prince Frédéric avait-il été invité par un grand nombre de notables de
Bruxelles à faire occuper cette ville par son armée? Question grave, que la
maison d'Orange éclaircira sans doute un jour et que l'impartialité historique
nous oblige de poser. (Note de la 4e édition.)
[2] Pour la monarchie: MM. de Gerlache, Van Meenen, Lebeau,
Devaux, Nothomb, Ch. de Brouckere, Balliu et Zoude (de Namur). Contre: M.
Tielemans. Les autres membres n'étaient pas encore nommés ou n'avaient pas pris
séance.
[3] 1 La question du Luxembourg fut, pour la première
fois, discutée à l'occasion de la proclamation de l'indépendance. Voyez Recueil
des discours de M. Nothomb, p. 2. (Note de la 4e édition.)
[4] Pour la république: MM. Seron, A. de Robaulx,
Lardinois, J. Goethals, David, de Haerne, Goffin, de Labbeville, Fransman,
Delwarte, Cam. Desmet, Pirson et de Thier.
[5] L’auteur fait ici allusion à une mission secrète qui
a eu pour effet de précipiter la délibération du Congrès; les débats sur la
proposition d'exclusion de la maison d'Orange étaient ouverts depuis deux jours
lorsque, le 24 novembre au matin, arriva à Bruxelles M. de Langsdorf,
secrétaire de légation ; il fut immédiatement conduit par M. Bresson à
l'hôtel du gouvernement provisoire et du comité diplomatique; il était chargé
par le ministère français, dont le chef était M. Laffitte, d'engager le
gouvernement belge à faire ajourner la question d'exclusion, cette mesure
pouvant compromettre la paix générale. L'on tint conseil en présence de
Messieurs Bresson et de Langsdorf, et de M. le baron SurIet de Chokier, alors
président du Congrès, que l'on fit appeler; on reconnut unanimement que tout
ajournement était impossible; cependant, on consentit à rendre compte au
Congrès de la démarche faite au nom du gouvernement français. Ce fut à cet
effet que M. Surlet de Chokier, usant d'un droit que lui donnait le règlement,
pria l'assemblée de se former en comité général. Ce comité dura deux heures; la
séance ayant été reprise en public, quelques orateurs prirent la parole, plutôt
pour expliquer le vote qu'ils se proposaient d'émettre que pour influer sur
l'opinion de l'assemblée, et l'on procéda, vers quatre heures, à l'appel
nominal..
M.
DE BÉCOURT,
On
trouve dans l'ouvrage de M. WHITE, The Belgic revolution, t. Il, p. 77-79,
traduction française, t. II, p.191-196, de judicieuses observations sur cette
mission; l'auteur se demande avec raison pourquoi cette démarche a été faite si
tardivement, par le cabinet français seul et par un agent subalterne, qu'il
nomme « Handsberg », dans l'original anglais, et
« Handsdorf » dans la traduction française. M. de Langsdorf s'est
fait remarquer comme diplomate et comme écrivain.
Dans
la séance publique du 23 novembre
[6] Sur la proposition de M. Devaux, le Congrès a déclaré,
dans la séance du 24 février 1831, que c’est comme pouvoir constituant
qu’il a prononcé l’exclusion perpétuelle
de la maison de Nassau. (Note de l’éditeur de la 3e édition.)
Le décret sur l’exclusion de
la maison de Nassau a reçu une sanction pénale par la loi du 25 juillet 1834.
(Note de la 3e édition.)