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ESSAI HISTORIQUE & POLITIQUE SUR LA RÉVOLUTION BELGE

      

Par Jean-Baptiste Nothomb

 

Préface de la première édition (10 mars 1833)

 

(page 1) Le public vit au jour la journée; bien que rien d'important ne lui reste inconnu, l'enchaînement des faits lui échappe. Et cependant tout se tient dans les choses humaines, tout est alternativement cause et effet. Dans ce long drame auquel nous assistons depuis 1830, qu'il s'agisse d'expliquer un succès ou un échec, il nous faut remonter, d'événement en événement, au premier jour de la révolution belge, et, arrivés là, pour comprendre la révolution elle-même, nous sommes obligés de nous reporter au premier jour de l'existence du royaume-uni des Pays-Bas.

Les hommes qui ont su coordonner les événements dans leur esprit ne sont pas en grand nombre; trop souvent, les passions politiques sont venues rompre la suite des idées et obscurcir la série des faits.

L'auteur de cet ouvrage a été placé dans une situation (page 2) qui ne lui a point permis de manquer de mémoire; il est convaincu que, pour éclaircir bien des questions, il suffit de remettre les faits à leur date et d'en constater, en quelque sorte, la généalogie.

Il n'hésite point à croire que, par ce procédé, il lui sera facile de réhabiliter la révolution belge dans ses causes et dans ses résultats; il soutient que cette révolution a été légitime dans son origine, glorieuse dans son dénouement; homme de la révolution, il a ramassé ce que deux années d'une existence laborieuse lui ont laissé de force et de courage, pour livrer un dernier assaut aux contre-révolutionnaires et aux ultra-révolutionnaires.

Il n'a pas eu la prétention d'écrire une histoire; il a dû supposer beaucoup de choses connues; il en est d'autres qu'il a jugé inutile de rappeler. Plus de détails auraient nécessairement nui à l'unité d'intention.

Il n'a pas considéré la révolution comme un événement purement intérieur; il l'a rattachée dans sa pensée aux destinées de l'humanité, et son horizon s'est alors élevé et agrandi. L'histoire de la Belgique est, depuis 1830, celle de l'Europe. Dans le lointain des révolutions de juillet et de septembre, il n'apparaîtra qu'une grande question, à savoir: comment on a pu maintenir la paix de l'Europe et donner à la France une dynastie constitutionnelle, à l'Angleterre la réforme politique, à la Belgique l'indépendance. Il s'est tacitement formé une association qui, appelée à résoudre ce problème, a rempli une des plus belles missions qui puissent être dévolues à des hommes: cette association a eu pour chefs: en France, Louis-Philippe, Talleyrand, Périer, Guizot, Broglie, Thiers ; en Angleterre, Grey, Palmerston, Durham, Brougham; en Belgique, Léopold, ceux qui ont amené la royauté de ce prince, ceux qui l'ont soutenue; à ces noms l'histoire en ajoutera d'autres, que la cause de la civilisation ne répudiera point; elle nommera ce roi qui, placé entre la France et la Grande-Bretagne, l'Autriche et la Russie, s'est, comme homme d'Etat, montré digne de porter la couronne du grand Frédéric. Vus de cette distance, les événements prendront leurs véritables proportions et les intérêts secondaires s'effaceront devant ces immenses résultats.

Si 1'on avait moins souvent perdu de vue l'ensemble des faits et des rapports, si l'on n'avait point isolé chaque événement de ceux qui l'ont précédé et suivi, et la Belgique de l'Europe qui l'entoure, bien des erreurs ne seraient pas parvenues à s'accréditer, bien des nécessités auraient été plus généralement senties. La Hollande s'étant, en 1814., adjoint une population double de la sienne, l'antipathie devait amener la lutte, le nombre décider de la victoire; la révolution advenue, il n'y avait pour la Belgique de salut que dans une indépendance et une monarchie avouées par l'Europe. Ces divers événements ont été pour ainsi dire obligés: appelez cela système, fatalité, Providence, n'importe; pour le moment, bornons-nous à constater que ce n'est pas d'accident en accident que la Belgique est tombée dans une situation qui ne serait que précaire, mais qu’elle est parvenue, à travers une succession nécessaire de faits, à un ordre de choses qui a son principe de vie et de durée. Ce n'est pas à dire que la révolution ait, dès le premier jour, compris sa mission et aperçu son (page 4) but: entrée comme par instinct dans la voie qui l'a sauvée, elle y est demeurée par réflexion. L'auteur n'est point de ceux qui désespèrent de la civilisation, parce que tout n'a pu se faire en un jour: à chaque génération sa tâche; le travail des siècles s'accomplit lentement; il nous suffit, à nous, d'avoir fourni notre contingent. Nous n'avions trouvé que l'emplacement d'un peuple: par un concours unique de circonstances, il nous a été donné de fonder une nation. Plus heureux que nos pères, nous aurons assisté au triomphe d'une cause dont ils avaient tant de fois désespéré.

L'auteur, n'eût-il point eu l'intention de publier son écrit, ne se serait pas moins livré à ce travail; il aurait voulu se rendre compte du temps où il a vécu, pour se bien persuader à lui-même, qu'il a fait son devoir et qu'il peut être en paix avec sa conscience. Il a eu ses jours de doute et de découragement; ce n'est qu'après avoir acquis l'intelligence des conditions auxquelles étaient subordonnés le sort de sa patrie et celui de l'Europe, qu'il s'est senti soulagé et qu'il a été plein de foi dans l'avenir. Citoyen d'une province dont l'existence était contestée, sa position individuelle était difficile ; il pense avoir accordé aux affections locales tout ce qu'elles pouvaient exiger de lui; homme, belge, luxembourgeois, il n'a pas osé croire qu'on pût sacrifier la Belgique à une partie de province, ni l'Europe à la Belgique; il désirait qu'on parvînt à concilier ces intérêts divers, et s'il s'est trompé, c'est de bonne foi; il avoue que ses amis et lui n'ont pas fait dériver leurs devoirs politiques de ce sentiment étroit qui se renferme dans une localité, mais d'un ordre supérieur d'idées (page 5) auquel se rattachent l'indépendance de la Belgique et la paix du monde.

L'auteur en est à son premier culte, à son premier serment politique, le seul peut-être que l'on fasse sincère et solennel; il est deux choses dont il est également fier: c'est d'avoir, avant septembre 1830, fait de l’opposition contre le pouvoir et d'avoir, depuis, fait du pouvoir contre l'anarchie. Qu'on lui permette de rappeler qu'un des premiers en Belgique, au sujet d’un acte fameux[1], il a contesté la légitimité des droits d’une maison alors toute-puissante; il peut, sans lâcheté, respecter une dynastie aujourd'hui malheureuse: il aurait même désiré garder le silence sur la conduite de la Hollande et de son roi; si, forcé dans le cours de son ouvrage de parler de cette conduite, il l'a jugée avec sévérité, il éprouve le besoin de déclarer ici qu'il n’en a pas moins voué une haute admiration à la patrie de Guillaume le Taciturne, d'Oldenbarneveld et de Jean De Witt, et qu'il plaint sincèrement le peuple qui, infidèle à ses traditions, s'est associé de nos jours à la cause de l’absolutisme[2].

Qu’on ne cherche point dans cet écrit un libelle: ce serait se méprendre sur le caractère de l'auteur et de son travail, et l'auteur serait désolé de cette méprise. Habitué à dire sa pensée et n'aimant point les ouvrages anonymes, il a signé cet écrit; il attend la même franchise (page 6) de ses adversaires. Il a patiemment, avec ses amis, traversé les saturnales de la presse et de la tribune, et ce n'est pas au moment qu'elles semblent toucher il leur terme qu'il se jettera; dans la mêlée, un pamphlet à la main; il n'aspire point au succès malheureux de quelques productions qui ont fini par ôter à la calomnie toute sa puissance et tous ses dangers; plus d'une fois il a rencontré sur son passage, au coin d'une rue, «  cette grande prostituée qui offre ses faveurs au premier venu »; il a repoussé la popularité du jour; il ose revendiquer pour ses amis et lui la popularité de l'avenir.

Mêlé à toutes les affaires politiques de la révolution, ayant vu de près tous les hommes qui se sont succédé au pouvoir, il n'a point abusé de confidences personnelles, il n'a violé aucun secret. Il fera toujours une large part à l'oubli; car, à la suite d'une si longue tourmente, quel est celui qui n'a pas besoin d'oubli?

Sans inconséquence et sans déshonneur, il a pu rester constamment au poste où l'ont porté les circonstances dans les premiers mois de la révolution[3]; à travers toutes les mutations ministérielles, le système politique est demeuré le même: les hommes avaient beau entrer et sortir, aucun d'eux n'a pu emporter les archives. Si quelque chose a affligé l'auteur de cet écrit, c'est que, (page 7) jeté, jeune encore[4], dans la carrière publique, il a vu d'anciennes amitiés se briser contre des dissentiments politiques; le jour où toutes les incertitudes cesseront doit être pour lui doublement heureux, certain qu'il sera d'avoir une patrie et d'y retrouver tous ses amis[5].

Bruxelles, le 10 mars 1833.

 



[1] Message du 11 décembre 1829. (Courrier des Pays-Bas du 18 décembre 1829 et du 16 janvier 1830.)

[2] Ceci était vrai en 1833 et l'a été jusqu'à l'abdication du roi Guillaume 1er. Le peuple hollandais a fait sa réforme politique et s'est placé sur la même ligne que la Belgique dont il a en partie adopté les institutions (Note de la 4e édition.)

[3] Le poste de secrétaire général du ministère des affaires étrangères, que l'auteur a occupé depuis le 1e mars t83t jusqu'au 13 janvier 1837. Ainsi qu'on l'a dit, sans mandat formel, il remplissait de fait à la Chambre des représentants l'office. d'orateur du gouvernement, ce qui donne une valeur particulière au recueil de ses Discours diplomatiques, publié en 1874 avec une Notice biographique par THÉODORE JUSTE, publication qui est comme le complément de l'Essai historique et politique. (Note de la 4° édition.)

[4] A vingt-cinq ans. (Il est né à Messancy, dans le Luxembourg, le 3 juillet 1805.)

[5] Aucun historien, aucun publiciste, aucun diplomate ne s'est occupé de la révolution belge sans citer l'Essai de M. NOTHOMB; nous ne ferons mention ici que de trois écrivains dont nous aurons à relever quelques remarques, quelques assertions.

M. CHARLES WHITE, The Belgic revolution. Londres, 1835, 2 vol. in-12, traduit sous les yeux de l'auteur, à Bruxelles, 1836, 3 vol. in-'18; l'auteur ayant été intimement lié avec lord Ponsonby, sans remplir de fonctions officielles, s'est trouvé dans une positiion spéciale durant la période importante qui a précédé l'avènement du roi Léopold 1er.

M. CH. LEFEBVRE DE BECOURT, la Belgique et la révolution de juillet. Paris, 1885, 1 vol. in-8°; l'auteur, alors attaché au ministère des affaires étrangères, a été à même d'être renseigné; il travaillait à son ouvrage, qui est encore consulté, lorsque celui de M. Nothomb lui est parvenu.

M. J .-J. THONISSEN, la Belgique sous le règne de Leopold Ie. Louvain, 1861, 3 vol. in-8°; l'auteur est l'éminent professeur à l'université de Louvain, un des membres les plus distingués de la Chambre des représentants, qui a jugé M. Nothomb avec une loyale bienveillance comme écrivain et comme ministre. (Note de la 4e edition.)