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« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR
Par
Jean-Baptiste Nothomb
Préface de la troisième édition (20 septembre 1834)
(page
49) Si cet ouvrage a quelque mérite, c'est par sa date; publié en mars 1833,
les faits ne lui ont pas donné de démenti. Au milieu d'événements mal compris
ou incomplets, l'auteur a osé non seulement expliquer le passé, mais pressentir
l'avenir; entraîné par ses préoccupations historiques, il a supposé que,
sanctionnée par l'Europe, la révolution belge de 1830 pouvait faire une halte
et se placer, en face de
Si
l'auteur, qui ne se dissimule aucune des imperfections de son travail, persiste
à ne rien changer au texte de son ouvrage, c'est qu'il a voulu laisser
subsister son livre comme un incident de la révolution. S'il a même conservé
les préfaces des éditions précédentes, c'est comme expression des sentiments
qui l'animaient, lui et ses amis, au milieu d'une lutte qui n'était pas sans
grandeur, mais dont le souvenir s'affaiblit déjà et dont leurs adversaires ont
intérêt aujourd'hui à nier les périls. La publication des pièces communiquées
par le ministère anglais aux deux chambres du Parlement lui a permis
d'éclaircir quelques détails dans des notes peu nombreuses qui restent
détachées du texte[2]; ces (page 51) pièces,
pour la plupart, ne lui étaient pas inconnues; mais il n'avait point le droit
de prendre l'initiative des révélations. Dans un appendice, il a rendu compte
des négociations qui ont accompagné et suivi les mesures coercitives et qui ont
abouti au status quo actuel: récit aride, il doit l'avouer, décoloré; où ne se
reflète plus le grand spectacle qu'offrait l'Europe au début de la révolution.
Enfin, il a essayé de résumer les négociations et de fixer l'état de la
question belge. Voilà quatre ans (page 52) que la maison de Nassau a cessé de
régner sur nous: espace immense, presque équivalent au tiers de
Le
gouvernement représentatif, surtout lorsqu'il est aux prises avec une
révolution, fait une grande consommation d'hommes; si l'auteur a eu le rare
privilége de rester depuis 1830 au centre, pour ainsi dire, de l'action
diplomatique, c'est que les positions secondaires, quelque voisines qu'elles
puissent être des sommités, usent moins vite. Cette espèce d'inamovibilité
tenait, d'ailleurs, à l'unité du système politique, unité qu'il était de son
honneur de faire ressortir.
Ce
système est aujourd'hui jugé. Il n'était pas l'œuvre d'un individu, mais de la
force des choses. Ce n'est pas que l'auteur veuille, comme on le lui a
reproché, transporter la fatalité dans l'histoire; tout en faisant la part, et
une part très large, à la volonté de l'homme, il tient compte des circonstances
dont l'appréciation est librement abandonnée à l'intelligence humaine.
Les
esprits qui aiment à sonder les hypothèses peuvent aujourd'hui faire subir à ce
système une épreuve décisive, en se demandant ce qui serait advenu si la
révolution avait suivi une autre marche, si, dans chacune des grandes journées
du Congrès ou des Chambres, elle avait reçu l'impulsion de la minorité. On peut
distinguer cinq de ces journées où la question d'être ou ne pas être a été
débattue.
31
MAI 1831 : adoption du système de l'élection immédiate du chef de l’Etat;
4
JUIN 1831 : élection du prince Léopold;
9
JUILLET 1831 : vote des dix-huit articles;
1er NOVEMBRE
1831 : vote des vingt-quatre articles;
27
NOVEMBRE 1832 : adhésion à l'exécution du traité du 15 novembre par
l'intervention anglo-française.
Sur
chacune de ces questions, déplacez la majorité, et l'indépendance belge devient
une impossibilité. Ces cinq propositions se tiennent; expression du même
système, elles n'étaient susceptibles que d'une solution uniforme, soit
affirmative, soit négative.
Ce
système, le voici réduit aux termes les plus simples :
Cette
transaction n'était possible qu'aux conditions suivantes :
(page
54) Interdiction de toute hostilité de nature à troubler la paix générale;
Maintien
du but des traités de 1815, c'est à dire du principe de la séparation de
Renonciation
à toute conquête, c'est à dire reconnaissance des anciens droits territoriaux
de
Enfin,
adoption du système monarchique et solution de la question dynastique dans un
sens européen.
Ces
données, contre lesquelles les déclamations, les sophismes, les injures ont dû
échouer, expliquent et justifient tout ce qui s'est fait depuis novembre 1830.
Si la révolution les avait méconnues, elle se serait perdue; en dehors de
l'ordre d'idées où elle s'est placée, il y avait la guerre avec tous ses maux,
et, à la suite de ces maux, l'anéantissement du nom belge, les malédictions du
monde et l'éternelle impopularité de l'avenir.
L'ajournement
du choix du chef de l'État, la non élection du prince Léopold, le rejet des
dix-huit articles d'où dépendait son avènement, eussent laissé
Rejeter
les vingt-quatre articles, c'était repousser les seules conditions d’existence
qui fussent possibles après les désastres du mois d'août: vaincue,
(page
55) La non-adhésion à l'intervention anglo-française eût laissé le traité du 15
novembre sans commencement d'exécution et empêché l'alliance de
Le
système politique n'a pas non plus été l'œuvre d'un jour; les événements en ont
successivement mis en relief chacune des parties ;ce n'est qu'aujourd'hui qu'il
nous apparaît dans son ensemble. Pour le bien comprendre, il faut même tenir
compte des antécédents révolutionnaires et de
Toutefois,
la position de
L'Autriche,
L'autocrate
du Nord, qui vient de dompter la révolution polonaise, retient une armée de
quatre cent mille (page 57) hommes qui, en moins de quinze ans, a appris le
chemin de Paris, de Constantinople et de Varsovie,.. lâcheté.
Les
soldats de la grande monarchie militaire demeurent l'arme au bras entre le Rhin
ct
L'Angleterre
oublie que sa révolution de
Ainsi,
tous les gouvernements, les peuples et les rois se seraient entendus pour être
lâches le même jour ! Il y aurait eu une lâcheté commune, fruit d'une peur
mutuelle!... Non, mais une impérieuse nécessité s' est reproduite partout sous
des formes diverses. Qu'on ne croie pas que
L'auteur
n'ignore point que ses adversaires repousseront comme injurieuse la supposition
d'avoir voulu la propagande et la guerre générale; il y a dans chaque système
bien des conséquences qui ne sont point dans la volonté de celui qui pose les
prémisses. Ce qu'il importe à l'auteur et à ses amis, c'est de constater la
portée des doctrines qu'ils ont eu à combattre; le repos européen et
l'indépendance belge ne pouvaient coexister que dans un système de transaction;
ceux qui se sont jetés dans le système belliqueux rendaient impossibles l'un et
l'autre de ces résultats; si c'est dans ce but qu'ils ont agi, leur pensée a
été criminelle; si sans avoir ce but, leur conduite a été absurde : absurdes ou
coupables, tel est l'arrêt qui les attend. Ce n'est pas que l'auteur ne
comprenne tout ce qui se fait d'entraînement et d'enthousiasme; mais il n'a jamais
pris les mouvements de son âme pour des maximes de droit public: cette question
de guerre générale, de révolution universelle, (page 59) qui semble promettre
d'autres destinées à l'espèce humaine, cette question se présente dans un
imposant appareil, entourée de bien des prestiges; elle ébranle les
imaginations; elle s'adresse à tout ce qu'il y a d'exalté et d'infini dans
l'homme; on est ému, on est tenté d'applaudir, on se surprend parfois
applaudissant; mais ce n'est point à ces premières impressions ,qu'il faut
céder. Le système. belliqueux, c'est le vieux .système de 1791; les partisans
du système belliqueux n'étaient point des novateurs, mais des plagiaires; tout
ce qu'on a dit en 1831, on l'avait dit en 1791. Le système belliqueux était
populaire en 1791 : cette popularité s'est éteinte dans le sang et les larmes.
Si ce système avait été écarté, il y a quarante ans, on aurait pu prétendre
que, resté sans application, il avait besoin d'une épreuve décisive; mais
l'épreuve a été faite, large, complète; la société lui a été livrée tout
entière, sans réserve, nivelée comme au lendemain de la création; il a disposé
de
L'auteur
n'est donc pas de ceux qui croient que les révolutions de 1830 ont manqué à
leurs principes, à leurs promesses, à leurs destinées; elles se sont arrêtées
aux faits qui les avaient rendues nécessaires; elles n'ont pas dévié de leur
point de départ; elles ont accompli leur œuvre pacifiquement, et c'est là un
grand progrès, un des plus grands progrès que puisse offrir l'humanité. La
monarchie belge, en acceptant toutes les libertés, a anticipé l'avenir et
réduit les théories sociales à des questions de mots;
Bruxelles, le 20 septembre 1834.
[1] Chambre des représentants,
séances du 26 mars et du 20 juin 1833. Recueil des discours faisant suite à
[2] Il existe quatre recueils de pièces officielles sur les négociations hollando-belges :
1° RECUEIL DE BRUXELI,ES (chez H. Remy). Nous donnons ce titre aux rapports, en très grand nombre, faits au Congrès et aux Chambres de Belgique par les divers ministres des affaires étrangères et qui forment deux volumes in-8°. L'absence de plan et le défaut de pagination uniforme rendent les recherches très difficiles;
2° RECUEIL DE LA HAYE (chez A.-D. Schinkel). Deux
volumes in-8°, sous le titre de : Pièces diplomatiques relatives aux affaires de
Les notes émanées des cabinets de Bruxelles ou de La
Haye n'ayant point été toutes annexées aux actes de
3° RECUEIL DE LONDRES (imprimé chez Harrison. et
fils). Deux volumes in-folio ayant pour titre: Papers relative to the affairs
of Belgium. Le premier volume renferme le texte des soixante-dix protocoles
tenus par la conférence de Londres et les notes qu'elle a cru convenable d'y
annexer; le second volume est divisé en deux parties. Première partie: Communications with the
ministers foreign powers at
C'est la collection des pièces communiquées au Parlement en 1833.
Le deuxième volume est loin d'offrir l'intérêt qu'il semble promettre; il ne renferme que des dépêches officielles très laconiques et auxquelles bien souvent ont dû être jointes des lettres confidentielles restées inédites; néanmoins, on y trouve des documents très importants et, entre autres, le précis des négociations rédigé par le comte de Nesselrode, le 27 février 1831.
4° RECUEIL DE PARIS (de l'imprimerie royale). Deux volumes in-4°. Le premier volume est l'équivalent du premier volume du recueil de Londres; le second volume renferme une partie des pièces non annexées aux protocoles de Londres ou postérieures au soixante-dixième protocole. Ce deuxième volume, dont l'impression a été seulement achevée en 1836, est d'une haute importance, quoiqu'on ait négligé d'y insérer plusieurs documents intéressants qui se trouvent dans le second volume du recueil de Londres et, notamment, le mémoire russe du 27 février 1831. Ce recueil n'est destiné qu'aux membres du corps diplomatique français, et chaque exemplaire porte un numéro. Peu d'exemplaires ont été distribués.
La possession de ces quatre recueils ne dispense pas de recourir à d’autres sources; par exemple, la proclamation adressée par le régent de Belgique aux habitants du grand-duché de Luxembourg, le 10 mars 1831, ne se trouve pas dans ces recueils; il faut donc les compléter par une collection de journaux, par l'Annuaire historique de Lesur et Tensé, et par les State Papers.
[3] Discours sur les
vingt-quatre articles, séance du 26 octobre 1831. Recueil des discours, p. 36.