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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 12 décembre 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre
2) Projet de loi autorisant
le gouvernement à distraire du crédit de 2 millions de francs pour mesures
relatives aux subsistances, inscrits au budget du département de l’intérieur
pour 1845, 500,000 de francs pour le perfectionnement de l’industrie linière,
les défrichements, les irrigations et la colonisation de la Campine. Situation
sociale dans les Flandres (Liedts, Delehaye,
de Theux, Delehaye, de Villegas, de Haerne,
(+règlement de la chambre) Liedts, Rodenbach,
Mast de Vries, Delehaye, de Haerne, de Villegas, de Bavay, Dumortier, Van Cutsem, de Breyne, Delehaye, Rodenbach, (impact
néfaste des interventions de l’Etat en matière d’aide sociale, influence de la
religion sur le paupérisme) Sigart, Lys,
(+influence de la religion sur le paupérisme et antagonisme Flamands-Wallons) de Theux, (+canal de Zelzaete) Lejeune,
(+influence de la religion sur le paupérisme et antagonisme Flamands-Wallons) Desmet, de Haerne)
(Annales
parlementaires de la Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 271)
M. Van Cutsem
fait l’appel nominal à midi et un quart.
- La séance est ouverte.
M. Dubus A lit le procès-verbal
de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Van Cutsem présente l’analyse
des pièces adressées à la chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Edouard De Coop, secrétaire
communal à Woesten, né à Hazebrouck (France), d’un père français, établi en
Belgique avant le 1er janvier
1814, demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit
d’enregistrement.
- Renvoi au ministre de la justice.
_________________
« Le conseil communal de Bruxelles transmet à
la chambre des explications sur la décision qu’il a prise relativement au droit
d’octroi sur les eaux-de-vie
étrangères. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
_________________
« Le sieur Gilbert Frère demande la place de
bibliothécaire de la chambre des représentants. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
_________________
M. Huveners. - J’ai l’honneur de déposer le rapport de la
commission qu’a été chargée d’examiner le projet de loi relatif à la rectification du plan de
délimitation entre les communes de Molen-Beersel, de Kinroy et de celles de Kessenich
et Ophoven.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
Le jour de la discussion sera fixé ultérieurement.
Projet de loi autorisant le gouvernement A distraire
du crEdit de 2 millions de francs pour mesures relatives aux subsistances,
inscrits au budget du dEpartement de l’intErieur pour 1846, 500,000 de francs
pour le perfectionnement de l’industrie liniEre, les dEfrichements, les
irrigations et la colonisation de la Campine
Discussion générale
M. Dumont remplace M. Liedts
au fauteuil.
M. Liedts. - Messieurs,
il m’avait d’abord paru qu’à l’occasion de la loi qui nous est soumise il était
convenable d’examiner sous toutes ses faces la question du paupérisme. Aucune
nation n’a autant d’intérêt que la Belgique à scruter cette question, parce qu’aucune nation sur un sol
aussi peu étendu ne renferme une population aussi nombreuse. Il me semblait que
le moment était venu de passer en revue toutes les parties de notre législation
dont quelques-unes sont loin d’être en harmonie avec une pareille situation.
S’il est vrai, en effet, que dans les années les plus heureuses, la Belgique a
dès aujourd’hui besoin d’acheter à l’étranger pour 13 ou 14 millions de fr. de
céréales, s’il est vrai que chaque année votre population augmente de 40 mille
âmes, il est évident pour tout le monde qu’avant 20 ans, la Belgique renfermera
plus d’un million d’habitants dont l’alimentation dépendra de l’étranger, que
tous les ans la Belgique aura besoin d’acheter pour plus de 50 millions de
francs de denrées alimentaires au-dehors. Qu’on se demande ce qui arrivera si,
dans de pareilles conditions d’existence, une récolte vient à faire défaut à
ceux qui nous suivront.
Cette question du paupérisme, déjà si alarmante
aujourd’hui, présente donc de graves dangers pour l’avenir ; il est plus que
temps que la Belgique s’en préoccupe. Mais après y avoir bien réfléchi, j’ai
pensé que le moment serait peu opportun aujourd’hui ; quand le peuple a faim,
les longs discours ne me paraissent pas de saison. En ce moment il faut courir au plus pressé,
donner du pain à ceux qui en manquent. Je veux donc, pour ma part,
ajourner cette grande question et me borner à présenter quelques réflexions sur
le projet qui nous est soumis. L’occasion de la traiter ne manquera pas de se
présenter dans un délai assez rapproché la loi sur les dépôts de mendicité, la
loi sur les défrichements et d’autres lois encore nous appelleront bientôt à y
consacrer toute notre attention.
C’est une vérité presque triviale que la misère qui
afflige en ce moment les deux Flandres dépend du défaut d’équilibre entre la
population et ses moyens d’existence. Mais il n’est pas connu de tout le monde
quelles sont les causes de cette surexcitation de la population dans ces deux
provinces, plutôt que dans les autres provinces du pays.
Pendant plus de 300 ans, la plupart des nations de
l’Europe ont été tributaires des deux Flandres, pour les tissus de lin. Depuis
le XVème siècle jusqu’à la fin du siècle précédent, cette industrie a été en se
développant et en grandissant, à tel point qu’en 1784 les exportations
s’élevaient au-delà de 22 millions d’aunes.
Il est facile de se faire une idée de l’aisance que
répandait dans les Flandres une industrie qui constituait en quelque sorte un
monopole.
A cette époque, chaque habitation du plat-pays
était une espèce de fabrique ; la culture de la terre était en quelque sorte
accessoire. On comprend aussi
comment une aisance aussi généralement répandue a dû être favorable à la
multiplication de l’espèce humaine dans ces deux provinces.
Toutefois, malgré ces conditions si favorables, la
population était à cette époque moitié moindre de ce qu’elle est aujourd’hui ;
parce que les causes de son développement étaient d’une autre part combattues
par l’absence d’une civilisation aussi développée que la nôtre, par des guerres
incessantes, par le défaut d’une police active et par l’ignorance des règles
hygiéniques ; par l’accumulation des propriétés constituées en mainmorte et par
d’autres obstacles qu’il est inutile d’énumérer.
Quoi qu’il en soit, l’industrie linière,
aujourd’hui que la population est doublée, n’a plus que la moitié de
l’importance qu’elle avait sous l’administration autrichienne, et le
décroissement incessant de cette industrie explique les souffrances qu’endurent
ces populations, à l’heure où nous sommes, puisque le salaire de l’ouvrier a dû
décroître des trois quarts.
A ces causes de détresse est venue se joindre la
perte de deux récoltes successives. Aussi le mal est à son comble ; et l’imagination
a peine à se représenter la misère qui existe dans ces deux provinces. Il nous serait
facile de faire ici le tableau du spectacle hideux que présentent les deux
Flandres en ce moment. Mais il y a un langage plus éloquent que ne pourrait
être le mien. C’est celui des tables de
mortalité.
Je ne veux parler que de ce qui se passe dans
l’arrondissement que je connais le mieux, celui d’Audenarde. Pendant un séjour
que j’ai fait à Audenarde, en septembre dernier, j’ai fait faire un relevé
comparatif des naissances, des décès et des mariages du 1er janvier dernier au 15 août de cette année et des années
antérieures.
Voici à quels résultats je suis arrivé.
Il est connu de vous tous que, dans notre pays,
l’augmentation de la population est de 40 mille âmes par an. C’est-à-dire, que le nombre des
naissances excède annuellement de 40 mille le nombre des décès. Si la
mortalité, dans l’arrondissement d’Audenarde, avait suivi cette progression, le
nombre des décès eût été, du 1er janvier au 1er août, de 2 mille environ.
Savez-vous à combien il s’est élevé ? A 3,600. De
sorte que pour deux mille habitants qui ont payé leur tribut ordinaire à la
nature, il y en a 1,600 qui ont vu leur mort précipitée par des souffrances de
tout genre, et qui ont en quelque sorte succombé à la faim et à la misère.
J’ai la conviction que, si l’on faisait la
comparaison de la mortalité pour les autres arrondissements des Flandres, on
arriverait à un résultat non moins effrayant.
Quels sont, dira-t-on, messieurs, les remèdes à
tant de maux ? Je comprends ici toute la difficulté.
Il y avait d’abord une idée qui semblait accréditée
dans le public ; c’est que le gouvernement et les chambres devaient aviser un
moyen de déplacer de gré ou de force une cinquantaine de mille hommes valides
pris dans les deux Flandres,
parmi les classes les plus pauvres.
Mais, messieurs, un moment d’examen a fait
apercevoir que ce moyen était impraticable.
En effet, messieurs, ceux qui le préconisent et qui
pour l’employer ne reculeraient même pas
devant la force ont-ils bien réfléchi que, pour l’exécuter, la première
condition requise, c’est que le gouvernement possédât soit dans la Campine,
soit dans une autre partie de notre pays, des milliers d’hectares en propriété
? Ont-ils bien réfléchi qu’il faudrait commencer par y bâtir des habitations
pour une population de 50,000 âmes, qu’il faudrait doter chacun de ces colons
d’un capital d’exploitation, qu’il faudrait nourrir pendant deux années au
moins cette population tout entière ? Et tout cela pour enlever aux familles
déjà fort malheureuses dans les Flandres la partie la plus vivace, la seule qui
puisse encore gagner quelque chose, la partie valide de la population ; tout
cela pour venir faire concurrence, soit dans la Campine, soit dans Luxembourg,
et une concurrence à mort, à l’ouvrier
qui a déjà beaucoup de peine à y vivre !
Messieurs, je n’hésite pas à dire que, pour obtenir
ce résultat fort douteux, ce résultat problématique, ce n’est pas avec 50
millions qu’on exécuterait un semblable projet.
Je sais donc gré au gouvernement de n’avoir pas
songé à ce moyen ou (page 272) tout
au moins de l’avoir abandonné. Mais quel est le projet que l’on a substitué à
ce remède un peu héroïque ?
Les mesures que l’on propose sont de deux natures.
Les unes sont en quelque sorte des aumônes,
constituent une loi de secours ; les autres sont présentées comme des moyens
d’avenir.
Comme secours actuel, on proposait une première
somme de 1,200,000 francs, et sur cette somme il fallait déduire environ
400,000 fr. que l’on destinait à la voirie vicinale dent je parlerai tantôt.
Resterait 800,000 fr.
Il était facile de voir, messieurs, que cette somme
était insuffisante. En effet, dans le crédit de 2 millions que nous avons voté
l’année dernière les deux Flandres ont obtenu pour leur part environ
886,000 fr. De telle sorte que si l’on s’était borné à voter cette année
800,000 fr. pour être distribués eu secours, il en serait résulté que les deux
Flandres n’eussent obtenu qu’une part infiniment inférieure à celle qui leur a
été accordée l’année dernière, puisqu’il est évident qu’il y a aussi de grandes
souffrances à soulager dans d’autres provinces, et que dès lors sur les 800,000
fr. il faudrait bien en distraire une fraction pour les autres parties du pays.
Or, messieurs, il est connu de tout le monde que
les besoins aujourd’hui sont plus grands que ceux de l’année dernière. Ils le
sont d’abord parce qu’au malheur de l’année dernière est venu se joindre un
malheur non moins grand, la perte du seigle, et en second lieu la perte d’un
partie du lin qui fait subsister la classe ouvrière dans les Flandres.
Mais les besoins sont encore augmentés par d’autres
causes : La charité privée et les bureaux de bienfaisance ont épuisé leurs
ressources ; les communes, après avoir élevé outre mesure les cotisations
personnelles sur les habitants, ne peuvent plus avoir recours à ce moyen.
Ainsi, messieurs, pour des besoins plus grands, on aurait accordé un secours
infiniment plus réduit.
Du reste, et je lui en rends grâce, le gouvernement
s’est rallié immédiatement, en section centrale, à la proposition qui a été
faite d’élever le chiffre de 1,200,000 fr. à 1,500,000 fr.
Un deuxième crédit, messieurs, nous est demandé ;
on propose de voter une somme de 300,000 fr., pour venir au secours de l’industrie
linière. Ici, messieurs, je ne me fais pas illusion ; quoi qu’en pensent certains
membres de la chambre, je ne puis voir dans le mode que l’on se propose de
suivre pour la répartition de ces 300,000 fr., autre chose qu’un appui donné à
des espèces de succursales des bureaux de bienfaisance.
Messieurs, examinons ce qu’ont fait les comités
liniers et quel bien ils pourront faire dans l’avenir. On s’applaudit des
résultats produits par ces comités liniers et je m’en applaudirais également
s’il s’agissait d’une création purement temporaire et non d’une création
permanente. En effet, messieurs, en 1845 il y a eu dans la Flandre occidentale
123 ateliers ; ces 123 ateliers ont produit une valeur d’environ 5 à
600,000 fr. et, messieurs, de
l’aveu des plus grands partisans de ces ateliers, la perte a été de plus de
55,000 fr., c’est-à-dire de plus de 10 p. c. J’ai de bons motifs de croire que
la perte est infiniment supérieure et j’en trouve la preuve notamment dans le
rapport de M. le commissaire de
l’arrondissement de Courtray qui dit positivement, en écrivant à son chef, le
gouverneur de la Flandre occidentale : « Le résultat des opérations
des comités liniers n’est pas encore bien connu ; mais la perte équivaut à
environ 40 à 45 p. c. » Eh bien, messieurs, avec une perte qui s’élève à
10 p. c. selon les promoteurs de ces institutions et à 40 ou 45 p. c. selon le
commissaire de l’arrondissement de Courtray, avec cette perte on a fait
travailler dans la Flandre occidentale 16,000 fileuses et 300 tisserands. Comme
aumône, je ne critique pas cet emploi, mais si l’on veut faire des comités
liniers une institution permanente, je ferai remarquer qu’il y a, à côté de ces
16,000 fileuses, 80,000 autres fileuses, dont vous rendez la position plus
précaire ; qu’il y a, à côté de ces 300 tisserands, 2,000 autres tisserands
dont vous augmentez la misère, déjà très grande, par la concurrence que vous
venez leur faire.
Comment, messieurs, un comité industriel qui
dispose des deniers publics, qui n’a pas besoin d’intermédiaires pour vendre,
qui fait ses achats en gros et dans les moments les plus opportuns, qui, pour
revendre aux fabricants, sait également attendre le moment le plus favorable,
qui n’a pas besoin de voir s’il gagne ou s’il perd, puisque toujours la grande
caisse viendra renouveler son capital, comment, messieurs, un comité semblable
perd 20 p. c. de son capital, et vous voulez qu’un pauvre père de famille qui
doit, lui, employer des intermédiaires, qui doit faire ses achats par petites
fractions, qui doit acheter par une livre à la fois sa matière première, à qui
personne ne vient en aide, vous voulez que cet homme, déjà à l’extrême limite
de la mendicité, n’y tombe tout à fait par la création de ces comités, comme
institution permanentes ? Mais il faudrait fermer les yeux à la lumière pour ne
pas voir que si vous voulez perpétuer ces comités liniers, vous créerez la
mendicité dans les deux Flandres à un si haut degré qu’il n’y aurait que la
mort qui pourra y porter remède.
Un troisième chiffre, messieurs, est destiné à la
voirie vicinale. Ici, si je considère le tableau de l’emploi qui a été fait des
deux millions, je regrette d’y trouver la preuve que les deux Flandres ont
obtenu une bien faible part de cette allocation, eu égard à leur importance.
Cependant, comme je veux être juste avant tout, je ne tairai pas une
circonstance qui explique peut-être cette différence. Dans les deux Flandres,
grâce au règlement qui régit cctte matière dans ces deux provinces, l’entretien
des chemins vicinaux est dans
beaucoup de localités à la charge des propriétaires riverains (interruption) ; c’est du moins ce
qui a lieu pour beaucoup de communes, tandis que dans toutes les autres
provinces, l’entretien des chemins vicinaux se fait au moyen d’un rôle de
cotisation.
Il résulte de cette différence que si les communes
demandaient des subsides au gouvernement pour les aider à améliorer la voirie
vicinale, ces subsides viendraient en déduction des obligations imposées aux
riverains et ne diminueraient en rien celles des communes. Je conçois dès lors
que les communes des Flandres aient adressé au gouvernement moins de demandes
de subsides que les communes des autres provinces du pays.
Mais, messieurs, si cette explication est vraie en
fait, elle doit avoir au moins pour conséquence que le gouvernement, s’il veut
être juste, devrait accorder d’autant plus facilement de pareils subsides aux
communes qui en font la demande et donner aux Flandres une autre espèce de
compensation encore.
Quoique les Flandres possèdent déjà des voies de communication
très belles, il ne faut pas s’imaginer cependant qu’il n’y manque plus de routes
pavées ; il en manque un grand nombre, et je pourrais en signaler plus d’une
dans le seul arrondissement qui m’a envoyé ici. Je me bornerai pour le moment à indiquer une route qui rejoindrait
deux grandes routes de l’Etat, celle d’Audenarde sur Grammont, et celle
d’Audenarde par Alost sur Gand. M. le ministre des travaux publics pourrait
rendre la vie et le bonheur à cinq
communes pendant l’hiver que nous allons traverser, s’il voulait immédiatement
s’occuper de terrassements et de pavements dans ces localités ; il s’agit d’un
chemin de deux lieues, pour la construction duquel la province allouera un
subside de 40,000 francs, et les cinq communes dont la route doit traverser le
territoire, créeraient des ressources de leur côté, quoiqu’elles soient bien
malheureuses.
J’espère, messieurs, qu’il suffira d’avoir indiqué
ce moyen de rétablir un juste équilibre entre les provinces ; que le
gouvernement ne reste pas en défaut de satisfaire à cette partie de sa mission.
Un autre chiffre, enfin, est relatif au défrichement
des bruyères dans la Campine et ailleurs ; j’ai vu avec plaisir l’addition des
mots : « et ailleurs »
dans le projet ministériel. Ce serait, en effet, une erreur de croire qu’il n’existe
de terrains qui ont besoin d’être rendus à
l’agriculture, que dans le Limbourg, dans la Campine et dans le
Luxembourg ; on sera peut-être étonné d’apprendre que, dans les deux Flandres,
il est encore 13,000 hectares de bois et de bruyères dont une grande partie
appartient à des particuliers, et qui lentement d’année en année sont dérodés
et cultivés.
Ce défrichement coûte beaucoup et rapporte peu les
premières années ; il n’y a que les grands propriétaires qui puissent y procéder.
Mais j’ai la conviction que si, eu égard aux circonstances dans lesquelles nous
vivons, le gouvernement voulait procurer du travail aux ouvriers des communes où
de semblables biens sont situés ; s’il voulait venir en aide aux propriétaires
pour ce défrichement ; j’ai la conviction, dis-je, que beaucoup d’entre eux
hâteraient ce déboisement beaucoup plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici, et
procureraient ainsi à la classe ouvrière un travail considérable dont elle est
privée.
Messieurs, j’ai dit en commençant que je remettais à d’autres temps l’examen de
plusieurs parties de notre législation qui me paraissent susceptibles
d’améliorations ; je ne puis cependant résister au désir de signaler dès
aujourd’hui un point de notre législation qui appelle une prompte révision ;
révision qui opérerait un bien immense pour l’agriculture. J’entends parler de
la loi sur l’expropriation forcée. Je m’explique. Le capital agricole a ses
bornes, mais s’il est si restreint aujourd’hui dans les Flandres, c’est par
suite de la difficulté qu’on éprouve à
lever des fonds sur les immeubles eu égard au morcellement dont ils ont
été l’objet depuis des siècles dans ces provinces. Les dépenses d’expropriation
forcée, les frais que doit faire le prêteur pour rentrer dans son capital si on
n’en paye plus les intérêts, égalent souvent le capital lui-même.
Ainsi sur une parcelle de terre d’une valeur de
deux mille francs, c’est tout au plus si un propriétaire parvient à emprunter un millier de franc.
Pourquoi ? Parce que le préteur commence par déduire les frais si énormes de l’expropriation
éventuelle, et ne risque en hypothèque que la différence.
Si on arrivait à simplifier cette procédure dispendieuse,
tracassière, inconcevable, si au lieu
de devoir dépenser six à sept
cents francs pour arriver à récupérer
un capital prêté, on pouvait y parvenir au moyeu d’une dépense de deux à trois
cents francs, dès ce moment le capital agricole grandirait d’un tiers. Ce
serait un bienfait inappréciable pour le plat pays.
Je pourrais passer en revue bien d’autres points de
notre législation ; mais, je le répète, ce travail donnerait lieu à de longues discussions.
J’attendrai donc une autre occasion pour le faire,
et je me bornerai ces observations pour le moment.
M. Delehaye. - Messieurs, je pense que dans une discussion
comme celle qui nous occupe, dans une discussion qui a pour objet de fournir
des secours à la classe ouvrière,
il serait convenable que M. le ministre des travaux publics fût présent à la
séance. Je suis étonné de son absence, quand nous discutons une question aussi
importante.
Je prie un de ses collègues de vouloir bien
l’inviter à se rendre à la chambre.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
l’honorable président de cette chambre
a appelé à juste titre notre attention sur la (page 273) situation présente, et sur la situation
éventuelle de la population, en espérance surtout d’une progression qui jusqu’à
présent a été considérable. Sans doute si cette progression devait être
constamment la même, on arriverait au bout d’un certain nombre d’années à un
chiffre de population auquel le pays ne pourrait pas procurer les moyens d’une
existence convenable. Mais il en est de l’accroissement de la population comme
de toute chose. Chaque pays a des ressources limitées, ce qui amène forcément
un point d’arrêt à cette progression ; soit que le nombre des mariages diminue ou que l’émigration se fasse,
le développement de la population se ralentit à mesure qu’elle est arrivée à
son apogée, ou à l’apogée des ressources du pays C’est là une vérité constante
de tous les temps.
Messieurs, vous avez à pourvoir aux résultats de
deux calamités : la calamité qui depuis plusieurs années frappe
l’industrie linière ; et celle qui depuis deux années a frappé l’agriculture.
Nous avons à pourvoir au présent et nous avons à pourvoir à l’avenir. Quelles
sont les mesures que le gouvernement a concertées pour cette double nécessité ?
Les premières mesures, les plus importantes, les plus permanentes sont celles
qui ont pour objet d’augmenter la production du sol, d’augmenter le travail
agricole Notre pays renferme encore un très grand nombre d’hectares de terrains
aujourd’hui incultes qui peuvent être cultivés avec succès ; il en renferme
encore un grand nombre qui sont susceptibles de culture meilleure.
Pour amener toute la production que le sol peut
fournir, pour procurer tout le travail qu’il peut donner, il fallait d’abord
présenter une loi sur les défrichements, amener la vente forcée des terrains
communaux, là où les communes, imbues de vieux préjugés, ne voudraient pas
suivie les progrès de l’époque ; il fallait intervenir, au moyen des fonds de
l’Etat, dans toutes les mesures utiles de défrichement, pour que cette grande
mesure de l’aliénation des terrains communaux produisît tout son effet. De ces
deux mesures le gouvernement a pris l’initiative.
Nous appelons de tous nos vœux la discussion
prochaine de la loi sur les défrichements, car je n’hésite pas à dire que de
tous les projets de loi y dont
la chambre est saisie, c’est le plus important. C’est aussi celui que le pays
appelle le plus de ses vœux. Vous avez pu consulter l’enquête préparatoire qui
a été imprimée et sur laquelle le conseil d’agriculture a émis son avis. Ce
document a été distribué à tous les membres de la chambre. Vous avez eu l’avis
du conseil d’agriculture, vous
avez l’exposé des motifs du gouvernement ; d’autre part, vous avez un rapport
de l’ingénieur Kummer qui contient des données très utiles. J’espère que,
moyennant ces documents et le travail que prépare la section centrale, la
chambre se trouvera suffisamment éclairée pour donner une prompte solution à cette question.
Indépendamment de ces mesures, nous avons soumis à
la chambre un projet concernant l’enseignement agricole, car nous sommes
persuadés que les terres anciennement cultivées sont susceptibles
d’amélioration de culture, sont susceptibles de donner de plus grands produits.
Eh bien, messieurs, ces différentes mesures doivent produire d’immenses
résultats dans l’avenir.
En ce qui concerne l’industrie linière, nous nous
sommes arrêtés également à une mesure que nous considérons comma d’une immense importance
; c’est celle de la création d’une société linière qui, tout en procurant des
débouchés à cette importante industrie, aiderait puissamment à l’organisation
du travail ; et c’est en vue de cette société que nous avons proposé à la
chambre un crédit de 300,000 fr. pour aider à l’organisation du travail,
combiné avec la société linière. Ce projet pourra être présenté vraisemblablement
dans le courant de la semaine prochaine. Maintenant, nous pouvons dire que
l’affaire est arrivée à maturité par le consentement des personnes qui doivent
intervenir dans la société.
Le gouvernement vous a encore présenté récemment un
projet concernant l’exportation des étoupes. C’est un projet d’une haute
importance pour le travail. J’oubliais de dire, en parlant des mesures que le
gouvernement a concertées relativement à l’agriculture, qu’il est encore
question de deux autres projets de loi, dans le même ordre d’idées.
C’est celui qui tend à favoriser les irrigations,
en autorisant les propriétaires à demander le passage des eaux sur le terrain
d’autrui, et d’autre part à accorder des exemptions d’impôt pour les
défrichements. Vous savez qu’aujourd’hui la loi accorde une exemption d’impôt
de 30 ans pour la conversion de terrains incultes en bois, et de 10 ans
seulement pour la conversion des terrains incultes en terres arables. Or comme
c’est de celles-là que nous avons le plus besoin, et que c’est la culture des
terres arables qui coûte le plus, nous pensons qu’il convient d’étendre le
terme de l’exemption d’impôt accordée à cette espèce de culture.
Des travaux publics en grand nombre seront exécutés
dans le cours de l’année prochaine, non seulement des travaux concédés, mais
ceux entrepris aux frais de l’Etat : des routes, des chemins vicinaux, des
canaux.
Voilà toutes mesures qui, en procurant un soulagement
immédiat à la classe ouvrière, procureront ainsi des bienfaits permanents au pays
et seront une nouvelle source de travail dans l’avenir.
L’écoulement des eaux n’a pas non plus échappé à
l’attention du gouvernement. M. le ministre des travaux publics saisira encore
la chambre de propositions spéciales à cet égard.
En ce qui concerne les besoins du moment, le
gouvernement y a pourvu avec la plus vive sollicitude : d’abord il vous a
proposé une loi qui interdit la sortie
des denrées alimentaires et qui en rend libre l’importation. Il vous a proposé,
en outre, un crédit de 1,200,000 fr. pour secours, que nous avons consenti,
d’accord avec la section centrale, à majorer jusqu’à 1,500,000 fr. Si de
prime abord nous n’avons pas proposé ce chiffre, c’est que nous avons pensé que
certaines mesures auraient pu réaliser une amélioration plus prompte.
Ensuite, nous avons remarqué que le prix des
denrées alimentaires a continué à augmenter, et que l’hiver s’est annoncé d’une
manière précoce.
Mais ce n’est pas seulement 1,500,000 fr. qu’il
faut envisager comme distribués en secours à la classe ouvrière. Il faut ranger
dans la même catégorie les 300,000 fr. proposés pour l’industrie linière, et
les 500,000 fr. pour différents travaux d’irrigation et de défrichements. De
manière qu’il s’agit de 2,300,000 francs, c’est-à-dire d’un crédit supérieur de
300,000 fr. à celui qui a été voté
dans la session dernière.
Les 300,000 francs demandés pour l’industrie
linière ne le sont pas à titre d’aumône ; ils doivent être employés en
encouragements réels et sérieux du travail. Il ne s’agit pas d’employer cette
somme à aider la classe la plus pauvre à faire concurrence à des ouvriers qui
peuvent à peine vivre de leur salaire. Non ! telle n’est pas la destination de
cette somme.
Si quelque peu de fil doit être livré aux fileuses
pour les mettre à même de suivre les progrès que doit amener le règlement
proposé par la commission spéciale pour le numérotage des fils ; si quelques
toiles doivent être achetées aux tisserands qui font, pour la première fois,
usage de métiers perfectionnés, ce n’est pas une concurrence ; c’est une
véritable nécessité, parce que les tisserands ne peuvent s’exposer à faire,
comme premier essai, une toile qu’ils ne peuvent vendre un prix suffisant pour
les indemniser de la main-d’œuvre. Ce n’est nullement urre concurrence à
l’industrie d’autres ouvriers.
Le comité central, qui existe déjà à Gand (et il en
sera créé un semblable à Bruges), propose au gouvernement l’emploi des crédits
qui seront mis à sa disposition pour les comités locaux, et l’on aura soin de
veiller à ce que les 300,000 fr. ne soient pas employés en aumônes ni à faire
une concurrence nuisible à d’autres ouvriers.
Un projet de règlement a été élaboré au ministère,
il vient d’être envoyé au comité central de Gand et à l’avis des députations
permanentes des deux Flandres ; aussitôt que nous aurons reçu cet avis, le
règlement sera définitivement adopté. Ainsi les comités recevront une
organisation stable et plus régulière que celle qui a existé jusqu’aujourd’hui.
Je sais qu’on pourra dire qu’en présence du grand nombre de fileuses et de
tisserands, la somme de 300,000 fr. peut paraître insuffisante ; mais il serait
impossible d’en employer une plus forte, dans le cours de l’exercice prochain,
attendu qu’il faut non seulement des fonds, mais encore le temps de faire faire
aux métiers les changements qu’ils doivent subir, et de donner l’instruction
nécessaire aux ouvriers qui doivent les mettre en œuvre.
Ainsi tout a été calculé pour l’emploi du crédit de
300,000 fr. Nous avons la conviction que si une somme plus forte était allouée,
elle ne pourrait être utilement employée.
Mais cette somme est demandée à titre de fonds de
roulement. De sorte que quand des instruments auront été perfectionnés, et que
les tisserands auront, par leur travail, remboursé le prix de ces
perfectionnements, le même avantage pourra être accordé aux ouvriers qui le
réclameront.
On s’est demandé s’il s’agissait, messieurs, d’une
institution permanente des comités de l’industrie linière. Non, messieurs, il
ne s’agit que d’une mission temporaire. Mais combien de temps durera cette
mission ? C’est ce qu’il n’est pas possible de déterminer à l’avance. Il faudra
attendre, messieurs, les résultats de l’expérience, et surtout voir quel effet
aura amené la création de la société linière.
Vous voyez donc, messieurs, que le gouvernement a
concerté un ensemble de mesures, qu’il a approfondi les conséquences de chacune
de ces mesures et que tout a été complétement mûri ; que ce n’est pas à la
légère qu’aucune des propositions que nous vous avons soumises a été adoptée
par le cabinet.
M. le président. - Je vais
donner connaissance à la chambre de deux amendements qui sont parvenus au
bureau.
Le premier est ainsi conçu :
« Nous proposons d’augmenter de 500 mille fr.
le crédit de 1 million 500 mille fr. demandé par la section centrale pour
mesures relatives aux subsistances. »
(Signé) Rodenbach, Biebuyck, Clep, de Naeyer, Dedecker, Thienpont, de Haerne,
Van Cutsem, Maertens.
Voici le second :
« J’ai l’honneur de proposer de porter à 600 mille
fr. le chiffre de 300 mille fr. proposé pour le perfectionnement de l’industrie
linière. »
(Signé) de Haerne.
La chambre veut-elle entendre maintenant les développements
de ces amendements ?
M. Delehaye. - Je demande
la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, nous avons pour habitude d’accorder la parole aux membres qui proposent un
amendement à une loi ; cette
habitude, messieurs, est peut-être conforme aux dispositions de notre
règlement. Mais si actuellement, par cela seul qu’un membre demande une
augmentation du chiffre, il a le droit d’avoir la parole avant tous les autres,
il en résultera que celui qui désirera obtenir la parole avant tous ceux de ses
collègues qui sont inscrits avant lui, n’aura qu’à proposer, fictivement même,
une majoration de la somme pétitionnée. Ainsi, si je veux parler, je n’aurai
qu’à demander que cette somme soit augmentée d’un million. Vous voyez que c’est
une manière fort facile de renverser l’ordre des inscriptions et de primer ses
collègues.
(page 274) Messieurs, je suis inscrit depuis
hier. J’ai cédé mon tour de parole à un membre qui a dû s’absenter. Si, pour
cet acte de complaisance, je dois être privé de mon tour de parole, je proposerai
à mon tour une augmentation, et ainsi parce que j’aurai fait un amendement, on
devra m’accorder la parole. J’aurais d’ailleurs pu signer l’amendement dont on
vient de donner lecture, et demander la parole pour le développer. Je ne l’ai
pas signé, et j’en dirai les motifs.
Je crois, messieurs, que dans le cas actuel il faut
suivre l’ordre d’inscription.
M. de Villegas. - Messieurs,
les observations présentées par l’honorable M. Delehaye sont complétement
justes : il faut suivre l’ordre des inscriptions. Les amendements se
rapportent aux articles du projet, et leurs développements viendront d’une
manière plus opportune et plus régulière lors de la délibération sur les
articles.
M. de Haerne. - Messieurs, je concevrais la justesse
des observations présentées par l’honorable M. Delehaye, s’il s’agissait
seulement d’une majoration de chiffre. Certainement il aurait dans ce cas
parfaitement raison. Mais souvent les chiffres renferment un principe, un
système, et tel est celui que je présente. Je vous avoue franchement
que je n’ai conçu mon amendement qu’au moment où j’ai entendu l’honorable M.
Liedts développer son opinion sur les comités des Flandres et alléguer
l’autorité du commissaire d’arrondissement de Courtray. C’est pour obvier aux
inconvénients qui ont été signalés par l’honorable M. Liedts, que j’ai proposé
mon amendement. Je veux faire voir en quoi les renseignements que cet honorable
membre a obtenus sont inexacts, et vous faire connaître la manière de faire
disparaître les inconvénients dont on se plaint. C’est à quoi tend la
majoration qui fait l’objet de mon amendement.
Vous voyez
donc que, dans mon intention, le chiffre que je propose n’est pas
seulement un chiffre, mais qu’il renferme un principe. Or, la chambre ne peut
juger du système que j’ai eu l’honneur de proposer, que lorsqu’elle en aura
entendu les développements. Je prie donc la chambre de bien vouloir m’accorder la parole.
M. Liedts. - Je demande la parole pour un rappel au
règlement.
Messieurs, je suis fort aise qu’étant descendu du
bureau, je puisse expliquer la manière dont j’ai toujours compris le règlement.
J’avoue que ce que j’appelle un abus, la
présentation d’amendements pendant la discussion générale, n’est pas nouveau.
Cela s’est passé plusieurs fois, et j’ai essayé en vain de faire respecter le
règlement sur ce point ; mais puisqu’il m’est permis maintenant de développer
mon opinion en quelques mots, je saisis cette occasion pour faire rentrer la
chambre dans le règlement, dont elle n’aurait jamais dû sortir.
Messieurs, aux termes de notre règlement, il y a
deux discussions. Il y a d’abord une discussion générale, qui, selon l’article
40 du règlement, porte sur les principes et sur l’ensemble des propositions.
Vient alors la discussion des articles, et les amendements ne peuvent se
rattacher qu’aux articles. C’est donc lorsque la discussion des articles arrive
que l’on peut proposer des amendements et les développer, en obtenant la parole
avant tous les autres orateurs.
Dans ce moment la chambre s’occupe de la discussion
générale. Je ne blâme personne de présenter des amendements pendant la
discussion générale ; mais je dis qu’on n’a le droit de les développer, de les
faire appuyer, et de les discuter que lors de l’examen de l’article auquel se
rattachent ces amendements.
Je vous prie, messieurs, de prendre sous vos yeux
l’article 40 de votre règlement ; rien n’est plus clair. L’article 40 suppose
une discussion générale. Et quand le règlement parle-t-il des amendements ? Lorsqu’il
a dit qu’une discussion s’ouvre sur chacun des articles. C’est alors que le
règlement s’occupe des amendements qui se rattachent à ces articles, et qu’il
accorde à leurs auteurs le droit de les développer par priorité en quelque
sorte sur le tour de parole de tous les autres orateurs.
Je demande donc,
messieurs, qu’on prenne ceci pour règle à l’avenir ; qu’il ne soit défendu
à personne de proposer des amendements et des sous-amendements lors de la
discussion générale ; mais que les membres qui les proposent n’obtiennent la parole qu’à leur tour, qu’on suive l’ordre des
inscriptions, sans tenir compte des amendements, vrais ou prétendus, qu’on
viendrait présenter dans la discussion
générale. En suivant une autre marche, voici à quel abus on pourrait
arriver : c’est que les auteurs des amendements étant toujours libres de
les retirer, il n’y aurait réellement plus de tour de parole, attendu que celui
qui voudrait parler dans une discussion générale, ferait une proposition,
obtiendrait la parole avant les orateurs inscrits peut-être depuis huit jours,
et lorsqu’on en viendrait aux articles, il retirerait sa proposition.
Je crois donc, messieurs, que c’est un abus qu’il
faut proscrire. Je regrette de ne pas entendre l’honorable M. Rodenbach et les autres auteurs
des amendements ; mais nous les entendrons un peu plus tard lorsque leur tour
de parole sera venu.
M. Rodenbach. - Messieurs,
je ne demande pas à développer immédiatement mon amendement. Je désire me
conformer au règlement, tel que vient de l’expliquer notre honorable président,
et j’adhère aux observations qui vous ont été faites par l’honorable M.
Delehaye et par l’honorable député d’Audenarde.
Je n’entends pas enlever aux orateurs inscrits leur
tour de parole ; je suis d’ailleurs inscrit moi-même dans la discussion générale.
J’attendrai jusqu’à ce qu’on soit arrivé à l’article
« Subsistances » pour développer mon amendement.
M. Mast de Vries. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, nous avons perdu hier complétement une
séance. Je ne sais pas si, du train dont nous allons, nous n’en perdrons pas
encore aujourd’hui une nouvelle.
Il s’agit aujourd’hui d’une question de
subsistances ; une partie de la population est privée de nourriture, et chaque
retard que nous apportons à la solution de cette question, doit occasionner de
nouveaux malheurs. La question regarde principalement les honorables députés
des Flandres, puisque ce sont les Flandres qui y sont le plus intéressées. Eh
bien, que les honorables députés des Flandres veuillent bien s’abstenir de
prononcer de plus longs discours. Nous savons tous combien sont grandes les
souffrances qu’il s’agit de soulager, et nons sommes tous disposés à y porter
remède. Si vous avez de nouvelles propositions à faire, si vous voulez demander 5 ou 600,000 francs
au lieu de 300,000, soyez assez généreux pour remettre ces propositions à un
autre jour ; nous les renverrons aux sections ou à la section centrale, et nous
les discuterons après un examen préparatoire. Mais en attendant votons
aujourd’hui le crédit que nous voulons tous accorder. Lundi le sénat se réunit
; eh bien, que mardi le projet puisse être converti en loi !
M. Delehaye. - Je ne sais
pas si l’honorable membre a voulu nous faire perdre une séance par une motion
qui pourrait donner lieu à une longue discussion ; mais ce qui est certain,
c’est que parce que nous sommes députés des Flandres, nous ne devons pas voter purement et simplement les crédits qui nous
sont demandés, sans nous inquiéter de l’emploi qui en sera fait. C’est cet
emploi, messieurs, qui est la question principale, et nous sommes convaincus
que le gouvernement veut entrer à cet
égard dans une mauvaise voie. C’est cr que nous devons signaler, c’est un point
sur lequel nous ne saurions trop appeler l’attention de la chambre.
M. de Haerne. - J’avais pensé, messieurs, que
d’après le règlement il m’était permis de développer immédiatement mon
amendement, bien que mon tour de parole ne fût pas arrivé ; mais les
explications qui ont été données par l’honorable M. Liedts m’engagent à ne
présenter mes développements que lorsque mon tour sera venu.
M. de Villegas. - Je regrette
bien sincèrement de ne pas pouvoir accepter le conseil de l’honorable M. Mast
de Vries. Je lui promets cependant de ne pas être long. Je me suis levé pour
appuyer les observations si pleines de justesse et de vérité que l’honorable
président de cette chambre a développées. Je ne vous demande, messieurs, que
cinq minutes d’attention.
J’ai dit, dans une autre circonstance, que lors de
la discussion du crédit relatif aux subsistances, j’aurais examiné la
suffisance ou l’insuffisance des moyens proposés par le gouvernement, en vue de
porter remède
à la situation. Je ferai cet examen aussi rapidement que possible.
Il est évident que le gouvernement n’a pas et ne peut
pas avoir la prétention de porter un remède au mal qui existe, d’extirper la
mendicité des Flandres et d’y ramener un état prospère. Cette prétention serait
chimérique. Un remède efficace est impossible. Mais le gouvernement peut soulager
la misère, en venant au secours des communes, en procurant ou en perfectionnant
le travail et en recherchant des débouchés à nos produits industriels. Telle
est la pénible tâche qu’il doit s’efforcer de remplir, avec le concours de la
législature, des autorités communales et de la charité privée.
Le gouvernement ne peut pas perdre de vue que le
mal est devenu plus intense depuis l’année dernière. Ainsi que j’ai eu
l’honneur de le déclarer dans la discussion de l’adresse, la crise alimentaire
augmente, les caisses communales sont épuisées et des charges de toute espèce
accablent le contribuable et surtout le campagnard. Dès lors, n’est-il pas
étonnant que le gouvernement, au lieu de maintenir et d’augmenter même le
crédit de l’année dernière, l’ait diminué pour 1847 ?
La section centrale, dont j’ai fait partie, n’a pas
hésité un instant à accepter la responsabilité d’une demande d’augmentation de
crédit, confiante qu’elle est dans la sollicitude de la chambre pour alléger
les souffrances du pays. Elle offre ainsi au gouvernement les moyens de venir
plus efficacement au secours des populations flamandes, sur lesquelles pèse,
d’une manière désastreuse, la décadence de l’industrie linière. J’espère que
les intentions de la section centrale seront comprises et que leur réalisation
immédiate ne se fera pas attendre, car le danger presse et la misère est
effrayante.
De quelle manière doit-on conjurer le danger qui
nous menace, en attendant l’espoir d’un meilleur avenir ?
Voilà le problème que le gouvernement doit résoudre
avec l’aide et les lumières des hommes sincèrement dévoués à leur pays.
Je parlerai plus particulièrement des provinces où
l’intensité du mal est la plus grande. Aux causes générales de la misère
publique, viennent se joindre des causes spéciales qui affectent plus
particulièrement les Flandres et quelques localités du Hainaut. J’entends
parler de la décadence de l’industrie linière, qui jadis était la principale
source de la prospérité des Flandres.
La concurrence et le perfectionnement du travail
ont porte un coup fatal à cette
industrie. Il est donc du devoir du gouvernement de venir au secours de cette
masse de travailleurs, non pas avec l’espoir de recouvrer notre ère de
prospérité, mais en vue d’alléger le poids de la situation actuelle, d’aider à la transformation de l’industrie et
de ménager ainsi la transition. Sans cette intervention immédiate, active et intelligente,
(page 275) la faim dévorerait la
population, et le salut du pays tout entier serait compromis.
Maintenant que nous avons démontré que le devoir le
plus impérieux existe pour le gouvernement de venir au secours de la classe
nécessiteuse, il reste à examiner de quelle manière il doit intervenir.
M. le ministre de l’intérieur nous a fait connaître
l’emploi des deux millions votés en 1845. La plus forte partie du crédit a été
dépensée en prêts, ou subsides et en travaux d’irrigation et d’amélioration
pour la voirie vicinale. Je ne puis assez engager le gouvernement à procurer
tout le travail possible et à l’encourager d’une manière sérieuse. Le travail
est le premier besoin de notre population.
C’est donc vers l’organisation du travail que doivent tendre
les soins constants du gouvernement. Rien de plus salutaire et de plus efficace
que l’impulsion qu’il donne à la confection des routes, à l’amélioration de la
voirie vicinale, à l’exécution des travaux d’utilité publique en général.
Mais le gouvernement ne peut pas tout
faire ; il faut que l’action particulière et celle des communes et des
provinces viennent se joindre aux ressources dont il dispose. Il en est de même
des subsides à donner aux communes. Si ces subsides ne sont pas employés avec
intelligence, les efforts demeureront stériles et la situation des choses ne
changera pas. Il est impossible d’indiquer d’avance aux communes l’emploi
déterminé des sommes qu’elles recevront. Cet emploi dépend des besoins et des
ressources des localités.
C’est en suivant cet ordre d’idées,
que je dirai quelques mots de l’emploi que M. le ministre de l’intérieur compte
faire de la somme de 300,000 fr. pour aider au perfectionnement de l’industrie
linière.
En dépeignant sous les couleurs les
plus sombres la situation des arrondissements liniers des deux Flandres, je
suis resté au-dessous de la vérité. La population, si considérable dans ces
deux provinces, qui, depuis quelques années, ne trouvait plus que de très
faibles ressources dans l’industrie linière, est plongée maintenant dans la
plus effrayante misère. L’augmentation exorbitante dans les prix des denrées
alimentaires de première nécessité devait immédiatement avoir ce résultat. Une
seule mauvaise récolte a suffi pour réduire cette population à toute extrémité.
En effet, depuis longtemps elle avait épuisé toutes ses ressources ; son
travail de chaque jour n’étant plus en rapport avec les besoins que chaque jour
fait naître. Comment peut-on vivre, même dans les années d’abondance, avec un
salaire qui, pour le tisserand, ne dépasse pas, en moyenne, 60 centimes par
jour et 16 centimes pour la fileuse ? La crise des subsistances a donc porté à
son comble la crise du paupérisme dans les Flandres. Il est devenu une calamité
publique.
En présence d’une situation si grave
qu’elle menace de compromettre la tranquillité du pays, je ne m’arrêterai pas à l’examen des mesures d’avenir qui
ont été indiquées. Je sais gré au gouvernement d’avoir commencé l’étude de la
question sous ses différentes faces. Je crois aussi que l’on peut attendre de
bons effets de l’amélioration dans les procédés du travail, en procurant aux
ouvriers de meilleurs outils, et leur apprenant dans des ateliers-modèles à en
faire usage, à conformer leurs produits aux besoins et aux goûts de nouveaux consommateurs,
à multiplier dans le même but leur variété, en éclaircissant les rangs trop
serrés de l’industrie linière, afin d’initier une partie de ses travailleurs à
d’autres branches d’industrie, en considérant enfin tous ces moyens par la
recherche de nouveaux débouchés et l’exportation de nos produits, exportation
qui, seule, peut élever et soutenir le rapport du prix du travail au prix des
subsistances et, par conséquent, remédier au mal dans sa source.
Ces vues sont bonnes et louables sans
doute. Mais rappelons-nous que l’industrie linière n’est pas soumise à une
influence directe, immédiate, comme si elle s’exerçait dans des
fabriques ; ses ouvriers sont, au contraire, dispersés dans les campagnes,
isoles, livrés à la routine et, de plus, profondément découragés par la misère.
Il faudra dont des efforts soutenus,
un zèle éclairé, des sacrifices d’argent, et, ce dont les hommes ne sont pas
les maîtres, il faudra du temps. S’il était possible de changer tout à coup les
habitudes d’un peuple et de diriger son industrie à volonté, jamais un
gouvernement n’éprouverait d’embarras, mais il ne faut pas se faire illusion,
rien n’est plus diicite que d’opérer un pareil changement ; aucun effort, soit
individuel, soit même national, ne peut rétablir d’un trait cette vive demande
de marchandises et de travail perdue par les événements.
Si l’avenir peut se présenter à nous
sous de meilleurs auspices, le présent est bien triste, bien menaçant. Ses
besoins sont bien impérieux. Il s’agit de donner du pain, des vêtements, un
abri à ceux qui n’en ont pas, non pas seulement sous la forme de salaire, mais
aussi sous la forme de secours, afin de prévenir, autant qu’il est en notre
pouvoir, que des milliers de personnes ne meurent d’inanition et de dénuement.
C’est à cette extrémité que nous en sommes venus.
J’approuve donc les mesures proposées
par M. le ministre de l’intérieur, à la condition toutefois qu’au lieu de centraliser ses bienfaits, M.
le ministre les répande dans les localités intéressées. Je m’explique. Il
existe à Gand un atelier modèle élevé et entretenu à grand frais. Cet
établissement n’a procuré que de très faibles avantages à l’industrie linière.
Pourquoi ne pas transporter les ateliers d’apprentissage aux chefs-lieux ou
dans le centre des districts liniers ? C’est là que des progrès utiles
pourraient ètre faits et que l’application de nouveaux outils pour filer ou
tisser aurait un résultat immédiat. Le tisserand y recevrait un meilleur
salaire que s’il était obligé de se porter à 8 ou 10 lieues de distance, pour
gagner à l’atelier modèle 1 fr. 50 c. par jour, et de se nourrir et de
s’héberger à ses frais. Il est encore une autre observation très importante. Si
vous n’établissez pas dans le centre de chaque district linier des ateliers
modèles, suffisamment fournis d’outils pour filer et tisser, comment
voulez-vous que l’on parvienne à déraciner les préjugés qui existent
malheureusement à la campagne contre le perfectionnement du travail ? Lorsque
le tisserand verra fonctionner
les nouveaux outils de filage ou de tissage, ces préjugés disparaîtront, il
prendra goût au travail perfectionné et contribuera à le populariser. J’espère
donc que M. le ministre abandonnera cette idée de centralisation, dans
l’intérêt de l’industrie linière, et que des ateliers d’apprentissage seront
transportés dans les districts où le besoin s’en fera sentir.
Je ne veux pas terminer, messieurs,
sans joindre ma voix à celle de l’honorable M. Liedts, pour recommander à toute
la sollicitude du gouvernement le district dont je suis chargé de défendre les
intérêts. Il n’y pas, en Belgique, de district plus malheureux que celui
d’Audenarde. Comme l’a dit notre honorable président, l’excessive mortalité y
est le baromètre de la misère. J’espère que le gouvernement aura égard à cette
malheureuse situation et nous viendra promptement en aide.
Je recommande en
outre à M. le ministre des travaux publics la confection de la route d’Elst à
Hundelgem, dont le plan lui a été soumis il y a quelques jours. Je le prie de faire
étudier cette route et d’en ordonner l’exécution. Cette route est d’une utilité
incontestable dans une contrée entièrement dépourvue de moyens de
communication, surtout pendant la saison rigoureuse. Cette route, qui formerait
une tangente entre les routes de l’Etat de Grammont vers Bruxelles, et
d’Audenarde à Gand et à Alost, aurait moins de 10,000 mètres de longueur et ne
coûterait pas 10,000 francs.
Indépendamment de la nécessité bien
reconnue de donner du travail à la classe ouvrière, le gouvernement ne peut pas
perdre de vue que l’arrondissement d’Audenarde se trouve dans une position
exceptionnelle, qu’aucune ligne de chemin de fer ne traverse son territoire et
que c’est avec les deniers de tous les contribuables que ces voies de
communication ont été créées. Nous avons donc droit à un dédommagement, et nous
l’attendons avec confiance de la justice du gouvernement.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs,
je reconnais que l’arrondissement d’Audenarde est un de ceux dont la situation
est aujourd’hui la plus précaire. Je reconnais également que cet arrondissement
est un de ceux où l’on a jusqu’à présent exécuté le moins de travaux. Je pense
donc que toutes les raisons de convenance et d’équité se réunissent pour me
faire donner une attention spéciale au projet qui m’a été signalé par
l’honorable préopinant et par l’honorable M. Liedts.
J’ai donc ordonné immédiatement
l’étude de ce projet ; et vraisemblablement d’ici à peu de temps, lorsque ces études seront faites, je pourrai
m’expliquer à cet égard d’une manière plus précise, et prescrire, le cas
échéant, les mesures d’exécution.
Puisque j’ai la parole, je crois
utile de faire connaître à la chambre que, dans mon opinion, les travaux
publics pourront atténuer, d’une manière marquée, le mal dont le pays souffre
en ce moment.
Les travaux publics n’ont, je pense,
à aucune autre époque, reçu une plus vive impulsion, n’ont, à aucune autre
époque, eu un aussi grand développement. Les seuls chemins de fer concédés
occupent en ce moment environ 8,000 ouvriers. Je puis, messieurs, faire
connaître, par ligne, le nombre d’ouvriers employés.
On emploie actuellement au chemin de
fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, 2,660 ouvriers ; au chemin de fer de Namur à
Liége, 1,041 ouvriers ; au chemin de fer de Manage à Mons, 747 ouvriers ;
au chemin de fer de Marchienne-au-Pont à Erquelinnes, 984 ouvriers ; au chemin
de fer de Saint-Trond à Hasselt, 210 ouvriers (ce dernier nombre est très
inférieur au nombre des ouvriers qui ont été employés précédemment, et cela
tient à une seule cause : le presque achèvement des travaux ; selon toute
apparence, la route de Saint-Trond à Hasselt pourra être ouverte vers la fin de
janvier.) ; au chemin de fer de Louvain à la Sambre, 650 ouvriers ;
au chemin de fer de Tournay à Jurbise, 800 ouvriers ; au chemin de fer de
la Flandre occidentale, 600 ouvriers.
Je dois faire remarquer que le nombre
des ouvriers employés au chemin de fer de la Flandre occidentale dépassait mille
il y a fort peu de temps. La seule cause qui soit venue restreindre ce nombre,
c’est la difficulté d’obtenir les terrains dont on a besoin ; tous les plans
ont été approuvés pour la partie de la ligne de Bruges à Courtray, comprise
entre Thourout et Courtray ; tous les plans parcellaires ont été publiés ; la
seule cause qui retarde le développement des travaux, c’est, je le répète, la
difficulté d’obtenir les terrains ; j’ai tout lieu d’espérer que cette
difficulté viendra bientôt à cesser ; les concessionnaires m’ont promis de
la manière la plus formelle qu’ils donneraient aux travaux tout le développement
possible ; ils tiennent beaucoup à compléter leur ligne jusqu’à Courtray vers
le milieu de l’année prochaine ; et il serait impossible que ce résultat fût
atteint, sans un travail poussé vivement dans la saison d’hiver.
Les différents chiffres d’ouvriers
que je viens d’indiquer, s’élèvent ensemble à 7,692.
Il est à remarquer de plus que ces
différentes entreprises sont la source de l’existence d’un très grand nombre
d’ouvriers employés en dehors des travaux de la ligne, soit dans les usines,
soit aux carrières. Messieurs, je puis également vous donner un aperçu de nos
travaux de routes. Les travaux de routes actuellement en voie d’exécution
représentent une somme totale de 3,816,000 fr. ; et les travaux qui viennent
d’être adjugés ou qui pourront être adjugés d’ici à un temps fort court
s’élèvent à une seconde somme de 1,740,000 fr. Nous aurons donc prochainement
des routes en cours d’exécution pour cinq à six millions de francs.
Les travaux de routes, je le reconnais,
n’ont pas eu une grande importance dans les deux Flandres, pays où les
communications sont d’un établissement facile, et où, par conséquent, le plus
grand nombre de routes utiles sont établies depuis longtemps. Je pense donc
que, pour venir sérieusement en aide aux Flandres, il faut des travaux autres
que de travaux de routes, et je pense que nous trouverons, sous ce rapport, une
ressource précieuse dans les travaux d’écoulement déjà arrêtés en principe par
la législature.
D’après les données que j’ai
recueillies, il est possible de faire utilement, dans les Flandres, des travaux
de terrassement pour une somme de 1,800,000 fr. Ces travaux seraient les
suivants :
Deuxième creusement de la première
section du canal de Zelzaete : fr. 345,000.
La chambre sait que le canal de Zelzaete
n’a pas encore la profondeur à laquelle il doit être porté. D’après le rapport
qui m’a été adressé par M. l’ingénieur en chef chargé de ce travail, les
travaux pourront être entamés dès cet hiver, à la condition de creuser dans le
canal, vers la partie du milieu, un chenal dans lequel les eaux se réuniraient,
de manière à maintenir à sec les parties latérales.
Après la première
section du canal de Zelzaete, nous avons le canal de Schipdonck décrété par les
chambres à la session dernière. Les travaux de terrassement de ce canal
s’élèvent à 649,800 francs.
L’on pourrait enfin faire un
troisième travail reconnu utile et nécessaire depuis longtemps : ce serait
le creusement de la deuxième section du canal de Zelzaete, depuis Damme jusqu’à
St-Laurent. Ce travail permettrait de consacrer, en terrassements, une somme de
816,750 fr. Ces trois sommes réunies s’élèvent donc à près de millions.
J’ai depuis longtemps donné tous mes
soins à presser toutes les mesures qui doivent précéder l’exécution des
travaux, et je puis assurer la chambre que je serai en position de faire mettre
la main à l’œuvre d’ici à quelques semaines au plus tard.
M. Dumortier (pour une
motion d’ordre) - Messieurs, il ya encore 17 orateurs inscrits ; il est donc
très vraisemblable que la loi importante qui est en discussion, ne pourra pas
être votée aujourd’hui ; je demande à la chambre de décider dès à présent que,
si la discussion n’est pas terminée aujourd’hui, elle la continuera lundi et
qu’elle ne fera les nominations auxquelles elle devait procéder ce jour-là
qu’après le vote de la loi sur les subsistances.
- La proposition de M. Dumortier est
mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La parole est à M. Van Cutsem.
M. Van Cutsem. - Messieurs,
je viens également appuyer le projet de loi par lequel le gouvernement vous
demande des fonds pour soulager les misères de plusieurs centaines de mille de
nos concitoyens qui sont privés
de tout, les uns parce que le travail leur manque, les autres parce qu’ils ne
trouvent plus, dans une industrie jadis florissante, une rémunération qui leur
permette de pourvoir à lents besoins et à ceux de leur famille.
Je crois inutile, messieurs, de vous
entretenir longuement des horribles privations qu’endurent des milliers
d’ouvriers dans nos Flandres ; vous les connaissez comme moi, vous savez que
dans certaines localités ils n’ont pas même la nourriture de la brute, que dans
d’autres des chevaux abattus pour maladies ont été dévorés avec avidité par des
hommes affamés, que les ressources communales sont épuisées dans les localités
où la misère règne, que les personnes qui ont le moyen de se passer des secours
de la charité publique sont dans nos communes au nombre d’une sur trois, qu’un
tel état de choses fait fuir la campagne par ceux qui possèdent ; qu’on ne voit
plus que pauvreté et désolation dans nos champs, et que la misère décime vos
populations.
La misère est telle dans nos Flandres,
que les malheureux qu’elle accable cherchent à s’en défendre en se rendant dans
les dépôts de mendicité et en commettant des délits pour être reçus dans les
prisons ; mais c’est en vain qu’ils ont recours à des moyens aussi déplorables
pour échapper à la faim ; ils ne peuvent se procurer des aliments au prix de
leur liberté dans ces tristes refuges, les portes leur en sont fermées ; le
dépôt de mendicité, qui suffisait jadis aux besoins de deux provinces, devrait
avoir aujourd’hui une dimension triple et quadruple pour contenir les mendiants
de l’une de ces provinces ; les prisons d’arrondissement, qui sont construites
pour renfermer quarante à cinquante individus, n’ont jamais une population de
moins de 125 à 130 personnes, et ne peuvent plus servir qu aux criminels et non
à ceux qui, pour vivre, vont prendre quelques fruits de la terre sur les
champs, ni à ceux qui enlèvent du pain chez le boulanger avec l’intention de se
faire arrêter, ni à ceux qui commettent des bris sde clôture pour manger le
pain destiné aux malfaiteurs.
Il y a quinze ans, messieurs,
l’ouvrier trouvait, dans l’arrondissement qui m’a envoyé ici, une honnête
existence par son travail ; cette aisance a diminué d’année en année ; aussi, d’année en aunée les délits y ont augmenté. Avant 1830, 350
crimes et délits étaient perpétrés chaque année dans l’arrondissement de
Courtray ; en 1840, 900 et en 1846 le chiffre s’en élèvera à 1,500, et encore
ai-je la conviction qu’on ne signale pas à l’autorité judiciaire un larcin sur
trois, et que la mendicité n’est plus poursuivie ; les mendiants sont arrêtés
et presque toujours rendus dans les vingt-quatre heures à la liberté, parce
qu’il n’y a pas de lieux suffisants pour les détenir.
Mais en admettant pour un moment que
les prisons pourraient recevoir tous les individus qui seraient trouvés
mendiant, pense-t-on qu’on ait le droit de les condamner dans des provinces où
on ne veut pas les admettre quand ils se présentent volontairement à la porte
des dépôts de mendicité, lorsque le législateur du Code pénal de 1810 n’a prononcé
de peine contre les mendiants que pour le cas où ils mendieraient dans des
lieux pour lesquels il existait un établissement public pour obvier à la
mendicité. et alors qu’il serait constaté que la mendicité serait due à la
fainéantise et à l’inconduite ?
Pour moi, je pense que, puisque les
dépôts de mendicité sont supprimés de fait dans la Flandre occidentale et
orientale, la mendicité ne doit plus y être poursuivie, parce que l’une des
circonstances constitutives de ce délit manque dans ces provinces, celle de
l’existence d’établissements destinés à recevoir les individus dénués de
ressources autres que celles de la charité publique.
Je vous ai dit, messieurs, que
j’appuierai le projet de loi actuellement en discussion, parce qu’il est
destiné à soulager de grandes infortunes. Toutefois je ne puis me dispenser de
dire qu’avec les douze cent mille francs pétitionnés par le gouvernement ou
avec les quinze cent mille francs demandés par la section centrale, deux ou
trois francs par individu à secourir, alors que cet individu manque de tout, le
gouvernement ne sera pas à même de soulager beaucoup les misérables qui après
tout ont le droit d’exiger de la société dans laquelle ils vivent le pain de
l’aumône ou celui que procure le travail. Si je ne propose pas en ce moment
d’amendement pour augmenter ce subside, c’est que je pense que les chambres
devant être réunies pendant les moments les plus difficiles que nous aurons à
traverser, le ministère ou les membres de cette assemblée pourront venir vous
demander de nouveaux subsides ; sans cette circonstance, je vous demanderais de
tripler le subside pétitionné, ne dût-on en trouver le montant que dans les
bons du trésor ou dans un nouvel emprunt.
Je viens de vous dire, messieurs, que
les malheureux, dans toute société organisée, ont droit au pain de l’aumône ou
au pain du travail. Mais il va sans dire qu’il est du devoir du gouvernement de
leur procurer le pain du travail, chaque fois que la chose est possible ; le
pain du travail moralise et relève l’homme à ses propres yeux, aux yeux de ses
concitoyens et aux yeux de sa jeune famille ; l’aumône l’avilit devant
lui-même, devant ceux qui l’entourent et finit par l’abrutir parce qu’elle lui
enlève tout respect de lui-même.
Que le crédit de quinze cent mille
francs, que nous allons accorder pour soulager les classes nécessiteuses, soit
donc principalement employé à procurer de l’occupation dans les communes ou à
proximité des communes où la nécessité s’en fera le plus sentir, et que les
travaux publics soient exécutés de telle manière, qu’il soit toujours possible
à l’ouvrier, en s’y rendant le matin avec ses provisions de bouche, de rentrer
le soir dans sa famille. En effet, messieurs, si les canaux à creuser sur les
routes à faire se trouvaient à de grandes distances de la demeure des ouvriers
que nous voulons secourir, ces ouvriers obligés de se loger et de se nourrir
hors de leurs familles, dépenseraient pour eux seuls un salaire qui doit servir
à pourvoir à leurs besoins et à ceux de leurs familles ; pour éviter cet
inconvénient, donnons-leur de l’ouvrage à une lieue, à deux lieues au plus de
leur demeure ; ils y trouveront leur existence et celle de leur famille.
A mon avis, il convient de faire des
chemins vicinaux, d’améliorer la voirie vicinale dans les communes où la misère
sévit le plus ; mais on doit se garder de déplacer les populations ; il ne faut
pas envoyer, par exemple, les misérables des Flandres dans la Campine pour y
défricher les bruyères ; faire chose pareille serait ruiner les populations
actuelles de la Campine et aggraver la misère des colons, qu’on finirait par
renvoyer à leur domicile de secours ; c’est le mélange d’habitants aisés et de
leurs ouvriers qui seul est appelé à fertiliser la Campine.
Si c’est pour nous un devoir de
donner des moyens d’existence à notre population ouvrière, il est tout aussi
nécessaire de mettre à la disposition du gouvernement le subside de 300,000
francs qu’il nous demande pour aider au perfectionnement de l’industrie
linière, quelle que soit du reste l’opinion des membres de cette assemblée sur
la possibilité ou l’impossilité de faire vivre l’industrie linière à la main à
côté de l’industrie linière mécanique, parce qu’en donnant à nos fileuses le
secours que nous réclamons pour elles, nous soutiendrons, nous élèverons même
leur salaire encore pour plusieurs années, et nous rendrons la transition, si
elle doit avoir lieu, moins brusque et moins désastreuse.
Essayez donc, messieurs, une dernière
fois, si l’industrie linière à la main peut vivre à côté de l’industrie linière
mécanique, en nous mettant à même de prendre les mesures qui, d’après nous,
peuvent sauver cette industrie si morale, si digne de toutes nos sympathies ;
accordez-nous les cinquante mille francs que le gouvernement destine à aider le
classement et le numérotage de ces fils, mettez-nous à même d’assortir nos fils
pour que nous puissions obtenir une étoffe régulière et uniforme dans toute sa
longueur, mettez-nous à même de prouver que notre confiance n’est pas
illusoire, ou acquérez pour vous la preuve, en mettant à la disposition de
l’ancienne industrie linière les sommes demandées, que cette industrie ne peut
vivre comme industrie spéciale à côté de la nouvelle industrie linière. Cette
preuve, vous en avez besoin pour démontrer qu’ils ont tort ceux qui croient que
l’ancienne filature à la main peut exister à côté de la nouvelle, qu’ils ont
tort de le croire alors que la France et d’autres pays du continent demandent
chaque jour des toiles faites avec le fil à la main, toiles que nous ayons bien
du mal à leur livrer, tantôt parce que le lin de première qualité, acheté par l’étranger,
n’a pas été mis à la disposition de nos fileuses, toiles que nous ne pouvons
pas leur livrer, d’autres fois, parce
que le tisserand travaillant avec d’anciens métiers, avec des outils
imparfaits, ne trouvant plus un juste salaire dans son ouvrage, renonce à se
livrer plus longtemps à une fabrication qui est sans compensation pour lui.
Je crois superflu, messieurs, de vous
faire voir les avantages que le pays a à attendre au perfectionnement du
tissage ; chacun sait qu’en perfectionnant cette partie de notre fabrication,
le gouvernement ne rendra pas seulement service à l’ancienne et à la nouvelle
industrie linière, mais que les industries qui ont pour objet la fabrication
d’étoffes en profiteront toutes.
Que le gouvernement fasse donc des
efforts nouveaux pour introduire dans nos campagnes à l’aide des comités le
métier à la navette volante, les temples et les peignes perfectionnés, qu’il
fasse apprendre à l’ancien tisserand la manière de se servir des outils qui
seuls peuvent l’aider à subvenir à ses besoins en doublant sa production et en
élevant son salaire jusqu’à la compensation peut-être entière de la perte que
subira la fileuse qui travaille à ses côtés.
Le ministère a encore senti, et pour
ma part, je lui en fais de sincère remerciements, qu’il ne suffisait pas de
fournir à notre industrie ancienne et nouvelle les moyens nécessaires de
perfectionnement pour lui donner une vie nouvelle ; il a compris qu’il fallait
encore, lorsque les produits seraient perfectionnés, les placer ; c’est pour
cela qu’il nous a annoncé qu’il nous demanderait sous peu des capitaux pour
former une société qui serait chargée de chercher de nouveaux débouchés pour
nos fabricats liniers.
Sans anticiper
sur la discussion à laquelle donnera lieu la formation de cette société, je me permettrai
seulement de dire à M. le ministre des affaires étrangères, qu’à mon avis,
cette société devra être purement commerciale, qu’elle devra seulement indiquer
à nos comités liniers les fabricats voulus à l’étranger sans s’occuper directement
de la fabrication, et qu’il devra lui être interdit de placer ses produits
liniers dans les pays où nos négociants ont déjà des relations, pour éviter
ainsi que la société fasse une concurrence désastreuse au commerce privé qu’elle
doit aider et non écraser.
En créant cette société d’exportation
de produits liniers, que M. le ministre du commerce et de l’industrie songe
aussi aux encouragements à accorder au blanchiment de nos toiles et à l’apprêt
de ces toiles, deux conditions essentielles pour en faciliter le placement à
l’étranger, et j’ose espérer que notre industrie linière ancienne et nouvelle
pourra encore donner ainsi des moyens d’existence à une partie de ceux qu’elle
faisait vivre jadis dans l’aisance et l’abondance.
M. Liedts remonte au
fauteuil.
M. de
Breyne. - Messieurs, je suis heureux de voir enfin
arriver la discussion d’un projet de loi si vivement attendu et destiné à
relever le courage et à stimuler le zèle d’un grand nombre d’administrations
communales qui, abandonnées à leurs propres moyens, et dénuées de ressources
extraordinaires, semblaient devoir succomber sous le poids de la charge. Je
suis heureux de pouvoir contribuer, par môn vote, au soulagement de nos
populations souffrantes, et j’espère que les mesures, qui seront arrêtées par
la chambre, prouveront toute notre sympathie et toute notre sollicitude pour
des frères malheureux.
Il est évident, messieurs, que, par
suite des circonstances difficiles qui continuent à s’appesantir sur le pays, bien des ressources sont épuisées, et
qu’il faudra des efforts extraordinaires pour vaincre tous les obstacles que
nous opposent les difficultés du moment. Mais, je suis convaincu que tous les
hommes de cœur et d’intelligence, qui se trouvent à la direction des affaires
communales, sauront, aidés par les subsides de l’Etat et les libéralités
inépuisables de la charité publique, parvenir, non à soulager tous les
malheureux, mais à diminuer les souffrances d’une population sage et résignée.
Représentant d’un arrondissement dont
les deux tiers des communes trouvaient naguère une ressource inépuisable dans
les nombreux travaux d’une industrie qui faisait la gloire et la richesse du
pays ; témoin oculaire de toutes les peines, de toutes les souffrances dont un
grand nombre de nos concitoyens sont accablés par la crise de l’industrie
linière et l’excessive cherté des denrées alimentaires, je croirai remplir un
devoir en votant les mesures les plus larges qui nous seront présentées.
Je voterai pour les mesures les plus
larges, parce que les besoins sont plus grands et plus pressants que l’année
dernière, tandis que les moyens sont généralement diminués.
En effet, messieurs, nous voyons, d’un côté,
les caisses des bureaux de bienfaisance et des communes épuisées et les
ressources particulières diminuées, soit par des emprunts, soit par
l’imposition de centimes additionnels aux contributions directes, soit enfin
par des augmentations successives des cotisations personnelles. D’un autre
côté, l’agriculture se trouve dans un état de gêne difficile à comprendre, mais
que doivent cependant reconnaître tous ceux qui sont en relations directes avec
l’habitant des campagnes.
Oui, messieurs, surtout dans les
Flandres, où la petite culture est la règle, l’agriculteur est dans une
position critique par suite de la perte des
pommes de terre de l’année dernière, et de la très mauvaise récolte du seigle,
des avoines, des féveroles et de toutes les semailles de mars de cette année.
Les secours donnés l’hiver dernier
sur les fonds des deux millions, ont, en grande partie, été employés en salaires
pour des travaux publics et industriels. J’engage vivement le gouvernement à suivre
la même voie, et à s’écarter le moins possible de ce principe ; car c’est le
seul moyen de faire produire, d’une manière durable et dans l’intérêt général,
les sacrifices que le pays s’impose.
Je désire que, dans la répartition
des subsides destinés à l’amélioration de la voirie vicinale, le gouvernement
prenne en sérieuse considération les ressources des communes ; qu’il soit
libéral et qu’il ait la main généreuse là où les moyens sont les plus
restreints ; car c’est évidemment dans les communes les plus pauvres que
la voirie vicinale est la plus négligée.
Je pense que le gouvernement devrait
faire fléchir la règle qu’il s’est tracée,
à l’égard des villes, dans la répartition des secours. Je ne plaiderai
pas en faveur des grandes villes, car là se trouve l’accumulation des
richesses, des capitaux, des industries et de toutes les grandes ressources. Je
demande une exception pour certaines petites villes, où les ressources ne sont
aucunement en rapport avec la nombreuse population indigente, où l’industrie
est en souffrance, et où l’on ne trouve ni capitalistes considérables, ni
grandes richesses. Parmi les villes de la Flandre occidentale qui se trouvent
dans cette position, je crois pouvoir citer Nieuport, Thourout, Roulers,
Thielt, Iseghem, etc.
Messieurs, les sommes destinées au
perfectionnement de l’industrie linière reçoivent toute mon approbation.
Etablir des ateliers modèles pour l’apprentissage et le perfectionnement du
tissage ; introduire une plus grande variété dans les productions des tissus ;
faire connaître l’emploi avantageux des outils perfectionnés, sont, à mon avis,
les moyens les plus propres à relever une industrie restée trop longtemps
stationnaire dans notre pays, en présence des progrès qu’elle a faits chez nos
voisins. Enfin, messieurs, j’ose espérer que les nombreux travaux, que le
gouvernement se propose de faire entreprendre, seront répartis de sorte que
l’exécution en ait lieu dans les districts où les nécessités s’en font le plus
vivement sentir, et de manière que l’ouvrier ne soit pas obligé de se
transporter à de trop grandes distances, pour trouver dans le travail de ses
mains un soulagement à ses maux.
Parmi les travaux qui peuvent s’exécuter
dans toutes les saisons, nous devons compter, en première ligne, les travaux de
terrassement et la construction des routes. Dans la Flandre occidentale, je citerai
trois routes d’intérêt général, qui intéressent vivement l’agriculture, et qui
sont destinées à relier entre elles les différentes parties des districts si
fertiles d’Ypres, de Furnes et de Dixmude.
Celle que je place
en première ligne, et pour laquelle les deux tiers de dépenses sont votées par
la province et les communes, est la route qui, partant d’Hoogstaede sur la
chaussée de première classe d’Ypres à Furnes, passerait par Pollinckhove, Loo,
Nieucappelle et Oudecappelle, et viendrait aboutir à la route de l’Etat de
Pervyse à Dixmude.
La route, qui, par son importance,
devrait être portée en seconde ligne, tant à cause de la contrée qu’elle
parcourt, contrée dépourvue de toute communication praticable, que de
l’avantage immense qu’elle procurerait au gouvernement, pour l’exploitation du bois domanial d’Houthulst,
est la route destinée à relier la nouvelle chaussée de Pervyse par Dixmude à
Roulers à la route provinciale d’Ypres à Thourout, en traversant le territoire
des communes d’Eessen, de Clercken et de Poelcappelle.
Enfin, vient la route, prenant son
point de départ au hameau de Kortekeer, sur la chaussée d’Ypres à Furnes, et
qui, passant par les villages de Oostvleteren, Reninghe et Bixschote, irait
aboutir aù hameau Luzerne à la route provinciale d’Ypres à Dixmude.
Je recommande l’étude de ces routes
au gouvernement, et j’ose assurer, qu’en exécutant immédiatement un seul de ces
projets, il rendrait un service éminent à l’agriculture, et contribuerait
fortement au soulagement des classes souffrantes dans les districts que j’ai eu
l’honneur de citer.
(page 284)
M. Delehaye. - Un
honorable député de Gand, M. Kervyn, vous a initiés aux causes réelles du
malaise qui pèse sur les Flandres ; il vous a fait connaître aussi les mesures
qui pourront en alléger les conséquences et celles destinées à prévenir leur
retour.
Je me rallie à l’opinion émise par cet honorable
membre. Toutefois, je me permettrai de lui dire que l’opinion qu’il avait
développée dans une brochure récemment publiée, et qui a obtenu l’assentiment
général, n’est pas tout à fait conforme à celle qu’il a énoncée hier.
L’espoir qu’il place aujourd’hui dans l’avenir de
l’ancienne industrie linière se concilie difficilement avec les vérités qu’il a
si courageusement exprimées dans sa brochure. Toutefois, je dois lui rendre cette
justice, que lui aussi a eu le courage de ne pas entretenir le préjugé fatal que
l’on remarque dans les campagnes contre la nouvelle industrie.
Il s’est borné hier, messieurs, à vous faire un
bien triste tableau de nos campagnes. Il vous a dépeint la misère prête à
envahir la demeure même des petits cultivateurs ; combien n’eût-il pas dû
assombrir encore le tableau si, tenant compte des récentes mesures prises par
l’Allemagne, il vous avait entretenus de l’avenir qui menace l’industrie
cotonnière.
Jusqu’ici cette industrie si puissante déversait
dans les campagnes les bienfaits du travail ; menacée à son tour, elle devra
nécessairement retirer l’aliment qu’elle fournissait à l’ouvrier.
Qu’il me soit permis, messieurs, d’appeler un
instant votre attention sur les craintes que nous exprimions lors de la
discussion sur le traité avec le Zollverein, craintes qui, malheureusement, ne
se sont que trop confirmées ; que dis-je ? elles sont déjà dépassées.
Nous vous disions alors qu’à défaut de réserves
suffisantes, nous permettions à l’Allemagne de nous retirer la faveur qu’elle
nous accordait, que nous lui livrions tout l’avenir de nos principales
industries, que les promesses si brillantes qu’on nous faisait ne se
réaliseraient point.
Mon honorable ami, M. d’Elhoungne alla plus loin
encore ; il indiqua les coups qu’on nous porterait ; il vous fit voir le manque
de précaution de la part du ministère ; il vous annonça que bientôt l’Allemagne
replacerait notre industrie dans la position précaire qu’elle avait avant le
traité. Tout cela est vrai aujourd’hui déjà plusieurs établissements ont
renvoyé leurs ouvriers, et, s’il faut en croire un journal, soutien constant du
ministère, plusieurs autres sont sur le point d’imiter cet exemple.
Nous étions sept alors pour protester contre la
convention ; combien ne serions-nous pas aujourd’hui s’il fallait se prononcer
sur son adoption !
J’entends, messieurs, protester contre mon
assertion. On me dit d’exposer les faits ; ne se rappelle-t-on pas qu’il y a
quelques jours, un honorable député d’Alost, M. Desmet, nous a entretenus des
modifications que l’Allemagne vient d’apporter à son tarif ? Ne sait-on pas
qu’à partir du 1er janvier prochain, nos tissus et nos fils seront frappés d’un
droit qui sera prohibitif pour beaucoup de ces produits ?
Je rentre dans mon sujet. Le gouvernement est
convaincu comme nous qu’il importe de venir au secours de la classe ouvrière,
Il demande une somme qui, quoique assez élevée, est, selon moi, insuffisante
pour parer à ces maux.
Mais enfin il a la conviction intime qu’avec cette
somme il pourra répondre à tous les besoins. Pour moi je ne puis me bercer d’un
pareil espoir, j’ai la conviction qu’il ne saurait en être ainsi. Cependant je
n’ai pas voulu m’associer à la
demande faite par plusieurs membres, d’augmenter le chiffre pétitionné, parce
que le gouvernement devant être mieux instruit des besoins que nous, il nous
importe de lui laisser toute la responsabilité.
Cependant, messieurs, je donnerai mon appui et mon
vote à toutes les augmentations qui seront demandées, bien convaincu d’ailleurs
qu’il n’y en aura jamais assez pour répondre à tous les besoins pour soulager
toutes les souffrances. La somme de 1,200 mille francs demandée est destinée à
venir au secours des communes dont les ressources sont insuffisantes ; la
plupart, si pas toutes, sont dans ce cas ; les sacrifices qu’il a fallu faire
l’année dernière ont épuisé les caisses des communes. Bien qu’elles aient eu
recours à des ressources extraordinaires, en faisant des emprunts, en augmentant
l’abonnement, il n’en est pas qui, livrées à leurs propres moyens, puissent prévenir
les maux qu’entraîne la misère.
En leur accordant des subsides, elles pourront,
d’accord avec les bureaux de bienfaisance, donner du pain, du chauffage à ceux
qui n’ont plus assez de force pour se livrer au travail.
Je n’en dirai pas davantage sur ce point, désirant
aussi ne pas prolonger une discussion dont les résultats sont connus, puisque
les sentiments d’humanité dont les chambres ont donné tant de preuves, ne nous
permettent pas de douter un instant de l’adoption des mesures proposées.
Mais, messieurs, le gouvernement songe encore à
venir au secours de l’ancienne industrie linière. C’est sur l’emploi de ces
fonds, que je désire communiquer toute ma pensée à la chambre.
Faire travailler l’ouvrier est certes la mesure la
plus sage, mais il faut que le travail soit utile, qu’il ne nuise à personne.
C’est assez vous dire, messieurs, que je blâme de toute l’énergie de mon âme,
la conduite de M. le ministre des travaux publics qui jusqu’aujourd’hui n’a
fait mettre la main à aucun des travaux décrétés pour les Flandres. J’en
reviens à l’industrie linière.
Le gouvernement vous propose de venir en aide à
l’industrie linière, au moyen de subsides, Je ne veux pas caresser des
préjugés, quelque enracinés qu’ils soient ; et quoique le gouvernement les
encourage, je veux exprimer à cet égard toute ma manière de voir.
Je sais bien que ce sujet est capable de
compromettre la popularité dont je pourrais jouir ; mais avant tout je veux
remplir mon devoir sans réticence.
Les comités liniers salariés par le gouvernement
ont reçu deux missions : d’abord une mission de charité ; pour celle-là,
je me hâte de le dire, ils l’ont convenablement, noblement remplie ; la
deuxième était de relever l’ancienne industrie linière ; celle-là ils l’ont
manquée, ils devaient la manquer ; il n’était donné à personne de relever, de
faire renaître l’ancienne industrie linière. Je conçois les illusions dans
lesquelles on pourrait aimer à se bercer, de voir refleurir une ancienne
industrie qui a fait la force et la gloire du pays, si on n’avait pas devant
soit l’exemple de l’Angleterre, de la France et de l’Allemagne. Mais comment,
en présence de ce qui se passe ailleurs, pouvez-vous espérer de faire revivre
l’ancienne industrie linière, quand vous la voyez abandonnée dans ces pays ?
Quoi ! depuis six ans, la nouvelle industrie linière lutte contre les
préjugés, sans aucun appui ; elle soutient la concurrence déjà rivale,
subsidiée, salariée par le gouvernement ; elle renverse tous les obstacles,
toutes les difficultés qu’on lui oppose, et malgré toutes les entraves qui
embarrassent sa marche, son bilan vient prouver chaque année qu’elle est
capable de réaliser toutes les espérances des actionnaires. Et cependant
l’ancienne industrie linière reçoit des subsides, elle peut fournir ses
produits sans tenir compte du prix de la main-d’œuvre. Nous avons vu du fil à
la main vendu au prix de la matière première ; sa position est telle qu’elle ne
doit pas s’enquérir du placement de ses produits, il suffit qu’elle fasse du
fil, l’Etat se charge d’utiliser tout ce qui provient d’elle, et cependant
qu’est-il arrivé ? C’est que tous ceux qui se sont laissé entraîner dans cette
pensée de relever cette ancienne industrie, ont été dupes de leurs illusions Il
doit être visible aujourd’hui pour tout le monde qu’une semblable tentative ne
peut amener que des déceptions.
Il ne faut pas conclure de mes paroles qu’il faut
abandonner les ouvriers qui se livrent encore à cette industrie. Si, comme vous
le dites, l’ancienne industrie linière constitue une spécialité, abandonnez
cette spécialité au travail libre qui, dégagé de la concurrence privilégiée que
leur font les comités, pourra prendre le développement qu’il est si doux d’espérer
et que la froide raison nous signale comme impossible.
Ainsi, messieurs, nous sommes d’accord sur ce
point. Je suis peut-être même plus favorable au travail libre que mes
adversaires, puisque je veux livrer le marché tout entier à la spécialité, saus
que jamais le fil fourni par les comités puisse venir lui faire concurrence.
J’irai même, messieurs, plus loin ; je sais qu’il
ne faut pas encourager la paresse, et que tout le monde n’est pas capable
d’abandonner immédiatement un travail auquel on s’est habitué dès sa naissance,
pour le remplacer par un travail nouveau ; je conçois que, pour des fileuses
avancées en âge, l’on maintienne le filage à la main, on le perfectionne autant
qu’on le pourra ; mais qu’on s’abstienne de faire concurrence à ceux qui,
livrés à eux-mêmes, sont en droit d’exiger que les fonds de l’Etat ne viennent
point leur enlever leur salaire.
Le fil produit par les comités subsidiés sera
employé dans les prisons, dans les établissements de l’Etat ; il sera, de cette
manière, utilisé sans venir entraver le travail d’hommes, qui pour ne pas être
subsidiés, n’en sont pas moins dignes de toute notre sollicitude.
En agissant ainsi, nous aurons fait pour
l’industrie linière tout ce qu’elle peut attendre de nous, sans que nous
entravions les opérations de ceux qui pensent que le filage à la main constitue
une spécialité.
Messieurs, la position des comités ne sera-t-elle
pas encore assez belle ? Que voyons-nous dans d’autres pays ? Lorsque les
mécaniques ont paru en Angleterre, il s’y est aussi formé des comités. Mais
qu’ont fait ces comités ? (page 285)
Ils ont fait tisser les fileuses. Pourquoi en Belgique une grande partie de nos
fileuses ne s’appliqueraient-elles pas aussi au tissage ? Pourquoi une partie
des femmes qui trouvent aujourd’hui une existence honnête dans l’industrie
linière ne prendraient-elles pas le métier au lieu du rouet ? Vous devez
reconnaître qu’à cet égard il n’y a pas la moindre difficulté, puisque cela
s’est fait ailleurs ? On me dira que l’on produirait trop de toiles, mais la
production des toiles sera alimentée par la fabrication du fil.
Mais, dit-on, et cette idée émane surtout de
Courtray, nous avons inventé le numérotage, et c’est à l’aide du numérotage que
nous allons sauver l’ancienne industrie linière. Mais vous, messieurs de
Courtray qui avez trouvé le numérotage, en êtes-vous bien les inventeurs ? Le numérotage,
messieurs, existe en Angleterre ; mais il y a cette différence que le
numérotage existe pour le fil mécanique, tandis qu’il n’existe pas pour le fil
à la main.
M. de Haerne. - Il existe en Allemagne.
M. Delehaye. - Je vais
vous répondre.
On propose d’admettre le numérotage, et on prend
pour base du n°1 le filage de 600 mètres au kilog. de lin. Or, messieurs, je
suppose que vous fassiez filer trois kilog. de lin de la même qualité par trois
femmes différentes ou même par la même femme, si cela vous paraît mieux, et que
cette dernière soit parvenue à faire, au moyen de chacun de ces trois
kilogrammes, 600 mètres de fil, croyez-vous que vous aurez pour cela un fil
régulier ? Mais vous trouvez dans ces 600 mètres une quantité d’inégalités. Si
le fil a été trop mince sur un point, on le rendra plus gros sur un autre.
Messieurs, par philanthropie j’ai voulu rechercher
l’utilité qu’on pouvait retirer de cette mesure, et j’ai applaudi comme vous,
M. de Haerne, aux bonnes intentions de ceux qui la mettaient en avant. Mais
l’expérience n’a pas tardé à me convaincre de son inefficacité. Vous comprenez,
messieurs, que le numérotage doit répondre à l’idée qu’on s’en forme, lorsque
c’est une machine qui travaille, parce qu’alors vous avez toujours la même
impulsion, la même vitesse, la même régularité. Mais une femme peut- elle
produire cette égalité de fil à l’aide du travail de ses mains ? Evidemment
non. Vous comprenez que la moindre sensation qu’éprouve une femme amènera un
degré différent de grosseur dans son travail, que dès lors, lorsque vous aurez
600 mètres de fil filé à la main, il devra présenter de très grandes
inégalités. Je ne serais pas étonné, messieurs, que sur 600 mètres de fil, vous
eussiez vingt grosseurs différentes.
Ainsi, messieurs, pour que le numérotage puisse
être appliqué utilement, deux choses sont nécessaires : il faut d’abord
que vous ayez du fil d’égale grosseur ; il faut, en second lieu, que vous ayez
les mêmes qualités de lin. Cette dernière condition est facile à obtenir ; que
ne l’est-il de même de la dernière ?
Quant au choix du lin, rien n’est plus facile ;
mais pour l’égalité de grosseur, je le répète, c’est une illusion que de
l’attendre du travail à la main. Sans doute à force de persistance,
d’attention, on obtiendra une régularité pour quelques mètres, mais le salaire
récompensera-t-il le travail ?
Voyez, messieurs, où nous serions parvenus, si au
lien de vouloir maintenir une industrie qui ne peut plus se soutenir, nous
avions donné la main à la nouvelle industrie linière ; si au lieu de la
combattre, au lieu de lui faire une concurrence peu loyale, puisque la nouvelle
industrie travaillant de ses propres fonds, nous mettions à la disposition de
sa concurrente les fonds de l’Etat, nous lui étions venus en aide, nous avions
poussé les populations des Flandres à s’emparer de ses produits pour faire de
la toile ? Ne croyez-vous pas, messieurs, que cette grande quantité de fil que
nous exportons en France, et qui y est transformée en toiles, aurait pu être
employée au même usage dans notre pays ? N’avions- nous pas tous les avantages
réunis pour réussir ? N’avions-nous pas la main-d’œuvre à meilleur marché, la
houille à bas prix et, de plus, la matière première, le lin ?
Si donc, au lieu de caresser les préjugés du
peuple, et je sais que je m’expose ici à bien des accusations, des insinuations,
mais je crois que dans un moment pareil il importe de dire toute la vérité ;
si, au lieu de caresser des préjugés, nous avions franchement embrassé la
nouvelle industrie, si nous avions franchement agi dans son intérêt comme dans
celui de l’ancienne, je ne crains pas de le dire, nous ne nous trouverions pas
dans la malheureuse position où nous sommes aujourd’hui. Messieurs, j’aurais un
certain intérêt à flatter l’ancienne industrie linière ; je passe la moitié de
l’année au milieu de ces malheureux tisserands dont j’apprécie tous les jours
les souffrances ; mais avant tout je leur dois la vérité, je ne veux pas
flatter des préjugés. Certainement les comités industriels pourraient être
utiles ; mais ils ne répondent nullement à leur mission ; il faudrait que les
comités, au lieu de caresser ces préjugés, vinssent au secours de nos
travailleurs par des moyens efficaces ; il faudrait qu’ils engageassent une
partie des fileuses à se livrer au tissage, qu’ils fissent en sorte que les
tisserands ne fussent plus fabricants, qu’ils leur indiquassent comment ils
doivent travailler, qu’ils leur fissent connaître les goûts et les progrès du
jour. Mais que les comités ne cherchent plus à faire de nouveaux prosélytes, à
propager cette opinion que l’ancienne industrie linière a encore un bel avenir.
Non, l’industrie linière ne peut plus réussir qu’en embrassant franchement, sincèrement
les progrès de la nouvelle industrie, et de cette manière la Belgique pourra
peut-être reprendre cette supériorité qu’elle avait il y a quelque temps
encore.
Qu’on ne perde
pas de vue que si jusqu’ici les Flandres ont fourni un aussi fort contingent dans
les revenus du trésor, c’est à l’aide de son agriculture de laquelle je ne sépare
pas l’industrie linière. Qu’on n’oublie point que depuis 30 ans nous avons payé chaque année 800,000 fr. de plus que ce que nous devions réellement payer, ce qui, avec les intérêts,
formerait aujourd’hui un capital d’au moins 60 millions. Je ne me plains pas de
ces sacrifices ; la prospérité de notre industrie nous permettait alors de les
faire et de venir au secours des autres provinces moins heureuses que nous.
Mais aujourd’hui que nos ressources sont épuisées, la chambre nous tiendra
compte de ces sacrifices ; elle n’hésitera pas à tendre une main secourable à
des populations qui, dans des temps meilleurs, n’ont pas reculé devant
l’inégalité des charges qu’on faisait peser sur elles.
(page 277)
M. le président. - La parole
est à M. Rodenbach.
M. Rodenbach. - Messieurs,
j’ai déposé, conjointement avec plusieurs de mes honorables collègues, un
amendement tendant à majorer le chiffre proposé de 500,000 fr. Je pense que,
pour gagner du temps, je ferai très bien de ne prendre la parole que lorsque nous
en viendrons à la discussion du chiffre pour moyens relatifs aux subsistances.
Je prie M. le président de m’inscrire sur l’article
premier.
M. Sigart. - L’an dernier, j’ai voté le crédit de deux
millions. Je n’en attendais pas l’effet qu’en attendaient certains collègues
mais je croyais que la nation assemblée devait faire acte de sympathie pour nos
compatriotes malheureux.
Je voterai encore cette année les 1,200,000 fr.
demandés. Peut-être accepterai-je les propositions de la section centrale.
Il faut convenir que la situation de ces deux
années est exceptionnelle Ce qu’on appelle la crise de l’industrie, ce que moi, qui aime à me servir de
termes vrais, j’appelle l’agonie de l’industrie linière, cette agonie se complique
d’une succession de deux années de récoltes insuffisantes.
Mon but n’est donc pas de critiquer le projet de
loi, mais, d’une part, de prémunir contre le danger que je redoute, que le
crédit ne se stéréotype dans nos budgets, et de montrer que ce n’est pas à une
pareille mesure que l’on doit se confier pour diminuer le paupérisme, (page 278) d’autre part, de signaler une des causes
importantes de la misère des Flandres.
Je crois qu’il est à peu près admis dans cette
chambre que l’on ne doit pas faire la charité par le budget, que ce doit être
une affaire de conscience, dont ne doit pas se mêler la puissance publique.
C’est, à la vérité, une idée assez naturelle que, lorsque
les efforts charitables des individus ne suffisent pas pour soulager la misère,
la communauté, plus puissante, devrait y suppléer.
Mais l’exemple de l’Angleterre, où la taxe des
pauvres les a multipliés d’une manière si effrayante, est propre à ouvrir les
yeux les moins clairvoyants.
On ne peut se défendre d’un sentiment de respect et
d’admiration quand on voit certains hommes, animés de l’esprit de charité, se
priver des jouissances que leur permet leur fortune, et quelquefois se
dépouiller du nécessaire pour secourir les malheureux. C’est là un acte de
vertu, c’est-à-dire de force.
Mais pour que la charité soit méritoire, il faut la
faire à ses dépens, et non avec l’argent des autres. Si l’un de vous veut la
faire, je me garderai bien de m’y opposer.
Je sais que cet acte sera sans danger, parce que je
sais que l’égoïsme de l’homme sera toujours plus fort que sa charité.
Quand la nature a pris tant de précautions pour la
conservation des espèces, l’égoïsme est le seul bouclier qu’elle ait donné aux
individus pour leur conservation. Sans ce bouclier, ils périraient
infailliblement le jour où la tendresse des pères et surtout des mères les
abandonnerait. Si l’égoïsme est odieux, si chacun crie contre l’égoïsme des
autres, c’est justement parce qu’on est soi-même égoïste.
Nous n’aurions plus le frein de notre égoïsme
lorsque nous ferions la charité avec l’argent des contribuables. Alors
viendraient les dangers. Alors il faudrait préparer les workhouses.
Je vous ai déjà dit plusieurs fois une vérité,
c’est qu’avec toute notre puissance, nous ne créons pas la richesse ; que tout
ce que nous pouvons faire, c’est de l’arracher à celui qui l’a créée ou qui la possède. Je dois un peu
développer cette idée. La personne à qui nous arrachons la richesse,
c’est-à-dire le talisman au moyen duquel on s’assure la vie, puis la vie plus
ou moins pourvue d’avantages, cette personne, c’est le contribuable. Il y a des
contribuables dans tous les étages de la société ; mais je ne prendrai que les
contribuables dans une grande opulence et le contribuable qui n’a que son
travail pour vivre.
Qu’est-ce que le riche aurait fait de la
contribution qu’on lui arrache ? Peut-être en eût-il fait des charités ; alors
ce n’était pas la peine de lui prendre son argent, puisque le résultat eût été
le même, sauf que le receveur des contributions n’aurait pas rogné la somme en
prélevant son denier.
Plus probablement il eût affecté la somme à la
satisfaction de ses désirs, à l’ornement
de son château, de ses jardins,
à sa table, à l’achat de
meubles, de pendules ; alors il n’eût pas fait vivre des pauvres, mais il eût
fait vivre des tapissiers, des peintres, des horlogers, des jardiniers. Je
demande s’il vaut mieux faire vivre des ouvriers que des mendiants.
Ou bien le contribuable est un pauvre lui-même, qui
paye au fisc pour tous les objets qu’il consomme, et alors, pour soulager un
malheureux, il faut empirer la situation d’un autre malheureux.
Lorsque je vous ai exposé dernièrement les lois de
la population, j’avais un peu eu vue cette discussion ; les idées que j’ai
exposées alors ne sont pas toutes nouvelles et celles qui sont nouvelles ne
sont peut-être pas meilleures, mais c’était un préliminaire nécessaire pour
arriver aux déductions qui vont suivre :
Plusieurs amis de la chambre qui m’ont entretenu
des doctrines que j’ai exposées, me paraissent les avoir mal comprises. Ils
trouvent qu’elles sont désolantes, que c’est du fatalisme. Quel épouvantable
aphorisme que celui-ci ! me disent-ils : dans la lutte sociale il y
aura toujours des vaincus, leur peine est la misère.
Si vous n’avez pas de remède, ajoutent-ils, laissez-nous
nos illusions, n’ayez pas la cruauté
de nous montrer sans voile les moyens terribles par lesquels la nature fait
obéir à ses lois.
D’abord, je crois que nous ne sommes pas des enfants autorisés à fermer les yeux quand on
leur montre une chose qui leur déplaît : est-ce ma faute si la vérité n’est pas
belle, si le mensonge seul est aimable, quoi qu’en dise Boileau ? Noss devons
savoir comme ces chirurgiens au cœur de fer, fixer un œil intrépide sur une
plaie hideuse pour tâcher d’y trouver un remède.
Il faudrait peut-être encore signaler le défaut de
remède pour empêcher qu’on n’augmentât le mal, qu’on ne s’épuisât en tentatives
inutiles. Au reste, je ne sais ce que j’aurais fait, si j’avais cru le mal
irrémédiable, mais le discours que j’ai prononcé annonce déjà que je crois à
des moyens efficaces.
Voici ce que je disais alors.
J’espère bien un jour rechercher avec vous les
véritables moyens d’agir sur le paupérisme.
En pressant un peu certaines de mes propositions,
on en aurait exprimé des conséquences utiles
Ainsi je disais.
Jamais la partie malheureuse d’une nation n’éprouve
un plus grand allégement à ses souffrances que quand la population peut
s’étendre.
Et ailleurs : La misère est une espèce de lisière ou bordure qui environne
l’espèce humaine et qui se rétrécit
quand la population peu étendre, mais qui s’élargit aussitôt que la population
doit rester stationnaire ou diminuer.
Y a-t-il quelque moyen de favoriser l’augmentation
de la population ? Mais sans doute ; c’est en favorisant la création de
ressources nouvelles, c’est en observant les lois qui régissent la formation
des richesses, et ces lois sont bien connues ; dois-je le dire ? c’est en
faisant le contraire de ce qu’a fait jusqu’ici le gouvernement.
C’est en pompant le moins possible la substance du
contribuable productif pour engraisser les budgétaires improductifs.
C’est en supprimant tout sinécuriste, quand même il
serait représentant, sénateur bien votant ou chef de file dans les élections
d’un district de ministre.
C’est en réduisant au strict nécessaire les offices
utiles : de l’armée, du culte,
de l’administration.
Je n’aurais pas voulu la suppression de l’armée,
mais je crois qu’on nous a fait une année trop forte.
Je suis bien loin de vouloir la suppression des
prêtres ; mais je crois que leur nombre
devient trop grand.
Je ne veux pas enrayer l’administration ; mais je
crois que l’administration marcherait aussi bien, si on attelait son char d’un
peu moins de cousins de députés.
Il aurait fallu ne pas faire les mauvaises
lois :
Sur les droits différentiels,
Sur les céréales, etc.
Je m’attends à une objection, c’est que
l’augmentation de la richesse n’empêche pas la misère. Je vois venir l’exemple
de l’Angleterre, où à côté de richesses fabuleuses qui s’épanouissent à la Monte-Cristo, on voit grouiller les
plus affreuses misères. Peut-être un joui- examinerai-je cette question ; aujourdhui,
je dirai seulement que c’est là l’effet d’une mauvaise distribution des
richesses ; c’est moins à craindre ici où l’on voudrait bien, mais où l’on n’oserait
ressusciter les institutions aristocratiques.
Je reviens au passage si désespérant de mon discours.
Quel que soit le nombre des hommes, la lutte existera toujours entre eux, il y
aura toujours des vaincus, il y aura donc toujours des malheureux. En effet, au
point de vue humanitaire, cela est désolant ; mais nous n’avons pas à examiner
les choses à un point de vue si élevé, nous n’avons pas à nous occuper de
l’humanité, nous n’avons à nous occuper que de la nation belge ; et il dépend
de nous, jusqu’à certain point, que les vaincus, que les misérables se trouvent
chez nous ou chez les nations voisines.
Examinez les nations qui se trouvent autour de
nous, examinez leur régime intérieur, et vous y trouverez les causes de leur
plus ou moins grande prospérité.
Ici encore, je dirai moins ce qu’il faut faire que
ce qu’il faut éviter.
Je vais vous répéter ce que vous disait un des
hommes que j’estime le plus, un des hommes que la chambre estime le plus,
l’honorable M. Delfosse, dans la discussion politique, et je vous prie de ne
pas y voir un défaut d’estime pour un des grands partis qui divisent la nation.
Ce parti, messieurs, je le respecte dans ses hommes honorables, tout en le
combattant. Je fais comme à Fontenoy, je le salue avant de faire feu sur lui.
Je vous dirai que partout où trône la théocratie,
règne la misère.
M. Delfosse nous a dit : L’Italie, l’Espagne, le
Portugal sont des nations misérables ; il a ajouté : La partie la plus
catholique de la Belgique est la plus malheureuse.
J’augmenterai les citations. Je dirai : Comparez
l’Irlande à l’Angleterre, l’ouest et le midi de la France à l’est et au nord.
Mettez en présence les Etats de l’Amérique espagnole et ceux de l’Amérique
anglaise.
C’est qu’autant le prêtre faible et humble est
utile à la société comme consolateur, autant le prêtre dominateur l’abrutit,
l’avilit, la dégrade.
C’est qu’il est contre la nature du prêtre, qui a
fait vœu de pauvreté, de regorger de richesse ; qui a fait vœu d’humilité,
d’accaparer toute l’autorité.
Il faut donc, pour que les intelligences ne se
révoltent pas contre cet état de choses illogique, il faut les aplatir, les
humilier, les dégrader. Il faut proscrire tout examen comme une révolte. Il
faut emprisonner ceux qui ont l’impiété de dire que la terre tourne. Mais
lorsque les forces de l’intelligence auront été ainsi comprimées, anéanties,
comment voulez-vous que l’on obtienne des victoires contre les nations qui
donnent un libre essor au génie ?
On me dira qu’il y a des hommes éminents dans le
parti qui nous est opposé ; qui est-ce qui nie cela ? Mais si vous voulez, j’en
citerai tout de suite beaucoup sur les bancs en face de moi. Qu’est-ce que cela
prouve ? Cela prouve qu’il y a des natures privilégiées qui grandissent, qui se
développent malgré les plus mauvaises conditions. Je n’ai pas à m’occuper des
exceptions.
Mais voyez la masse ; je n’ai l’envie d’adresser
aucune injure à des compatriotes qui souffrent, et que je désire secourir ;
mais dites-moi de bonne foi si certaine partie du pays peut soutenir la lutte
avec l’autre. Au cœur de cette partie du pays, ne voyez-vous pas la plupart des
professions envahies par les habitants de l’autre partie, les professions de
plafonneurs, briquetiers, marbriers, etc. ? Citez un peu les professions que
les Flamands exercent en pays wallon.
Je sais bien que les hommes dégradés sont plus
faciles à gouverner ; je sais bien que l’homme, dans la plénitude de sa force,
sent sa dignité, qu’il est moins malléable, moins disciplinable ; je sais bien
qu’il est plus difficile de le mener en laisse aux élections, et je conviens
que c’est là un très grand malheur !
(page 279)
La race flamande serait-elle d’une nature
inférieure comme les races africaine et américaine ? J’ai hâte de dire que non.
Je lui reconnais même volontiers certaines qualités qui manquent à la race celtique.
Son malheur est d’être isolée par sa langue, et la
preuve c’est que les villes les Flandres, comme des oasis, ne souffrent guère
que par l’effet du voisinage du désert. Eh nous n’avons pas le droit d’être
fiers, nous autres Wallons. Nous le savons bien, si nous avons un peu mieux
résisté à une action délétère, nous en sommes redevables à l’influence de la
France. C’est cette puissante civilisation française qui a été notre
sauvegarde. Elle rayonne, elle arrive jusqu’à nous, elle nous pénètre malgré
tous les efforts croisés contre elle ; car combien ne se récrie-t-on pas contre
la littérature française (dont au reste je ne nie pas certains écarts) ! Sous
prétexte de nous défendre les mauvais livres, on nous défend tous les livres.
On en est au point de trouver Fénelon et
Chateaubriand des auteurs dangereux ; on ne nous les permet qu’epurati, emendati, castigati.
Un
membre. -
Castrati.
M. Sigart. - Chez nous aussi des symptômes de dégradation se
montrent ; ils sont faibles encore, mais il n’y a pas à s’y tromper.
Chez nous aussi la mendicité augmente d’une manière
notable.
Si on laisse faire, avant un demi-siècle la
Belgique entière, par l’effet des causes qui agissent sur l’Italie, sera
descendue à son niveau, objet de la pitié et du mépris de tous les peuples
civilisés.
O mon pays ! devrai-jé un jour rougir d’être l’un
de vos enfants !
Mais, va-t-on me dire, vos remèdes sont des remèdes
négatifs.
Oui, j’en conviens, mais c’est déjà quelque chose
que d’indiquer ce qu’il ne faut pas faire ou ce qu’il faudrait défaire.
Ensuite ce n’est pas notre rôle, à nous, de faire. Sans doute, à
chaque occasion favorable, nous prenons volontiers l’engagement de présenter
les idées que nous croirons utiles ; mais pour faire il faut avoir en main
les instruments convenables, il faut pour cela disposer de cette grande machine
qu’on appelle le gouvernement, avoir cette multitude d’agents faisant rapports,
cette quantité de rouages au moyen desquels ont fait passer les idées à l’état
de projets de loi.
Nous ne pouvons guère que
philosopher, nous ne pouvons être que des théoriciens, c’est au ministère à appliquer, à faire de la pratique.
Vous avez déjà prévu ma conclusion : la principale
cause du paupérisme, c’est le système, ce sont les hommes qui pèsent sur nous.
C’est là ce qui vicie notre corps social. Vous comprenez bien que je n’ai pas
l’espoir de voir ceux qui corrompent notre principe de vie nationale cesser tout
à coup de le faire sur mon
invitation. Je suis sûr que, pour obtenir une élimination épuratoire, une
grande réaction intérieure est nécessaire. J’ai seulement peur que la crise ne
soit trop violente.
M. Lys. – Je ne viens
pas m’opposer aux subsides demandés pour les malheureux, parce qu’ils sont
destinés à soulager des besoins
qui ne peuvent pas être ajournés ; ce sont des fonds qui serviront à diminuer
la misère, mais qui ne produiront aucune amélioration pour l’avenir. Ils
servent pour secourir dans le moment actuel, et le besoin se renouvellera
chaque année.
On commence seulement aujourd’hui à reconnaître que
l’industrie à la main est insoutenable, contre la filature à la mécanique qui
se propage dans les autres pays. On s’en explique néanmoins d’une manière fort
méticuleuse, au lieu de convenir que cette industrie est bien morte, et que
tout l’argent qu’on a dépensé depuis si longtemps l’a été en pure perte ; on
semble reconnaître enfin que le nouveau mode de fabrication des produits
liniers a tué les procédés anciens, qu’il n’y a plus d’avenir possible pour
cette industrie que dans la transformation qu’elle doit nécessairement et
inévitablement subir, car on a donné 4 à 5 ans à la routine, pour sortir de
l’ornière de l’habitude pour entrer dans de nouvelles voies.
Je conviens, messieurs, que les comités industriels
ont pu secourir un certain nombre d’ouvriers ; mais vous devez reconnaître que
ces comités ne sont pas sans inconvénient. En effet, en achetant du lin et le
vendant au-dessous du prix, ne nuisez-vous pas à l’ouvrier libre qui travaille
avec ses propres ressources ? Vous le ruinez, et de là est née la misère
générale ; car en assistant l’ouvrier pauvre, souvent le mauvais ouvrier, vous
avez perdu le bon ouvrier, l’ouvrier laborieux, qui nécessairement n’a pu
soutenir la concurrence.
Vous voulez aujourd’hui l’établissement des
marchands fabricants. L’idée n’est pas nouvelle ; mais comment voulez-vous y
parvenir lorsque vous parlez encore de votre ancienne industrie linière ?
Voulant aussi continuer à laisser travailler vos ouvriers isolément, vous
n’entendez pas les voir occupés dans les villes, vous craignez de les voir
quitter la campagne, vous ne voulez pas même les voir réunis dans des ateliers
même à la campagne ; eh bien, à ce prix
vous trouverez peu de négociants fabricants, car ils veulent généralement
conserver une surveillance active sur leurs ouvriers, aussi n’en avez-vous pu
rencontrer jusqu’à présent.
C’est en conservant ces idées étroites de laisser vos
travailleurs isolés dans les campagnes, de travailler toujours à perfectionner
la filature ancienne pour laquelle l’honorable rapporteur nous dit qu’on trouve
encore de nombreux consommateurs, que vous avez, je le répète, dépensé des
sommes considérables à pure perte.
Je n’entrerai pas dans d’autres développements ; il
me faudrait répéter ce que vous a dit si éloquemment mon honorable ami M.
Delehaye ; mais c’est avec regret, messieurs, que je vois des orateurs,
réclamant encore l’industrie linière à la main, venir nous dire que des
demandes considérables de ces toiles sont encore faites. Mais quelle
conséquence peut-on tirer de ces demandes ? Les ouvriers qui s’occupent du
travail à la main ne sont-ils pas dans la plus profonde misère ? Gagnent-ils
pour manger du pain quand vos fileuses ne reçoivent pour leur journée que vingt
centimes ? Disons donc, messieurs, que toute industrie qui ne peut nourrir
l’ouvrier, ne peut aussi continuer à exister ; car qu’arrive-t-il aujourd’hui ?
Les malheureux ouvriers travaillent pour ne rien gagner et sont forcés de
vendre à vil prix. De là arrive que quelques marchands de toiles peuvent encore
fournir cette marchandise à la France. Nous reconnaissons, messieurs, avec
l’honorable rapporteur, que c’est dans les Flandres que le mal est le plus
intense, sans que pour cela nous pensions, dit-il, que le gouvernement doive
négliger les autres provinces du royaume où il existe également de grandes
souffrances à soulager.
Je parlerai dès lors d’une ville tout industrielle,
dont la population de plus de 22,000 âmes est pour ainsi dire composée de
prolétaires. En effet, messieurs, elle compte environ 15 mille ouvriers,
quelques grands industriels ; les autres sont de petits marchands, de petits
bourgeois.
La cherté du pain met l’ouvrier dans la plus triste
position, car il a souvent une nombreuse famille, il a quelquefois de vieux
parents infirmes, et que devient-il, je vous le demande, lorsque la maladie
l’accable lui-même ?
Comment, en état de santé même, pourvoir à ses
besoins (vu le prix élevé des denrées alimentaires) avec le produit de sa
journée ?
La ville de Verviers est très obérée, par suite des
pillages, qui ont nécessité un emprunt de 400 mille francs, qui a été suivi
d’un autre de cent mille francs pour faire face à des travaux indispensables.
C’est dans cette triste position qu’elle n’a cependant rien obtenu du crédit de
deux millions ; elle avait demandé un don, on lui a répondu qu’on ne donnait
rien aux villes ; elle a dû croire dès lors qu’on prêtait aux villes. On lui a
fait une semblable réponse, et alors elle a été réduite à faire un troisième
emprunt de mille francs pour un subside extraordinaire à son bureau de bienfaisance pendant l’hiver dernier, le subside
ordinaire ne suffisant point.
Jugez, messieurs, de la situation dans laquelle
elle se trouve aujourd’hui que son octroi ne présente plus le même revenu, et
que les besoins de ses pauvres augmentent ! Le subside ordinaire sera encore
insuffisant, et un nouveau subside extraordinaire devient inévitable.
C’est avec surprise que je trouve un tableau aussi
peu exact, joint au rapport, duquel résulterait que la ville de Verviers ne
donne aucun subside à son bureau de bienfaisance, tandis, je le répète, qu’elle
lui donne chaque année un subside ordinaire très considérable, et qu’elle a dû
lui donner en 1846 un subside extraordinaire de 25,000 francs.
Nos communes rurales ardennaises sont aussi dans la
plus triste position, et je citerai particulièrement celle de Jalhay, dont une
pétition est déposée sur le bureau.
Cette commune populeuse n’a d’autre ressource que
la culture d’un terrain fort ingrat. Sa principale production est la pomme de
terre, quelque peu d’avoine et de seigle ; le froment y est inconnu.
L’année 1845 la production de la pomme de terre a
été nulle ; il lui restait une récolte ordinaire de seigle et d’avoine.
Mais en 1846,
les pommes de terre pourrissent de nouveau, et elle n’a qu’un quart de
récolte en seigle et une demi-récolte en avoine.
Je m’arrête là, messieurs ; cette position indique
sans doute qu’il y a là de grandes souffrances à soulager.
La position de la ville de Verviers ;
est tout à fait spéciale, sa population agglomérée d’ouvriers, éloignée des centres
de production de céréales ; lui avait fait accorder en 1845 leur transport sur
le chemin de fer à 75 p. c. de rabais ; cette faveur n’a pas été continuée, et
elle a été réduite à demander à
M. le ministre des travaux publics le transport gratuit pour des pommes de
terre que son bureau de bienfaisance avait fait acheter dans les environs de
St-Trond. Cela seul est la preuve la plus complète, que la récolte des pommes
de terre, en 1846, est tout à fait manquée dans les communes du district de
Verviers.
J’espère, messieurs, que le gouvernement prendra en
considération l’exposé que je viens de faire de la triste situation de Verviers
et des communes ardennaises de son district.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
je ne puis laisser passer sans une courte réponse les observations que vous a
présentées l’honorable M. Sigart.
Il ne suffisait pas, messieurs, que deux provinces
fussent accablées dans une partie de leur population d’une véritable calamité,
il fallait encore délivrer à ces populations malheureuses un certificat de
servilisme et d’ignorance.
Messieurs, comme ministre de l’intérieur, comme
habitant ayant eu les relations égales avec les provinces wallonnes et avec les
provinces flamandes, je crois pouvoir dire que l’honorable membre ne se rend
nullement compte des causes qui produisent la différence qu’on remarque dans la
situation matérielle des unes et des autres.
Messieurs, qu’est-ce qui constitue dans ce moment
la fortune des provinces wallonnes ? Est-ce leur instruction ? Est-ce leur
indépendance ? Non messieurs, c’est la richesse de leur sol ; ce sont les
mines. C’est là la seule base qui constitue leur richesse.
Aujourd’hui quelles sont les branches d’industrie
les plus florissantes ? Ce sont celles
qui reposent sur l’exploitation des mines ? Quelles sont les provinces les plus
florissantes ? Ce sont celles où la population est la moins agglomérée. Et sous
ce rapport, je signale les provinces wallonnes, parce que ces provinces sont encore couvertes, en grande
partie, de (page 280) bois. Les populations
n’ont pas pu s’agglomérer comme dans les Flandres où le sol est, à très peu
d’exceptions près, entièrement cultivé. Dans les provinces wallonnes vous
trouvez encore de grandes étendues de terrains incultes, tandis que vous n’en
rencontrez plus dans les Flandres qui, jusqu’ici, sont seules en cause !
Comment, messieurs, les provinces flamandes sont
arriérées dans la civilisation, dans l’industrie A-t-on donc oublié que le
berceau de l’industrie a été dans les Flandres, et que ce n’est que par suite
de guerres malheureuses que des industries, autrefois florissantes, ont émigré
du sol flamand ?
Où trouve-t-on, messieurs, un aussi grand nombre de
communes populeuses que dans les deux Flandres ?
Où l’esprit d’indépendance a-t-il fait les premiers
progrès ? N’est-ce pas là que l’ordre des campagnes a, longtemps avant les
provinces wallonnes, remplacé l’ordre équestre ?
M. Sigart. - C’est de l’histoire ancienne.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - C’est de
l’histoire. Vous parlez des causes modernes. Je vous ai cité les causes
modernes. Je vous ai dit que la différence de situation matérielle consistait
dans la différence des industries ; que l’industrie des provinces wallonnes
repose principalement sur les mines dont les provinces flamandes sont
malheureusement privées.
Messieurs, je me bornerai à ces considérations sur
ce point. Je dirai seulement que je regrette que l’honorable membre ait cru
devoir encore une fois diriger des attaques contre le clergé des deux provinces
où il a fait des efforts immenses, des efforts incessants pour soulager la
misère, pour encourager le pauvre.
M. Sigart. - Je n’ai pas nié sa charité.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Peu importe
que vous n’ayez pas accusé sa charité. Vous avez accusé ses tendances ; vous
avez dit qu’il voulait des populations appauvries, des populations asservies.
Eh bien, je dis que dans les Flandres la religion a toujours exercé un grand empire et que dans ces deux provinces
la population a pris une extension qu’elle n’a pris, nulle part ailleurs, qu’on
y a vu un degré de richesse que les provinces wallonnes ne possédaient pas.
Messieurs, j’abandonne ce terrain, et j’en viens au
projet de loi. On vous a cité les Flandres comme ayant obtenu moins de subsides
que d’autres provinces pour les chemins vicinaux. Il est à remarquer,
messieurs, que si des sommes moins considérables ont été employées dans les
Flandres pour les chemins vicinaux, c’est que la nature du sol des Flandres n’a
pas permis d’aussi grands travaux ; que d’ailleurs les Flandres devant acheter
les pavés dans les provinces wallonnes, les sommes qu’on aurait consacrées aux
chemins vicinaux n’auraient pas produit un effet aussi utile dans les Flandres
que dans d’autres localités. Mais au total les Flandres ont eu la plus large part, comme elles devaient l’avoir, dans le
subside de deux millions, et
elles auront encore la plus
large part l’année prochaine.
L’honorable M. de Villegas a cru que nous voulions
tout concentrer dans l’atelier de Gand, il n’en est rien ; nous n’avons dit
cela en aucune manière. Nous avons dit qu’il existait un projet de règlement
pour établir des règles fixes pour l’administration et la direction des conités
liniers ; que comme il existait aujourd’hui un comité central dans la Flandre
orientale, nous avions le projet d’en créer un également dans la Flandre
occidentale, et que ce serait sur les propositions de ces comités centraux que
nous déterminerions l’emploi des subsides pour les comités locaux. Il existe un
atelier à Gand ; mais il en existe un également à Roulers et notre intention
est d’en établir encore d’autres dans diverses localités.
L’honorable M. Delehaye a cru que l’intention du
gouvernement était de combattre les progrès de la nouvelle industrie linière
pour soutenir exclusivement l’ancienne industrie. Il n’en est rien ; le
gouvernement ne cherchera en aucune manière à faire concurrence à l’industrie
linière nouvelle. Au contraire, il appelle de tous ses vœux les progrès de
cette industrie, ce sera toujours une source de richesse pour le pays.
Mais quant à l’ancienne industrie linière, qui a
encore une spécialité utile, je crois que nous devons sous tous les rapports tirer parti de ce
qui existe encore. C’est le seul moyen de venir immédiatement en aide à une
classe très nombreuse d’ouvriers. En perfectionnant le travail de l’ancienne
industrie linière nous procurerons un bénéfice aux ouvriers qui s’y livrent ;
mais nous ne ferons en aucune manière concurrence à la nouvelle industrie, aux
nouveaux procédés. Il est évident, messieurs, que d’après les nouveaux métiers
qui ont été inventés et qui se perfectionnent d’année en année, l’industrie
linière, l’industrie des tisserands peut encore s’exercer dans les communes
rurales aussi bien que dans les villes.
M. Delehaye. - C’est ce
que j’ai dit.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Alors, nous
sommes d’accord. Quant aux fileuses, je conviens que leur industrie doit
nécessairement se restreindre ; mais rien n’empêche que l’administration ne
vienne à leur aide, ne leur indique les meilleurs procédés pour donner plus de
valeur à leurs produits.
L’honorable M.
Van Cutsem recommande surtout de créer des travaux publics à proximité
des centres de population qui sont dans un état de souffrance. Déjà M. le
ministre des travaux publics a indiqué ses intentions à la chambre, et je crois
que l’honorable membre doit avoir maintenant ses apaisements. Mais, messieurs,
il n’est pas toujours possible de créer des travaux a la distance d’une journée, de manière que l’ouvrier n’ait
pas besoin de déloger. Il faut, messieurs,
que les ouvriers flamands des districts liniers sachent aussi se déplacer comme
les ouvriers des polders le font depuis un grand nombre d’années. Ces ouvriers
des polders ne se plaignent pas d’aller même dans les provinces wallonnes. Mais
ce qu’il faut pour aider les populations qui se sont principalement occupées
d’industrie et qui devraient aujourd’hui s’occuper de rudes travaux, c’est, messieurs, une
direction : il faudrait que dans les communes populeuses on enrôlât un certain
nombre d’ouvriers sous la conduite d’un chef, qui prît en quelque sorte le soin
et la direction de sa petite compagnie, et c’est ce qui a été pratiqué par un
honorable sénateur avec le plus grand succès.
Je pourrais citer encore la régence de Turnhout qui
appartient à une localité flamande et très catholique, et qui a assuré aux ouvriers
la garantie d’un gain de 1 fr. par jour, s’ils allaient travailler au canal de
la Campine, et, au bout de 15 jours ces ouvriers, non seulement n’avaient plus
besoin d’aucun supplément, mais se procuraient un salaire de 1 fr. 50 c. à 2
fr. Voilà, messieurs, ce qui a été fait dans une commune flamande et très
catholique, et par une régence qui partage les sentiments religieux des habitants.
Si je me suis un peu étendu, messieurs sur ces moyens
à employer pour procurer du travail aux populations flamandes, c’est parce que
je crois qu’on n’y a pas assez généralement réfléchi dans les localités où ils
doivent être mis en usage. Je crois que si les administrations ou les habitants
notables des communes où il y a excès de population cherchaient à organiser les
ouvriers pour les transporter dans les endroits où le travail est abondant, ils
pourraient rendre un grand service à leurs
localités.
Un fait certain, messieurs, c’est que dans les
provinces wallonnes il y a un grand nombre d’ouvriers allemands ; c’est qu’en
Allemagne la misère a été plus
précoce qu’en Belgique, C’est que là, la nécessité a poussé les populations
hors du territoire, bon gré malgré ; c’est aussi qu’en Allemagne l’esprit
d’émigration règne plus que partout ailleurs. Eh bien, messieurs, si les
ouvriers allemands ont pu trouver du travail dans nos provinces wallonnes, je
crois aussi qu’en prenant quelque bonne direction, les populations flamandes
n’hésiteraient nullement à aller travailler également dans les provinces
wallonnes malgré la différence de langue. Mais, messieurs, on sait parfaitement
qu’une population accablée par le malheur, n’ayant aucune ressource
individuelle, hésite à se déplacer ; il faut qu’elle y soit dirigée ; il faut,
en quelque sorte encouragée, il faut qu’elle soit que les ouvriers qui se
déplacent aient un tuteur, un père de famille commun.
Je crois, messieurs, que c’est bien plutôt
l’ensemble des mesures posées par le gouvernement, les mesures que l’expérience
suggérera encore aux administrations locales et aux habitants les plus aisés,
les plus éclairés des districts souffrants, que ce sont ces mesures qui
permettront de soulager les populations, bien plutôt que l’augmentation d’un
chiffre qui serait considéré comme une aumône, qui tendrait à provoquer plus en
plus les demandes et qui arrêterait peut-être l’essor que l’on veut donner au
travail, que l’on veut donner à l’industrie.
M. Lejeune. - Messieurs, ce qui me reste de mieux à faire, c’est
de ne pas ajouter un discours à tous ceux que vous avez eu la bienveillance
d’entendre jusqu’à présent. Je me réfère, du reste, bien volontiers au discours
de mon honorable ami, M. Kervyn, discours si remarquable, si plein
d’enseignements utiles, si plein de sympathie réelle pour la classe souffrante
de nos concitoyens, et d’une conviction qui a dû vous voir tous. (Adhésion).
Je me bornerai, messieurs, à faire
une simple observation. Je partage cette opinion qu’il faut éviter, autant que
possible, de faire l’aumône, c’est-à-dire, de distribuer des secours
gratuitement ; il faut que les secours soient la rémunération d’un certain
travail. Il y a pour cela plusieurs raisons bien fortes : d’abord l’aumône
ne fait que dégrader nos populations, fausser leur caractère. L’aumône doit
être réservée aux malades et aux infirmes. D’un autre côté, si l’on emploie les
fonds mis à la disposition du gouvernement comme rémunération d’un travail, ces
fonds ne seront pas entièrement perdus ; ils serviront, au moins en partie, à
augmenter la prospérité, à développer les ressources du pays.
Les travaux publics doivent être, selon moi, d’un
secours efficace dans les circonstances déplorables où se trouve une partie du
pays. Tout ce qui est travaux de terrassement est d’une grande utilité, parce
que tous les ouvriers peuvent y prendre part. Eh bien, je ferai remarquer à M.
le ministre des travaux publics, que je vois avec plaisir dans cette enceinte,
que dans ce moment aucun, ouvrage n’est en voie d’exécution dans la Flandre
orientale.
Nous en sommes, à mon grand regret, quant à un
travail qui, en ce moment même, pourrait donner de l’occupation à un grand
nombre d’ouvriers, nous en sommes, quant à ce travail, dans les mêmes termes où
nous en étions au mois de septembre 1845. Alors, le gouvernement nous
promettait d’activer les opérations préparatoires de la deuxième section du
canal de Zelzaete, de manière à commencer l’exécution, s’il était possible,
dans le courant même de l’hiver dernier. Cette promesse, je dois l’avouer,
n’était pas formelle ; mais au moins, l’honorable ministre d’alors avait promis
d’activer les études dans le but que je viens d’indiquer. Eh bien, messieurs,
depuis lors 15 mois se sont écoulés, et nous en sommes, je le répète, au même
point, c’est-à-dire qu’on nous promet d’activer les formalités à remplir pour
qu’on puisse mettre la main à l’œuvre.
Je ne sais vraiment à quoi il peut tenir que la
chose n’est pas plus avancée ; je connais les bonnes intentions de M. le
ministre des travaux publics ; je sais que depuis longtemps il espérait de
pouvoir faire exécuter (page 281)
les travaux, en partie du moins, dans le courant de l’hiver ; je sais, d’un
autre côte, que l’honorable ingénieur en chef de la Flandre orientale, qui est
chargé de faire les plans, n’est pas resté en défaut ; je sais que le tracé est
définitivement arrêté ; je ne puis donc pas m’expliquer à quoi il tient que
déjà on n’ait pas procédé aux expropriations et aux adjudications. Comment
espérer, messieurs, que les ouvriers puissent travailler dans le courant de cet
hiver, si jusqu’à présent on ne fait ni expropriations, ni adjudications ?
Que manque-t-il à M. le ministre des travaux
publics ? Sont-ce les fonds qui manquent ?
Mais jusqu’ici les chambres n’ont pas refusé les
fonds pour exécuter les travaux décrétés depuis longtemps et qui peuvent servir
très utilement à occuper les ouvriers sans travail.
Messieurs, j’appuierai un autre ouvrage dont
l’exécution a été réclamée, dans la discussion d’aujourd’hui, par notre
honorable président. Personne n’ignore combien la misère est grande dans
l’arrondissement d’Audenarde, et je ne sais si l’on connaît assez combien cette
route, que notre honorable président a citée, la route de Munckzwalm à. Segelsem,
reliant deux grandes routes ; combien cette route, dis-je, serait utile,
combien elle est indispensable et en même temps combien il est impossible
qu’elle se construise autrement que par l’intervention de la province et de
l’Etat. Je dirai que pendant les six années que j’ai eu l’honneur d’être
commissaire d’arrondissement à Audenarde, je n’ai pas fait un seul rapport,
soit annuel, soit semestriel, sans insister vivement sur la nécessité de
construire cette route. Et il ne s’agit pas même d’une route nouvelle, c’est la
continuation d’une route dont la première section, commencée depuis 16 ans, est
depuis longtemps achevée, et dont la deuxième section a été laissée en
souffrance.
Avant de quitter l’arrondissement d’Audenarde,
j’ai fait à ce sujet un rapport spécial, en proposant formellement, à défaut
d’autres moyens, de construire cette route en appliquant l’article 24 de la loi
sur les chemins vicinaux, c’est-à-dire de la déclarer voie de grande
communication et de tâcher de la construire, dans ce système, au moyen de
subsides très larges sur les fonds provinciaux et sur le budget de l’Etat.
J’espère, messieurs, que ces travaux, qu’on nous
promet de faire exécuter dans les Flandres, ne souffriront plus de retard ; car
il serait réellement pénible de rester dans les termes de vaines promesses et
de ne pas voir mettre la main à l’œuvre dans le moment où il est le plus
nécessaire de donner du travail aux ouvriers.
M. Desmet. - Messieurs,
je n’ai pas bien compris le reproche sanglant que M. Sigart a adressé aux provinces
flamandes ; je ne pense pas que ce reproche ait été sérieux, car si l’honorable
membre l’avait fait sérieusement, il serait sorti de son caractère. L’honorable
membre reproche à ces provinces d’être peu civilisées, peu intelligentes, peu
actives, et même d’avoir une population paresseuse. Ce reproche, adressé aux
Flandres, est surtout mal placé dans la bouche d’un député du Hainaut. Si dans
le Hainaut on est plus heureux, plus riche que dans les Flandres, c’est grâce
aux sueurs des Flamands ; c’est l’argent des Flamands qui procure aux
industriels du Hainaut les grands bénéfices qu’ils font ; tous les
produits des mines du Hainaut, où trouvent-ils principalement leurs débouchés,
sinon dans les Flandres ? Par une seule voie il entre dans les Flandres pour
plus de 30 millions de produits du Hainaut. Si, messieurs, les producteurs du
Hainaut voulaient gratuitement donner leurs produits aux Flandres, on ne
verrait certainement plus de pauvreté chez nous. Il y a donc quelque chose de
cruel à attaquer la pauvreté des Flamands, alors qu’on n’est riche soi-même que
par les Flamands.
Je trouve également assez déplacé le reste du
discours de l’honorable membre. Il reproche aux villes flamandes d’être
inintelligentes. Ce reproche a-t-il une ombre de fondement ? Peut-on dire de la
ville de Gand et autres qu’elle soit inintelligente sous le rapport industriel
? Mais quelles sont donc les inventions industrielles dont le Hainaut puisse
s’enorgueillir ? Je ne vois dans cette province que des mines ; tandis que dans
les Flandres on a inventé une masse de procédés industriels’, y a-t-il dans
l’univers une agriculture plus avancée que celle des Flandres ?
Une autre partie du discours de l’honorable membre
peut se résumer ainsi : « Les Flamands sont pauvres, parce qu’ils
sont religieux et moraux. » Je
prends cela pour un compliment. Vous auriez, ma foi, une belle société sans
religion et sans moralité ; ce serait une société de brigands, j’ose le dire et
je le dis de conviction, car peut-on voir une société bien établie, si elle n’a
pas pour base fondamentale la religion et la morale ? Et quand on dit que le
clergé n’est pas intelligent et civilisé, je peux dire qu’on le calomnie. C’est
à lui, comme je l’ai encore dit dans une autre séance, que nous devons tous les
soins que l’on donne aux indigents ; c’est à lui que l’on doit le travail qu’on
leur procure, et c’est lui qui lui donne l’instruction aussi bien pour les
éléments de la science que pour le travail industriel. Que ferait la classe
souffrante des pauvres sans les bons soins du clergé catholique ?
Je tiens à répondre quelques mots à l’honorable M.
Delehaye. L’honorable membre attribue la pauvreté des Flandres à cette cause,
qu’on n’y abandonne pas l’ancienne industrie linière. Empressez-vous, nous
dit-il, d’introduire la nouvelle industrie, et la misère disparaîtra.
Mais, messieurs,
qu’est-ce qui a donc remplacé l’ancienne industrie linière à la main ?
C’est l’industrie linière à la mécanique. Or, comment coudrait-on introduire
dans les maisons de nos paysans la filature à la mécanique ? Si vous
vouliez introduire ce système, vous détruiriez complétement tout le
travail qui subsiste encore dans les Flandres. Je ne conçois donc pas cet
argument-là.
On nous engage à abandonner l’ancienne industrie
linière ; et pourquoi ? Parce que, dit-on, nous pourrons mieux placer nos
produits.
Mais c’est le contraire ; si nous abandonnons notre
système actuel de fabrication, nous nous ôterons le marché qui peut nous rester
encore. En France on ne trouve à placer que nos toiles faites à la main ; cela
est si vrai, qu’aujourd’hui on ne demande que cette espèce de toiles ; on se
plaint de ce qu’il n’y a pas assez de toiles faites à la main.
Messieurs, nous avons deux grands concurrents pour
l’industrie des toiles ; ce sont l’Allemagne et l’Angleterre. Croyez-vous qu’on
ait abandonné en Allemagne le tissage à la main ? Nullement ; on n’y rencontre
pour ainsi dire pas de toiles faites à la mécanique, et cependant je ne sache
pas que les Allemands ne placent pas bien leurs toiles dans les pays lointains.
En Angleterre même, on tisse avec le fil fait à la main.
Je n’en dirai pas davantage sur cet objet.
Messieurs, il est un fait constant, c’est que
l’hiver dans lequel nous entrons sera aussi mauvais que celui de l’année
dernière. Il y a à cela différentes causes ; une des causes principales, c’est
le manque de la récolte du seigle. Ce fait n’est pas seulement fâcheux pour
ceux qui n’ont pas de quoi vivre, mais il l’est encore pour ceux qui, s’ils avaient
eu une bonne récolte de seigle, auraient pu venir au secours des
malheureux ;tandis qu’aujourd’hui, privés de cette ressource, ils ne
peuvent rien faire pour les pauvres.
La récolte des pommes de terre a mal réussi dans
beaucoup de localités, Il y a même des endroits où cette récolte a si mal
réussi que l’on ne fait usage de ce tubercule que les jours de dimanche.
Une autre calamité qui va frapper le pays linier,
c’est la nouvelle tarification du Zollverein. Par l’augmentation de droit que
vont subir les fils retors et autres, quinze à vingt mille fileuses se
trouveront sans ouvrage. L’industrie principale d’Alost et de Ninove va être
perdue ; nos villes aussi vont souffrir de ce changement du tarif du
Zollverein. La ville de Gand souffrira surtout de l’augmentation de droit dont
seront frappés les fils de coton. Par suite de tout cela, la situation de notre
pays sera plus mauvaise que l’an dernier. Je fais cette observation pour
appuyer l’amendement présenté ayant pour objet de porter l’allocation à 2
millions au lieu de 1,500,000 fr., comme le propose la section centrale. Mais
je ferai remarquer que si je demande qu’on augmente le subside, je ne veux pas
qu’on l’accorde sans condition. D’ailleurs, un subside sans travail serait
insuffisant, fût-il de 10 millions. Il faut que le subside soit donné à
condition de faire travailler. Et je dis qu’il n’y a pas de travail plus utile
que celui des comités. On a dit que les comités faisaient une concurrence
dangereuse au travail libre. Je répondrai à cela que les comités ont toujours
existé ; quand le commerce allait bien, le comité était dirigé par les fermiers
; les fermiers ne vendaient pas leur lin, ils faisaient travailler le lin par
des ouvriers. Aujourd’hui le fermier est remplacé par le comité, avec cette
différence que le fermier gagnait sur le travail de l’ouvrier et que le comité
donne à l’ouvrier tout le produit de son travail ; les comités sont encore
utiles sous le rapport du progrès de l’industrie et de la bonne fabrication ;
ils sont imbus de cette bonne idée qu’il faut travailler bien et de bonne foi
pour pouvoir placer ses produits.
L’honorable ministre de l’intérieur a indiqué plusieurs
moyens pour soulager la misère des Flandres. Le premier est de tâcher de faire
produire davantage au sol qui n’est pas suffisamment bien cultivé, qui ne
produit pas tout ce qu’il peut produire. Il faut aussi faire cultiver les terrains
vagues. Une chose qu’il a oubliée, c’est de tâcher qu’on puisse partout se
procurer une plus grande abondance d’engrais ; c’est l’engrais qui manque chez
nous ! Vous trouverez peut-être risible ce que je vais vous dire, c’est que
l’engrais perdu dans la capitale suffirait pour produire la nourriture de 50
mille hommes. Cet engrais va à la mer sans avoir servi à rien.
Le deuxième moyen indiqué par M. le ministre, c’est
la création de la société d’exportation. Tâchons de placer nos produits, nous
pourrons produire, il n’y aura plus de mendiants. On demande du travail ; mais
c’est le placement qui manque ; le placement assuré, le travail ne manquerait
pas. Je demande donc qu’on se hâte de nous présenter ce projet qui doit nous
sauver. Je ne puis assez engager M. le ministre des affaires étrangères à nous
présenter le projet, qu’il nous a dit être prêt.
Le troisième moyen présenté concerne spécialement
la Campine ; c’est la mesure relative aux irrigations. Que nous manque-t-il
maintenant ? C’est surtout le bétail ; si nous pouvons faire cultiver la
Campine, nous n’en manquerons plus et nous ne risquerons plus d’en manquer, car
bientôt l’étranger ne pourra plus nous en fournir ; le bétail hollandais nous
fera défaut, car l’Angleterre en tire maintenant une grande quantité. Oui,
messieurs, l’irrigation et le desséchement des marais est un objet le la plus
haute importance.
Je dirai maintenant deux mots sur l’exécution des
travaux publics. C’est en ce moment que ces travaux pourront nous être utiles.
Des travaux concédés ou à exécuter par le gouvernement dans ma province, il en
est pour plus de 5 millions arrêtés parce que les études ne sont pas terminées.
On pourrait cependant les commencer sans que les études fussent entièrement
achevées. Que l’on ne soit pas si scrupuleux sur les études et qu’on songe aux
pauvres qui demandent du travail et du pain.
Pour l’écoulement des eaux, on a accordé 300 mille francs
destinés à des travaux à faire dans le haut Escaut, et cependant on ne fait
rien. (page 282) Pourtant à
Audenarde on pourrait faire immédiatement un travail très nécessaire, ce seront
un moyen de procurer du travail aux pauvres de l’arrondissement d’Audenarde ;
vous leur donneriez du pain sans faire de sacrifice.
Je ferai une autre observation, c’est que tous les
millions déposés en cautionnement pourraient être employés en travaux ;
ces millions sont acquis au travail, il faut les mettre en œuvre.
Si vous voulez soulager les pauvres, extirper
la mendicité, faites que chaque
commune soigne ses pauvres ; mais pour cela il faut empêcher dans les communes
toute mendicité étrangère. Il n’y a pas de moyen de coercition ; cependant il y
a des moyens administratifs pour atteindre but, c’est de reconduire dans leur
commune les pauvres étrangers ; il y aurait encore un autre moyen, un peu dur
peut-être, ce serait de ne rien donner aux pauvres étrangers.
Oui, messieurs, quoique la misère soit grande dans
une grande partie du pays, je pense qu nous avons bien les moyens pour y
remédier, et que même il y a moyen d’extirper entièrement la mendicité ; mais
il faut que l’administration supérieure y porte sérieusement et activement ses
soins. Avec son concours et celui des communes bienfaisantes et du clergé,
j’ose assurer que le résultat sera complet et que nous pourrons être en
Belgique sans mendiants et procurer à tous le nécessaire. J’ai dit.
M. de Haerne. – Messieurs, je ne m’attendais pas
à ce que la discussion qui nous occupe prît une tendance telle que celle qui
vient de lui être imprimée par un honorable membre qui appartient à une
province wallonne.
J’éprouve le besoin de protester contre les paroles
outrageantes qu’il s’est permises à l’égard des populations qui m’ont confié
leur mandat. Je respecte toutes les opinions, je crois que toutes les opinions,
quelles qu’elles soient, peuvent être consciencieuses ; je pousse la tolérance
jusqu’à croire qu’on peut être sincère même en professant l’athéisme ; car qui
peut sonder l’abîme du cœur humain ? Je ne ferai donc pas le moindre reproche à
l’honorable membre des opinions qu’il a énoncées. Mais je le répète, je dois
protester contre ses paroles, à cause du retentissement qu’elles peuvent avoir,
à cause du mal qu’elles peuvent produire, à cause du germe de scission qu’elles
tendent à faire naître entre les provinces wallonnes et les provinces
flamandes.
Messieurs, je ne m’attendais pas à voir flétrir le
nom flamand dans cette enceinte. Comment ! c’est au nom flamand que la Belgique
doit une de ses principales gloires. Allez à l’étranger ; visitez la France,
visitez l’Allemagne, visitez l’Angleterre, visitez l’Italie, l’Italie surtout ;
quel est donc le titre de gloire que vous entendrez attribuer partout à la Belgique, et qui presque seul
fait connaître notre pays ? C’est l’école flamande ; ce sont les grands
peintres flamands ; les Rubens, les Van Dyck, les Teniers et d’autres grands
maîtres. Chose singulière ! le nom flamand est vénéré partout à l’étranger ; ce
n’est qu’en Belgique que depuis quelque temps on cherche à le ravaler.
M. Sigart. - C’est toujours de l’histoire ancienne.
M. de Haerne. - C’est de l’histoire ancienne, je
le sais ; mais les populations qui ont vu naître ces grands hommes étaient tout
aussi catholiques que celles contre lesquelles vous dirigez vos accusations.
D’ailleurs nos artistes flamands modernes soutiennent avec honneur la
réputation de l’école flamande.
Je ne m’étendrai pas, messieurs, sur ces
considérations, quoiqu’elles me paraissent d’un grand poids au point de vue de
la nationalité. J’ajouterai un mot quant à l’industrie dans laquelle on nous
représente aussi comme ignorants ; et ici encore, je dois le dire, l’honorable
membre été injuste envers les Flamands. Car, je le demande, en quoi consiste
surtout l’industrie ? L’industrie ne consiste-t-elle pas à créer de l’ouvrage
par la main-d’œuvre ? Or, voyez toutes les
industries qui existent en Flandre ; ne sont-elles pas presque toutes, jusqu’à
notre admirable culture de la terre, des créations de la main de l’homme,
tandis que vos principales richesses sont des dons de la nature ?
N’avons-nous pas enlevé à la France, à un pays qui parle
votre langue, à un pays qui est
moins flamand que le Hainaut, une de ses plus belle industries, l’industrie des
dentelles ? Certes, vous n’accuserez pas la population de Valenciennes, la
population du département du Nord, d’être abrutie par l’ignorance. Eh
bien ! l’industrie de la dentelle y est morte, complétement morte, tandis
qu’elle est florissante dans nos provinces, qu’elle y fournit du pain à plus de
cent mille ouvriers. Mais nos Liévin Bauwens et d’autres industriels de Gand
n’étaient-ils pas des Flamands, et faut-il les déshonorer parce qu’ils ont été
nourris au milieu de populations qui sont attachées à la foi catholique ? Et
puis la partie du Hainaut où s’exerce l’industrie linière n’est-elle pas tout
aussi malheureuse qu les Flandres ?
Je ne parlerai pas des hospices et des
écoles-manufactures érigé dans presque tous nos villages par le zèle des
catholiques et sans lesquels le sort des Flandres serait bien plus déplorable ;
je craindrais de ne pas être compris par ceux à qui je réponds.
Je le répète, je respecte vos opinions, je les
crois aussi sincères qu’elles sont fausses, irritantes, odieuses, et de nature
à semer la discorde dans le pays, à compromettre sa nationalité. Je dois
protester contre vos paroles de toutes les forces de mon âme, an nom de la
Flandre, au nom du patriotisme, au nom de l’honneur et de la nationalité du
pays.
Messieurs, après cette digression dans laquelle
j’ai été entraîné malgré moi, il me reste à vous présenter quelques
considérations sur l’objet qu est en discussion.
Je ne m’étendrai pas, messieurs, sur les causes du
paupérisme qui désole les Flandres. Ces causes vous ont été assez longuement
exposées ; mais je dois entrer dans quelques détails sur les moyens proposés
par le gouvernement pour apporter des remèdes à ces maux.
Le gouvernement, outre le projet de loi qui est en
discussion, propose en même temps d’autres mesures. Il a déposé sur le bureau,
il y a quelque temps, un projet de loi tendant à frapper uu droit sur les
étoupes à la sortie ; il se propose de créer une société d’exportation. Il aura
recours encore à d’autres mesures, qui, conjointement avec celles qui sont
proposées dans le projet en discussion, pourront sans doute apporter un
soulagement efficace aux misères des Flandres.
Messieurs, en ce qui concerne la première mesure,
celle relative aux étoupes, je n’en parlerai pas longuement. Je crois devoir
dire, puisqu’ici nous devons embrasser l’ensemble des mesures proposées par le
gouvernement, que le principe m’en paraît excellent ; que cependant il faut
user de beaucoup de prudence dans l’application du principe. Si le droit frappé
sur les étoupes était trop élevé, et que d’un autre côté il n y eût pas de
droit sur les lins à la sortie, vous pourriez provoquer une plus grande
exportation de lin teillé et non sérance. C’est un point qui doit être mûrement
examiné.
Messieurs, les comités industriels institués dans
les Flandres depuis quelques années, ont été l’objet de critiques de la part de
plusieurs membres de cette assemblée. Je crois que ces honorables membres ne
sont pas au courant de tout ce qui s’est passé dans ces comités ; qu’ils ne
connaissent pas parfaitement les opérations qui s’y sont faites.
D’abord, messieurs, j’admets avec les honorables
membres auxquels j’ai l’honneur de répondre, que ces comités ne doivent pas
être des institutions permanentes ; je crois que ces comités ne sont que
temporaires, et que, lorsqu’ils auront produit le bien qu’on en attend, on
pourra les supprimer. Mais je crois tout aussi bien qu’il y aurait de graves
inconvénients à les supprimer d’emblée, à les supprimer dans ce moment.
Messieurs, les comités ne sont pas des institutions
récentes. Les comités industriels doivent leur origine à l’administration de
Napoléon. A cette époque aussi, à cause de la misère qui, pendant quelques
années, désola les contrées adonnées à l’industrie linière, l’administration
française établit dans les Flandres des comités liniers, et ces comités furent
supprimés plus tard lorsqu’ils avaient rempli leur but.
Plus tard, en 1816 et 1817, des comités liniers
furent établis de nouveau, entre autres dans l’arrondissement de Courtray, par
un administrateur éclairé, M. Dubus de Ghisignies. Ces comités ont travaillé
pendant plusieurs années et ont produit un très grand bien. Plus tard, la
nécessité ne s’en faisant plus sentir, ils ont été également supprimés.
Il en sera de même, messieurs, des comités qui sont
établis en ce moment. Je crois qu’on ne peut pas les supprimer immédiatement
sans s’exposer aux plus graves dangers ; mais je crois aussi qu’il viendra un
moment où l’on pourra renoncer à cette institution.
Messieurs, si je suis d’accord avec les honorables
membres auxquels je réponds, sur le caractère purement temporaire des comités,
je ce puis partager leur opinion, quant aux opérations de ces comités,
opérations qu’ils ont cru devoir critiquer.
On a dit que les comités liniers font une grande
concurrence au travail libre. Voyons à quoi se réduit cette objection.
D’abord, messieurs, je ferai remarquer que sur 150
comités ou à peu près qui se trouvent établis dans les Flandres, il n’y en a
guère qu’une vingtaine quï se livrent au tissage. Les autres comités s’adonnent
exclusivement au filage. Or, je pense que le tissage réparti entre un aussi
petit nombre de comités ne peut pas faire une concurrence sérieuse au travail
libre.
Les comités peuvent encore moins faire concurrence
au travail libre, en ce qui concerne le filage. Car les comités sont des
magasins de prévoyance quant aux fils, et ces fils sont à la disposition des
tisserands qui peuvent venir en acheter tout aussi bien qu’ils en achèteraient
ailleurs. Ainsi, les comités, loin de nuire aux tisserands, loin de leur faire
une concurrence, leur donnent, au contraire, une facilité incontestable, même à
ceux qui, dans le tissage, marient la chaine mécanique avec une trame à la
main. Quant à la concurrence que le fil des comités peut faire au fil
mécanique, je ferai remarquer qu’elle ne peut provenir que du bon marché, et
que dès lors elle est toute à l’avantage du tisserand, ce qui, sans doute,
n’est pas un mal, à moins qu’on ne soutienne qu’il faut favoriser les
actionnaires des filatures mécaniques, au détriment du pauvre ouvrier.
D’ailleurs, on s’est plaint plus d’une fois de ce que le fil mécanique faisait
défaut. Dans ce cas, le fil des comités, surtout le fil numéroté, peut remplir
le vide.
On a parlé des pertes qu’essuient les comités.
Messieurs, j’avoue que quelques comités se sont constitués en perte, et que
quelques-uns ont même fait des pertes assez considérables. Je crois cependant
que lorsqu’on porte ces pertes à 40 p. c, comme l’a dit notre honorable
président, c’est une exagération. Je sais qu’il a cité un fonctionnaire public
; mais je suis porté à croire que les renseignements n’ont pas été exacts dans
leur source.
J’admets cependant des pertes et des pertes
considérables pour certains comités ; mais je crois devoir ajouter qu’il y en a
d’autres, qui, loin d’avoir travaillé à perte, ont travaillé même avec
bénéfice.
Messieurs, examinons les causes des pertes que
certains comités ont éprouvées.
Ces causes sont de différentes natures. D’abord ou
doit dire que les comités se trouvent dans des conditions moins favorables que
les travailleurs libres, et voici pourquoi. Les fabricants libres choisissent
dans la classe ouvrière les travailleurs les plus habiles, ceux qui leur
conviennent le mieux, et par conséquent ils font une meilleure marchandise. Les
comités, au contraire, sont à la fois des institutions de charité et des institutions
industrielles, et par conséquent, d’après la nature de leurs premières
attributions, ils doivent accepter les ouvriers les moins habiles, afin de les
soustraire à la misère.
Que résulte-t-il de là ? C’est qu’ordinairement les
produits qui proviennent des comités ne sont pas aussi beaux que ceux qui proviennent
du travail libre. Remarquez, messieurs, que d’après cette considération, la
concurrence qui peut résulter du travail des comités liniers est aussi moins
grande. Car si les produits sont moins parfaits que ceux qui résultent du travail libre, ils feront
moins de concurrence, à raison de leur moins-value.
Voilà une première cause des pertes que certains
comités ont éprouvées. Il y en aune seconde, c’est la mauvaise qualité ou la
cherté de la matière première. Messieurs, souvent les comités se sont trouvés
dans la nécessité d’acheter le lin tel qu’il se présentait, et en voici la
cause. Nous avons voté depuis plusieurs années des fonds assez considérables
pour venir au secours des comités. Mais comme j’ai eu l’honneur de le dire
l’année dernière, ces fonds ont été souvent distribués mal à propos, en temps
inopportun : souvent la distribution s’en est faite après que les meilleurs
lins de la récolte étaient enlevés. De là il résulte que souvent les comités
ont été dans la nécessité d’acheter des lins de moindre qualité ou plus chers.
C’est encore ce qui arrivera cette année, et les lins sont renchéris de 25 p.
c.
Je crois donc devoir appeler l’attention du
gouvernement sur ce point. Il doit faire tout son possible pour que les fonds
destinés à l’achat de la matière première soient distribués en temps opportun,
afin qu’on puisse faire les achats avant que l’étranger ne soit venu mettre la
main sur la matière première et l’exporter au dehors.
Il y a une troisième cause de ces pertes ; c’est
que souvent on emploie de mauvais instruments.
Vous savez que les populations adonnées à
l’ancienne industrie linière et même à la nouvelle, n’emploient pas tous des
instruments perfectionnées, parce qu’ils ne peuvent se les procurer. On emploie
de mauvais métiers, on emploie de mauvais rouets ; souvent on ne connaît pas et
on repousse même par préjugé l’usage de la navette volante.
Il en résulte que la marchandise est moins
parfaite, et surtout que l’on travaille bien moins vite.
Il y a, messieurs, beaucoup à faire sous ce rapport.
Je ne crains pas de dire que si le gouvernement pouvait mettre à la disposition
des comités liniers les fonds nécessaires pour renouveler les instruments dont
la classe ouvrière a besoin, je ne crains pas de dire que la crise linière
serait considérablement atténuée. Je ne dis pas qu’on pourrait la faire
disparaître entièrement, mais au moins elle serait beaucoup moins sensible
qu’elle ne l’est maintenant. J’ajouterai que cette mesure jointe aux autres qui
sont connues, sauverait l’industrie linière.
Je citerai un exemple : dans l’arrondissement
de Courtray, les membres du comité cantonal ont fait tous leurs efforts pour
perfectionner le travail ; on a distribué un grand nombre de métiers ; je
crois, que ce nombre s’élève à peu près à mille. Eh bien, messieurs, les
ouvriers pourvus de ces instruments gagnent aujourd’hui, en faisant de la toile
avec de bon fil à la main, un salaire très raisonnable, un salaire de 1 fr. 50
c. par jour. Il en est mème qui gagnent jusqu’à 2 fr. Or, messieurs, si vous
pouviez procurer ces instruments perfectionnés à toute la classe ouvrière, vous
auriez fait un grand pas. Jusqu’à ce jour on n’a pu le faire pour la masse de
nos ouvriers, le nombre des métiers distribués n’est pas encore en rapport avec
le nombre des ouvriers.
Je dis donc que si les comités ont essuyé de
pertes, pertes que je crois avoir été exagérées, il y a moyen de faire cesser
cet état de choses, en introduisant toutes les améliorations dont je viens de
parler, en améliorant ce qui est relatif à l’achat et à la distribution de la
matière première et surtout en distribuant des instruments perfectionnés, en
nombre suffisant. Alors les comités ne perdraient plus. Alors aussi je ne
verrais plus une si grande nécessité de maintenir les comités. Toutefois le
maintien de ces institutions serait encore utile pour l’achat de la matière
première, afin qu’elle fût toujours de bonne qualité et à un prix raisonnable,
c’est-à-dire, au prix auquel peuvent se la procurer les grands fabricants qui
travaillent la mécanique.
En attendant, il faut maintenir ce qui existe et se
rappeler que par le moyen des comités on nourrit les ouvriers à raison de3 fr.
par tête et par an, ce qu’on ne pourrait certes pas faire par des secours de
toute autre nature, secours qu’on ne pourrait cependant pas refuser aux
indigents, à moins de les abandonner cruellement à leur malheureux sort et de
les laisser mourir de faim.
Messieurs, j’ai besoin de répondre à quelques
autres objections faites contre les comités institués pour l’industrie linière.
On a dit que la mesure de numérotage, qui est
introduite depuis plusieurs années dans l’arrondissement de Courtray, est une
mesure illusoire ; on a dit que le numérotage est très bon en Angleterre, où
l’on n’emploie que du fil mécanique, qu’il est très bon également pour le fil
mécanique que l’on fait dans le pays, mais qu’il est absolument sans utilité
pour le fil à la main. Lorsque cette objection a été faite, je me suis permis
un mot d’interruption, en disant que le numérotage existe en Allemagne. On n’a
pas répondu à cette observation.
En effet, messieurs, le numérotage existe depuis
longtemps en Allemagne, et c’est à cette circonstance que ce pays est redevable
de l’exportation considérable qu’il fait en fil à la main. Pour corroborer
l’objection, on a dit qu’il est impossible de faire du fil à la main égal et on
a pensé détruire par là tout ce qui a été allégué en faveur du numérotage. Il est tout à fait inexact de dire que le
fil à la main ne peut être égal. Lorsque dernièrement on a présenté du fil à la
main à la commission réunie à Gand, ce fil a été reconnu, à part ses autres
qualités spéciales, tout aussi égal, tout aussi beau que le fil mécanique le
mieux fait. C’est là, messieurs, le résultat du numérotage. Mais alors même que
le fil à la main ne serait jamais aussi égal que le fil mécanique, il n’en
résulterait pas que le numérotage est inutile, car cela ne prouverait pa que le
numérotage n’a pas pour effet de perfectionner le fil à la main.
Le perfectionnement est déjà un très grand avantage,
alors même que nous ne pourrions pas atteindre à toute l’égalité du fil
mécanique. Il suffit que le numérotage soit un progrès réel, pour que nous
fassions tous nos efforts dans le but de le propager.
On nous a dit aussi, messieurs, qu’il faudrait remplacer
le filage par le tissage, c’est-à-dire qu’il faudrait faire tisser toutes les
femmes qui s’occupent aujourd’hui du filage. Si la chose était possible, je n’y
trouverais pas d’inconvénient ; au contraire, j’y verrais un grand avantage,
puisque ce serait un moyen d’augmenter le salaire. Mais, messieurs, je dois le
dire, et j’en demande pardon à l’honorable membre à qui je réponds, c’est là
une véritable utopie ; car, enfin, comment voulez-vous que toutes les femmes
qui s’occupent aujourd’hui du filage, se mettent à tisser de la toile ? Mais
vous produiriez dix fois plus de toile que vous n’en produisez maintenant ; et
comment pourriez-vous vous en défaire ? Où trouveriez-vous les débouchés pour
écouler cette masse de produits, en présence des barrières douanières qui nous
entourent de toutes parts ?
M. Delehaye. - Je ne veux pas que tout le monde soit tisserand.
M. de Haerne. - Mais il faudrait bien occuper
tous ceux qu’on occupe actuellement. Eh bien, je ne crains pas de le dire ce
que vous proposez est complétement impossible.
M. Delehaye. - Que fait
l’Angleterre ?
M. de Haerne. - En Angleterre, et surtout en
Irlande, on n’a pas entièrement abandonné le filage à la main ; mais il y a en
Angleterre fort peu de femmes qui tissent ; ce sont presque toujours des hommes
qui le font. Je le sais parfaitement, je l’ai vu.
Messieurs, je suis loin de m’opposer à la nouvelle
industrie linière. La nouvelle industrie linière est une spécialité ; je crois
qu’il faut la développer ; je crois qu’elle sera pour le pays une source de richesse.
C’est une industrie spéciale dont les produits seront toujours demandés. Mais
il n’en résulte pas que nous puissions supprimer l’ancienne industrie linière,
qui est aussi une spécialité. Aussi longtemps que la France, que l’Espagne et
d’autres pays, ainsi que la consommation intérieure, demanderont pour des
millions de toiles faites de fil à la main, je crois qu’il serait de la plus
grande imprudence de renoncer à cette spécialité.
Mais, messieurs, ce qu’on dit de la différence
entre les deux industries du lin, nous pourrions le dire a peu près de la
différence entre le coton et la toile. Il y a eu un moment où le coton semblait
devoir remplacer complétement la toile. Encore aujourd’hui le coton est très en
usage en Angleterre, pour des chemises, par exemple. Dans plusieurs parties de
l’Italie, le coton a remplacé la toile pour les neuf dixièmes, et le dixième
restant est encore partagé entre l’ancienne et la nouvelle industrie ; de
manière que tel consommateur ne veut que de la toile faite à la main, tandis
que l’autre veut exclusivement de la toile faite de fil mécanique.
Eh bien, messieurs, en suivant le raisonnement que
je combats en ce moment, il aurait fallu aussi renoncer à l’industrie linière à
l’époque où le coton semblait devoir généralement remplacer la toile. Or, tout
le monde reconnaîtra aujourd’hui que c’eût été là une faute immense, et je dis
que nous commettrions la même faute si nous abandonnions l’ancienne industrie
parce que nous penserions qu’elle doit être remplacée par l’industrie nouvelle.
Mais messieurs, ce n’est pas seulement à ce point
de vue que nous demandons le maintien de cette industrie ; nous le demandons
aussi et surtout pour venir au secours de la classe ouvrière. Nous le demandons
en grande partie parce que, dans ce moment-ci, nous ne trouvons pas d’autres
industries, pas d’industries plus lucratives, en nombre suffisant, ou d’une
assez grande importance, pour remplacer l’ancienne industrie linière. Nous
demandons le maintien de cette industrie parce que nous avons la conviction
profonde que sans elle il est impossible de donner du travail aux populations.
Qu’on ne nous reproche pas de ne pas accepter de
nouvelles industries ; nous les acceptons toutes, quelles qu’elles soient,
pourvu qu’elles puisent procurer du pain aux ouvriers. Je désire qu’on
m’indique une nouvelle industrie qui puisse être introduite dans les Flandres,
et nous n’hésiterons pas un instant à l’y introduire.
Mais, messieurs, n’avons-nous donc rien fait sous
ce rapport ? Je pourrais signaler bien des industries que nous avons
introduites chez nous depuis quelques années, mais qui ont à peine eu le temps
d’y prendre racine. Je pourrais citer non seulement la ganterie, qui existe
dans plusieurs de nos villages, la soie, qui se tisse dans plusieurs arrondissements
et surtout dans l’arrondissement d’Alost ; je pourrais citer l’industrie
de (page 284) de la laine, qui s’est
développée sur une grande échelle dans les environs de Courtray et de
Roulers ; je pourrais citer les articles de Roubaix, que nous faisons en
perfection depuis quelque temps ; je pourrais citer encore les batistes
qui se fabriquent depuis un an en aussi bonne qualité qu’en France, et à 15 p.
c. meilleur marché.
Je citerai, messieurs, l’honorable bourgmestre
d’une de ces communes, qui, selon un honorable préopinant, sont ensevelies dans
la plus profonde ignorance ; je citerai le bourgmestre de Sweveghem, qui a
introduit dans sa localité le tricot aux métiers circulaires et qui a procuré
ainsi du pain à de nombreux ouvriers.
Je citerai un honorable
industriel de Courtray, M. F. Buyse, qui
a introduit la manufacture de la blouse de Lille dans les environs de
Courtray. Je pourrais ajouter la passementerie et d’autres articles encore.
Voilà, messieurs, ce que nous faisons ; mais il
faut un certain nombre d’années avant que ces efforts puissent produire le
résultat qu’on est en droit d’en attendre. Tout cela ne peut se développer
qu’avec le temps.
Je me résume, messieurs, en disant que j’accepte le
projet de loi présenté par le gouvernement. Seulement j’ai cru devoir proposer un amendement tendant à majorer le
chiffre du crédit destiné à favoriser la propagation des instruments de travail
perfectionnés parmi les classes ouvrières des Flandres. J’ai surtout proposé
cet amendement pour obvier aux inconvénients que l’on a signalés dans les
opérations des comités et qui, selon moi, disparaîtraient au moins en grande
partie, si l’on parvenait à introduire partout ces instruments perfectionnés.
Je termine, messieurs, en vous recommandant le sort
de nos populations affamées auxquelles dans votre patriotisme, vous n’hésiterez
pas à porter les secours dont l’expérience a fait connaître l’urgence.
- La séance est levée à 4 heures et demie.