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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 18 mars 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Vilain XIIII, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1188) M. Huveners fait l'appel nominal à midi trois quarts.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Van Esschen, sous-ingénieur au chemin de fer de l'Etat, présente des observations en réponse au mémoire de M. Van Hecke, relativement à la priorité d'invention du système de navigation aérienne, et demande que le gouvernement soumette toute l'affaire à l'Académie des sciences. »

- Pris pour information.


« Le sieur Lepoutre, caution d'une saunerie restée débitrice envers le trésor public, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir remise d'une partie des droits qui lui sont réclamés par l'administration des accises. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Forêt (province de Liège) soumettent à la chambre des mesures tendant à faire baisser le prix des céréales. »

- Même renvoi.


« Plusieurs cultivateurs de la commune de Zwevezeele demandent que les lins soient soumis à la sortie au droit de 25 p. c. »

M. de Foere. - Messieurs, je propose à la chambre le renvoi de la pétition de la commune de Zwevezeele, tendant à réclamer des droits à la sortie des lins, à la commission d'industrie. J'ajoute à cette proposition une autre : Je demande que cette commission présente à la chambre un rapport sur cet important sujet dans le plus bref délai possible. En présence de l'énorme cherté des subsistances alimentaires et de la déplorable situation de la population linière qui, à cause du prix excessif des lins, ne peut se livrer à son travail avec assez de bénéfices pour se procurer le pain quotidien, cette question acquiert chaque jour plus de gravité, sa solution devient chaque jour plus urgente. Je demande donc que la commission d'industrie présente à la chambre, dans le plus bref délai, un rapport sur la pétition de Zwevezeele, signée par tous les plus grands producteurs de cette commune.

- Cette double proposition est adoptée.


M. de Lannoy, retenu chez lui par l'indisposition de son beau-père, demande un congé de quelques jours.

- Ce congé est accordé.


Message du sénat faisant connaître la prise en considération, par cette assemblée, de 25 demandes de naturalisation.

- Pris pour information.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1847

Rapport de la section centrale

M. Brabant, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi de budget du département des travaux publics, dépose le rapport sur ce budget.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Rapport sur une pétition

M. Lesoinne. - Vous avez renvoyé à la section centrale du budget des travaux publics une pétition des habitants des communes riveraines de l'Ourthe, qui demandent l'exécution du canal de Meuse-et-Moselle, et la dérivation de la Meuse à partir de la fonderie de canons à Liège jusqu'aux confins du bassin houiller à Chockier. Les pétitionnaires font valoir à l'appui de l'utilité de ces travaux : le tonnage considérable qu'il y aura sur ce canal, et la perte qui est résultée, pour l'industrie des provinces de Liège et de Luxembourg, de l'insuffisance du tirant d'eau qui a eu lieu par suite de la sécheresse continue pendant l'été de l'année dernière.

Quant à la dérivation de la Meuse, ils font valoir que ce canal ne sera utile qu'autant qu'il sera relié au bassin houiller en amont de Liège et en aval avec le canal latéral à la Meuse, maintenant en construction.

Quant au premier point, la section centrale conclut au dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la j prorogation du délai pour l'exécution du chemin de fer du Luxembourg.

Quant au deuxième point, la section centrale a demandé à M. le ministre des travaux publics ce qu'il comptait faire pour l'amélioration de la Meuse dans la traverse de Liège. Jusqu'à présent il n'a pas répondu.

M. Delfosse. - Ce n'est pas seulement cette pétition qui a été renvoyée à la section centrale du budget des travaux publics. On a renvoyé à la même section une masse d'autres pétitions, couvertes de milliers de signatures, dans lequelles on fait ressortir les dangers qui résultent de l'état défectueux de la Meuse.

M. le ministre des travaux publics, répondant à une interpellation que je lui ai adressée il y a déjà longtemps, a formellement promis de répondre aux questions que la section centrale lui adresserait au sujet de la dérivation de la Meuse, et il a promis d'y répondre aussitôt qu'elles lui seraient parvenues. Je suis donc fort étonné d'apprendre, par l'honorable M. Lejeune, que M. le ministre des travaux publics n'a pas tenu cette promesse. C'est là une singulière manière de gouverner. Je n'appelle pas cela gouverner. J'appelle cela dormir et mentir.

M. le président. - J'engage M. Delfosse à retirer cette expression, qui n'est pas parlementaire.

M. Delfosse. - Je maintiens, M. le président, que M. le ministre des travaux publics a manqué à une promesse formelle ; si le mot mentir vous paraît trop fort, j'y substituerai les mots faillir à sa promesse, vider ouvertement sa promesse, manquer à sa parole. Je laisse le choix entre les expressions.

M. le président. - C'est moins antiparlementaire.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - En l'absence de M. le ministre des travaux publies, j'engage l'honorable M. Delfosse à s'abstenir de toute parole blessante pour lui. Je ne sais de quel objet l'on s'occupe ; mais quoi qu'il en soit, je crois devoir relever les expressions blessantes pour mon honorable collègue absent qui viennent d'être prononcées si l'honorable préopinant croyait devoir les maintenir.

M. le président. - M. Delfosse a laissé échapper un mot que j'ai relevé. Il a maintenant dit que M. le ministre avait manqué à sa promesse. Dès que M. le ministre sera présent, il aura le droit de répondre à ce reproche.

M. Delfosse. - Je suis prêt à répéter en présence de M. le ministre des travaux publics ce que j'ai dit en son absence. M. le ministre des travaux publics a manqué à une promesse formellement donnée, il a manqué à son devoir ; s'il n'est pas ici, c'est sa faute.

M. Lesoinne, rapporteur. - Je dois dire que le mouvement d'impatience de mon honorable collègue M. Delfosse est excusable jusqu'à un certain point. Car nous avons renouvelé notre demande à M. le ministre des travaux publics à plusieurs reprises depuis deux mois. J'en appelle au témoignage de mes collègues de la section centrale. J'ai renouvelé moi-même personnellement cette demande plusieurs fois, et j'ai le regret de dire que M. le ministre a laissé le temps s'écouler sans nous donner aucune réponse, et le rapport sur le budget des travaux publics est aujourd'hui déposé sans que nous ayons pu obtenir de M. le ministre une réponse sur ce qu'il entendait faire relativement à la dérivation de la Meuse, bien que cette demande lui eût été faite par plusieurs sections. On conçoit que notre patience finisse par se lasser.

- Les conclusions de la section centrale tendant au dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la prorogation du délai d'exécution du chemin de fer du Luxembourg, sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi qui apporte des modifications à la loi sur la milice

Discussion des articles

Article 7

M. le président. - La discussion continue sur l'article 7 du projet du gouvernement et 6 du projet de la section centrale.

M. de Roo, rapporteur. – Messieurs, une anomalie existe dans la loi relativement au remplacement, et c'est cette anomalie que la section (page 1189) centrale a voulu faire disparaître par l'article qu'elle vous propose. En effet, messieurs, la députation permanente des états jugeait en dernier ressort de l'admission ou de la non-admission des miliciens et des substituants qui étaient en nombre décuple des remplaçants, et ne le faisait pas pour ceux-ci. Cependant, il y avait les mêmes mesures à prendre, les mêmes formalités à observer.

C'était là une lacune que nous avons taché de combler. C'était taxer d'ignorance et de partialité les décisions des états députés à cet égard.

Les députations, messieurs, sont composées de l'élite de la province. On reconnaît qu'elles offrent toutes les garanties désirables, qu'elles jugent des affaires les plus ardues en fait d'administration sur des mémoires et des avis qui leur sont communiqués ; pourquoi n'offriraient-elles pas toutes les mêmes garanties pour juger sur les avis des médecins relativement à l'admission ou à la non admission des remplaçants ? C'est là porter une méfiance trop grande envers une autorité constituée telle que la députation.

Messieurs, les garanties du gouvernement relativement à l'admission ou la non-admission des remplaçants doivent être suffisantes par l'admission de l'élément militaire, par l'adjonction d'un médecin militaire dans l'examen des remplaçants devant la députation permanente chargée d'accepter ou de ne pas accepter les remplaçants. Car jusqu'ici cet élément n'y avait pas été introduit, pour en laisser avec une entière confiance la décision à la députation permanente. C'est donc une garantie nouvelle que nous donnons au gouvernement. Aller au-delà est une vaine prétention.

Mais je ne crois pas, messieurs, que nous devions aller plus loin. Il serait absurde de dire et de croire que les médecins civils ne sont pas aussi aptes que les médecins militaires pour juger des défauts d'un remplaçant. Plus, messieurs, vous introduirez de médecin dans le conseil, moins vous parviendrez à une bonne décision.

Toutefois, messieurs, si l'on veut établir une parité, je crois qu'il conviendrait de se borner à adjoindre à la députation un médecin civil et un médecin militaire. Si la chambre n'adopte pas cette opinion, si elle veut absolument deux médecins civils et deux médecins militaires, alors je crois qu'il conviendrait d'adopter l'amendement de l'honorable M. de Garcia, qui se rapporte fort bien à l'article 6 de la section centrale, qui peut très-bien y être intercalé.

M. Pirson. - Messieurs, nonobstant les observations que vient de présenter l'honorable M. de Roo, je crois être dans le vrai en disant que les conseils de milice et les députations permanentes envoient tous les ans dans les corps un assez grand nombre de miliciens que l'autorité militaire est obligée de renvoyer dans leurs foyers presque aussitôt après leur incorporation. Il en résulte des pertes considérables pour l'armée et des frais inutiles pour le trésor. M. le ministre de la guerre propose d'adjoindre deux officiers de santé aux députations permanentes comme un moyen de parvenir à mieux éclairer ces conseils sur les causes qui doivent faire donner l'exemption provisoire ou définitive du service militaire ; cette mesure me paraît bonne, et je viens l'appuyer. Je désirerais même qu'elle fût complétée dans le sens des observations présentées à la fin de la séance d'hier par l'honorable M. Lejeune, c'est-à-dire que l'on adjoignît aux députations permanentes un officier supérieur avec voix délibérative.

Je disais, messieurs, que j'approuvais la disposition présentée par M. le ministre de la guerre, parce que, dans un conseil de milice et près de la députation permanente, s'il est nécessaire que l'intérêt des familles soit soutenu, il est indispensable aussi que l'intérêt militaire soit défendu, car, qu'arrive-t-il fréquemment aujourd'hui ? C'est qu'on envoie à l'armée des hommes infirmes, trop faibles et évidemment impropres au service militaire.

Ces hommes lorsqu'ils arrivent dans les régiments sont hors d'état de pouvoir faire leur service. On les promène de la caserne à l'hôpital et de l’hôpital à la caserne, et l'on doit finir pour leur remettre leur congé de réforme, sans qu'ils aient rendu le moindre service au pays. L'adjonction à la députation permanente d'un officier supérieur et de deux médecins militaires aurait pour résultat incontestable, en éclairant mieux les membres qui composent le conseil, de prévenir bien des erreurs. On n'enverrait plus dans les régiments des hommes impropres au service militaire, et l'on épargnerait au trésor et à l'armée des pertes considérables. Actuellement quand il se présente quelque infirmité dubitative, souvent la députation permanente n'en décide pas moins le départ du milicien ; il arrive au corps, où il est réformé, et il en résulte une perte d'homme pour l'armée, et une perte d'argent pour le trésor.

Par l'adjonction de deux officiers de santé à la députation permanente, les intérêts de tous seront mieux garantis.

On ne verra plus partir pour l'armée de jeunes soldats malingres, hors d'état de faire leur service, que les fatigues du voyage rendent encore plus malades ; qui, à peine arrivés, vont encombrer nos hôpitaux, et à qui, peu de temps après, l'on est obligé de remettre des congés de réforme. De cette manière les intérêts de tous, les intérêts de l'Etat, de l'armée et de pauvres malheureux seront mieux sauvegardés.

Convaincu donc que l'article 7 nouveau présenté par M. le ministre de la guerre, produira de bons résultats, je voterai son adoption, et si l'idée émise par l'honorable M. Lejeune ne se traduit pas en une proposition, j'en ferai une. Mais, messieurs, je ne saurais donner mon approbation à l'article 6 proposé par la section centrale, surtout en ce qui concerne le paragraphe ayant pour objet d'attribuer aux députations permanentes la décision définitive de l'admission des remplaçants dans l'armée.

Je crois qu'il est constant et qu'il ne manque pas de faits qui pourraient le démontrer que les conseils de milice et les députations permanentes, quels que soient le zèle et le désir de bien faire qui les animent, ont une tendance involontaire peut-être à favoriser les intérêts des particuliers et de leurs administrés au détriment de l'armée. Cela s'explique d'une manière toute naturelle.

Dans les conseils de milice, l'élément militaire est très peu représente et dans les députations permanentes pas du tout. Les membres composant les conseils de milice et les députations permanentes ne se rendent pas toujours bien compte des qualités physiques requises pour pouvoir supporter les fatigues de la guerre, et ne voyant pas un danger de guerre immédiat, malgré eux, à leur insu peut-être, se laissent aller à favoriser pour le remplacement les personnes de la localité, leurs administrés, en admettant des hommes qui ne remplissent pas toutes les conditions voulues pour faire un bon soldat.

Si l'on veut réellement une armée, une bonne armée, je ne crois pas qu'on doive enlever à l'autorité militaire le droit qu'elle a toujours exercé avant comme après 1830, et dont elle n'a pas abusé, d'admettre ou de refuser les individus présentés pour le remplacement.

Je ne m'explique pas que presque un chacun vienne dire que le remplacement est un mal, qu'il est une plaie pour l'armée, qu'il serait désirable qu'on pût admettre un système de recrutement par lequel chaque citoyen payât à la patrie le tribut du service militaire, et qu'ensuite on cherche par tous les moyens possibles à favoriser le remplacement.

Si vous adoptez l'article 6 proposé par la section centrale, tel qu'il est formulé, je suis entièrement convaincu que le choix des remplaçants deviendra plus mauvais. Il arrivera que des remplaçants mettront tout en œuvre pour déguiser leurs infirmités, ou leur inaptitude au service, pendant les premiers mois de leur incorporation ; qu'ils mettront même plus de ruse pour dissimuler ces infirmités, que certains miliciens n'en emploient aujourd'hui pour s'en créer de factices. Alors quand le mois pendant lequel le commandant provincial, d'après l'amendement de la section centrale, peut appeler de la décision du conseil de milice ou de la députation permanente, sera écoulé, ces remplaçants étant définitivement incorporés, ayant touché le prix de leur remplacement, laisseront apparaître ou favoriseront le développement des maladies et des infirmités auxquelles est sujette cette catégorie d'individus, souvent aussi dégradés au physique qu'au moral ; et alors aussi il faudra les réformer et il en résultera de nouvelles pertes pour l'armée.

Ainsi que vient de vous le faire remarquer, M. le ministre de la guerre, je ne crois pas que l'autorité militaire ait jaunis abusé de la faculté qu’elle a exercée jusqu'à ce jour, d'admettre définitivement les remplaçants.

Il n'existe donc aucun motif pour la dépouiller de cette faculté. Je voterai, en conséquence, pour l'amendement de M. le ministre de la guerre et contre l'amendement de la section centrale.

M. de Garcia. - Messieurs, j'imiterai l'honorable préopinant ; je ne me plaindrai pas que les commissions militaires aient abusé des droits dont elles ont usé jusqu'à ce jour ; mais j'espère que l'honorable membre voudra bien reconnaître, de son côté, que les députations provinciales sont restées dans la même ligne, et que dans l'exercice des attributions qui leur sont conférées par les lois, elles ont rempli convenablement leurs devoirs.

Toutes les observations de l'honorable préopinant reposent pourtant sur l'hypothèse contraire. A cet égard j'en appelle à sa bonne foi. Quant à moi j'ai la conviction que les députations remplissent leur mission d'une manière satisfaisante, et que ces corps jugent sans prévention, sans esprit de parti, avec impartialité, l'aptitude des miliciens et des remplaçants pour le service militaire. Au surplus, si l'on pouvait redouter les abus signalés par l'honorable M. Pirson, abus qui font toutes la base de son argumentation, mais dont je ne reconnais pas le fondement, le remède ne serait pas la conservation des commissions militaires, mais dans une organisation plus forte et plus complète des conseils des députations. Cette pensée m'a conduit à demander que les médecins militaires fussent en nombre égal avec celui des médecins civils. Ce premier pas vers une amélioration est un gage et une assurance que la visite, l'expertise de l'aptitude des hommes appelés au service se fera autant dans l'intérêt de l'armée que dans celui des citoyens. L'adjonction de médecins de l'armée aux délibérations des députations est pourtant peut-être encore insuffisante.

A ce point de vue, j'appuie une opinion émise par l'honorable M. Lejeune, qui voudrait que dans cette matière on adjoignît un officier général ou un officier supérieur, qui aurait voix délibérative au conseil de la députation.

En France le conseil de révision est composé de 5 membres, du préfet, d'un conseiller de préfecture et de plus d'un officier général ou supérieur. Je crois qu'avec une composition semblable, modifiée d'après nos institutions, l'armée aurait toute garantie qu'on ne recevrait que des hommes très propres au service militaire. En France ce conseil de ré vision décide définitivement ; l'armée française est belle et bonne. Nous ne devons pas avoir la prétention d'en avoir une meilleure. Constituons un bon conseil de révision, en introduisant les modifications que je viens de signaler, et nous atteindrons le but désiré, celui prescrit par les lois, le droit des citoyens et les intérêts de l'armée.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, hier l'honorable M. Lejeune m'a adressé des observations sur ce qu'ayant proposé, par l'article 6 de la loi, l'adjonction de deux médecins militaires au lieu d'un à la commission chargée d'examiner les remplaçants, je n'ai pas songé à (page 1190) proposer celle d'un officier supérieur de l'armée. Si je ne l’ai pas fait, c'est que j'avais l'espoir que ma proposition avait quelque chance de succès. Si j'avais pu prévoir qu'elle ne serait pas acceptée, j'aurais cherché à faire figurer l'élément militaire dans les commissions qui doivent décider sans appel. On veut donnera la députation le droit de juger sans appel.

A cette occasion, l'honorable. M. de Garcia a rappelé qu'en France il y a une commission qui juge en dernier ressort, c'est le conseil de révision. L'honorable membre a fait remarquer que dans ce conseil de révision l'élément militaire est représenté, non seulement par un officier général ou supérieur, mais encore par un sous-intendant militaire. L'on me dira que l'élément militaire sera suffisamment représenté par les deux médecins militaires que j'ai demandé de figurer parmi les membres de la députation. Je répondrai qu'ils représentent uniquement l'élément scientifique en présence de deux médecins civils ; mais les intérêts purement militaires ne seront pas représentés, puisque les médecins n'ont pas voix dans le conseil.

Je serais donc satisfait, si ma proposition n'était pas adoptée, qu'on voulût adjoindre à la députation permanente des membres de l'armée.

Hier l'honorable M. Orban disait qu'il ne voulait pas être soumis à l'arbitraire des commissions militaires. Je ne dirai pas qu'il y a de l'arbitraire de la part des députations permanentes ; niais il faut que chacun soit représenté, ait des garanties, et je demande que l'on fasse ici, comme en France.

M. Orban. - Il paraît que nous sommes à peu près d'accord.

M. le ministre de la guerre a compris, malgré les observations de l'honorable M. Pirson, qu'on ne peut admettre le renvoi à une commission militaire qui prononcerait sur les décisions de la députation permanente.

Je pourrai donc me dispenser de répondre aux critiques de l'honorable membre.

Du reste, cet honorable membre, en critiquant les décisions des députations permanentes qui, d'après ce qu'il a supposé, pourraient admettre des remplaçants qui ne seraient pas, à tons égards, propres au service militaire, a oublié que les députations permanentes n'agiront plus qu'à l'intervention des médecins militaires. Par conséquent, ses critiques tombent d'aplomb sur les médecins militaires qui participeraient à ces décisions.

L'honorable M. Pirson, en proclamant bien haut le défaut d'aptitude des députations permanentes en ces matières, a oublié aussi que ce sont les corps légalement constitués pour examiner tout ce qui concerne les miliciens. Or, les miliciens sont la règle générale ; les remplaçants ne sont que l'exception. Si donc la députation est apte à juger les miliciens qui sont appelés au service, comme miliciens, elle est également apte à juger ceux qui se présentent pour servir comme remplaçants.

Je considère donc cette question comme définitivement résolue.

Maintenant, puisque nous allons investir une bonne fois la députation permanente d'un pouvoir qu'elle a toujours eu d'après les lois, mais dont on l'avait dépouillée dans la pratique, je suis disposé à adopter, non seulement la proposition de M. le ministre de la guerre de faire assister la députation de deux médecins militaires, au lieu d'un, lorsqu'il s'agira de statuer sur des réclamations ayant pour objet l'exemption du service militaire ; mais je consentirais même à ce qu'indépendamment de ces deux médecins un officier supérieur fût adjoint à la députation, avec voix délibérative. On satisferait ainsi à un besoin que je n'ai jamais hésité à reconnaître ; car il est bien vrai qu'au fond il y a chez les députations une certaine disposition à montrer plus d'indulgence, plus de facilité pour l'admission des remplaçants que peut-être ne le comporteraient les exigences du service militaire. Sous ce rapport, il convient qu'un membre de l'armée, connaissant mieux ces besoins, soit adjoint à la députation.

En cela vous ne ferez qu'appliquer, du reste, un principe qui l'est déjà dans un cas analogue ; en effet, les conseils de milice sont eux-mêmes assistés d'un officier de l'armée. A plus forte raison, le conseil qui décide en dernier ressort, et doit offrir plus de garantie sous le rapport des connaissances, doit-il compter dans son sein un officier supérieur.

On fera disparaître cette anomalie, en adoptant la proposition suggérée par l'honorable M. Lejeune, et que M. le ministre de la guerre est disposé à faire sienne.

Il va de soi que cet officier supérieur participerait aux délibérations de la députation, non seulement lorsqu'il y aurait lieu de prononcer sur l'admission des remplaçants, mais encore lorsqu'il s'agirait de l'admission des miliciens, enfin lorsqu'il s'agirait d'une réclamation quelconque ayant pour objet l'exemption du service militaire.

M. Veydt. - Fondée sur des motifs de santé, ou sur des vices corporels.

M. Orban. - Assurément, c'est ainsi que je l'entends.

M. le président. - J'engage l'honorable membre à rédiger son amendement.

M. Orban. - On pourrait adopter le principe, sauf rédaction.

M. de Garcia. - Nous sommes, je crois, d'accord. D'après le signe d'assentiment que je viens de voir faire à M. le ministre de la guerre, je crois qu'il reconnaît que la disposition proposée lui donne toutes garanties que les miliciens et les remplaçants auront les qualités nécessaires pour faire de bons soldats.

M. le ministre de la guerre a parlé de ce qui existe en France. Là un sous-intendant militaire assiste à la séance du conseil de révision ; mais il n'y a pas voix délibérative ; il n'a que voix consultative. Sa mission essentielle est de veiller à ce que les décisions du conseil de révision soient conformes aux dispositions législatives ; il a le droit de se pourvoir contre ces décisions, lorsqu'il les croit rendues en violation des lois. Ce système est logique. En effet, il est difficile de concevoir qu'on confère ce droit au préfet (erratum, p. 1233) ou au gouverneur, qui a voix délibérative et qui par cela même devrait parfois se pourvoir contre une décision qui aurait reçu son approbation.

M. Lebeau. - Pourquoi pas ?

M. de Garcia. - Parce que comme je viens de le dire, si un gouverneur vole pour une décision prise en violation de la loi, l'on ne peut raisonnablement pas supposer qu'il se pourvoira contre cette décision, On a senti cet inconvénient en France. C'est pour cela qu'on a donné le droit de pourvoi au sous-intendant militaire qui n'a que voix consultative, et qui en réalité n'assiste à ces opérations que comme commissaire du gouvernement.

J'ai cru devoir citer cette particularité de la législation française, parce qu'elle se rattache à la procédure à établir dans le cas de pourvoi au Roi ou en cassation aux termes des propositions présentées par les honorables MM. Lebeau et Nothomb.

Je crois que cette observation mérite l'attention de la commission chargée de l'examen de ces propositions, et je la recommande à son attention.

M. Veydt. - Messieurs, les discours des deux orateurs que nous venons d'entendre ont rendu la discussion plus précise qu'elle ne l'était d'abord. Il est, en effet, nécessaire de faire des distinctions. Dans l'article dont nous nous occupons, il y a un grand nombre de cas de révision dans lesquels l'intervention de l'autorité militaire ne me paraît pas admissible.

En ce qui concerne les remplaçants, je puis concevoir que d'honorables membres insistent pour faire adjoindre à la députation permanente un officier supérieur afin de participer activement aux délibérations sur les réclamations dont elle a à connaître.

Mais, messieurs, si la chambre admet l'introduction d'un officier supérieur au sein d'une députation permanente, il est nécessaire de restreindre cette admission aux cas qui concernent les examens ou révisions des remplaçants et des miliciens renvoyés par l'autorité militaire, comme n'étant pas physiquement aptes au service. Il faut alors modifier l'article, car il est très général dans sa rédaction ainsi conçue : « Lorsque la députation permanente du conseil provincial sera appelée à examiner, soit des miliciens, soit des remplaçants, que l'autorité militaire juge impropres au service, ou toute autre réclamation ayant pour objet l'exemption de ce service, etc. » Ces derniers mots embrassent une infinité de causes d'exemption qui se rapportent à la position de famille des miliciens et qui ne peuvent jamais être de la compétence de l'autorité militaire.

M. Lebeau. - Il faut ajouter : pour défaut corporel.

M. Veydt. - C'est ce que j'allais proposer. Il faut dire : « Ou toute autre réclamation motivée par des maladies ou des défauts corporels », et restreindre la disposition de l'article à ces sortes de cas.

M. Orban. - Voici la rédaction que je propose : « Lorsque la députation permanente du conseil provincial sera appelée à examiner, soit des miliciens, soit des remplaçants que l'autorité militaire juge impropres au service, ou toute autre réclamation ayant pour objet l'exemption du ce service, motivée sur des maladies ou des défauts corporels, elle sera assistée d'un officier supérieur de l'armée à désigner par le ministre de la guerre, qui aura voix délibérative, et indépendamment d'un médecin et d'un chirurgien civil, ou de deux docteurs en médecine, par deux médecins de régiment ou de garnison à désigner par le département de la guerre. »

M. Veydt. - Cette rédaction me paraît bonne, sauf cependant la dernière partie, portant : « par deux médecins de régiment ou de garnison, à désigner par le département de la guerre. »

La désignation par l'autorité militaire pourrait offrir des inconvénients. Les médecins et chirurgiens civils sont désignés par le sort, le jour même de la séance de la députation ou la veille au soir. Cette précaution a été prise par la loi, afin que les intéressés ne puissent aller les trouver et tâcher de les rendre favorables à leur cause. Je demande, messieurs, que si aux deux médecins civils l'on adjoint deux médecins militaires, ceux-ci soient également désignés par le sort, et cela pour le même motif de garantie. Toutefois, si un officier supérieur est admis à siéger avec voix délibérative dans la députation pour les cas spéciaux qui ont été indiqués, il suffirait, je pense, qu'un seul médecin militaire fût appelé à donner son avis.

Les députations permanentes des provinces, j'en ai eu la preuve pendant un grand nombre d'années, mettent dans leurs décisions la plus grande impartialité. Mais, tout en voulant donner à l'armée des hommes propres au service, elles doivent veiller à ce que de justes limites ne soient pas dépassées. Il ne faut jamais perdre de vue les conséquences de la réforme d'un milicien qui, si elle n'était pas parfaitement justifiée, deviendrait une injustice pour le milicien qui vient immédiatement après.

Cette question, comme vous le voyez, messieurs, doit être envisagée sous deux points de vue.

Je crois donc qu'il faut maintenir la balance entre l'autorité militaire et la députation permanente, gardienne des intérêts des familles, et qu'il suffirait d'admettre, avec l'officier supérieur ayant voix délibérative, un seul médecin militaire.

(page 1191) M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Je ne puis, messieurs, me rallier à la proposition de l'honorable M. Veydt. Cet honorable membre voudrait que le médecin militaire fût, comme le médecin civil, désigné par le sort. Or, cela n'est pas possible. Les médecins de l'armée appartiennent ou à des garnisons, ou à des corps mobiles, et on ne peut les déplacer sans nuire aux intérêts du service.

Si la disposition en discussion est admise, il est évident que le ministre de la guerre n'ira pas chercher à plaisir des officiers de santé de l'armée pour les désigner pour l'une ou l'autre commission ; il prendra les médecins qui se trouveront dans le chef-lieu de la province, afin d'éviter des frais de déplacement. Ils se renouvelleront du reste, car les garnisons changent assez fréquemment. Quant au nombre des médecins, je crois qu'il doit être maintenu conformément à la proposition qui vous a été faite, c'est-à-dire que les médecins militaires doivent être en égal nombre que les médecins civils. Je ne sais pourquoi, pour décider une question scientifique, une question médicale, il y aurait deux médecins civils et un seul médecin militaire. Evidemment la position de ce dernier pourrait être, dans de certains cas, extrêmement fâcheuse, et il devrait se soumettre quelquefois aux décisions d'une majorité placée à un point de vue différent que lui.

M. le président. - La parole est à M. Lebeau.

M. Lebeau. - J'y renonce. Je voulais modifier l'amendement dans le sens indiqué par l'honorable M. Orban.

M. le président. - La parole est à M. Orban.

M. Orban. - Je renonce à la parole. Je l'avais demandée pour faire la même observation que M. le ministre de la guerre, c'est-à-dire qu'il est impossible que les médecins militaires soient désignés par le sort, attendu que la plupart du temps il n'en existe que deux dans les chefs-lieux provinciaux.

M. Delfosse. - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. Orban paraît accueilli avec faveur. Je ferai cependant remarquer que l'on perd de vue que le gouvernement a déjà un représentant au sein de la députation.

Je ferai encore une autre observation ; c'est que la députation est constituée en nombre impair. On va la constituer en nombre pair pour les affaires de milice. Que fera-t-on en cas de partage de voix ? C'est là un point qu'il serait bon de prévoir.

M. Veydt. - J'appuie les considérations que vient de faire valoir l'honorable M. Delfosse.

Il y a déjà, comme vient de le dire cet honorable membre, le président de la députation qui est un délégué du gouvernement. On appelle encore à siéger avec lui un officier supérieur : il ne faut pas que toute l'influence passe désormais d'un seul côté. Les médecins sont là pour éclairer la députation ; les médecins civils peuvent certainement indiquer les cas de maladie ou de défauts corporels, aussi bien que les médecins militaires, et s'ils existent, ils y auront égard en émettant leur avis.

Puisque le sort ne peut le désigner, je proposerai, messieurs, de laisser désigner le médecin militaire par le président de la députation. Par les raisons qui précèdent, cette désignation n'enlèvera pas à l'autorité militaire la part d'influence que l'on tient à lui assurer.

M. de Roo, rapporteur. - Que les conseils généraux en France comme les conseils de milice en Belgique soient composés de divers éléments hétérogènes, je le conçois. Mais que vous introduisiez dans les députations permanentes l'élément militaire, que vous introduisiez dans les députations un officier supérieur ayant voix délibérative, c'est ce que je ne puis admettre, parce que cela me paraît contraire à nos institutions et même à la Constitution et à la loi électorale (article 95).

Du reste, si vous voulez introduire dans les conseils de révision un officier supérieur, alors il faut dire que les décisions seront prises, non par la députation permanente, mais par un conseil composé de la députation permanente et d'un officier supérieur de l'armée.

M. Pirson. - Je ne veux faire qu'une seule observation. Il me semble que l'honorable M. Veydt a perdre de vue que dans la députation il n'y aura que l'officier supérieur qui aura voix délibérative. Les médecins militaires n'auront que voix consultative. Par conséquent l'élément militaire ne prédominera jamais dans la députation.

M. Mercier. - Messieurs, la loi veut que ce soit le sort qui désigne les médecins civils, et cela une heure seulement avant la réunion de la députation. Je demande s’il est convenable que ce soit M. le ministre de la guerre qui désigne les officiers de santé. On a eu des motifs pour désirer que les médecins qui donnent leur avis devant la députation ne soient pas désignés trop longtemps à l'avance. Je pense que, par respect pour ces motifs, il vaudrait mieux charger de choisir les médecins militaires, les commandants des provinces qui résident toujours au chef-lieu et qui ne désigneraient aussi ces médecins qu’une ou deux heures avant la réunion de la députation.

M. d’Hoffschmidt. – Il me semble, messieurs, que nous établissons un luxe de précautions vis-à-vis des députations permanentes ; d'abord il ne s'agissait que d'un seul médecin militaire ; on est arrivé à en adjoindre un deuxième, et maintenant on veut introduire dans la députation un membre de l'armée qui aurait voix délibérative. C'est là une grande innovation, c'est une chose dont il n'existe aucun exemple jusqu'à présent. Cependant, messieurs, je ne m'oppose pas à cette modification ; mais il me semble qu'il est inutile d'avoir deux médecins militaires pour donner leur avis. Vous avez déjà trois docteurs, pourquoi en adjoindre un quatrième ? Il y aurait même à cela un inconvénient, et c'est l'observation de l'honorable M. Mercier qui m'a suggéré cette réflexion : c'est que dans certaines localités il n'y a que deux médecins militaires et que, dès lors, les mêmes médecins militaires seraient toujours appelés à assister la députation. Ainsi, l'inconvénient qui a été reconnu en ce qui concerne les médecins civils existerait pour les médecins militaires.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Si vous n'admettez qu'un seul médecin militaire, il faudrait également n'admettre qu'un seul médecin civil.

M. d’Hoffschmidt. - Je ne crois pas qu'il puisse y avoir lutte entre les médecins civils et le médecin militaire ; dans tous les cas, il me semble que c'est un véritable luxe d'avoir quatre docteurs.

M. de Garcia. - Je crois qu'il suffirait d'adjoindre à la députation deux médecins, un médecin militaire et un médecin civil. A ce point de vue, je n'ai voulu qu'une chose, éviter un conflit inégal et de nature à engendrer des rivalités. Si, comme vient de le dire l'honorable M. d'Hoffschmidt, il peut y avoir luxe de précautions à vouloir dans ces opérations deux médecins civils et deux médecins militaires, qu'on se borne à un médecin militaire et un médecin civil. C'est la proposition que j'avais faite dans la section centrale et que j'ai maintenant l'honneur de soumettre à la chambre.

L'honorable M. Mercier a parlé de l'inconvénient qu'il y aurait à ne pas désigner le médecin militaire par la voie du sort, en ce que ce médecin serait connu d'avance ; mais le département de la guerre pourrait prendre l’engagement de nommer le médecin militaire de telle manière qu'il ne serait connu qu'au moment, en quelque sorte, où il se présenterait au conseil. (Interruption.) Je ne conçois pas quelle difficulté il y aurait à faire la nomination de cette manière ; le département de la guerre peut faire la désignation avec autant de secret que le sort lui-même.

M. Veydt. - Dans l'opinion de l'honorable préopinant, le médecin civil serait encore désigné par le sort puisque cela résulte de la législation actuelle, et le médecin militaire serait choisi par le département de la guerre. Ce ne serait pas là un système d'égalité, comme je voudrais l'introduire dans une matière de cette importance. Je crois, messieurs, qu'il y a un fonctionnaire dans une position plus impartiale que ne l'est l'autorité militaire ; j'entends parler du président de la députation permanente. Je proposerai que les deux médecins soient désignés par lui. Ce fonctionnaire délibère avec des membres élus par le conseil provincial. N'y a-t-il pas plus de garantie ? (Interruption.) Ce n'est pas toujours le gouverneur qui préside ; très souvent c'est un membre de la députation qui y est délégué, toute l'année, pour les affaires de milice ; et ce serait alors ce membre, qui n'est pas le représentant du gouvernement, qui désignerait les médecins à appeler à la séance qu'il préside. Le sort vaut mieux sans doute ; mais s'il ne peut décider pour les deux, l'égalité que je cherche à maintenir m'a suggéré la proposition que je fais.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l'amendement de M. Orban, auquel M. le ministre de la guerre s'est rallié.

M. Orban. - Je me suis réservé de prendre la parole sur le dernier paragraphe, qui n'a pas été discuté.

M. le président. - La chambre entend-elle réserver la discussion du dernier paragraphe ?

Plusieurs membres. - Oui ! oui !

M. le président. - Voici la première partie de l'article telle que M. Orban propose de la rédiger :

« Lorsque la députation permanente du conseil provincial sera appelée à examiner soit des miliciens, soit des remplaçants que l'autorité militaire juge impropres au service, ou toute autre réclamation ayant pour objet l'exemption de ce service, motivée sur des maladies ou des défauts corporels... »

- Cette partie de l'article est adoptée.

M. le président. - L'article continuerait ainsi : « elle sera assistée d'un officier supérieur de l'armée, qui aura voix délibérative... »

- Cette partie est également adoptée.

M. le président. - Enfin on ajouterait, d'après la proposition de M. Veydt :

«... et d'un médecin civil et d'un médecin militaire, désignés par le président de la députation. »

M. Pirson. - Je demande qu'on vote d'abord sur l'amendement qui tend à faire désigner le médecin militaire par le département de la guerre.

M. le président. - Je mettrai d'abord aux voix les mots « et d'un médecin civil et d'un médecin militaire. » Ensuite nous voterons sur l'amendement de M. Veydt, d'après lequel ces médecins seraient désignés par le président de la députation.

- L'amendement de M. de Garcia, qui demande qu'on désigne un médecin militaire et un médecin civil, est mis aux voix et adopté.

M. le président. - M. Veydt propose que ces deux médecins soient désignés par le président de la députation permanente.

- Ce sous-amendement est mis aux voix et adopté.

Le paragraphe de l'article 6 (nouveau), ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.


« § 3. La décision de la députation permanente sera définitive, et ne sera, dans aucun cas, soumise à révision. »

- Adopté.


«§ 4. La présente disposition n'est pas applicable aux remplacements et aux substitutions prévus par l'article 129 de la loi du 8 janvier 1817. »

(page 1192) M. Orban. - Messieurs, je ne vois maintenant aucune raison pour maintenir le paragraphe additionnel proposé par la section centrale ; en tout cas, si on jugeait nécessaire de maintenir ce paragraphe, je démontrerais tout à l'heure qu'il serait essentiel de le modifier.

La disposition qui est présentée a pour objet de mettre dans une position exceptionnelle les remplaçants à fournir par les miliciens incorporés, et qui sont déjà en activité de service.

Le motif de cette restriction, c'est que lorsqu'un milicien est déjà au service, il est censé posséder une certaine aptitude, une certaine connaissance de l'état militaire, qui fait que la question de son remplacement n'est pas indifférente pour le bien du service. On conçoit dès lors que M. le ministre de la guerre ait des raisons qui le portent à conserver ce milicien sous les drapeaux, au lieu d'y admettre à sa place un remplaçant qui lui est encore inconnu ;on conçoit dès lors aussi que M. le ministre de la guerre refuse cette autorisation, ou bien qu'il demande à ce que le remplaçant réunisse certaines conditions que l'on n'exige par d'autres remplaçants.

Mais du moment que vous constituez la députation permanente siégeant comme conseil de révision de manière à satisfaire à toutes les exigences ; du moment où ce corps délibère à l'intervention de l'autorité militaire avec adjonction d'un médecin militaire chargé de donner son avis, je ne vois plus aucun motif pour qu'on ne renvoie pas toute espèce de remplaçants devant la députation permanente, ainsi composée, et dès lors le nouveau paragraphe proposé devient inutile.

Dans tous les cas, si l'on n'adoptait pas cette suppression, il serait nécessaire de modifier le paragraphe de manière à éviter la fausse interprétation que l'on donne depuis quelque temps à cette disposition de la loi de 1817.

Messieurs, il est évident que la restriction apportée à la faculté du remplacement, n'est relative qu'aux miliciens qui sont déjà sous les drapeaux, et qui, ainsi que je l'ai déjà dit, ayant déjà une certaine connaissance des exercices, de l'état militaire, ne peuvent pas être remplacés indifféremment par le premier venu.

Mais il faut restreindre l'autorisation à donner par M. le ministre de la guerre aux cas dont je viens de parler. Cependant qu'est-il arrivé ? L'appel des miliciens sous les drapeaux n'a lieu en réalité qu'après les deux années qui suivent le tirage.

Mais depuis quelque temps, indépendamment de cette incorporation réelle, de cet appel sous les drapeaux, l'on a créé une incorporation fictive en quelque sorte.

Cette incorporation, qui n'est autre chose que la remise du contingent, effectuée par le gouverneur civil entre les mains du gouverneur militaire, a lieu peu de jours après le tirage ; de manière que si vous considérez les miliciens de cette incorporation comme tombant sous l'application de l'article 129 de la loi de 1817, il en résulterait alors que tous les miliciens auraient besoin d'une autorisation pour se faire remplacer ; et que par conséquent, M. le ministre de la guerre aurait le droit, pour tous les remplaçants, d'introduire un corps d'examen autre que la députation.

En effet, ce n'est que dans les 18 jours qui précèdent l'incorporation que les miliciens ont le temps de choisir un remplaçant. Ils seront donc obligés d'attendre une première incorporation et de recourir à l'autorisation de M. le ministre de la guerre. De ce qui précède, il résulte clairement ou bien qu'il faut retrancher purement et simplement le dernier paragraphe de l'article, ou que vous avez à le modifier dans les termes que je vais avoir l'honneur de proposer.

« La présente disposition n'est pas applicable aux miliciens ou aux substituants en activité de service qui auront besoin de l'autorisation spéciale prévue par l'article 129 de la loi du 8 janvier 1817. »

Je ne fais qu'emprunter les termes de cette disposition de la loi et les reproduire dans l'amendement.

Ainsi je propose la suppression du paragraphe, et subsidiairement la rédaction dont je viens de donner lecture à la chambre.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne m'oppose pas à la nouvelle rédaction proposée par l'honorable M. Orban, que je trouve préférable à la suppression du paragraphe. En effet, pour quel motif faire comparaître devant la députation un militaire en activité de service depuis plusieurs années et que ses chefs considèrent comme apte à continuer son service ? Ce paragraphe est en corrélation avec l'article 8.

M. Orban. - M. le ministre de l'intérieur est dans l'erreur. Son observation se rapporte à l'article 8 ; mais ici il s'agit de la manière de remplacer les miliciens qui sont au service ; l'observation de M. le ministre ne trouve pas ici son application.

M. de Roo. - L'intention de la section centrale n'était pas de rendre ce paragraphe applicable au cas où un remplaçant admis par le conseil est renvoyé par le commandant de la province devant la députation permanente, qui le juge impropre au service. Le remplacé dans ce cas n'a pas besoin de recourir à l'autorisation militaire pour présenter un deuxième remplaçant ; mais on devra procéder dans l'espèce, conformément à l'article 103 de la loi de 1817. j'ai dû donner cette explication pour faire connaître le sens donné à cette disposition par la section centrale.

M. Lebeau. - Je n'ai aucune objection sérieuse à faire à l'amendement de l'honorable M. Orban, auquel paraît adhérer M. le ministre de la guerre, qui l'a bien compris. La disposition est plus de la compétence de M. le ministre de la guerre que de M. le ministre de l'intérieur ; car il s'agit ici spécialement du service militaire. Aujourd'hui, on donne à l'article 129 de la loi du 8 janvier 1817 une interprétation extensive qui répugne au sens de la loi. Il suffit pour s'en convaincre de lire le texte de cet article, qui est ainsi conçu :

« Ceux qui auront été mis en activité de service ne pourront, à moins d'en avoir obtenu l'autorisation spéciale, se faire remplacer ou substituer. »

On a considéré comme mise en activité, l'incorporation sur le papier.

On est incorporé sans avoir quitté le foyer paternel.

Il faut pouvoir profiter du bénéfice des dispositions que la chambre vient de voter. Il doit en être autrement quand un milicien a été réellement incorporé. Je suppose qu'un milicien ait été incorporé dans les cuirassiers à cause de sa taille et de sa santé ou dans un régiment d'élite ; il doit offrir un remplaçant qui puisse le remplacer dans la spécialité pour laquelle il a été choisi. Il y a là une faveur spéciale ; cette faveur ne doit pas être accordée par le gouvernement au préjudice de l'armée.

Voilà le cas auquel il faut appliquer la disposition finale de l'article 6 modifiée, du consentement de M. le ministre de la guerre, je pense, par l'honorable M. Orban. Je ne pense pas qu'elle puisse rencontrer d'opposition.

- Le paragraphe final, proposé par M. Orban, est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Nous revenons au premier paragraphe.

- Ce paragraphe est mis aux voix et adopté.

L'ensemble de l'article 6 est également adopté.

M. Lebeau. - La chambre n'a pas perdu de vue qu'il y a un amendement présenté à l'article 7 par M. le ministre de l'intérieur.

M. le président. – Il y a un article additionnel présenté par M. d’Hoffschmidt.

« L'époque fixée pour la première session du conseil de milice, par l'article 125 de la loi du 8 janvier 1817, pourra être retardée par les gouverneurs. Lorsqu'ils useront de cette faculté, ils ajourneront au 1er mai la remise des volontaires et des miliciens désignés dans la première session. »

M. d’Hoffschmidt. - Je crois que la discussion de cet amendement devra venir après l'art. 8 ; je prendrai alors la parole pour donner quelques explications.

M. Nothomb. - Bien que nous venions d'adopter un article qui suppose encore l'existence du remplacement, je crois devoir soumettre à la chambre quelques observations tendant à faire ressortir les inconvénients que présente ce système, inconvénients qui expliquent la formation des associations pour le remplacement et qui constituent, d'après moi, les véritables chances de bénéfices pour ces entreprises. Un honorable préopinant a déjà senti ces inconvénients, puisqu'il a proposé hier un paragraphe qui aurait pour objet de faire cesser plus facilement la responsabilité qui incombe aux remplacés.

Je ne pense pas que M. le ministre de la guerre soit disposé à accepter ce paragraphe. Je pense que le gouvernement insistera pour qu'on maintienne les dispositions actuellement existantes, en ce qui concerne la responsabilité. Il faut bien nous rendre compte de la position du remplacé.

Tout n'est pas fait lorsque le remplacé est parvenu à trouver un homme qui est chargé de remplir pour lui les obligations de milicien ; le remplacé demeure responsable.

Je demande pardon à la chambre d'entrer dans ces détails. Mais il est bon d'avoir même les textes présents à la mémoire.

Il faut distinguer deux périodes : la première période de 18 mois et le terme qui suit l'expiration de ces 18 mois, terme qui est aujourd'hui de six ans et demi.

La loi du 27 avril 1820 (article 29) détermine de la manière suivante la responsabilité du remplacé :

« Art. 29. Si un remplaçant, admis après la promulgation de la présente loi, déserte pendant le temps qu'il est obligé de servir, ou s'il est congédié comme incapable de servir, soit pour cause de mauvaise conduite, soit pour des motifs existant avant son incorporation, le remplacé sera tenu de fournir un nouveau remplaçant ou de servir en personne ; dans ces cas, toutes les obligations, à charge du remplacé, résultant du contrat de remplacement, cessent à l'instant. »

Il résulte de cette disposition que le remplacé est responsable 1° dans le cas de désertion ; 2° dans le cas de condamnation ; 3° dans le cas de renvoi par suite d'infirmité dont la cause est antérieure à l'incorporation.

Il n'existe dans la loi aucun moyen pour se soustraire à la responsabilité inhérente à cette première période de 18 mois. Nous verrons tout à l'heure comment les entrepreneurs de remplacement ont atténué cette responsabilité. Je dis à dessein atténué, parce que nous verrons jusqu'à quel point elle subsiste, malgré les engagements pris par les assureurs.

La loi est moins rigoureuse pour la deuxième période, qui est aujourd'hui, comme je l'ai dit tout à l'heure, de six ans et demi. L'article 33 de la loi porte :

« Celui dont le remplaçant aura servi pendant 18 mois, le service de la réserve non compris, pourra être déchargé de toute responsabilité ultérieure, en versant une somme de fl. 150 dans la caisse du receveur général ou particulier le plus voisin. Dans ce cas, il sera pourvu au vide que pourrait laisser le remplaçant manquant au corps, par enrôlement volontaire. »

Ainsi, les dix-huit mois étant expirés, le remplacé peut se libérer de (page 1195) toute responsabilité ultérieure en versant dans la caisse de l'Etat la somme de 150 fl.

Voici maintenant la position qu'ont prise et qu'ont dû prendre les entrepreneurs de remplacement vis-à-vis des pères de famille. Ces entrepreneurs leur ont dit : Nous nous chargeons de la responsabilité, tant pendant la première période de dix-huit mois que pendant la deuxième. Nous vous demandons une double prime d'assurance en quelque sorte.

La prime d'assurance, d'après la loi, est de 150 fl. pour la deuxième période. La responsabilité, dit-on, pour la première période est telle que l'on peut demander, pour cette période, une somme à peu près égale. Le père de famille qui se trouve vis-à-vis d'un cas unique risque ou croit risquer beaucoup plus que l'entrepreneur qui opère sur un grand nombre de cas. Le risque, qui n'effraye pas l'association effraye un père de famille pris isolément.

Il y a donc deux manières de se faire remplacer. Se faire remplacer en continuant d'être responsable, pendant la première période et pendant la seconde ; et se faire remplacer en cessant d'être responsable et pendant la première période et pendant la seconde.

Il en résulte que les remplaçants sont dans deux positions différentes : soit que la responsabilité subsiste, soit qu'elle cesse, un remplaçant pour lequel je reste responsable me coûtera 800 fr. et même moins. Mais lorsqu'un intermédiaire vient se placer entre moi et le remplaçant, je suis tenu de payer cet intermédiaire, pour la responsabilité dont il se charge. Il résulte de là que le remplaçant, avec lequel j'aurais pu traiter directement en conservant toute la responsabilité, au lieu de me coûter 800 fr. pourra me coûter 14 ou 15 cents francs.

J'ai dit tout à l'heure qu'en se chargeant de la responsabilité pendant ; la première période on ne faisait qu'atténuer la responsabilité. En effet j si le remplaçant déserte dans la première période, il faut dans deux mois un nouveau remplaçant ;sinon il faut que le remplacé marche ; vis-à-vis de l'Etat, le remplacé reste toujours en cause ; il a son recours contre l'entrepreneur dont il a payé la garantie.

Vous voyez donc qu'on ne doit pas être indifférent sur le choix de l'intermédiaire pour la première période. Il faut que cet intermédiaire ait toujours des remplaçants à sa disposition, en quelque sorte, sous la main ; car si, dans le cas que je viens d'indiquer il n'en fournit pas un immédiatement, le remplacé sera obligé de servir de sa personne.

Vous voyez maintenant quelles sont les chances de bénéfice pour toute association qui entreprend le remplacement militaire. Elle gagne la prime d'assurance pendant la première période et pendant la seconde. Cette prime d'assurance peut être évaluée à 600 fr. Il en résulte que tout entrepreneur,, société ou particulier, qui se charge de remplacer, et qui fournit annuellement cent remplaçants, avec le double prix d'assurance, gagne cent fois 600 fr., ou 60 mille francs.

Est-il possible de faire cesser cet état de choses ? Est-il possible d'adopter, par exemple, l'amendement que vous a présenté hier l'honorable M. Lejeune, article d'après lequel tout remplacé pourrait, à l'avenir, se libérer, pendant la première période et pendant la seconde, en payant la somme de 300 francs ?

Je crois que l'honorable auteur de l'amendement s'est trompé ; cette somme de 300 fr. est même inférieure à celle qu'on doit payer aujourd'hui pour se libérer de la seconde période, et qui, d'après l'article 33 que j'ai lu tout à l'heure, est 150 fl. ou 317 fr. Pour être conséquent, il faudrait au moins stipuler que pour être déchargé de toute responsabilité, on devra payer une somme supérieure à celle qui est fixée aujourd'hui pour la deuxième période seule ; mais je crois que même avec cette modification, le gouvernement repousserait la proposition.

On aurait pu, messieurs, présenter un autre amendement ; c'est d'admettre la possibilité ou la faculté de se racheter de toute responsabilité seulement dans le cas prévu par l'article 8 nouveau, c'est-à-dire, que tout milicien qui aurait choisi pour remplaçant un militaire sous les drapeaux pourrait dans ce cas se rédimer de toute responsabilité.

Je crois encore que cette disposition serait repoussée par le gouvernement.

On créerait alors deux genres de remplaçants : les remplaçants pris dans l'armée et les remplaçants pris hors de l'armée. Pour les remplaçants pris hors de l'armée, il n'y aurait, comme par le passé, aucun moyen de se libérer de la responsabilité pour la première période ; on ne pourrait se libérer que pour la seconde période. Pour les remplaçants pris dans l'armée, on pourrait, d'après l'amendement que j'indique, moyennant une somme déterminée, se racheter pour la première et pour la seconde période.

Je ne connais pas les intentions de M. le ministre de la guerre ; mais je doute qu'il veuille se charger de toute la responsabilité inhérente au remplacement, même en n'appliquant la faculté nouvelle qu'au cas de l'article 8 additionnel.

Vous savez tous, messieurs, quels préjugés vrais ou faux s'attachent au remplacement. Le remplaçant ne jouit pas dans l'armée de la considération dont doivent jouir les militaires. Les remplaçants, quelle que soit leur conduite, sont toujours considérés comme des hommes qui se sont vendus. Je demande pardon pour cette expression très dure, mais je pense que tous ceux qui ont l'expérience de l'armée, trouveront qu'elle est malheureusement vraie.

Il faudrait, messieurs, qu'il n'y eût pas de remplaçants dans l'armée, et je crois qu'il y a un moyen assez simple d'arriver à ce résultat. (Interruption.)

Cette question, messieurs, est digne, très digne d'occuper tout homme politique, et je dirai tout citoyen d'un Etat libre. Ce n'est pas, comme le dit près de moi l'honorable M. de Tornaco, que j'aie l'intention de vous proposer le système prussien d'après lequel tout homme est soldat. Je regrette, messieurs, de ne pouvoir vous le proposer. C'est le système le plus digne d'une nation libre, et chose singulière, ce système n'est suivi par aucun des pays qui se disent libres par excellence. Mais, messieurs, ne demandons pas au pays des efforts extraordinaires. Nous pourrions être trompés dans notre attente. Demandons des choses plus simples.

Il a été publié, en France, plusieurs écrits, entre autres une brochure par un avocat de la cour royale de Paris, M. Joffrès. Je possède deux brochures publiées en France, et je pourrai les remettre à la bibliothèque.

Ce n'est pas un projet de loi que je viens présenter, c'est seulement une idée que je mets à l'étude, pour me servir d'une expression consacrée.

Je crois qu'on pourrait maintenir dans son ensemble la législation actuelle. Vous voyez que je me défie toujours des révisions générales.

J'ai rédigé un projet de loi très court, qui s'emboîte, pour ainsi dire, dans la législation actuelle.

Voici, messieurs, en peu de mots ce projet de loi.

Je maintiens les inscriptions telles qu'elles se font maintenant.

Tout citoyen peut se libérer du tirage au sort. Pour cela, il verse une certaine somme à déterminer par le gouvernement, mais qui ne peut pas être inférieure à un minimum qui serait indiqué par la loi. Il faut verser cette somme pour être libéré du tirage, et ceux qui concourent au tirage sont tenus de marcher, s'ils sont désignés par le sort. Il n'y a plus de remplacement possible pour celui que le sort désigne.

Ainsi tout citoyen contribue au service militaire de deux manières : par le service personnel ou par le service contributif, expression adoptée par les auteurs des brochures que j'ai citées tout à l'heure.

Que fait-on de la contribution ainsi versée par ceux qui se libèrent du tirage au sort ? On en forme une dotation pour l'armée.

Il y aura un vide dans l'armée, parce que la plupart des personnes appartenant aux classes élevées de la société et qui se font remplacer aujourd'hui, se libéreront du tirage, en versant la contribution.

Cette dotation servira à améliorer et à honorer la carrière militaire ; ou plutôt on fera de la condition de soldat une carrière. Ce n'est pas une carrière aujourd'hui ; tant s'en faut ; c'est un sacrifice, c'est un malheur pour les familles.

Nous ouvrirons, à l'époque où manquent les carrières, une carrière nouvelle.

Le gouvernement remplira le vide de la manière suivante : tout homme qui consentira à être soldat 20 ans, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de 40 ans, aura une pension soit comme soldat, soit comme sous-officier. Il sera rendu à la société à une époque où il se trouve encore dans la force de l'âge, et il rentrera dans la société avec une pension qui assure sa position pour l'avenir.

Cette dotation servirait aussi à améliorer sous d'autres rapports la position de l'armée ; elle servirait, par exemple, à améliorer les casernes, les habitations des soldats, que vous n'améliorerez jamais, si vous restez dans le système purement communal.

Ainsi le mécanisme du système est très simple. Tout citoyen qui est arrivé à l'âge de la milice, peut se libérer du tirage au sort. Il verse à cet effet une certaine somme. Quiconque ne s'est pas ainsi rédimé et qui se trouve désigné par le sort, doit servir personnellement.

Les vides créés dans l'armée par ceux qui se sont rédimés par le service contributif, ces vides sont remplis par la possibilité que je crée de conserver sous les drapeaux pendant 20 ans tous les soldats qui voudront servir ce terme, et je les retiens par l'expectative de la pension.

Je ne veux pas, messieurs, donner lecture du projet de loi très court que j'ai rédigé, mais je le ferai insérer en note au Moniteur.

(Note du webmaster. Cette proposition, reprise aux pages 1193 et 1194 du Moniteur, n’est pas reprise dans la présente version numérisée.)

(page 1194) Je n'ai pas la prétention de croire qu'une semblable idée puisse être réalisée du jour au lendemain. Moi-même j'y ai longtemps pensé, et ce n'est qu'après des études, des réflexions, que je suis arrivé à croire que tôt ou tard ce système prendra place dans notre législation.

Ainsi ce projet de loi ne serait pas le remplacement par l'Etat, mais ce serait un projet de loi portant suppression du remplacement.

Je n'ignore pas qu'il y a des calculs statistiques à faire ; mais je n'hésite pas à croire que l'on maintiendrait sous les drapeaux assez de militaires pendant vingt ans, pour remplir les vides qui résulteraient de l'absence de ceux qui se sont rédimés du tirage. Du reste, dans les brochures que j'ai citées, des calculs détaillés ont été faits, et on pourra les examiner.

Je sais, messieurs, qu'on peut dire : « C'est là une utopie ; » mais toute idée nouvelle est une utopie, et je crois que celle-ci, si on veut l'examiner de près, se présente moins avec le caractère d'utopie qu'on n'a l'air de le croire au premier abord. (Interruption.) On. dit que ce sera très onéreux pour les grandes familles ; mais les cas d'exemption sont maintenus comme aujourd'hui : je ne touche pas à la législation ; une famille aura sept fils, elle ne sera pas forcée de donner ces sept fils à l'armée ; les mêmes cas d'exemption qui existent aujourd'hui subsisteront. (Interruption.) Cette famille aisée, dont parle l'honorable membre, dans quelle position est-elle aujourd'hui ? Elle doit laisser marcher ses fils ou bien les racheter par le remplacement.

Eh bien, l'obligation militaire et l'obligation personnelle sont les mêmes ; il y aura seulement cette différence que si, par exemple, la somme à verser pour être dispensé du tirage au sort est de mille francs, vous verserez cette somme autant de fois que le tirage au sort se présentera pour vos fils, bien entendu que si le fils ainé avait déjà rempli les obligations de la milice, soit en marchant en personne, soit par la contribution pécuniaire, le deuxième fils se trouverait exempté comme il l'est aujourd'hui. Tous ces cas d'exemption sont maintenus. Voici tout ce qui serait changé : aujourd'hui vous avez deux chances, ou plutôt le riche, il faut bien le dire, a deux chances ; le pauvre n'a pas deux chances, le riche a deux chances : il a d'abord le tirage au sort et il y a un proverbe qui dit : « Le bonheur est fait pour les heureux. » Maintenant si, contrairement à ce proverbe, c'est le fils du riche qui est désigné, le riche a une deuxième chance, c'est le rachat par le remplacement, et c'est la chance que n'a pas la famille qui ne se trouve pas dans une position aisée.

Eh bien, avec le projet de loi que je ne fais qu'esquisser vous arriveriez à un système plus juste, à un système d'égalité plus complète. Quiconque veut se racheter doit verser une certaine somme avant le tirage au sort ; s'il ne consent pas à ce sacrifice, le fils qui sera désigné, qu'il appartienne à la famille la plus élevée de la Belgique, ce fils marchera ; il n'y a plus pour lui possibilité de rachat.,

Je le répète, messieurs, mon intention n'est pas de présenter un projet de loi. Je ferai imprimer le projet de loi que j'ai rédigé, et je prie ; les honorables membres de cette chambre, qui ont bien voulu m'écouter, de réfléchir à ce système nouveau. Je les prie de lire les deux brochures que je ferai déposer à la bibliothèque ; je ne crois pas que ce soit une idée qu'il faille repousser.

En attendant nous resterons dans le système actuel, celui du remplacement et, quoi que vous fassiez, l'association militaire qui a soulevé tant de réclamations restera dans la même position à la suite du vote de l'article 8 nouveau. En votant cette disposition vous n'aurez rien fait pour faire cesser soit le monopole qu'elle exerce, dit-on, soit les bénéfices qu'elle fait ; les pères de famille continueront à payer une double prime d'assurance et l'association continuera à la gagner à peu près en entier, car les bénéfices de l'association consistent presque exclusivement dans la double prime d'assurance.

Elle dit aux pères de famille :

« Je vous fournis des remplaçants ; je vous les cautionne ; » les pères de famille ont une somme de... à payer, y compris la double prime d'assurance, et il se trouve que l'association a très rarement couru les risques. Il en est résulté qu'elle a gagné toute la prime d'assurance.

J'ignore si le gouvernement voudrait assumer la responsabilité dont se charge aujourd'hui l'association, En attendant, si vous restez dans le même système, et je crois que vous y resterez, les entreprises de remplacement continueront et doivent continuer ; les pères de famille même doivent le désirer, puisque ce n'est que dans ce cas qu'ils peuvent se racheter de la double responsabilité. Il y a même cette circonstance que plus la société qui se charge du remplacement sera puissante, plus elle offrira de garanties aux pères de famille.

M. Lebeau. - Puisque l'essor est donné à un ordre d'idées que l'honorable préopinant a qualifiées lui-même d'utopies, je prendrai la liberté d'émettre aussi quelques idées dont l'une surtout pourra, au premier abord, paraître également avoir plus ou moins ce caractère.

C'est une chose singulière, que le respect que l'on montre en général pour un fait, par cela seul que c'est un fait. Il suffit souvent qu'une idée fausse ait été convertie en fait et que ce fait soit déjà quelque peu ancien, pour que l'esprit soit à son égard dans une sorte de superstition qui empêche de demander à ce fait ce qu'il veut dire. De cette espèce, à mon avis, est la responsabilité de celui qui a fourni un remplaçant. Je le demande, du moment où l'on entoure le choix du remplaçant de toutes les (page 1195) garanties désirables, où l'on va même plus loin dans les exigences de la loi à l'égard des remplaçants qu'à l'égard des miliciens, pourquoi ceux-ci ne sont-ils pas libérés ipso facto dès qu'ils ont mis à la disposition de l'Etat un homme propre, souvent plus propre qu'eux-mêmes au service militaire ?

Ainsi qu'on le soutenait hier la loi à la main, on peut à la rigueur admettre des militaires plus ou moins chétifs, tandis que, pour les remplaçants, il faut pour ainsi dire des Adonis qui soient en même temps plus ou moins des Hercules comme on le dit derrière moi. (Interruption.)

Eh bien, cela ne suffit pas ; il ne suffit pas qu'un milicien de taille et de complexion ordinaire, qui aura été déclaré propre au service, malgré les réclamations souvent très pressantes de lui-même ou de sa famille, il ne suffit pas que cet homme ait fait accepter un remplaçant de haute stature et de complexion robuste, qui remplisse en un mot toutes les conditions désirables, souvent un ancien militaire, un de ces hommes d'élite, dont les chefs de corps sont très amateurs et tout disposés à mettre la main dessus ; il faut encore que le remplacé réponde de cet homme pendant 18 mois.

On m'a dit. mais je suis convaincu qu'on se trompe, tant la chose serait singulière, absurde, révoltante, que si dans les 18 mois, le milicien est lié par procuration, si le remplaçant est tué, il faut qu'il en soit fourni un autre ou que le milicien serve lui-même. Si son remplaçant meurt d'infirmités contractées dans le service avant les 18 mois, il faut que le milicien fournisse un second remplaçant.

Il y aurait quelque chose de bien plus singulier si cela était vrai, et je regrette d'avoir perdu de vue les innombrables dispositions de nos lois sur la milice, car il me paraît impossible que malgré leurs défectuosités, elles consacrent une absurdité aussi révoltante : la loi permet de se faire remplacer par son frère ; eh bien, si dans les 18 mois, le frère remplaçant était tué, il faudrait que le frère substitué servît à son tour.

Que le texte des lois en vigueur consacre ou non une si étrange anomalie, ce que j'ai peine à croire, tout au moins peut-il paraître étrange que l'on soit encore obligé de répondre d'un remplaçant, lorsque, comme cela se pratique habituellement aujourd'hui, ce remplaçant est un militaire, un homme sur lequel le gouvernement a la main. Mais le gouvernement n'est-il pas armé envers le remplaçant de tous les droits dont il est armé envers le milicien lui-même ?

Je crois que cette rigueur déployée envers les miliciens remplacés tirent à d'anciennes idées qui ont survécu à une époque où le remplacement était interdit.

En effet, il y a eu une époque où le remplacement était interdit ; c'était dans les premiers, dans les grands jours de la révolution française, à une époque où tous les dévouements se produisaient dans l'ordre militaire comme dans l'ordre civil. Mais on n'a pas pensé à comprendre, même sous la république, qu'on ne peut pas faire longtemps violence à des sentiments, à des mœurs qui sont, je dois le dire, l'état normal ; et si je ne me trompe, même avant l'empire et au plus tard sous le consulat, la faculté du remplacement a été introduite dans la législation ; et l'empereur, qu'on n'accusera certes pas d'avoir aisément fait prévaloir les intérêts de la société civile sur les intérêts de son armée, l'empereur lui-même n'a jamais songé à revenir, quant à l'idée du remplacement, aux traditions de la république.

Ainsi, la question du remplacement doit être jugée comme un fait impérieusement commandé par les mœurs de notre époque et ne pas être considérée comme une faveur. Dès lors il y a injustice, semble-t-il, à exiger plus de la part du remplaçant que de la part du remplacé, cette responsabilité est en certains cas très onéreuse ; je sais, par expérience personnelle, que des familles peu aisée ont été obligées de fournir jusqu'à trois remplaçants pour le même milicien.

Si donc, messieurs, on veut examiner les idées utiles et très praticables, quoiqu'il ne les ait pas qualifiées ainsi, de l'honorable M. Nothomb, je demanderai qu'on aille plus loin, qu'on aille jusqu'au principe de la responsabilité ; qu'on examine jusqu'à quel point ce principe peut et doit être conservé dans la législation actuelle.

En abondant jusqu'à un certain point dans les idées de l'honorable M. Nothomb, je me demande si, au moyen d'une contribution spéciale, basée sur le nombre des miliciens que chaque famille est appelée à fournir, on ne pourrait pas favoriser un peu plus qu'on ne le fait le recrutement, volontaire.

Il y a des pays où l'armée de terre, si la législation n'est pas changée, est complètement formée par le recrutement volontaire. Je pense qu'en Angleterre il en est ainsi ; je n'ai pas ouï dire que l'armée anglaise, que l'armée de terre fît plus défaut que d'autres, lorsque le moment de prouver son courage et sa discipline arrivait ; je ne crois pas que dans les dernières guerres, soit en Espagne ou en Portugal, soit même dans notre pays, l'armée anglaise se soit signalée par un défaut de courage, de discipline, de science.

Il y aurait donc à examiner, en méditant les idées mises en avant et par la section centrale et par l'honorable M. Nothomb, si on ne pourrait pas favoriser davantage le recrutement volontaire, et alléger ainsi les charges qui pèsent sur les communes et sur les familles, surtout sur les familles pauvres qui ne peuvent pas payer un remplaçant.

C'est déjà quelque chose qui ressemble beaucoup au recrutement volontaire que les opérations de la société pour le remplacement. Ce recrutement volontaire est aussi dans l'intérêt bien entendu de l'armée ; il tend à conserver sous les drapeaux d'anciens militaires, bien exercés, rompus aux manœuvres, connus des officiers et attachés à leurs chefs.

Je ne formule aucune proposition ; mais je pense que les idées qui ont surgi de toutes parts pourraient être utilisées pour une loi spéciale. Je ne suis pas tout à fait de l'avis de l'honorable M. Nothomb, quand il va jusqu'à dire que la loi actuelle ne remédiera nullement aux abus signalés dans des séances précédentes ; je crois, au contraire, qu'en rendant aux députations permanentes un pouvoir dont on les avait, selon moi, très injustement dépossédées, on aura amélioré la position des familles qui sont tenues de fournir des remplaçants.

Je n'en dirai pas davantage sur ce point ; je me borne à recommander l'idée que j'ai émise tout à l'heure à l'attention de ceux qui seront chargés d'élaborer un nouveau projet de loi.

M. de Corswarem. - Messieurs, en l'absence de mon honorable ami, M. Lejeune, que je regrette de ne pas voir sur son banc aujourd'hui, je crois devoir dire quelques mots pour défendre l'amendement de cet honorable membre contre les attaques auxquelles il a été en butte de la part de l'honorable M. Nothomb.

L'honorable M. Nothomb trouve que la somme de 300 francs, moyennant laquelle l'honorable M. Lejeune propose de pouvoir se libérer de toute responsabilité pour les deux périodes du service, un mois après l'incorporation du remplaçant est trop peu élevée.

Il est vrai, messieurs, que cette somme diffère énormément de celle stipulée par la loi de 1817, pour pouvoir racheter la responsabilité d'une période seulement. Mais, il me paraît que nous ne devons pas nous arrêter à ce qui a été décrété alors. Pour savoir ce que nous devons faire aujourd'hui, il me paraît que nous devrions faire une comparaison entre les circonstances dans lesquelles nous votons la loi actuelle et les circonstances dans lesquelles a été portée la loi du 8 janvier 1817.

Cette loi a été présentée aux états généraux et discutée par la deuxième chambre dans le courant de l'année 1816, ainsi, dans le courant de l'année qui a suivi la bataille de Waterloo qui a été la dernière des batailles gigantesques dont ont été parsemées la fin du siècle dernier et le commencement du siècle actuel. La loi de 1817 a été portée par le gouvernement des Pays-Bas qui pouvait faire la guerre presque suivant le bon plaisir du souverain, puisqu'à lui seul appartenait le droit de faire la paix et la guerre. La représentation nationale n'avait d'autre droit que celui de refuser les subsides.

Les soldats qui faisaient partie de l'armée des Pays-Bas pouvaient être appelés à combattre tant dans le pays qu'au dehors, taudis que nos soldats ne peuvent pas être appelés à combattre en dehors du territoire, la Belgique étant un pays neutre ; ils ne peuvent être appelés à combattre à la frontière que pour le cas où nous serions en butte à quelque agression injuste ; notre armée n'est donc instituée que pour garder nos frontières contre les agressions extérieures et pour maintenir l'ordre dans l'intérieur du pays. Elle est donc dans des conditions différentes de celles de l'armée des Pays-Bas. Les remplaçants étant exposés à moins de dangers aujourd'hui que sous le gouvernement des Pays-Bas, il n'en désertera pas aussi souvent qu'alors, car c'est en cas de guerre, en présence des dangers que les hommes qui ne servent que pour de l'argent abandonnent le plus souvent leur drapeau, sous lequel ils ne sont retenus ni par le patriotisme ni par l'amour du bien public.

Le danger que court le remplaçant étant moindre, la responsabilité qui pèse sur le remplacé est également moindre qu'elle ne l'était sous le gouvernement des Pays-Bas. Et par une conséquence naturelle la redevance au moyen de laquelle il peut se libérer de cette responsabilité doit également être diminuée.

L'honorable M. Lejeune propose de fixer à 300 fr. la somme au moyen de laquelle un remplacé pourrait racheter sa responsabilité entière, après un mois d'incorporation de son remplaçant. Trois remplacés fourniraient dans la caisse de l'Etat 900 fr.

Cette somme représente aujourd'hui le prix d'un remplaçant ; il y en a même qui ne s'élèvent pas à ce chiffre, mais on peut le prendre comme prix normal. Moyennant 900 fr., le gouvernement peut avoir un autre homme. Il est des circonstances où il pourrait perdre à cette opération, mais pour cela il faudrait que le tiers de tous les remplaçants désertât. Or, dans les circonstances les plus défavorables, jamais la désertion n'a été aussi forte parmi les remplaçants.

Ainsi, je crois que moyennant 300 fr., payés par le remplacé, le gouvernement peut, sans s'exposer à aucune perte, se charger de mettre d'autres remplaçants à la place de ceux qui abandonneraient les drapeaux.

L'honorable M. Nothomb lui-même a bien voulu convenir que l'association avait très rarement couru des risques. Si la société n'a pas couru de risques, le gouvernement n'en courra pas davantage. Si l'association a fait des bénéfices, je suis sûr qu'avec les 300 fr. le gouvernement aura un excédant ou du moins qu'il n'y perdra pas.

Par ces motifs, je voterai pour l'amendement de l'honorable M. Lejeune.

Je regrette que l'honorable M. Nothomb n'ait pas parlé plus tôt du projet qu'il a conçu au sujet des remplacements ; s'il eût été dans le pays au moment où le projet de loi sur la milice a été examiné en sections,, il aurait probablement communiqué ses idées aux sections, et la section centrale aurait pu les examiner, tandis qu'aujourd'hui nous ne pourrions peut-être nous prononcer sur leur mérite.

L'honorable membre a dit qu'il se proposait de faire imprimer et distribuer son projet ; je le prie de vouloir bien le déposer sur le bureau pour que la chambre le puisse faire imprimer comme document parlementaire. Elle en sera saisie d'une manière plus régulière que sil (page 1196) l'honorable membre le faisait imprimer pour son compte et distribuer à chacun des membres.

Comme son projet n'est pas en discussion, je n'entrerai pas dans son examen, surtout, qu'à la première exposition qu'il en a faite, il eût été difficile de le comprendre. Quant à moi, du moins, je crois ne l'avoir pas bien compris.

M. de Bonne. - Dans la discussion d'hier, un article a passé inaperçu sur lequel je voulais appeler l'attention de la chambre ; c'est l'article 5, qui est ainsi conçu : « Les réfractaires ne seront plus compris dans le contingent assigné à leur commune, ils seront incorporés pour un terme de huit années ».

Messieurs, cet article me semble susceptible de division, non pas que je veuille y revenir puisqu'il a passé hier sans contestation.

M. le président. - Cet article a été adopté hier, on ne peut pas le remettre en discussion.

M. de Bonne. - Je le sais, mais M. Nothomb ayant indiqué un nouveau système, j'avais cru pouvoir présenter quelques observations sur l'article 5, bien qu'il fût adopté parce qu'elles me paraissaient pouvoir rentrer dans ce nouveau système.

Il y a deux sortes de réfractaires, celui qui ne s'est pas fait inscrire et celui qui, étant inscrit, a fui quand il a été appelé par le sort.

Quand le premier est découvert, il est incorporé ; il est puni de ne s'être pas fait inscrire ; mais le second, en fuyant, en fait marcher un autre.

A cette occasion je voulais faire remarquer combien il est pénible, injuste que par la négligence du gouvernement un milicien prenne la fuite et que le numéro qui n'aurait pas dû marcher doive marcher pour le remplacer.

Puisque l'honorable Nothomb a proposé un système nouveau, je pense qu'il conviendrait d'y ajouter une disposition concernant les réfractaires, lesquels devraient être condamnés à une amende ; en effet, à 35 ans, ils sont libérés du service ; mais une absence de 15 ans ne devrait pas les libérer entièrement ; il peut d'ailleurs, pendant ces 15 ans, leur échoir des successions, une fortune dont ils jouiraient à leur tour.

Il serait plus convenable, plus juste de comminer une amende, qui s'augmenterait en raison de l'absence. Le montant de l'amende serait donné à celui qui aurait dû marcher pour le réfractaire ou serait versé dans la caisse spéciale dont l'honorable M. Nothomb propose la création.

On pourrait, au deuxième vote, formuler un amendement en ce sens.

M. le président. - Non, puisque l'article 5 a été adopté sans amendement ; mais l'honorable membre pourrait proposer un article additionnel.

M. de Bonne. - Soit !

M. le président. - M. Orban propose de sous-amender l'amendement de M. Lejeune, en y ajoutant un paragraphe ainsi conçu :

« Le milicien ainsi remplacé pourra se libérer de toute responsabilité, tant pour la première période de 18 mois que pour la seconde, en versant la somme fixée par l'article 33 de la loi du 27 avril 1820. »

M. Orban. - L'honorable M. Nothomb vous a exposé tout à l'heure la théorie de la responsabilité en matière de remplacement. Il vous a fait connaître comment le gouvernement ne pouvait accepter la responsabilité pendant la période tout entière, nonobstant les sacrifies que peut faire le milicien. Je crois, malgré ces observations, qu'il convient, comme le propose l'honorable M. Lejeune, d'admettre que le gouvernaient accepte toute la responsabilité, pendant toute la période du remplacement.

Mais je pense que cette proposition devrait être restreinte aux remplaçants d'une certaine catégorie, c'est-à-dire aux remplaçants qui ont terminé leur temps de service, et qui, immédiatement après, veulent servir comme remplaçants.

Je pense que cet amendement, parfaitement rationnel, ne peut rencontrer d'objections sérieuses.

Déjà, d'après la loi sur la milice, le gouvernement décharge les miliciens de toute responsabilité après dix-huit mois, moyennant le versement de 150 fl. dans les caisses de l'Etat. Pourquoi n'accepte-t-il pas cette responsabilité pour la première période de dix-huit mois ? Parce qu'il s'agit de remplaçants que le gouvernement ne connaît pas, qui ne lui offrent aucune garantie. Après dix-huit mois, il connaît le remplaçant ; il a eu le temps nécessaire pour se façonner au service ; il peut accepter la responsabilité moyennant le versement de 150 fl.

Les remplaçants de la catégorie indiquée à l'article 8 n'ont pas servi seulement dix-huit mois ; mais ils ont terminé leur temps de service. Vous avez donc affaire à des remplaçants qui offrent toute espèce de garantie. Il n'est donc pas nécessaire de maintenir le terme de dix-huit mois, pendant lequel la responsabilité ne court pas.

Il n'y a aucun inconvénient à décider que pour cette catégorie de remplaçants le remplacé sera libéré de toute responsabilité, tant pour la première période de 18 mois que pour la seconde, en versant la somme fixée par l'article 33 de la loi du 27 avril 1820.

Je dis qu'évidemment il ne peut y avoir aucun inconvénient. Ce n'est qu'une application un peu plus large d'un principe existant déjà dans la loi. Cette extension est motivée sur les motifs mêmes qui ont fait admettre le principe, à savoir, sur la sûreté offerte au gouvernement par les remplaçants.

La somme versée suffit-elle pour les deux périodes ? Voilà évidemment toute la question à examiner. Je dis que cette somme est tout à fait suffisante, et qu'elle est tout à fait proportionnée aux risques que vous avez à courir.

Remarquez que la somme de 317 fr. stipulée par la loi, s'applique à six ans et demi de service. Si je propose de l'appliquer à 18 mois de service de plus, c'est seulement en ce qui concerne des remplaçants d'une catégorie toute particulière, qui sont connus du gouvernement, qui sont désignés par lui comme de bous soldats attachés au service militaire. La même somme suffit évidemment pour payer, dans ce cas, la responsabilité pendant les deux périodes de 18 mois et de 6 ans et demi.

Nous avons, du reste, un terme de comparaison qui peut servir à nous éclairer.

La société pour l'encouragement du service militaire demande la même somme pour la responsabilité pendant la période de 18 mois et pendant la période de six ans et demi ; mais elle se procure de cette manière d'énormes bénéfices. La preuve qu'il en est ainsi, c'est qu'elle a diminué de 300 fr. la garantie qu'elle demandait aux remplacés. Ainsi, en se réservant un honnête bénéfice, elle a pu réduire de 300 fr. le chiffre de la responsabilité pour la durée entière du service. Le gouvernement peut évidemment agir de même, lui qui n'a pas de bénéfices à se ménager.

Je crois de cette manière avoir démontré que le principe que je veux établir dans mon amendement, n'est que l'extension d'un principe déjà posé dans la loi, et que, d'un autre cote, le chiffre est parfaitement proportionné à celui qui est fixé dans la loi.

Je dois encore indiquer un autre avantage de la proposition que j'ai l'honneur de faire.

Par une des dispositions introduites par la section centrale, les remplaçants dits militaires, c'est-à-dire ceux qui auront accompli leur temps de service, seront mis à la disposition des particuliers qui pourront s'en servir sans recourir à l'intermédiaire de la société pour le remplacement militaire. Mais il est évident que, si vous ne déchargez pas de la responsabilité les personnes qui veulent se servir de ces remplaçants, comme vous l'a dit l'honorable M. Nothomb, il y aura toujours un motif de recourir à la société du remplacement qui, elle, accepte cette responsabilité.

Mais si le gouvernement accepte lui-même ce rôle à des conditions modérées, voici ce qui arrivera : c'est que cette catégorie de remplaçants sera extraordinairement recherchée. Qu'en résultera-t-il, messieurs ? C'est -que la prime qu'on donnera à ces remplaçants pour les obtenir, sera beaucoup plus élevée ; et de cette manière vous procurerez un immense avantage aux militaires que vous voulez conserver sous les armes.

Je pense que, sous ces différents rapports, vous devez accueillir avec faveur l'amendement que j'ai l'honneur de vous proposer et contre lequel aucune objection raisonnable n'est possible.

M. le président. - Voici l'amendement :

« Le milicien ainsi remplacé pourra se libérer de toute responsabilité tant pour la première période de 18 mois, que pour la seconde, en versant la somme fixée par l'article 33 de la loi du 20 avril 1817 ».

M. Pirson. - Messieurs, j'ai demandé la parole, lorsque j'ai entendu l'honorable M. Nothomb entretenir la chambre d'un système de recrutement par lequel chaque citoyen pourrait se libérer du service militaire moyennant une certaine somme à verser dans les caisses de l'Etat. Mon intention, messieurs, n'est pas de répondre aux divers orateurs qui ont continué le débat depuis que l'honorable M. Nothomb a parlé, parce qu'ayant été appelé hors de cette enceinte, je n'ai pas entendu les observations qui ont été présentées.

Mais je crois ne pouvoir laisser passer, sans y répondre, le fait avancé par l'honorable M. Lebeau, probablement par erreur, que le remplace serait responsable du remplaçant mort ou tué à l'armée. Je crois, messieurs, que cela n'est pas exact. Je crois que depuis 1830 les remplacés ne sont plus responsables des remplaçants morts ou tués à l'armée. Dans le doute j'étais allé consulter un honorable membre de cette assemblée, l'honorable M. Brabant, qui à juste titre possède depuis longtemps toute votre confiance pour les questions militaires ; mais lui-même n'a pu me répondre d'une manière positive.

M. Lebeau. - J'ai parlé de la loi principe, de la loi de 1817.

M. Pirson. - Je crois d'autant plus inexact le fait cité par l'honorable M. Lebeau, que ce fait, s'il existait, serait contraire à l'esprit même des lois romaines, qui disent que ceux qui sont morts ou ont été tués pour le service de la patrie, sont censés vivre pour l'honneur, pour le gloire de la patrie. Hi (enim) qui pro republica ceciderunt, in perpetuum per gloriam vivere intelliguntur.

J'en reviendrai au motif qui m'a fait prendre la parole. Il est possible que le système dont l'honorable M. Nothomb a entretenu la chambre renferme de bonnes choses. Je désire que le gouvernement le fasse étudier sérieusement et je le convie à le faire.

Messieurs, je crois cependant que ce système pourrait donner lieu à de très graves inconvénients, et c'est pourquoi, avant de trop le préconiser, il y a lieu d'en faire une étude réfléchie.

Je dis, messieurs, que ce système pourrait donner lieu à de très graves inconvénients. Et en effet, serait-il bien convenable, serait-il bien conforme à l'esprit de nos institutions, à l'esprit qui doit régner dans l'armée d'un pays régi par un gouvernement constitutionnel, de créer en quelque sorte pour les sous-officiers et les soldats une carrière, basée sur l'appât de l'argent, d'agrandir et de généraliser la plaie du remplacement ? Car bien que l'honorable M. Nothomb proteste par un signe de tête contre cette expression, son système n'est qu'un remplacement en (page 1197) grand. Ce système n'aurait-il pas pour effet de réduire le nombre engagés volontaires et d'introduire dans l'armée l'esprit spéculateur des engagés volontaires et d’introduire dans l’armée l’esprit spéculateur ?

L'honorable M. Nothomb me fait un signe de dénégation. Cependant je lui demanderai si son système n'est pas celui-ci : que chacun serait libre d'opter entre le service militaire personnel et le service militaire pécuniaire ou contributif ainsi qu'on l'a appelé, et si par conséquent chaque citoyen, possédant quelque fortune, ne serait pas libre de remplacer sa personne par une partie de sa fortune.

Eh bien, messieurs, je crois qu'un pareil système pourrait donner lieu à des inconvénients graves, qu'il pourrait même être très dangereux au point de vue de nos institutions, au point de vue de l'esprit militaire, et des sentiments d'honneur et de patriotisme qui doivent régner dans notre armée ; esprit militaire, sentiments d'honneur et de patriotisme qu'il faut plutôt fortifier qu'affaiblir.

Il ne faut pas perdre de vue non plus que dans le cas d'une conflagration générale, que dans le cas d'une guerre entre ses voisins, le rôle de la Belgique doit être de se tenir sur la défensive et non de prendre l'offensive. Eh bien ! je le demanderai, est-ce que ce système nous serait bien favorable ? est-ce que, par ce système, nous n'en reviendrions pas au principe des armées mercenaires, sans racines dans le pays, étrangères aux passions nationales, si nécessaires pour procurer à la défense toute son énergie ?

Avec un pareil système vous aurez 10,000, 20,000, 30,000, 40,000 remplaçants volontaires, soit. Mais le reste de la nation n'aura pas été appelé sous les drapeaux, ne saura pas manier le mousquet, et quand, après quelques combats, votre armée se trouvera réduite, décimée, anéantie peut-être, comment la remplacerez-vous ? Vous n'aurez pas un seul soldat exercé à appeler sous les armes. Veuillez y réfléchir, messieurs, un pareil système est-il bien celui qui nous convienne ? Ce système est-il le plus propre à assurer énergiquement, au besoin, la défense de nos droits, de nos institutions, de nos libertés ?

En Belgique, où règne le besoin, le sentiment de l'indépendance porté à un si haut degré, le système de l'honorable M. Nothomb n'aurait-il pas encore pour effet d'éloigner de l'armée un nombre plus considérable de citoyens plus ou moins dans l'aisance jouissant d'une certaine position sociale, et d'y attirer quoi ? un plus grand nombre d'individus réduits par la misère ou par la débauche à spéculer sur la prime du recrutement ou plutôt du remplacement ; des fainéants, des paresseux, séduits par l'apparence d'une vie oisive ? Je dis par l'apparence car je sais par expérience que la vie militaire n'est nullement oisive. En définitive, ce système ne se résumerait-il pas toujours par la lutte du riche contre le pauvre et, en cas de guerre, serait-il encore possible, et où vous conduirait-il ?

En France, messieurs, il y a quelques années, quand ont paru les brochures dont l’honorable M. Nothomb nous a entretenus, il a été aussi question de ce système à la chambre des députés. Mais en 1843, il fut rejeté par la commission chargée de l'examen du nouveau projet de loi sur le recrutement, et dans la discussion, il n'en fut même pas question.

Voici en quels termes s'expliquait à ce sujet M. Vivien, rapporteur de cette commission :

« Votre commission n'a pas cru qu'il convînt de changer le système de la loi de 1832 : il lui a paru suffisant de l'améliorer, en y introduisant les réformes et les modifications que l'expérience indiquait. Elle se serait refusée à faire du remplacement une institution publique, remise au gouvernement et confiée à sa gestion ; elle aurait craint d'en changer le caractère, d'altérer la composition de l'armée, de substituer le principe à la règle du patriotisme et de devoir public qui en est la base. »

Eh bien, messieurs, la chambre tout entière a donné en quelque sorte son adhésion à cette manifestation. J'ai parcouru toute la discussion, et je n'ai pas vu qu'on ait présenté la moindre objection contre cette partie du rapport de la commission. (Interruption.)

Le système dont il est ici question est le même que celui dont a parlé l'honorable M. Nothomb.

Dans les pays régis par des gouvernements absolus, on commence à sentir le besoin de moraliser les armées. Ainsi, en Russie, les juifs ; en Turquie, les ratas, sont admis à servir dans l'armée et ne doivent plus payer le tribut pécuniaire qui les en exemptait. Par un singulier hasard, en lisant ce matin un journal, l'un des meilleurs de la capitale, l'Indépendance, on y rapportait que l'empereur des Russies venait de prendre un ukase, par lequel il rend les juifs aptes à devenir officiers. Je le répète, messieurs, serait-il bien convenable, serait-il bien conforme à l'esprit de nos institutions, de retourner, en ce qui concerne notre organisation militaire, aux principes absolutistes, abandonnés par les gouvernements absolus eux-mêmes ? De n'avoir plus qu'une armée composée pour la plus grande partie de condottieri ? D'admettre pour notre armée un système de recrutement qui pourrait y éteindre tout sentiment national, tout sentiment d'honneur et de patriotisme ? D'admettre un système où en définitive les prolétaires et les classes pauvres se trouveraient seuls assujettis à l'obligation du service militaire ? D'admettre un système qui semblerait nous faire revenir à la forme des institutions qu'une révolution longue et terrible a renversées ? D'admettre un système qui ferait revivre, après cinquante ans, l'époque où les vilains seuls supportaient la charge des corvées et de la milice ?

Je n'en dirai pas davantage ; je ne veux pas me prononcer pour le moment sur toutes ces questions que moi-même je n'ai pas assez approfondies, n'ayant su qu'il y a deux jours que l'honorable M. Nothomb se proposait d'appeler l'attention de la chambre sur un nouveau système de recrutement. Il est possible que plusieurs de mes objections ne soient pas fondées. Mais, quand j'ai entendu un membre de cette assemblée, aussi considérable que l'honorable M. Nothomb, dire qu'il présentait ce système avec conviction après y avoir bien réfléchi, et qu'il aurait pour effet d'honorer la carrière militaire, j'ai cru qu'il était de mon devoir, quoique n'étant pas suffisamment préparé, d'exposer quelques-unes des objections qu'un pareil système soulève.

M. Nothomb. - Je regarde les observations que vient de présenter l'honorable préopinant, comme des réserves qu'il fait. J'aime à croire qu'il examinera, non pas le projet de loi que j'ai, dit-il, présenté, mais les considérations que j'ai cru devoir développer devant vous, qu'il les examinera sans préventions avec la plus grande impartialité d'esprit. Je dois seulement m'élever contre un reproche auquel j'étais loin de m'attendre. L'honorable membre a parlé d'un retour à l'absolutisme, d'un retour à l'ancien régime ; je ne pense pas que l'ancien régime nous offre un système qui ait quelque analogie que ce soit avec celui que j'ai indiqué. Les observations faites par l'honorable préopinant sont, à mes yeux, des suppositions qui, je pense, ne resteront pas dans son esprit lorsqu'il voudra examiner à fond la question. Il serait plutôt vrai de dire qu'aujourd'hui on fait de l'aristocratie.

L'honorable membre a parlé d'une armée composée de mercenaires où ne se trouvent que les classes inférieures de la société ; je demande si ce n'est pas malheureusement le caractère des armées modernes.

L'armée, messieurs, continuera, d'après le système que j'ai indiqué, continuera, en majeure partie, à se recruter dans les classes inférieures de la société, j'en conviens ; il en est ainsi aujourd'hui ; rien ne sera changé sous ce rapport ; mais le grand changement c'est que la condition de soldat deviendra une carrière. Elle n'est pas une carrière aujourd'hui. Il y aura dans l'armée deux genres de soldats : ceux qui, désignés par le sort, ne se sentent aucune vocation pour cet état et qui voudront, à l'expiration du terme légal, 8 ans aujourd'hui, rentrer dans leurs foyers ; la 2° classe de soldats, ceux qui, en vue de la pension promise dans ce système, consentiront à être soldats pendant 20 ans, cette deuxième classe de soldats formera le noyau de l'armée, et je pense que ce noyau n'encourra pas le reproche que l'honorable préopinant a cru devoir adresser à cette classe de soldats, par anticipation en quelque sorte. J'engage beaucoup l'honorable membre à examiner attentivement ce projet.

Je ne crois pas que le passage du rapport de M. Vivien, dont il a donné lecture, puisse s'appliquer au système que j'ai indiqué. Il s'agissait alors du remplacement par l'Etat d'après les lois existant actuellement. En un mot le ministère de la guerre se serait substitué aux sociétés de remplacement qui existent en France. C'est là ce qu'on a repoussé. Le système que j'ai indiqué n'a été en cause devant aucune des deux chambres en France.

M. Pirson. - Messieurs, je ne ferai qu'une objection à ce que vient de dire l'honorable M. Nothomb, c'est que je crois que l'on ne doit pas faire une carrière de ce qui ne doit être qu'une phase passagère de la vie, et qu'il pourrait être dangereux de créer une carrière pour les soldats, même pour les sous-officiers, comme soldats, comme sous-officiers. Tous ceux d'entre eux qui se destinent à la profession des armes doivent chercher à passer officiers, et là seulement doit commencer la véritable carrière militaire.

M. le président. - Voici l'article additionnel proposé par M. de Bonne ; s'il est adopté, il devra prendre place, au second vote, après l'article 5 :

« Indépendamment des peines établies par la loi actuelle contre les réfractaires, ils pourront être condamnés, à titre de dommages-intérêts, à payer aux miliciens appelés en leur lieu et place, la somme de 500 à 2,000 francs par chaque année d'absence. »

- L'amendement est appuyé.

M. de Bonne. - Je devais donner une somme quelconque ; je ne m'opposerai pas à ce qu'on la diminue.

M. Rogier. - Messieurs, il est bien regrettable qu'une loi de cette importance se discute devant une chambre qui ne semble pas préparée à ces débats.

Il s'agissait dans le principe de quelques articles proposés par le gouvernement ; ces articles se sont multipliés dans le sein de la section centrale ; depuis la discussion, de nombreux articles ont surgi, et d'autres encore surgiront probablement.

Indépendamment des articles du gouvernement et des propositions nouvelles, chacun de nous apporte ici le contingent de ses idées. Certainement je ne blâme pas, au contraire j'approuve ceux de mes honorables collègues qui apportent dans la discussion des idées formulées en projets.

Pour ma part, je voudrais aussi en soumettre quelques-unes. Mais ce que je regrette, c'est qu'alors que tant d'idées surgissent autour du ministère, le ministère semble verser dans un système tout contraire et vouloir briller dans la discussion par une absence complète d'idées : la discussion marche évidemment sans direction.

Il est très difficile de découvrir les véritables principes qui dûment le gouvernement. Ainsi, pour l'idée essentielle, fondamentale en quelque sorte, le système du remplacement, le gouvernement est-il favorable au remplacement ? C’est une question sur laquelle il faudrait d'abord être fixé.

(page 1198) Si le gouvernement est favorable au système de remplacement, il me paraît qu'il doit faire lui-même ou admettre toutes les propositions qui auront pour but de faciliter le remplacement : s'il croit, au contraire, que le système du remplacement est nuisible à la discipline, au bon esprit de l'armée, il doit combattre toutes les dispositions qui peuvent avoir pour objet de rendre l'application de ce système plus facile.

A cet égard le gouvernement ne semble pas fixé. Veut-il oui ou non continuer à la société actuelle pour le remplacement les facilités dont elle jouit maintenant ? Ou bien veut-il par des demi-mesures, par des moyens peu dignes en quelque sorte, entraver indirectement la société dans l'accomplissement de la mission qu'elle s'est attribuée ?

Sur ce point il faut savoir à quoi s'en tenir. Le général Buzen avait pris certaines mesures dans le but d'entraver les opérations de la société du remplacement à laquelle, il faut bien le dire, il était contraire. Eh bien, je crois que l'honorable général aurait mieux fait d'attaquer de front la société que de chercher à entraver ses opérations, en lui retirant certains avantages ou en frappant de défaveur les remplaçants qu'elle produisait.

Messieurs, à l'époque où cette société a été organisée, où elle a lancé dans le public ses statuts, en les entourant du genre de faste qu'on sait donner ordinairement à ce genre d'opérations ; à l'époque où cette société s'annonça comme devant être un bienfait pour l'armée, invoquant le patronage du Roi, promettant à l'armée un hôtel des invalides, il y a de cela bientôt dix ans, je ne craignis pas, malgré tout le prestige qui semblait entourer cette société, je ne craignis pas de l'attaquer directement dans cette enceinte ; je ne savais pas qu'elle pût rendre des services.

J'avais été témoin de la gêne, des charges de toute espèce, pécuniaires et morales, que le service militaire, tel qu'il est aujourd'hui organisé par la loi, impose à nombre de familles, surtout aux familles des campagnes qui ne sont pas en relations directes avec les agents qui s'occupent des remplacements. Eh bien, voyant une société qui venait en quelque sorte au secours de ces familles, ignorantes ou abandonnées, j'approuvai le but de la société.

Mais je disais en même temps que ce qu'une société, établie sons les auspices du Roi, favorisée par le concours de l'administration, appelant même à son aide divers fonctionnaires publics ; que ce qu'une société semblable faisait, le gouvernement pouvait le faire directement.

Et en effet, le gouvernement prêtait à la société son concours administratif dans le sens le plus étendu et le plus absolu ; les bureaux, les administrations, les fonctionnaires, les médecins, les quartiers-maîtres, tout cela était mis à la disposition de la société, et le gouvernement ne retirait aucune espèce d'avantage direct du concours qu'il prêtait.

Eh bien, alors que le gouvernement prêtait à la société tous les moyens d'action imaginables, qu'il se mettait entièrement à son service, n'était-il pas aussi simple qu'il se chargeât directement de faire ce qu'il faisait pour le compte de la société ? Le milicien remplacé, au lieu de verser 1,700, 1,800 fr. peut-être dans les caisses de la société, aurait versé le prix de son remplacement dans les caisses de l'Etat ; cette somme lui aurait été garantie tout entière ; ou si l'Etat avait fait un bénéfice, ce bénéfice aurait tourné au profit du trésor public, au lieu de passer entre les mains de particuliers. J'ai toujours cru et je pense encore que si l'on veut favoriser dans une certaine mesure le remplacement dans l'armée, rien ne serait plus simple et plus praticable, pour le gouvernement, que de faire ce que fait la société.

Je voudrais qu'on me fît une seule objection sérieuse. Le gouvernement met l'administration civile et l'administration militaire au service d'une société particulière qui se borne, pour ainsi dire, à encaisser le montant du prix des remplacements. Je demande en quoi le gouvernement serait plus gêné pour encaisser les prix de ces engagements que ne l'est la société.

M. Nothomb. - L'objection principale est celle-ci : L'honorable préopinant sait qu'il y a une opération, une fluctuation de prix ; les prix dépendent ici, non seulement de la double responsabilité que j'ai indiquée tout à l'heure, mais aussi du nombre des remplaçants dont on a besoin dans le pays, ce qui varie d'une année à l'autre ; le prix dépend aussi du nombre d'hommes disposés à remplacer ; le prix d'un homme est subordonné aux mêmes conditions qu'une marchandise quelconque.

L'objection est celle-ci : que le gouvernement qui se chargerait des remplacements, ne pourrait pas suivre les fluctuations de prix.

M. Rogier. - C'est là une objection de détail et non une objection fondamentale. Je ne vois pas en quoi la diversité dans les prix du remplacement pourrait influer ici sur l'opération. Le gouvernement n'établirait sans doute qu'une taxe uniforme par la voie administrative, et publierait chaque année que les miliciens qui sont disposés à se faire remplacer, seront définitivement libérés du service militaire, moyennant le versement de la somme de 1,200 fr., par exemple, dons les caisses de l'Etat. Dans ce système, le gouvernement serait seul responsable du réengagé ; il ne pourrait plus être question de première et de seconde responsabilité. Ce moyen me semble aussi simple que pratique.

Si des objections de détail se présentaient, il serait facile de les lever. Mais le système est tellement simple et bon que ce qu'on pourrait lui reprocher peut-être ce serait d'ouvrir une porte trop facile aux remplaçants. Si, en effet, au moyen du versement d'une somme de mille francs une famille peut, et pour toujours, libérer un de ses membres du service militaire et se soustraire à toutes les angoisses, à tous les frais qu'un mauvais remplaçant entraîne, il y aurait foule pour profiter de ce moyen ; le bien serait si grand qu'il serait recherché de toutes parts ; et on verrait peut-être apparaître l'inconvénient signalé tout à l'heure par l'honorable M. Pirson. Je pense avec lui qu'il ne serait pas bon de substituer d'une manière trop générale à notre système de prestation personnelle, le, système de prestation pécuniaire. Je désire tout en respectant la paix des familles, voir passer par l'armée le plus grand nombre de citoyens possible.

Nous sommes un pays libre, mais il ne faut pas croire que, parce que nous avons la liberté des institutions, nous devons aussi avoir la mollesse des mœurs. Je voudrais, au contraire, qu'en raison même de notre liberté, nos mœurs publiques pussent revêtir plus d'énergie qu'elles n'en ont. Il ne faut pas parce qu'on est dans un temps de paix, parce que depuis trente ans nous n'avons pas vu de combats, parce que le canon ne gronde pas à nos portes, il ne faut pas croire que nous sommes arrivés à l'ère de la paix perpétuelle. A quoi nous aurait servi d'être une nation et d'être libre, si endormis dans une fausse sécurité, écartant de nos habitudes tout ce qui peut nous gêner, si, insouciants de l'avenir, nous n'étions pas, à un moment donné, en mesure de défendre sinon efficacement, au moins un peu honorablement, notre nationalité et la liberté qui s'y rattache.

Ainsi donc le seul reproche qui pourrait être adressé à mon système, ce serait en quelque sorte d'être tellement favorable et attrayant qu'une foule de citoyens chercheraient à en profiter. Mais, messieurs, c'est une bonne recommandation pour un système que celle-là, car s'il entraînait jusqu'à certain point des abus, il y aurait plus d'un moyen d'y porter remède. Dans ce système de remplacement direct par l'Etat, toutes les difficultés de détail pour lesquelles vous proposez des dispositions viendraient à disparaître.

Quant à la responsabilité, elle cesse entièrement pour la famille par le fait seul du versement de la somme fixée.

Quand je fais cette observation, quand je demande que, le principe du remplacement étant admis, le gouvernement se substitue à toute espèce d'entrepreneurs de remplacement, comme les appelle l'honorable M. Nothomb, je ne suis animé d'aucune espèce d'hostilité vis-à-vis de la société pour l'encouragement du service militaire ; je ne suis animé non plus d'aucune hostilité à l'égard des hommes qui la dirigent ; je crois que cette société a rendu quelques services ; mais je dis que les familles auraient retiré et retireraient de bien plus grands services de l'intervention directe de l'Etat.

Je crois ensuite que la dignité du gouvernement et du pays souffre quelque peu de voir cette société se mettre en son lieu et place pour annoncer qu'elle élèvera à nos vétérans un hôtel où ils iront abriter leur vieillesse. De deux choses l'une : ou cet hôtel ne se fera pas, c'est une hypothèse que je place à dessein la première, et alors l'arrêté royal contiendra une immense mystification pour l'armée ; ou l'hôtel se fera, alors on pourra dire dans le pays que nous, législateurs, nous savons faire des lois pour arracher aux familles ceux de leurs enfants qui souvent leur sont le plus précieux, que nous savons ajouter une aggravation à la durée du service militaire, et que, quand ils ont usé leur santé ou qu'ils auront eu leur corps mutilé au service du pays, nous n'avons pas assez de générosité et de reconnaissance pour faire ce que tous les pays civilisés ont fait, pour élever un hôtel où ils puissent abriter leur vieillesse et leurs membres mutilés.

Je repousse l'hypothèse de l'élévation de cet hôtel par les soins et les produits d'une entreprise particulière.

Ce sont là de ces monuments qui appartiennent exclusivement au pays, au gouvernement, et qu'il ne doit pas, je dirai presque sous peine de déshonneur, abandonner au bon ou mauvais vouloir de la spéculation particulière. Nos soldats sont les soldats du pays et du Roi. Le pays et le Roi leur doivent le bien-être dans leurs vieux jours ; qu'il aient à l'attendre de telle ou telle société anonyme, c'est une idée que je repousse très énergiquement.

Je demande que le gouvernement s'explique à cet égard. Je lui pose en outre les questions suivantes :

Est-il, oui ou non, favorable au système des remplaçants ? Dans ce cas, se croit-il en position défaire par lui-même ce que d'autres ont fait jusqu'ici sous son patronage ?

Si, comme je le pense, il est dans cette situation, qu'il prenne franchement un parti et qu'il agisse ; qu'il ne cherche pas, par des moyens indirects, à entraver, à énerver les opérations d'une société à laquelle il serait contraire. Ces moyens me paraissent petits.

En un mot, que le gouvernement fasse lui-même ce que d'autres font pour lui, ou s'il ne veut pas faire lui-même, qu'il n'apporte pas d'entraves à l'action d'autrui.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, l'honorable préopinant a commencé son discours en adressant au ministère le reproche de ne pas diriger la discussion du projet de loi soumis aux délibérations de la chambre. Ce projet de loi ressortit à trois ministères différents. Il ne nous appartient pas d'empiéter sur les attributions l'un de l'autre. Lorsqu’il s'est agi de dispositions concernant mon département, je n'ai pas reculé devant la discussion.

Je n'ai pas agrandi le cercle de la discussion comme plusieurs honorables membres ont voulu le faire, parce que je n'envisage pas le projet de loi comme eux.

Je ne le considère que comme un projet de loi destiné à modifier quelques principes des lois sur la milice qui se composent de plus de 300 articles.

(page 1199) Je crois que si d'autres modifications sont reconnues nécessaires, elles s’introduiront dans la législation par la suite, lors d'une révision générale, soit par des propositions dues à l'initiative du gouvernement ou des membres de la chambre.

Je ne crois donc pas que les reproches qui m'ont été adressés soient mérités.

Si je n'ai pas cru devoir prendre une part très active à la discussion depuis qu'il a été présenté par l'honorable M. Lejeune un amendement que vient de sous-amender l'honorable M. Orban, c'est que nous ne sommes point arrivés à l'article auquel ces amendements se rattachent. Quand nous serons arrivés à l'article 8, je demanderai alors à m'expliquer. Je me suis borné pour le moment à écouter la discussion qui vient d'avoir lieu, et qui est fort intéressante à la vérité, mais, en quelque sorte, étrangère au projet de loi qui vous est soumis.

On a parlé d'un projet de loi élaboré par l'honorable M. Nothomb.

Je l'ai étudié soigneusement J'ai sous la main des notes fort étendues relatives à ce projet. Je ne considère pas l'étude de ce projet de loi comme complète, je ne me permettrai ni de l'approuver ni de le blâmer parce que cette question est très grave à mes yeux. Je n'ai pu l'apprécier jusqu'à présent sous toutes ses faces ; mais je m'en suis occupé depuis longtemps avec soin. Lorsqu'elle sera soumise aux délibérations de l'assemblée, je serai en mesure ou de la soutenir ou de la combattre selon que je la croirai utile ou non aux intérêts du pays et de l'armée. Mais le moment n'est pas venu de me prononcer.

L'honorable M. Rogier demande quelle est l'opinion du gouvernement en matière de remplacement.

Quant à moi, j'ai une manière de voir tout à fait contraire à la sienne, au sujet du rôle que le gouvernement doit adopter dans cette question. Je crois que le gouvernement ne doit pas se faire agent de remplacement. Il doit encourager l'état militaire par tous les moyens possibles, et il doit surtout se montrer favorable aux volontaires, aux miliciens que la loi appelle sous les armes ; mais je le répète il ne doit pas se faire agent de remplacement.

Déjà les lois antérieures l'ont fait entrer dans cette voie, puisque l'on a décidé qu'on pouvait se libérer de la responsabilité pendant la seconde période du remplacement, moyennant le versement de 300 florins dans les caisses de l'Etat. Si le remplaçant déserte, le gouvernement est obligé de le suppléer : je voudrais qu'on n'allât pas plus loin. Cependant on propose à l'article 8 un amendement qui serait une extension de l'état actuel des choses. Je me réserve de m'en expliquer.

L'honorable M. Rogier est revenu sur une question qui déjà a occupé la chambre et qui, je pense, l'occupera encore. Je veux parler des remplacements opérés par la société pour l'encouragement du service militaire.

L'honorable membre a demandé si le gouvernement voulait continuer à favoriser cette société. Je crois que ce sont les termes dont il s'est servi. Je déclare que, pour le moment, le gouvernement ne favorise aucune société pour le remplacement, pas plus celle-ci qu'une autre ; il n'est ni pour ni contre.

Il y avait, lorsque je suis arrivé au ministère, apparence de protection sous quelques rapports. J'ai cru qu'il était indispensable de faire disparaître ces espèces de privilèges, quelque légers qu'ils fussent. L'honorable M. Rogier nous reproche d'avoir recours à de petits moyens ; mais il ne faut pas prendre de grandes mesures pour détruire de petits obstacles. Du moment que j'ai rétabli un équilibre parfait entre cette société et toutes les autres, j'ai rempli mon devoir. Les mesures devaient être aussi modestes que l'indiquait la nature des choses ; je n'ai voulu ni protéger ni entraver les opérations de cette société, et faire cesser des apparences de monopole.

Le gouvernement, dit l'honorable M. Rogier, pourrait facilement faire ce que fait la société. Certainement il n'est pas difficile de se charger de fournir des remplaçants aux prix auxquels en donne la société ; mais ce n'est pas le rôle du gouvernement. Je puis avoir tort ; mais c'est mon opinion ; je l'ai déjà exprimée dans une autre enceinte. Du moment que le gouvernement se fait agent de remplacement, il détruit l'esprit militaire, il tend à altérer un grand principe, et rend pour ainsi dire impossible tout engagement volontaire.

Quant à l'hôtel des invalides, je me bornerai à peu de mots. Je ne sais si dans un petit royaume comme le nôtre, cet hôtel pourrait obtenir un développement qui le rendît digne de son objet. Il faut espérer que jamais nous n'aurons pour cet hôtel une population nombreuse de mutilés, et pour la situation actuelle de l'armée, on voudra bien rendre la justice à mon honorable prédécesseur et à moi, que nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour favoriser les anciens militaires. Dans ce moment encore je m'occupe de l'organisation d'une compagnie de sous-officiers sédentaires, sous-officiers qui trouveront ainsi dans leur vieillesse une existence très supportable et une juste récompense pour leurs anciens services. Nous placerons également autant que possible les anciens militaires qui seront aptes à remplir des postes sédentaires. De sorte que je ne sais trop qui nous enverrions dans un hôtel des invalides. Il est donc inutile de traiter cette question en ce moment, et je m'en abstiendrai.

Quant à la fondation d'un semblable hôtel, je suis entièrement de l'avis de l'honorable M. Rogier, il devrait être un établissement national pour qu'il fût digne de son objet.

M. de Garcia. - Messieurs, différentes considérations ont été présentées dans la discussion générale au point de vue du remplacement. Les uns ont attaqué le remplacement ; d'autres l'ont appuyé ; d'autres ont voulu que le gouvernement se chargeât de faire les remplacements.

Quant à moi, messieurs, je suis d'opinion que le remplacement doit être maintenu dans le service de la milice nationale. Il est dans les mœurs, et je pense qu'on exciterait une récrimination générale si on l'empêchait.

Je ne crains pas, messieurs, que le remplacement devienne trop considérable, qu'il devienne assez considérable pour détruire l'esprit civique qui doit exister dans l'armée. Vous aurez beau donner des primes considérables pour payer les remplaçants, je crois que les remplaçants manqueront parce qu'il n'est pas dans les mœurs du pays de prendre des engagements militaire. D'un autre côté, la fortune pour payer ces primes ou le prix du remplacement manquera à beaucoup de citoyens.

Messieurs, les remplacements doivent-ils être faits par l'Etat ? Voilà une question qui a été posée, et surtout en vue de ce qui se passe avec la société d'encouragement du service militaire.

Quant à moi, je crois que l'Etat ne peut se charger du remplacement ; mais selon moi il peut se charger et il doit se charger du recrutement. Or cela suffit pour atteindre le but de la société d'encouragement du service militaire. Que le gouvernement se charge directement de recruter les soldats qui figurent dans l'armée, au moyen de fortes primes qui seront payées par les citoyens appelés au service national, et le but qu'on se propose sera complètement atteint sans aucune flétrissure pour les hommes recrutés. A tort ou à raison il existe un préjugé dans les armées. Les remplaçants n'y sont pas considérés ; il n'en est pas de même des engagés volontairement qui ne subissent aucune des mauvaises impressions attachées à l'état de remplaçant. J'attire toute l'attention de la chambre sur ce point qui est du plus haut intérêt. Aujourd'hui que la prime n'est que de 50 ou 60 fr., il y a des engagements volontaires. Si la prime était de 1,000 fr., pas de doute qu'on conserverait sous les drapeaux tous les soldats qui se distinguent par leur conduite ou par leur zèle.

Ceci admis, l'on devrait dégrever le contingent en proportion du nombre d'engagés volontaires. Le moyen serait très facile. Le contingent de chaque province serait dégrevé en proportion du nombre des volontaires, et ces volontaires seraient tirés au sort entre les miliciens qui auraient versé la prime du réengagement. Dans ce système il n'y aurait aucune responsabilité pour les citoyens qui obtiendraient la faveur d'être libérés pour le recrutement fait par le gouvernement. Dans le cercle de ces idées le nom de remplaçant disparaîtrait complètement. Le recrutement prendrait en partie la place de la prestation personnelle. Outre cet avantage, cette mesure donnerait au gouvernement la faculté de conserver à l'armée les soldats qui ont fait les preuves de leur zèle et de leur bonne conduite.

On atteindrait donc ainsi le but qu'on s'est proposé avec la société du remplacement militaire ; et je n'aurais pas d'inquiétude que de cette manière on vît naître les inconvénients signalés par l'honorable M. Pirson, à savoir qu'au jour du danger les citoyens qui n'auraient pas passé sous les armes, ne viendraient pas se ranger sous les drapeaux. Je crois que les remplacements seraient si peu nombreux, que cela n'empêcherait pas la plupart des citoyens de passer sous les armes.

M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, j'ai demandé la parole pour soumettre à la chambre, sans me permettre de rentrer le moins du monde dans la discussion qui a eu lieu hier, quelques chiffres que je prierai les membres de l'assemblée de bien vouloir examiner avant le second vote. Je tiens, messieurs, à ce que l'opinion que j'ai émise hier et que je chercherai à soutenir dans la discussion qui aura lieu à l'occasion du second vote, soit complètement éclairée. La chambre excusera l'obstination que je parais mettre à soutenir mon opinion ; mais la question qu'elle est appelée à résoudre est grave, et je crois devoir l'éclairer ; je vais seulement présenter quelques chiffres, sans entrer dans beaucoup de développements.

Messieurs, d'après l'article premier qui a été voté hier, il résulterait pour l'armée un fait, c’est que des quatre classes qui seraient censées sous les armes, il n'y en aurait effectivement que trois, je crois l'avoir démontré. La première classe ne serait à la disposition du gouvernement qu'en juillet. Il serait impossible, du mois de juillet au mois d'octobre, de compléter son instruction ; elle ne pourrait donc pas compter la première année. Le gouvernement ne pourrait ainsi disposer en réalité que de trois classes. Les honorables membres qui ont soutenu le système de la section centrale, ont dit que ces 3 classes formaient 30,000 hommes.

Voyons à quoi elles se réduisent :

En comptant 5,000 pour les pertes qu'éprouvent les contingents, il reste, 25,500 hommes. Engagés volontaires, 4,000 : 29,500 hommes.

Dont il faut défalquer pour artillerie, génie et cavalerie, 6,000 hommes et, sédentaire et disciplinaires, 1,000 hommes, soit 22,500 hommes.

L'infanterie compte donc, tout compris, 22,500 hommes, ce qui fait, par régiment, 1,400 hommes, par bataillon, 420 X 140.

Pour le bataillon de réserve :

Par compagnie, 70 hommes, soit, cadres déduits, 56 hommes.

Et si ces hommes pouvaient rester continuellement sous les armes et en solde, l'on pourrait suffire au service sur pied de paix.

Mais la chambre sait que les miliciens ne restent guère qu'un an et demi au corps, et passent le reste du temps de service chez eux en permission.

L'on ne pourrait donc compter effectivement que sur la moitié des 56 soldats inscrits, soit 28 hommes.

Or, j'ai démontré, lors de la discussion du budget, qu’il fallait défalquer de l'effectif, par compagnie : En jugement, 3 hommes ; malades, 2 hommes ; cuisiniers, 1 homme ; ordonnance, 1 homme ; prisons, écoles, 1 hommes ; petites permissions et recrues volontaires, 3 hommes. Soit 11 hommes.

Et si j'ai compté 11 absents sur 36 soldats en effectif, il est juste de n'en plus défalquer que 8 sur un effectif de 28.

Reste, 20 hommes.

Or, ce chiffre de 20 hommes ne donne que les 3/5 de ce qui est rigoureusement nécessaire pour le service des places, et afin de pourvoir au surplus, il faudrait rappeler la presque totalité des hommes actuellement en congé ; car, ainsi que j'ai eu l'honneur de le faire observer, l'on devrait désormais renoncer à accorder des permissions avant la fin de la quatrième année de service, c'est-à-dire avant le passage à la réserve.

Cette mesure aurait donc pour conséquence d'imposer aux miliciens incorporés dans l'infanterie, une charge bien autrement lourde que celle résultant du passage d'une année de plus dans la position d'activité, puisque de fait ceux-ci ne servent que pendant 18 mois, tandis qu'à l'avenir, tous devraient servir pendant trois années consécutives.

Je demande donc à la chambre de vouloir examiner sérieusement ces considérations et je ne doute nullement qu'elle comprendra la nécessité de rejeter l'amendement de la section centrale duquel il résulterait que les compagnies ne se composeraient que de 20 hommes, car les compagnies seraient réduites à ce nombre, il me sera facile de le démontrer à tous les membres de la chambre qui voudront s'en assurer par des preuves authentiques.

M. Pirson (pour une motion d'ordre). - Messieurs, je n'ai pas besoin de dire combien la loi du recrutement est importante, puisqu'elle touche aux intérêts les plus chers, les plus sacrés. L'honorable M. Nothomb nous a entretenus d'un système qu'il importe d'examiner ; je proposerai de faire imprimer le projet mentionné par l'honorable membre parmi les documents de la chambre, afin que nous puissions en faire une étude approfondie.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.

La séance est levée à quatre heures et demie.