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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 23 mars 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1265) M. Huveners fait l'appel nominal à midi et un quart.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers demande que dans la nouvelle convention à conclure avec la société concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg, on supprime la clause stipulée dans le paragraphe 2 de l'article 47 du cahier des charges, en vertu de laquelle le gouvernement s'est obligé à ne laisser construire, dans certaines limites, aucun railway qui puisse faire concurrence à ce chemin de fer. »

M. Osy. - Messieurs, lors de la discussion du projet de loi relatif à la prorogation de concession du chemin de fer du Luxembourg, l'honorable M. : David et moi nous avons déjà insisté pour que le gouvernement profite de l'occasion qui se présente pour obtenir une modification à la disposition de l'article 47 du cahier des charges.

La discussion du projet étant terminée, je demanderai le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics pour qu'il examine s'il peut, dans la négociation, y faire droit.

M. le président. - C'est contraire au règlement.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Demandez un prompt rapport.

M. Osy. - Dans ce cas je demanderai le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un très prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Jean-Michel Kleyer, docteur en philosophie et lettres à Bruxelles, né à Bourglinster (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation avec exemption des droits d'enregistrement pour autant que la déclaration qu'il a faite sous l'empire de la loi du 20 mai 1845 ne lui a pas conservé la qualité de Belge. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Plusieurs membres du conseil communal de Nederboelaere, adhérant à la demande du conseil communal de Grammont, tendant à faire relever l'ancienne industrie linière, prient la chambre de statuer sur cette pétition.

« Même demande de l'administration communale de Goefferdingen. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie.


Par message en date du 22 mars, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi sur le défrichement des terrains incultes.

- Pris pour notification.


Par dépêche en date du 22 mars, M. le ministre des finances transmet à la chambre 97 exemplaires du premier volume des documents sur les assurances contre les incendies par l'Etat.

- Distribution aux membres de la chambre.

Rapports sur des pétitions

M. Clep, rapporteur. - Messieurs, dans la séance du 23 janvier 1847, vous avez renvoyé à, la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, la requête de plusieurs secrétaires communaux dans le canton de Seneffe, demandant une loi qui fixe le minimum du traitement de ces fonctionnaires.

Les pétitionnaires font remarquer que, depuis 1830, leur besogne s'est considérablement accrue ; elle est plus que triplée, et cependant dans beaucoup de localités leur traitement n'a presque pas été majoré ; il y en a même où il n'a pas été augmenté du tout et où le traitement du secrétaire est inférieur à celui du garde champêtre.

Nous savons tous, messieurs, que les traitements d'un grand nombre de secrétaires communaux sont par trop minimes, et pour cette raison, la commission des pétitions a l'honneur de vous proposer, messieurs, de renvoyer cette requête à M. le ministre de l'intérieur en recommandant cette affaire à toute la sollicitude de M. le ministre.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Clep, rapporteur. - Messieurs, dans la séance du 20 janvier 1847, vous avez renvoyé à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, la requête du docteur Vandenbrouck, demandant qu'il soit pris des mesures contre la fraude commerciale dans les denrées alimentaires.

M. Vandenbrouck a signalé les sophistications qui se font dans la farine de froment, dans le pain, le lait, le sel, le beurre, le vinaigre, la bière, l'eau-de-vie, les liqueurs, les sucres, le café, le thé, le miel, la charcuterie, etc., etc., et, afin d'en prévenir le public, cette requête a même été insérée dans le Moniteur.

La commission estime que lesdits renseignements pourront être utilement consultés par le gouvernement, et, pour cette considération, elle vous propose, messieurs, le renvoi de cette requête à M. le ministre de l'intérieur.

M. Sigart. - Je crois devoir profiter de cette occasion pour demander au gouvernement s'il s'est occupé de l'altération des marchandises et notamment des substances alimentaires. Lors de la discussion de son budget, M. le ministre de l'intérieur m'avait à peu près promis un projet de loi sur la matière. Je demanderai à quoi en est le travail si tant est qu'il soit commencé.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l'Académie de médecine et plusieurs savants particuliers ont été consultés sur ce point. Jusqu'à présent leurs réponses ne me sont pas parvenues.

- Le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur est adopté.

Projet de loi qui affecte un million de francs à l'extension du matériel d'exploitation du chemin de fer

Rapport de la section centrale

M. de Man d’Attenrode. - J'ai l'honneur de présenter le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi tendant à augmenter le matériel d'exploitation du chemin de fer.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

M. Osy. - Messieurs, je demanderai de mettre ce projet à l'ordre du jour après la discussion de la loi sur la milice.

Tout le monde se plaint du manque de matériel. Le gouvernement a annoncé une adjudication ; il y a donc urgence.

- La proposition de M. Osy est adoptée.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre des finances (M. Malou) (pour une motion d’ordre) - Je ferai à la chambre une autre motion relativement à son ordre du jour. Je lui demanderai d'y porter, à la suite des objets qui s'y trouvent déjà, le budget des travaux publics. Le rapport a été distribué ce matin. Les objets qui sont à l'ordre du jour occuperont encore au moins la séance de demain, peut-être celle d’après-demain, de sorte qu'on pourra aborder vendredi la discussion du budget des travaux publics.

- La proposition de M. le ministre des finances est adoptée.

M. Osy. - Il est bien entendu que cette discussion ne viendra qu'après celle du projet sur l'extension du matériel du chemin de fer.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Certainement.

Projet de loi réprimant les offenses à la personne du roi

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La discussion continue sur l'article premier.

M. Castiau. - Messieurs, j'aurais voulu pouvoir m'abstenir de prendre part à cette discussion. En lisant les procès-verbaux des sections, je voyais que le projet de loi qui nous est soumis y avait rencontré de nombreuses, de vives résistances des sections, et la plus nombreuse avait rejeté le principe du projet de loi. J'avais donc l'espoir que les honorables collègues qui avaient combattu avec tant de force le principe du projet de loi dans le huis-clos des sections, renouvelleraient en séance publique leurs critiques et leurs attaques. Cependant, messieurs, jusqu'ici une seule voix s'est fait entendre pour combattre la loi, celle de mon honorable ami M. Verhaegen. Il faut donc que, malgré mon désir de m'abstenir, je vienne, au moment où le combat semble devoir finir faute (page 1266) de combattants, joindre ma protestation à celle de l'honorable député de Bruxelles.

La loi est de la plus haute importance, et cependant il n'y a pas eu de discussion générale ; cette discussion a été close en même temps qu'ouverte et ce précisément pendant une absence d'une seule minute que j'avais faite au moment d'un appel nominal. Heureusement l'article premier reproduit le principe même de la loi ; il entraîne donc forcément l'examen des motifs de la loi, de ses tendances et de sa moralité.

C'est ainsi que les honorables préopinants qui ont parlé dans la séance d'hier, quoiqu'il ne fut question que de l'article premier, ont rouvert devant vous le débat dans toute sa généralité. On me permettra donc de les imiter et de descendre pour quelques instants sur le même terrain.

En voyant, messieurs, la précipitation, et je puis dire l'espèce d'emportement avec lequel on a présenté le projet de loi qui vous est soumis, en consultant les dispositions exceptionnelles qu'il renferme et la sévérité des peines qu’il prononce, il semblerait que nous fussions débordés par tous les excès de la licence et de l'anarchie, et que nous n'eussions pas dans ce pays de lois pour réprimer les abus de la presse. Cependant, nous avons des lois, et des lois sévères, qui punissent la calomnie ; nous avons des lois qui punissent la diffamation, des lois qui punissent l'injure, des lois qui punissent l'outrage ; enfin, nous avons le décret du 20 juillet 1831, qui frappe de pénalités rigoureuses les attaques dirigées contre la personne du Roi, son autorité constitutionnelle, l'inviolabilité de sa personne, les droits constitutionnels de sa dynastie.

Les lois et les pénalités sont-elles insuffisantes, ainsi que l'a prétendu hier M. le ministre de la justice ? Elles sont insuffisantes, disait-il, et le congrès lui-même a reconnu cette insuffisance, car le congrès n'avait attaché à ce décret du 20 juillet 1831 qu'un caractère tout provisoire, il avait imposé à la législature la révision de ce décret. Pourquoi donc le congrès avait-il attaché un caractère transitoire au décret de juillet 1831 ? Mais, c'est que ce décret était lui-même un décret exceptionnel ; c'est qu'il établissait des pénalités exceptionnelles, c'est qu'il avait été rendu dans un moment d'agitation, de troubles, dans un moment où l'ordre nouveau était menace de toutes parts, et où l'on pensait qu'il fallait un déploiement extraordinaire de pénalités pour lutter contre les entreprises des partis et l'audace des factions.

Mais en obéissant à l'empire des circonstances, le congrès se rappelait l'autorité des principes. Il les suspendait, mais à la condition d'y revenir lorsque l'ordre aurait été rétabli.

Il entendait donc que cette loi exceptionnelle disparaîtrait avec les circonstances qui l'avaient fait naître, et qu'on rentrerait alors sous l'empire du droit commun, assez sévère certes pour la répression des délits.

Lors donc que M. le ministre de la justice est venu nous dire qu'il s'est pénétré de la pensée du congrès, qu'il répondait aux vœux du congrès, en vous proposant la révision partielle du décret de 1831 ; il vous a trompés sur le caractère de cette révision et du vœu du congrès. Ce qu'il vous propose, c'est de violer le vœu du congrès, c'est de manquer à ses promesses en renforçant, dans un moment de calme et d'ordre, des dispositions qui avaient paru assez rigoureuses au milieu des difficultés et des périls qui suivent les révolutions et qui environnent toujours l'établissement d'un ordre nouveau.

Du reste, c'est par l'expérience aussi qu'il faut apprécier les lois, leurs caractères et leurs effets. Eh bien, on en a appelé à l'expérience pour savoir si nos lois pénales étaient ou non suffisantes. On a engagé M. le ministre de la justice à faire connaître le nombre des poursuites intentées en vertu de ces lois.

Qu'a fait M. le ministre de la justice ? Il s'est trouvé obligé d'avouer honteusement qu'il n'y avait eu que deux poursuites intentées en vertu des lois et du décret dont aujourd'hui on veut nous faire déclarer l'impuissance. Quelle critique plus amère peut-on vous présenter de l'inopportunité du projet exceptionnel qu'il vous soumet !

Je regrette d'être obligé de faire entendre si souvent dans cette enceinte de pénibles, de dures vérités ; mais M. le ministre de la justice, je suis obligé de le dire, aspire à une déplorable célébrité. Déjà il a eu le triste privilège de faire à lui seul tomber sur T'échafaud trois fois plus de têtes que tous ses prédécesseurs réunis. Aujourd'hui il s'ingénie à renforcer encore des lois exceptionnelles et transitoires et à y introduire des rigueurs et des excentricités de toute nature, qu'on me pardonne cette expression.

Cependant, hier le cœur lui a manqué, et M. le ministre de la justice a reculé lui-même devant son œuvre ; il s'en est épouvanté ; il en a décliné la responsabilité, il s'est efforcé de se retrancher derrière des précédents ; | il a invoqué, pour se justifier, ce oui avait été fait en 1834, et l'œuvre de je ne sais quelle commission. Que nous importent ces précédents ? Je doute que le projet de 1834, je doute que la commission à laquelle M. le 1 ministre a fait allusion aient produit des idées aussi exorbitantes, aussi anarchiques que celles qui se rencontrent dans le projet ministériel.

Quoi qu'il en soit, qu'il le veuille ou non, M. le ministre ne peut se soustraire à la responsabilité delà présentation du projet que nous discutons. A lui le blâme et la critique. Qu'il réponde donc, et des conséquences de la loi et des résultats de la discussion, qu'il en réponde devant la chambre et le pays.

Puisque M. le ministre, qui n'a rien inventé jusqu'ici, a inventé cette fois, un délit nouveau, le délit d'offense, à lui le soin de le définir. Qu'entend-il parle mot d'offense ? L'offense, vous a-t-il dit avec un laisser-aller merveilleux, l'offense, c'est une irrévérence quelconque. Voilà un beau champ ouvert devant l'esprit de courtisanerie et les subtilités de nos sophistes judiciaires.

A ce compte, bientôt les questions d'étiquette qui touchent à l'irrévérence vont devenir des questions de cours d’assises et, pour avoir manqué aux graves futilités de l’étiquette des cours, on se verrait exposé, suivant la définition de M. le ministre, à être condamné à un emprisonnement de trois ans et à cinq années de surveillance de la police.

L'honorable rapporteur a, lui aussi, imité le sans-gêne de M. le ministre. Il ne s'est pas même donné la peine de définir le délit nouveau, introduit dans notre législation par M. le ministre. Oh ! il s'est mis forte l'aise pour vous définir le délit d'offense. Le définir ! à quoi bon ? N'avons-nous pas la jurisprudence française sur les offenses ?

Eh bien, nous consulterons et nous appliquerons la jurisprudence française. La jurisprudence française pour frapper des citoyens belges ! quel patriotisme et quelle logique !

Nous appliquerons la jurisprudence française ! mais vous avez donc oublié que l'institution du jury n'a été que trop longtemps faussée en France, que les jurys étaient composés par les agents du pouvoir et qu'en ce moment encore le droit d'épurer les listes du jury repose dans les mains des préfets.

Aussi voulez-vous un exemple de l'équité de cette jurisprudence française qu'on vous engage à prendre pour modèle ? Je vous rappellerai un procès célèbre, trop célèbre pour être sorti de vos souvenirs, car il intéressait l'une des gloires littéraires de la France, le procès des chansons de Béranger.

Béranger fut condamné pour offense à la majesté royale, à l'occasion de la chanson de l’Enrhumé. Quel était son crime ? Il y avait dans cette chanson deux lignes de points ; c'est pour ces deux lignes de points qu'il fut condamné ; on considéra chacun de ces points comme autant d'offenses à la majesté royale.

Jadis les gens du roi, les accusateurs publics demandaient deux lignes de la main d'un homme pour le faire pendre. Vous le voyez, nous sommes aujourd'hui en progrès ; maintenant il suffit de deux lignes de points pour faire tomber les châtiments les plus graves sur des innocents.

Nous voici donc ramenés, par votre loi, aux plus mauvais jours de la restauration ; nous sommes en même temps rejetés au milieu des traditions les plus désastreuses de la législation romaine ; car votre loi sur les offenses n'est rien autre chose qu'une réminiscence de la législation sur le crime de lèse-majesté. L'offense était alors aussi un crime de lèse-majesté, et tout était devenu crime, une parole, une plainte, un soupir, un geste. La pensée elle-même était frappée. On vit condamner comme coupables de crime de lèse-majesté les citoyens romains qui s'étaient abstenus de paraître à un sacrifice offert en l'honneur de Néron, l'anniversaire du jour où Néron avait fait tuer sa mère !

Et la législation romaine, toute sanglante qu'elle était, se trouvait, dans quelques-unes de ses parties, moins arbitraire, moins illogique que celle que vous nous présentez, car la législation romaine définissait dans plusieurs de ses dispositions le caractère de l'offense. Ainsi, l'on trouvé au Code, une disposition qui déclare criminel de lèse-majesté celui qui se permet de douter de l'infaillibilité des préposés du prince ; une disposition des Pandectes range parmi les crimes de lèse-majesté quiconque manque de respect aux statues du prince. Ce sont des dispositions absurdes, incroyables sans doute ; mais elles existent du moins, elles sont écrites et la loi prévient avant de punir.

Dans votre loi, vous n'avez ni la même franchise, ni le même courage, vous préférez l'arbitraire, votre loi frappe sans avertir ; elle est moins brutale que la loi romaine, mais elle porte votre cachet, elle est plus hypocrite.

Messieurs, je ne m'élèverais pas avec autant d'énergie contre cette loi s'il ne s'était agi que de frapper des caricatures ou des chansons, quoique la chanson ait souvent joui, même sous la monarchie absolue, de plus de liberté et de privilèges que la presse.

Mais, veuillez bien le remarquer, l'innovation législative qu'on vous présente n'est pas seulement destinée à punir les caricatures, et les chansons outrageantes pour la royauté ; elle est destinée à frapper encore les écrits, c'est-à-dire les journaux, les brochures, les livres, la presse tout entière enfin.

Voilà donc la presse qui, tombant sous l'application de cette législation violente et arbitraire, va se trouver à chaque pas menacée de l'application de pénalités exorbitantes qu'elle renferme. Mais je vous le demande, que devient alors le droit de discussion qui est l'âme de nos institutions ? Que devient le droit de critiquer les erreurs du pouvoir et les abus de l'usage de la prérogative royale ? On ne manquera pas de prétendre qu'il y a, dans cet examen, ce que M. le ministre appellerait irrévérence quelconque, quand on critiquera les actes des ministres, ceux surtout de M. le ministre de la justice.

Il y a quelques jours à peine, on critiquait avec force, avec raison peut-être, l'usage qu'on avait fait d'une prérogative royale, du droit de grâce. On déclarait hautement qu'on avait amnistié de grands criminels, des parricides, tandis qu'on faisait tomber des têtes moins coupables, et M. le ministre de la justice ne savait comment échapper aux accusations qui, de toutes parts, retombaient sur lui.

Grâce à la nouvelle législation qu'il nous présente, il n'aura plus à craindre ces discussions et les accusations importunés ; il faudra s'incliner devant l'infaillibilité de MM. les ministres. Ne présenteront-ils pas, en effet, la critique de leurs actes, de leurs erreurs.de leurs fautes, comme autant d'offenses envers la royauté dont ils contresignent les actes ? Et c'est ainsi qu'on nous ramènera l'application de cette loi romaine qui punissait comme coupables de lèse-majesté tous ceux qui se permettaient (page 1267) de douter du mérite et de l'infaillibilité des représentants du prince.

Après avoir opprimé la presse et interdit la polémique, on ira plus loin encore. L'arbitraire ne connaîtra plus de mesure ; c'est l'histoire, l'histoire elle-même qui sera frappée par la loi qu'on vous demande. Vous savez que l'histoire avait joui jusqu'ici d'une sorte de privilège d'inviolabilité ; elle avait le droit d'évoquer à son tribunal les peuples et les rois, d'examiner leur vie, de révéler leurs faiblesses, leurs passions, leurs erreurs, trop souvent aussi leurs crimes.

Pour vous donner un exemple de ce respect pour les privilèges de l'histoire, même sous les gouvernements absolus, permettez-moi de vous citer quelques lignes d'un écrivain grave, sérieux, moral.

Il s'agit de l'apparition à la cour des filles ou dames d'honneur qui appartiennent aux familles les plus illustres et que, sous Catherine de Médicis, on vit s'élever à deux cents :

« Du commencement, dit-il, cela eut de fort bons effets ; cet aimable sexe y ayant amené la politesse et la courtoisie, et donnant de vives pointes de générosité aux âmes bien faites. Mais depuis que l'impureté y fut mêlée et que l'exemple des plus grands eut autorisé la corruption, ce qui était auparavant une belle source d'honneur et de vertu, advint un sale bourbier de tous les vices. Le déshonneur se mit en crédit ; la prostitution se saisit de la faveur : on y entrait, on s'y maintenait par ce moyen ; bref, les charges et les emplois se distribuaient à la fantaisie des femmes, et parce que d'ordinaire, quand elles sont une fois déréglées, elles se portent à l'injustice, aux fourberies, à la vengeance et à la malice, avec bien plus d'effronterie que les hommes même, elles furent cause qu'il s'introduisit de très méchantes maximes dans le gouvernement, et que l'ancienne candeur gauloise fut rejetée encore plus loin que la chasteté. Cette corruption commença sous le règne de François Ier, se rendit presque universelle sous celui de Henri II, et se déborda enfin jusqu’à la dernière période sous Charles IX et Henri III. Après le règne scandaleux des courtisanes, on eut le règne avilissant des mignons. »

Si M. le ministre de la justice avait été garde des sceaux en France à l'époque où Mézerai écrivait ces lignes, cet écrivain, que l'arbitraire de l'ancien régime avait respecté, eût été la première victime de la loi qu'on vous propose ; car il eût été facile, toujours pour me servir de l'expression de M. le ministre, de trouver dans ces lignes une irrévérence quelconque envers la royauté en général et envers Henri III en particulier.

Oui, messieurs, si les doctrines qu'on ne craint pas de présenter à votre sanction pouvaient prévaloir, ce ne serait pas seulement le mensonge, mais la vérité qui serait atteinte et punie sous le prétexte d'offense à la royauté ; l'histoire deviendrait impossible à écrire ; l'historien devrait briser sa plume ; l'histoire ne serait plus qu'un tissu de mensonges, de flagorneries, de lâchetés, d'infamies.

Si ce système, qu'on veut introduire dans un gouvernement libre, avait prévalu sous les formes despotiques de l'ancienne monarchie, la postérité trompée aurait décerné, par exemple, le grand prix de vertu à Louis XV et la couronne de rosière à lsabeau de Bavière et à Marguerite de Bourgogne. !

Violation des privilèges de l'histoire, atteinte à la liberté de la presse, l'oppression de la vérité, le triomphé du mensonge, telles seraient les premières conséquences de l'adoption du projet qu'on vous propose.

M. le ministre ne s'en est pas contente ; il a rêvé d'autres succès, et ses prétentions vont aujourd'hui jusqu'à révolutionner toute la législation pénale et bouleverser tous les anciens éléments de la criminalité.

Messieurs, on avait cru, ou avait dit, on avait écrit, on avait répété jusqu'ici qu'il n'y avait pas de criminalité sans intention coupable. C'était l'intention coupable qui faisait le crime. C'était là une vérité triviale depuis le commencement du inonde, en quelque sorte, jusqu'à nos jours.

Eh bien, M. d'Anethan a changé tout cela. Il veut, il prétend maintenant que le crime existe indépendamment de toute intention criminelle.

En vérité, messieurs, pour croire à cette audace de paradoxe, il faut la voir de ses yeux. Eh bien, consultez l'exposé des motifs de la loi. Vous y verrez que, pour le délit d'offenses à la personne du Roi, il ne faut pas s'arrêter à l'intention ; et qu'il est nécessaire de mettre la personne du Roi à l'abri de toute offense, sans rechercher le caractère de l’intention autrement que pour déterminer la hauteur de la peine.

De telles maximes peuvent s'imprimer, mais comment les justifier ?

M. le ministre de la justice a fait, il faut en convenir, d'immenses efforts de logique ou plutôt de subtilité pour justifier «relie insoutenable prétention.

Messieurs, j'ai écouté avec une extrême attention les commentaires de M. le ministre de la justice, et je dois vous avouer, en conscience, qu'il m'a été impossible de saisir le sens de ces explications ; malgré mes efforts et ma bonne volonté, je l'avoue à ma honte, je ne suis pas parvenu à le comprendre. J'ignore si M. le ministre de la justice a été plus heureux et s'il s'est compris lui-même. Dans tous les cas, messieurs, je lui demanderai de nouvelles explications sur cette doctrine de la criminalité sans intention. Elle est assez étrange pour qu'on y revienne. Car avec cette doctrine on arriverait, messieurs, savez-vous à quoi ? mais à traduire devant les assises un fou, un pauvre fou, qui, dans un moment de délire, aurait proféré des paroles offensantes contre la majesté royale.

Quand la loi arrive à ce degré d'aberration, il faut dire, messieurs, que ce n'est plus la loi, la loi telle que nous la comprenons, c'est-à-dire l'expression la plus élevée de la raison et de la sagesse. Ce n'est plus qu'un acte d'absurdité et de démence, si l'on veut bien me passer cette expression.

Vous parlerai-je maintenant, messieurs, des dispositions de détails qui viennent se grouper autour du principe désastreux qui a inspiré le projet de loi sur les offenses à la royauté ? Déroulerai-je devant vous toutes ces dispositions exceptionnelles, exorbitantes, odieuses, qui vous prouveront qu'à chaque pas, à chaque ligne, en quelque sorte, M. le ministre de la justice a violé tous les principes du droit commun et toutes les garanties protectrices des accusés ?

Vous parlerai-je des articles 1er, 2 et 3 du projet qui frappent d'une pénalité de 5 années d'emprisonnement, d'une amende «le 3,000 fr. et d'une surveillance de cinq années de police les offenses envers la personne du Roi, ces offenses qui, selon M. le ministre de la justice, peuvent consister en une irrévérence quelconque ?

Vous parlerai-je de l'article 4 qui modifie l'article 261 du Code d'instruction criminelle et renvoie le prévenu devant la cour d'assise dans la session ouverte au moment de la prononciation de l'arrêt de renvoi, afin que l'on puisse connaître et choisir d'avance le jury devant lequel il sera renvoyé et exploiter les chances d'une condamnation ?

Vous parlerai-je de l'article 5, qui, dans le cas où le prévenu ne comparaît pas, le condamne à une amende de 1,000 fr. ?

Vous parlerai-je de l'article 6 qui, portant atteinte aux droits de la presse et de la liberté individuelle, autorise l'arrestation préventive de l'écrivain ?

Vous parlerai-je de l'article 7 qui n'autorise le pourvoi en cassation contre l'arrêt de renvoi, qu'après l'arrêt définitif de la cour d'assises ? Incroyable anomalie qui prive l'accusé d'un droit ou fait de sa comparution devant le jury une sorte de comédie !

Vous parlerai-je des nouveaux amendements présentés par M. le ministre de la justice et qui n'ont d'autre objet que de renforcer encore les rigueurs du projet qu'il nous avait soumis ?

Vous parlerai-je de l'amendement à l'article premier qui en supprimant le mot proférés aura>t pour effet de punir même la simple conversation dans un lieu public ?

Vous parlerai-je enfin de l'amendement à l'article 5 qui déclare que si le prévenu se retire après l'ouverture des débats, l'affaire sera continuée, comme s'il était resté présent, et que l'arrêt sera définitif ? Non, messieurs, non, je n'ai pas le courage de parcourir toute cette série de mesures exceptionnelles, arbitraires et violentes, et c'est à peine si j'ai dans l'âme assez d'indignation pour les flétrir comme elles le mériteraient.

Toutes les mesures d'arbitraire et de violence, j'ai eu tort, messieurs, d'en rapporter l'invention à M. le ministre. Non, il n'a pas même ce dernier mérite, car ce n'est en définitive que la reproduction, la contrefaçon de quelles lois ? Des lois françaises de septembre.

C'est de ces lois que sont extraites textuellement et servilement les dispositions les plus exorbitantes du projet qui vous est présenté.

Mais, messieurs, quand le gouvernement en France portait ces lois de septembre, quand les chambres les sanctionnaient, mais c'est que le gouvernement et les chambres étaient sous le poids des circonstances les plus impérieuses et des plus graves dangers. Ne l'oubliez pas, c'était le lendemain de l'émeute, quand le canon retentissait encore dans les rues : de Paris, quand le sang avait coulé en abondance, quand la capitale avait dû être déclarée en état de siège, quand la personne du roi avait été l'objet de je ne sais combien de tentatives d'assassinat ; c'était au milieu de toutes ces excitations et de ces crises qu'on prit la résolution de suspendre le droit commun et ses garanties. On pouvait alors invoquer avec quelque apparence de raison le droit suprême de légitime défense, car c'était l'existence de la monarchie en même temps que la vie du roi, qui était chaque jour en question. Mais vous les plagiaires de la France, vous les contrefacteurs des lois de septembre, quelles justifications, quelles excuses, quels prétextes invoquerez-vous ?

Depuis quinze ans, l'ordre a-t-il été un seul instant troublé dans ce pays ? Où sont donc les grands périls qui seuls pourraient vous absoudre ? Oui, vous faites de la réaction comme en France ; mais vous la faites sans nécessité et sans motifs ; vous faites de la réaction, de la réaction la plus détestable, de la réaction à froid, delta réaction sans conviction, de la réaction sans foi, de la réaction hypocrite. Oh ! c'est odieux, trois fois odieux ! et malheur à vous qui vous jouez ainsi par pur caprice des droits les plus sacrés du peuple !

Et cette loi, cette loi odieuse qui viole tous les principes et toutes les garanties, cette loi n'aura pas même l'effet que vous en attendez ; bien plus, elle aggravera le mal que vous voulez combattre. Cette loi, ainsi que l'a dit avec beaucoup de raison l'honorable M. Verhaegen, cette loi sera une excitation à de nouvelles offenses, à de nouvelles attaques, à de plus violentes personnalités.

Messieurs, il est une vérité vieille comme le monde et qui chaque jour devient plus évidente, c'est que la meilleure réponse à faire aux personnalités injustes, c'est le silence, c'est le mépris. Laissez-les mourir dans la boue où elles ont été jetées, car vous ne pourriez remuer cette fange de la diffamation, sans en être éclaboussé.

Eh bien, que faites-vous ? Au lieu du mépris, vous en appelez à la violence. Par là vous allez donner une nouvelle excitation à la malveillance, vous lui lancez votre défi, vous lui indiquez la place où elle doit, frapper, vous lui découvrez imprudemment le côté vulnérable. La malveillance, soyez-en persuadé, y portera ses coups avec plus d’acharnement que jamais et elle bravera vos menaces et vos pénalités.

(page 1268) Que ferez-vous alors ? Vous traînerez les prévenus sur les bancs des assises ! Mais c'est précisément ce qu'ils demandent. Ce qu'il faut à la malveillance, mais c'est de la publicité, c'est du retentissement, c'est du scandale.

Il lui faut une tribune, et cette tribune, vous la lui offrez et vous la lui offrez grande, puissante et retentissante. Cette tribune, vous la placez au milieu du pays, vous l'environnez de solennité et de pompe, et vous appelez autour d'elle, comme auditeurs et comme témoins, tous les amateurs de scandale de la Belgique et de l'Europe.

Mais, pensez-vous, le jury condamnera et nous parviendrons alors à écraser la malveillance à force de condamnations, d'amendes et d'emprisonnements. Le jury condamnera ! Vous avez été jusqu'ici un assez mauvais prophète, M. d'Anethan ; vous ne serez pas plus heureux cette fois, croyez-moi. Je vous dis, moi, que le jury absoudra ; il absoudra d'abord parce que sa conscience, qui est sa loi suprême, se révoltera contre l'inique sévérité de la loi.

Il absoudra surtout parce que votre délit est insaisissable et indéfinissable, parce qu'il est impossible de trouver en Belgique 12 hommes intelligents, 12 hommes de cœur et d'indépendance qui poussent l'absurdité et la servilité jusqu'à condamner, comme le voudrait M. le ministre de la justice, pour une irrévérence quelconque à la majesté royale et pour un délit commis sans intention coupable.

Et vous voulez, dites-vous, en présentant votre loi, protéger l'inviolabilité royale ; vous voulez réprimer les offenses dirigées contre la personne du Roi ! Mais, messieurs, qu'il me soit permis de le dire, si quelque chose peut être considéré comme une offense à la royauté, c'est le projet de loi qui est soumis en ce moment à vos délibérations.

Ce projet offense la royauté, parce qu'il fait croire que la royauté a besoin d'un redoublement d'arbitraire et de sévérité pour se défendre ; il l'offense, parce qu'il fait supposer que la royauté ne peut défendre son honneur et sa moralité que par l'intimidation et une véritable terreur judiciaire ; il l'offense encore, parce qu'il fait croire que la royauté a intérêt à étouffer dans le pays les révélations de la vérité comme les inventions du mensonge ; il l'offense, parce qu'il fait croire que la royauté est plus menacée aujourd'hui, après quinze ans d'existence, qu'elle ne l'était en 1831, à la suite de notre révolution. Enfin, le projet de loi offense et offense grossièrement la royauté, parce qu'il fera croire et dire qu'elle a besoin de venir placer la défense de son honneur sous le patronage de M. d'Anethan et de ses aberrations législatives ! Vous parlez de l'inviolabilité royale ! Mais c'est vous qui la compromettez par vos imprudences. Il est bon de couvrir d'un voile nos fictions constitutionnelles et nos mystères politiques, et vous, dans votre irréflexion, vous venez précisément jeter au milieu de ce débat la question de l'inviolabilité royale, de son caractère et de ses limites ; car le projet que nous examinons en ce moment, c'est, dites-vous, au nom de l'inviolabilité royale que vous le présentez ; c'est parce que cette inviolabilité, selon vous, est absolue et indéfinie.

Eh bien, si j'étais aussi imprudent que vous, M. d'Anethan, je vous suivrais sur ce terrain brûlant ; je vous prouverais que vous ne comprenez ni la Constitution, ni l'inviolabilité royale qu'elle consacre ; je vous prouverais que cette inviolabilité protège sans doute la personne constitutionnelle du Roi, l'exercice des prérogatives royales, les faits politiques enfin pour lesquels existe la responsabilité ministérielle, car l'irresponsabilité royale n'a été acceptée que parce qu'elle avait pour correctif la responsabilité des ministres. Aucun homme intelligent ne peut l'interpréter autrement. Si donc j'avais voulu examiner le problème si imprudemment posé par M. le ministre, je lui aurais prouvé que l'inviolabilité cesse quand la responsabilité ministérielle s'évanouit ; que, pour les faits ordinaires et les actes de la vie privée, le Roi n'est plus que le premier citoyen du pays, et qu'il doit à son tour, pour les faits et les actes, incliner la tête devant la souveraineté de la loi et les faisceaux de la justice.

Mais, messieurs, il ne s'agit pas ici, en réalité, de la personne du Roi et de l'inviolabilité royale ; il s'agit de la personne de M. d'Anethan et d'un intérêt qui lui est tout personnel. Si je l'osais, j'appliquerais à M. le ministre ce que le général Foy disait un jour du haut de la tribune à un garde des sceaux en France qui voulait aussi s'abriter derrière l'inviolabilité royale : « Cessez, s'écriait-il, cessez de jeter le manteau royal sur vos guenilles ministérielles ! » Je ne sais si je me trompe, mais je pense qu'en vous présentant son projet, ce sont ses propres injures et non celles de la royauté que l'honorable ministre a voulu venger.

M. d'Anethan, vous le savez, a été avocat général avant d'être ministre, et il n'a pas toujours été heureux dans les luttes nombreuses qu'il eut à soutenir. L'histoire de ses infortunes judiciaires serait longue, et je me garderai bien de la raconter. Mais dans ces luttes, si ardentes et si souvent malheureuses, il a dû y avoir bien des froissements, de déceptions, d'accès d'impatience et d'irritation, comme ceux que paraît éprouver en ce moment M. le ministre. Après une longue attente, il lui fallait une occasion d'épancher tout le fiel lentement amassé dans son âme contre le jury ; le moment était venu où il fallait que ses longs ressentiments fissent explosion. L'occasion s'est présentée ; un verdict d'acquittement est venu la lui offrir, et c'est avec tout l'empressement de la vengeance qu'il vous a présenté un projet de loi, non pour protéger la personne du Roi, mais pour humilier, pour frapper le jury ; il n'en conviendra pas ; il n'oserait. Aussi M. le ministre s'est-il livré à des considérations et à des suppositions à perte de vue sur les motifs qui ont pu dicter au jury de Bruxelles un verdict d'acquittement.

Mais de quel droit, je le demande, M. le ministre de la justice prétend-il pénétrer les secrets des convictions des jurés ? A-t-il assisté à leurs débats ? Peut-il lire dans leur conscience ? Qui donc lui a dit qu'ils avaient acquitté parce qu'ils avaient trouvé la loi insuffisante ? Ce sont là de misérables prétextes pour dissimuler l'odieux des mesures qu'il vous présente. Personne n'y a été trompé. Le pays tout entier n'a vu dans le projet de loi présenté avec tant de précipitation, le lendemain du verdict, qu'un acte de passion et de colère, un véritable coup d'Etat législatif contre le jury et ses décisions.

Quelle preuve plus éloquente des pensées de colère et d'exaltation dont M. le ministre était animé, que les circonstances qui ont accompagné le projet de loi que nous discutons ! Un premier projet vous est présenté dans le premier entraînement de la colère ; huit jours après, on vient vous proposer des dispositions nouvelles, quatre amendements et trois articles nouveaux, qui changent et dénaturent le projet primitif. Ces contradictions et ces inconséquences ne vous prouvent-elles pas, mieux que mes paroles, le désordre intellectuel qui a présidé à la rédaction de la loi ? Chacune de ses dispositions ne porte-t-elle pas le cachet de l'irréflexion, de la maladresse, de la colère et de la réaction ?

Il n'est plus permis de s'y tromper, messieurs, le projet de loi, c'est une déclaration de guerre au jury. Oui, c'est le jury qui est mis en cause aujourd'hui. Maintenant que la lutte est engagée, il faudra que M. le ministre de la justice soit renversé ou que l'institution du jury succombe. Oh ! il n'aura pas le courage, je le sais, de demander la suppression du jury, mais il y arrivera par ces moyens indirects et jésuitiques qui sont la dernière ressource de la politique aux abois. En laissant subsister la fiction du jury, ne peut-on pas enlever à ce corps son indépendance et en faire l'instrument des vengeances du pouvoir ? Eh ! mon Dieu, il suffirait pour cela d'enlever à la magistrature le droit d'épuration pour le placer dans les mains des agents du pouvoir. Qui oserait affirmer que déjà M. le ministre n'en a pas la pensée ?

Doutez-vous, messieurs, du danger qui menace en ce moment non seulement le jury, mais encore toutes nos institutions ? Rappelez-vous ce qui se passe en ce moment à Bruges. La misère des Flandres inspire un écrit ardent, passionné, violent même si vous le voulez. Cet écrit est dirigé contre l'honorable M. de Theux. On y reproche, dans les termes les plus amers, au gouvernement sou inintelligence et son apathie. Cet écrit, on le laisse circuler pendant un mois ; il est reproduit dans la plupart des journaux et répandu dans le pays à un nombre infini d'exemplaires ; puis, après un mois d'indifférence et d'abstention, voici tout à coup la police qui s'éveille et qui saisit l'écrit ; on ne se contente pas de saisir l'écrit, on s'empare de la personne de l'écrivain, on lui impose un emprisonnement préventif ; on ne s'arrête pas là ; on le soumet à toutes les rigueurs, à toutes les tortures du secret, c'est-à-dire qu'on le traite lui, l'écrivain, l'homme de la presse et de la pensée, comme un vil et lâche assassin ! Et puis, s'il faut en croire la notoriété publique, il s'agirait maintenant d'établir des rapports entre cet écrit et des scènes de désordres et de pillage, c'est-à-dire, qu'on voudrait introduire dans ce pays la doctrine monstrueuse de la complicité morale, cette doctrine contre laquelle la France tout entière a protesté lorsqu'elle fut appliquée à un écrivain !

Sur qui doit retomber la responsabilité de tous ces faits attentatoires aux droits de la liberté et de la presse ? Je l'ignore ; mais si j'avais la certitude que M. le ministre de la justice fût l'auteur de toutes ces mesures arbitraires, qu'il en eût pris l'initiative et qu'il les eût imposées à ses agents, je dirais que M. d'Anethan a comblé la mesure, je vous demanderais, messieurs, si le moment n'est pas venu de faire enfin un grand exemple et de mettre en accusation un ministre qui se serait mis en révolte ouverte contre nos lois, nos libertés et nos institutions.

Que d'autres s'associent à ses projets de réaction, d'arbitraire et de colère. Je repousserai, moi, et d'une manière absolue, la loi qu'il vous présente ; je la repousse, parce que c'est un acte de maladresse ; je la repousse, parce que c'est un acte de basse flagornerie, ainsi qu'on l'a dit déjà ; je la repousse, parce que c'est un acte d'hypocrisie ; je la repousse, parce que c'est un défi jeté au jury ; je la repousse, parce que c'est une menace pour toutes nos institutions ; je la repousse enfin, au nom de la moralité publique, au nom de l'honneur du pays !

M. Orts. - Messieurs, je n'ajouterai rien aux considérations puissantes qu'on vous a présentées dans la séance d'hier et dans celle d'aujourd'hui, pour établir que la loi en discussion est à la fois inopportune, impolitique et dangereuse. Je tâcherai, en suivant le projet de loi article par article, d'établir l'inopportunité et surtout l'inutilité complète de cette œuvre ministérielle.

Qu'il me soit permis, pour le moment, de faire valoir quelques considérations générales.

Lorsque j'ai vu que M. le ministre de la justice, interpellé par la section centrale, sur le nombre de poursuites qui avaient eu lieu par application du décret de 1831, répondre qu’il n'y avait eu que deux poursuites, je me suis demandé : Comment se fait-il que, pendant seize ans, on n'ait été que deux fois dans le cas de faire sortir de l'arsenal des lois pénales ce canon qui, une seule fois (el je fais allusion au dernier verdict), n'a pas réussi à produire son effet ? Et je me suis posé ce dilemme :

De deux chose l'une : ou dans notre Belgique si sage, si patriotique, il ne s'est pas trouvé de citoyens qui, pendant 16 ans, se soient exposés plus de deux fois à l'application de la loi ; ou bien plusieurs fois il s'est perpétré des faits qui auraient dû appeler l'action de la justice répressive et l'attention de M. le ministre de la justice.

(page 1269) Eh bien, messieurs, s'il ne s'est présenté que deux cas de poursuite, croyez-vous qu'il soit bien opportun de proposer une loi qui a le triple caractère, d'abord d'aggraver la qualification même du délit, d'étendre le cercle de la criminalité, si je puis m'exprimer ainsi ; en second lieu, d’aggraver les peines, et en troisième lieu de dépouiller les délinquants en matière de presse, de ces garanties titulaires de la procédure criminelle que tous peuvent invoquer comme un bénéfice commun.

Si au contraire le cas s'est présenté plus souvent, sans avoir fait l'objet d'une poursuite, nous pouvons alors à bon droit accuser le défaut de surveillance de M. le ministre de la justice, et nous pouvons lui dire que dans ce cas l'impunité aura produit les délits qui ont nécessité les dernières poursuites.

Messieurs, je vous avais dit que c'est par l'examen même de la législation que j'établirais l'inutilité parfaite de la loi ; à cette fin, je dois appeler d'abord votre attention sur le décret du 20 juillet 1831.

C'était dans des principes bien sages que le congrès avait réglé toute l'économie de cette législation. Le congrès savait qu'au-dessus de toutes les autorités, planait la loi des lois, la Constitution ; et qu'après la Constitution, ce sont les actes de la législature, qui dans tous les pays doivent être le plus respectés. C'est dans cette vue que le décret de 1831 place en première ligne les attaques méchantes et publiques dirigées contre la force obligatoire de la Constitution et des lois. Après avoir formulé une sanction pénale contre ces transgressions si graves, il passe aux autorités instituées en vertu de la Constitution et des lois ; il s'occupe d'abord du Roi ; il l'envisage sous deux rapports, comme l'une des branches du pouvoir législatif et comme le chef du pouvoir exécutif.

A ce point de vue, le décret place le Roi sur la même ligne que les chambres. L'attaque méchante et publique contre les droits constitutionnels du Roi, contre ceux de sa dynastie, contre l'inviolabilité de sa personne sont mis sur la même ligne, sous le rapport de la peine, que les mêmes attaques dirigées contre l'autorité des chambres. Mais après avoir formulé ces mesures répressives contre ces attaques lorsqu'elles ont pour objet soit le Roi soit les chambres envisagés comme autorités, le décret s'occupe de la personne du Roi, et alors la loi exige, pour que l'injure et la calomnie contre la personne du Roi soient punies, que l'attaque soit faite méchamment.

' Il faut que le caractère de la méchanceté, en d'autres termes : l'intention coupable, accompagne l'injure ; en présence d'une loi aussi sage qui avait si bien échelonné la qualification des délits et des pénalités, que fait le projet de loi qui vous est soumis ? Le premier projet présenté par M. le ministre était réellement conçu dans un sens qui devait vous faire croire que toute offense contre la personne du Roi, ne fût-elle pas faite arec intention coupable, donnait lieu à des poursuites.

Et si l'on allait jusqu'à prétendre qu'une simple irrévérence donnerait lieu à l'application des peines aggravantes du projet de loi, je me demanderais si l'on perd de vue qu'une irrévérence peut consister non pas dans une action mais dans la simple omission d'un acte de convenance. Certes je trouve qu'il est du devoir d'un bon citoyen d'environner de respect la personne du Roi ; mais si quelqu'un ne partageant pas ces sentiments s'abstenait d'une marque de respect, il y aurait irrévérence ; si l'irrévérence était atteinte par le projet de loi, vous puniriez d'une amende de 500 fr. à 5,000 fr. et de 6 mois à 5 ans de prison, celui qui se serait abstenu d'un acte de politesse.

C'était déjà une malheureuse idée que de formuler un article de loi où l'on ne parle que de l'offense à la personne du Roi, sans même supposer l'intention coupable. La section centrale l'a senti ; et quoique plusieurs membres aient désiré qu'à ce mot : offense qui n'est défini dans aucun code de législation, on substituât le mot : outrage, j'examinerai tout à l'heure la valeur de cette expression ; la section centrale a trouvé nécessaire d'ajouter ces mots : sera coupable d'offense envers la personne du Roi.

Selon moi, cette expression coupable implique la même pensée, a la même portée, que ces autres expressions écrites dans le décret de 1831 : d'avoir méchamment injurié le Roi, car l'injure et l'offense sont exactement la même chose. Je puiserai, à cet égard, ma démonstration dans le dictionnaire de la loi. Injurier ou offenser méchamment, c'est injurier ou offenser avec intention coupable. Si l'intention coupable est reconnue par le jury, il le déclarera précisément parce que l'injure ou l'offense aura présenté à ses yeux les caractères de la méchanceté. Si au contraire le jury reconnaît que l'offense ou l'injure a eu lieu, mais qu'elle n'a pas été faite méchamment, il déclarera le prévenu non coupable.

Pourquoi tant d'efforts pour substituer aux mots : injurié méchamment, ceux-ci : être coupable d'offense ? Je n'y vois aucun motif rationnel et légal.

Il y avait dans le projet primitif et même dans le rapport de la section centrale, cette autre conséquence ; c'est que comme le projet de loi n'atteignait que les injures et les calomnies contre la personne du Roi, il en résulterait que ceux qui auraient attaqué les droits constitutionnels du Roi, les droits constitutionnels de sa dynastie, l'inviolabilité royale, se seraient trouvés placés sous une législation moins sévère que ceux qui attaqueraient la personne du Roi dans ses actes de la vie privée. C'était inconséquent ; on l'a senti. M. le ministre, par un amendement à l'article 3, a déclaré que les individus coupables de l'un ou l'autre des délits prévus par la partie non abrogée de l'article 3 du décret du 20 juillet 1831, sans préjudice de la peine déjà comminée par ledit article, tomberont sous le coup de la loi nouvelle.

Ici encore on a cru faire beaucoup, mais, qu'il me soit permis de le dire, on a oublié un point bien important ; en effet, à moins de soutenir qu'attaquer méchamment la force obligatoire de la Constitution, la force obligatoire des lois, provoquer à désobéir à la Constitution et aux lois, ce qui fait l'objet de l'article 2 du décret, soit un délit moins grave que les délits prévus par l'article 3 ? c'est-à-dire qu'il serait moins grave d'attaquer la Constitution et les lois que les autorités établies par la Constitution même, dépositaires du pouvoir, vous n'aurez rien fait, car, lorsqu'il s'agira d'attaques contre la Constitution et les lois, le mot méchamment est maintenu ; mais, s'il s'agit de délits constituant l'infraction à l'article 3, il ne faudra plus qu'ils aient été commis méchamment ; il suffira qu'il y ait offense, de manière qu'on maintient le décret de 1831 en ce qui concerne l'article 2, et on l'abroge pour les divers cas prévus par l'article 3. Quelle est la conséquence de celle anomalie législative ? La voici :

C'est punir plus sévèrement ce qui aux yeux de la législation, aux yeux du bon sens, présente moins de gravité, et devrait dès lors occuper un rang moins élevé sur l'échelle des délits.

Je vous dirai qu'il était inutile de substituer au mot : injures, le mot : offense ; et pour établir cette proposition, je n'aurai besoin que de fixer votre attention sur la législation pénale qui nous régit.

Plusieurs membres de la section centrale avaient désiré qu'au mot : offense on substituât celui d'outrage, si le mot injure inséré dans la loi de 1831 n'était pas suffisant ; on donnait pour raison que le mot outrage était souvent employé dans le langage de la législation pénale. Je crois pouvoir démontrer qu'en s'attachant au Code pénal même, en parcourant ses diverses dispositions, il est facile de se convaincre que les mots offense et outrage sont synonymes et que les mots injure et outrage présentent également le même sens, sont pris dans la même acception.

En effet, les articles 222, 223, 224 et 225 du code pénal traitent des outrages par paroles, gestes ou menaces dirigés contre les agents de l'autorité publique et avec aggravation de peine contre les magistrats. Le mot outrage s'y trouve employé à chaque disposition.

Les articles 226 et 227, s'occupant de celui qui a commis l'outrage, les qualifient de la manière suivante :

« Art. 226. Dans les cas des. articles 222, 223 et 225 l'offenseur pourra être condamné à faire réparation, soit à la première audience, soit par écrit, etc.»

« Art. 227. Dans le cas de l'article 224, l'offenseur pourra de même, outre l'amende, être condamné à faire réparation à l'offensé, et s'il retarde ou refuse, il y sera contraint par corps. »

Vous voyez donc que le législateur français (qui certes était bien compétent pour juger de la valeur des expressions, non seulement sous le rapport grammatical, mais encore sous le rapport du langage en fait de législation pénale) a appliqué à celui qui se permet l'outrage, le mot offenseur.

Je conclus de là que l'offense n'est autre chose que l'outrage et que l'outrage est une offense.

Lorsque je vous aurai établi (et c'est ce que je vais faire) qu'injure est synonyme d'outrage, je pourrai en déduire cette conséquence qu'il est inutile de changer le mot injure dont se sert l'article 3 du décret du 20 juillet 1831.

Au titre du code pénal qui traite spécialement des injures, je lis à l'article 375, placé après les faits de calomnies, les expressions suivantes :

« Art. 375. Quant aux injures ou autres expressions outrageantes, qui ne renfermeraient l'imputation d'aucun fait précis, mais celle d'un vice déterminé, si elles ont été proférées dans des lieux ou réunions publics, etc., la peine sera une amende de 16 fr. à 500 fr. »

Ainsi les mots injures et expressions outrageantes sont synonymes.

L'article 376 confirme encore cette opinion ; il est conçu comme suit : « Art. 376. Toutes autres injures ou expressions outrageantes qui n'auront pas eu ce double caractère de gravité et de publicité, ne donneront lieu qu'à des peines de simple police. »

Vous voyez donc, messieurs, que le législateur, d'une part, considère dans les articles 222 et suivantes, les mots outrage et offense comme synonymes et ici les mots injure et outrage également comme synonymes dans le langage de la loi.

On me dira : Si ces mots sont synonymes, pourquoi dit-on à l'article 375 : « Injures ou autres expressions outrageantes » ? Mais cela était nécessaire, parce qu'il peut y avoir injure, sans ce que soit par paroles : Ainsi des gestes injurieux et menaçants peuvent constituer une injure. Cette espèce d'injure et l'injure par paroles qui est l'outrage, sont donc mises sur la même ligne en législation pénale et présentent la même acception.

Dans cette hypothèse, je demande s'il était nécessaire de changer la législation établie par l'article 3 du décret de 1831 ?

Il faut avoir injurié la personne du Roi ; ce qui signifie l’avoir offensé : il faut l'avoir fait méchamment ; ce qui signifie : l'avoir fait avec une intention coupable.

Etait-il besoin de le répéter, de modifier les expressions de cet article 3 ? Evidemment non ; car du moment que le jury avait vu qu'il y avait injure faite méchamment, il déclarait le prévenu coupable. Sinon, il le déclarait innocent.

Je ne vois donc pas de motif pour faire disparaître le mot méchamment.

Voilà les observations que j'avais à faite sur l'article premier.

(page 1270) Il me paraît que la législation de 1831 est suffisante, et qu'elle atteint tous les faits que prétend atteindre le projet soumis à la discussion.

Mais il y a dans ce projet une aggravation de peine qui existe, pour certains cas et pas pour d'autres, qui s'applique aux délits prévus à l'article 3 et non aux délits prévus à l'article 2.

A Dieu ne plaise que je demande une aggravation de la législation pour ce qui rentre, dans cet article 2 du décret. Je considère sous ce rapport, comme sous d'autres, la législation comme suffisante.

Je crois qu'aux articles suivants il ne sera pas difficile de prouver à M. le ministre de la justice, même avec les amendements qu'il a proposés au projet primitif, que tout cela ne peut produire d'autre résultat que du faire entrer bien à tort dans la législation une œuvre éphémère, imparfaite, incohérente et qui n’a dû le jour qu'à un événement isolé et purement accidentel.

Car je me demande : Qu'est-ce que le verdict du jury ? C'est l'effet. Quelle en est la cause ? Vous la connaissez comme moi.

Avez-vous jamais compris que l'on puisse attendre un effet différent, lorsque la cause qui doit le produire reste la même ?

On a fort bien démontré tout à l'heure que devant un jury qui serait appelé à prononcer sur le sort d'un individu, en présence d'une aggravation de législation, il y aurait lieu, non pas d'attendre du jury un verdict de condamnation, mais de craindre au contraire un verdict d'acquittement, si les jurés n'étaient pas pénétrés du sentiment de leurs devoirs, s'ils reculaient devant la tâche de bons citoyens.

M. Van Cutsem, rapporteur. - Messieurs, comme à la section centrale, deux opinions se sont produites à la chambre, l'une pour soutenir que le projet de loi vous avait été présenté en temps inopportun, l'autre pour prétendre que le ministère avait bien fait de vous proposer des modifications au décret du 20 juillet 1831 et au Code d'instruction criminelle, malgré l'acquittement prononcé par le jury de la capitale.

Les partisans de la première opinion vous ont dit qu'en présentant immédiatement à la chambre, après le verdict du jury, un projet de loi portant modifications au décret sur la presse, le gouvernement s'exposait inévitablement au reproche d'avoir agi, en vous soumettant un pareil projet de loi, par colère et vengeance, ce qui produirait, sans aucun doute, plus d'acquittements que la loi actuelle ; les autres ont répondu que le projet de loi vous avait été soumis, parce que la législation actuelle est inefficace ou mal comprise, et que dans l'un ou l'autre cas il y a lieu de la réformer, sans que l'on dût s'occuper de ce qui peut avoir été fait dans une affaire spéciale par le jury.

Ils ont ajouté que cette révision du décret du 20 juillet 1831 devait d'autant moins étonner qu'elle était prévue, qu'elle était même prescrite par les auteurs du décret qui avaient voulu, vu la précipitation avec laquelle avait été voté le décret sur la presse, qu'il fût révisé même avant la fin de l'année 1834.

Ils ont dit aussi que, si le gouvernement avait présenté le projet de loi dans un moment de calme, élans un moment où la presse se tenait dans de justes limites, on aurait crié très haut que cette révision devait réveiller les mauvaises passions et provoquer des actes blâmables ; qu'il était à craindre qu'un acquittement récent ne servît d'encouragement à la malveillance et ne donnât lieu à de nouveaux délits de cette nature, et que sous ce rapport, le moment était parfaitement choisi pour compléter la législation de manière à ce que ces délits ne restassent pas impunis.

En effet, messieurs, nous ne sommes pas, appelés à décider si le jury a bien ou mal fait d'acquitter les auteurs de caricatures et de pamphlets qu'un électeur de Bruxelles a qualifiés dans un écrit adressé dernièrement à ses concitoyens à l'occasion des élections communales d'ignobles pamphlets qui sont restés, malgré un verdict d'acquittement, un sujet dé dégoût et d'indignation pour tous les bons citoyens sans acception de partis politiques ; nous devons voir seulement si avec la législation actuelle sur la presse nous pouvons mettre la personne du Roi et la famille royale à l'abri des offenses, des injures et des outrages dont voudraient les accabler d'ignobles pamphlétaires, des hommes qui pourraient presque faire regretter, en face des abus qu'ils en font chaque jour, la plus belle conquête des temps modernes, celle de la libre expression de la pensée, si on n'avait à opposer une digue à leurs débordements et à leurs écarts. Oui, messieurs, la presse est la plus belle conquête des temps modernes, et l'influence qu'elle exerce sur la marche des institutions libérales est immense. Mais la pensée, pour être utile, doit s'énoncer toujours avec modération. Son action vers le bien n'est puissante que lorsque, généreuse, sage par le but où elle tend, elle est mesurée dans les expressions qui la manifestent,

Dans un gouvernement représentatif comme celui sous lequel nous avons le bonheur de vivre, la presse à une belle mission ; elle peut contrôler tous les faits du pouvoir exécutif, depuis les actes des ministres jusqu'à ceux des derniers employés ; elle peut discuter avec le pouvoir législatif des projets de lois qui s'occupent des intérêts les plus chers de la nation, et enfin, elle peut signaler les abus de l'administration partout où elle les rencontre. Là s'arrêtent les droits et les devoirs de la presse. La vie privée du Roi, de la famille royale comme celle du dernier citoyen, doit être murée, comme l'a dit l'honorable M. Verhaegen, pour le publiciste, pour le journaliste ; s'il se permet de fouiller dans l'intérieur des familles, il s'écarte de la mission élevée qui est réservée à la presse dans l'organisation moderne des peuples, il lui fait perdre le rang qui la place comme quatrième pouvoir à côté des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ; il lui enlève cette belle position qui lui donne une influence capable de balancer celle des trois autres pouvoirs.

Avons-nous des lois qui puissent forcer la presse à ne pas s'écarter de sa belle mission, à respecter l'inviolabilité du souverain et de la famille royale ? Avons-nous des lois qui garantissent aux familles leur tranquillité intérieure ? M. Verhaegen a soutenu qu'oui, avec MM. Orts et Castiau ; moi je prétends que non, et je crois qu'il me sera facile de vous le démontrer.

Je vous dirai tout d'abord que notre pacte fondamental s'oppose à toute mesure préventive contre la presse, et que nul publiciste ne peut être contraint, aux termes de notre charte, à donner un cautionnement avant d'écrire. Les mesures préventives contre la presse ne sont permises dans aucun gouvernement représentatif ; mais les mesures propres à garantir l'exécution des jugements prononcés en matière de presse existent en France et en Angleterre, cette terre classique du gouvernement représentatif ; c'est l'illustre Chateaubriand qui l'a fait inscrire dans la loi française du 9 juin 1819 et c'est de cette loi qu'elle est passée dans la législature anglaise. La législature qui a été appelée à donner à la Belgique des lois pénales pour la répression des délits de presse, a donc dû les lui donner sans mesure préventive, sans garantie pour l'exécution des peines qu'elle prononcerait contre les délinquants ; la tâche n'était pas facile.

Je n'hésite point aussi à dire, qu'avec celle dont elle a doté la Belgique, la répression des délits de presse est impossible, et que la législature, quelle qu'elle soit, aura bien du mal à faire des lois qui puissent atteindre les auteurs des délits de presse ; elle pourra sévir contre des hommes qui prendront la place des véritables coupables, mais quant aux véritables coupables, elle ne les atteindra que fort rarement et pour ainsi dire par hasard, quand la justice aura pu mettre la main sur l'écrit incriminé.

S'il est difficile, d'après ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire, de faire une bonne loi en matière de presse, je ne puis cependant m'empêcher de dire, quel que soit le respect que je professe en général pour les œuvres du congrès national, qu'il ne faudra pas faire de bien grands efforts pour faire mieux que lui, puisqu'il n'a donné au pays qu'une législation qui permet de prononcer des peines contre les délinquants sans donner au pouvoir la faculté de les faire subir.

L'article 98 de la constitution belge dit que le jury est établi en toutes matières criminelles, et pour délits politiques et de la presse.

Les délits politiques et de la presse réprimés par le décret du 20 juillet doivent donc être soumis à la cour d'assises.

S'il prend fantaisie à l'accusé de délit de presse, de ne pas comparaître et de se laisser condamner par contumace, personne ne pourra s'y opposer, puisqu'il ne peut être arrêté préventivement. Une fois condamné par contumace, qui pourra l'empêcher de faire usage de l'article 476 du Code d'instruction criminelle, de faire tomber l'arrêt par contumace prononcé contre lui, et de profiter de tous les avantages que lui donne la loi ? Or quels sont ces avantages ? C'est d'abord l'annulation de l'arrêt de contumace et de toute la procédure qui l'a précédé jusqu'à l'ordonnance de prise de corps, en matière criminelle ordinaire, et en matière de presse jusqu'à l'arrêt de renvoi. De là si toute la procédure est anéantie par l'arrestation ou la constitution volontaire à la maison d'arrêt du condamné par contumace, lorsque l'accusé de délit de presse se sera fait inscrire sur les registres d'écrou, on devra le mettre immédiatement en liberté, puisque la condamnation prononcée contre lui n'a plus d'effet et qu'on ne peut le détenir préventivement.

Ce que l'accusé de délit de presse aura fait une fois, il pourra le répéter une seconde, une troisième fois, enfin aussi longtemps qu'il le voudra, puisque la loi ne met aucun obstacle à une pareille manière d'agir.

A côté de cette lacune qui est immense, puisqu'elle permet aux accusés en matière de presse de braver impunément les arrêts de la justice. vient, quoique l'honorable M. Verhaegen ait dit que la législation actuelle punissait les injures envers la famille royale, se placer l'oubli de la répression des injures adressées à la famille royale, oubli qui n'existe dans aucune autre législation et que nous devons nous empresser de réparer. Après vous avoir prouvé que le décret sur la presse doit être modifié parce qu'il présente des peines dont on peut éluder l'application et après vous avoir montré qu'il y a lieu de ne pas laisser notre Reine et nos princes sans défense contre les outrages auxquels ils pourraient être en butte, je dois vous dire pourquoi la majorité de la section centrale a pensé que le mot méchamment qui se trouvait dans le décret du 20 juillet 1831 ne devait plus être inséré dans la loi destinée à réprimer les offenses envers la personne du Roi et envers la famille royale.

La majorité de la section centrale a trouvé que le mot méchamment pouvait être supprimé dans la nouvelle loi, parce qu'elle a cru qu'on ne devait pas exiger que l'intention coupable qui est demandée pour constater l'existence de tout crime ou de tout délit fût exprimée d'une manière plus formelle quand il était question d'offense envers la personne du Roi que quand il était question d'injure ou de calomnie envers des particuliers.

L'article 367 du Code pénal a déclaré calomniateur celui qui, dans un lieu public, aura imputé à un homme un acte qui pourrait l'exposer à la haine ou au mépris de ses concitoyens, sans exiger qu'il fût demandé au juge s'il avait calomnié méchamment ; la loi sur celle matière n'a voulu qu'une chose, c'est que les discours qui constituaient la calomnie n'eussent été prononcés qu'avec l'intention coupable exigée pour la perpétration de tout crime ou délit.

L'intention coupable, l'intention méchante, l'intention criminelle de celui auquel on impute un crime ou un délit, est un fait qui ne peut être (page 1271) constaté que par l'acte même dont il est accusé, et quand on se borne à rester dans les termes du droit commun, le juré comme le juge ne voit que l'acte imputé pour apprécier la culpabilité du prévenu ; mais si on place une expression inusitée à côté des actes qui constituent le crime ou le délit, pour constater cette intention coupable, le juré induit en erreur par les débats, peut chercher cette méchanceté hors des faits mêmes qui sont imputés aux accusés, et la cherchant là où elle n'est pas, il déclare qu'elle n'existe pas, et il est cause, bien souvent involontairement, des acquittements qui sont prononcés.

C'est à cet inconvénient que la suppressions du mot méchamment remédiera.

L'honorable M. Verhaegen vous a dit aussi que les délits qui sont prévus par le projet de loi en discussion étaient mal définis.

Si l'honorable représentant parle de l'article primitif du projet du gouvernement, je ne chercherai pas à combattre son opinion, quoique les délits de l'espèce ne soient pas mieux caractérisés dans la loi française du 17 mai 1819 et quoique le projet de loi présenté aux chambres belges en 1834 par les hommes alors au pouvoir ne soit pas plus explicite à cet égard, parce que la section centrale dont je suis ici l'organe a décidé à l'unanimité que l'article premier aurait à exprimer de quelle manière l'offense devait être commise pour tomber sous les termes de la loi.

Mais si l'honorable orateur critique la rédaction de l'article premier telle qu'elle a été conçue par la section centrale, je lui répondrai que ce vague dont il se plaint n'existe plus dans l'article premier, et je répondrai en même temps à l'honorable M. Castiau qu'il ne s'agit pas d'une irrévérence quelconque, puisqu'il est dit de la manière la plus formelle, que l'offense doit être perpétrée par des discours prononcés dans des lieux ou réunions publics, par des cris ou menaces proférées dans des lieux ou réunions publics ; ce qui fait disparaître tout doute sur la nature de l'offense qui doit tomber sous l'application de la loi pénale. L'honorable représentant de Bruxelles nous a encore dit que sous la nouvelle loi, il y aurait plus d'acquittements que sous l'ancienne législation, parce qu'on avait présenté la loi en temps inopportun ; c'est ce dont nous n'avons pas à nous occuper en notre qualité de législateurs. Notre devoir à nous, c'est de doter le pays d'une loi qui mette, si on veut l'appliquer, le souverain, la famille royale et tout citoyen beige à l'abri des écarts de la presse : à chacun sa tâche, à nous la nôtre, au jury la sienne ; et malheur à celui qui ne la comprendra pas, parce qu'il deviendra responsable de tout le mal que son incurie et l'oubli de ses devoirs occasionneront !

Messieurs, je dirai un mot de l'amendement proposé par l'honorable ministre de la justice à l'article premier. Cet amendement ne change en aucune manière la pensée de la section centrale, il n'a d'autre but que de rendre la rédaction de l'article plus correcte, je crois donc pouvoir m'y rallier.

M. d’Elhoungne. - Messieurs, s'il est une chose évidente pour tous, une chose qu'il est inutile de discuter plus longtemps, c'est que la loi qui nous est proposée est une loi de réaction, une loi de dépit. Il saute aux yeux que le projet a été présenté sous l'impression de l'irritation, du mécontentement et du dépit que M. le ministre de la justice a éprouvé du verdict d'acquittement récemment rendu par le jury. Quoi qu'en pense l'honorable rapporteur de la section centrale, la chambre a à examiner dans quelles circonstances et avec quelle opportunité le gouvernement présente dans cette enceinte les projets de loi qu'il nous soumet. Avant d'aborder la discussion du projet de loi lui-même, la chambre a à s'enquérir si le ministère n'a point agi avec une précipitation répréhensible et s'il n'a pas compromis par un zèle maladroit ce qu'il proteste vouloir protéger.

Messieurs, pour vous prouver que le projet de loi qu'on vous présente est inopportun, intempestif et mauvais, je n'invoquerai d'autres motifs que ceux que M. le ministre de la justice a développés dans cette enceinte pour justifier et ce projet et sa présentation.

Que vous a-t-il dit hier M. le ministre et que vient-il de vous répéter encore tout à l'heure ? Il vous a dit que le décret du 20 juillet 1831, sur la presse, offrait des lacunes ; que ce décret avait eu dès l'origine un caractère transitoire ; que la nécessité de le soumettre à une prompte révision avait été sentie par ses auteurs eux-mêmes ; que ce décret devait être révisé en exécution d'un vœu du congrès, et pour obéir en quelque sorte au testament que le congrès avait légué aux législateurs qui devaient lui succéder. M. le ministre a ajouté que la nécessité de cette révision avait été sentie par la plupart de ses prédécesseurs et que des projets avaient été préparés en conséquence.

Eh bien, messieurs, y a-t-il là un seul motif qui ne combatte le projet dont nous nous occupons ? Si le décret de 1831 est incomplet, si ce décret est transitoire, s'il exige une prompte révision, si des projets d'une révision complète ont été préparés successivement par tous les ministres de la justice, mais, à moins de divorcer avec le bon sens, c'étaient tout autant de motifs pour ne pas présenter une loi spéciale, exceptionnelle. En effet, si vous êtes persuadé que la législation offre des lacunes, comblez ces lacunes ; mais ne venez pas présenter un projet de loi qui ne les comble que sous un seul point de vue. S'il était dans les vœux du congrès que toute la législation sur la presse fût révisée, ne venez pas proposer un projet qui laisse la législation intacte pour tout le monde, et qui n'y touche que pour certaines offenses envers la personne du Roi.

Les suppositions, qu'on a faites sur la présentation du projet de loi, préoccupent peu M. le ministre de la justice ; qu'on y voie du dépit, du ressentiment, peu lui importe ! Mais M. le ministre de la justice a-t-il le droit de tenir ce langage ? Pense-t-il que devant le jury qui sera chargé d'appliquer la loi, ces considérations seront sans effet ? Pense-t-il qu'elles n'influenceront pas les décisions futures du jury ? Et M. le ministre de la justice a-t-il bonne grâce de compromettre ainsi l'efficacité des lois qu'il nous engage à voter ?

Après avoir donné ce motif général de la révision de la loi sur la presse, on a critiqué la définition que le décret du 20 juillet 1831 donne de l'injure et de la calomnie envers la personne du Roi. On prétend que le mot méchamment qui se trouve dans ce décret, caractérisa d'une manière toute spéciale, pour les offenses envers le Roi, l'intention criminelle qui est un des éléments indispensables de tout délit.

Mais si cette critique est juste, elle devient, à son tour, une objection contre le projet. En effet, le mot méchamment n'est pas inséré dans le décret sur la presse, seulement pour les délits d'injure et de calomnie envers le Roi (je l'ai déjà fait remarquer hier, en interrompant M. le ministre de la justice) ; le mot méchamment, que l'on considère comme une anomalie dans notre système pénal, se trouve dans les articles du décret qui prévoient d'autres délits que l'injure et la calomnie. Ainsi vous avez :

1° Les attaques contre la force obligatoire des lois ;

2° Contre l'autorité constitutionnelle du Roi ;

3° Contre l'inviolabilité de sa personne ;

4° Contre les droits constitutionnels de sa dynastie ;

Et 5° les attaques contre les droits et l'autorité des chambres ; tous délits que le décret sur la presse définit et caractérise dans les mêmes termes.

Il faut là aussi qu'on ait agi publiquement, méchamment. Donc, si le mot méchamment est une anomalie à l'égard des injures et des calomnies envers la personne du Roi, c'est aussi une anomalie à l'égard des autres délits que je viens d'examiner.

M. le ministre de la justice soutiendra-t-il que les attaques contre les droits constitutionnels du Roi, contre l'inviolabilité du Roi, seraient des faits moins graves et qui exigent moins de précision dans leur définition, que les offenses que le projet doit réprimer ?

Mais, messieurs, je ne connais pas d'offense plus grave, plus dangereuse, plus compromettante pour la royauté, que d'attaquer son inviolabilité, en faisant remonter jusqu'à elle la responsabilité des actes de ses ministres, et, par exemple, de M. le ministre de la justice lui-même.

Je ne pense pas qu'on puisse outrager la royauté avec plus de perfidie et de péril qu'en lui attribuant la conduite et les fautes de différents ministères qui se sont succédé aux affaires, et contre lesquels le pays s'est soulevé à si juste titre.

Vous voyez bien, messieurs, que s'il y avait lieu à réformer la définition que le décret de 1831 a donnée du délit d'offense à la royauté, il y avait lieu à étendre la réforme à tous les articles du décret où ce même mot méchamment a été introduit malencontreusement, d'après M. le ministre de la justice. Au lieu de trouver là un motif pour présenter un projet spécial, exceptionnel pour les offenses à la personne du Roi, il y avait un motif pour réviser tout le décret. Or, en nous présentant une révision complète du décret, précisément on évitait cette déplorable maladresse de présenter un projet de loi qui, par les circonstances de sa présentation, par son caractère spécial, par le cercle restreint dans lequel il est renfermé, paraît une réaction contre un verdict du jury, et doit faire naître, entre la royauté et le jury, un conflit regrettable pour tous.

Je crois au surplus qu'on s'est beaucoup exagéré l'importance du mot méchamment qui se trouve dans le décret sur la presse. Voyez ce qu'a dit hier M. le ministre de la justice. Il a essayé de distinguer entre l'intention méchante qu'on exige pour les délits d'offense envers la personne du Roi, et les autres crimes ou délits, à l'égard desquels les criminalistes et la raison requièrent seulement l'intention criminelle !

Un membre. - Coupable.

M. d’Elhoungne. - Eh bien ! je ne vois aucune différence saisissable entre ces deux expressions ; l'honorable M. d'Anethan, je dois le dire, n'est point parvenu à la rendre plus claire. Il a émis des théories que je crois fort suspectes, pour justifier le maintien du mot méchamment dans certains cas, et sa suppression dans d'autres. Par exemple, il vous a dit que si le mot méchamment était conservé par lui à l'égard des attaques contre les pouvoirs constitutionnels du Roi, contre l'inviolabilité de sa personne, contre les droits de sa dynastie, c'était pour ne pas exclure la critique, pour laisser le champ libre aux jurisconsultes. Mais le décret de 1831 a été évidemment fait, non contre ceux qui examinent en théorie mais contre ceux qui attaquent méchamment et publiquement les pouvoirs constitutionnels du Roi, son inviolabilité, les droits de sa dynastie et contre ceux qui contestent son autorité. Or pour ces délits il y a autant de motifs de n'exiger que l'intention criminelle qu'il y en a pour le simple délit d'offenses envers la personne du Roi.

C’était donc, je le répète, une raison, encore une fois, de réviser (dans l'opinion de M. le ministre de la justice) le décret sur la presse. Mais c'était un motif de ne pas nous présenter un projet de loi qui, par son caractère spécial et exceptionnel, devient suspect aux juges, au jury, et doit par cela même être suspect au pays.

Le troisième motif que M. le ministre de la justice a invoqué pour justifier son projet de loi spécial, c'est que la législation sur la presse consacre une procédure trop lente ; c'est qu'il y a aujourd'hui, à l'égard des délits de presse, une instruction entièrement incomplète, dépareillée en quelque sorte et qui, comme l'honorable rapporteur l'a dit tout à l'heure, offre des ressources beaucoup trop faciles aux accusés pour esquiver les justes condamnations qui doivent atteindre les délits de la presse.

(page 1272) Voilà l'argument le plus formidable, le plus pratique en même temps, qui a été présenté dans cette discussion. Mais en acceptant le fond de l'argument, n'était-ce pas là une raison pour réviser le décret sur la presse tout entier, et ne pas faire une loi spéciale ? S'il n'y a pas de procédure organisée, efficace ; si, comme l'a dit hier, presque en soupirant, M. le ministre de la justice, il y a impossibilité d'obtenir une condamnation pour délit de presse ; si telles sont les ressources que lg Code d'instruction criminelle présente à la déloyauté des accusés ; mais n'est-ce pas une raison pour faire disparaître ces lacunes de la législation, pour réformer cette procédure défectueuse, pour la régulariser, mais au profit de tout le monde et non exclusivement pour les délits d'offense contre le Roi ? Et pourquoi M. le ministre n'a-t-il pas entrepris de compléter la législation tout entière ? Evidemment, M. le ministre n'a pas pris le temps de réfléchir à ce qu'il faisait, tant il était pressé d'effacer l'impression pénible qu'un verdict du jury avait faite en haut lieu ; c'est-à-dire que, pour cacher une première maladresse, on en a commis une seconde.

Et l'on a si bien senti qu'il y avait une objection fondamentale résultant du caractère spécial du projet de loi, que M. le ministre de la justice, dans ses amendements, est venu en quelque sorte passer condamnation sur ce reproche : il a cherché brusquement à généraliser son projet de loi ; il a proposé d'étendre les articles 4, 5, 6 et 7 du projet de loi à la poursuite de tous les délits prévus par le décret du 21 juillet 1831. Et de la sorte le projet de loi, qui n'était qu'une loi spéciale, deviendrait tout à coup, sans que personne s'en doute, une loi générale embrassant tous les délits commis par la voie de la presse.

Mais n'y aurait-il pas dans ce nouvel empressement une nouvelle maladresse ? En voulant généraliser sa loi, M. le ministre n'aurait-il pas perdu de vue la partie du décret qu'il veut réviser ? Le décret sur la presse, indépendamment des offenses envers la personne du Roi, punit les attaques contre la force obligatoire des lois, contre l'autorité constitutionnelle du Roi, contre l'inviolabilité de sa personne, contre les droits constitutionnels de sa dynastie, contre les droits et les pouvoirs des chambres.

L'article 4 s'occupe encore de l'injure envers les fonctionnaires, les corps dépositaires de la force publique, etc., mais sans dire quelle sera la peine qu'on y appliquera, et en renvoyant pour ces délits à la législation ordinaire, au code pénal. Mais quant aux injures ou calomnies publiées par la voie de la presse contre de simples citoyens, le décret ne s'en occupe pas.

Maintenant, par l'amendement que présente M. le ministre, la procédure nouvelle, selon lui plus rapide et plus efficace, qu'il avait proposée pour une seule catégorie de délits prévus par le décret de 1831, s'applique aussi aux autres délits, et, par exemple, aux attaques que j'ai indiquées contre le Roi, les chambres et la force obligatoire des lois.

Mais c'est déjà une question de savoir si cette procédure s'appliquera aux offenses contre les fonctionnaires et dépositaires de l'autorité publique. Car en matière pénale, l'extension ne peut avoir lieu par analogie ni par argumentation, elle doit reposer sur une disposition formelle, expresse.

Voilà donc un point douteux ; mais il n'est pas douteux que pour les simples citoyens, la procédure nouvelle ne sera pas applicable du tout, puisque c'est le Code pénal seul qui s'occupe des délits qui les atteignent. De sorte que dans ce système, vous auriez mis la personne royale à l'abri des offenses à l'aide d'une procédure expéditive, efficace, sévère. Cette procédure sauvegarderait également l'autorité des chambres et des lois. Elle protégerait peut-être le fonctionnaire. Mais cette voie accélérée et vigoureuse d'obtenir justice, on la refuse aux simples citoyens. Dira-t-on qu'on va étendre encore la disposition ? Qu'on va rédiger en termes plus larges l'amendement pour donner à la loi une extension nouvelle ? Mais alors il ne s'agit plus d'un projet de loi sur les offenses envers la personne du Roi ; il s'agit de la révision de la législation tout entière sur la presse ; il s'agit de toucher à une des matières les plus délicates, et sur laquelle l'opinion publique est la plus prompte à s'alarmer, et cela sans que les sections ni même la section centrale aient été appelées à examiner un projet si important ! En vérité ce revirement soudain, cette extension inattendue, ne présentent-ils pas la preuve éclatante de la légèreté, et je le dirai (car la pensée commande le mot) de l'étourderie impardonnable que M. le ministre apporte à traiter ces grandes et graves matières, et à bâtir sans réflexion les projets qu'il apporte à la chambre ?

Je viens de parcourir, messieurs, les principaux motifs qu'on avait allégués, pour justifier le projet et sa présentation. En admettant même tous ces motifs, vous voyez qu'ils établissent seulement qu'il faudrait une nouvelle loi générale : ils repoussent une loi spéciale. Les vices de rédaction qu'on reproche au décret de 1831, le désordre dans lequel se trouve la procédure criminelle pour ce qui concerne la poursuite des délits de la presse, ces raisons pouvaient être plausibles pour motiver la présentation d'une loi générale. Mais, plus les raisons étaient plausibles pour motiver la présentation d'une loi générale, plus elles condamnent la présentation d'une loi spéciale, exceptionnelle comme celle dont M. le ministre a pris l'initiative.

J’ai déjà blâmé l’empressement inconsidéré de M. le ministre de la justice. Et, en effet, messieurs, on a mis tant d’empressement à présenter l’extension à tous les délits de presse de la procédure nouvelle qu’il a imaginée, qu’il n’a pas aperçu les bigarrures qu’il introduisait du même coup dans la législation. Par exemple, l’article premier du décret du 20 juillet 1831 punit comme complices ceux qui auront, par des discours, des écrits, etc., provoqué à commettre certains crimes. Or, savez-vous ce qui résulte de la Combinaison de cet article avec l'amendement de M. le ministre ? Il en résulte qu'il pourra y avoir deux procédures, l'une pour les auteurs du crime, l'autre pour les complices. Oui, messieurs, lorsqu'on se sera rendu complice par une provocation au moyen de la presse, le complice sera poursuivi d'après la procédure accélérée, tandis que les auteurs principaux continueront à l'être suivant le Code d’instruction criminelle.

Vous voyez donc que j'avais raison de dire que les motifs qu'on a fait valoir dans cette discussion pour justifier la présentation d'un projet de loi spécial, exceptionnel, et qui, par cela seul qu'il est spécial et exceptionnel, prend un caractère odieux et soulève de justes susceptibilités, que tous ces motifs frappent à faux.

En s'efforçant de prouver qu'une loi générale était indispensable, qu'elle importait à l'honneur de tous les citoyens qu'on déclare désarmés contre les écarts de la presse, on prouve précisément que le gouvernement a eu tort d'avoir recours à une loi spéciale, puisque cette loi spéciale, présentée sans nécessité, devait s'arrêter devant la crainte sérieuse d'amasser autour de la personne royale des susceptibilités, des animosités injustes sans doute, mais d'autant plus vives, que le projet s'éloigne davantage du droit commun.

Messieurs, je ne trouve pas que la législation sur la presse soit parfaite ; je reconnais qu'il y a quelques lacunes à combler. Ainsi, la répression de la diffamation ne repose point sur des règles assez exactes ; ainsi il y a une procédure à coordonner, à remanier, afin que le Code d'instruction criminelle ne présente plus aux accusés les facilités que vous a signalées l'honorable M. Van Cutsem, et qui leur permettent d'éluder une répression suffisamment prompte. S'il s'agissait de réviser la législation sur la presse, il y a d'autres innovations qu'il serait urgent d'y introduire.

Ainsi, je voudrais que dans la législation révisée on mît un terme à cette manière de fausser la disposition de la Constitution qui attribue la connaissance de tous les délits de la presse au jury, en intentant une action civile. Je voudrais qu'on ne vît plus des fonctionnaires intenter une action civile devant des tribunaux correctionnels, et se faire allouer, à titre de dommages-intérêts, garantis par la contrainte par corps, de grosses sommes ; ce qui constitue, en réalité, une peine prononcée par une juridiction autre que le jury, la seule admise par la Constitution.

On a aussi singulièrement interprété la compétence que la distribution d'un imprimé confère aux cours d'assises. Je voudrais qu'à l'avenir, quand le lieu de la publication sera connu, ce fût exclusivement devant la cour d'assises du lieu de la publication que la poursuite pût se faire. Autrement en effet, il suffirait qu'à l'insu de son auteur l'écrit incriminé eût été envoyé dans une localité, pour que l'auteur fût traduit devant le jury de cette localité. Or, c'est là un abus ; c'est distraire l'accusé de ses juges naturels. Comprenez-vous, messieurs, qu'il suffirait au premier venu d'envoyer au bout du pays un exemplaire d'un écrit, pour que l'auteur dût voyager à sa suite et comparaître devant un jury qui ne le connaît pas, qui ne peut apprécier son caractère, ses antécédents, sa moralité, sa vie.

Evidemment, c'est le renvoyer devant des juges qui ne sont pas ses juges naturels. (Interruption.)

Je ne sais quel est le sens des murmures que j'entends. Voit-on quelque contradiction dans mes paroles ? Je vais reprendre ma pensée. Je dis que s'il y a des lacunes dans notre législation sur la presse, c'est aussi quant aux garanties dont la presse a besoin. Et je dis qu'en constatant ces lacunes, on démontre qu'il peut y avoir lieu sans doute à une loi, mais à une loi mûrement étudiée, complète, à l'abri du reproche d'être une œuvre de rancune et d'irritation. Et alors la chambre aurait pu examiner la loi avec utilité, avec maturité. Nous n'aurions pas une loi présentée avec légèreté, complétée à coups d'amendements, et que vous voterez sans trop en connaître la portée... (je parle de ceux d'entre vous qui la voteront).

D'ailleurs, mon honorable ami a fait remarquer tout à l'heure (et l'on n'a pas répondu à cette objection, et l'on se gardera bien d'y répondre), combien une loi spéciale, exceptionnelle comme celle qu'on nous présente est peu propre à assurer la répression des délits ; combien aussi la sévérité de la peine aura pour effet plutôt d'amener l'impunité.

On nous a dit encore, que M. le ministre de la justice, en présentant une loi spéciale, exceptionnelle, élevait, en raison de ce double caractère de la loi, une sorte de conflit entre lui et le jury. J'irai plus loin ; je dirai que M. le ministre de la justice, par la présentation si malheureuse d'un projet de loi spécial, exceptionnel en faveur de la personne du Roi élève un conflit, non entre lui et le jury, mais entre la royauté et le jury.

En effet, ne fera-t-on pas, à l'avenir, remarquer aux jurés que la loi a été faite pour frapper de réprobation un verdict qu'en son âme et conscience un jury a cru devoir rendre ? C'est un fait grave, messieurs, que de soulever ainsi une lutte entre la royauté et le jury, cette institution qui, elle aussi, représente l'opinion du pays.

J'ajouterai qu'en présentant une loi tout spéciale, toute exceptionnelle pour un seul genre d'offenses, les offenses envers la personne du Roi, on donne un aliment à la malveillance, parce qu'on lui montre, parce qu'on lui désigne, parce qu'au moins on lui fait supposer que c'est le côté vulnérable de la royauté qu'on cherche ainsi à défendre.

Parlerai-je de cette théorie que M. le ministre a développée hier, et qui nous présage encore de nombreux acquittements ? Une seule offense n'est pas grand-chose d'après M. le ministre ; deux offenses, c'est déjà quelque chose de plus grave ; mais il faut toute une série d'offenses pour qu'il y ait lieu de poursuivre et de punir.

(page 1273) D'après cette théorie, quand une seule offense donnera lieu à des poursuites, on viendra invoquer son isolement, on invoquera la doctrine des offenses par série. Et M. le ministre de la justice viendra, non sans quelque émotion, protester que ses paroles ne sont pour rien dans l'acquittement qu'on lui attribuera.

Je dirai maintenant un mot de la rédaction de l'article premier. La section centrale a emprunté cette rédaction à la disposition suivante de la loi française du 17 mai 1819.

« Quiconque, soit par des discours, des cris ou menaces proférés, dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques, qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, se sera rendu coupable d'offense envers la personne du Roi, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 300 à 3,000 francs. »

M. le ministre de la justice propose une nouvelle rédaction ; mais je pense qu'elle est basée sur une erreur. Le rapport de la section centrale ne cite pas exactement le texte de la loi française. Il porte : « Quiconque, soit par des discours, des cris ou menaces proférés, soit dans des lieux ou réunions publics, etc. » Ce dernier « soit » est de trop ; en l'effaçant, on a une rédaction aussi correcte que claire. Je n'oserais pas tout à fait en dire autant de celle que M. le ministre veut y substituer : « Quiconque, soit dans des lieux ou réunions publics, par discours, cris ou menaces, soit par des écrits, etc. » Et la rédaction de M. le ministre a l'inconvénient de supprimer le mot « proférés » ; or, le mot « proférés » a été ajouté pour qu'une simple conversation, même dans un lieu public, ne pût tomber sous l'application de la loi. C'est le sens que la jurisprudence française a attaché au mot proférés. Je vois dès lors un inconvénient à retrancher ce mot, qui joint au mérite de la clarté, celui d'avoir un sens légal résultant de la jurisprudence.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai à répondre aux trois orateurs que vous venez d'entendre.

L'honorable rapporteur de la section centrale a déjà rempli une partie de ma tâche ; il vous a présenté plusieurs arguments sur lesquels je n'aurai pas à revenir. Cet honorable membre a parfaitement établi quelle est la portée du projet de loi, quels sont les motifs qui justifient les modifications qui vous ont été proposées.

Il ne me reste à ajouter que quelques arguments à ceux qu'il a fait valoir et à répondre à quelques observations de mes honorables adversaires.

L'honorable M. Castiau, au milieu d'un nombre considérable de griefs qu'il a articulés contre moi et dont il a clos la liste en faisant même entrevoir la possibilité d'une mise en accusation, a parlé des poursuites maintenant intentées à Bruges, et m'a adressé à ce sujet un reproche.

M. Castiau. - Pour le cas où vous les auriez ordonnées.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable membre me dit ; « Pour le cas où vous les auriez ordonnées. » Mais il me permettra de penser qu'il ne m'aurait pas adressé un tel reproche, s'il n'avait pas fait lui-même la supposition que j'avais ordonné les poursuites en ce qui concerne la lettre adressée à M. de Theux, et si l'honorable membre n'a pas fait cette supposition, et n'avait pas de motif pour la croire fondée, il aurait bien fait, je pense, de s'abstenir de m'adresser à cet égard aucune espèce de reproche.

L'honorable membre doit savoir et sait très bien sans doute comment s'entament et s'instruisent les poursuites criminelles. Il n'ignore pas que si en matière de presse les procureurs du roi doivent attendre les instructions qui leur sont données par les procureurs généraux, en matière ordinaire, il n'en est pas ainsi et que la poursuite des crimes et délits est abandonnée à la vigilance éclairée et à la sagesse de MM. les procureurs du roi.

Des crimes, messieurs, sont poursuivis à Bruges. Si, par suite de l'instruction, on a découvert des éléments de culpabilité à l’égard de la personne à laquelle il a été fait allusion, suis-je responsable de ce que des magistrats ont découvert dans l'instruction d'une affaire, et des mesures qu'ils prennent ? Devais-je par hasard aller m'interposer entre le prévenu et les magistrats instructeurs et chercher à entraver l'action de ceux-ci ?

Je ne pense pas devoir en dire davantage. La justice est saisie. Nous devons respecter la marche qu'elle a suivie et attendre les décisions de la magistrature.

M. Maertens. - M. le ministre de la justice n'y est pour rien du tout.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, quant à la loi elle-même, la critique a d'abord porté sur la substitution que je propose du mot offense au mot injure et au mot calomnie qui se trouvent dans le décret de 1831. On a critiqué, en second lieu, la théorie que j'ai soutenue hier, relativement à l'intention nécessaire pour constituer un crime ou un délit.

On est enfin revenu sur la prétendue inopportunité de la présentation du projet de loi, en faisant valoir les arguments auxquels j'avais déjà répondu hier.

J'espère, messieurs, pouvoir réfuter complètement les objections que l'on a faites, et pouvoir établir qu'elles ne reposent pas sur une base solide.

Faisons d'abord disparaître les considérations étrangères à la loi qu'a mises en avant l'honorable M. Castiau.

D'après cet honorable membre, il semblerait véritablement qu'il ne s'agit de rien moins que de museler la presse, d'empêcher toute discussion des actes du pouvoir, d'aller même plus loin encore, de mettre des entraves à la libre allure des historiens, de leur interdire la reproduction des événements contemporains, et même des événements des siècles passés.

Mais, messieurs, ou l'honorable membre n'a pas lu attentivement le projet de loi, ou il se fait des illusions que je ne puis comprendre.

De quoi, messieurs, est-il question dans le projet de loi ? Uniquement d'offenses envers la personne du Roi, envers les membres de la famille royale. et ici je demanderai à mes honorables contradicteurs, je demanderai à l'honorable M. Castiau, si d'après lui, dans un Etat bien constitué, dans un Etat civilisé, il doit être permis d'offenser quelqu'un, notamment la personne du Roi ? Or, messieurs, le projet de loi n'a pas d'autre portée que de réprimer ces offenses, et je pense, dès lors, que je ne trouverai de contradicteur sur aucun banc de cette chambre pour combattre le principe même du projet de loi.

Mais pour contester la nécessité d'une répression, l'honorable M. Castiau désapprouve la substitution du mot offense. Il trouve au moins qu'il faudrait le définir, toutefois il ajoute peu après que le mot est indéfinissables.

Messieurs, je demanderai d'abord si dans le code pénil qui nous régit depuis 1810, il se trouve une définition de l'injure ; si dans ce code il se trouve une définition de l'outrage ; et s'il ne s'en trouve pas, je demanderai alors pourquoi il faut exiger plus maintenant qu'on n'a exigé du législateur français. Le mot offense n'a du reste pas besoin de définition ; il se définit suffisamment lui-même ; la signification en est parfaitement claire pour tout le monde.

Et ici, messieurs, je rencontre ce que m'ont objecté et l'honorable M. Castiau et l'honorable M. d'Elhoungne.

D'après ces honorables membres, j'aurais dit hier qu'une simple irrévérence envers la royauté pouvait amener l'individu qui se la serait permise devant la cour d'assises. J'ignore, messieurs, de quelle manière mes paroles seront rendues au Moniteur, puisque le compte rendu de la séance n'a pas encore paru ; mais si elles devaient avoir la portée que leur ont attribuée les honorables membres auxquels je réponds, je devrais les rétracter ; jamais, en effet, il n'est entré dans ma pensée de dire qu'une simple irrévérence, qu'un simple manque d'étiquette, qu'une simple abstention d'un devoir de politesse pourrait attirer sur quelqu'un les peines que nous voulons comminer contre les personnes coupable de véritables offenses. Et comment aurais-je pu tenir ce langage, en présence de la disposition du projet de la section centrale, disposition à laquelle je me suis rallié, et qui, voulant caractériser d'une manière plus précise encore le délit d'offense, déclare que le délit ne peut être puni, que si l'offense a été commise par discours, par cris ou par menaces ? En présence de cette rédaction à laquelle, je le répète, je me suis rallié, je n'ai pu avoir l'intention de dire qu'une simple irrévérence, une simple abstention pourrait avoir pour conséquence une poursuite devant la cour d'assises. Pour qu'il y ait offense, aux termes de la première partie de l'article premier, il faut qu'il y ait discours, ou écrit, ou menace.

Quel devra être le caractère de ces discours, de ces cris, de ces menaces ? La magistrature appelée à prononcer d'abord et le jury ensuite décideront si dans ces discours, dans ces cris, dans ces menaces, se rencontrent les éléments constitutifs de l'offense, et d'une offense assez grave pour attirer une poursuite et ensuite une condamnation contre celui auquel elle est imputée.

Les honorables membres auxquels je réponds, ont combattu, comme l'avait fait hier M. Verhaegen, la suppression du mot méchamment qui se trouve dans le décret de 1831 : ces honorables membres ont dit que je soutenais là une théorie en quelque sorte monstrueuse, que je voulais créer des délits sans intention, que je me trouvais ainsi en désaccord avec tous les criminalistes.

Messieurs, de deux choses l'une : ou le mot méchamment est nécessaire, ou il est inutile.

S'il est inutile, comme vous semblez le reconnaître, je vous demanderai pour quoi vous tenez tant à le maintenir. Car si vous considérez l'intention coupable comme nécessairement entachée de méchanceté, à quoi bon mentionner ce mol d'une manière expresse ?

Si, d'après vous, ce mot est nécessaire, s'il constitue quelque chose de plus que l'intention coupable ; je demande comment expliquer l'absence de ce mot dans la législation relative à l'injure envers les fonctionnaires, relative à l'injure envers les simples particuliers.

J'attends une réponse à cette question. Je vous demande, je le répète, pourquoi, si le mot est inutile, on veut le maintenir, alors qu'il est évident que le maintien de ce mot peut induire le jury en erreur, à cause de l'absence de ce mot quand il s'agit du délit ordinaire d'injure et de calomnie.

La position faite à la royauté est jusqu'ici, exceptionnelle, en ce sens que la loi entoure, quant au délit d'offense, la personne du Roi de moins de garantie qu'un simple particulier. Il convient de modifier cet état de choses, et tout en maintenant des peines spéciales, d'accorder à la royauté, en ce qui concerne les éléments constitutifs du délit, les garanties du droit commun.

Je vais, messieurs, à l'aide d'un document judiciaire, vous prouver que la législation actuelle garantit moins la personne du Roi, qu'elle ne garantit la personne de tous les fonctionnaires quelconques.

Un procès de presse a été intenté en 1840 à l'occasion de calomnie nombreuses qui avaient été articulées à l'égard d'un «le mes honorables amis. J'étais alors avocat général, et je puis dire à l'honorable M. Castiau (page 1274) que ce n'est probablement pas à l'occasion de ces poursuites que j'ai pu conserver quelque rancune contre le jury ?

M. Castiau. - Vous avez gagnez ce procès ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Dans cette affaire, en effet, j'ai gagné mon procès.

M. Castiau. - Je vous en fais mon compliment. C'est peut-être le seul.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si je tirais vanité de verdicts de jury prononcés à la suite de mes réquisitoires, je pourrais citer beaucoup d'autres affaires ; je me borne à souhaiter à l'honorable M. Castiau d'avoir, dans les propositions qu'il fera à la chambre, autant de bonheur que j'en ai eu en plaidant devant le jury.

Maintenant, revenons à ce procès de presse dont je vous parlais tout à l'heure. La plus grande partie de la défense avait porté sur la prétendue bonne foi du prévenu. On avait soutenu qu'il n'avait fait que recueillir ce qu'il avait trouvé dans différents journaux, qu'il n'avait fait que recueillir des bruits qui avaient longtemps circulé ; on avait argumenté ,en un mot, de la confiance que des bruits répandus avaient pu lui inspirer. Lorsqu'après les plaidoiries, il s'est, agi de poser les questions au jury, M. Jottrand, qui plaidait pour l'inculpé, prit les conclusions suivantes :

« Le conseil soussigné conclut pour le prévenu à ce que la Cour, après la définition du délit de calomnie conforme au code pénal, pose la question de savoir si le prévenu a fait méchamment les imputations prévues par ledit code pénal. »

Ainsi dans cette affaire l'on voulait, relativement à un fait de calomnie contre un fonctionnaire public, faire poser la question de méchanceté, qui se trouve uniquement dans le décret de 1831. Et qu'a dit la Cour ? Voici son arrêt :

«Attendu que la calomnie contre un fonctionnaire public est poursuivie et punie de la même manière que la calomnie contre un particulier sous la seule modification contenue dans l'article 5 du décret sur la presse ;

« Attendu que l'article 367 du code pénal ne contient pas le mot méchamment.

« Par ces motifs, ouï les conclusions du défenseur du prévenu ,et ouï le réquisitoire du ministère public, la cour dit qu'il n'y a pas lieu de poser la question indiquée par l'accusé. »

Ainsi la Cour a refusé d'une manière positive de poser au jury la question de savoir si les calomnies avaient été dictées par la méchanceté. Elle a pensé qu'il suffisait de demander au jury si M. était coupable de calomnie.

Maintenant, messieurs, s'il s'était agi d'une poursuite à raison de calomnies contre la personne du Roi, on aurait dû, aux termes du décret de 1831, poser la question de savoir si la calomnie avait été dite méchamment ; il y aurait donc eu deux questions posées au jury, s'il s'était agi du Roi, et il n'y en a eu qu'une parce qu'il s'agissait d'un fonctionnaire public.

Les chances d'acquittement ne sont-elles pas plus grandes dans le premier cas que dans le second et n’importe-t-il pas de faire disparaître une anomalie aussi choquante ? Une loi qui a ce but mérite-t-elle le nom de loi réactionnaire, de loi exceptionnelle ? Ne tend-elle pas, au contraire, à faire cesser une exception que la justice et la raison condamnent ?

Encore quelques mots pour prouver la nécessité de supprimer le mot méchamment dans la définition du délit d'offense. Le Code pénal dit dans l'art. 367 :

« Art. 367. Sera coupable du délit de calomnie celui qui, soit dans les lieux ou réunions publics, soit dans un acte authentique et public, soit dans un écrit imprimé ou non qui aura été affiché, vendu ou distribué, aura imputé à un individu quelconque des faits qui, s'ils existaient, exposeraient celui contre lequel ils sont articulés à des poursuites criminelles ou correctionnelles, ou même l'exposeraient seulement au mépris ou à la haine des citoyens.

« La présente disposition n'est point applicable aux faits dont la loi autorise la publicité ; ni à ceux que l'auteur de l'imputation était, par la nature de ses fonctions ou de ses devoirs, obligé de révéler ou de réprimer. »

Il ajoute dans l'article 368 :

« Art. 368. Est réputée fausse toute imputation à l'appui de laquelle la preuve légale n'est point rapportée. En conséquence, l'auteur de l'imputation ne sera pas admis, pour sa défense, à demander que la preuve en soit faite ; il ne pourra pas non plus alléguer comme moyen d'excuse que les pièces ou les faits sont notoires, ou que les imputations qui donnent lieu à la poursuite sont copiées ou extraites de papiers étrangers, ou d'autres écrits imprimés. »

Ainsi, messieurs, un individu est traduit devant le tribunal correctionnel ou devant la cour d'assises pour avoir calomnie un fonctionnaire public ou un particulier ; il allègue pour sa défense, sans que le ministère public puisse souvent prouver le contraire, que ce qu'il a dit est extrait des papiers publics, que ce qu'il a dit est de notoriété publique, etc., etc. Eh bien, malgré cette défense il sera condamné, il doit l'être dans le système du Code pénal. Mais je le demande, si on posait la question de savoir si la personne qui allègue une semblable excuse, si cette personne a agi méchamment, je le demande, se trouverait-il ne pas bien des jurés qui répondraient négativement à cette dernière question ? Bien évidemment oui. Il en résulte donc que celui qui aurait calomnié le Roi serait acquitté, tandis que, dans le même cas, celui qui aurait calomnié le fonctionnaire serait condamné.

Maintenant, est-ce à dire qu'il puisse y avoir un délit sans intention ? Mais non, messieurs, et cette hérésie je ne l'ai certes pas professée. Il n'y a point de délit sans intention, je l'ai reconnu moi-même hier. (Interruption.) Il faut l'intention de commettre le délit. (Interruption.)

Messieurs, vous savez très bien tous que lorsque l'on soumet une question au jury, on ne se borne pas à lui demander si tel individu a posé tel fait, mais qu'on lui demande si tel individu est coupable d'avoir posé ce fait, et dans ce mot coupable se trouve évidemment la question de l'intention. Mais après avoir demandé au jury : « Le provenu est-il coupable d'avoir offensé la personne du Roi ? » est-il admissible qu'il faille aussi lui demander s'il l'a offensée méchamment ? Evidemment ou le mot méchamment indique plus que la simple intention coupable qui est nécessairement un élément constitutif de tout délit, et si le mot méchamment veut dire davantage, il faut s'empresser de le supprimer ; ou il ne veut rien dire de plus, et alors il faut encore s'empresser de le supprimer pour ne pas induire le jury en erreur, pour ne pas lui laisser croire qu'après avoir reconnu un individu coupable d'offense, il devrait néanmoins le déclarer innocent, s'il ne lui était pas prouvé que le prévenu a cédé à un sentiment de méchanceté.

Je crois donc, messieurs, ne m'être en aucune façon mis en opposition avec les saines doctrines des criminalistes qui se sont occupés de la théorie des questions intentionnelles. Je pense, au contraire, avoir maintenu les véritables principes en matière d'imputabilité, en me bornant à exiger qu'un fait punissable ait été commis avec intention, sans devoir demander au jury si cette intention a été dictée par la méchanceté ou tout autre sentiment.

Qu'il me soit permis de revenir un instant sur ce que je disais hier. Le mobile qui a guidé le prévenu peut ne pas être connu ; mais s'il est constant qu'il a proféré des paroles qui contenaient évidemment des expressions offensantes, l'intention d'offenser est suffisamment établie, et dès lors, peu importe quel a été le sentiment qui l'a fait agir, que ce soit la méchanceté pure, la vengeance, la colère ! La criminalité du fait n'en existe pas moins.

Hier j'ai cité un exemple, à propos d'un délit ordinaire, à propos d'un délit de coups et blessures, et personne n'a répondu à l'observation que j'ai faite à cet égard.

Je crois inutile de m'arrêter davantage sur ces différents points ; je pense que la définition de l'offense n'est pas plus nécessaire qu'elle ne l'était en 1834, lorsqu'on a présenté le projet de loi auquel j'ai fait allusion ; pas plus que la définition de l'injure et de l'outrage n'a été jugée nécessaire dans le Code pénal.

J'aborde maintenant ce qui a rapport à la présentation même du projet de loi.

Un des griefs articulés par l'honorable M. d'Elhoungne consiste en ce que la loi est un projet spécial, tandis qu'il aurait fallu un projet général pour le diffamation et les injures. L'honorable membre a reconnu qu'il y avait quelque chose à faire relativement à la poursuite de délits de presse ; il est convenu des vices de la procédure consacrée par le décret de 1831.

Messieurs, si j'avais présenté une loi générale sur la diffamation et les injures, elle n'aurait pas échappé aux critiques dont le projet actuel est l'objet, je crois même pouvoir dire d'après le discours de l'honorable M. Castiau, que cet honorable membre aurait vu dans ce projet une croisade contre toute la presse ; une loi dé réaction, loi cherchant à enchaîner les idées de liberté et de progrès.

Au reste, ce reproche, je le mériterai un jour, car je m'engage formellement à présenter un projet de loi général sur la diffamation et les injures.

M. Castiau. - Si vous restez au ministère.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Les engagements de cette nature sont toujours subordonnés à la proposition qu'on occupe.

Ainsi, messieurs, si j'avais suivi le conseil de l'honorable M. d'Elhoungne, j'aurais encouru les reproches de l'honorable M. Castiau ; je ne pouvais donc pas éviter d'avoir un de ces honorables membres pour adversaire.

Mais enfin, messieurs, qu'ai-je voulu faire par le projet de loi en discussion ? J'ai voulu combler des lacunes que chacun de vous doit reconnaître et que je viens de vous démontrer. La procédure surtout laissait beaucoup à désirer. A mesure que l'on discutera les divers articles, j'établirai combien la procédure que je propose est préférable à celle qui existe maintenant, et si vous partagez mon opinion sur la préférence à accorder à la procédure nouvelle, vous n'hésiterez pas à la rendre générale pour tous les délits en matière de presse ; telle est la portée du dernier article proposé.

Cette dernière disposition que j'ai présentée par amendement ne peut pas m'attirer de reproche de la part de l'honorable membre, puisqu'il a déploré lui-même que le projet de loi eût été en quelque sorte exceptionnel. (Interruption.)

L'honorable M. d'Elhoungne me dit qu'il n'a pas prétendu qu'il fallait faire des projets par coups de tête. Mais je n'ai pas du tout reconnu que le projet de loi devait le jour à un coup de tête ; je ne pense pas que les explications dans lesquelles je suis entré, soient de nature à justifier l'opinion que l'honorable membre a soutenue à cet égard.

(page 1275) Les amendements que j'ai présentés sont la conséquence des discussions qui ont eu lieu dans les sections et dans la section centrale ; j'ai proposé ces amendements parce que j'ai reconnu, après avoir mûrement examiné les discussions auxquelles les sections s'étaient livrées, qu'il était possible de généraliser la procédure que j'avais d'abord voulu introduire uniquement pour les délits spéciaux relatifs à la personne du Roi ; chacun reconnaîtra sans doute que la promptitude est surtout nécessaire, lorsqu'il s'agit de délits qui intéressent l'inviolabilité, l'irresponsabilité royale. Ainsi, il n'y a rien d'étonnant à ce que j'aie d'abord présenté une procédure spéciale, uniquement pour le délit que j'avais caractérisé dans l'article premier ; et que j'ai plus tard, par suite de modifications qu'avait subies la procédure proposée, et des observations faites, demandé d'étendre la procédure nouvelle aux autres délits de presse.

Enfin on a critiqué le projet de loi en soutenant qu'il serait loin d'atteindre le but que le gouvernement se proposait. On a prétendu que le jury, en voyant renforcer les pénalités déjà assez graves comminées contre les offenses à la personne du Roi, que le jury serait disposé, non pas à condamner, mais bien plutôt à acquitter.

Mais, messieurs, les pénalités nouvelles, relativement à l'emprisonnement, sont absolument restées les mêmes ; il ne s'agit que d'une amende en plus et de la mise sous la surveillance de la police ; et cette dernière pénalité même n'est que facultative : elle ne sera prononcée que lorsque le cas d'offense sera excessivement grave.

Ainsi, le jury ne pourra pas être engagé par la loi nouvelle, par les pénalités qu'elle contiendra, à prononcer plus fréquemment des verdicts d'acquittement. Au reste, messieurs, en supposant ces intentions, ces sentiments aux jurés, on oublie complètement quels sont les devoirs que la loi impose aux jurés ; on oublie «pie les jurés prêtent serment, on oublie que les jurés ne peuvent ni se préoccuper de la peine, ni des circonstances qui ont pu donner naissance à la loi, qu'ils doivent uniquement examiner les faits qui leur sont soumis ; et déclarer en âme et conscience que tel individu est oui ou non coupable du fait dont l'instruction leur a développé les circonstances.

En supposant le jury animé de sentiments contraires au principe de leur mission, en les conviant en quelque sorte à les manifester, ne fait-on pas la critique de l'institution du jury ? Cette institution ne serait-elle pas faussée, si les jurés agissaient par des considérations étrangères aux faits sur lesquels ils ont à se prononcer ?

Je dois encore un mot à l'honorable M. d'Elhoungne. L'honorable membre, si j'ai bien annoté la phrase qu'il a prononcée, a dit que le jury avait dû rendre en âme et conscience le verdict qu'il a rendu.

Eh bien, messieurs, si telle est la pensée de l'honorable membre, s'il croit que le jury devait acquitter, comment ne reconnaît-il pas que la loi actuelle présente une lacune qu'il faut s'empresser de combler au plus tôt ? Si l'honorable membre croit que les faits récemment dénoncés au jury ne constituaient pas un délit punissable, je ne conçois pas comment il me fait un grief de proposer de donner le caractère de délit à des faits de cette nature.

Je termine par une observation sur la rédaction de l'article premier. La section centrale a proposé de dire :

« Art. 1er. Quiconque, soit par des discours, des cris ou menaces proférés, soit dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques, qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, se sera rendu coupable d'offense envers la personne du, Roi, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans, et d'une amende de 300 à 3,000 fr. »

J'ai proposé la rédaction suivante :

« Quiconque, soit dans des lieux ou réunions publics, par discours, écris ou menaces, soit par des écrits, etc. »

J'ai supprimé le mot proférés après menaces ; en voici le motif. La section centrale reconnaît,, dans son rapport, que les gestes menaçants doivent être compris dans le mot menaces. Eh bien, dès l'instant qu'on reconnaît que les gestes menaçants doivent être punis, il est impossible de conserver le mot proférés, parce qu'on ne peut pas dire des gestes proférés. Ainsi, dès qu'on veut punir les menaces par gestes aussi bien que les menaces par paroles, le mot proférés ne peut pas être, maintenu.

Je ne vois pas pourquoi l'honorable membre veut conserver ce mot, l'inconvénient qu’il redoute n'est pas à craindre. Si, dit-il, on retranche le mot proféré, une simple conversation pourra être poursuivie. Mais le mot conversation, loin de se trouver même implicitement dans la disposition, est au contraire exclu par les mots : discours, cris, menaces ; ! une conversation à voix basse ne constituera donc pas un délit, et les craintes qui préoccupent l’honorable membre ne sont pas fondées ; je pense que ma rédaction est plus en rapport avec l'intention manifestée par la section centrale.

M. Orts. - Je ne veux pas abuser des moments de la chambre, je ne demande qu'à dire deux mots en réponse à quelques passages du discours de M. le ministre de la justice.

Il est fâcheux que M. le ministre, qui vous a annoncé l'intention de présenter un projet de révision générale de la législation sur la presse, n'ait pas attendu ce moment pour vous saisir des objets compris dans son projet de loi actuel. Il me paraît que si cette loi a pu servir pendant 16 ans dans l'intervalle desquels il n'y a eu que deux poursuites dont une a été suivie d'un acquittement, sur lequel je n'ai pas à m'expliquer, il était possible d'attendre encore six à sept mois pour vous proposer, ainsi que l'a dit l'honorable M. d'Elhoungne, un système complet et non un lambeau décousu qui doit se rattacher si malencontreusement au décret du congrès.

Maintenant on nous dit : Pourquoi voulez-vous que le mot méchamment ne disparaisse pas ? Nous avons dit que ce mot employé pour chacun des délits prévus par le décret de 1831 emportait l'idée de l'intention coupable. Rétorquant la question, je demande pourquoi, lorsqu'il s'agira de provocation à la désobéissance à la Constitution et aux lois, d'attaques directes contre la Constitution et les lois, vous voulez maintenir le mot méchamment ? Quand on aura attaqué les droits constitutionnels du Roi, l'inviolabilité de sa personne, les droits constitutionnels de sa dynastie et les droits constitutionnels des chambres, pourquoi le mot méchamment ? Parce qu'il y est, dites-vous ! Vous croyez qu'il est moins important de couvrir de garanties sérieuses et solides la Constitution les lois, le Roi lui-même et comme chef du pouvoir exécutif, et comme partie intégrante de la législature, que le Roi dans sa vie privée ?

Attaquer la personne du Roi par l'injure et l'outrage, est certes un fait des plus graves et des plus répréhensibles. Mais il n'est personne qui oserait soutenir, qu'attaquer les droits constitutionnels du roi, ceux de sa dynastie, l'inviolabilité de sa personne, ne soit bien plus grave encore ; ce serait faire injure au bon sens et à toute l'économie de notre système constitutionnel que de penser autrement.

Il fallait attendre jusqu'à l'époque de la présentation annoncée tantôt de votre loi générale, vous auriez ainsi évité d'introduire dans la législation une anomalie choquante.

On dit pour qui maintenez-vous le mot méchamment s'il est inutile ? Nous le maintenons pour ne pas déranger l'économie de la loi ; pour ne pas donner prise à ces inconvénients que je viens de signaler et qui, en bonne législation, ne peuvent soutenir un moment la controverse.

On a cité un procès mémorable fait à l'occasion d'attaques dirigées contre un honorable fonctionnaire ; mais là il ne s'agissait pas d'injures ; l'article 3 est complexe ; il comprend l'injure et la calomnie. Si le ministère public prouve qu'une calomnie a été proférée sciemment, volontairement, il n'y a pas de jury qui ne déclare coupable l'auteur de cette calomnie. Mais la différence est énorme entre l’injure et la calomnie qui est définie : l'imputation de faits, s'ils existaient, exposerait celui contre lesquels ils sont articulés à des poursuites criminelles ou correctionnelles, ou même l'exposerait au mépris ou à la haine des citoyens.

Poser volontairement un fait pareil, c'est le poser méchamment-. Pour les injures, il n'en sera pas toujours de même. Ainsi il y a les injures ou expressions outrageantes qui ne renferment l'imputation d'aucun fait précis, mais celle d'un vice déterminé, et qui sont proférées dans un lieu ou réunion public (article 375 du Code pénal). Il y a les autres injures ou expressions outrageâmes qui n'ont pas ce double caractère de gravité et de publicité. La loi commine contre les premières une peine correctionnelle ; contre les autres une peine de simple police.

Pour que l'injure existe, il faut qu'elle soit proférée méchamment, peu importe la personne contre qui elle est dirigée ; il faut l'intention de mal faire. L'injure, ce. sont des paroles proférées publiquement, sans droit, sans fondement ; injuria, le contraire du droit, jus.

On dit : L'outrage n'est pas défini ; mais il est défini dans l'article 222 du Code pénal qui porte : « Quelque outrage par paroles tendant à inculper leur honneur ou leur délicatesse (l'honneur et la délicatesse des magistrats). »

Quant au mot méchamment, M. le ministre de la justice, peu avoir toute satisfaction sur la valeur de ce mot que la section considère comme remplacé par le mot coupable, qui comprendrait le moi, méchamment.

Pour ce qui concerne le mot offense, on n'a pas réfuté ce que j'ai dit sur la synonymie des mots, outrage, injure et offense ; synonymie que j'ai établie par la combinaison des articles 222 et suivants du Code pénal avec les articles 226, 227 et 375 du même code.

On a fini et je finirai également par là, en nous imputant, lorsque nous avons argumenté de l'effet que pourrait produire sur le jury une loi aggravante quant à la qualification des délits et quant aux pénalités, d'avoir provoqué des acquittements. Mais j'ai dit positivement que je craignais ce résultat. Nous devons le respect au verdict du jury, en ce sans que nous devons le considérer comme consciencieux ; mais nous pouvons dire que si nous avions été jurés, nous n'aurions peut-être pas été du même avis.

Exprimer des craintes sur des acquittements qui seraient le résultat d'une recrudescence de pénalités, ce n'est pas engager le jury à user d'une indulgence contraire à ses devoirs.

Un tel reproche dans la bouche du ministre de la justice était donc souverainement déplacé. L'homme, qui n'a d'autre but que d'empêcher des. verdicts déplorables, qui exprime cette pensée avec crainte, loin de provoquer de tels verdicts, tâche de détruire d'avance la cause, qui peut les amener.

Voilà comment je l'ai entendu, je ne pense pas que mes honorables collègues l'aient entendu autrement. Nous ne sommes pas ici pour faire le procès au verdict du jury ; mais nous pouvons avoir chacun, en notre âme et conscience, une opinion sur ces verdicts.

M. d’Elhoungne. - Messieurs, je ne pense pas que M. le ministre de la justice soit parvenu à effacer le caractère fâcheux que le projet présente et qui a été démontré à la dernière évidence. Je me plaindrai de ce que M. le ministre de la justice, en me répondant, me prête des objections que je n'avais pas faites, et qu'il se donne ainsi le facile avantage de réfuter. Je n'ai nullement prétendu que le projet condamnât une simple (page 1276) irrévérence. Comme je faisais partie de la section centrale, je sais fort bien que les propositions qu'elle vous a soumises n'ont nullement la portée que lui prêtent les commentaires de M. le ministre.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - C'est l'honorable M. Castiau.

M. d’Elhoungne. - La section centrale d'ailleurs est loin d'adopter le projet tel qu'il a été présenté. Il y a plus d'un point important qu'elle n'a pas admis, comme il y a plus d'un point que la chambre, je l'espère, n'admettra pas plus que la section centrale.

M. le ministre, jetant une sorte de défi aux orateurs qui avaient critiqué la suppression du mot méchamment, nous a dit : Si ce mot exprime la simple intention criminelle, pourquoi le maintenir ? S'il dit plus que la simple intention criminelle, comment le conserver ? Mais la réponse est dans la question même.

En effet, ne pouvons-nous pas adresser à M. le ministre de la justice la même question à l'égard des autres articles du décret, où le mot méchamment se trouve conservé ? Ne pouvons-nous pas dire, pour ces articles : Si le mot méchamment dit plus que la simple intention criminelle, pourquoi le maintenir ? S'il ne dit rien de plus, comment ne pas le supprimer ? Or, vous avez entendu, messieurs, par quelles raisons M. le ministre a lui-même défendu le maintien du mot méchamment dans plusieurs articles du décret de 1831. Je lui renvoie donc l'objection et le reproche.

M. le ministre de la justice déclare maintenant qu'il ne s'agit pas de protéger la royauté par une loi spéciale, par une procédure spéciale, par des pénalités spéciales, mais qu'il s'agit de faire rentrer la royauté dans le droit commun. Messieurs, c'est l'honorable ministre qui nous a déclaré précisément le contraire. D'après l'exposé des motifs, le projet a pour but de faire sortir la royauté du droit commun et d'établir à son usage un droit exceptionnel, tout à fait extraordinaire. Voici ce qu'on y trouve.

« On conçoit difficilement une offense dans laquelle ne se rencontre pas un certain degré de méchanceté ; mais quel que soit le mobile de l'offense, celui qui se la permet à l'égard du Roi ne peut pas échapper à la peine.

« On soutiendra peut-être une thèse contraire pour les délits ordinaires, mais lorsqu'il s'agit de délits exceptionnels résultant de la position exceptionnelle de la personne à laquelle l'offense s'adresse, on reconnaîtra sans doute qu'il convient d'introduire des règles spéciales. »

Ainsi, messieurs, vous le voyez, ce n'est pas moi qui ai dit que M. le ministre présentait une loi spéciale ; c'est M. le ministre qui l'a déclaré très nettement dans son exposé des motifs ; et il est impossible de contester que la loi ne fût toute spéciale, puisque non seulement elle se rapportait aux seules attaques contre la personne du Roi, mais qu'elle excluait même plusieurs catégories de ces attaques, pour ne frapper que les offenses.

« On n'a pas répondu davantage, dit M. le ministre de la justice, à l'exemple que j'ai cité des coups et blessures. »

Mais c'est qu'il n'y avait rien à répondre. Une controverse existe sur le point de savoir quelle doit être l'intention criminelle de l'agent lorsque les coups et blessures qu'il a portes ont occasionné la mort. Mais ce serait un hors-d'œuvre de produire cette discussion devant la chambre. Quelle est la seule question que le projet soulève ? C'est celle de savoir si on peut commettre le délit d'offense envers la personne du Roi sans intention criminelle.

Or M. le ministre de la justice répète qu'il est d'accord avec nous ; qu'il exige comme nous l'intention criminelle, sans laquelle il n'y a de culpabilité pour aucun des délits que notre législation prévoit et punit.

J'avais dit, messieurs, que la plupart des motifs, que tous les motifs même présentés par M. le ministre de la justice pour justifier son projet, justifiaient une loi générale, mais nullement une loi spéciale ; et que précisément parce qu'ils justifiaient une loi générale, ils étaient des objections contre une loi spéciale et extraordinaire. M. le ministre a-t-il répondu à cet argument ? Non, messieurs, M. le ministre s'est borné à dire : « Si j'avais présenté une loi générale, oh ! c'est alors que les reproches de l'honorable M. Castiau seraient venus m'écraser sur ce banc ! »

Je félicite mon honorable ami M. Castiau de cette influence tout à fait inattendue qu'il vient de conquérir sur l'esprit de M. le ministre de la justice ; j'espère qu'il en usera souvent, qu'il en usera vigoureusement, pour empêcher M. le ministre de la justice de nous présenter ces déplorables projets de loi que nous sommes condamnés à discuter et à combattre.

Mais, tout aussitôt, M. le ministre de la justice a ajouté ces paroles plus sérieuses : « Cette loi générale, nous la présenterons. La loi que l'on discute n'est qu'un avant-goût des projets que nous préparons. » Et à ce sujet M. le ministre semble vouloir m'endosser la paternité extrêmement compromettante de la loi générale que son imagination va enfanter.

Messieurs, je répudie, je répudie de toutes mes forces cette paternité. Je n'accepte aucune espèce de solidarité, ni pour les projets que présente l'honorable M. d'Anethan, ni pour ceux qu'il projette.

Mais il y a mieux encore. En disant qu'il projette une loi générale, M. le ministre ne dit la vérité qu'à demi. Car en réalité, depuis avant-hier, c'est bien déjà une loi générale que M. le ministre nous présente. N'a-t-il pas déclaré en termes formels tout à l'heure, que par les amendements qu'il vous a soumis, les règles spéciales destinées à une seule espèce de délits deviendraient applicables maintenant à tous les délits de presse, sans aucune espèce d'exception ? Et ce que M. le ministre a déclaré dans son discours, il le déclare encore par le signe de tête qu'il fait en ce moment.

Ainsi il est constant que nous n'avons pas à discuter un projet sur les offenses envers |a personne royale, mais que depuis les amendements de samedi, c’est une loi générale sur la presse qui nous est soumise, c'est une loi tendant à réprimer les délits de la presse en général, sans exception, sans distinction de personne.

Et c'est un changement de cette importance, messieurs, un changement qui dénature aussi complètement le projet, qui lui donne un caractère aussi inattendu, qui lui donne une gravité sur laquelle je n'ai pas à insister, puisque la liberté de la presse est la corde la plus frémissante qu'on puisse faire vibrer au sein d'un pays libre ; c'est un changement pareil qu'on nous présente sous forme d'amendement et qu'on veut nous faire voter en quelque sorte par surprise, sans qu'il ait passé par le filière des sections, sans même qu'il ait été soumis à la section centrale, sans qu'aucun de nous ait pu réfléchir seulement au caractère, à la force, à la portée du système nouveau. Je vous le demande, rien que par ce simple fait, jugez avec quelle légèreté on agit, avec quelle étourderie, cette fois je n'hésite pas devant le mot, on apporte au parlement les mesures les plus graves, les mesures qui doivent exercer le plus d'influence sur l'état des esprits, sur l'état de l'opinion dans le pays, sur l'attitude même des partis ! Jugez avec quelle déplorable irréflexion on vient toucher aux lois les plus importantes, les plus essentielles, les plus vitales, de notre organisation politique !

M. le ministre me répond que puisque je veux une loi générale, je dois être satisfait de ce qu'il convertit, par un bout d'amendement, son projet en loi générale. Mais ce n'est pas là ce que j'ai soutenu devant la chambre, ce n'est pas là l'opinion que j'ai exprimée, et que M. le ministre ait le droit de me prêter. J'ai soutenu que les raisons que M. le ministre faisait valoir, je le répète puisqu'il ne veut pas me comprendre, étaient des raisons qui justifiaient la présentation d'une loi générale, mais que précisément pour cela elles excluaient une proposition spéciale. Me comprenez-vous maintenant, M. le ministre, et cesserez-vous de me prêter des absurdités à la place des raisonnements que je viens présenter ?

Messieurs, s'il s'agit d'une révision générale de la législation sur la presse, notre rôle change, notre examen ne doit plus se borner à la première proposition de M. le ministre de la justice, mais il convient d'apporter le tribut de nos méditations les plus mûries et de toutes nos lumières à une semblable discussion. Moi-même j'ai déjà signalé des lacunes dans la législation sur la presse.

Il n'y a pas seulement de lacune à l'égard des victimes de la presse ;il y en a au préjudice de la presse elle-même ; puisqu'on permet au fonctionnaire qui se croit calomnié, de traduire l'auteur devant un autre juge que le jury, et qu'ainsi ce n'est plus le jury qui punit le calomnié, mais ce sont les tribunaux qui par des dommages-intérêts suivis de la contrainte par corps, appliquent une véritable, une effrayante pénalité.

J'appelle, messieurs, toute l'attention de la chambre sur ce point du débat. Il est de sa dignité de ne pas admettre ainsi à la légère, de ne pas admettre ainsi à la dérobée en quelque sorte un amendement qui va faire du projet qui vous est présenté une législation nouvelle pour la presse.

Messieurs, la manière de réprimer les délits de la presse, l'instruction qui doit conduire à cette répression des délits, est une matière pleine de difficultés et d'écueils.

On ne peut introduire à l'improviste et par surprise un remaniement radical et complet dans une matière aussi importante. Et je pense que M. le ministre de la justice devait avoir assez le sentiment de cette vérité pour demander lui-même le renvoi aux sections d'un projet qui désormais a perdu son caractère primitif et a pris des proportions infiniment plus considérables.

Remarquez-le, messieurs, nous avons des lois toutes spéciales pour la presse et pour les délits politiques. Nous devons donc pouvoir apprécier quelle est la portée des modifications qu'on présente dans leur rapport avec la législation existante.

Je citerai un exemple. Quand il s'agit de délits politiques ou de presse, en vertu du décret du 19 juillet 1831, il doit être procédé à l'instruction et au jugement comme en matière criminelle ; mais par dérogation à l'article 133 du Code d'instruction criminelle, la chambre du conseil doit renvoyer le prévenu des poursuites dirigées contre lui, si la majorité des juges se prononce en sa faveur. Il y a beaucoup d'autres dispositions sur lesquelles il faut mesurer les effets du système nouveau. Vous voyez donc bien, messieurs, que si nous touchons à l'instruction des délits commis par la voie de la presse, ce n'est pas trop que la chambre tout entière y apporte ses réflexions, ses lumières, ses études.

Pour mon compte, je ne puis consentir, messieurs, à ce qu'on introduise ainsi, à propos d'une loi spéciale qu'on qualifiait d'inoffensive, à propos d'une loi qui devait, disait-on, combler une lacune, un simple vice de rédaction, qu'on introduise, dis-je, une loi générale qui embrasse tous les délits de presse sans exception. Je ne puis consentir à ce qu'on porte ainsi la main sur la plus précieuse, la plus féconde de nos libertés.

J'insiste sur ce point d'autant plus que M. le ministre de la justice a cherché dans mes paroles, a cherché dans le discours que j'ai prononcé tout à l'heure, je ne sais quelle sorte d'excuse pour la conduite qu'il tient en cette circonstance et que personne, sans doute, dans cette enceinte ne réprouve plus énergiquement que moi.

Maintenant répondrai-je à ce que M. le ministre de la justice a dit sur la décision du jury de Bruxelles ? C'est là une décision dont nous n'avons pas à nous occuper, et je répète que sans doute elle a été rendue par le jury en âme et conscience. M. le ministre appelle cela un acquittement (page 1277) scandaleux ; je ne professe pas le fétichisme de la chose jugée, mais je pense qu'il n'est pas convenable qu'au sein des chambres législatives une décision de la justice soit appelée scandaleuse. Il est mieux de supposer que le juge, comme le jury, a prononcé en conscience. Pourquoi ? Par une raison fort simple : c'est là la base de notre organisation sociale tout entière. Qui d'ailleurs peut scruter les motifs qui ont guidé le jury ? Qui donc peut aller fouiller dans la conscience du jury, pour y découvrir les causes de son verdict ? Est-ce que M. d'Anethan n'a pas entendu l'honorable M. Verhaegen, qui n'a été en cela que l'interprète de beaucoup d'hommes habitués aux affaires judiciaires, est-ce qu'il ne l'a pas entendu attribuer cet acquittement à M. d'Anethan lui-même ? N'a-t-il pas entendu affirmer que devant la cour d'assises il n'y avait pas eu d'argument plus fort, plus puissant en faveur des prévenus, qu'un discours prononcé ici par M. le ministre de la justice en personne ?

M. de Garcia. - Un des principaux reproches qu'on a adressés à la loi actuelle, c'est qu’elle est incomplète. Je regrette aussi, messieurs, que celle loi n'ait pas réglé ce qui concerne les atteintes portées à l'honneur des citoyens en même temps que les atteintes portées au respect de la famille royale ; cependant je ne partage pas l'opinion manifestée par quelques membres qui ont pris part à cette discussion relativement à l'inconséquence qu'il y aurait à supprimer le mot méchamment lorsqu'il s'agit des offenses à la personne du Roi et à ne pas le supprimer pour les cas prévus par les articles 2 et 3 du décret du 20 juillet 1831. Ces articles sont conçus comme suit :

« Art. 2. Quiconque aura méchamment et publiquement attaqué la force obligatoire des lois, ou provoqué directement à y désobéir, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans.

« Cette disposition ne préjudiciera pas à la liberté de la demande ou de la défense devant les tribunaux ou toutes autres autorités constituées. »

« Art. 3. Quiconque aura méchamment et publiquement attaqué soit l'autorité constitutionnelle du Roi, soit l'inviolabilité de sa personne, soit les droits constitutionnels de sa dynastie, soit les droits ou l'autorité des chambres, ou bien aura de la même manière injurié ou calomnié la personne du Roi, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans. »

En présence de ces dispositions, on s'est demandé comment, à l'occasion des matières importantes qu'elles règlent, le gouvernement ne proposait pas, comme il le fait pour les offenses envers la personne du Roi la suppression du mol méchamment. A mes yeux, cette objection n'a pas de fondement, et il serait dangereux d'y donner suite.

Il faut y prendre garde, messieurs ; il y a une grande différence entre les matières. Les offenses commises envers le Roi constituent une question de personnes. Les atteintes et les attaques réprimées par les articles 2 et 3 du décret de 1831 constituent des questions de principe et de système. L'examen de ces questions doit rester constamment libre, sous peine d'étouffer la voix du citoyen qui voudrait écrire sur les avantages du gouvernement républicain ou de la monarchie. Il faut donc reconnaître que le mot méchamment, introduit dans les dispositions citées, est indispensable.

En supprimant ce mot, il saute aux yeux qu'en Belgique il deviendrait impossible de traiter aucune réforme légale ou constitutionnelle, sans s'exposer à des pénalités, ou au moins à des poursuites. Or, j'en ai la conviction, sous ce rapport, personne ne voudrait étouffer la liberté des opinions, personne ne voudrait imposer silence aux hommes éminents qui voudraient traiter ces matières.

D'un autre côté on a attaqué la suppression du mot méchamment dans la disposition concernant les offenses envers le Roi. Pour moi cette suppression me paraît tout à fait rationnelle. En présence des lois pénales qui nous régissent, le maintien de ce mot n'est propre qu'à égarer le jury. A ce point de vue, j'appuie donc cette suppression, tout en reconnaissant pourtant que pour qu'il y ait délit ici, comme dans tous les autres cas, il faut qu'il y ait intention coupable.

Ce principe domine toutes nos lois pénales en matière de crimes et de délits, et pourtant nulle part dans leurs dispositions l'on n'a cru devoir insérer le mot méchamment. En le conservant dans la disposition actuelle, il serait difficile de ne pas admettre qu'on veut lui donner plus de portée qu'aux autres dispositions de notre Code pénal. Ceci est tellement ma pensée que j'ai la conviction qu'en laissant dans la disposition de la loi le mot méchamment, le jury le plus impartial et le plus consciencieux pourrait prononcer un verdict d'acquittement, tandis qu'il prononcerait un verdict de culpabilité si ce mot était supprimé.

M. d’Elhoungne. - J'ai l'honneur de proposer à la chambre le renvoi aux sections des amendements présentés par M. le ministre de la justice, amendements qui convertissent le projet de loi spécial soumis à nos délibérations en un projet de loi général sur la répression des délits de la presse. (Interruption.)

J'espère que les honorables membres qui murmurent en ce moment, n'émettront un vote sur cette matière, qu'en mesurant la portée de la loi qu'il s'agit de faire ; j'espère qu'ils se rappelleront que, quand il s'agit de la presse, qui est l'âme des gouvernements représentatifs, on ne doit pas manquer au règlement de la chambre et à tous les antécédents, à toutes les garanties de prudence, de maturité et de sagesse. (Interruption.)

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Après une discussion qui a duré près de deux jours, l'honorable M. d'Elhoungne demande maintenant le renvoi aux sections des différents amendements que j'ai présentés. Messieurs, si j'avais voulu prendre la chambre par surprise, comme l'a dit d'une manière fort peu obligeante l'honorable M. d'Elhoungne je ne me serais pas conduit comme je l'ai fait ; j'aurais présenté mes amendements au fur et à mesure de la discussion des articles, et alors, évidemment personne n'aurait songé à demander le renvoi en sections. C'est pour mettre la chambre plus à même de bien examiner les différents amendements que je les lui ai soumis samedi dernier, de manière qu'elle pût les faire imprimer et que chacun pût les examiner avant la discussion.

Rien ne me serait plus facile, messieurs, que d'établir que tous les amendements présentés sont uniquement la conséquence de la discussion qui a eu lieu dans les sections. Ces amendements ne modifient pas essentiellement le projet de loi primitif. Quant à la procédure j'ai fait fruit, dans ces amendements, de la discussion qui a eu lieu, et j'ai ainsi fait disparaître les inconvénients que l'on avait cru rencontrer dans le premier projet.

Lorsqu'il sera établi par la discussion qui aura lieu, que ces amendements sont convenables, que, sans enlever à l'accusé la moindre garantie, sans pouvoir conséquemment exercer sur la presse la moindre influence fâcheuse, ils accélèrent la procédure, ce que tout le monde doit regarder comme fort désirable et fort utile, alors je pense que la chambre, sans renvoyer aux sections ou à la section centrale, n'hésitera pas un moment à rendre cette procédure applicable à tous les délits de la presse.

Il ne s'agit pas ici, à proprement parler, d'une loi sur la presse ; une loi sur la presse définit les délits, indique ce qui est défendu, les limites dans lesquelles il faut se restreindre, les pénalités qu'on peut encourir. Mais dans le projet de loi en discussion, il s'agit uniquement d'appliquer les dispositions du Code d'instruction criminelle d'une manière convenable aux délits qui doivent être soumis aux cours d'assises, d'après la volonté de la Constitution.

Le décret de 1831 a été fait en une séance, comme vous l'a rappelé l'honorable M. Van Cutsem. Ce décret présente, quant à la procédure, les plus grandes difficultés : dans le nouveau projet, je crois avoir, autant que possible, maintenu les droits de la défense, tout en amenant l'accélération, je dirai plus, la possibilité de poursuites sérieuses et efficaces.

Il n'y a donc pas lieu de renvoyer aux sections ni à la section centrale les amendements que j'ai présentés. Si, toutefois, la chambre pensait devoir renvoyer un de ces amendements, non pas aux sections, mais à la section centrale, ce ne pourrait jamais être que l'article dernier qui déclare applicables aux délits de la presse en général les dispositions qui concernaient primitivement le seul délit prévu par le projet.

M. Delehaye. - Messieurs, vous remarquerez que l'amendement principal sur lequel nous sommes appelés à statuer, a été adressé à la chambre par celui qui a pris l'initiative du projet de loi et qu'aucun de nous n'en a eu préalablement connaissance.

Le premier devoir de la chambre, c'est de ne statuer sur les projets de loi qu'en parfaite connaissance de cause ; un second devoir pour la chambre, c'est de respecter le règlement. Or, qu'arriverait-il si à l'occasion d'un article quelconque présenté par le gouvernement, le ministre venait, après le dépôt du rapport de la section centrale, proposer différents autres projets qui se rattachent indirectement, si l'on veut, au projet primitif, mais qui peuvent en être facilement disjoints ?

Un autre motif m'engage à appuyer le renvoi aux sections ; l'amendement de M. le ministre m'a suggéré l'idée d'un autre amendement.

Si la chambre modifie essentiellement la position de ceux qui usent de la liberté de la presse, il importe également de leur donner une nouvelle garantie ; eh bien, cette garantie nouvelle fait l'objet de l'amendement que j'ai en vue. Je ne veux pas que la chambre soit surprise à cet égard, je n'ai pas une majorité dévouée pour mes propositions. (Interruption.)

Quand je dis que je n'ai pas une majorité dévouée, cela ne veut pas dire que M. le ministre de la justice en ait une ; je dis seulement que je n'en ai pas ; mais c'est précisément un motif pour que chacun examine les propositions qui sont faites. J'appuie donc avec force le renvoi aux sections.

M. de Garcia. - Messieurs, quelle est la portée de l'article 11 nouveau présenté par M. le ministre, pour lequel on réclame surtout le renvoi aux sections ? Cet article est ainsi conçu.

« Les dispositions des articles 4, 5, 6 et 7 de la présente loi sont applicables à la poursuite des délits prévus par le décret du 20 juillet 1831, qui doivent être soumis à la cour d'assises. »

La portée de cette disposition est évidemment de rendre commune aux délits d'injures ordinaires, la procédure qu'on propose pour la poursuite des délits d'offenses envers le Roi. Or par le projet de loi qui nous est soumis, nous avons une connaissance parfaite du mode de procédure. Dès lors, il ne nous reste qu'une chose à examiner et que nous pouvons apprécier dans les éléments de la loi présentée ; c'est de voir si cette procédure est bonne en elle-même. Dans ma manière de voir, si elle est bonne pour les offenses envers le Roi, elle doit être également bonne pour les injures envers les citoyens, envers les fonctionnaires de toute espèce.

Celle simple observation suffit, je pense, pour démontrer que les propositions du gouvernement ne sont pas un bouleversement radical de la législation existante sur les délits de la presse ; ce n'est tout simplement qu'un changement de procédure pour atteindre le but qu'on se proposait dans la loi du 20 juillet 1831, et pour atteindre efficacement ceux qui se rendent coupable» de ces délits.

(page 1278) Le reproche qu'on faisait tout à l'heure au projet de loi du gouvernement, c'était d'être trop spécial : et voilà que, lorsque M. le ministre de la justice, par son amendement, propose de lui donner un caractère général quant à la procédure, on lui fait des reproches de cette conduite. A mes yeux, cette opposition est inexplicable ; surtout qu'il ne s'agît en aucune manière de modifier le caractère des délits de la presse ni de porter atteinte au droit de manifester sa pensée. Je le répète, les dispositions proposées n'ont uniquement pour objet que de régulariser et de rendre commune la procédure à suivre en cette matière. Partant, si la procédure proposée est reconnue bonne et utile pour poursuivre les offenses envers le Roi et sa famille, je pense que, constitutionnellement, nul ne peut hésiter à l'adopter pour les délits d'injures posés par les organes de la presse contre des particuliers ou contre des fonctionnâmes. Quant à moi, je déclare que je lui donnerai mon assentiment si elle réunit ce caractère. Sous ce rapport, j'attends la discussion.

M. Orts. - Messieurs, on vient nous dire que les amendements ne portent que sur l'article 11. Il n'en est rien : il s'agit de toute la forme de la procédure en matière de presse. Or, qui de vous ignore que jamais le système du congrès constituant n'a été de priver les prévenus en matière de presse des garanties que la loi générale accorde. Il ne s'agit que de l'article 11 ! A-t-on oublié que dans son premier projet, M. le ministre de la justice proposait de priver les prévenus d'un délit de presse d'un degré de juridiction ? A-t-on oublié qu'il proposait de supprimer le pourvoi en cassation contre l'arrêt de la chambre des mises en accusation ? La section centrale a reculé devant cette dernière énormité ; elle n'a pas adopté la suppression que M. le ministre de la justice méditait.

Que fait maintenant M. le ministre ? Il vire encore de bord ; avisé par la section centrale qu'il a eu tort de supprimer le pourvoi en cassation, il propose un article 7 nouveau. Ah ! celui-ci fait ressusciter le pourvoi en cassation ; c'est Lazare qui sort du tombeau.

Mais veuillez remarquer, messieurs, que cet article 7 nouveau vient supprimer les articles 293, 294, 296 à 299 ; eh bien, est-ce qu'il n'importera pas d'examiner jusqu'à quel point se lie le maintien du pourvoi en cassation avec les formalités qui se rattachent à ce pourvoi, formalités réglées par les articles 293, 294, 296 et 299, dont on propose la suppression ?

Il s'agit simplement, dit-on, de l'article final additionnel : mais ne sont-ce pas là toutes innovations ? et sommes-nous préparés à voter un pareil système improvisé à coups d'amendements ?

D'abord suppression de la juridiction de la cour de cassation, nouvelles modifications, nouvelles formalités ; tous ces changements, toutes ces palinodies ne justifient-ils pas le renvoi aux sections ? L'affirmative une paraît évidente.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je suis étonné de la persistance avec laquelle on demande le renvoi aux sections et de la vivacité avec laquelle cette motion est soutenue. Les amendements de M. le ministre de la justice ont été déposés à la séance de samedi ; personne jusqu'à ce moment n'a songé à proposer le renvoi de ces amendements à l'examen des sections ; loin de là, on a discuté pendant deux jours entiers ; et sur quoi fonde-t-on cette-motion ? Sur ce que la procédure sera applicable à tous les délits de la presse.

Mais, messieurs, discutons d'abord tous les articles spéciaux et les amendements présentés par M. le ministre de la justice ; et quand nous serons arrivés à l'article 11, nous serons mieux à même de voir alors s'il faut renvoyer cet article 11 à un autre examen. Mais, disons-le, c'est une fin de non-recevoir contre le projet, qu'on présente par cette motion. Il serait contraire à la dignité de la chambre de renvoyer un projet de loi aux sections après deux jours de discussion.

M. d’Elhoungne. - Je repousserai de suite les dernières paroles que vient de prononcer M. le ministre de l'intérieur. Ce n'est pas comme fin de non-recevoir que j'ai présenté ma motion, c'est dans l'intérêt de nos délibérations et dans l'intérêt de la partie la plus importante de notre législation.

Non, je ne veux pas élever une fin de non-recevoir, qui soit un simple artifice d'opposition ; mais je pense remplir le devoir le plus impérieux d'un député quand, en présence de modifications proposées à la législation sur la presse, dont la liberté est la- première et la plus solide des garanties politiques dans les pays constitutionnels, je viens demander à la chambre de ne pas discuter et voter des mesures de cette gravité avec toute l’étourderie, avec toute la légèreté, avec toute l'irréflexion, en un mot, avec toutes ces qualités qu'apporte M. d'Anethan sur le banc du pouvoir. (Interruption.)

M. de Mérode me dit qu'on pourrait m'adresser le même reproche... î Quoi ! parce que je propose l'examen approfondi et régulier d'une loi générale sur la presse, on pourrait me reprocher de la précipitation ! Mais y a-t-il donc ici des honorables membres qui veulent enlever le vote sans discussion sérieuse et régulière ? (Interruption.)

Les interruptions ne m'empêcheront pas de dire toute ma pensée, et je préviens ceux qui me les adressent, qu'elles n'auront pour résultat que d'augmenter la vivacité de mes expressions.

Les amendements ont été déposés samedi, a dit M. le ministre de l'intérieur. Oui samedi, mais fort tard, quand on n'était plus en nombre, quand il n'y avait plus de séance. Pourquoi M. le ministre n'a-t-il pas déposé ses amendements au commencement de la séance, alors que la chambre était en nombre et aurait pu prendre une décision ? J'en ai fait l'observation samedi, et mes honorables amis m'ont répondu que la chambre n'étant plus en nombre, on ne pouvait pas prendre de décision.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Pourquoi n'avez-nous pas fait la proposition hier ?

M. d’Elhoungne. - Je suppose que M. le ministre n'a pas la prétention de me prescrire le moment de présenter mes propositions : qu'il veuille bien se préoccuper seulement de l'opportunité des siennes». D'ailleurs, quelle est la marche que j'ai suivie ? J'ai commencé par provoquer des explications ; j'ai demandé quelle était la portée des amendements proposés ; j'ai fait remarquer que peut-être ces amendements n'avaient pas, à raison de leur rédaction, la portée que M. le ministre voulait leur donner ; que le projet restait incomplet parce qu'il ne tenait pas compte des délits punis par le Code pénal, et non par le décret de 1831.

C'est sur vos explications, M. le ministre, quand vous avez converti votre projet de loi spécial en projet de loi général embrassant désormais tous les délits commis par la presse, c'est alors que j'ai éveillé l'attention de la chambre ; je lui ai dit : Il s'agit maintenant d'une loi générale qu’on substitue inopinément à la loi spéciale, qu'on vous avait d’abord présentée ; il faut, à l'égard de cette loi nouvelle, observer le règlement, agir avec maturité, avec prudence. (Interruption.) Je ne comprends pas qu'on murmure à de semblables réflexions, si ce n'est pas l’embarras de les réfuter.

« Personne, dit-on encore, n'a songé pendant deux jours de discussion à soulever la question de renvoi aux sections. » Mais il fallait, comme je viens de vous le dire, connaître la portée des amendements ; j'ai interrogé M. le ministre sur ce point ; et c'est quand ses paroles m’ont éclairé que j'ai fait la motion que les explications de M. le ministre avaient rendue inévitable. Oui, cette motion devenait une nécessité. De quoi s'agit-il, encore une fois ? D'appliquer une procédure proposée d'abord pour certains délits spéciaux et exceptionnels, à tous les délits. Eh bien ! il y a des membres qui repousseront la procédure nouvelle, si elle doit être spéciale ; il y en a qui la repousseront si elle est convertie en règle générale. Comment donc laisser indécis le caractère de la loi ? Le vote sera s'il s'agit de cas spéciaux, exceptionnels, qu'on peut supposer devoir se présenter rarement (car je pense et j'espère bien que les offenses contre la personne du Roi ne se multiplieront pas à l'infini) ; ou s'il s'agit de tous les délits de la presse en général, qu'une procédure trop rigoureuse multiplierait singulièrement. Dans le sein de la section centrale, j'ai combattu la procédure nouvelle, par cela seul qu'elle était spéciale ; j'aurai donc moi-même déjà tout un nouvel examen à en faire, dès qu'elle revêt le caractère d'une procédure générale, applicable à tous les délits de presse. Mais, dit un honorable membre, une procédure qu'on trouve bonne quand il s'agit d'offenses ou d'injures à la personne du Roi doit être bonne également pour tous les délits de la presse. Je viens de répondre à cette objection.

Je l'ai dit, quand cette procédure a été proposée, je n'ai pas voulu l'examiner parce qu'elle était spéciale ; je ne veux pas en effet de procédure spéciale pour la personne du Roi, je veux que les principes de la répression soient uniformes pour tous les citoyens comme pour tous les pouvoirs de l'Etat. (Interruption.)

C'est ce qu'on propose, me dit-on. Oui, mais c'est ce qui donne une immense portée à la proposition et nécessite un examen régulier. Beaucoup de membres ont dit en sections : « Il ne s'agit que de délits contre la personne du Roi, cela n'a pas d'importance. »

Mais aujourd'hui qu'il s'agit de tous les délits commis au moyen de la presse, délits qui doivent se multiplier dans l'avenir à mesure que l'instruction se développant, les journaux se répandront davantage et se trouveront entre les mains d'un plus grand nombre de citoyens, à quelque condition qu'ils appartiennent, aujourd'hui, dis-je, il faut de toute nécessité apporter plus de maturité, de prudence, de réflexion, dans l'examen d'un pareil projet, et peut-être ces honorables membres changeront-ils d'opinion.

M. le ministre de l'intérieur propose une autre marche. Discutons, dit-il, toutes les dispositions du projet, nous verrons ensuite si nous voulons convertir en mesure générale ce que nous aurons examiné et voté comme mesure spéciale. Mais cette proposition se réfute d'elle-même. Une loi spéciale et une loi générale ne s'examinent pas au même point de vue, et n'ont pas les mêmes exigences. Il faut tenir compte d'autres faits, quelquefois d'autres principes. Enfin, messieurs, quand c’est un véritable Code d'instruction criminelle que la chambre est appelée à imposer à la presse, n'est-il pas par trop évident que nous devons l'examiner à ce point de vue plus large, plus étendu ?

Messieurs, on vous demande de créer un nouveau délit, celui de non-comparution ; on vous demande de combiner tout un nouveau code d'instruction criminelle, qui pèsera sur la plus précieuse de nos libertés. Le ferez-vous sans avoir examiné, réfléchi, délibéré comme vous le faites pour le plus mince projet de loi qu'on vous soumet ?

M. Rogier. - Messieurs, le projet de loi qui vous est soumis avait déjà une haute gravité en lui-même ; les amendements qui ont été improvisés par M. le ministre de la justice, et qui vous ont été présentés dans la séance de samedi, ajoutent un caractère nouveau de gravité à ce projet.

Quand il s'agissait d'un projet spécial, ayant pour but de protéger la personne du Roi contre certaines offenses, on avait pu espérer que, dans cette enceinte, des membres de l'opposition non moins dévoués à la royauté que ses plus apparents défenseurs se résigneraient (et je dirai pourquoi) à adopter une loi sagement circonscrite, tout en considérant sa présentation comme une très regrettable erreur.

(page 1279) Mais aujourd'hui que de ce projet de loi spécial il s'agit, quoi qu'on en ait dit, de faire une loi générale, d'étendre les dispositions du projet spécial à tous les délits de la presse, je ne puis que déplorer cette deuxième erreur.

Je ne sais si je me trompe ; je ne sais si j'apprécie bien le sentiment qui domine cette assemblée. Mais il me semble que c'est avec un certain embarras, une sorte d'improbation tacite qu'on avait abordé la discussion du projet de loi primitif.

Aujourd'hui que nous devons étendre notre examen, non pas seulement à une spécialité de délits, mais à tous les délits à commettre par la presse envers une autorité quelconque, l'embarras doit singulièrement augmenter et l'improbation s'accroître.

Il y a, je le sais, une espèce de parti pris une sorte de bon ton même, de par un certain monde, à traiter aujourd'hui avec dédain et le jury et la liberté de la presse.

Ces deux grandes garanties, pour lesquelles on peut dire que la révolution belge a été faite en partie, ces deux grandes garanties qui figuraient en tête du programme de l'Union qui a mis fin à la domination du régime hollandais, on semble aujourd'hui assez disposé à en faire bon marché.

La liberté de la presse ! on n'en voit que les abus, on ferme les yeux sur les services qu'elles rendus et qu'elle rend encore tous les jours.

Le jury ! Parce que, dans une circonstance, il lui sera arrivé de rendre un verdict déplaisant pour le ministère, il faudra des lois de réaction contre cette institution, il faudra qu'on en vienne à demander au parlement de juger, de condamner le jury.

Parce que certains excès auront été commis dans une presse obscure que le pays ne connaît pas, que le pays sensé n'avoue pas, il faudra modifier les garanties assurées par la Constitution à la presse influente et sérieuse.

Ces attaques indirectes ou directes contre la presse, je les regarde comme souverainement malhabiles. Il y aurait plus que de l'injustice de la part du gouvernement, il y aurait de l'ingratitude à soumettre à un régime plus rigoureux les écrivains qui continuent à exercer avec talent et avec conscience cette grande magistrature de la presse, qui ne peut être coupable des excès de quelques journaux sans valeur réelle.

On se plaint des excès de la presse ; on réclame contre elle des sévérités nouvelles...

M. le président. - Je rappellerai à l'honorable membre qu'il n'y a pour le moment en discussion que la proposition de renvoi aux sections.

M. Rogier. - Je le sais, M. le président ; je veux faire sentir l'importance des questions soulevées par les nouvelles propositions du ministre ; je veux engager la chambre à réfléchir avant de les voter.

Je vois dans l'ensemble des propositions une grave atteinte au régime de la presse, tel qu'il subsiste depuis seize ans. Je demande que la chambre les examine mûrement. Je fais ressortir, M. le président, l'importance de la liberté de la presse. En cela je crois agir comme il appartient à un bon et loyal député.

Je ne flagorne pas la presse. Tout le premier je blâme certains écarts. Mais je ne m'effraye pas de quelques mauvais petits journaux, qui n'exercent, au fond, aucune influence sur le véritable esprit public. Je parle de la presse sérieuse, et je demande si dans aucun autre pays libre, la presse sérieuse se montre aussi modérée qu'en Belgique vis-à-vis du gouvernement, et particulièrement vis-à-vis de la royauté.

Quand la royauté a-t-elle été attaquée par ce que j'appelle la presse sérieuse ? A quelle époque ?

Il y a dix ans dans la plupart de nos grandes villes, il existait encore certains journaux, publiés sous une certaine influence, qui, je le reconnais, attaquaient la royauté, attaquaient le Roi. La royauté, le Roi ont su triompher de ces excès sans procès. Depuis lors, ces journaux ont presque entièrement disparu ; et c'est ce moment qu'on choisit pour déclarer la guerre à la presse, la faisant en quelque sorte complice et solidaire de quelques excès obscurs et isolés !

Quant à ces excès en eux-mêmes, est-ce dans une nouvelle législation qu'il faut en chercher le remède ? Ne serait-il pas plus sage de laisser l'opinion constitutionnelle et nationale en faire justice ?

De pareils excès, je les tiens pour moins dignes de colère que de mépris. Dans l'échelle des courages politiques, je considère les attaques personnelles contre le Roi comme devant figurer au dernier échelon.

Pourquoi ? Parce que le Roi n'est pas dans la situation de défendre de sa personne les attaques qui lui sont personnelles. Attaquer le Roi, c'est, à mon avis, faire acte de courage aussi grand que d'attaquer une femme.

Ces attaques retombent le plus souvent sur leurs auteurs. C'est par les mœurs, par le bon sens public, par le sentiment et l'honneur privé qu'on en a raison ; je doute que ce soit par des lois nouvelles qu'on en vienne à bout. Quant à la presse sérieuse, je dis que, ni son esprit, ni ses procédés habituels n'appellent en aucune manière des changements à la législation.

Il y a plus. S'il y avait des réformes à faire pour la presse, ce serait des réformes dans un sens opposé à celui du projet qu'on vient nous proposer. Pour moi, je m'étonne d'une chose, c'est de la longanimité avec laquelle la presse a souffert la situation qui lui est faite aujourd'hui par la jurisprudence de quelques-uns de nos tribunaux, qui tend à lui enlever la garantie que la Constitution lui donne. Je m'étonne qu'alors que la Constitution déclare que tous les délits de la presse seront du ressort du jury, ces délits cependant peuvent être, même en matière publique, attribués aux tribunaux civils, du moment que les plaignants les saisissent d'une demande de dommages-intérêts. Sous ce rapport, si une large voie aux amendements est ouverte, si l'on doit, à l'exemple du ministre, étendre le projet en discussion, je verrai avec plaisir partir de nos bancs un amendement pour rendre à la presse la garantie constitutionnelle dont on tend à la dépouiller.

En résumé, messieurs, quand je considère l'importance des amendement de M. le ministre, quand je considère avec quelle légèreté ils nous ont été soumis, quand surtout je m'en rapporte à la discussion si lumineuse de cette séance, je crois que la chambre ne peut faire autrement que de renvoyer ces amendements, sinon aux sections, au moins à la section centrale.

Ceci n'est pas, messieurs, une fin de non-recevoir à l'égard de la loi spéciale en elle-même. Je ne recule pas devant l'examen de cette loi. Je ne reculerai pas non plus devant le vote que j'aurai à émettre. Mais si l’on veut étendre ce projet, si l'on veut y ajouter des dispositions nouvelles et tout à fait inattendues, je demande que ces dispositions fassent l'objet d'un examen mûr et réfléchi.

M. le président. - M. Rogier propose le renvoi des amendements à la section centrale.

M. d’Elhoungne. - J'en ai proposé le renvoi aux sections.

M. le président. - Je parle de la proposition du dernier orateur.

M. Rogier. - J'ai dit aux sections, ou tout au moins à la section centrale.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, les paroles que l'honorable M. Rogier vient de prononcer ne s'adressent évidemment pas à la loi qui vous est présentée.

D'après ce qu'a dit l'honorable membre, on serait tenté de croire qu'on s'attaque à la presse, que le projet actuel fait la guerre à cette précieuse liberté. Mais il n'en est rien, et l'honorable M. Rogier, en parlant de la liberté de la presse et des garanties dont elle doit rester entourée, s'est bien gardé de citer un seul article présenté par le gouvernement, qui serait de nature à justifier le reproche qu'il nous adresse. Si nous n'avions pas présenté l'article 11 qui rend applicables à tous les délits de la presse les dispositions précédentes, évidemment, messieurs, la motion de l'honorable M. d'Elhoungne n'aurait pas été produite. Il me paraît donc, comme vous l'a dit M. le ministre de l'intérieur, qu'il convient d'examiner d'abord les articles qui vous sont présentés et qui modifient la procédure. Cet article, quoi qu'on en ait pu dire, se trouve en substance et dans mon projet primitif et dans les discussions des sections. S'il m'était permis d'aborder maintenant la discussion de ces articles, il me serait facile d'établir qu'ils ne consacrent rien de nouveau, qu'ils ne sont que l'explication et la conséquence de ce qui se trouvait déjà dans le projet que j’ai présenté.

Il est donc naturel, me paraît-il, d'aborder l'examen des articles, et lorsque la chambre aura reconnu, comme vous l'a dit l'honorable M. de Garcia, que cette procédure est bonne, il ne sera pas certes besoin d'un renvoi en sections pour que la chambre se décide sur la question de savoir si elle veut appliquer les dispositions qu'elle aura adoptées à tous les délits de la presse. Cette question, messieurs, n'exige pas un examen en sections ; elle ne réclame aucune recherche, aucune combinaison d'articles de lois. Lorsque la chambre arrivera à l'examen de cet article, si elle trouve qu'elle ne doit pas appliquer les dispositions qu'elle aura votées à tous les délits de la presse, elle rejettera l'article 11.

L'honorable M. Rogier vous a dit, messieurs, qu'on ne devait pas soumettre à la chambre une loi de cette nature, une loi que la chambre examine avec répugnance, et cela à cause d'un verdict qui avait pu déplaire au ministère. J'espère, messieurs, que le verdict qui a été rendu n'aura pas plu davantage à l'honorable M. Rogier qu'il n'a plu au ministère. Mais ce verdict a pu faire naître pour le gouvernement un devoir, et ce devoir il l'a rempli.

Si je m'étais borné à dire que ce verdict me déplaisait, que ce verdict était déplorable en tant qu'il accusait l'insuffisance de la législation, mais de tous les bancs de cette chambre aurait dû m'être adressé le reproche très fondé de ne pas présenter une loi pour empêcher le renouvellement de ce que je considère comme un malheur.

L'honorable M. Rogier nous a dit, en faisant un éloge pompeux de la presse, que les grands journaux, que les journaux sérieux ont rendu de véritables services au pays. L'honorable M. Rogier a parfaitement raison. Mais j'ai l'honneur de lui faire remarquer que la loi qui est présentée ne doit aucunement inquiéter ces journaux. Ces journaux, qui se livrent à une. discussion sérieuse, à une discussion consciencieuse et raisonnable, ne seront évidemment atteints par aucune des dispositions du projet de loi. La liberté de la presse restera entière. Seulement les scandaleuses publications que l'honorable M. Rogier a justement flétries, ne jouiront plus de l'impunité, et leurs auteurs seront traduits d'une manière plus prompte devant le jury qu'ils ne le peuvent l'être maintenant, alors qu'à l'aide de maintes chicanes, ils peuvent éloigner le jour où ils comparaîtront devant les assises.

Je ne partage pas, du reste, l'opinion de l'honorable M. Rogier, relativement à ces journaux. Je crois que ces journaux exercent une influence déplorable ; je crois qu'il est important, non seulement dans l'intérêt de la royauté, mais dans l'intérêt de tous, dans l'intérêt de la presse qui se respecte, qu'il est important de mettre un terme à cette licence, pour laquelle rien n'est sacré.

(page 1280) L'honorable M. Rogier a dit qu'il ne voulait pas flagorner la presse. Je suis persuadé que ce n'est pas son intention, mais il me permettra de lui faire observer qu'il défend indirectement, et contre ses intentions sans doute, les intérêts de ces journaux, en faisant de l'opposition à une procédure destinée, je puis le dire, à amener une répression plus efficace des délits que l'honorable M. Rogier a qualifiés avec autant de sévérité que je l'ai fait moi-même. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - Deux propositions sont faites, l'une est de renvoyer aux sections les amendements présentés par M. le ministre de la justice ; l'autre est de ne statuer sur cette motion que lorsqu'on en sera venu à l'article 11.

M. d’Elhoungne (sur la position de la question). -Messieurs, l'ajournement du vote de ma proposition, c'est le rejet. (Interruption.) Je propose de renvoyer aux sections les amendements présentés par M. le ministre, amendements qui se rapportent à différents articles du projet et dont l'un se rapporte même à l'article premier. Je n'aurais pas insisté là-dessus aussi positivement, si je ne voyais que M. le ministre de l'intérieur veut fausser le vote par sa proposition d'ajournement.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Voici la position de la question. J'ai combattu le renvoi aux sections en disant que la motion est principalement fondée sur l'article 11, qui tend à rendre la loi applicable aux délits ordinaires, quant à la procédure, et que par conséquent, il serait temps encore d'examiner cette motion lorsqu'on en sera arrivé à l'article 11 et que les autres articles auront été examinés et votés par la chambre.

M. Verhaegen. - Il ne s'agit pas seulement de l'article 11, mais il y a un article 7 nouveau qui est aussi très important. Cet article est tellement important, qu'il porte atteinte au droit sacré de défense, qui est écrit dans l'article 294 du code de procédure criminelle. Il ne s'agit donc pas d'attendre qu'on en soit arrivé à l'article 11.

M. Delfosse. - On n'a pas le droit de scinder la proposition de l'honorable M. d'Elhoungne. L'honorable M. d'Elhoungne demande le renvoi aux sections de tous les amendements et non pas seulement de l'article 11. On doit mettre aux voix la proposition de M. d'Elhoungne telle qu'il l'a formulée.

- Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition de M. d'Elhoungne. 70 membres sont présents ;

35 adoptent.

35 rejettent.

En conséquence la proposition n'est pas adoptée.

Ont voté l'adoption : MM. Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Manilius, Orts, Osy, Piratez, Pirson, Rogier, Sigart, Troye, Vandensteen, Verhaegen, Veydt, Anspach, Cans, Castiau, David, de Baillet, de Bonne, de Breyne, de Haerne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Naeyer, de Renesse, de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dubus (Albéric), Dumont, Goblet et Lange.

Ont voté le rejet : MM. Lejeune, Liedts, Malou, Mercier, Nothomb, Orban, Rodenbach, Scheyven, Simons, Van Cutsem, Vanden Eynde, Zoude, Brabant, Clep, d'Anethan, Dechamps, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de La Coste, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Roo, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Theux, de T'Serclaes, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Bernard), Eloy de Burdinne, Henot et Huveners.

M. Delehaye. - Je demanderai la permission de déposer un amendement. Ce serait un article additionnel ainsi conçu :

« Les poursuites à raison d'écrits, d'imprimés, d'images ou emblèmes quelconques, ne pourront se faire que devant le jury du lien de la publication, si ce lieu est connu. »

- Cet amendement sera imprimé et distribué.

La séance est levée à 4 heures et demie.