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« ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR LA RÉVOLUTION BELGE »

       

Par Jean-Baptiste Nothomb

 

Préface de la deuxième édition (10 mai 1833)

 

(page 9) L'auteur s'est imposé la loi de ne rien changer au texte de son ouvrage; il aurait cru manquer à un devoir envers ceux qui ont bien voulu se procurer la première édition, et il n'est jamais entré dans ses vues de faire une spéculation de librairie[1]. S'il entreprend ici de répondre à quelques objections, c'est qu'il craint que son silence n'ait quelque. chose de dédaigneux: la presse, à quelques exceptions près, a été pour lui loyale et bienveillante, et il lui doit à la fois des remercîments et une réponse.

 

L'auteur n'a peut-être pas été heureux dans le choix du titre de son ouvrage, qui n'est qu'un essai sur l'histoire politique ou diplomatique de la révolution; cependant, le titre qu'il a adopté, et qu'il laisse subsister, n'a pu induire personne en erreur, lui-même ayant annoncé (page 10) que son intention n'était pas d'écrire une histoire; son but a été seulement de résumer la marche politique de la révolution belge et de mettre le grand résultat de cette révolution, l'indépendance, en rapport avec le passé de la patrie. Cette indépendance, reconnue par l'Europe, lui apparaît, non comme un accident, mais comme le complément de la civilisation belge.

Les événements purement intérieurs occupent peu de place dans son écrit; il a dû se borner à donner un souvenir aux journées de septembre, à prendre acte de la conspiration de février, du terrorisme du mois de mars; il n'a pu voir que le côté politique de la campagne du mois d'août; plus de détails auraient détruit l'unité d'intention. Au risque d'être peu dramatique, il a voulu que la pensée qui, selon lui, a présidé aux destinées du pays, fût écrite à chaque page, qu'une préoccupation puissante s'emparât du lecteur. Qu'importent, au reste, les détails intérieurs, si la situation sociale demeure la même, si elle offre dans son ensemble le même tableau, si elle révèle les mêmes nécessités?

Et, d'ailleurs, la révolution n'a-t-elle pas perdu de bonne heure de son intérêt dramatique? Le lendemain, en quelque sorte, des journées de septembre 1830, n'a-t-elle point passé de la place publique dans le cabinet? Ne s'est-elle point à sa source engouffrée dans la diplomatie? En présence des soixante-dix protocoles, que devient le drame? La révolution n'est restée entre les mains du peuple que le temps qu'il a fallu pour la procréer; à peine née, elle est tombée dans le domaine des négociations: n'est-ce pas là un des caractères de cette révolution, et l'auteur pouvait-il le méconnaître? Que (page 11) voulez-vous que fasse l'historien? A la révolution de 1790 les bulletins des armées, à la révolution de 1830 les protocoles de la conférence de Londres. Les événements intérieurs ne forment donc que les ombres du tableau; de cela il ne faut accuser l'auteur comme écrivain. Sans doute, il aurait pu s'arrêter à quelques scènes d'intérieur, saisir l'aspect du pays aux premiers jours d'illusion ou de danger, aux jours où la Belgique se leva palpitante de colère et d'enthousiasme, dans ces jours où, tour à tour, l'espérance et le péril, l'exaltation et le désespoir donnent à tout un peuple une seule âme, le font tressaillir sous le même battement de cœur; il aurait pu parcourir les rues et pénétrer dans l'enceinte du Congrès national, peindre les flots populaires battant le pied du palais législatif, interroger les échos des tribunes alors bruyantes et depuis silencieuses. Il a craint d'entrer dans des détails de ce genre; il avoue qu'il est un écueil qu'il a voulu éviter: il lui fallait des faits certains et à l'abri des intentions individuelles; or, il est des faits qu'il ignore, il est des intentions qu'il ne veut point scruter. Il y a plus : si le but qu'il s'est proposé ne lui avait pas permis de dégager la marche de la révolution de tous les incidents domestiques, s'il avait été, forcé d'anticiper sur des révélations à venir, s'il n'avait pu s'élever, à une hauteur d'où il n'a vu que les choses et non les hommes, il se serait abstenu d'écrire; ce n'est pas lui qui jettera la première pierre à qui que ce soit.

 

L'auteur aurait même voulu pousser l'impartialité jusqu'à laisser ignorer quelle est la nuance de l'union à laquelle il appartient; en parlant des coups d'État de (page 12) Joseph II, il a dit qu'en principe « l'ordre civil et l'ordre religieux doivent coexister sans avoir de prise l'un sur l'autre » ; et il est encore à se demander comment cette phrase a pu le trahir. La séparation de l'ordre civil et de l'ordre religieux est pour lui non un fait, mais un principe, non une transaction passagère, mais un progrès social. Il ne conçoit à cet égard que trois manières d'être: la suprématie de l'ordre civil sur l'ordre religieux, la suprématie de l'ordre religieux sur l'ordre civil, la séparation et l'indépendance des deux ordres. Il ne veut pas de la suprématie religieuse qui, toutefois, a pu être nécessaire à certaines époques de la civilisation; il ne veut pas de la suprématie civile avec Louis XIV, Joseph II ou Napoléon; il veut la séparation avec la Constitution de 1831. C'est là ce qui caractérise la nouvelle société belge; c'est la grande idée que le peuple belge apporte à son début sur la scène du monde, c'est là ce qui fait que ce peuple, tant calomnié, a devancé les autres peuples. Si vous revendiquez la suprématie religieuse vous rétrogradez; si vous revendiquez la suprématie civile vous rétrogradez: c'est la séparation des deux principes qui donne à l'État belge une individualité qui lui est propre et qu'il faut se garder de lui ravir.

Ce n'est pas là une vaine théorie, c'est une réalité mise en pratique depuis la promulgation de notre pacte social, où vous lisez ces mots que vous chercheriez en vain dans les nombreuses constitutions qui se sont accumulées depuis un demi-siècle: « Nul ne peut être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d'un culte... L'État n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation (page 13) des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, ni de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication. » (Art. 15 et 16.) La suprématie religieuse a marqué la période qui s'est écoulée depuis l'avénement du christianisme au pouvoir jusqu'au XVIe siècle; à cette époque, la royauté, qui venait d'absorber toutes les souverainetés féodales, entra dans une réaction contre la puissance religieuse; à la suprématie papale a succédé la suprématie monarchique : dès lors, l'exercice du culte catholique a été subordonné à la conclusion d'un traité avec le gouvernement temporel et l'installation des chefs ecclésiastiques au consentement royal; les actes mêmes des autorités religieuses ont été soumis, avant leur publication, à la censure civile.

On ne concevait point qu'il pût exister un état de choses où la suprématie n’appartînt ni à la puissance religieuse, ni à la puissance civile; l'Assemblée constituante elle-même n'osa faire cesser la confusion et elle promulgua l'acte fameux connu sous le nom de constitution civile du clergé.

Il était réservé à la révolution belge de dire: Plus de concordat, plus d'investiture royale, plus de placet ; liberté pour l'association religieuse comme pour toute autre association. Car, qu'on le remarque bien, un culte, aux yeux du gouvernement, n'est qu'une association jouissant de la liberté de penser, d'écrire, d'enseigner.

Ainsi tombent ces conflits funestes qui ont rempli tant de siècles; ainsi s'est fondé un ordre de choses que (page 14) la monarchie de Léopold a accepté et que l'Europe finira par comprendre.

 

L'on a reproché à l'auteur d'avoir falsifié le passé au profit du présent, en recherchant la loi de la sociabilité belge, en déclarant les générations solidaires, en s'efforçant de saisir le lien mystérieux qui rattache les temps présents aux temps anciens.

L'auteur est convaincu qu'il n'y a rien de fortuit dans la vie des peuples; sous des détails en apparence divers et opposés, il aperçoit l'unité; évoquant, à côté de la révolution de 1830, les révolutions de 1565 et de 1788, il a présenté ces trois événements comme connexes; il les a rapportés à la même cause: le besoin de nationalité, principe vague, instinctif d'abord, mais agissant sans cesse et se précisant davantage. Il s'est arrêté aux époques de réaction; il aurait pu creuser les faits plus profondément, les prendre à leur source. L'Autriche, a-t-il dit, n'est pas parvenue à rendre les Belges autrichiens, la France, français, la Hollande, hollandais; et il a montré la Belgique en hostilité avec Guillaume 1er, aux prises avec Joseph II, indifférente à la chute de Napoléon. C'est que chacune de ces dominations s'était imposée au pays; la réaction sous laquelle chacune d'elles a disparu a-t-elle de quoi surprendre? Deux fois, à la distance d'un siècle, à Utrecht et a Vienne, l'Europe disposa des provinces belges; une fois la France se les appropria malgré l'Europe: entre les conventions diplomatiques de 1713 et de 1815 vient se placer la loi révolutionnaire du 9 vendémiaire an IV. Différents d'origine, ces actes ont eu pour la Belgique le même caractère; (page 15) ils ont été accompagnés des mêmes circonstances ; ils ont provoqué les mêmes antipathies. Nous oublions bien vite : l’empire français est déjà loin de nous ; et c’est à peine si, derrière les révolutions qui ont marqué la fin du XVIIIe siècle, nous apercevons les anciens Pays-bas autrichiens. Qu’on nous permette de faire justice de cette oublieuse politique, de jeter encore un regard sur un passé qui révèle tout notre avenir.

Ce n’est pas volontairement que la domination autrichienne a été acceptée en 1713 ; la maison d’Autriche n’a pris possession de nos provinces qu’à l’aide de mesures violentes et après une longue résistance.

Cette époque de notre histoire a été récemment éclaircie[2]. Lisez les lettres où le premier gouverneur autrichien, le marquis de Prié, rend compte de la situation du pays, de la disposition des esprits et des moyens qu’il dut employer pour prévenir une insurrection générale. Le 25 juillet 1718, il s’exprimait ainsi : « Je puis dire que je n’ai guère eu de repos ni de satisfaction générale depuis que je suis arrivé dans ce pays-ci, tant par rapport aux affaires de la barrière qu’à l’extravagance de ces peuples et manœuvres qui se font pour causer des troubles. Louvain commence à remuer, et l’on travaille à Gand et à Bruges pour exciter la populace. S’il arrive quelque mouvement à Gand et à Bruges, je ne répondrais (page 16) pas que cela ne passe à une révolte formée et générale du pays. » Après avoir arrêté les doyens des métiers de Bruxelles, il écrivait: « Après la manière dont on a rangé ce peuple de Bruxelles, qui a été de tout temps le plus turbulent, les autres villes ne songeront plus à remuer. L'exemple que l'on donnera réparera entièrement le scandale qu'il a causé dans ce pays. » L'Europe connaît cet Egmont que le duc d'Albe a fait, décapiter en 1568 au nom de l'Espagne; la bourgeoisie de Bruxelles n'a pas oublié le doyen des métiers Anneessens, que le marquis de Prié a fait décapiter en 1719 au nom de l'Autriche; le grand guerrier et le modeste artisan sont montés sur le même échafaud; le crime a été le même; la peine a été la même: mais par une des singularités de l'histoire, à l'un une gloire éclatante, à l'autre le pieux souvenir de quelques vieillards.

Nous savons maintenant de quelle manière le gouvernement autrichien s'est implanté dans le pays: deux faits sont encore venus attester combien ce gouvernement était peu national; nous voulons parler de la honteuse renonciation de Charles VI à l'établissement de la Compagnie d'Ostende (1731), de la transaction non moins blâmable de Joseph II sur la liberté de l'Escaut (1785). Le règne de Marie-Thérèse n'a été qu’une exception qui aurait légitimé le régime autrichien, si ce qui est antinational dans son principe pouvait jamais devenir légitime.

 

Ce n'est pas volontairement que la domination française a été acceptée en 1795 : ouvrez le Moniteur; relisez les détails des occupations militaires de 1792 à 1795; (page 17) consultez les débats qui ont précédé la loi du 9 vendémiaire an IV.

Dès l'entrée des troupes françaises en Belgique, plusieurs contrées avaient émis le vœu de la réunion, et ces vœux partiels avaient été acceptés; Dumouriez osait néanmoins écrire à la Convention, le 12 mars 1793, que ces vœux avaient été arrachés à coups de sabre.

La question de la réunion intégrale et définitive ne fut mise à l'ordre du jour qu'un mois environ avant la clôture de cette assemblée fameuse; elle remplit deux séances; Merlin ouvrit la discussion le 30 septembre 1795, par un rapport étendu dont les conclusions furent soutenues le lendemain par Carnot ; tous les deux appuyèrent la réunion comme utile à la France sous les rapports tant commerciaux que militaires.

« Il importe à la République, disait Merlin de multiplier ses moyens de défense contre des gouvernements qui, même après avoir posé les armes qu'ils portent aujourd'hui contre elle, resteront toujours ses ennemis secrets et ne seront longtemps occupés qu'à épier le moment favorable pour lui déclarer une nouvelle guerre.

« Il importe à la République de faire pencher en sa faveur la balance du commerce, d'enlever aux Anglais plusieurs branches de celui qu'ils font avec tant d'avantage et, par conséquent, de ne pas laisser échapper de ses mains les incalculables profits que lui promet la possession d'un pays dont les productions excèdent constamment de deux tiers les besoins de son immense population; de ne pas se priver de ceux que lui assure la libre navigation de fleuves, de rivières et de canaux (page 18) qui ont toujours passé pour les plus grandes sources de prospérité publique...

« Il importe enfin à la République, et il lui importe par-dessus tout de dissiper les craintes que la malveillance et l'ineptie se sont accordées à répandre sur la suffisance du gage actuel de nos assignats, et, par conséquent, d'ajouter à ce gage les domaines que le clergé et la maison d'Autriche possédaient dans le pays de Liége et la Belgique; domaines si considérables, si riches, si multiples, que les calculs les plus modérés en portent la valeur à plus des deux tiers de la somme totale de nos assignats en circulation. »

Voilà, sans doute, des motifs bien puissants pour s'emparer d'un pays; écoutons Carnot:

« En gardant Luxembourg, non seulement vous privez votre ennemi de la place d'armes la plus forte de l'Europe après Gibraltar et la plus dangereuse pour vous, mais vous vous appropriez ce boulevard inexpugnable et vous en couvrez votre frontière, qui était déjà très forte: il vous donne, de plus, la facilité de porter vous-mêmes la guerre en avant, sans être arrêtés par rien, et devient ainsi le gage assuré d'une paix solide et durable: car l'ennemi ne vous attaquera plus lorsqu'il verra que le résultat immédiat et inévitable de son agression serait l’invasion de son propre pays, si dépourvu de tout moyen de résistance.

« J'examine maintenant ce qui concerne le pays situé à la rive gauche de la Meuse, qui est la Belgique proprement dite, et je vois qu'en réunissant ce pays à la France, nous avons deux barrières au lieu d'une. L'une est l'ancienne, qu'il faudrait bien se garder de détruire, (page 19) puisqu'elle nous couvre non seulement du côté des Pays-Bas, mais encore du côté de la mer; l'autre est la rivière même de Meuse, qui enveloppe la Belgique, barrière très respectable par la possession de Maestricht et de Venloo, qui nous appartiennent, et par la faculté que vous vous êtes réservée, dans le traité de paix avec la Hollande, de mettre garnison en temps de guerre à Gavre, Bois-le- Duc et Berg-op-Zoom, qui en défendent le passage, en même temps que Luxembourg prend à revers l'armée ennemie qui voudrait le tenter. »

Des orateurs contestèrent la réalité des vœux attribués aux populations belges; Armand (de la Meuse) et Lesage (d'Eure-et-Loir) se firent remarquer par l'énergie de leurs discours.

« On parle des vœux des Belges, disait Armand, mais des délibérations prises au milieu des armes sont-elles des délibérations? Et qui vous dira que ces peuples ne réclameront pas un jour? De quel droit, après les avoir vaincus, les priveriez-vous encore de leurs préjugés, de leurs richesses, de leur culte, de leur forme de gouvernement?...

« On parle d'indemnité des frais de la guerre. Mais vous avez donc oublié que ce n'est ni aux Belges, ni aux Liégeois que vous avez fait la guerre, mais à leur gouvernement, et cependant c'est sur ces mêmes Belges et Liégeois que vous voulez vous indemniser!

« La véritable indemnité est dans la justice et dans la paix, que vous devez vous hâter de rendre à l'Europe. Sans doute, il est de votre intérêt d'humilier la maison d'Autriche; mais le moyen qu'on vous propose est impolitique. Sans doute, elle doit une indemnité à l'Europe (page 20) entière, qu'elle a troublée par ses intrigues et par le traité de Pilnitz...

« Vous atteindrez ce but en assurant à la Belgique son indépendance. Qu'il soit libre aux Belges de se former un gouvernement cimenté sur leurs mœurs et sur leur religion. Votre modération dans la victoire vous conciliera tous les esprits ; vos prétentions exagérées vous susciteront une foule d'ennemis. »

« On prétend, disait Lesage (d'Eure-et-Loir), que les Liégeois et les Belges ont voté leur réunion à la République, que la France a accepté leur vœu. On le dit, mais dois-je le croire, quand j'entends répéter de toutes, parts la manière révolutionnaire dont ce vœu a été commandé; et qui oserait ouvrir la page du livre où l'histoire a buriné toutes les horreurs qui se sont commises dans ces malheureux pays? C'est là que l'on a fait les premiers essais du terrorisme et de la morale révolutionnaire; c'est là que les Danton et tant d'autres ont développé leurs grands talents pour les vols, les assassinats et les concussions, précurseurs de tous ceux que l'on vit paraître ensuite à Paris et de tous les proconsuls qui ont été envoyés dans les provinces et près des armées; et l'on ose nous rappeler à ces temps qu'on ne saurait trop s'appliquer à faire oublier! Et l'on veut nous faire croire à la validité des décrets rendus dans les mois de mars, avril et mai 1793, dans les mois où se trouve cette fameuse nuit où l'on voulut égorger une partie des membres de la Convention et quelques ministres, dans ces mois où se trouve l'époque désastreuse où la représentation nationale fut si cruellement outragée et on pourrait dire détruite, dans ce temps où (page 21) tout décret proposé, appuyé ou obtenu par le côté droit, était frappé d'anathème par la Montagne, et ses orateurs voués à la mort! ...

« Je sais que le comité attribue à l'intrigue et à la méchanceté de quelques hommes les dispositions des Belges contre la France. Rien, selon lui, n'a pu ébranler la masse du peuple, et leurs cœurs n'en demeureront pas moins tournés vers la France. Mais comment puis-je croire à une pareille assertion quand les députés belges m'ont dit à moi: Vous nous avez rendus tellement malheureux, l'état d'incertitude, d'anxiété, de peine, où vous nous retenez encore, est tellement insupportable, que nous aimons encore mieux être à la France que de rester comme nous sommes. Ainsi, pour eux, être à la France est un pis aller. »

La réunion de la Belgique à la France a donc été une question d’utilité et non de sentiment, question tranchée par l'omnipotence révolutionnaire, sans l'aveu de la Belgique ni de l'Europe. Arrivé là, le peuple, que le droit du plus fort condamne, se résigne, heureux s'il s’élève une voix pour protester au nom de l'indépendance mourante, en faisant aux générations futures un de ces appels qui ne sont jamais perdus. Peu de jours avant l'ouverture des débats de la Convention, M. Adrien Philippe Raoux, membre du conseil souverain de Hainaut, publia un mémoire contre la réunion. L'auteur ne se dissimule pas certains avantages de cette mesure politique; après les avoir franchement exposés, il conclut par ces paroles touchantes: « Malgré ces avantages, qui sont immenses et à la portée d'être sentis par toutes les classes du peuple, il est certain que la très grande (page 22) majorité de ce peuple craint la réunion et la regarderait comme une calamité publique. A l'instant où cette nouvelle serait proclamée officiellement, des larmes couleraient dans l'intérieur des familles[3]. »

Ce n'est pas volontairement que la domination hollandaise a été acceptée en 1814; et ici l'auteur n'a rien à rétracter de ce qu'il a dit. Il n'y a pas eu de coup d'État en 1830 : il l'avoue; et cependant il a éclaté une révolution. Il y avait un coup d'État permanent; il datait de 1814. Depuis quinze ans, le peuple belge était moralement dans une situation violente d'où il a voulu sortir; il n'attendait que l'occasion propice. Il y a des coups d'État qui ne survivent point à la nuit qui les voit naître; d'autres ont des années d'impunité : peu importe l'intervalle qui sépare la cause de l'effet, la violence de la réaction, l'attentat de la vengeance.

Et a-t-on révoqué en doute aucun des actes cités par l'auteur?

S'est-il présenté quelqu'un pour soutenir que la (page 23) Hollande et la Belgique ont été préalablement consultées sur la réunion;

Que la loi fondamentale du 24 août 1815 a obtenu réellement la majorité des suffrages, non de la commission chargée de la rédaction, mais des notables ayant mission de l'adopter définitivement; .

Que la Hollande n'a pas été considérée comme constituant l'individualité nationale, que la Belgique n'a pas été qualifiée d'accroissement de territoire?

N'est-il pas constaté, par les appels nominaux, que, pendant quinze ans, les cinquante-cinq députés hollandais, membres des États~Généraux, ont disposé, grâce à la défection de quelques Belges, des provinces méridionales?

La nationalité hollandaise étant réputée antérieure et supérieure à la création du royaume-uni des Pays-Bas, a-t-on contesté aucune des nécessités que le chef du gouvernement a fait dériver de ce principe sous le rapport de l'administration, de la langue, des impôts, dans la répartition des emplois civils et militaires, dans la fixation du siége des grands établissements?

L'auteur a-t-il outragé la dynastie déchue, ou plutôt ne l'a-t-il pas vengée de beaucoup d'outrages, en la montrant placée sous l'empire d'une loi fatale?

Et cependant, à la logique impassible des faits, considérés en eux-mêmes, l'auteur aurait pu substituer ou ajouter une accusation plus personnelle; après avoir établi que la loi fondamentale de 1815 a été rejetée par la majorité numérique des notables, que, par conséquent, il n'a jamais existé de contrat entre la Belgique et la maison d'Orange, il aurait pu admettre l'existence (page 24) constitutionnelle de la loi fondamentale et, dans cette supposition, rechercher si ce contrat a été franchement mis en pratique.

Les conditions essentielles du gouvernement représentatif ont été déniées au pays.

Des arrêtés ont dénaturé le pouvoir électoral et, partant, le principe même de la représentation.

L'inamovibilité judiciaire, promise par la constitution, a été ajournée.

La royauté s'est prétendue inviolable, tout en répudiant la responsabilité ministérielle.

Ainsi, tous les pouvoirs sociaux, tels que les veut le gouvernement représentatif, tels que les voulait la constitution, soit expressément, soit virtuellement, ont été faussés; et la Belgique a vécu quinze années sous ce régime indéfinissable, qui manquait à la fois de la franchise de l'absolutisme et des garanties de la liberté.

Et que serait-ce si des principes généraux nous descendions dans les détails de l'application, si nous entreprenions d'énumérer ces arrêtés illégaux qui ont empiété sur le domaine législatif, de faire le tableau de ce despotisme administratif et fiscal qui avait tout envahi, de percer les ténèbres de ce régime financier qui a amené l'effrayant déficit de dix millions cent mille florins de rentes annuelles, déficit constaté par la Conférence de Londres?

Faut-il rappeler les menaces d'un coup d'État à l'aide desquelles, en 1829, on a obtenu le budget décennal? Faut-il enfin, pour couronner l'œuvre, citer le message du 11 décembre 1829, audacieuse protestation de la dynastie régnante contre le gouvernement représentatif, (page 25) éclatant manifeste contre l'exécution pleine et entière de la loi fondamentale de 1815?

Ne pouvant nier aucun de ces faits, on refusera peut-être d'y voir une violation formelle de la constitution; les adversaires de la révolution de juillet prétendent que l'article 14 de la charte autorisait les ordonnances de Charles X.

En 1814, les forces nationales étaient dans un état de prostration; mais, par l'action même de l'informe système représentatif qui avait été octroyé au pays, la lutte entre les deux populations n'a pas tardé à se manifester.

La suprématie hollandaise est lentement arrivée à son plus haut point en 1821 ; la loi financière du 12 juillet de cette année a marqué cette époque. Dès lors, la position de la Hollande est devenue agressive, celle de la Belgique défensive, et la réaction s'est prolongée pendant toute la période décennale. Les auteurs de la révolution de 1830 ne sont pas seulement ceux qui ont concouru à cet événement, ce sont tous ceux qui l'ont préparé par leurs actions et leurs discours. Parmi ces derniers, il en est qui n'ont pas participé à la catastrophe; mais ils n'ont emporté leurs actes ni dans la tombe, ni dans la retraite. Vous dites que la révolution est un crime: avez-vous compté tous les complices? Révolutionnaire de 1830, nous revendiquons comme un des nôtres, par exemple, le député belge qui, en 1822, signalait en ces termes la scission entre la Belgique et la Hollande: « Ces lois ne sont faites pour nous, et cependant vous allez nous les imposer. Lorsque, avec une grande partie de l'Europe, nous avons subi le joug d'une affreuse législation (page 26), le torrent de la conquête nous avait entraînés avec tant d'autres; et quel peuple aurait pu, avec succès, s'opposer à ce torrent? Il a fallu attendre que cette législation eût miné sourdement ses forces, eût détruit l'énergie qui porte un même peuple à défendre son territoire; alors vous avez senti l'effet d'une législation que vous abhorriez: des premiers vous vous lancez dans la carrière pour vous en affranchir; et, quand des armées et notre position géographique nous empêchaient d'agir, nous avons applaudi à vos efforts... Et maintenant, qu'allez-vous nous donner? Dans une circonstance aussi majeure, il ne nous est permis de rien déguiser de ce que nous pensons, de ce que nous sentons. Pour bien apprécier les effets des lois qu'un peuple impose à un autre nous devons examiner avec soin leurs positions respectives, les antécédents qui peuvent nous guider. Dans les premiers moments de notre réunion, plus d'une fois on fit entendre que plusieurs dispositions de la loi fondamentale avaient eu pour but d'empêcher qu'une division du royaume ne donnât des lois à l'autre. J'avais, au contraire, la conviction que toutes devaient tendre à effacer les traces des divisions principales, à établir l'union complète et intime, et à nous faire marcher ainsi franchement vers une législation générale, dont les éléments devaient se puiser dans les lumières du siècle, dans l'ordre nouveau établi pour nous et dans le changement de relations de tous les genres établies entre les divers peuples.

« Les effets d'une séparation, au lieu de la fusion, n'ont pas tardé à se faire sentir. Une lutte s'est engagée qui n'aurait jamais dû exister, et nous allons éprouver (page 27) ce qu'on aurait voulu prévenir par des dispositions fondamentales, d'ailleurs si peu conformes aux principes de justice, sans lesquels une législation ne peut avoir que des suites funestes. Quand la réunion de deux nations est commandée, quand l'imprévoyance même a pris les mesures nécessaires pour perpétuer le partage de l'État en deux divisions principales, on se demande avec une espèce d'anxiété s'il n'y a point de témérité à faire plier la portion la plus forte au gré de la plus faible. En supposant que les votes affirmatifs sur la loi du 12 juillet prouvent que toute la population des anciennes Provinces-Unies désire le nouveau système d'impôts, la même preuve de l'aversion des provinces belgiques résulte de l'unanimité de nos votes négatifs. S'il y avait eu quelque amalgame, quelque fusion dans les opinions, la majorité, quelque faible qu'elle fût, aurait présenté de la force en faveur de l'opinion triomphante; mais une scission aussi complète ne laisse voir, d'un côté, qu'une volonté impérative, toujours formidable pour ceux mêmes qui l'exercent, et, de l'autre, qu'une soumission sans bornes, dont, les premiers, nous donnerons l'exemple salutaire. Mais cette disposition, ces sentiments ne doivent pas nous entraîner au point de ne pas faire connaître toutes les vérités qu'une discussion solennelle nous invite à développer. Je ne me trompe pas en croyant que l'on a pu se dire: il y a peu de danger à imposer la loi, quelque dure, quelque absurde qu'elle soit, à un peuple qui depuis longtemps a cessé de figurer parmi les nations indépendantes.

« Cette idée peut avoir quelque apparence de justesse pour des hommes superficiels, qui repoussent les (page 28) lumières de l'histoire. Nos ancêtres ont très bien connu les dangers que courait leur belle patrie quand elle devenait province d'une vaste monarchie, dont le centre était éloigné, dont le souverain allait avoir des idées, des mœurs étrangères. Aussi nos annales rapportent-elles que les ministres belges qui guidaient le jeune Charles dans les premiers pas de son immense carrière, alléguaient sans cesse de nouveaux motifs pour retarder son départ pour l'Espagne; ils avaient la juste crainte de l'influence étrangère et de se voir imposer des lois contraires à leur prospérité, à leurs lumières, à leurs mœurs, à leurs droits...

« Ce n'est pas nous qui venons affirmer, c'est l'histoire qui atteste que, dans aucun autre pays, il n'a été aussi dangereux que dans les provinces belgiques d'adopter des mesures qui heurtent les principes d'une législation sage et prudente... Ainsi, messieurs, que l'idée d'une habitude de recevoir la loi, et surtout de recevoir une loi étrangère, ne vous séduise pas. Cette habitude n'a jamais existé. Ne confondez pas les malheurs de la guerre et la volonté de toutes les puissances avec une législation qu'on ne nous a point imposée... Comparons les époques; comparons les forces physiques et morales et permettons-nous de demander si nous devions nous attendre, dans l'état où nous sommes, à un événement qui a paru impossible sous les plus puissantes monarchies de l'Europe, dont les provinces belgiques ont fait partie.

« Cet événement si inattendu, et que l'homme le moins attentif, le moins prévoyant, considère comme calamiteux, nous le devrons à vos suffrages. Le pouvoir (page 29) absolu, quand même il aurait été établi légalement, abandonné à lui-même, n'aurait jamais été assez inconsidéré pour adopter et exécuter des mesures contre lesquelles s'est prononcée notre opinion unanimement négative. Cette circonstance empêchera toujours vos résolutions, prises sous cette ligne de démarcation, de trouver quelque appui dans nos institutions représentatives. Au contraire, leur force morale est détruite par l'effet nécessaire de la séparation que vous avez préparée et que vous voulez maintenir. »

Ainsi s'exprimait M. Reyphins, dans la séance des États-Généraux du 14 mai 1822[4]; nous n'avons rien à ajouter à ces belles et énergiques paroles; aux grands jours de la révolution, l'éloquence parlementaire ne s'est pas élevée plus haut.

Quelques partisans de la maison d'Orange ont reconnu les vices inhérents à l'organisation du royaume-uni des Pays-Bas; ils ont cherché le remède, non dans une séparation absolue mais dans une séparation administrative.

Il est très vrai que la révolution, à son début, alors qu'elle avait encore la devise: Incertum quo fata ferant, a demandé la séparation administrative; la progression révolutionnaire a écarté cette question: aurait-on pu s'arrêter là?

L'auteur a supposé, la révolution étant faite, que, hors de l'indépendance, il y avait trois partis à prendre: la (page 30) réunion à la France, le retour à la Hollande, le partage; et il a discuté ces trois hypothèses; il en examinera en peu de mots une quatrième, celle de la séparation administrative.

L'auteur n'aurait vu dans cette séparation qu'une halte de quelques mois, de quelques années peut-être; et rien de plus. Encore doute-t-il qu'on fût jamais parvenu à réaliser cet état de choses.

Quelles eussent été les conditions de la séparation administrative?

La convention de Londres du 21 juillet 1814 aurait-elle été abrogée?

L'intervention des puissances signataires de cette convention aurait-elle été nécessaire?

Dans la négociation ouverte pour fixer les conditions de la séparation, qui eût été le défenseur des intérêts belges? Comment le roi Guillaume aurait-il pu être à la fois l'organe de la Hollande et celui de la Belgique?

Aurait-on maintenu les États-Généraux comme représentant le royaume entier, sauf à réserver certaines questions secondaires à la décision des corps législatifs établis dans les deux pays?

Ou bien aurait-on supprimé les États-Généraux, sauf à soumettre successivement certaines questions au vote des corps législatifs des deux pays; et, en cas de dissentiment, quel eût été le pouvoir compétent pour lever le conflit?

Comment se seraient opérés le partage des territoires et celui des dettes?

La Hollande aurait-elle consenti à n'être représentée que par les provinces septentrionales, abandonnant à la (page 31) Belgique les provinces méridionales avec Venloo, Maestricht et Luxembourg?

La Hollande aurait-elle laissé les Belges en possession de tous les avantages commerciaux dont ils jouissaient depuis 1814, et à quelle condition?

Aurait-on établi une ligne de douanes entre les deux pays et, en cas de négative, comment eût-il été possible de détruire l'uniformité d'impôts et de créer deux systèmes de dépenses?

Les Hollandais se seraient-ils résignés à se regarder comme étrangers en Belgique et, par conséquent, connue inadmissibles à tout emploi?

Mais passons sur toutes ces difficultés, qui démontrent que la séparation administrative n'était qu'une utopie, indigne des regrets des hommes réfléchis; supposons, pour un moment, cet ordre de choses réalisé.

La nature nous étonne parfois en créant des êtres doubles, vivant de la même vie dans des corps différents; l'art et la politique ne sont pas encore parvenus à contrefaire ces prodiges.

Voyez les deux peuples belge et hollandais, adossés l'un à l'autre: l'un regardant le Midi, l'autre le Nord.

Chacun a sa civilisation, sa religion, ses habitudes, ses besoins sociaux, en un mot, une existence propre.

L'un adopte la législation française, l'autre la rejette.

L'un réclame le jury, l'autre le repousse.

L'un trouve le Code pénal de 1810 trop sévère, l'autre la Caroline de 1532 trop douce.

L'un veut des mesures prohibitives en faveur de son industrie et de son agriculture, l'autre demande la liberté pour son commerce.

(page 32) L'un impose les matières que l'autre affranchit.

Leur attitude n'est jamais la même ; lorsque l'un se tient debout, soyez sûr que l'autre s'incline.

Voyez le roi forcé de sanctionner deux ordres de choses qui se condamnent mutuellement, tour à tour hollandais et belge, signant le matin le rejet du principe dont il signe le soir l'adoption.

Et pourquoi infliger cette torture morale aux deux peuples? Pour maintenir la communauté de dynastie, pour permettre au même prince de ceindre son front d'une double couronne.

La séparation administrative, il faut bien l'avouer, eût soulevé toutes les questions politiques, territoriales, financières et commerciales que les deux parties débattent depuis 1830, hors une seule: la question dynastique; et si, après de longues négociations, on était parvenu à obtenir un résultat, cette double existence n'eût présenté aucune garantie de durée. L'antagonisme eût subsisté; la lutte entre les deux peuples eût continué; elle aurait tôt ou tard amené une nouvelle catastrophe: mieux valait en finir en une fois, par la séparation absolue.

Ainsi, les trois dominations, qui se sont succédé en Belgique depuis le commencement du XVIIIe siècle, ont eu la même origine: aux partisans de l'Autriche, s'il existait encore de ces demeurants d'un autre âge, comme aux partisans de la France et de la Hollande, nous pourrions dire: le régime que vous regrettez a été violemment imposé au pays.

Le régime fondé par la révolution de 1830 offre un caractère de nationalité qui manque à tous ceux qui (page 33) l'ont précédé: nous n'avons rien laissé aux inductions; de simples arrêtés royaux avaient parodié le gouvernement représentatif, en créant le système électoral le plus monstrueux; les cinquante-cinq membres des États-Généraux du royaume-uni des Pays-Bas, pour les provinces méridionales, ne pouvaient être considérés comme représentant la Belgique nouvelle; le Congrès national reçut le mandat de pouvoir constituant d'électeurs qui, par les conditions électorales, pouvaient être assimilés aux citoyens réunis en assemblées primaires[5]. Ces conditions avaient été fixées par le gouvernement (page 34) provisoire, car il fallait bien que quelqu'un les déterminât; nous ne reprochons point à Guillaume d'avoir, d'après des règles qu'il avait établies lui-même, convoqué les notables en 1815 : ce que nous lui reprochons, c'est de n’avoir point soumis le titre de roi, qu'il tenait des puissances, à la sanction de ces assemblées;  de n'avoir point effacé le vice originel de la conquête par l'élection populaire, et d'avoir faussé le résultat des votes émis par les notables.

On nous dit gravement: Le roi Léopold tient sa couronne du Congrès national; le Congrès doit son existence au gouvernement provisoire; le gouvernement provisoire tient son pouvoir de l'insurrection. A notre tour, nous pouvons répondre: La loi fondamentale de 1815 a été censée adoptée par les notables; les notables tenaient leurs pouvoirs du roi Guillaume; Guillaume devait sa royauté aux puissances étrangères. Dans cette généalogie des pouvoirs, ici, nous aboutissons au droit de la conquête, là, au droit que donne l'insurrection nationale.

Dans les premiers mois de l'année 1814, l'Europe avait annoncé un système réparateur; les généraux des armées alliées avaient dit aux Belges: « Que la Belgique, jadis si florissante, se relève; mais qu'elle se relève sous l'égide de l'ordre et de la tranquillité. Son indépendance n'est plus douteuse. Mais rendez-vous-en dignes, en maintenant l'ordre intérieur... »[6] Nous (page 35) avons réclamé, en 1830, l'exécution de la promesse faite en 1814.

La Belgique a donc été trois fois victime d'un attentat contre sa nationalité. Ce n'est pas à dire qu'à aucune de ces époques cette nationalité eût atteint sa forme la plus parfaite: le succès même de la violence témoigne du contraire. L'unité nationale n'était pas assez forte pour lutter contre l'usurpation étrangère; il n'y avait guère encore qu'une tendance vers l'unité. Les provinces belges présentaient le même aspect que les provinces françaises avant la formation de la monarchie de Louis XIV; les recherches des Guizot, des Thierry, des Sismondi nous ont révélé les lois secrètes de la sociabilité française, qui avaient échappé aux Velly et aux Daniel; l'unité nationale ne date en France que du XVIIe siècle; l'unité nationale belge datera de 1830 : faut-il condamner cette dernière, parce qu'elle n'a pas les honneurs de la priorité? Faut-il contester au peuple belge sa personnalité, parce que chez lui la marche sociale a été plus lente, plus pénible; faut-il le punir d'avoir perdu au XVIe siècle ce principe dynastique qui pouvait le soustraire aux vicissitudes politiques, et d'avoir été réduit à traverser trois grandes crises qui auraient emporté sa nationalité, si la nationalité n'était point dans sa destinée?

La France de juillet a noblement réparé les torts de la France de 93; elle n'a pas réclamé nos provinces comme une indemnité; Louis-Philippe a montré plus de respect pour notre nationalité que la Convention, et le peuple français recueillera dans l'avenir les fruits de cette politique désintéressée qui lui a déjà valu l'alliance (page 36) de l'Angleterre. L'existence d'un État ami lui sera plus utile qu'une possession incertaine, contestée à la fois par les populations elles-mêmes et par l'Europe.

 

« Les sérieuses discordes chez un peuple, dit un écrivain qu'on n'accusera point d'être l'ami des révolutions, prennent leur source dans une vérité quelconque qui survit à ces discordes: souvent cette vérité est enveloppée, à son apparition, dans des paroles sauvages et des actions atroces; mais le fait politique ou moral qui reste d'une révolution est toute cette révolution.[7] » Quel est le fait sorti des événements de 1830? Ce fait est l'indépendance belge, à des conditions avouées par l'Europe.

Pourquoi la révolution du XVIe siècle n'a-t-elle point amené ce résultat? C'est que la Belgique, ayant obtenu la réparation des griefs politiques, s'est désistée en quelque sorte, ne voulant point adopter les griefs religieux de la Hollande et s'associer à l'Europe septentrionale et protestante: il y a, dans cette double issue de la révolution du XVIe siècle, si mal expliquée par les historiens, un argument invincible contre l'union de la Belgique et de la Hollande. Cette union a été projetée en 1576 à Gand; elle a été, trois ans après, rompue à Utrecht; renouvelée en 1815, les événements de 1830 sont venus la rompre de nouveau.

Pourquoi la révolution de 1788 n'a-t-elle pas assuré à (page 37) la Belgique l'indépendance, en brisant les derniers liens qui l'unissaient à l'étranger? C'est que, pour réussir, il ne suffit point qu'une révolution soit légale dans son origine; il lui faut un but fixe, un but qu'elle sache rattacher aux intérêts des autres peuples. Or, les révolutionnaires de 1788 n'avaient l'intelligence d'aucune des conditions d'ordre européen qui auraient pu rendre l'indépendance belge possible; ils ont cru que l'existence tout entière d'un peuple. se renferme dans les limites de son territoire, que chaque individualité nationale ne relève que d'elle-même, méconnaissant ainsi toutes les lois qui régissent l'ensemble des sociétés européennes. Si, avant d'être vaincus, ils avaient proclamé l'indépendance du pays, en maintenant la monarchie, en fortifiant le gouvernement central, en déférant la couronne à un prince de la maison d'Autriche, ils auraient imprimé une tout autre direction aux événements; cette tentative eût obtenu l'appui de Louis XVI, de l'Assemblée constituante et probablement dé l'Angleterre, et si elle n'avait point réussi, du moins la raison politique eût pu l'avouer. Aux prises avec des idées rétrogrades ou extrêmes, la révolution de 1788 n'a proclamé aucun des principes politiques et monarchiques qui pouvaient la faire adopter par l'Europe.

Pourquoi la révolution de 1830 a-t-elle échappé au sort de celle de 1788? C'est qu'elle a reconnu toutes les lois générales que celle-ci avait niées; pacifique au dehors, monarchique au dedans, dès les premiers jours, elle a tendu la main à l'Europe; et cette main, l'Europe ne l'a point repoussée. Certes, cette révolution a été secondée par un concours unique de circonstances; (page 38) mais matériellement, ces circonstances n'auraient point suffi; elles n'étaient point telles qu'elles pussent affranchir à jamais la Belgique des lois générales de l'Europe.

Le fait de septembre n'était, dans son origine, qu'une insurrection contre la Hollande; il pouvait dégénérer en une insurrection contre l'Europe.

C'est le but des traités de 1815 qu'il faut rechercher. Les moyens peuvent subir des transformations, pourvu que le but subsiste et soit atteint.

La création du royaume des Pays-Bas n'était pas le but, mais seulement le moyen.

La révolution belge, en rompant l'union de la Belgique et de la Hollande, a porté atteinte aux traités quant au moyen; mais, en proclamant l'indépendance, en maintenant la séparation de la Belgique d'avec la France, elle a respecté les traités dans leur but.

Par la destruction du moyen, les traités ont été violés dans ce qu'ils ont de transitoire et de variable.

Par l'anéantissement du but, ils auraient été violés dans ce qu'ils ont de constitutif et d’incommutable.

La Belgique ne s'est pas rendue coupable de cette dernière violation.

Les cinq grandes puissances, en signant le traité du 15 novembre 1831, qui constitue le nouveau royaume de Belgique, ont donc pu dire avec raison, dans le préambule de cet acte, que les événements de 1830 ont seulement apporté des modifications aux transactions de l'année 1815; d'après les expressions du protocole du 20 décembre 1830, qui avait posé en principe l'indépendance future de la Belgique, il ne s'agissait que de remédier aux dérangements survenus dans le système établi par les traités de 1814 et 1815.

(page 39) Qu'importe après cela que les hommes qui ont amené cette réconciliation entre la Belgique et l'Europe aient été longtemps calomniés: le résultat est venu les justifier, et ce résultat, ils l'avaient patiemment attendu, sans colère et sans désespoir. Un ancien, dit-on, s'était rendu insensible au poison: à la longue, la calomnie devient son propre antidote.

Les extrêmes en tout genre se sont coalisés, sommant la révolution de s'attaquer à l'Europe; les contre-révolutionnaires se sont accordés avec les ultra-révolutionnaires pour flétrir la marche politique du gouvernement de Léopold: accord étrange, propre à exciter les défiances des vrais patriotes. Que si la révolution de 1830 avait adopté ce système prétendûment[8] énergique, antidiplomatique, antieuropéen, républicain et propagandiste, tant préconisé depuis deux ans, grande eût été la joie des partisans de la dynastie déchue, de tous les ennemis de notre indépendance. Le jour serait venu où ils auraient dit:

« Vous n'avez su vous faire une place parmi les nations; peuple de quatre millions d'hommes, vous avez voulu, vous faire un droit public à vous-mêmes; vous vous êtes crus assez forts pour vous imposer à l'Europe, au lieu de transiger avec elle; vous avez laissé passer le moment où la transaction était possible; vous n'avez pas prévu l'exténuation graduelle du principe révolutionnaire, et le jour de la réaction est arrivé sans que vous vous fussiez créé des droits aux yeux des cabinets: (page 40) vainement vous avez essayé de précipiter l'Europe dans une lutte générale; vous avez misérablement parodié la convention. La science sociale vous a manqué. Votre révolution n'a su se procurer cette sanction politique indispensable aux peuples qui veulent être; vous n'occuperez pas même dans l'histoire cette place que donnent les grands crimes; car vous n'êtes pas parvenus à faire tout le mal que vous projetiez dans votre délire. »

Telle est la condamnation que le parti contre-révolutionnaire eût un jour prononcée contre la Belgique; lorsque, au nom de l'honneur du pays, ce parti demande un changement de système, lorsqu'il provoque à la violation des engagements contractés envers les puissances, c'est qu'il n'ignore point que la révolution s'est sauvée en entrant dans la voie diplomatique, qu'elle se compromettra, qu'elle périra le jour où elle aura le malheur de sortir de cette voie.

Que de fois nous a-t-on dit de porter les regards au delà de l'Atlantique! Que de fois nous a-t-on proposé pour modèles les révolutions américaines, les fondateurs des États-Unis du Nord, Washington et Franklin! L'Amérique a pu répudier la diplomatie: occupant un vaste territoire, entourés de déserts, ici les peuples ont pu se faire leurs propres limites; il leur suffisait de refouler dans l'intérieur des forêts et des steppes ces tribus nomades dont Cooper nous a raconté les dernières migrations. Le système de l'équilibre des États est encore à créer pour le Nouveau-Monde; s'il eût existé, Washington et Franklin en auraient subi les conséquences.

La lutte entre François 1er et Charles-Quint préparait (page 41) ce système dans la vieille Europe, peu de temps après que Colomb eut découvert un autre continent.

 

Quelques personnes ont regardé la publication de cet ouvrage comme inopportune et ont pensé que l'auteur aurait dû attendre le dénouement des négociations, avant de publier un écrit que les événements devanceront bientôt et laisseront incomplet. L'auteur dira en peu de mots ce qui l'a porté à entreprendre cette tâche. Il a lu la plupart des ouvrages auxquels la révolution de 1830 a donné le jour en Belgique et à l'étranger, et, après cette lecture, il lui a semblé qu'il avait un devoir à remplir envers son pays, envers ses amis politiques, envers lui-même. On trouverait difficilement l'exemple d'attaques plus multipliées et plus violentes, et il faut que la révolution de 1830 soit bien forte de son droit, pour avoir pu, malgré un silence presque absolu, se soutenir dans l'opinion du monde. Aucun événement n'a été plus étrangement défiguré: l'ignorance et la haine n'ont rien respecté. .

En Allemagne, des hommes graves sont descendus dans l'arène; M. le professeur Ungewitter a recueilli en deux volumes in-octavo tout ce que la presse opposante a hasardé depuis 1830 et il n'a pas craint d'attacher son nom à cette informe production[9].

Le gouvernement hollandais semble avoir organisé (page 42) une vaste société d'historiographes et de brochuriers; chaque semaine lui apporte son tribut à Londres, à Paris, à Leipzig, à la Haye. Il serait fastidieux d'énumérer tous ces ouvrages[10] ; un homme surtout s'est fait remarquer par la multiplicité et l'audace de ses écrits: le cynisme de son style est venu chaque fois trahir l'anonyme qu'il a cru prudent de garder, et, dans ses transports frénétiques, il a épouvanté ceux-là mêmes qui partageaient son opinion. Qu'on juge de ce qu'il ose, par la lecture du passage suivant: ce sont les conclusions qui terminent l'espèce de réquisitoire qu'il a lancé contre la révolution belge.

« Que le roi Guillaume dispose comme il l'entendra d'un peuple indigne de vivre sous ses lois, rien de mieux. Qu'il fasse de la Belgique une monnaie d'échange, pour reconstruire son royaume d'éléments homogènes, cela se conçoit parfaitement.

« Mais, avant tout, l'honneur de la couronne et l'honneur du nom hollandais exigent que les Belges soient soumis par la force des armes: qu'ils le soient d'une (page 43) soumission. pleine, entière, absolue, sans conditions d'aucun espèce et, de plus, sans promesses, ni expresses ni implicites, qui puissent leur faire entrevoir des concessions pour. une époque plus éloignée.

« Amnistie pleine et entière pour le peuple, qui n'est qu'un instrument passif, moralement innocent des crimes que lui font commettre ceux qui soudoient l'action matérielle de son bras.

« Mais, vous qui avez à remplir l'auguste mission de rétablir l'ordre et l'empire des lois, si ces journalistes infâmes, soit en rabat, soit en blouse, qui ont préparé la rébellion, tombent entre vos mains, au nom de l'humanité et de la justice, faites-les pendre.

« S'ils tombent entre vos mains, ceux qui ont commandé le pillage et l'incendie ou qui les ont dirigés, au nom de l'humanité et de la justice, faites-les pendre.

« S'ils vous tombent entre les mains, ceux qui ont organisé, dirigé, commandé la résistance aux armes royales dans les journées de septembre, au nom de l'humanité et de la justice, faites-les pendre.

« Si les membres des commissions prétendues de sûreté publique et du gouvernement provisoire, au nom de l'humanité et de la justice, faites-les pendre.

« Si ceux qui ont guidé les bandes de Liége et de Mons, dirigées d'abord sur Bruxelles, puis de là, successivement, sur Louvain, Namur, Gand, le Hainaut, Bruges, Ostende, Anvers, où elles sont allées renverser l'autorité des lois et allumer les incendies, au nom de l'humanité et de la justice, faites-les pendre.

« Si les infâmes qui ont proposé et ceux qui ont voté la déchéance des Nassau, au nom de la morale publique, de l'humanité et de la justice, faites-les pendre.

(page 44) « L'exécrable scélérat qui, après avoir hautement appelé sur la Hollande le fer et le feu destructeurs, a osé prononcer un tissu de calomnies les plus atroces, dans son insolente parodie des attributions royales lors de l'ouverture du prétendu Congrès national, s'il vous tombe entre les mains, au nom de l'humanité et dans l'intérêt du genre humain, faites-le pendre.

« S'il vous tombe entre les mains cette bande de saltimbanques et de traîtres qui, prostituant le nom révéré et les fonctions de diplomates, sont allés marchander dans différentes capitales de l'Europe le démembrement du royaume et l'asservissement de leur patrie, dans l'intérêt du genre humain, faites-les pendre.

« Ces lâches, indignes de porter une épée, qui, plutôt que de mourir à leur poste, ont transigé, parlementé avec les rebelles, ont parjuré leurs serments, ont rendu les places qui leur étaient confiées, et qui, pour mettre le comble à tant d'opprobre, ont pu avilir la dignité de citoyen et de soldat jusqu'à servir la cause et à mendier les infâmes promotions d'un gouvernement de brigands, dans l'intérêt du genre humain, faites-les pendre, pendre tous jusqu'au dernier.

« Vous, femmelettes vaporeuses, à évanouissements et à convulsions; vous encore plus, homucules à phrases redondantes, d'une philanthropie mal placée, qui pourriez voir ou qui affecteriez de trouver des sentiments cruels et sanguinaires dans cette énumération d'anathèmes, comptez, avant de prononcer, dussiez-vous ne compter que sur vos doigts: vous verrez que tout cela monte à peine à quatre cents scélérats, qu'il s'agirait de prendre, sur une population de quatre millions d'habitants, ce qui fait un sur dix mille tout au plus...

(page 45) « Que si la cité qui a offert à l'indignation et au mépris des âmes honnêtes et vertueuses de toute l'Europe le dégoûtant assemblage de tant de turpitudes, d'aveuglement et de forfaits, pouvait résister de nouveau aux sommations de ce prince qui, pendant quinze années, fut le bienfaiteur et le père de ses habitants, cernez aussitôt la ville incorrigible, brûlez-la jusqu'à la base de ses fondements, et qu'une pyramide en bronze éternel, pleine d'ossements et de cendres, s'élève à la place même du palais des États-Généraux, pour apprendre aux générations à venir où fut Bruxelles[11]. »

Nous ne confondons point le comte de Hogendorp avec ces écrivains que les passions aveuglent ou qu'un vil intérêt dirige: cet illustre homme d'État, a, dans une série de brochures, suivi pas à pas la révolution, indiquant chaque fois les différentes époques où, selon lui, elle pouvait s'arrêter; le jour où la séparation absolue lui a semblé indispensable, il a hautement proclamé cette nécessité. Il a même essayé de formuler les conditions (page 46) de cette séparation; il n'a pas hésité à ranger au nombre de ces conditions la liberté de l'Escaut, reconnaissant ainsi que le retour de l'ancien monopole hollandais était incompatible avec le droit public moderne[12].

Toutefois, il n'a pas manqué à la révolution belge de défenseurs; des écrivains habiles ont spontanément vengé sa noble cause[13] 2, mais aucun d'eux n'a considéré la révolution (page 47) dans son ensemble, depuis le jour où elle est sortie sanglante des barricades jusqu'à l'époque récente où, recevant de la diplomatie une haute investiture, elle est entrée dans le droit public. C'est une lacune que l'auteur de cet ouvrage a voulu remplir; il a essayé de rechercher l'origine, d'exposer la marche, de pressentir l'avenir de cette révolution, de rattacher la Belgique nouvelle à la Belgique ancienne et à l'Europe contemporaine. Il a foi dans les destinées de son pays et, s'il lui était permis de parler de lui-même, il dirait qu'il se félicite d'avoir eu le courage d'adhérer aux seuls principes, de s'associer aux seuls hommes qui pouvaient sauver la Belgique. Si l'histoire daigne s'occuper des événements dont nous sommes les témoins et les victimes, elle ne s'arrêtera pas aux minutieux détails de nos débats quotidiens; de tout ce bruit, de toute cette agitation, il ne restera qu'un vague souvenir; la calomnie, qui déjà rencontre l'indifférence, sera punie par l'oubli; les générations qui doivent nous suivre accepteront de nos mains la patrie que nous aurons faite: nos haines politiques n'entreront point dans l'héritage national.

Bruxelles, le 10 mai 1833.



[1] La première édition a été enlevée le jour de la mise en vente. (Note de la 4e édition.)

[2] Voyez aux archives du royaume, à Bruxelles, la correspondance du marquis de Prié, faisant fonction de gouverneur général pour le prince Eugène ; M. DEWEZ, 2e édition de l’Histoire générale de la Belgique, t. VII, 8e époque, chapitre Ier ; M. VERHULST, Précis historique des troubles de Bruxelles en 1718.

[3] La réunion de la Belgique à la France, prononcée par la loi du 1er octobre 1793, n'a été aux yeux de l'Europe qu'un état de fait, jusqu'à la conclusion du traité de Campo-Formio du 17 octobre 1797, par lequel l'Autriche céda à la république française les Pays-Bas et reçut en dédommagement Venise et une partie des possessions vénitiennes. Une vieille monarchie et une jeune république s'entendirent pour consommer, par cette espèce d'échange, l'anéantissement de deux peuples. Destinée bizarre!

Venise et l'ancienne Belgique se sont rencontrées deux fois dans le monde: la première fois pour conquérir Constantinople (1203), la seconde fois pour mourir. La Belgique est ressuscitée de nos jours; Venise gît morte dans ses lagunes. (Note de la 3° édition, 1833.)

La France a réparé l'attentat commis contre Venise; l'Autriche l'a expié. (Note de la 4° édition.)

[4] Annuaire de Lesur, 1822, p. 300 et 304.

L'opposition est bien antérieure à l'union catholico-libérale, qui ne s'est formée qu'en 1828; il serait important de recueillir les débats des États-Généraux de 1815 à 1830; ce recueil serait en quelque sorte le prologue de la révolution.

[5] Voici le relevé des listes électorales formées, pour les élections au Congrès national, en vertu des arrêtés du gouvernement provisoire du 10 et du 12 octobre 1830 :

Noms des provinces. – Population – Electeurs inscrits

Anvers : 346,823 – 5,089

Brabant : 556,046 – 5,608

Flandre occidentale : 603,214 – 4,508

Flandre orientale : 737,638 – 6,308

Hainaut : 608,524 – 5,257

Liége : 371,568 – 4,933

Limbourg : 338,095 – 4,877

Luxembourg : 303,061 – 6,479

Namur : 211,544 – 3,040

Total : 4,076,513 – 46,099

Ce relevé est extrait des tableaux dressés par les soins du ministère de l'intérieur. (Voyez les pièces imprimées à la suite du rapport de M. Dumortier sur la loi d'organisation communale du 23 juin 1834.) Très peu d'électeurs inscrits ont manqué aux élections; dans sa proclamation du 16 octobre 1830, le prince d'Orange avait dit: « Dans les provinces mêmes où j'exerce un grand pouvoir, je ne m'opposerai en rien à l'exercice de vos droits de citoyens; choisissez librement, et par le même mode que vos compatriotes des autres provinces, des députés pour le Congrès national qui se prépare, et allez-y débattre les intérêts de la patrie. » Par suite de cette invitation du prince d'Orange, les adversaires de la révolution se crurent autorisés à prendre part aux élections. (Note de la 3e édition.).

[6] Proclamation de février 1814, du duc de Saxe-Weimar, général de l'armée combinée russe, prussienne et saxonne, et du général Bulow, commandant le troisième corps prussien. (Recueil de pièces officielles, par SCHOELL, t. IV, p. 152.)

[7] Remarquables paroles qui se trouvent dans deux ouvrages de Chateaubriand: le discours destiné à être prononcé, en 1828, à la Chambre des pairs, sur la liberté de la presse, et le fragment historique des quatre Stuarts. (Note de la 4° édition.)

[8] Mot d'un usage fréquent en Belgique, qu'on a reproché à l'auteur d'avoir employé et qui se trouve dans le grand dictionnaire de Littré. (Note de la 4e édition.)

 

[9] M. UNGEWITTER, Geschichte der Niederlanden und der belgischen Revolution. Leipzig, 1832.

M. Venturini, auteur du recueil Chronick des neunzehnten jahrhnnderts, 5e vol., année 1830, p. 243, 6e vol, année 1831, p. 376, s'est également borné à compiler les journaux hostiles à la cause belge. Un recueil de ce genre doit rester sans valeur historique.

[10] Voici le titre de quelques unes de ces productions:

HALLO, Staat- en geschiedkundig overzigt van de belgische omwenteling, 1 vol. in-8°. La Haye, 1831.

VON SCHEPELER, Ansichten des politischen Zustandes von Europa, nebst ciner Geschichte der belgischen Revolution, 3 vol. in-8°. La Haye, 1831 et 1832.

DURAND. Dix jours de campagne, ou la Hollande en 1831, 1 vol. in-8°, Amsterdam, 1832.

D'HERBIGNY. Lettre à Léopold de Saxe-Cobourg, septembre 1831. De l'état moral et politique de l'Europe, novembre 1832.

VICTOR, De l'égarement de l'opinion publique en France sur la révolution belge. Paris, avril 1832.

Les brochures de 25 à 50 pages sont innombrables.

[11] LIBRY-BAGNANO. La ville rebelle, ou les Belges au tribunal de l'Europe, p. 403-406. La Haye, 1831, de l'imprimerie de H.P. de Swart.

Nous devons à la vérité de dire que le Journal de la Haye a désapprouvé les imprudences de l'auteur, dont l'ouvrage a été réimprimé à Paris, avec des changements sous le titre de : La Belgique en 1830, ou Documents pour servir à l'histoire de son insurrection, 2 vol. in-8°, chez Delaunay.

Il est difficile de croire que les ouvrages suivants ne soient pas du même auteur :

La Belgique et l'Europe, ou Précis des événements arrivés dans le royaume des Pays-Bas pendant la période de 1815-1831.

La diplomatie du guet-à-pens, ou lord Ponsonby à Bruxelles (publié sous le nom de l'abbé Van Geel).

 La guerre pendant la paix, on l'avenir de l'Europe révélé par l'attentat d'Anvers, suivi d'un court exposé des actes de férocité commis par les Belges et des preuves de leur inévitable banqueroute.

[12] 1 Ces brochures sont au nombre de douze:

De schutteryen, 18 october 1830;

Séparation, 22 octobre 1830 (en hollandais et en français);

Het crediet, 29 october 1830;

De prins van Oranje, 29 october 1830;

De vrede, 3 november 1830;

De Koning, 8 november 1830;

De natie, 15 november 1830;

De verantwoordelykheid, 6 december 1830;

De ontwikkeling, 4 brochures portant les dates du 13, du 22 et du 25 décembre 1830, et du 4 janvier 1831. - Le comte de Hogendorp est mort le 5 août 1834.

[13] Lettre sur les causes de la révolution belge, juin 1831. Londres.

Lettre à lord Aberdeen, par VICTOR DE LA MARRE, février 1832.

La Hollande et la Conférence, par GOUBAU DE ROSPOUL, avril 1833.

Ces trois brochures sont dues à M. Van de Weyer. (Note de la 4e édition.)

Noch ein Wort über die Hollandisch-Belgische Frage, januar 1832, Hamburg.

M. WHITE, The Belgic revolution, t. II, p. 146, en note, dit que cette brochure est attribuée au baron de Stockmar; nous la croyons du baron Charles-Auguste de Wangenheim, ministre d'État de Wurtemberg, qui, depuis sa non admission à la Chambre des députés de ce royaume s'était retiré à Cobourg, où il est mort le 19 juillet 1830; il était né à Gotha le 14 mars 1773. C'est sans contredit l'écrit le plus remarquable publié en Allemagne en faveur de la Belgique dans le cours même de la révolution. (Note de la 4e édition.)

A justification of the foreign-policy of Great-Britain towards Holland. London, 1833.

Voyez aussi l'excellent article inséré dans la Revue d'Édimbourg, janvier 1833, p. 412-460, et le résumé des négociations dans la brochure The reform ministry and the reformed Parliament, p. 93 et suiv. Londres, 1833, septembre. (Note de la 3° édition.)