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Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 18 décembre 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre,
notamment pétition relative à une demande de pension militaire par un volontaire
de septembre (Boine) (Rogier, Mercier)
2) Projet de loi portant modification
de limites communales (Sugny et Donchéry)
3) Motion d’ordre relative à
l’annulation d’un droit d’octroi (de Brouckere, Orban, Mercier)
4) Projet de loi portant le
budget des dotations pour l’exercice 1847. Toelagen et traitements d’attente (Osy, Lebeau)
5) Projet de loi portant le
budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1847. Discussion générale.
Critique de l’action politique du gouvernement, notamment énumérations des faveurs
accordées au clergé et à l’opinion catholique, en matière de fondations de
bourses d’études (d’Anethan), de nominations dans l’enseignement
supérieur (+contestation électorale) (Delfosse) de
reconnaissance de couvents (de Theux), contestation électorale
(Delfosse, de Theux), nomination
du bourgmestre hors du conseil et fractionnement électoral, enseignement
supérieur, situation sociale des Flandres et rôle social de l’Etat, union
douanière avec la France (Rogier), union douanière avec
la France (Desmet, de Muelenaere),
nomination du bourgmestre hors du conseil communal et fractionnement électoral,
enseignement universitaire, ligne ferroviaire de Paris à Bruxelles (de Theux), (Sigart), nomination du bourgmestre
hors du conseil communal et fractionnement électoral (Verhaegen,
Nothomb, Lebeau, Delfosse, Nothomb, Lebeau, Nothomb)
(Annales parlementaires
de la Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 327)
M. A. Dubus
procède à l’appel nominal à 1 heure.
- La séance est ouverte.
M. Van Cutsem lit le
procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. A. Dubus présente
l’analyse des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Les employés douaniers de la brigade de
Strée prient la chambre d’améliorer leur position. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Le sieur Coppyn, notaire à Bruxelles,
présente des observations contre une pétition adressée à la chambre en faveur
du système du ressort uniforme des notaires. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner
le projet de loi sur le notariat.
« Plusieurs anciens membres du gouvernement
provisoire, des sénateurs, des magistrats, des généraux, des membres du conseil
provincial du Brabant, des membres de l’administration communale de Jodoigne et
un grand nombre de propriétaires, prient la chambre de faire obtenir au major
honoraire Boine le grade de major effectif et la mise en disponibilité au
traitement de ce grade. »
M. Rogier appelle l’attention de la chambre et
du gouvernement sur la pétition dont M. le secrétaire vient de présenter
l’analyse.
Cette pétition est relative au major honoraire
Boine ; elle est appuyée de la recommandation d’une foule de citoyens qui ont
joué un rôle actif dans notre révolution et qui ont pu apprécier les services
rendus par ce patriote.
Le major Boine jouit aujourd’hui d’un titre
purement honorifique ; il aurait pu, comme beaucoup d’autres, jouir d’un emploi
effectif ; mais par un désintéressement bien rare, it s’est refusé à
solliciter, même à accepter un grade effectif dans l’armée, grade qui lui
aurait fait une position tout autre que celle où il se trouve aujourd’hui.
Je sais qu’en principe il ne sied pas
aux membres de cette chambre de se porter ici défenseurs d’intérêts personnels
; mais la situation du major Boine est telle, ses antécédents sont si
honorables, les services qu’il a rendus sont tellement incontestables, ceux qui
l’appuient jouissent d’une telle autorité dans le pays, que je crois que cette
pétition doit mériter en quelque sorte une exception.
C’est pour ces motifs que je prie la commission
d’apporter à l’examen de cette pétition des dispositions favorables et de nous
présenter ses conclusions le plus tôt possible. Quand elles seront présentées,
j’espère que la chambre s’associera à quelques-uns de nous pour engager le
gouvernement à faire en faveur du major Boine tout ce qui scia possible.
M. Mercier. - Je me joins à l’honorable député d’Anvers
pour inviter la commission des pétitions à faire un prompt rapport sur la
pétition du major Boine ; quand ce rapport sera fait, je me réserve d’entrer
dans quelques considérations en faveur du patriote qui a adressé cette requête
à la chambre.
- La pétition est renvoyée à la commission avec
invitation de faire nu très prompt rapport.
________________
M. de Mérode,
retenu par une indisposition, s’excuse de ne pouvoir assister à la séance de ce
jour, où il aurait désiré appeler l’attention de la chambre sur la pétition du
major honoraire Boine de Jodoigne, dont la position est très spécialement digne
d’intérêt.
- Pris pour information.
________________
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) adresse à la chambre
des explications sur la pétition des communes usagères de la gruerie d’Arlon.
- Dépôt au bureau des renseignements.
________________
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) adresse à la chambre
soixante exemplaires du rapport de la députation permanente du Luxembourg sur
le défrichement des bruyères.
- Dépôt à la bibliothèque et distribution à MM. les
membres présents.
PROJET DE LOI PORTANT MODIFICATION DE LIMITES TERRITORIALES
M. Zoude, rapporteur. - J’ai
l’honneur de présenter le rapport de la commission spéciale chargée d’examiner
le projet de loi relatif à la délimitation des communes de Sugny et Donchéry.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. Le jour de la discussion sera ultérieurement
fixé.
MOTION D’ORDRE
M. de Brouckere.- Messieurs,
le conseil communal de Bruxelles a adressé à la chambre une réclamation contre
une décision du gouvernement, décision qui avait pour objet de mettre obstacle
à l’exécution d’une résolution du conseil communal qui augmentait les droits
d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères. Cette pétition a été renvoyée à la
commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport. Il est indispensable
que le rapport soit fait avant le 1er janvier, puisque c’est au 1er janvier que la décision doit être
définitive sur cette matière.
Je crois que la commission s’est occupée de cet
objet ; je désirerais savoir si nous pourrons avoir prochainement son rapport.
M. Orban. - La commission des pétitions s’est
réunie hier, et comme une résolution doit être prise avant le 1er janvier sur
la pétition du conseil communal de Bruxelles, la commission m’a chargé de
présenter son rapport à la chambre. J’ai l’honneur de le déposer sur le bureau.
M. de Brouckere. - Quelles sont
les conclusions ?
M. Orban. - Le renvoi aux ministres des
affaires étrangères et des finances.
M. de Brouckere. - Dans quel
sens ?
M. Orban. - Dans un
sens favorable à la pétition.
- La chambre ordonne l’impression et la
distribution du rapport.
M. de Brouckere. - Je demande
que la discussion de ce rapport soit mise à l’ordre du jour. C’est extrêmement
urgent, puisque le tarif doit être mis à l’ordre du jour le 1er janvier. Je demande la mise à l’ordre
du jour après la discussion du budget de l’intérieur.
M. Mercier. - Il conviendrait mieux, ce me
semble, de ne mettre ce rapport à l’ordre du jour qu’après que nous en aurons
eu connaissance. Le gouvernement pourra faire connaître ses intentions ; ce qui
abrégerait beaucoup la discussion. Mais nous ne pouvons, je le répète, mettre à
l’ordre du jour un rapport que nous ne connaissons pas.
M. de Brouckere. - Je ne
comprends pas l’objection.
M. Orban. - On pourrait s’occuper de ce
rapport dans la discussion du budget de l’intérieur ; déjà plusieurs fois, dans
cette discussion on a parlé des taxes communales.
M. de Brouckere. - Soit ;
nous amènerons la discussion sur l’objet de ce rapport.
M. le président. - La chambre statuera
ultérieurement sur la mise à l’ordre du jour de ce rapport.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DES DOTATIONS POUR L’EXERCICE 1847
M. le président. - Par message en date du 17
décembre le sénat informe la chambre qu’il pétitionne pour ses dépenses de
l’exercice 1847, le chiffre de 30,000 fr. comme les années précédentes.
En conséquence, je proposerai à la chambre de
procéder au vote sur l’ensemble du budget des dotations, qui a été suspendu
jusqu’à ce que le sénat eût fait connaître le chiffre de l’article qui le
concerne. (Adhésion.)
L’article unique du projet de loi est ainsi conçu :
« Art. unique. Le budget des dotations est
fixé, pour l’exercice 1847, à la somme de 3,338,672 fr. 75 c., conformément au
tableau ci-annexé. »
M. Osy. - Dans la discussion de ce budget,
j’ai eu l’honneur de faire une proposition qui a été renvoyée à une commission.
Cette commission n’a pas encore fait son rapport. Mais il est entendu, je
pense, qu’il n’y a rien de préjugé sur ma proposition.
M. le président. - Cette réserve a déjà été faite
par M. de Brouckere. La question reste entière.
M. Lebeau. - Je voudrais adresser une
interpellation à M. le ministre des finances ; je regrette qu’il ne soit pas
présent.
Plusieurs
membres. – Il est au sénat.
M. Lebeau. - Je voudrais savoir où en est la
question des toelagen
et des traitements d’attente. Je prie MM. les ministres de faire part de
mon interpellation à leur collègue des finances. Nous ne savons pas la résolution
qu’a prise à ce sujet le gouvernement. Il y a de nombreux intéressés ; tout au
moins leur doit-on de prendre une décision. Se renfermer dans le silence serait
commettre à leur égard un déni de justice.
Le devancier de M. le ministre des finances avait
présenté un projet de loi où les droits des intéressés étaient complétement
reconnus.
Ce projet a été soutenu par l’ancien ministre, et à
la suite d’un vote, il s’est réservé d’examiner la question ; mais nous ne savons
pas le résultat de cet examen.
Je me borne à prier MM. les ministres de porter mon
observation à la connaissance de leur collègue.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur
l’ensemble du budget, qui est adopté à l’unanimité des 51 membres présents.
Ces membres sont : MM. Brabant, Cans, Clep,
Coppieters, d’Anethan, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Garcia de la Vega,
de Lannoy, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse,
de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, Donny, Dubus (Albéric),
Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn, Lange,
Lebeau , Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Mercier, Nothomb, Orban, Osy,
Pirmez, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Van Cutsem, Vanden Eynde,
Vandensteen, Zoude et Biebuyck.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DE L’INTERIEUR POUR L’EXERCICE
1847
Discussion générale
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l’honorable M. Verhaegen a
attaqué hier l’administration des fondations des bourses d’étude. L’honorable membre
a rattaché indûment cette question à la discussion du budget de l’intérieur.
L’administration des fondations des bourses d’étude appartient au département
de la justice.
Je suis à même de répondre dès à présent aux observations
qui ont été faites relativement à cette administration par l’honorable M.
Verhaegen ; mais comme cet honorable membre a annoncé l’intention de faire
encore différentes observations
relativement à cette même administration, je pense qu’il sera convenable, et la
chambre partagera sans doute cette opinion, de remettre la réponse que j’ai à
faire à la discussion de mon budget.
M. Delfosse. - Messieurs, mon intention n’était
pas de parler dans la discussion générale du budget de l’intérieur.
Mais le discours que M. de Theux a prononcé hier, à
la fin de la séance, me force à dire quelques mots.
Le ministère, messieurs, a quelquefois beau jeu
dans les discussions. Il y a des choses que tout le monde sait, que tout le
monde sent et qu’il est extrêmement difficile de prouver.
Que certains journalistes soient subsidiés
directement ou indirectement pour prôner les actes ministériels !
Que M. de Theux ait des rapports intimes avec le
haut clergé, dont il est le très humble serviteur !
Que les emplois soient donnés par esprit de parti
et non en vue des services rendus ou à rendre au pays !
C’est ce que peu de personnes ignorent, c’est ce
dont peu de personnes doutent ; mais quand l’opposition vient dans cette
enceinte dire ces choses-là, dont elle est moralement sûre, le ministère lui
ferme la bouche par une dénégation. « Je ne me souviens pas. Il n’en est
rien. » Telle est la réponse facile de MM. les ministres.
L’opposition n’a pas ses entrées dans le cabinet de
MM. les ministres ; elle n’assiste pas à leurs conférences avec certains
rédacteurs de journaux, avec certains membres du haut clergé ; elle n’est pas
dans le secret des résolutions qu’on y prend. Elle ne peut donc fournir la
preuve directe de ce qu’elle avance. Tout ce qu’elle peut faire, c’est de
signaler les actes qui portent à croire que les choses se passent comme elle le
dit.
Et ici se présente encore une difficulté :
c’est surtout par les nominations aux emplois que le ministère montre sa
condescendance pour le haut clergé et qu’il récompense ceux qui le servent bien
; et vous savez, messieurs, que bien servir le ministère ce n’est pas toujours
bien servir l’Etat. Quand le ministère est attaqué sur ces nominations, il
répond qu’il a choisi ceux qui lui ont paru
les plus capables et les plus dignes, et alors l’opposition n’a plus
grand-chose à dire : elle devrait, pour motiver ses reproches, produire
une foule de pièces qu’elle n’a pas toujours à sa disposition et que vous ne
consentiriez peut-être pas à laisser lire ; les questions de personnes sont
très délicates, et tous les noms ne sont pas aussi significatifs que celui de Retsin.
Heureusement pour l’opposition, que le public est doué
d’un merveilleux instinct pour
découvrir la vérité à travers les voiles, plus ou moins épais, dont on
l’enveloppe, et pour saisir les motifs secrets qui font agir les ministres. Il
arrive très souvent que quand M. de Theux dit : « Il n’en est
rien », le pays répond : « Il en est quelque chose ».
C’est là ce qui doit consoler l’honorable M. Verhaegen
des murmures et des rires qui ont accueilli hier son discours, sur les bancs de
la droite, et du brillant succès que M. de Theux a obtenu sur les mêmes bancs.
Si notre estimable collègue a eu quelque tort, et
je suis trop son ami pour lui cacher la vérité, c’est d’avoir encore cherché à
démontrer que M. de Theux est l’instrument servile du haut clergé.
Il y a des choses qui ne se démontrent pas, il y en
a qui ne se démontrent plus.
On ne démontre pas que le soleil luit.
On ne démontre pas que le reptile rampe.
On ne démontre plus que Tartufe est une excellente comédie.
On ne démontre plus ce que l’honorable M. Verhaegen
cherchait hier à démontrer.
Le dévouement, la soumission de M. de Theux au haut
clergé est un fait désormais acquis, c’est un fait de notoriété publique. M. de
Theux est un type et il le restera.
Je pourrais aussi vous citer des actes qui portent
le même cachet que ceux dont l’honorable M. Verhaegen nous a entretenus.
Je pourrais vous dire, par exemple : Il existe en
Belgique un homme, ne manquant pas de science, mais dépourvu de jugement, qui
avait une position honnête, et qui la perdit pour avoir déplu à un évêque.
Cet homme, se trouvant sans ressources avec une
nombreuse famille, se mit sur les rangs pour être appariteur dans l’une de nos universités ; il échoua.
Eh bien ! quelque temps après, cet homme a été
nommé professeur à l’université même où il n’avait pu obtenir un emploi subalterne.
Savez-vous pourquoi, messieurs ? C’est qu’il avait
adressé à l’évêque ses protestations de repentir les plus humbles c’est qu’il
l’avait supplié en quelque sorte à genoux d’oublier le passé. Ces
protestations, ces supplications se trouvent dans un ouvrage imprimé ; je les
ai lues, et je me suis demandé, en les lisant, comment l’homme pouvait abaisser
à ce point sa dignité !
Que M. de Theux vienne après cela nous vanter sa
sollicitude pour les universités de l’Etat !
Je pourrais vous parler des bourgmestres qu’on
aurait dû révoquer depuis longtemps pour cause de négligence grave, très grave
même, et qui sont au contraire en faveur ; on sait pourquoi.
Je pourrais vous prouver, par des pièces
authentiques, la vérité de l’accusation articulée hier par l’honorable M.
Verhaegen, contre un bourgmestre qu’on maintient en fonction, bien qu’il ait
falsifié, falsifié, entendez-vous !
des listes électorales.
Je pourrais vous parler d’autres choses encore non
moins significatives, mais à quoi bon quelques faits isolés pour démontrer ce
que toute la vie de M. de Theux démontre, ce que le pays tout entier connaît ?
Je le répète, M. de Theux est un type et il le restera.
M. le ministre de l’intérieur s’est expliqué hier
franchement, du moins je le crois, sur le projet qu’on lui avait attribué, de
fractionner les collèges électoraux. Je ne rechercherai pas si la nature des
explications qui nous ont été données n’aurait pas pour cause un obstacle
insurmontable qu’on aurait rencontré dans les hautes régions du pouvoir ; je me
bornerai à exprimer le regret qu’on ait attendu, pour donner ces explications,
les interpellations de l’honorable M. Verhaegen. Le ministère a bien des fois
démenti par le Moniteur des
bruits qui avaient moins de gravité et qui étaient moins inquiétants.
Quand je dis « inquiétants », ce n’est pas que
l’opposition redoute pour elle les conséquences qu’un tel projet pourrait avoir
; elle a au contraire la conviction qu’il serait fatal à ses auteurs. Mais
l’opposition en redoute les conséquences pour le pays. Ce projet, s’il est mis
à exécution, rapetisserait la représentation nationale ; il y ferait trop
prévaloir de mesquins intérêts de localité ; il contribuerait à étendre la
corruption.
Si un jour on touche à la loi électorale, et
j’espère qu’on y touchera, ce devra être pour donner une satisfaction légitime
à cette opinion sagement progressive qui proclame qu’il est, en dehors des
collèges électoraux, une foule de citoyens dignes d’y entrer et par leur
intelligence et par l’intérêt qu’ils ont au maintien de l’ordre.
Je n’ai pas besoin de dire, messieurs, que ce n’est
pas de la chambre actuelle que j’attends cette grande et salutaire réforme.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). -
L’honorable préopinant me considère comme un type. Il peut être bien convaincu
que mon intention est de ne rien changer au type, si type il y a.
L’honorable membre trouve que la position du
gouvernement vis-à-vis de l’opposition est facile : il n’a qu’à se renfermer
dans des dénégations ! Pour nous, nous trouvons que la position d’un orateur de
l’opposition est beaucoup plus facile ; ses attaques sont préparées de longue
main, et le ministère est obligé d’y répondre à l’instant même, sous peine de
passer, devant quelques-uns de ses adversaires, pour convaincu des faits qui
lui sont imputés.
Nous ne nous sommes pas borné à répondre d’une
manière vague, par de simples dénégations, nous avons répondu par des faits
précis que personne ne saurait réfuter, nous prenons acte de l’aveu de
l’honorable membre, que les attaques dont nous avons été l’objet hier, étaient
dénudes de preuve.
M. Delfosse. - Je n’ai pas dit cela.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Cela
résulte clairement du discours de l’honorable membre.
Si nous avons eu le bonheur de répondre à
l’honorable M. Verhaegen, quoique pris complétement à l’improviste, quoique
n’ayant eu aucun indice du genre d’attaque auquel nous pourrions être en butte,
c’est une preuve de plus que ces faits étaient complétement dénués de
fondement. Dans la séance d’aujourd’hui nous disons à l’avance que, quels que
soient les discours que nous puissions encore entendre, nous sommes décidé à
n’y faire que de très courtes réponses, d’abord parce que tout a été dit dans
des discussions solennelles antérieures ; en second lieu, je me sens trop
indisposé, à tel point que je n’aurais peut-être pas dû assister à la séance
d’aujourd’hui.
M. Delfosse. - Si je l’avais su, je n’aurais pas
pris la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne vous
en fais pas un reproche.
L’honorable membre a parlé de la nomination d’un
professeur à l’université de Liége. Je regrette qu’il ait mis de côté une
générosité de sentiment dont il a donné des preuves dans une autre circonstance
; il vous a dit que ce professeur, chargé d’une nombreuse famille, dénué de
moyens d’existence, avait été obligé de solliciter un emploi inférieur.
Il n’a pas dénié les connaissances de ce
professeur, mais il a cru que nous nous étions déterminé à le nommer, par suite
d’une amende honorable que ce professeur aurait faite auprès de l’évêque de
Liége. Nous le déclarons sur l’honneur, nous ignorons que ce professeur eût
déplu à son évêque et fût remis en grâce avec lui.
Voilà l’exacte vérité.
Il y a un honorable membre qui m’a toujours signalé
ce professeur comme un homme du plus haut mérite. M. Nothomb s’est intéressé
particulièrement à lui. Je dis que ce professeur passe encore pour un des plus
instruits de l’université, et qu’il forme de bons élèves.
M. Fleussu. - Il n’a pas d’élèves !
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - II a été
nominé pour un cours qui n’est pas obligatoire, et qui, d’ordinaire, est peu
fréquenté ; mais je puis dire qu’il donne des répétitions, et que ceux à qui il
en a donné, ont très heureusement passé leurs examens. J’avais perdu cela de
vue, c’est en entendant les observations de l’honorable membre que je me suis
rappelé une conversation que j’ai eue, il y a très peu de semaines, avec une
personne habitant Liége, qui est très à même de connaître la vérité des faits.
L’honorable membre a parlé d’un bourgmestre qu’il a
qualifié de faussaire. Je ne dirai pas que ce bourgmestre ait fait l’objet
d’une instruction ; car jamais les soupçons ne se sont portés sur lui. Mais
cette affaire a fait l’objet d’une double instruction (administrative et
judiciaire). De cette double investigation, où rien n’a été épargné, il est
résulté qu’il n’y avait pas
matière à poursuite.
Après cela, je ne pense pas qu’il puisse être
permis à un député de prononcer une condamnation dans cette chambre. Lorsque
l’administration publique et l’autorité judiciaire n’ont pas jugé à propos de
donner suite à une instruction, on oserait venir à cette tribune prononcer nue
condamnation ? Mais où allons-nous ? Il n’y a donc plus de justice ? Ce ne
seraient plus les tribunaux, c’est un membre de cette chambre qui viendrait
prononcer sur la culpabilité !
M. Delfosse. - J’ai parlé d’après des pièces
authentiques.
M. Vanden
Eynde. - Cela n’est exact
; toutes les pièces de cette affaire me sont passées sous les yeux.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Mais cette
accusation résultât-elle de pièces authentiques, ce n’est pas le fonctionnaire
qu’il faudrait accuser, c’est l’autorité judiciaire qui n’aurait pas donné
suite au procès.
Je dis que ce sont là des accusations indignes.
En répondant hier aux nombreux griefs de
l’honorable M. Verhaegen, je me
suis aperçu d’une lacune. L’honorable membre m’a accusé d’avoir autorisé des
milliers de couvents. La vérité est que je n’ai autorisé aucun couvent, parce
que le gouvernement n’a pas, à cet égard, d’autorisation à donner. Il a voulu
parler sans doute de quelques maisons de sœurs hospitalières qui ont été
autorisées. Si vous vous rappelez la réponse qu’a faite à ce sujet à M.
Verhaegen M. le ministre des finances, vous aurez vu combien peu de ces
établissements ont été autorisés, depuis 1830, comparativement à ceux qui ont
été autorisés sous le gouvernement précédent. Pour ma part, je n’ai eu
l’honneur que d’en autoriser un très petit nombre. Mais tous ont été autorisés
sur l’avis conforme des autorités communales et provinciales. Toutes les
demandes qui m’ont été adressées étaient fortement appuyées par toutes les
autorités.
Un autre grief, c’est d’avoir autorisé, en faveur
de deux de ces établissements, deux donations que les cours d’appel n’ont pas
considérées comme régulières. Si je suis coupable de ce fait, j’ai pour
complice l’honorable M. Leclercq qui, étant ministre de la justice, a posé le
même fait que moi. Mais je ne me considère pas comme coupable, parce qu’une
cour d’appel diffère d’opinion avec moi. L’affaire n’est pas jugée en dernier
ressort ; la cour de cassation est appelée à prononcer.
Il m’est déjà arrivé de voir mes
opinions, différentes de celles des cours d’appel, triompher plus tard. C’est
ainsi que, dans la question de la propriété des anciens cimetières, j’ai, comme
ministre, soutenu que les anciens cimetières n’avaient pas changé de maîtres,
qu’ils étaient restés la propriété des fabriques d’églises. Après avoir été
contestée par les tribunaux, cette opinion est maintenant admise par la cour de
cassation.
M. Fleussu. - L’affaire est renvoyée devant la cour
de Bruxelles.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - La même
chose est arrivée dans d’autres circonstances, où j’ai eu le bonheur de voir
triompher mes opinions.
Au reste, souvent, les cours d’appel diffèrent
d’opinion ; la cour de cassation peut changer de jurisprudence, sans qu’il y
ait pour cela aucun grief à articuler contre un ministre. Il n’y a qu’une chose
à voir, c’est si l’acte que le ministre a posé l’a été de bonne foi et
consciencieusement.
M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur
veut nous faire une position trop difficile pour que nous puissions l’accepter
; il vient se vanter, dans cette enceinte, de sa prétendue sollicitude pour les
universités de l’Etat, et il nous accuse de manquer de générosité, quand nous
blâmons certaines nominations de professeurs ; à ce compte il faudrait adhérer
sans réserve aux éloges immérités que M. le ministre de l’intérieur se décerne
à lui-même ; ce serait fort commode !
M. le ministre de l’intérieur m’a reproché, non
moins vivement, l’accusation que j’ai articulée contre un bourgmestre de ses
amis.
J’ai accusé ce bourgmestre, que je n’ai pas nommé,
d’avoir falsifié des listes électorales.
L’honorable M. Verhaegen l’avait dit avant moi et
je me suis muni d’une pièce authentique qui prouve le fait.
Le bourgmestre dont il s’agit a déposé devant le
juge d’instruction, et l’on trouve dans sa déposition les lignes
suivantes :
« Cette liste (la liste des électeurs) a été
affichée dans le délai prescrit et, pour autant que je me le rappelle, il n’a
pas été fait de réclamation à cette époque.
« Comme
sur cette liste figuraient encore des
personnes qui ne devaient pas y figurer, après l’affichage, le collège les a
biffés.
« Environ quinze
jours avant les élections, ayant demandé après la liste au
secrétaire ou à son fils, on me répondit qu’on ne la trouvait plus. Je fis des
perquisitions qui furent inutiles, et comme on avait négligé de faire un double
de cette liste arrêtée par le collège, ou au moins comme je n’en ai pas trouvé,
j’en ai fait une nouvelle, en
me servant de celle de 1844, qui avait servi à confectionner la liste égarée et
en me servant des notes au crayon qui s’y trouvaient pour les reproduire
exactement, et c’est sur cette liste ainsi refaite que les élections ont en
lieu le 28 octobre 1845. »
Comment trouvez-vous, messieurs, un bourgmestre qui
biffe des noms d’une liste électorale qui a été régulièrement affichée et contre
laquelle il n’est pas intervenu de réclamation ? Un bourgmestre qui, alors
qu’une liste se trouve égarée, en fait une nouvelle de son autorité privée, et
l’affiche, sans prévenir personne, comme si c’était la vraie liste, la liste
originale.
S’il n’y a pas dans ces faits falsification de listes
électorales, il n’y aura jamais falsification. Ce n’est pas moi qui accuse le
bourgmestre, c’est le bourgmestre qui s’accuse lui-même.
Il est bien vrai que l’autorité
judiciaire a décidé qu’il n’y avait pas lieu à suivre contre ce bourgmestre.
Mais qu’est-ce que cela prouve ? Cela prouve seulement qu’on n’a pas trouvé,
dans ces faits, le crime de faux, prévu par le Code pénal.
Mais cette falsification en est-elle moins
blâmable, et un bourgmestre qui se l’est permise, devrait-il être maintenu dans
ses fonctions ?
Sous tout autre que M. de Theux, cette question
n’en serait pas une.
J’ai usé de mon droit et rempli un devoir, en
signalant des faits graves qui résultent de pièces authentiques.
M. le ministre de l’intérieur (M. de
Theux). - Il est certain que le mot « faussaire » se prend toujours en
mauvaise part. L’honorable membre l’a bien compris ainsi, puisqu’il a provoqué
la destitution de ce fonctionnaire. Je dis qu’après les résultats des enquêtes
administrative et judiciaire, il n’y avait pas lieu de prendre cette mesure. Je
dis que les attaques de l’honorable membre sont parfaitement déplacées, pour ne
rien dire de plus.
M. Delfosse. - Et moi je persiste à dire
qu’elles sont parfaitement justifiées par des pièces authentiques.
M. Rogier. - La déclaration que M. le ministre
de l’intérieur vient de faire doit nécessairement restreindre le débat ; car
nous nous devons des égards réciproques, et quoique nous siégions sur des bancs
opposés, jamais nous ne voudrions placer les ministres dans une situation qui
pût porter préjudice à leur santé.
Je restreindrai donc autant que possible mes
observations, et je tâcherai d’y mettre de la réserve, de manière que M. le
ministre de l’intérieur, s’il juge convenable d’y répondre, ne soit pas
entraîné trop loin. Du reste, le cabinet est homogène, et peut-être M. le
ministre des affaires étrangères sera-t-il en mesure, à défaut de son collègue,
de prendre la parole.
Quoi qu’il en soit, si l’on voulait s’épargner les
embarras ou l’ennui des répliques aux orateurs de l’opposition, il y aurait eu
d’abord un premier moyen à employer : c’eût été de ne pas se livrer contre eux
à des récriminations, de ne pas prendre l’initiative de l’agression.
Je ne défends pas à M. le ministre de l’intérieur de se décerner à lui-même tous les
éloges qu’il voudra ; mais ce que je ne puis pas lui permettre, c’est de le
faire aux dépens de ses prédécesseurs et de se laisser entraîner, contre son
gré sans doute, à faire violence jusqu’à certain point à la vérité.
Les modifications apportées à la loi communale ont
eu un grand retentissement dans le pays. Le moindre défaut qu’on a pu reprocher
à ces modifications, c’était leur inutilité au point de vue administratif.
L’opposition a combattu la réforme à la loi
communale comme inutile et inopportune. Au point de vue administratif, il
n’avait nullement été démontré, en effet, que ces modifications fussent
nécessaires. Dès lors l’opposition n’a dû y voir qu’un expédient politique, que
les réalisations d’un système qui tendait à dépouiller les communes des
prérogatives dont elles avaient joui sans inconvénients pour la chose publique,
de les dépouiller, au profit du pouvoir central qui devait faire abus, dans un
intérêt tout politique, des nouvelles prérogatives qu’il demandait.
Ces lois ont été qualifiées de réactionnaires, et à
ce point de vue nous trouvons qu’elles ont été parfaitement qualifiées. M. le ministre de l’intérieur, qui
tient beaucoup à rester conséquent avec lui-même et qui proteste si fortement
contre tout reproche de versatilité, M. le ministre de l’intérieur semble
prendre à tâche de démontrer que, dans toutes circonstances, il s’est montré
beaucoup plus libéral que tous les libéraux. M. le ministre nous a dit :
Ces lois réactionnaires, je n’en suis pas l’auteur ; elles ont leur origine
première dans le cabinet de 1840, composé de libéraux. J’ai été à cette époque
beaucoup plus libéral que M. Liedts. En 1839, une circulaire, tendant à prendre
des informations sur la manière dont la loi communale était exécutée, fut
proposée à ma signature ; j’ai refusé de signer cette circulaire : mon
successeur, M. Liedts, l’a, au contraire, signée. Donc, car voilà la
conséquence, donc M. Lieds est l’auteur des lois réactionnaires, et je n’y suis
pour rien.
Messieurs, il y a une distinction importante à
faire entre la conduite des deux anciens ministres de l’intérieur.
Que, dans les
bureaux du ministère de l’intérieur, l’idée soit venue à quelque employé de
formuler un projet de circulaire aux gouverneurs de province pour leur demander
de quelle manière la loi communale était exécutée ; cela n’a rien d’étonnant,
et j’approuve, quant à moi, les fonctionnaires (page 330) publics à qui il vient des idées, sauf à repousser celles
qui ne seraient pas bonnes.
M. le ministre de
Theux refuse de donner sa signature à cette circulaire ; M le ministre Liedts
donne sa signature.
L’information se fait auprès des gouverneurs ;
ceux-ci consultent les commissaires de
district ; les avis reviennent, et à l’époque où ces avis sont revenus, M. le
ministre Liedts n’était plus en fonctions.
Que vous a dit l’honorable président de la chambre
lorsque déjà il été fait allusion à cette circulaire en 1842 ? Il vous a
dit qu’il n’avait aucun parti pris quant à la réforme, qu’il attendait le
résultat de l’information faite auprès des corps administratifs ; que lorsque
ce résultat lui serait parvenu, il examinerait la question ; que si la question lui
paraissait suffisamment étudiée, que si la nécessité d’une modification à la
loi lui paraissait démontrée, il proposerait au cabinet dont il faisait partie
d’en délibérer.
Voilà dans quel état se trouvait la question.
M. le ministre de Theux n’a pas signé la
circulaire, mais voici ce qu’il a fait.
Le successeur de l’honorable. M. Liedts a proposé
divers projets de loi introduisant des modifications à la loi communale.
L’honorable M. de Theux qui avait, à ce qu’il semble, vu de graves
inconvénients, de grands dangers à signer une simple circulaire destinée à
recueillie quelques renseignements, l’honorable M. de Theux, quand le projet de
loi est présenté, n’est plus frappé des mêmes inconvénients, des mêmes dangers.
Non seulement il accepte le projet de loi présenté par le successeur de
l’honorable M. Liedts, mais il l’aggrave de beaucoup. De telle sorte que c’est
avec raison que l’opinion publique a imputé personnellement à M. de Theux les
lois qualifiées de réactionnaires. L’honorable M. Nothomb avait demandé pour le
gouvernement le droit de choisir les bourgmestres en dehors du conseil, mais de
l’avis de la députation permanente.
M. Nothomb. - La députation permanente
entendue.
M. Rogier. - La députation permanente entendue
; cela sans doute signifiait quelque chose ; cela signifiait qu’en principe et
sauf des exceptions très rares, l’avis de la députation serait suivi. Car si ce
n’était pas pour suivre son avis, il ne fallait pas entendre la députation.
Eh bien, l’honorable M. de Theux, rapporteur de la
section centrale, lui qui avait reculé devant l’immense responsabilité de
donner sa signature à une simple circulaire d’information, M. de Theux trouve
que le ministre ne va pas assez loin ; il fait rayer la disposition relative à
l’avis de la députation ; il accorde au gouvernement le droit de nommer les
bourgmestres en dehors du conseil sans l’avis de la députation.
Ce n’est pas tout, messieurs, cela ne suffisait pas
encore à l’honorable M. de Theux, il fallut porter une atteinte beaucoup plus
grave et plus essentielle à la loi
communale.
Les villes, il faut bien le reconnaître, sont
animées d’un esprit libéral. Cet esprit libéral se reflétait dans les conseils
communaux ; les villes étaient représentées par des administrations libérales,
et cela ne convenait pas à l’opinion contraire.
Que fit-on ? Désespérant de vaincre par les moyens
réguliers, par les moyens légaux, par les moyens que la loi mettait également à
la disposition des deux opinions, désespérant de vaincre l’opinion libérale
avec la loi existante, l’on fit ce qu’ont toujours fait dans tous les pays les
partis réactionnaires, on changea la loi, on chercha à donner une autre
direction à l’opinion, à la faire entrer dans d’autres voies ; et alors on
inventa le fractionnement des collèges communaux. On dit : Puisque
l’esprit communal en masse nous est contraire, voyons, essayons si, par hasard,
lorsque nous l’aurons fractionnée, il nous sera encore contraire ! On fit cette
tentative. Cette tentative n’a pas réussi, parce que l’esprit libéral est
l’esprit national des villes, et vous aurez beau fractionner les villes en
mille tronçons, toujours ces tronçons se dresseront contre vous, et les villes
mutilées vous ont donné et vous donneront toujours des conseillers libéraux,
parce que l’esprit qui les anime est profondément libéral. Donc la tentative
n’a pas réussi, mais le but de M. le
ministre de l’intérieur n’en était pas moins une tentative réactionnaire contre
l’esprit libéral des villes. Cela est évident, ou la loi n’avait point de
portée.
Ainsi, messieurs, je pense que M. le ministre de
l’intérieur a eu tort de faire un grief à son prédécesseur d’avoir signé une
circulaire qui avait pour but de prendre de simples informations ; et je le
répète, M. le ministre n’a pas, lui, signé cette circulaire, mais il a fait
plus, il a proposé un système communal beaucoup moins libéral que celui qui
avait été proposé par M. Nothomb, et il a de plus proposé une autre réforme
bien plus radicale, qui n’était, au fond, qu’une tentative de violence faite à
l’opinion libérale.
Maintenant, messieurs, quand on se rappelle cet
antécédent, n’est-il pas bien naturel que les bruits répandus par certains
journaux relativement au fractionnement des grands collèges, des collèges qui
élisent les membres de la représentation nationale, que ces bruits trouvent
quelque créance ? D’abord, messieurs, l’idée du fractionnement des collèges
électoraux pour la nomination des chambres, cette idée n’est pas neuve, ce ne
sont pas les journaux de l’opposition qui ont pris l’initiative de la nouvelle.
Des journaux ministériels (et on peut, sans accuser les ministres, supposer
qu’ils ne sont pas sans avoir quelques relations avec certains journaux), des journaux
ministériels, tous les jours, prennent pour texte de leur polémique le fractionnement
des collèges électoraux ; tous les jours, des journaux très sérieux déclarent
que c’est là qu’il faut en venir. Et voyez comme ils s’y prennent : ils
vont jusqu’à se dire plus libéraux que beaucoup de libéraux eux-mêmes, car en
demandant le fractionnement des collèges électoraux, ils accordent
généreusement aux villes la réforme électorale. Oh ! écoutez-les ; ils ne
sont pas si rétrogrades qu’on veut bien le dire : ces messieurs, pour peu
qu’on veuille bien leur donner le fractionnement, donneront même aux. villes,
si elles le demandent, le suffrage universel. Pourquoi pas, messieurs ?
L’opinion que nous combattons est si complètement, si radicalement battue dans
la plupart de nos villes ; le fractionnement lui-même l’a si peu sauvée qu’il
n’y a pas de raison pour qu’elle n’essaye d’un nouveau remède.
Peut-être espérait-elle, par le suffrage universel
dans les villes, obtenir un peu de cette influence qui lui échappe tous les
jours de plus en plus, dans tous les centres principaux de l’industrie, du
commerce et de la civilisation.
Messieurs, nous n’avons pas seulement l’initiative
prise par les journaux ministériels, nous avons des députés de la droite, à qui
cette idée du fractionnement des collèges électoraux a souri plus d’une fois.
L’année dernière, un honorable député de Tournay, qui ne se trouve pas en ce
moment à la séance, a mis cette idée en avant. Que dis-je ? L’honorable
ministre des affaires étrangères a mis cette idée en avant dans un rapport
officiel, dans un rapport sur la réforme électorale.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Pas comme
mon opinion.
M. Rogier. - Cette opinion cependant se trouve
reproduite dans le rapport de l’honorable M. Dechamps. Du reste, je suis
enchanté d’apprendre que l’honorable M. Dechamps ne partage pas, à l’égard du fractionnement des collèges
électoraux, l’opinion de quelques-uns de ses amis politiques et l’opinion des
journaux ministériels.
M. le ministre de l’intérieur a dit hier que
c’était là une pure invention ; qu’il ne s’agissait pas de fractionner les
collèges électoraux, mais je n’ai pas vu, je n’ai pas compris que M. le
ministre de l’intérieur repoussât cette idée d’une manière absolue. A mon avis,
il ne s’est pas expliqué d’une manière assez nette, assez précise, sur une
question de cette importance, et si ce n’était pas abuser de sa situation, je
lui demanderais de vouloir bien, à cet égard, s’expliquer plus nettement.
Remarquez, messieurs, que M. le ministre de
l’intérieur n’a pas voulu signer une circulaire relative à de simples
informations sur la loi communale, et que cependant, quelque temps après, M. le
ministre de l’intérieur est venu ici soutenir la loi relative à la nomination
des bourgmestres, qu’il est venu y ajouter l’aggravation de retrancher l’avis
de la députation permanente, qu’il est venu y ajouter, surtout, la loi du
fractionnement. Aujourd’hui, M. le ministre de l’intérieur n’a pas fait, je
veux le croire, de circulaire relative au fractionnement des collèges
électoraux ; il ne signerait peut-être pas une pareille circulaire ; mais
a-t-il bien le parti pris (et il faut s’en expliquer dès maintenant), a-t-il
bien le parti pris de repousser toute proposition, soit qu’elle émanât du côté
des députés ministériels, soit qu’elle émanât de quelqu’un de ses collègues ?
A-t-il bien le parti pris de repousser toute proposition de fractionnement des
collèges électoraux ? Je demande qu’il s’explique catégoriquement sur ce point.
Je me permettrai seulement de lui donner le conseil
de mûrement réfléchir aux conséquences inévitables qu’entraînerait pour le pays
le fractionnement des collèges électoraux. Cette nouvelle guerre déclarée aux villes
porterait avec elle les plus grands dangers. Si nous étions de mauvais
citoyens, si l’esprit d’opposition qui nous anime dans l’intérêt du pays, dans
l’intérêt de nos institutions, si cet esprit pouvait nous aveugler, nous
appellerions de tous nos vœux une pareille loi. Nous croyons qu’une pareille
loi deviendrait le tombeau inévitable et définitif de l’opinion que nous
combattons dans ses exagérations. Mais, messieurs, il ne s’agirait pas ici d’un
succès dans une lutte de parti. (Interruption.)
Je prierai beaucoup les interrupteurs de vouloir bien me répondre et de
répondre principalement à ce que je vais encore dire.
D’autres intérêts que des intérêts de parti se
trouveraient engagés dans une pareille déclaration de guerre adressée aux
villes du pays. Je le répète : comme parti, nous ne redoutons pas la guerre ;
comme citoyens belges, et nous devons être citoyens belges avant tout, nous en
redouterions les conséquences.
Messieurs, je ne veux pas ici vous alarmer de vaines
frayeurs ; je fais un appel à votre bon sens, à la rectitude de votre jugement
; je vous demande si le projet de fractionner les collèges électoraux des
villes, le projet de déclarer de nouveau une guerre ouverte à l’opinion qui anime
les villes du royaume ; je vous demande, messieurs, si un pareil projet ne
porterait pas dans son sein les germes de graves bouleversements. Messieurs, je
soumets cette observation à votre jugement. Je le déclare encore, nous nous sentons
assez forts pour triompher de toutes les lois réactionnaires dont on voudrait
nous menacer ; nous ne les craignons pas pour nous ; dans l’intérêt du moment,
si nous n’écoutions que les passions politiques, nous pourrions appeler ces
lois de tous nos vœux. Mais je le dis, c’est un conseil de citoyen belge que je
donne ; ce n’est pas le conseil d’un homme de parti : Abstenez-vous !
J’abandonne ce terrain brûlant.
M. le ministre de l’intérieur s’est beaucoup
glorifié de l’impulsion qu’il avait donnée à l’enseignement supérieur. C’est à
lui, dit-il, que l’on doit l’organisation de l’enseignement supérieur, que les
arrêtés du gouvernement provisoire avaient réduit à un état misérable.
Messieurs, je ne sais s’il est nécessaire de
défendre le gouvernement provisoire. Ce qu’il a fait pour les universités, lui
a été imposé par les circonstances. Certes, les hommes qui siégeaient au
gouvernement (page 331) provisoire
étaient animés d’intentions trop libérales, pour songer à porter la hache dans
les établissements d’instruction publique Qu’est-il arrivé en 1830 ? Beaucoup
de professeurs étrangers ont quitté le pays ; les uns sont retournés en
Allemagne, les autres sont retournés en Hollande ; leurs chaires sont devenues
vacantes. De là désorganisation. Ah ! si nous avions porté dans les questions d’instruction
publique un esprit qui doit y demeurer étranger ; si nous avions voulu choisir
pour professeurs des hommes de coterie, des hommes de parti plutôt que des
hommes de science, plutôt que des hommes véritablement utiles à la jeunesse ;
si nous avions voulu choisir des créatures de telle ou telle opinion, oh !
messieurs, rien n’eût été plus facile au gouvernement provisoire que de remplir
les chaires vacantes et de réorganiser
ainsi les universités ! Les candidats se présentaient en très grand
nombre ; mais le gouvernement provisoire, par une réserve dont on doit lui
savoir gré, réserve que d’autres n’ont pas gardée dans des moments plus
tranquilles, le gouvernement provisoire n’a pas voulu mettre la politique dans
la science ; il s’est abstenu avec raison de nommer des professeurs dans cette
époque d’effervescence politique. Il eût pu se créer quelques créatures, mais
il aurait fait probablement des choix contraires à l’intérêt de la jeunesse.
Plus tard, messieurs, quand tout était redevenu
calme, quand toutes les nominations ne devaient avoir pour but que l’intérêt de
l’instruction et de la jeunesse, a-t-on gardé cette réserve ?
Cette discussion, je le reconnais, pourrait
facilement prendre un caractère personnel ; je me borne donc à faire un appel à
l’opinion publique, et je dis que pour quelques choix heureux qu’a faits M. le
ministre de l’intérieur, dans les nominations des professeurs des universités,
il en a fait aussi de très malheureux ; je dis que M. le ministre de
l’intérieur, s’il avait porté dans l’organisation de l’instruction publique le
cœur d’un véritable homme d’Etat, placé au-dessus des préjugés de son propre
parti ; je dis que M. le ministre de l’intérieur aurait donné à l’organisation
universitaire d’autres bases, aurait nommé un autre personnel.
Et puis, dans la loi des universités, quel système
a soutenu M. le ministre de
l’intérieur ? Est-ce le système que lui commandait l’intérêt bien entendu de
l’Etat ? Est-ce le système qui devait donner au pays un enseignement vraiment
national ? Est-ce le système qui devait concentrer sur un seul point toutes les
forces scientifiques et littéraires du pays ? Est-ce le système qui devait
créer dans le pays un centre commun où les jeunes gens des Flandres, les jeunes
gens des provinces wallonnes, seraient venus puiser aux mêmes sources,
s’inspirer des mêmes doctrines...
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande
la parole.
M. Rogier. - Et former ensemble cet esprit
national qui nous manque encore, il faut le dire, non pas cependant au degré où
le suppose l’honorable M. Dedecker.
Il y avait alors deux systèmes en présence : le
système d’une université nationale, unique, et le système de deux universités.
J’ai eu alors l’honneur de proposer à la chambre d’établir une seule université
aux frais de l’Etat, proposition dont, à cette époque, je fis connaître les
raisons. Je demandais que cette université unique eût son siège à Louvain ; en
même temps je proposais pour les villes de Liége et de Gand des compensations
telles que tous les griefs de ces deux localités seraient venus à cesser.
Et d’ailleurs, dans une question de cette
importance, il ne fallait pas, au besoin, hésiter à causer quelques petits
mécontentements dans ces deux villes, alors qu’il s’agissait de créer une
institution véritablement nationale. Aujourd’hui je reconnais qu’il y aurait de
grandes difficultés à revenir à ce système ; mais je pense qu’en 1835, si M. le ministre de l’intérieur
avait été pénétré du vif sentiment de ses devoirs, au lieu de combattre ce
système, il s’y serait associé, ainsi que l’ont fait 32 membres, la plupart siégeant sur les bancs où je siège en ce
moment.
Mais alors l’université de Louvain ne serait pas tombée
entre les mains des évêques ; l’université catholique aurait continué d’exister
à Malines, peut-être, mais elle n’aurait pas pu jouir de tous les avantages que
son transfert à Louvain lui a procurés.
Ceci, je le reconnais, c’est de l’histoire un peu
ancienne ; et je n’y serais pas revenu si M. le ministre de l’intérieur n’avait
cru devoir glorifier aussi sa conduite en ce qui concerne les universités de
l’Etat. Je crois qu’il se fait illusion, quand il vient nous dire que
l’enseignement universitaire de l’Etat a pris un magnifique essor. Je crois
qu’il se fait complétement illusion. Je regrette qu’il n’ait pas apporté, à
l’appui de son assertion, la publication du rapport qu’il doit à la chambre sur
l’enseignement universitaire. Si mes renseignements sont exacts, j’ai peine à
le dire, les universités de l’Etat sont dans une situation qui réclame beaucoup
de sympathie de la part du gouvernement et de prompts et énergiques remèdes.
Je ne veux pas en dire davantage. Je répète que M.
le ministre de l’intérieur est très mal informé, quand il vient déclarer à la
chambre que l’enseignement universitaire est dans une situation très
florissante, et j’espère qu’il voudra bien déposer, le plus tôt possible, son
rapport sur l’enseignement universitaire.
Maintenant, messieurs, dans ce qu’il me reste à dire,
il ne sera plus question de M. le ministre de l’intérieur. J’aurais voulu pouvoir
abréger les observations critiques que j’ai été dans la nécessité de lui
adresser en partie pour me défendre moi-même et pour défendre quelques-uns de
mes amis.
On a beaucoup parlé de la situation des Flandres,
on en parlera encore beaucoup et l’on a raison. Je crois que la situation des Flandres est destinée à occuper longtemps
encore les pouvoirs publics en Belgique. Je ne voudrais donc pas
prolonger les débats sur une question qui doit encore nous revenir deux ou trois
fois peut-être dans le courant de cette session. Peut-être oserai-je alors
soumettre aussi à la chambre quelques vues que m’ont suggérées et la réflexion
et l’inspection rapide que j’ai faite des localités. Cette démarche, pour le
dire en passant, je n’en veux pas à ceux qui en ont dénaturé entièrement le
caractère, j’engagerai seulement mes honorables collègues des Flandres à
vouloir bien à leur tour mettre à profit le temps de leurs vacances pour venir
s’informer sur les lieux des besoins des populations wallonnes ; ils y
recevront un accueil très cordial, et nous croyons que la presse wallonne aura
le bon goût de ne pas leur reprocher de venir faire de la propagande politique
; il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, il y a de la misère dans les
Flandres, il y a de la misère dans les Ardennes, il y a de la misère dans la
Campine, il y a partout des malheureux ; les provinces flamandes renferment un
plus grand nombre de pauvres, un plus grand nombre de malheureux, mais je ne
pense pas que la misère prise individuellement soit plus intense pour le pauvre
des Flandres que pour les pauvres des provinces wallonnes ou de la Campine. Je
crois que partout le pauvre, le prolétaire des villes et des campagnes souffre
beaucoup et que partout sa situation mérite la sollicitude du gouvernement et
des chambres.
Depuis longtemps, dans cette enceinte, je professe
une opinion qui n’a pas toujours été accueillie favorablement. Cette opinion y
rencontre encore d’opiniâtres adversaires. Je me suis, en général, montré
partisan de l’intervention sage de l’Etat dans les intérêts publics, et jusqu’à
certain point dans les intérêts particuliers. Je ne professe pas cette opinion
entachée d’une sorte de fatalisme qui consisterait à dire : Il y a eu de
la misère, il y a de la misère ; il y aura toujours de la misère ; le
gouvernement, les pouvoirs publics doivent se croiser les bras et laisser à la
misère son cours inévitable et fatal. Je ne dis pas que le gouvernement doit
intervenir dans toutes les relations sociales et individuelles ; je suis
convaincu qu’il doit laisser à l’énergie individuelle, à l’énergie des
localités à trouver elles-mêmes les premiers remèdes ; mais il y a loin de là à
rester impassible, immobile devant la situation malheureuse des classes
inférieures.
Selon moi le grand but, le plus noble but de la
politique de nos jours, c’est de rechercher incessamment les améliorations à
apporter à la situation morale et matérielle des classes pauvres. Maintenant
est-ce à dire que par la vertu de l’intervention de l’Etat, des pouvoirs
publics, tous les prolétaires du royaume vont devenir propriétaires ? Non, de
pareilles illusions nous ne les partageons pas, mais nous croyons qu’avec une
administration incessamment attentive aux besoins des classes pauvres, il y a
des améliorations nombreuses et efficaces à apporter, il y a un minimum de bien-être moral et
matériel à leur assurer. Voilà ce que nous, partisan de l’intervention de
l’Etat dans les relations sociales, nous demandons pour les classes pauvres.
Jamais les hommes raisonnables de notre opinion n’ont voulu transformer du jour
au lendemain les prolétaires en propriétaires. Nous abandonnons cette doctrine,
non aux réformateurs mais aux dévastateurs des sociétés. Mais il n’est pas
d’homme d’Etat qui puisse songer jamais à s’attacher à d’aussi absurdes, je
dirai presque à d’aussi criminelles utopies.
En votant les sommes demandées par le gouvernement
pour venir au secours des
classes souffrantes, nous avons pourvu au plus pressé. Le moment viendra où
nous pourrons discuter d’une manière approfondie et les mesures prises et les
remèdes indiqués. Parmi ces remèdes, il est un… ; celui-là même, je ne le
discuterai pas en lui-même, mais je dois le relever, parce qu’à mes yeux il
implique une accusation aussi grave qu’injuste contre des hommes politiques,
qui peuvent avoir commis des fautes, mais contre lesquels on ne doit pas recourir
au mensonge et à la calomnie, comme on l’a fait sous le patronage même des
organes du gouvernement.
Un orateur ministériel, malgré le démenti le plus
formel donné à cette assertion, un orateur ministériel, dans la séance d’hier,
est venu encore nous dire : Les Flandres souffrent ; la misère règne dans
les Flandres, parce que nous n’avons pas l’union douanière avec la France ; et
si nous n’avons pas l’union douanière avec la France, c’est parce vous, M.
Lebeau, étant ministre en 1840, vous ne l’avez pas voulu ! Voilà quelles
accusations on ne craint pas de lancer, en présence de populations affamées,
contre des hommes publics, dont on devrait au moins respecter le passé dans ce
qu’il a de pur et de patriotique.
L’union douanière avec la France serait-elle un
remède efficace à la misère des Flandres ? C’est là une grave question, dont la
solution peut être envisagée à divers points de vue. Mais, ce qui doit à bon
droit nous surprendre, c’est que des représentants, des gouverneurs, des
ministres d’Etat, des collègues de MM. les ministres, persistent à leurrer les
Flandres d’une mesure qu’ils savent par expérience, qu’ils savent au fond de
leur cœur, être, en ce moment, d’une réalisation tout à fait impossible. Je
vous demande quel peut être le but de pareilles accusations. Je vous demande si
cela ne révèle pas, je dirai presque une sorte de méchanceté d’esprit.
Eh bien l’union douanière avec la France n’a pas
été refusée par le ministère de 1840 ; l’union douanière ne lui a pas été
sérieusement proposée ; si elle lui avait été sérieusement proposée, et que
dans les circonstances où se trouvait alors l’Europe, il l’eût acceptée, je dis
que le ministère aurait mérité d’être mis en accusation devant la chambre et le
pays, pour avoir donné les mains à ce qui n’eût été, de la part du gouvernement
français, qu’un expédient politique.
(page 332)
Mais s’il y avait des reproches à adresser,
de ce chef, à quelques hommes d’Etat, ce ne serait pas au ministère de 1840.
Avant 1840, dans des circonstances normales, dans
des circonstances européennes les plus favorables, l’union douanière a été
offerte au cabinet dont faisait partie le ministre d’Etat qui ne craint pas de
tourner contre autrui des armes si peu loyales. Pourquoi ne l’avoir pas
acceptée, avant 1840 ? Pourquoi faire un crime au ministère de 1840 de ne pa
avoir posé un acte, qui, s’il eût été posé dans les circonstances d’alors eût
mérité, je le répète, à ce ministère d’être mis en accusation ?
J’ai dit que cette réunion avait été offerte, avant
1840, au cabinet dont faisait partie cet homme d’Etat, dans des circonstances
toutes pacifiques toutes favorables, où n’était certes pas l’Europe en 1840.
Il y a plus : après 1840, quand l’Europe fut
redevenue calme, quand l’orage qui la menaçait alors eut disparu, quand on
aurait pu reprendre les négociations, sans compromettre la nationalité belge,
l’union douanière a été proposée au cabinet dont faisait partie ce même
ministre d’Etat.
J’espère qu’il voudra bien nous
répondre ; je l’y invite formellement ; car il faut que ce manège cesse.
Si l’union douanière devait sauver les Flandres,
vous qui êtes le député des Flandres, vous qu’on accepte comme un des
représentants les plus remarquables de ces contrées, vous auriez, en donnant
les mains à cette mesure, posé un acte grandement utile. C’était, selon vous,
un immense bienfait à répandre sur ces régions malheureuses. Pourquoi ne
l’avez-vous pas fait ? Pourquoi n’avez-vous pas réparé le mal que vous dites,
vous et vos organes, avoir été fait, en 1840 ? Tout était possible alors, tout
était facile et surtout plus opportun.
Beaucoup de choses me restent à dire ; mais je devrais
rentrer dans la critique de la situation du ministère, et je ne veux pas
entraîner M. le ministre de l’intérieur dans des débats auxquels il a témoigné le
désir de ne pas prendre part, en ce moment.
Dans le courant de la discussion de son budget,
peut-être cette circonstance aura-t-elle cessé, et nous pourrons reprendre
alors la discussion que nous abandonnons aujourd’hui.
M. Desmet (pour un fait
personnel). - Si j’ai bien compris l’honorable préopinant, il a dit que si
j’avais fait un reproche à l’honorable M. Lebeau, c’était dans un but méchant.
Messieurs, le fait est complétement inexact.
Qu’ai-je fait ? J’ai répondu par des reproches à des
reproches beaucoup plus violents. Dans tout son discours, l’honorable M. Lebeau
avait adressé les reproches les plus injustes, non-seulement à moi, mais à des
absents. Il est venu prétendre que c’était à nos opinions qu’était due l’augmentation
du paupérisme dans les Flandres.
Quant à ce que j’ai dit de la possibilité qui avait
existé en 1840 de conclure une union douanière avec la France, j’ai simplement
répété ce qui a été dit à la tribune française.
M. de Muelenaere. - Je suis
quelque peu étonné de la violente sortie à laquelle l’honorable député d’Anvers
vient de se livrer contre moi. Je crois n’avoir rien dit, rien fait qui pût
provoquer les paroles acerbes qu’il a prononcées.
Jamais, à aucune époque, ni dans le parlement, ni
en dehors de cette enceinte, je n’ai accusé l’honorable membre, ni aucun de ses
collègues, d’avoir repoussé l’union douanière qui leur aurait été offerte en
1840, et d’être ainsi cause des malheurs qui pèsent sur le pays. Je n’ai pas l’habitude d’ailleurs de faire des récriminations stériles.
Si l’honorable membre connaît les
faits et s’il veut être juste, il reconnaîtra que jamais aucun des cabinets,
dont j’ai eu l’honneur de faire partie, n’a eu à se prononcer sur l’acceptation
ou le refus d’une union douanière avec la France. Aucune proposition de ce
genre ne nous a été faite, je ne dirai pas dans des termes acceptables, mais
pas même dans des termes susceptibles d’une discussion sérieuse.
Quant au fond de la question, mon opinion ne date
pas d’hier, elle est déjà ancienne et les circonstances actuelles me continuent
chaque jour davantage dans cette opinion. J’attache peu d’importance aux mots.
Mais je suis convaincu que le remède le plus efficace aux souffrances si
grandes et si réelles des Flandres, c’est une association commerciale avec la
France sur des bases beaucoup plus larges que celle qui existe aujourd’hui
entre les deux pays.
Messieurs, l’état de ma santé ne me permet pas de
prolonger cette discussion. Je crois en avoir dit assez pour répondre aux
accusations personnelles qui ont été dirigées contre moi.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je
croyais, messieurs, m’être expliqué hier d’une manière très catégorique sur la question
du fractionnement. J’ai dit, en réponse à l’observation de l’honorable M. Verhaegen,
que le gouvernement n’avait rien médité, rien préparé sur cette question. Je
l’ai à mon tour interpellé sur un projet dont la presse a également annoncé
l’existence. Je m’attendais à une dénégation de sa part, aussi franche, aussi
complète que la mienne.
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L’honorable
M. Rogier vient de faire un pas. Si j’ai bien compris sa pensée, il ne doit pas
être question de réforme électorale dans les circonstances actuelles.
Messieurs, je le suivrai, je ferai plus ; je dirai que notre intention n’est
pas de préparer la réforme qu’il a indiquée.
Messieurs, l’honorable membre a cru devoir
justifier le ministère de 1840, parce que j’aurais dit, dans la séance d’hier,
que j’avais refusé, en 1840, d’adresser aux gouverneurs de province une
circulaire tendant à prendre des informations sur la question de savoir s’il y
avait lieu d’apporter un changement au mode de nomination des bourgmestres.
En faisant cette observation, je me suis défendu,
je n’ai pas attaqué. En effet, messieurs, je n’ai aucun motif de blâmer le
ministère de 1840 d’avoir pris l’initiative de cette mesure. J’ai seulement dit
pourquoi j’avais différé
d’opinion avec ce ministère, en 1839, en refusant d’adopter une semblable
circulaire.
Ensuite, messieurs, nous avons vu, par l’enquête
qui a eu lieu, que beaucoup d’administrateurs demandaient non seulement un changement
dans le mode de nomination des bourgmestres, mais même un changement dans le
mode de nomination des échevins. Beaucoup d’administrateurs considéraient un
changement dans le mode de nomination des bourgmestres, comme étant
insuffisant.
Quand nous avons vu présenter le projet de réforme
en 1841, nous l’avons regretté, je le déclare sincèrement. Mais le projet
présenté, messieurs, j’ai expliqué dans la séance d’hier pour quel motif je
croyais que la chambre ne devait pas reculer devant une décision ; parce qu’en
effet, rejeter ce projet, c’était perdre peut-être à jamais l’occasion
d’apporter une modification utile à la loi communale, et c’est pour ce motif
que nous avons voulu renforcer cette modification de manière à ce qu’elle pût
produire des effets utiles ; et, entre autres mesures, messieurs, celle qui, à
notre avis, a été la plus utile de toutes, c’est celle de la prolongation du
mandat des conseillers communaux.
Messieurs, cet amendement c’est moi qui en ai pris
l’initiative, comme de l’amendement du fractionnement.
Pour la prolongation du mandat, j’ai été plus
heureux ; j’ai rencontré également les sympathies des membres de la gauche. Car
ce projet a été voté sans contradiction dans les deux chambres.
M. Delfosse. - J’ai déjà dit qu’il y avait eu des
opposants.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il est
possible qu’il y ait eu un ou deux opposants ; mais cela ne s’appelle pas une
opposition. Je renvoie d’ailleurs à la lecture du Moniteur chacun pourra y voir si ce que je dis n’est pas
complétement exact.
Je n’ai pas dit non plus, messieurs, que le
ministère de 1840 avait arrêté d’une manière irrévocable l’intention d’apporter
des modifications, à la loi communale. J’ai signalé un fait : l’enquête qui
avait été ouverte sous ce ministère.
M. Nothomb. - Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). -
L’honorable préopinant s’est cru également attaqué, comme ancien membre du
gouvernement provisoire, pour les observations que j’ai faites sur l’état des
universités.
Je n’ai pas, encore une fois, blâmé le gouvernement
provisoire, d’avoir apporté des modifications, dans un but politique, au régime
de 1830. Je ne l’ai pas non plus blâmé de n’avoir pas réorganisé immédiatement
les universités. Je me suis borné à citer des faits. J’ai indiqué dans quelle
situation j’avais trouvé l’enseignement universitaire.
Cependant, messieurs, à cette occasion, l’honorable
membre nous adresse deux critiques : d’abord, de n’avoir pas adopté le système
d’une université unique, et, en second lieu, de n’avoir pas fait les choix les
meilleurs possibles.
Messieurs, il me sera facile de faire justice de
ces deux griefs.
L’honorable membre m’a fait l’honneur de me
demander de faire partie de la commission chargée de préparer le projet de loi
sur l’enseignement universitaire comme sur l’enseignement moyen et
l’enseignement primaire.
Eh bien, messieurs, dans le sein de cette
commission, nous avons été unanimes pour adopter le système de deux
universités, et cette commission, vous en connaissez la composition, elle
n’était point suspecte.
L’honorable membre, en déposant le projet de loi
proposé par la commission, n’a point, messieurs, modifié ce projet, n’a point
proposé de créer une seule université.
M. Rogier. - Si vous vouliez me permettre un
mot d’explication ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Volontiers.
M. Rogier. - J’ai déposé le projet sans y rien
changer ; mais, dans l’exposé des motifs, j’ai dit que le gouvernement se réservait
d’examiner s’il ne convenait pas de créer une université unique.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Toujours
est-il vrai que l’honorable membre, au moment où il faisait cette réserve,
n’avait point la conviction qu’une université unique était nécessaire à la
prospérité du haut enseignement,
et dès lors a-t-il le droit de s’étonner que nous n’ayons pas, plus tard,
partagé la conviction qu’il a acquise à
cet égard ? Nous avons, comme ministre, défendu l’opinion que nous
avions adoptée comme membre de la commission.
Est-il, d’ailleurs, bien certain que l’enseignement
aux frais de l’Etat se fût
trouvé mieux d’une université unique que de deux universités ?
Nous en doutons beaucoup, et, au point de vue de la
concurrence de l’université de Louvain, qu’on semble redouter, je pourrais
soutenir que cette concurrence eût été d’autant
plus forte qu’il n’y eût eu qu’une seule université aux frais de l’Etat, qu’il
n’y eût point eu deux grandes villes intéressées au maintien des universités,
qu’une seule ville, une seule province, y eût été intéressée. Au lieu
d’un siège unique, il y a aujourd’hui deux sièges, qui partagent les sympathies
d’un grand nombre de pères de famille. Je dis donc, messieurs, que ce grief
n’est point un grief sérieux.
Quant aux choix des professeurs, avons-nous néglige
de les faire les meilleurs possibles ? En aucune manière, car au moment où la loi a été votée, nous avons fait
et fait faire les démarches les plus actives,
tant en (page 333) France
qu’en Allemagne, voire même en Hollande, pour obtenir des professeurs qui nous
étaient signalés comme très distingués, et qu’il semblait y avoir quelque
chance d’acquérir pour la Belgique.
Eh bien, messieurs, les efforts que nons avons
faits n’ont pas tous été couronnés de succès, beaucoup d’étrangers ont refusé
de venir en Belgique. De ce chef donc, aucune espèce de reproche ne peut nous
être adressée.
Ensuite, messieurs, nous avons pris, dans le sein
du pays, les hommes les plus distingués, non seulement de l’avis des personnes
aptes à juger de leur mérite, mais nous avons fait plus ; nous avons admis à
notre audience tous les candidats qui se présentaient, nous avons examiné
personnellement tous les titres offerts à l’appui de leur demande. Ensuite,
messieurs, nous avons fait même des démarches auprès de personnes qui ne
s’étaient point présentées pour occuper une position dans l’enseignement
supérieur. Je crois qu’en présence d’un tel ensemble de démarches, de soins aussi
assidus, aussi constants, nous sommes à l’abri de tout reproche. Nous pourrions
nous retrancher encore ici derrière l’approbation unanime que l’organisation
des deux universités a reçue dans la presse, à cette époque ; mais nous n’avons
point l’habitude de recourir à ce moyen de justification parce que nous
demeurons toujours étranger à l’action de la presse.
Je pense, messieurs, avoir répondu suffisamment aux
nouvelles observations présentées dans cette séance, mais je m’acquitte
aujourd’hui d’un devoir envers mon collègue M. le ministre des travaux publics. Il n’était point présent à
la séance lorsque l’honorable M. Lebeau
a pris la parole hier, mais je me suis assuré que la double voie qu’on l’accuse
d’avoir négligé de faire construire, est aussi bien qu’achevée, qu’elle le sera
au 1er janvier
et que M. le ministre des
travaux publics a reçu même des félicitations à cet égard du chef de la
compagnie française.
Quant à la station du Nord, à
Bruxelles, elle est achevée en ce qui concerne la partie la plus utile. Pour
les autres travaux, on les a également poussés autant que l’ont permis les
arrangements à concerter avec les administrations communales ; on a poussé avec
autant d’activité qu’on l’a pu, soit les négociations, soit les travaux ; en un
mot, mon collègue m’a fait savoir qu’il est à même de justifier que toutes les
diligences ont été faites de la part de son administration, pour faire l’emploi
le plus utile, le plus fructueux des fonds mis à sa disposition.
Si M. le ministre des travaux publics n’est point
présent à la séance, c’est qu’il est
retenu chez lui par une indisposition. Qu’on ne croie pas cependant, messieurs,
bien que M. le ministre des travaux publics soit indisposé et que je le sois
moi-même, qu’on ne croie pas pour cela que le ministère se considère comme
malade. La chose n’a aucun caractère de gravité. En ce qui me concerne, c’est
un simple refroidissement contracté depuis plusieurs jours, notablement
augmenté aujourd’hui et que la chaleur de la discussion commence déjà un peu à
dissiper.
M. Sigart. - Un honorable membre de cette chambre dans un
discours extrêmement remarquable, a bien voulu s’occuper d’une de mes opinions.
Je ne puis accepter sans réserve le commentaire qu’il lui a donné. Il est bien
vrai, messieurs, que l’une des principales causes de la misère de l’Espagne
réside dans la violation des lois économiques, lois économiques que l’on ne
peut pas violer impunément ; mais cette misère a encore une autre cause ; et en
voulez-vous la preuve, messieurs ? C’est que le lourd monachisme de l’Espagne
n’a pas seulement a augmenté le nombre des pauvres à l’époque dont j’ai parlé,
mais c’est qu’il a encore étouffé le commerce, l’industrie et jusqu’à
l’agriculture, si florissants chez les Maures, tandis que l’inintelligente
charité du protestantisme anglican a bien aussi augmenté considérablement le
nombre des pauvres, mais n’a pas empêché le développement du commerce, de
l’industrie et de l’agriculture en Angleterre. Il y a donc eu l’action d’une
autre cause de misère en Espagne, et cette cause n’a pas dû échapper à un
esprit de la portée de celui de l’honorable membre. Je n’ai pas le droit de
l’interroger, mais si je pouvais le faire, je suis à peu près sûr qu’il m’en
ferait le sincère aveu.
(page 343)
M. Verhaegen.
- L’honorable M. de Theux m’a fait l’honneur à la fin de son discours d’hier, de
m’interpeller officiellement sur une résolution qu’aurait prise l’Association
libérale de Bruxelles au sujet de la réforme électorale, et M. de Theux vient
de renouveler son interpellation.
Eh bien ! messieurs, je viens répondre à M. le
ministre de l’intérieur que je ne répondrai pas. (Rires, murmures.)
Messieurs, suspendez vos rires, vos murmures, vous pourrez
bientôt les adresser au chef de votre parti, à M. le ministre de l’intérieur.
Non, messieurs, je ne répondrai pas, par respect pour
la représentation nationale, pour conserver à la chambre sa dignité au dehors
comme au-dedans.
Je ne veux pas confondre la représentation nationale,
une chambre légale, avec des associations politiques. Je ne veux pas mettre sur
la même ligne un président d’une association politique, quelque respectable
qu’elle soit, et un membre du gouvernement. Dans plus d’une circonstance, j’ai
fait des efforts pour éviter une confusion, que je considérais comme dangereux
à l’ordre et aux vrais intérêts du pays. Je n’ai pas craint même de me mettre
en opposition, sur ce point, avec quelques-uns de mes amis ; et peut-être,
vous, messieurs, qui m’interrompiez il n’y a qu’un instant, n’auriez-vous pas
eu le courage, en pareille occurrence, de prendre le parti que j’ai pris.
M. de Garcia. - Est-ce à moi
que vous vous adressez ?
M. Verhaegen. - Je m’adresse à ceux qui
m’interrompent.
Je ne répondrai pas, je le répète, à
l’interpellation tout au moins imprudente de M. le ministre de l’intéeieur, par
respect pour la représentation nationale. Néanmoins, si M. le ministre de
l’intérieur et ses amis persistent à avoir réponse, nonobstant le vœu que j’ai
exprimé de voir conserver à la chambre la dignité qyu lui convient, alors je
soumettrai l’interpellation à l’association que j’ai l’honneur de présider, et
il pourra s’ouvrir entre cette association et M. le ministre une correspondance
officielle sur la réforme électorale.
(page
333) M.
Nothomb. - Messieurs, mon nom a été trop souvent prononcé, au sujet des
modifications faites à la loi communale, pour que je ne demande pas à la
chambre la permission de m’expliquer en peu de mots sur cette partie de mon
administration.
Messieurs, lorsque nous avons voté la loi
communale, nous n’y avions pas attaché l’idée, que cette loi devait être
considérée comme immuable, à peu
près au même degré que la Constitution. Je n’hésite pas à en appeler ici aux
souvenirs de tous les anciens membres de cette chambre, ainsi que de tous ceux
qui s’occupaient déjà, à cette époque, des affaires publiques. Beaucoup d’entre
nous, même, qui avaient combattu certaines dispositions de cette loi, l’ont en
quelque sorte acceptée sous réserve.
C’était là aussi la doctrine du cabinet qui a
précédé celui dont j’ai fait partie depuis le mois d’avril 1841, et c’est le
véritable sens de la circulaire que mon honorable prédécesseur, M. Liedts, a
adressée aux gouverneurs sous la date du 19 mars de la même année.
Si mon honorable prédécesseur avait pensé que la
loi communale fût immuable.... (Interruption.)
Je prie l’honorable M. Delfosse de ne pas
m’interrompre ; il verra plus tard quelle est la portée des observations que je
fais en ce moment.
Si mon honorable prédécesseur avait pensé que la
loi communale fût immuable, il n’aurait pas signé la circulaire du 19 mars
1841, il n’aurait pas ouvert l’enquête que j’ai trouvée à peu près achevée,
lorsque je suis entrée en affaires le mois suivant.
Une autre loi extrêmement importante avait été
l’objet d’une réforme très grave, je veux parler de la loi sur le jury judiciaire ; elle avait été
soumise à une révision, et l’on n’a pas considéré la loi nouvelle sur le jury
judiciaire comme une loi réactionnaire.
J’ai trouvé l’enquête commencée par mon honorable
prédécesseur, elle a été bientôt achevée ; et cette enquête ayant constaté des
résultats conformes aux anciennes opinions que j’avais défendues dans cette
assemblée, pendant la longue discussion de la loi communale, j’ai saisi la
chambre d’une proposition, proposition ayant pour objet de donner au Roi la
nomination des bourgmestres en dehors du conseil, la députation permanente du
conseil provincial entendue. Cette proposition a été faite à la chambre le 24
janvier 1842.
Je m’étais attendu alors, messieurs, à ne
rencontrer qu’une seule opposition dans cette chambre ; je m’étais attendu à ne
trouver comme opposants au projet que ceux qui d’après leurs doctrines connues,
ont pour tendance d’exagérer, à mon sens, l’action communale ; je ne m’étais
attendu qu’à cette opposition.
M. Lebeau. - Je demande la parole.
M. Nothomb. - Quel a été mon étonnement,
lorsque je me suis trouvé en présence d’une opposition nouvelle, opposition qui
n’allait pas au fond de la question, mais qui se retranchait derrière une fin
de non-recevoir ? Cette fin de non-recevoir reposait sur une prétendue
immuabilité des lois organiques, et notamment de la loi communale. Je me suis
trouvé alors en présence de deux oppositions, et c’est l’opposition nouvelle
qui est venue en quelque sorte changer complétement la position du ministère.
J’avais fait une proposition très simple,
proposition que j’étais loin de considérer comme destinée à soulever de graves
débats ; je n’ai pas tardé à reconnaître qu’une grande discussion m’attendait,
discussion que je ne pouvais accepter qu’en poussant la réforme plus loin. Je
me suis alors associé, non pas à un seul membre de la chambre, mais à la
section centrale dont faisait partie le membre auquel on a fait allusion. (Interruption.)
Il ne faut pas perdre de vue ce qui a changé
complétement la position du gouvernement, c’est qu’au lieu de se trouver en
présence de la seule opposition ancienne, opposition contre ce qu’on appelle
l’action gouvernementale, il s’est trouvé en présence d’une opposition
nouvelle, se retranchant derrière une fin de non-recevoir inattendue. (Interruption.)
Cette fin de non-recevoir devait être inattendue
pour moi, puisque la circulaire de 19 mars 1841, bien qu’elle n’emportât point
l’engagement par le ministère d’alors, de changer la loi communale, emportait
au moins cette idée, que la loi communale n’était pas immuable.
L’honorable M.
Rogier semble disposé aujourd’hui à accepter la proposition première que
j’avais faite dans la séance du 24 janvier 1842. (Interruption de la part de M. Rogier.) L’honorable
membre ne repousse pas cette proposition... (Nouvelle interruption.) Que ce soit de l’avis conforme de la députation
permanente, ou simplement la
députation permanente entendue, mon argumentation reste la même,
c’est-à-dire que l’honorable membre ne se retranche plus aujourd’hui, comme en
1842, derrière une fin de non-recevoir puisée dans la prétendue immuabilité de
la loi communale.
La discussion a eu son cours. Qu’est-il advenu ? Si
je l’avais oublié, l’honorable M. Fleussu
serait venu au secours de ma mémoire. La veille de la clôture de la discussion,
l’opposition qui s’était retranchée derrière le principe de l’immuabilité des
lois organiques, est venue m’offrir la proposition primitive dont on n’avait
pas voulu d’abord, qu’on avait signalée au pays comme aussi réactionnaire que
la réforme plus large à laquelle je m’étais associé avec la section centrale.
Un
membre. - C’est une erreur
M. Nothomb. - Les faits se sont ainsi passés ;
je n’ai pas voulu me fier à mes souvenirs, j’ai relu le Moniteur.
Je me suis
associé à une réforme plus large, qui n’était pas contraire à mes opinions ; et
quand elle était sur le point d’être votée, qu’elle avait rallié une majorité
très grande, des hommes qui avaient voulu ne toucher à quoi que ce soit de la
loi communale, sont venus m’offrir le projet primitif, qu’ils avaient combattu,
alors que son adoption était devenue impossible. (Dénégation). L’honorable M. Fleussu, qui venait me
l’offrir le 3 juin, l’avait combattu à outrance dans la séance du 13 mai.
Un membre. - Vous vous trompez.
M. Nothomb. - Je ne me trompe nullement ; j’ai
vérifié les faits. Ainsi, il y a eu deux résistances dans cette discussion ; la
résistance de ceux qui avaient voulu en 1841, comme ils avaient voulu dans la
discussion de la loi communale une trop grande prépondérance de l’élément
électoral dans les institutions communales. C’est cette opposition que je veux
bien personnifier dans l’honorable M. Delfosse ; la seconde opposition était
celle des hommes qui voulaient, comme moi, la prépondérance du gouvernement, de
l’autorité centrale ; cette opposition n’allait pas au fond de la question ;
elle se retranchait derrière une fin de non-recevoir toute nouvelle. Quand une
réforme plus large était convenue, pour ainsi dire votée, cette opposition
s’est réunie pour venir m’offrir le projet primitif après les grandes
discussions qui avaient rendu son acceptation impossible et dont je voulais au
moins voir sortir une réforme plus large.
M. Lebeau. - A mon grand regret, je me trouve
encore entraîné dans une discussion qui a quelque chose de personnel. Je le
regrette extrêmement, car la discussion actuelle, surtout celle qui nous a occupés
par continuation des discussions des jours précédents, me paraissait devoir absorber
principalement l’attention de la chambre. Aussi, je tâcherai d’être très court.
(page 334)
Jamais aucun de vous n’a émis cette
singulière doctrine que les lois organiques, par cela seul qu’elles sont
organiques, sont immuables. Il n’y a que des insensés qui, en fait de
législation, puissent proclamer l’immuabilité, Tout au plus pourrait-on la
réclamer, et c’est ce que n’a pas même fait le congrès national pour la législation
constitutionnelle elle-même.
Mais ce que les hommes prudents, les hommes
pratiques proclamer et ont proclamé dans la circonstance à laquelle l’honorable
préopinant fait allusion, c’est qu’il n’est pas permis de toucher légèrement à
de lois organiques ; c’est que quand des lois organiques ont à peine
fonctionné, quand ces lois, qui étaient le résultat d’une transaction entre les
diverses opinions de cette chambre, ne dataient que de quelques années ;
quand cette transaction, où nous n’étions pas parvenus à faire triomphe, toutes
nos idées, mais que nous avions loyalement souscrite et que nous abandonnions à
l’expérience, était encore récente, remontait seulement à trois ou quatre ans,
il nous était permis, il nous était ordonné de ne pas les bouleverser avec une
impatience puérile.
Cela nous était surtout commandé, alors que dans le
pays on ne voyait pas les administrateurs d’accord pour signaler des abus
nombreux et graves alors que les modifications proposées aux chambres n’étaient
pas appuyées de cette force d’opinion qui annonce, comme pour la loi du jury
criminel, la nécessité d’une réforme. On ne vient pas ainsi mettre sans raison
à néant une transaction qui avait été loyalement, sincèrement acceptée. J’en
appelle à tous les souvenirs, malgré cette espèce d’enquête par correspondance,
qui était l’œuvre d’un ministre prévoyant, le pays ne réclamait point ces
modifications. Il y a des enquêtes permanentes dans tous les ministères, tant
sur l’exécution des lois civiles et criminelles que sur les lois financières et
administratives, ce qui n’annonce pas néanmoins l’intention de les bouleverser.
Or, il résulte même, je le dis
encore, de cette sorte d’enquête, qu’il
n’y avait pas dans le pays un besoin universellement senti de toucher à la loi
communale.
Quoi ! parce qu’on n’a pas fait triompher dans
la législation quelques-unes de ses idées, il faudra, à la première occasion,
mettre la main sur cette législation et la bouleverser de fond en comble !
Deux fois j’ai voté contre la législation électorale
de 1831 ; cependant, soit dans l’opposition, soit au ministère, je n’ai jamais
pensé que pour faire triompher ce que je croyais juste en matière électorale,
il fallût méconnaître la grave question d’opportunité et de nécessité, et venir
impatiemment brusquer des réformes, dans lesquelles on n’eût pas été appuyé par
l’opinion publique, par le sentiment général du pays.
Voilà dans quelles circonstances on est venu à
plaisir porter la hache dans la législation communale ; c’est lorsqu’elle avait
à peine fonctionné, et que personne, pour ainsi dire, n’avait signalé ni danger
ni même d’inconvénient grave.
Il n’y avait
donc, à nos yeux, aucune raison administrative sérieuse pour expliquer les
modifications qu’on voulait introduire ; c’était donc, dans notre opinion, un
pur expédient politique ; c’était un véritable expédient électoral. Sous ce
point de vue, je n’hésite pas à dire que la loi fut et est restée bien jugée.
Mais savez-vous quel a été le premier effet de
cette réaction ? D’avoir rendu les élections communales cent fois plus
passionnées et dès lors cent fois plus politiques qu’auparavant.
Par cette loi, vous avez obtenu des
résultats diamétralement contraires à ceux que vous attendiez, et qui vous
semblaient certains. On a expulsé des conseils des villes les bourgmestres de
votre couleur, grâce à l’effervescence politique suscitée par vos lois de
réaction et d’expédient, et, circonstance humiliante pour le pouvoir royal,
vous n’avez pas osé les renommer. Je pourrais ici citer des noms propres. Les
électeurs, en les éliminant du conseil, semblaient délier le gouvernement. Vous
avez donc fait une loi qui a
été, pour le pouvoir que vous vouliez fortifier, une cause de faiblesse et de
déconsidération, une loi qui vous a valu un brevet public d’impuissance. Je le
répète, dans toutes les villes où l’on a mis votre homme de prédilection à la
porte, vous n’avez pas osé le faire rentrer dans l’administration.
Vous avez, en outre, par ces lois appelé dans nos
institutions, dans nos habitudes, l’esprit d’instabilité. Vous avez nui
considérablement à la dignité, à la considération du pouvoir, que vous aviez la
prétention de relever. Voilà ce que vous avez fait en modifiant la loi
communale ;
M. Delfosse. - Je crois que l’honorable M. Nothomb aurait
bien fait de ne pas réveiller des souvenirs fâcheux pour lui ; il est des actes que l’on
devrait tâcher de faire oublier. Mais ce n’est pas pour adresser des reproches
à l’honorable membre que j’ai demandé la parole, C’est pour relever une erreur
dans laquelle il est tombé.
L’honorable membre nous a dit que l’amendement de
l’honorable M. Fleussu n’était que la reproduction de la proposition primitive
du gouvernement ; c’est une erreur. D’après la proposition primitive du
gouvernement, il fallait demander l’avis de la députation permanente, avant de
nommer le bourgmestre en dehors du conseil ; mais le gouvernement n’était pas
lié par cet avis, il aurait pu n’y avoir aucun égard. D’après l’amendement de
notre honorable collègue, M. Fleussu, le gouvernement n’aurait pu nommer le
bourgmestre en dehors du conseil que de l’avis conforme de la députation permanente. Cet amendement présentait
bien plus de garanties que la proposition primitive du gouvernement.
M. Nothomb. - Je veux bien
accepter cette rectification de l’honorable M. Delfosse ; mais il n’en reste
pas moins vrai qu’au moment du vote, on
a abandonné le principe : l’inviolabilité de la loi communale, et qu’on
est venu faire l’offre d’une proposition devenue alors impossible.
Je ne pourrais répondre à l’honorable M. Lebeau
qu’en soulevant toute la discussion à laquelle la réforme communale a donné
lieu. Si, comme le dit l’honorable membre, toute modification à la loi
communale était inopportune, je demande alors pourquoi l’enquête commencée par
le ministère précédent ; je demande pourquoi la circulaire du 19 mars 1841 ? On
dit : La circulaire n’émane pas du ministère précédent.
J’ai à cela une réponse extrêmement facile :
Devons-nous admettre qu’un ministre ait agi isolément, lorsque, tant de fois,
on est venu proclamer dans cette chambre l’homogénéité du cabinet ? La
circulaire du 19 mars 1841 est assez importante pour qu’il nous soit permis de
supposer qu’elle n’a pas été ignorée des autres membres du cabinet. Je me permets
seulement cette supposition. Si l’on vient faire une déclaration contraire, je l’accepterai.
Je n’ai pas l’habitude de donner des démentis. J’accepte des rectifications.
M. Lebeau. - Je conçois
l’homogénéité ministérielle dans les actes, dans les résolutions. Mais je crois
que dans la pratique, comme d’après le simple bon sens, chaque ministre est
parfaitement libre de faire des circulaires, des enquêtes par correspondance,
sans en référer à ses collègues, et qu’il n’engage nullement par là leur responsabilité.
Entendre l’homogénéité ministérielle autrement est une chose absurde.
M. Nothomb. - Voici ce que je réponds : Il
y a telle enquête qui peut être un acte d’une extrême importance, parce qu’elle
donne une impulsion aux esprits, et engage les cabinets qui peuvent se former
dans l’avenir.
Règle générale une circulaire est un acte sans
importance ; mais il y a des circulaires qui peuvent être très importantes, par
la portée de l’enquête qu’elles ordonnent. La circulaire du 19 mars 1841 est
dans cette catégorie. Je puis donc supposer que ce n’a pas été un acte isolé.
La réforme n’a pas été considérée comme
inopportune, parce que la loi communale n’a pas été votée avec l’idée
d’immuabilité qu’on lui a attribuée depuis. On a donné ensuite une autre
direction aux esprits, je le sais mais, pour juger la conduite du ministre de
1841, et celle de son successeur, la conduite de l’honorable M. Liedts et la
mienne, il faut se reporter aux idées d’alors, idées qui n’étaient pas aussi
absolues sur le danger de toucher aux lois organiques.
- La discussion générale est close.
La séance est levée à 4 heures et demie.