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Chambre des représentants de Belgique
Séance du samedi 21 novembre 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre, notamment pétitions relatives à la poste aux chevaux (Liedts) et à un subside pour les classes ouvrières
nécessiteuses (Liedts)
2) Projets de loi portant
érigeant une nouvelle commune (Saint-Léonard)
3) Rapports sur des
demandes en naturalisation ordinaire
4) Fixation de l’ordre des
travaux de la chambre (Malou)
5) Adresse en réponse au
discours du trône. Discussion des paragraphes. Traité avec le Zollverein, industrie linière, situation
sociale dans les Flandres (Desmet, Dechamps,
de Naeyer), équilibre général entre recettes et
dépenses (Delfosse), situation sociale dans les
Flandres, industrie linière et action gouvernementale en matière de travaux
publics (Delehaye, Rodenbach,
de Theux, (+concurrence des établissements
pénitentiaires) de Villegas, de
Theux, (+concurrence des établissements pénitentiaires) d’Anethan
et Desmet), état d’avancement de certains travaux
d’infrastructure (de Bavay), plan d’ensemble de lutte contre
les inondations ((+ impact du déboisement) de Tornaco,
Dumortier, (+canal de Zelzaete) Lejeune,
Malou, de Tornaco, David, Osy, Delfosse,
Malou, Delfosse, Dumortier, Dubus (aîné)), réforme électorale
(de Theux, Delehaye, de Theux), éloge au roi (Delfosse)
6) Projet de loi relatif au
service de santé de l’armée (Sigart)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 97) M. Huveners procède à l’appel nominal à 11 heures un quart, et lit
le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
Il communique
ensuite l’analyse des pièces adressées à la chambre :.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur du Relais, avocat à Ath, demande une loi
qui fixe d’une manière générale et uniforme la valeur de toutes les propriétés
foncières du royaume, en prenant pour base le revenu imposable porté à la
matrice cadastrale. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Les maîtres de postes prient la chambre de
vouloir bien statuer promptement d’une manière quelconque sur leur sort. »
M. Liedts. - En
l’absence de M. le ministre des finances, je demanderai à la chambre la
permission de dire quelques mots, de ma place, pour appuyer cette pétition. Les
maîtres de postes m’ont prié d’appeler l’attention de la chambre sur leur
requête, et j’hésite d’autant moins à le faire que leur réclamation est
parfaitement juste. Il est impossible que le gouvernement et les chambres ne
statuent pas sur leur sort. Voilà dix ans qu’ils nous adressent leurs plaintes.
Si les relais sont devenus inutiles, que le gouvernement le déclare et qu’il
propose des mesures en conséquence ; si, au contraire, ils doivent être
maintenus, il faut qu’on les place dans des conditions telles qu’ils puissent
exister.
Je demanderai donc que la pétition soit renvoyée à
la section centrale chargée d’examiner le budget des travaux publics, et que M. le ministre des travaux publics soit
invité par la section centrale à donner des explications sut la demande des
pétitionnaires.
- Cette proposition est adoptée.
« Le conseil communal de Renaix prie la
chambre de voter une somme de 25,000 fr., pour subvenir aux besoins de la
classe nécessiteuse de cette ville.
M. Liedts. - Comme cette
pétition se rattache aux mesures que nous sommes appelés à voter pour venir aux
secours des classes ouvrières, je proposerai à l’assemblée de la renvoyer, avec
demande d’un prompt examen, à la section centrale qui s’occupera de la loi de
crédit pour mesures relatives aux subsistances.
- Cette proposition est adoptée.
_________________
Par dépêche, en date du 20 novembre, M. le ministre de la justice (M.
d’Anethan) transmet à la chambre des exemplaires d’une
brochure relative à l’arrêté du 25 août 1846, portant création d’une maison centrale
de correction à Louvain.
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux
membres de la chambre.
___________________
Par dépêche, en date du 18 novembre, M. le ministre des travaux publics
transmet à la chambre des explications qui lui ont été demandées sur la
pétition du sieur Castelain, cultivateur à Estaimpuis.
- Dépôt au bureau des renseignements.
PROJETS DE LOI PORTANT MODIFICATION DE LIMITES COMMUNALES
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux) présente
quatre projets de loi relatifs à l’érection de la commune de Saint-Léonard, et
à la rectification de trois autres communes.
- La chambre ordonne l’impression et la
distribution de ces projets, et les renvoie à l’examen de commissions qui
seront nommées par le bureau.
RAPPORTS SUR DES DEMANDES EN NATURALISATION ORDINAIRE
M. Maertens, au nom de la commission des
naturalisations, dépose 22 projets de loi de naturalisation ordinaire.
- Ces projets seront imprimés et distribués. La chambre
les mettra ultérieurement à l’ordre du jour.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Je demanderai à la chambre de fixer dès à
présent l’ordre du jour de lundi prochain ; je lui proposerai de porter à son ordre du jour, en premier lieu,
le budget de la dette publique sur lequel l’honorable M. Veydt a fait rapport
dans la dernière session ; en second lieu, le budget du département des
finances, dont le rapport a été également déposé par l’honorable M. Zoude.
ADRESSE EN REPONSE AU DISCOURS DU TRONE
Discussion des paragraphes
Paragraphe premier
M. le président. - La discussion
continue sur le paragraphe premier. La parole est à M. Desmet.
M. Desmet. - Messieurs, hier,
vers la fin de la séance, l’honorable ministre des affaires étrangères et du
commerce m’a fait un reproche très dur auquel j’ai été très sensible et que je
ne méritais pas. Ce reproche m’a été adressé, parce que j’avais déclaré à la chambre que, par les nouvelles modifications
introduites dans le tarif du Zollverein, on allait encore frapper mortellement
l’industrie linière et tout en particulier une partie du malheureux district
d’Alost, et surtout les villes de Ninove et d’Alost et les campagnes qui les
environnent ; ce résultat doit être la conséquence de l’augmentation dont on a
grevé les fils retors de lin.
Certainement, ce ne sont pas mes paroles, mais bien
les faits que j’ai signalés, qui doivent
porter l’alarme dans la contrée dont les intérêts sont lésés ; et je ne crois
pas qu’il y eût lieu dc ce chef à m’adresser le moindre reproche.
Et comment voudrait-on que cette malheureuse
contrée ne fût pas alarmée, quand on la frappe encore une fois ? Cette contrée
est véritablement abandonnée ; elle ne jouit d’aucun des avantages accordés aux
autres parties dli pays ; le
commerce y languit ; il n’y a aucune communication ; il n’y vient plus de
voyageurs ; les maisons de commerce s’en retirent. Ce district qui paye une si grande part dans les
contributions publiques, les paye tous les ans pour sa ruine ; il les paye pour
construire de nouvelles voies de transport et de communication qui lui font un
tort immense et qui déplacent, à son grand détriment, des avantages
commerciaux.
Je ne crois pas non plus que, par mes paroles,
j’aie fait tort à la négociation. J’ai établi les faits tels qu’ils existaient
; j’ai indiqué le mal qu’on allait encore nous faire, et je ne pense pas avoir
par-là compromis la négociation.
Au lieu de subir ce reproche, il m’aurait été plus
agréable d’entendre le la bouche de M. le ministre du commerce quelques paroles
de consolation qui nous auraient fait espérer que le commerce de cette contrée
ne serait pas traité en paria. L’honorable ministre du commerce est le père
commun des négociants ; il ne doit pas vouloir qu’une branche de la grande
famille souffre continuellement, et il ne peut pas voir que sa détresse
s’achève ; la partialité comme le privilège est contre l’esprit de notre
Constitution. M. le ministre sait où est le mal ; il sait que le gouvernement
peut le diminuer ; j’espère que l’époque n’est pas éloignée où cette portion du
pays recevra un soulagement, et que le grief qui existe pour le district
d’Alost sera bientôt redressé.
M. le ministre a prétendu que mon inquiétude était
mal fondée : Il est vrai, dit M. le ministre, que par les nouvelles
modifications apportées au tarif du Zollverein, le fil retors est frappé de 100
p. c. de plus, soit 30 francs les 100 kilog. ; mais en compensation, on a
établi un droit sur le fil mécanique étranger de 15 francs. Mais l’honorable
ministre doit savoir que l’Allemagne n’a pas besoin de fil étranger ;
l’Allemagne, la Westphalie, le pays de Brunswick, la Silésie, et les forêts qui
bordent la rivière le Roer, tous ces pays produisent beaucoup de fil, et ils en
produiront encore plus quand ils trouveront les moyens d’en faire consommer
davantage, ce qu’ils obtiendront quand ces pays établiront des fabriques de
fils retors ; ce qui assure un avantage à l’Allemagne sur la Belgique, c’est
que les fileuses allemandes n’ont pas un salaire aussi fort que les nôtres.
Or donc, si nous allons laisser se développer la
fabrication du fil retors en Allemagne, nous verrons bien diminuer nos
fabriques et augmenter la détresse ; nous devrons aussi déplorer que les
comités établis pour (page 98) le
travail des pauvres, n’auront plus cet avantageux placement pour les produits
des fileuses de nos campagnes.
Il est connu que les Allemands n’ont pas besoin de
fils étrangers, et ils sont bien trop adroits pour stimuler l’emploi des fils
mécaniques ; il savent bien que le lin laminé ne produit pas du fil comme celui
qui est filé la main ; ils savent par expérience que les toiles faites avec le
fil à la main se placent plus facilement et plus avantageusement que celles
faites avec des fils mécaniques ; c’est pour arrêter l’introduction des fils
anglais que, probablement, le Zollverein aura pris la mesure de frapper les
fils mécaniques d’un droit élevé.
C’est surtout parce que les fils retors de Ninove
et d’Alost sont fabriqués avec du bon fil simple, que le consommateur allemand
les préfère à tous autres, et que ces fils ont une si bonne et ancienne
réputation. Ce sera donc, et nous ne pouvons assez le répéter, ce sera mon district qui va pâtir le plus de
la nouvelle mesure allemande. Les fileteries de Tournay et de Courtray sont
aussi frappées, mais elles ne le sont pas autant que celles de Ninove et
d’Alost, parce qu’elles ne placent pas beaucoup leurs marchandises en
Allemagne, elles les débitent dans d’autres pays ; mais la mesure rejaillira
sur elles, parce qu’elles devront craindre la concurrence des fabriques qui sont directement atteintes dans
les localités où elles placent seules aujourd’hui.
Ces fileteries ne sont pas seulement frappées par
le Zollverein, elles l’ont été encore par le traité avec la Hollande. Avant le
traité, on était soumis au droit de 6 p. c., mais on n’en payait en réalité que
3 ; les Hollandais, craignant de procéder à des préemptions, se contentaient de
ce droit.
Aujourd’hui on paye 12 fl. des Pays-Bas les 100
kil., cc qui fait qu’au lieu de 3 on paye
15 et 16 p. c, et cette mesure, comme vous le sentez, devra beaucoup faire
diminuer le placement de nos fils en Hollande. C’est donc un grand sacrifice
que l’industrie des fileteries a dû faire pour obtenir le traité hollandais ;
il est juste que cette perte soit indemnisée et que le gouvernement prenne une mesure
efficace à ce sujet.
Messieurs, l’importance de nos fabriques de fil retors
est plus grande peut-être que vous ne pensez Nous comptons 50 à 60 fabriques,
qui occupent deux mille ouvrières, dont les produits s’élèvent à une valeur de
4 millions, et dont la moitié est absorbée par le salaire des fileuses de fil
simple.
Ces deux millions font huit millions de journées
pour les fileuses, qui permettent d’occuper 20 à 25 mille ouvrières qui seront
sur le pavé si on laisse tomber leur industrie.
Le Zollverein ne frappe pas seulement le fil retors,
mais encore la toile blanche et teinte, qui paye aujourd’hui cent pour cent de
plus qu’auparavant. Pourtant, que n’avons-nous pas fait pour l’Allemagne ? Nous
lui avons accordé tout ce
qu’elle a demandé, et elle frappe de mort nos industries. Il n’y a qu’un seul moyen d’apporter quelque
remède à cet état de choses sur lequel j’appelle l’attention de M. le ministre
du commerce ; le seul moyen d’empêcher la ruine de cette industrie est d’accorder
des primes d’exportation.
Je crois que ce système de protection pourra être
très utilement mis en usage, aura un excellent résultat et ne sera pas très
coûteux pour le trésor.
A cette occasion j’appellerai l’attention de M. le
ministre sur la récolte du lin qui a manqué. Nous demandons pour cette année seulement un droit de sortie
sur les lins. Toutes les fois qu’on a vu
que le lin brut manquait, on mettait un droit momentané à la sortie afin
de ne pas priver l’industrie de cette matière première importante. Si le
gouvernement ne prend pas cette
mesure, je ne sais pas comment les comités du travail des pauvres pourront se
procurer cette matière première, qui leur est indispensable ; pour cette raison
seule le gouvernement et surtout le département du commerce devrait à cet objet
attacher une attention toute particulière, et j’engage le chef de ce
département de ne pas tarder à songer aux mesures qui seront utiles à prendre
pour conserver les lins bruts dans le pays. On voit déjà aujourd’hui que le lin
commun que l’on achète est de 40 p. e. plus cher que le prix normal.
On a parlé dans la discussion générale du malaise
d’une grande partie de nos provinces, surtout des Flandres.
Une des causes momentanées de ce malaise, c’est que
toujours nous perdons, sous le
rapport de l’exportation de nos produits. Dans les provinces où une grande
partie de la population vit de la fabrication des produits liniers, vous
comprenez que lorsqu’on va encore une fois mettre quelques millions d’ouvrières
sans travail, la misère doit
augmenter de jour en jour.
Il y a des causes
qui sont générales à toutes les
industries, c’est la trop grande population, et la trop grande fabrication qui
n’est pas en rapport avec la consommation.
Malheureusement, je ne sais comment on pourrait
corriger cela : tous les jours la population augmente, et l’on coupe les bras
aux ouvriers.
C’est un progrès bien fatal à l’humanité.
Je dis un progrès, parce que l’on appelle
ordinairement un progrès, quand une nouvelle mécanique est inventée, qui a pour but d’ôter le travail à des milliers de bras.
A cette occasion, l’on a reproché au clergé d’être
la cause de cette misère excessive de nos provinces. Si nous n’avions pas ce
clergé bienfaisant, la misère semait plus grande. C’est le clergé qui nous
sauve. Ce sont nos pasteurs qui donnent du travail dans les campagnes. Si nous
n’avions pas le clergé, je ne sais comment on pourrait sortir de cette calamité.
On a dit, en outre, que le clergé catholique était la
cause de la misère existante, parce qu’il avait des idées rétrogrades ou
stationnaires sur l’industrie.
Quoique le clergé ne fabrique pas, on peut dire, à la
vérité, qu’il est loin d’être rétrograde en fait de fabrication ; il tâche
d’introduire dans les communes de nouvelles branches d’industrie.
Je puis vous citer plusieurs curés de paroisse qui
ont introduit de nouvelles branches d’industrie dans leurs communes ; mais la
liste serait trop longue. Je dois cependant vous en faire connaître un qui a
introduit dans sa commune la fabrication de la soie et des étoffes, dite
printanière, et l’application de la dentelle à l’aiguille, qui procurent du
travail et du pain à tous les pauvres de l’endroit.
D’autres ont introduit dans leurs communes la
ganterie et l’industrie dentellière, la passementerie et beaucoup d’autres
branches nouvelles.
Dans la campagne que j’habite, on a établi un comité
pour donner pain aux indigents. Ce comité a touché, il est vrai, un subside,
mais qui ne suffisait pas. On avait besoin d’un fonds de roulement ; le curé
avait un capital de 3,000 fr. ; il l’a donné au comité, sans aucun intérêt.
Il y a une quinzaine de jours, j’assistais avec M.
Desmaisières, gouverneur de la province, à une distribution de prix aux enfants
pauvres. M. le curé-doyen d’Alost a donné de ses propres fonds des habillements
à 2,500 enfants pauvres ; c’est ainsi que ce respectable ecclésiastique rend un
service immense aux familles indigentes de cette ville.
Il est à désirer que l’allocation
pour venir en aide à l’industrie linière soit aussi forte que l’an dernier ;
car on a fait emploi d’une somme de 1,800,000 fr., et cependant je crois que
l’hiver où nous entrons sera aussi mauvais que le dernier.
Je pense en avoir dit assez, et je voterai
l’adresse avec toutes les déclarations que nous faisons au gouvernement.
Cependant nos commettants ont de grands motifs de
se plaindre ; mais dans l’espoir que le gouvernement redressera le grief et la
partialité existent à leur égard, je
voterai l’adresse.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). -
L’honorable M. Desmet s’est grandement trompé en croyant que mon intention
avait été de lui adresser le moindre reproche. Sa très vive sollicitude pour
les intérêts dont il est le représentant dans cette chambre n’a rien que de
louable, et je n’ai fait que rectifier ce que j’ai considéré comme une erreur.
Messieurs, hier j’ai cru devoir, lorsque
l’honorable membre a manifesté l’opinion que le tarif nouveau adopté par le
Zollverein allait frapper d’un coup mortel l’industrie des fils retors dans le
district qu’il représente, j’avais cru devoir, dis-je, rassurer ces
populations. J’avais cru qu’il y avait dans les craintes exprimées par
l’honorable membre une exagération que je comprends, mais que j’ai dû
combattre.
Ainsi les paroles que j’ai prononcées n’ont pas eu
le moindre caractère de reproche, et je serais désolé que l’honorable membre
eût pu se méprendre sur mes intentions. Mais j’ai dit qu’il y avait exagération
dans les craintes qu’il a exprimées, et je rétablis les faits.
Dans le Zollverein les fileteries sont assez peu
nombreuses, et la plupart se servent, comme matière première, des fils simples
étrangers mécaniques.
M. Desmet. - Cela est inexact.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - J’ai recueilli
ces renseignements à de bonnes sources ; en général les fabricants de fils
retors emploient comme matière première les fils simples venant surtout de l’Angleterre.
Je sais bien qu’exceptionnellement on emploie aussi des fils de Silésie et de
Westphalie, mais ce n’est là qu’une exception.
Or, j’ai établi que le tarif nouveau frappant ces
fils simples étrangers d’un droit proportionnellement beaucoup plus
considérable qu’il ne frappe les fils retors, la protection en faveur des
fileteries du Zollverein serait désormais moins grande qu’elle ne l’était sous
le tarif ancien.
Messieurs, je ne donnerai pas à la chambre les
éléments des calculs ; mais la protection, sous le tarif ancien. pour les
fils à coudre, était d’un thaler 13 silbergros ; et d’après le tarif nouveau,
la protection pour fabricants de fils recors avec des fils étrangers ne sera
plus que de 12 silbergros.
M. Desmet. - Elle est de
8 thalers ; c’est un fait positif.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - C’est une erreur.
Mais je ne me dissimule pas, et je l’ai déclaré hier, qu’on peut malgré cela
n’être pas tout à fait rassuré pour l’avenir de cette industrie, dans ses relations
avec l’Allemagne. Ainsi on pourrait craindre qu’à la faveur du tarif nouveau
des filatures mécaniques se créassent et s’étendissent dans le Zollverein, et
alors je comprends que les fileteries trouvant tous leurs fils en Allemagne même, la concurrence pour les fils belges
deviendrait plus grande. Mais j’ai ajouté encore que c’était là une question
d’avenir, et, selon moi, d’un avenir assez éloigné.
En effet, messieurs, est-il sérieusement à craindre
que le droit nouveau établi récemment dans le Zollverein soit assez élevé, soit
assez protecteur pour favoriser, en Allemagne, l’établissement de nouvelles
filatures mécaniques ? Messieurs, on peut concevoir des doutes à cet En effet,
le tarif pour les fils simples écrus, et, en général, ce sont les fils écrus
que nous exportons dans le Zollverein, ce tarif est de 15 fr. par 100 kil.
Veuillez ne pas oublier que les droits français
pour les fils simples varient de 41 fr.
80 c. à 173
fr. 60 c. par 100 kil.
Le droit de 15 francs est donc très modéré, et comme
il n’est pas (page 99) établi d’après une échelle progressive en
rapport avec le numérotage des fils, la
protection est plus modérée encore.
La valeur du fil simple, écru, que
nous exportons, est de 3 fr. 50
c. environ en moyenne par kilog. ; le droit de 15 fr. équivaut donc à une protection
de 4 p. c. Or, messieurs, peut-on croire qu’à la faveur d’une protection aussi minime,
des filatures nouvelles s’établissent en grand nombre en Allemagne ? Je dis
qu’on peut au moins concevoir certains doutes à cet égard. Eh bien, si cette
prévision se réalise, je dis que l’industrie des fils retors en Belgique ne
recevra pas un coup mortel, même à l’avenir.
Je ne fais pas ces observations pour conclure que
le gouvernement ne doit pas faire tous ses efforts pour amener une réduction du
tarif adopté en Allemagne. J’ai déjà dit à la chambre que des négociations sont
entamées pour obtenir une exception en faveur des fils belges, et que le
gouvernement n’a négligé aucun effort dans ce but. Mon observation n’a en en
vue que de rectifier certains faits, et de ne pas jeter de trop vives
inquiétudes parmi les populations dont l’honorable M. Desmet a défendu si
chaudement les légitimes intérêts.
M. de Naeyer. - Messieurs, je prends acte des
dernières paroles de M. le
ministre du commerce ; j’espère que, conformément à l’engagement qu’il vient de
prendre, il fera de cette question l’objet de sa plus vive sollicitude ; elle
en est bien digne.
Bien qu’en vertu
de mon mandat je sois chargé spécialement de défendre les intérêts qui sont si gravement
compromis par les mesures du Zollverein dont il est ici question, je me serais
cependant abstenu de prendre la parole dans cette discussion, parce que j’ai
compris par l’expérience qu’en général les observations que nous faisons ici
sur les négociations diplomatiques relatives aux tarifs de douanes, ne
produisent pas de grands résultats ; mais j’ai dû élever la voix, parce que j’ai
remarqué que M. le ministre verse ici dans une très grave erreur en ce qui concerne
l’importance de la mesure prise par le Zollverein, et qui, si elle est mise à
exécution, aura pour résultat de porter un coup de mort à une industrie qui
constitue le seul élément de prospérité, notamment de la ville de Ninove, puisque
c’est la seule qui y a procuré jusqu’à ce jour du travail à la classe ouvrière. Je dis, moi, que
cette industrie est gravement compromise par la mesure dont il s’agit.
M. le ministre prétend qu’il y de l’exagération
dans les craintes de nos industriels. Je pense, moi, qu’il y a beaucoup
d’exagération dans l’opinion émise par M. le ministre, sur le peu d’importance de la mesure. En
effet, messieurs, Comment peut-on supposer que lorsque le droit d’entrée est
doublé sur un de nos produits, l’industrie qui fabrique ce produit n’en sera
pas gravement atteinte ? Le bon sens, les plus simples notions d’économie
politique suffisent pour repousser une pareille idée, alors surtout que les
droits existants gênaient déjà considérablement l’écoulement de nos produits.
M. le ministre
pense que l’augmentation du tarif du Zollverein n’est pas d’une grande
importance, parce qu’en frappant le fil retors, elle frappe dans la même
proportion le fil simple, qui n’était pas imposé auparavant. L’honorable M.
Desmet a fort bien répondu que cette observation ne serait pas encore
entièrement exacte, alors même que les fabricants de fils retors en Allemagne
feraient exclusivement usage de fil simple étranger. Mais malheureusement je
suis informé de la manière la plus positive, par les fabricants de Ninove qui
ont des relations suivies avec l’Allemagne, que les fabricants de fil retors,
allemands, emploient beaucoup de fil simple produit par l’industrie indigène,
et non seulement du fil à la
main, mais aussi du fil à la
mécanique ; et qu’il existe déjà dans ce pays des établissements importants de
filature à la mécanique.
Quel est ici, messieurs, le but du Zollverein, en
établissant des droits nouveaux non seulement sur le fil retors, mais encore
sur le fil simple ? C’est évidemment de développer les deux industries à la fois, celle qui fabrique la
matière première aussi bien que l’autre. Mais, dit M. le ministre, la protection accordée aux fabricants de fil
simple est peu importante, elle ne s’élève qu’à 4 p. c. Sur ce point encore,
messieurs, mes renseignements sont tout différents, et mes renseignements
émanent d’hommes compétents en cette matière, d’hommes que leurs opérations
journalières mettent à même
d’apprécier l’importance de cette protection, mieux que ne peut le faire M. le
ministre lui-même. Eh bien, messieurs, ces hommes disent que la protection est
plus élevée. D’ailleurs, messieurs, le point important, c’est de savoir si la
protection est suffisante pour assurer la prépondérance de l’industrie du
Zollverein et exclure les produits étrangers, et cet égard le Zollverein
lui-même est le meilleur juge. Les Etats qui ont demandé cette protection
savaient bien ce qui leur était nécessaire.
Je crois, messieurs, que cette seule observation
suffit pour nous faire voir que cette mesure a une portée bien plus grande que M. le ministre ne le pense, d’autant
plus qu’il ne s’agit pas de créer en Allemagne une industrie nouvelle, mais de
développer une industrie existante ; or, nous savons par expérience qu’à l’aide
d’une nouvelle protection douanière ces développements sont souvent très
rapides. Je crois donc que M. le ministre a tort de ne voir que dans un avenir
éloigné l’atteinte que recevra notre industrie : Si la mesure n’est pas
retirée, notre industrie sera frappée cruellement dans un avenir très prochain.
Cette surexcitation factice de l’industrie en Allemagne ne sera probablement
pas un bienfait durable pour le pays, mais ce sera certainement un mal
considérable pour l’arrondissement que j’ai l’honneur de représenter, et sur
lequel tant de malheurs sont déjà venus fondre depuis la révolution. Il est
vraiment à regretter que cette nouvelle calamité émane du Zollverein, envers
lequel nous nous sommes montrés si généreux et si accommodants, dans le traité
conclu il y a peu de temps et à qui nous avons accordé tant d’avantages et des
avantages si importants. Je crois donc devoir appeler toute l’attention et
toute la sollicitude du gouvernement sur l’objet dont il s’agit.
- Le paragraphe premier est mis aux voix et adopté.
Paragraphe 2
« En ouvrant une session qui, nous en avons
l’espoir, ne sera pas moins utilement remplie que la session précédente c’est
pour nous une satisfaction dc voir l’accroissement progressif de diverses
sources du revenu public et l’équilibre établi entre les recettes et les
dépenses de l’Etat, de manière à préserver le contribuable de charges
nouvelles. »
M. Delfosse. - La chambre ne
peut pas dire qu’elle a la satisfaction de voir que l’accroissement progressif
de diverses sources du revenu public et l’équilibre établi entre les recettes
et les dépenses de l’Etat préservera le contribuable de charges nouvelles.
Elle doit dire qu’elle a la satisfaction de recevoir
l’assurance, etc. ; ce n’est qu’après la discussion et le vote des
budgets que la chambre saura si, comme le dit le gouvernement. l’accroissement
progressif de diverses sources
du revenu public et l’équilibre établi entre les recettes et les dépenses
préservera le contribuable de charges nouvelles.
Je propose de modifier la rédaction du paragraphe
dans le sens de l’observation que je viens de présenter.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Je n’y vois pas d’inconvénient ; C’est la même chose.
- L’amendement de M. Delfosse est mis aux voix et
adopté.
Paragraphe 3
« La prospérité des principales branches
commerciales et industrielles est de nature à rassurer le pays sur son avenir ;
mais aussi nous comprenons tout ce qu’a de grave la triste situation des
populations qui s’occupent, de l’industrie linière. En partageant toutes les
sympathies de Votre Majesté pour ces populations naguère encore si
florissantes, nous nous empresserons de concourir aux mesures propres à apporter à de si grands maux un remède
prompt et efficace. Nous accorderons notre attention immédiate au prix élevé
des subsistances, ainsi qu’à tous les projets de loi tendant à soulager le sort
de la classe ouvrière. »
M. Delehaye. - Messieurs, le gouvernement nous a
fait connaître les mesures à l’aide desquelles il espère soulager la misère de
la classe ouvrière, et celles non moins importantes destinées à rendre à l’ancienne industrie
linière cette supériorité à laquelle nous permettent de prétendre et la
possession de la matière et la modicité de la main-d’œuvre.
Quant à ces dernières, je ne m’en occuperai point
aujourd’hui. Elles feront bientôt l’objet de nos discussions ; il sera temps
alors de vous soumettre des considérations à l’appui de quelques projets
présentés par le gouvernement, que je regarde comme utiles, comme
indispensables, et de vous indiquer une mesure plus indispensable encore sur
laquelle le gouvernement ne s’est pas prononcé, comme s’il suffisait d’avoir
organisé une société
d’exportation, établissement très utile, sans doute, mais qui produira peu d’effet si nous ne nous efforçons à
rendre nos produits exportables. C’est assez vous dire, messieurs, qu’avant
tout nous devons songer organiser le travail, à lui donner une nouvelle
direction et à entrer de bonne foi dans la voie des améliorations, ouverte à
l’industrie.
Je me bornerai donc aujourd’hui à examiner les mesures que le
gouvernement envisage comme devant apporter un remède efficace et immédiat aux
misères qui désolent principalement les deux plus belles provinces de notre
pays.
Parmi ces mesures, le gouvernement comprend d’abord
les travaux publics ; cette idée est sage, elle est d’une opportunité
incontestable, alors que le travail manque partout, que le cultivateur peu
approvisionné de céréales, de denrées alimentaires en général, cherche
l’économie partout, épargne la main-d’œuvre, ne remet à l’ouvrier étranger que ce qu’il ne peut
indispensablement pas éviter. Il était nécessaire de combler ce vide, en occupant nos bras
oisifs aux travaux publics entrepris par le gouvernement. Il y a là même un
devoir que nous ne pouvons négliger sans de grands dangers.
Le travail, en effet, relève l’homme, lui inspire
de nobles sentiments. L’aumône le ravale, détruit chez lui toute idée de son
importance, elle l’avilit aux yeux de ses semblables ; aussi, messieurs, nos
populations si malheureuses aujourd’hui, ne demandent-elles qu’une chose, c’est
du travail, ce sont des moyens de gagner honorablement de quoi s’entretenir, de
quoi ne relever que de soi.
La chambre l’a bien compris lorsqu’elle s’est
empressée de donne son assentiment aux projets présentés par le ministre des
travaux publics, dans notre dernière session.
Elle ne cherchait point seulement à nous préserver
des inondations qui viennent si souvent désoler nos campagnes, elle voulait
encore en décrétant le creusement du canal de Schipdonck, la rectification du
cours de l’Escaut, la construction des bâtiments de la station de Gand, l’achèvement de la deuxième section du canal
de Zelzaete, donner, tout en augmentant la richesse publique, un aliment au
travail, à l’activité de nos populations ; elle avait donc un double but, celui
de prévenir ces grandes calamités, suite inévitable des inondations, et celui,
plus opportun encore, d’occuper à des travaux publics des malheureux qui, faute
de travail, devaient recourir à la charité publique.
Comment se fait-il, qu’après avoir exprimé dans le
discours du Trône une sollicitude si vive sur le sort de l’ouvrier, M. le
ministre des travaux publics n’ait point encore songé à commencer l’un ou
l’autre de ces travaux ? Les travaux à faire à l’Escaut, ceux au canal dc Schipdonck, situés (page 100) au centre de populations
misérables, permettaient de les employer en grand nombre ; il y avait là de
quoi mettre en action la sollicitude ministérielle ; il y avait de plus
économie certaine de mettre la main à l’œuvre, au moment où, en considération
du grand nombre de bras oisifs, la main-d’œuvre eût été moins coûteuse. Il y
avait encore cette utilité incontestable qui résulte de travaux ne venant point
faire concurrence à l’une ou l’autre industrie qui, abandonnée à elle-même, se
voit entravée dans son développement par une rivale subsidiée par le trésor, ce
qui malheureusement a dû avoir lieu au profit de ceux qui, adonnés à l’industrie
linière, participaient à des subsides à l’aide desquels ils ruinaient le
travail libre. Je rentre dans mon sujet, me réservant de m’expliquer un autre
jour sur le mode de travail adopté dans certaines communes.
Je demanderai encore à M. le ministre des travaux
publics comment il se fait que jusqu’ici il n’ait point songé à poser la double
voie sur le chemin de fer de Gand à Ostende ; des retards presque journaliers
étaient, à défaut de considération d’humanité, des motifs suffisants pour ne
pas négliger l’occasion.
De tous ces retards, que résulte-t-il ? La
nécessité d’augmenter les sommes consacrées en aumônes et destinées à assouvir
la faim des ouvriers. Car,
messieurs, ne le perdez pas de vue, si l’on en excepte la double voie dont je
viens de parler, il ne sera mis la main à l’œuvre pour aucun travail avant le
retour de la bonne saison ; et, en attendant, comment pourra-t-on parer aux
maux qui nous menacent ? Sera-ce à l’aide du subside de 1,200,000 fr. que le
ministre de l’intérieur espère répondre à des besoins incalculables ? Et ne
voit-on pas que ce subside ainsi restreint prouve que le ministère apprécie mal
la situation de nos malheureuses provinces.
En effet, messieurs, l’année dernière, 1,880,000
fr. ont été distribués aux communes, à titre de subsides ou de prêts, et, cette
année, on vous propose une réduction de plus de 600,000 fr. Et, cependant, les
besoins ne sont-ils pas infiniment plus considérables ?
Les communes ont épuisé leur ressources, les
contributions locales ou communales sont triplées ; il n’est pas d’habitant des
campagnes qui ne paye au moins deux fois autant à la commune qu’il ne paye à
titre de contributions personnelles ; il n’est pas rare de voir des
particuliers, des fermiers, verser plusieurs centaines de francs dans les
caisses de la commune, tout cela pour faire face à des dettes contractées, à
des besoins impérieux, à des dépenses non susceptibles d’être remises ;
joignez-y la cherté des denrées alimentaires, et vous comprendrez, messieurs,
que, si la charité publique est immense en Belgique, il est des besoins
cependant qui doivent y mettre un terme.
Les sacrifices de l’année dernière, une récolte peu
abondante sont propres à la limiter. Quand il faut retrancher du nécessaire,
l’aumône, la bienfaisance se circonscrivent dans des limites rétrécies. On
souffre de ne pouvoir donner pleine carrière à des sentiments de bienfaisance ;
mais encore faut-il prévoir l’avenir qui peut créer des besoins plus grands
encore.
L’ouvrier qui, jusqu’ici, trouvait dans l’industrie
linière les moyens d’élever sa famille doit y renoncer. La fileuse vend son fil
à un prix inférieur à la valeur du lin. II n’est pas rare de voir le tisserand
revenir du marché n’ayant pas réalisé le coût de la matière première. Sur dix
ouvriers qui, l’année dernière, n’avaient pas besoin d’avoir recours à
d’autres, neuf au moins sont réduits à la dernière misère. Le nombre des
contribuables dans les charges de la commune se trouve également réduit ; un
grand nombre ne savent rien donner, et d’autres ont besoin eux-mêmes de
recourir à la charité publique. Aussi, messieurs, nous en sommes arrivés à ce
point que, sur trois habitants, il y en a deux qui tombent à la charge
d’autrui.
Je sais bien, messieurs, que les besoins de ces
malheureux sont faciles â satisfaire. Mais si, l’année dernière, il a fallu
1,800,000 fr. n’y a-t-il pas inhumanité à ne pas consacrer à un si noble emploi
une somme plus forte cette année ?
De quoi s’entretiennent nos ouvriers des campagnes
? La plupart cherchent pour nourriture quelques herbes, qu’ils mangent avec un
peu de pain noir et parfois quelques navets ; d’autres n’ont pas même cette
ressource. Un journal catholique que vous ne récuserez point, nous a annoncé,
il y a quelques jours, que ces malheureux s’étaient arraché des lambeaux de
chair d’un cheval qu’il avait fallu abattre. On a vu dans certaines communes
des enfants, succombant à leur état de faiblesse, mourir d’inanition. Il est
des endroits où les ressources sont tellement réduites que les populations sont
obligées de se diriger sur les villes ; à Bruges il a fallu leur interdire
l’accès de la ville. Partout, en un mot, nous voyons des ménages entiers
demander comme une faveur d’être admis dans quelque dépôt de mendicité.
Sans doute, messieurs, ceux d’entre vous qui ont vu
la misère, savent bien que la réalité dépasse tout ce que je pourrais en dire ;
vous retracer un tableau fidèle de tant de souffrance, serait traité
d’exagération ; je m’en dispenserai, messieurs, pour me borner à vous exposer
des faits que personne ne saurait récuser.
Dans toutes les communes rurales des deux Flandres,
la population toujours croissante va en diminuant, signe évident d’une misère
affreuse ; les prisons s’encombrent ; notre population, jusque-là si morale, si
soumise à ses devoirs, poussée par la faim, s’adonne au crime ; des vols
nombreux se commettent ; il n’est pas un fermier, je ne parlerai point
seulement de ceux qui demeurent à l’écart, mais de ceux-là même qui demeurent
au centre des villages, qui ne doive faire une garde vigilante nuit et jour,
pour se préserver de quelque attaque. Les gens aussi quittent les campagnes où
l’on ne rencontre plus de sécurité ni pour les biens, ni même pour les
personnes ; déjà nous avons vu plusieurs assassinats commis en plein jour au
centre de la commune.
Tous ces faits sont patents, ils vous démontrent
combien est légitime la crainte que l’on manifeste. Nous ne voyons que
découragement chez les uns, désespoir chez les autres, chez tous la conviction
intime que la situation actuelle est intolérable.
Ce que je viens de dire prouve que si, comme l’ont
dit mes honorables amis politiques, il y a irritation, absence de confiance
dans l’avenir sous le rapport des intérêts moraux, il n’y a pas non plus de
motifs, sous le rapport des intérêts matériels, à déclarer que la situation est
calme. Je vous proposerai donc, messieurs, d’imiter la réserve du sénat et de
ne pas déclarer que la situation du pays est calme, alors que le pays se
chargerait peut-être lui-même de nous donner un éclatant démenti.
M. le président. - J’engage les orateurs à
restreindre leur développement sur la situation des Flandres qui est palpitante
d’intérêt pour concentrer tous nos efforts sur les moyens d’y porter remède.
Chaque jour perdu prolonge la misère que nous voulons soulager.
Un
membre. - L’amendement de M. Delehaye se rapporte au
paragraphe 5.
M. Delehaye. - J’avais la parole
sur le paragraphe 3, j’ai développé en même temps l’amendement que j’ai proposé
au paragraphe 5.
M.
Rodenbach. - A propos du
paragraphe 3, je crois aussi devoir énoncer mon opinion, d’autant plus que le district
de Roulers, que je représente, est un des plus malheureux.
Je n’accuse pas plus les ministres passés que les ministres
présents, de la calamité qui désole nos provinces. Je sais que c’est la
mécanique qui est cause de la misère des Flandres et de la décadence de notre
industrie linière, qui est aujourd’hui tout à fait périclitante. Depuis que la
mécanique s’est développée en Angleterre, en France et ailleurs, elle s’est
emparée de nos débouchés. Autrefois, presque seuls nous fournissions la toile
qu’on consommait en Europe et en Amérique. Aujourd’hui, nous avons de nombreux
concurrents en Angleterre, en France et en Allemagne ; et notre population qui
vivait de cette industrie est aux abois. Cette population exubérante est
très-concentrée dans les Flandres, car une lieue carrée compte 4 mille
habitants, tandis qu’il y en a infiniment moins dans les antres provinces. En
France, on ne compte que 1,500 habitants par lieue carrée, et en Angleterre, ce
pays si peuplé, on ne compte que 1,800 habitants par lieue carrée, tandis que,
je le répète, il y en a 4 mille dans les Flandres, ce qui ne fait que 52 ares
de terre par habitant, alors qu’en Angleterre il y a 71 ares, et en France
environ un hectare par habitant.
C’est cette grande agglomération qui est cause de
la misère sous le poids de laquelle nous gémissons. L’industrie linière, qui
procurait jadis l’existence à des
populations, s’amoindrissant de jour en jour, il faudra rechercher d’autres
moyens, il faudra que le gouvernement vienne à leur secours pour les aider à se transporter dans d’autres
provinces où les bras font défaut ; car pour se transporter avec leurs familles
il leur faut des ressources qui leur manquent ; d’un autre côté la différence
de langue serait encore un obstacle à cette
transplantation.
Les familles bienfaisantes ont fait de grands
sacrifices l’hiver passé. La somme de 1,200 mille francs qu’on demande cette
année par le projet de loi qui nous est soumis, sera insuffisante. Dans ma
section j’ai demandé que cette somme fût doublée et qu’on défrichât aussi les
bruyères du Vry-Geweyd dans la Flandre occidentale.
Je ferai remarquer d’ailleurs que ce subside ne
doit pas seulement être consacré à des
dépenses pour les subsistances, mais encore à la construction des chemins
vicinaux. Mais pour faire des chemins vicinaux et d’autres travaux, il faut que
les communes concourent à la dépense pour un tiers et les provinces pour un
autre tiers.
Or, nos communes ne peuvent concourir à la dépense, tant elles sont
obérées.
Nos communes des Flandres et nos bureaux de
bienfaisance sont ruinés par les emprunts et les charges des dépôts de mendicité.
C’est un chiffre officiel que je vais citer. Dans les deux Flandres, il y a
500,000 pauvres inscrits sur les registres de bienfaisance. Il y a,
indépendamment de cela, des pauvres honteux qui, quoiqu’ils ne se fassent pas
inscrire, reçoivent néanmoins des secours. Ces pauvres ont reçu cinq millions
de francs. Dans cette somme ne sont pas compris les dons volontaires, qui
s’élèvent aussi à des millions.
Je ne parle que des sommes données aux bureaux de bienfaisance pour pourvoir à
cette misère.
Dans les districts de Roulers et de Thielt, où il y
a une population de 130,000 habitants, 10,000 familles inscrites sur les
registres payent l’abonnement ; elles doivent nourrir 9,000 familles pauvres.
Ce sont, par conséquent, environ 45,000
individus qui reçoivent des secours de la bienfaisance.
L’honorable préopinant a parlé de la mortalité.
Dans nos districts aussi où il y avait naguère 4 naissances contre 3 décès,
c’est maintenant l’inverse, il y a 4 décès contre 3 naissances. Ainsi, l’on y
meurt lentement d’inanition. C’est une misère qu’on peut, pour ainsi dire,
comparer à celle de l’Irlande. Mais il y a dans ce pays un million d’ouvriers
qui sont occupés à des travaux
publics. Ce ne sera pas avec 12 à 1,300,000
fr., ce ne sera pas avec d’aussi faibles ressources qu’on pourra soulager
efficacement la misère de nos provinces de Flandre. C’est désespérant !
Déjà, comme on l’a dit, les gens aisés abandonnent
les campagnes : le petit fermier et la classe bourgeoise ne peuvent plus
donner ; le prix de la main-d’œuvre baisse ; les vivres augmentent de 50 pour
cent, tandis (page 101) que les
produits liniers sont diminués de valeur dans la même proportion.
L’ouvrier gagne à peine 7 sous par jour ; mais plus
de la moitié des ouvriers, n’ayant pas d’ouvrage, manquent de pain.
Avec ses 7 sous par jour, l’ouvrier doit nourrir
souvent 4 à 5 individus, payer son loyer, se vêtir.
Je vous demande après cela si c’est avec 1,200,000
francs que ces deux provinces peuvent exister, si l’on ne prend pas d’autres
mesures.
En présence de cette immense misère, il y a de
l’urgence à s’occuper du projet de loi qui tend à la soulager.
Je m’arrête.
C’est le cœur navré que je déclare en
terminant que la misère est extrême. J’en appelle au témoignage des députés
flamands et à celui des autres honorables représentants qui se sont rendus dans
les Flandres. On nous accusait d’exagération. Eux savent que nous n’avons pas
exagéré et que ces deux provinces sont dignes de pitié. En cette occurrence le
devoir et la plus belle gloire dit gouvernement, c’est de prodiguer ses
bienfaits.
M. le président. - Je remarque
que les sections n’ont nommé que trois des rapporteurs chargés d’examiner le
projet de loi de crédit de deux millions. J’engage MM. les présidents des
sections à les réunir pour compléter la section centrale qui sera immédiatement
convoquée.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je conçois
l’empressement des honorables représentants des districts en proie à des
souffrances à exprimer leurs doléances. Mais, ainsi que M. le président l’a
fait remarquer, ce n’est pas le moment de faire ressortir la suffisance ou
l’insuffisance des moyens proposés pour y porter remède.
Vous recevrez lundi le rapport sur l’emploi des
deux millions votés en 1845.
Le gouvernement vous a soumis un projet de crédit,
non pas de 1,200,000 fr., mais également de 2 millions, comme l’an dernier. La
seule différence, c’est que, dans le nouveau projet, on indique deux emplois
spéciaux. L’un est relatif à l’industrie linière, l’autre aux irrigations et
aux défrichements. Ils ont également pour objet des subsides, puisque leur
effet direct sera de procurer du travail à la classe ouvrière.
J’ajouterai qu’indépendamment des deux millions, le
gouvernement aura à demander pour la société relative à l’industrie linière,
une somme également très forte. Une mise de fonds dans la société est une
garantie d’intérêt. C’est là une augmentation considérable de dépenses que le
gouvernement propose, toujours en vue de soulager la classe nécessiteuse.
Indépendamment de ces demandes d’argent, le
gouvernement vous a saisis d’un projet qui est de nature à procurer beaucoup de
travail. le veux parler du projet de crédit de 300,000 fr., destiné aux irrigations et aux
défrichements.
Ce n’est là qu’un premier pas dans le travail, qui
donnera lieu à un travail plus considérable de la part des acquéreurs des
terrains destinés aux irrigations et à la culture.
D’autre part les travaux publics recevront une
impulsion d’autant plus grande que les travaux préparatoires sont faits par les
sociétés, qui sont à même de mettre leurs concessions en œuvre.
Le gouvernement a de plus porté au budget des
travaux publics 400,000 francs d’augmentation ou fonds pour construction de
routes ; il vous a annoncé, dans le discours du Trône, l’intention de donner de nouveaux développements aux travaux
ayant pour objet l’écoulement des eaux et l’amélioration des voies navigables.
Vous voyez que sa sollicitude s’applique à divers
objets qui forment un ensemble de mesures.
J’ajouterai que le gouvernement s’occupe d’une
mesure qui doit augmenter les défrichements et par conséquent le travail. Je
veux parler d’une modération d’impôt relative aux terrains à défricher.
Il a arrêté aussi en projet une mesure relative au
passage des eaux pour étendre les irrigations autant que possible ; cette
mesure est réclamée par le conseil provincial du Luxembourg.
Ces deux projets sont encore à l’examen. Mais
prochainement la chambre pourra être saisie de propositions à cet égard.
Dans tous les cas, veuillez remarquer que nous
sommes à l’ouverture de la session, que la chambre reste assemblée pendant tout
l’hiver, que si les 1,200,000 fr. sont insuffisants, la chambre sera présente
pour augmenter ce fonds dans la proportion des besoins.
J’appelle,
messieurs, votre attention sur un point capital : si de prime- abord on porte à
leur taux maximum les
allocations destinées à être distribuées en secours, n’est-il pas à craindre
que les demandes se multiplient dans toutes les parties du pays en proportion
de la somme portée dans la loi même ? C’est un point que je soumets à vos
méditations.
N’est-il pas préférable de voir quelle sera la
situation pendant l’hiver quel sera le temps, si les travaux pourront se
continuer, et de nous déterminer à voter des crédits supplémentaires, si la
nécessité en était démontrée ?
M. de Villegas. - Messieurs,
je n’ai demandé la parole que pour avoir quelques explications du gouvernement
; j’espère qu’elles seront de nature à calmer dès à présent les inquiétudes des
populations flamandes.
Mon intention, messieurs, n’est pas de renouveler
ici le tableau affligeant de la détresse des Flandres, tableau qui vous a été
présenté avec tant d’énergie et de vérité par mon honorable collègue et ami, M.
Delehaye. Qu’il me suffise de vous dire que l’imagination ne peut pas aller
jusqu’à la réalité des souffrances qu’endurent ces malheureuses populations.
J’espère que, parmi vous, il existe peu d’incrédules. S’il en est encore, je
les invite à venir visiter nos campagnes, où ils seront témoins des progrès
effrayants du paupérisme, et à descendre avec nous dans les chaumières, ou ils
verront l’homme dans le dénuement le plus absolu.
Si, comme on le dit dans le projet d’adresse, la
prospérité des principales branches commerciales et industrielles est de nature
à rassurer le pays sur son avenir, je puis dès à présent déclarer à la chambre
que l’avenir, pour les Flandres, n’est pas aussi rassurant que semble le croire
M. le ministre de l’intérieur
dans l’exposé des motifs du projet de loi relatif aux crédits pour les
subsistances. En effet, le paupérisme sévit aujourd’hui dans les rangs de la
classe ouvrière et des petits cultivateurs. La récolte des pommes de terre
n’est pas satisfaisante partout quoi qu’en dise le discours du Trône ; veuillez
remarquer, en outre, que ce tubercule n’a pas été planté eu aussi grande
abondance que les autres années.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - C’est le
contraire.
M. de Villegas. - Je parle
de localités que je connais, M. le
ministre, et où les plantations de cette année diffèrent d’un bon tiers de
celles des années précédentes.
Le manque de seigle, qui est la nourriture du
pauvre et de la classe ouvrière, éteindra, soyez-en persuadé, la charité du
fermier, qui est déjà accablé de charges extrêmement lourdes. De plus, comme on
l’a déjà remarqué, les ressources communales sont totalement épuisées. Vous
voyez, M. le ministre, que notre avenir n’est pas rassurant.
Quels sont, messieurs, les remèdes que le Gouvernement
propose d’appliquer a tant de maux ?
« Encourager, dit-il, et perfectionner le
travail en vue d’une augmentation de salaire, organiser l’industrie pour mettre
les produits mieux en harmonie avec les besoins du commerce, étendre les exportations. »
Mon intention, messieurs, n’est pas de discuter la
suffisance ou l’insuffisance de ces remèdes ; cette discussion sciait
inopportune, elle trouvera mieux sa place lors de l’examen du projet de loi qui
concerne les mesures relatives aux subsistances, ainsi que du projet annoncé il
y a quelques jours par M. le ministre des affaires étrangères, concernant la
formation d’une société d’exportation. Je m’associerai, messieurs, à tous les
efforts qui tendront à perfectionner le travail dans l’intérêt de la classe
ouvrière, et à ouvrir de nouveaux débouchés pour les produits liniers,. Ses
efforts sont louables, puissent-ils être couronnés de succès !
Mais voici l’objet de mon interpellation.
Je demande au gouvernement comment il se fait que
ni dans le discours du Trône, ni dans le projet d’adresse, ni dans l’exposé des
motifs du projet relatif aux subsistances, il ne soit pas dit un seul mot en
faveur de la filature à la main, et de cette classe si nombreuse et si
intéressante de nos travailleurs flamands ?
Le nouveau crédit de 1,200,000 fr. qui nous est
demandé, sera principalement employé, dit-on, à procurer du travail dans les
communes rurales, et le gouvernement s’attachera surtout à obtenir, au moyen de
ces travaux, des résultats utiles et permanents.
M. le ministre des affaires étrangères vous a
donné, dans le discours qu’il a prononcé il y a trois jours, des explications
sur les mesures qu’il s’agit de prendre et qu’il a divisées en mesures
immédiates et en mesures permanentes.
On chercherait en vain dans ce discours quelques
mots de consolation pour ces malheureux fileurs et fileuses. Le crédit de
300,000 francs qui fait partie des deux millions est destiné à perfectionner le
tissage, comme l’indique le détail de la note insérée dans l’exposé des motifs,
à la suite du rapport de M. l’inspecteur Kindt.
Je demanderai donc à M. le ministre de l’intérieur
s’il entend condamner les comités industriels, et s’il est dans son intention
de ne plus seconder les efforts des communes qui voudraient instituer ou
réorganiser de semblables comités.
Je connais toutes les objections que l’on peut
faire contre l’organisation des comités industriels ; mais je dois déclarer
que, grâce à la sollicitude éclairée du gouvernement provincial, ces comités
industriels ont procuré un bien immense à nos populations ; et si des secours
de cette nature étaient refusés ou retirés à nos communes, je ne sais en vérité
où la détresse s’arrêterait.
Je demande donc à cet égard une explication catégorique.
J’ai aussi une interpellation à adresser à M. le
ministre de la justice.
En 1845, un contrat a été passé avec un
entrepreneur de Gand pour livraison de fils à la maison de force. Si je ne me
trompe, cet entrepreneur devait livrer 80,000 kilog. de fil. Je demande à M. le
ministre de la justice si ce contrat est expiré, et dans ce cas, s’il est dans
son intention de le renouveler.
Cette question est extrêmement
importante ; parce que depuis que le fil a été livré à la maison de force de
Gand par suite de ce contrat avec un entrepreneur, le tissage dans la maison de
force de Gand, et dans les autres prisons de l’Etat, a pris une très grande
extension ; vous en aurez la preuve, messieurs, lorsque je vous dirai que le
département de la guerre, qui avait mis en adjudication, en 1846, 113,000
mètres de toiles destinées à l’armée, n’en a plus adjugé, en 1847, que 29,400
mètres. Le surplus a été livré par l’administration des prisons. L’on comprend
que cette concurrence est extrêmement préjudiciable au commerce du dehors.
Je pense que M. le ministre de la justice fera bien
de ne plus donner une extension aussi grande au tissage des toiles dans les
maison de force.
Le commerce régulier lui saura beaucoup de gré de
la détermination qu’il prendra à cet égard.
(page 106)
M. le ministre de l’intérieur
(M. de Theux). – Ms, l’hon préopinant a critiqué ce que dit le
discours du Trône de la récolte des pommes de terre. Il a soutenu que l’on
avait planté beaucoup moins de pommes de terre que les années précédentes.
Messieurs, nous avons parlé d’une manière générale.
Si, dans quelques localités, on a planté moins de pommes de terre, dans d’autres
localités on en a planté beaucoup plus que de coutume.
L’honorable membre semble croire que le
gouvernement regarde la situation des districts liniers comme florissante. Loin
de là , messieurs ; c’est précisément pour venir en aide aux souffrance de
ces districts que nous avons annoncé un ensemble de mesures, mesures très
importantes en elles-mêmes.
Il demande si le gouvernement
condamne la filature à la main. En aucune manière, messieurs. Dans les
développements relatifs au crédit de 30,000 fr. pour encouragement à
l’industrie linière, on fait voir clairement qu’une partie de cette somme doit
être employée à donner une meilleure direction à cet industrie, et, entre
autres, à amener le numérotage des fils ainsi que d’autres mesures relatives au
filage. On comprend qu’il faut que les fils soient bien numérotés, pour que le tisserand puisse utilement les employer.
L’honorable membre nous demande si le gouvernement
a l’intention de supprimer les comités liniers. Loin de là, ms, le gouvernement
cherche à améliorer leur condition, et il fera tout son possible pour leur
donner l’organisation la plus utile.
(page 102)
M. le ministre de la justice
(M. d’Anethan). - L’honorable M. de Villegas a exprimé le désir
que les prisons cessassent de faire une concurrence fatale à l’industrie privée
en ce qui concerne notamment l’industrie linière. L’honorable membre semble
croire que le tissage des toiles dans les prisons prend de l’extension et que
l’industrie particulière peut en souffrir.
Messieurs, il n’en est rien ; c’est justement le
contraire qui arrive ; je citerai quelques faits : jadis les prisons
fournissaient â l’armée toutes les toiles dont elle avait besoin ; cette année,
cette fourniture a été réduite de moitié, et si, l’année prochaine, les
fournitures remontent aux deux tiers cette augmentation sera avantageuse aux
fileuses, qui trouveront ainsi un placement pour leurs produits ; toutefois le
tissage restera toujours diminué d’un tiers sur les années antérieures, et
cette diminution a pu s’opérer sans laisser les prisonniers oisifs.
Nous avons remplacé une partie de la fabrication
des toiles par d’autres industries qui ne peuvent point avoir les mêmes
résultats fâcheux. Ainsi, à Alost, l’industrie des toiles a été remplacée par
la fabrication des soieries. A Gand on a substitué au tissage des toiles, des
industries qui ne s’exerçaient pas auparavant dans le pays, et dans le contrat
qui est intervenu à cet égard,
on a tellement sauvegardé les intérêts de l’industrie privée, qu’en vue de
l’introduction possible, dans le pays, d’industries similaires, il a été
stipulé que tout ce qu’on fabriquerait dans la prison devrait être exporté.
Voilà, messieurs, la vérité. Voilà comment, au lieu
de nuire à l’industrie linière, nous lui sommes venus en aide ; comment, loin
de lui faire une concurrence, nous avons restreint la fabrication des toiles
tians les prisons, pour permettre au travail libre de prendre la plus grande
extension.
Une autre question m’a été faite par l’honorable M.
de Villegas. L’honorable membre a demandé si un contrat fait avec un entrepreneur
pour la fourniture du fil à la prison de Gand, serait renouvelé ; je ne pense
pas qu’un semblable contrat existe ; toutefois, ne m’attendant pas à cette
question, je ne puis pas y répondre d’une manière positive ; mais ce que je
puis dire, c’est que les comités liniers ont fourni l’année dernière une très
grande quantité de fil aux prisons. C’est ainsi que les comités des deux Flandres
ont livré aux prisons, l’année dernière, 126,545 kilog. de fil, ayant une
valeur de 293,202 fr., et je dois dire que j’ai reçu des remerciements nombreux
des personnes qui s’intéressent à l’industrie linière, au sujet des rapports
que j’ai établis entre les prisons et les comités liniers.
Cette année, messieurs, bien qu’il y
ait encore des provisions de fil dans les prisons, par suite des livraisons de
l’année dernière, j’ai cependant autorisé encore des livraisons nouvelles pour
fournir de l’ouvrage aux fileuses.
Dans la vue de favoriser le numérotage (chose fort
importante), j’ai accordé une prime de 5
p. c. pour le fil numéroté ; et cette mesure a été hautement approuvée
par toutes les personnes qui s’intéressent à l’industrie linière. Je pense
avoir rendu, par ces différentes mesures, un véritable service à cette
industrie.
M. Desmet. - Je n’ai demandé la parole, messieurs, que pour
déclarer à la chambre que, cette année, l’administration des prisons a rendu de
grands services aux comités des pauvres, Ils pouvaient livrer et recevoir le
prix de leurs marchandises tous les quinze jours, de sorte qu’ils n’avaient pas
besoin d’un fonds roulant très considérable. Je demanderai à M. le ministre si
les comités pourront encore continuer â livrer du fil aux prisons ; car
aussitôt qu’ils auront une certitude à cet égard, ils pourront faire
travailler.
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je l’ai
déclaré.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je désire
faire une courte réponse â l’honorable M. Delehaye. L’honorable membre s’est
étonné de ce que les travaux du canal de Schipdonck ne sont pas encore entamés.
J’ai, messieurs, pressé, autant qu’il a dépendu de moi, les opérations
préalables à la mise en adjudication des travaux. Je suis aujourd’hui en
possession du projet définitif et des plans parcellaires pour l’acquisition des
terrains ; le tout a été soumis au conseil des ponts et chaussées et l’on
pourra mettre la main à l’œuvre d’ici à fort peu de temps.
Je conviens qu’il y aura certaine difficulté à
travailler pendant une partie de l’hiver, mais le temps pourra être mis à
profit pour l’acquisition des terrains et certainement l’on pourra travailler
dans les premiers mois de l’année prochaine, à l’époque où les classes pauvres
auront le plus besoin de travail.
L’honorable M. Delehaye a également demandé des explications
au sujet des travaux de la station de Gand. Ces travaux ont été mis en
adjudication ; l’adjudication a été approuvée, et je pense que l’entrepreneur
doit être en mesure de travailler. Je dois toutefois faire observer qu’il
s’agit ici principalement de travaux de maçonnerie qui devront être statés
pendant l’hiver ; mais on pourra utiliser la saison d’hiver pour les
approvisionnements de matériaux.
Enfin, l’honorable M. Delehaye a parlé des travaux
à faire dans la vallée de l’Escaut. Le projet de ces travaux s’étudie ; mais
comme il s’agit ici d’opérations délicates, on ne peut songer à mettre la main
à l’œuvre qu’après les études les plus approfondies et après avoir consulté les
différentes localités intéressées, ainsi qu’on l’a demandé dans la discussion
qui a précédé le vote des crédits destinés à ces travaux.
- Le paragraphe est mis aux voix et adopté.
Paragraphe 4
« La prompte mise à exécution des routes décrétées
et des chemins de fer concédés, de même que l’amélioration des chemins
vicinaux, peuvent aussi offrir des ressources
momentanées. Les travaux publics dont
la nécessité sera reconnue et qui nous seront proposés à mesure que la situation
du trésor le permettra, recevront un accueil d’autant plus favorable que
l’extension successive des transports du chemin de fer et l’augmentation toujours
croissante de ses revenus, sont propres à nous rassurer sur l’avenir financier
de cette grande entreprise dont l’exploitation va enfin recevoir une organisation
légale. Nous appelons de nos vœux le jour où les comptes des sommes votées pour
cette création pourront nous être présentés. »
M. le président. - MM. Delfosse,
Fleussu., de Tornaco et Lesoinne ont proposé l’amendement suivant :
« Ajouter après les mots : travaux publics, ceux-ci : surtout ceux qui auront pour but, en
améliorant le régime des eaux et les voies navigables, de mettre les diverses
parties du pays à l’abri des inondations. »
M. de Tornaco. - Messieurs,
vous avez remarqué sans doute que le paragraphe 4 du projet d’adresse comprend
pêle-mêle un grand nombre d’objets ; mais votre commission d’adresse, parmi les
travaux dont elle s’occupe au paragraphe 4, n’a pas fait une mention expresse
des travaux concernant le régime des eaux et les voies navigables ; sous ce
rapport, elle ne répond pas au discours du Trône. Le paragraphe 15 du discours
de la Couronne, auquel le paragraphe 4 de l’adresse correspond en partie est
ainsi conçu :
« Les travaux publics les plus importants qui
restent à exécuter concernent le régime des eaux et les voies navigables.
L’étude de divers projets se poursuit, des moyens d’exécution pourront vous
être successivement demandés à mesure que la situation du trésor le
permettra. »
Comme vous le voyez, messieurs, le discours de la
Couronne est beaucoup plus explicite, beaucoup plus précis que ne l’est le
projet d’adresse. Le discours du Trône fait une mention spéciale des travaux
qui concernent le régime des eaux et les voies navigables, tandis que le projet
d’adresse les confond avec d’autres travaux d’une importance secondaire.
L’amendement que nous avons l’honneur de vous proposer, a pour but de combler
la lacune par trop sensible que je viens d’indiquer.
On comprend avec peine que votre commission
d’adresse ait négligé de faire une mention expresse de travaux publics aussi
urgents que ceux que réclament le régime des eaux et les voies navigables ;
qu’elle les ait confondus avec d’autres travaux dans les expressions vagues du
paragraphe 4.
Pour moi, je ne suis pas parvenu à m’expliquer un oubli
comme celui-là. A coup sûr, je ne suis pas porté à croire que, dans le cas
présent, la forme ait emporté le fond ; car il faut le reconnaître (et je le
dirai, parce que j’en ai l’occasion) la forme de l’adresse, en thèse générale,
est fort négligée. Il est à regretter que des pièces de l’importance de celle
dont il s’agit, soient rédigées avec aussi peu de soin ; ces pièces reçoivent
une grande publicité dans notre pays et même à l’étranger ; et vous devrez
avouer que si l’étranger lit attentivement une pièce comme celle qui vous est
soumise, il doit se livrer à de singulières conjectures sur les connaissances
littéraires du parlement belge.
Quoi qu’il en soit, la lacune que vous avez
remarquée, messieurs, dans le projet d’adresse, à l’endroit des travaux
publics, est trop sensible, surtout en présence des événements déplorables qui
ont désolé un pays voisin.
Lorsque nous nous sommes réunis, les journaux
étaient encore tout pleins du récit des événements qui ont affligé les bords de
la Loire. Ce fait aurait dû empêcher, je le répète, la commission d’adresse de
négliger un sujet qui mérite à un si haut point de fixer votre attention.
Messieurs, l’amendement que nous avons l’honneur de
vous proposer n’implique pas, de la part de la chambre, le vœu que les travaux
publics qui concernent le régime des eaux et les voies navigables soient
exécutés immédiatement, que les dépenses soient faites simultanément et sans
délai.
Nous n’aurions pas cru pouvoir attendre de la
chambre une adhésion à un amendement qui aurait été conçu en ces termes. Mais
mon opinion à moi, c’est que le gouvernement ne devrait pas hésiter un instant
à proposer à la législature un projet de loi d’ensemble qui comprendrait tous
les travaux les plus nécessaires qui sont
à exécuter, en ce qui concerne le régime des eaux et les voies navigables.
On dira, et c’est une réponse que m’a déjà faite,
dans la session dernière, M, le ministre des travaux publics ; on dira que le
moment n’est pas favorable pour contracter un emprunt, et qu’il est impossible
sans emprunt, d’entreprendre des travaux aussi importants.
Je comprends parfaitement que les circonstances où
nous nous trouvons ne sont pas très favorables à un emprunt ; mais je pense
que, quelles que soient ces circonstances, le pays ferait une opération
avantageuse en contractant un emprunt, afin de pourvoir aux nécessités du
régime des eaux.
Les pertes qu’éprouverait le pays sur l’emprunt à
contracter, seraient largement compensées par la cessation des pertes que le
mauvais régime des eaux et de la navigation nous fait éprouver tous les ans. La
chambre retentit annuellement de plaintes nombreuses à ce sujet ; l’année
dernière, l’honorable rapporteur de la commission d’adresse a parlé même d’une
perte de 15 ou 20 millions qu’une
seule rivière qui traverse notre territoire nous fait essuyer chaque année par
les inondations qu’elle cause. Vous comprenez, messieurs, que des dommages
aussi considérables s’effacent complétement devant les pertes qui pourraient
résulter d’un emprunt.
Il est en outre à remarquer que si l’on présentait
un projet de loi d’ensemble, on aurait d’abord pour but de satisfaire toutes
les populations qui sont menacées, de leur donner une marque de sollicitude et
d’intérêt. Rassurer les populations sur leur avenir serait le premier (page 103) objet que remplirait untel
projet de loi. On ne serait pas obligé, pour cela, d’entamer immédiatement tous
les travaux. Je ne suppose pas, d’ailleurs, que les études soient toutes
achevées ; l’emprunt ne serait émis que par parties, successivement, à mesure
que les besoins se feraient sentir, à mesure que des projets seraient
suffisamment élaborés, pour être mis à exécution.
Mon opinion est donc que le gouvernement ne devrait
pas tarder à présenter un projet de loi d’ensemble, en ce qui concerne les
travaux publies les plus nécessaires dans les diverses parties du royaume.
Cette opinion m’est inspirée par la crainte que j’ai des inondations. Nous les
voyons, en effet, se succéder les unes aux autres tous les ans dans notre pays,
et (comme le fait remarquer un de mes voisins) recommencer deux ou trois fois
aux mêmes lieux, durant la même année. C’est ce qui est arrivé à Liége l’an
dernier.
Autrefois, on avait une débâcle après l’hiver, mais
il n’y avait plus ensuite d’inondation ; aujourd’hui, le mal se reproduit
plusieurs fois dans le cours d’une année. Les événements qui ont eu lieu sur
les bords du Rhône et de la Loire doivent d’ailleurs nous servir
d’avertissements. Je crois que d’année en année notre pays sera exposé à des
inondations plus fréquentes et plus dangereuses.
Qu’il me soit permis d’entrer dans quelques détails
sur ce point, pour motiver mon opinion ; je le ferai le plus brièvement possible
; je profiterai de l’avis qu’a donné, tout à l’heure M. le président.
Messieurs, je pense que les inondations seront plus
nombreuses, parce que je partage l’opinion de ceux qui ont attribué les
inondations au défrichement des bois et forêts ; on les a aussi attribuées à
d’autres causes, à des atterrissements, à des travaux publics, exécutés sans
prévoyance, à des empiétements de toute nature qui ont été faits sur les lits
des rivières. Mais, aujourd’hui l’opinion la plus accréditée en France est, que
les inondations proviennent du défrichement des bois et forêts ; ma conviction
intime est, que le déboisement est la cause principale, dominante, des
inondations.
Un écrivain français l’a dit, il y a quelque temps,
les bois sont de véritables réservoirs d’eau. L’eau pluviale, avant de toucher
la terre, est arrêtée dans sa chute par les bois lorsqu’elle est arrivée à
terre, les bois en absorbent une grande partie, et la partie qui s’écoule,
descend avec lenteur, parce qu’elle est entravée par une foule d’obstacles qui
s’opposent à son passage. Voilà quelle est l’action des bois à l’égard des
eaux. Supposez, à la place d’une vaste forêt, une grande plaine de terres
labourables ; l’eau n’est plus arrêtée dans sa chute, elle ne rencontre plus
d’obstacles qui retardent sa
descente dans la plaine, dans les vallées, et si elle traverse des plans
inclinés, des forêts nouvellement défrichées, elle en emporte une partie, elle
emporte une grande quantité de débris dont elle crée un obstacle à son propre
passage.
Ainsi, messieurs, les défrichements produisent à
eux seuls tous les effets que l’on attribuait naguère à d’autres causes,
c’est-à-dire l’accumulation prompte des eaux et la formation d’obstacles qui
s’opposent à leur écoulement.
Messieurs, je vous demande pardon du m’arrêter sur ces
détails. Mais comme je crois avoir un bon avis à donner, je pense qu’il est de mon
devoir de ne pas le différer. Tels sont messieurs, les effets des défrichements
; ils se font sentir si promptement, que si le propriétaire d’un fonds de terre
exposé à recevoir les eaux du voisinage défriche, non pas une grande étendue de
bois, mais seulement un certain nombre d’hectares, et n’a pas la précaution de faire
élargir ses fossés, au premier orage qui survient, il sera étonné de voir ses
fossés devenus insuffisants, trop étroits, de voir ses terres ravagées et ses
prés couverts de gravier. Je rapporte en ce moment ce qui est arrivé à plus d’un
propriétaire de ma connaissance.
J’en ai vu qui attribuaient les dommages qu’ils
éprouvaient à des causes générales, à je ne sais quelle fatalité, tandis que
c’était leur imprévoyance qu’ils auraient dû accuser. Ces effets si rapides des
défrichements sur une propriété particulière ne sont pas aussi compréhensibles
quoique plus puissants, lorsqu’ils se produisent sur une contrée tout entière,
parce qu’ils proviennent de causes plus éloignées et prennent naissance sur des
points distants les uns des autres ; aussi a-t-il fallu assez longtemps pour
que les esprits s’arrêtassent sur la véritable cause et la cause principale des
inondations.
Si cette cause est, comme on le croit aujourd’hui,
le défrichement des bois et des forêts, nous devons concevoir des inquiétudes
sérieuses concernant plusieurs parties du pays et notamment Liége et ses
environs. C’est là, sans doute, pour moi une raison de plus pour insister sur
l’objet dont je m’occupe.
Les défrichements continuent non seulement dans la
province de Liège, mais aussi dans la province de Namur, en un mot, surtout le
cours de la Meuse jusqu’à sa source qui est, je crois, au milieu des bois.
Il ne peut pas en être autrement, il faudrait, pour
qu’il en fût autrement, que les propriétaires ne connussent pas leurs intérêts.
Les défrichements doivent prendre un grand développement par suite du prix élevé
des denrées alimentaires, des céréales surtout.
Dans beaucoup de localités les propriétés boisées
ne rapportent presque rien, et dans quelques-unes elles ne rapportent rien du tout.
Ou peut dire en thèse générale que la propriété boisée ne rapporte pas la moitié
de ce que rapportent les autres propriétés rurales.
En outre la propriété boisée n’est pas non plus
aussi perfectible, aussi susceptible de perfectionnement et d’amélioration que
les autres propriétés. J’ajouterai que la propriété boisée qui, malgré son infériorité,
paye une contribution proportionnellement aussi forte que les autres
propriétés, et difficile à conserver, sous la législation surannée défectueuse
qui régit la conservation des forêts.
Je veux encore appeler votre attention sur une
cause certaine et active de déboisement. De grands travaux publics vont être exécutés dans les provinces de
Liége, de Namur et du Luxembourg. Nul doute que l’exécution de ces travaux
publics ne présente aux propriétaires l’occasion de se débarrasser de leurs
bois ; ils ont trop longtemps désiré cette occasion pour ne pas la saisir
avec empressement.
Une fois débarrassés de leurs bois, ces
propriétaires ne manqueront pas d’étendre ses défrichements au-delà des
proportions qu’ils ont eues jusqu’à ce jour.
A mesure que l’on entre dans l’examen des causes, soit
directes, soit indirectes, des inondations, on se fortifie dans celte pénible
pensée : que Liège et ses environs auront, si l’on n’y porte remède, d’année en
année des inondations plus fréquentes et plus dangereuses à essuyer. Liège doit
craindre plus que jamais, non seulement les eaux de la Meuse mais aussi celles
de l’Ourthe, rivière rapide qui descend du
Luxembourg, parcourt des contrées en grande partie boisées, dont le déboisement est commencé et continuera,
rivière dont les affluents sont aussi presque tous d’une rapidité extrême.
M. le ministre
des travaux publics fera bien, je pense, d’arrêter son attention sur la
canalisation de l’Ourthe. Il est à craindre que la Compagnie du Luxembourg
n’éprouve quelque mécompte si elle n’y prend garde, par suite des défrichements
aux environs de l’Ourthe et de ses affluents.
Je ne sais,
messieurs, si d’autres parties du pays sont aussi menacés que le sont Liège et ses environs ; il me paraît pourtant
que les mêmes causes d’inondations doivent se faire sentir partout,
puisqu’elles agissent partout. Le danger doit menacer plus ou moins, suivant
que la cause est plus ou moins active, toutes les parties du pays qui sont
sujettes aux inondations. La chambre ne
saurait être indifférente à l’égard d’une situation semblable, la chambre doit
avoir l’œil ouvert sur tous les intérêts
et sur tous les dangers qui les menacent.
Notre amendement a pour but d’introduire dans
l’adresse l’expression de cette pensée ; nous espérons donc que la chambre lui
fera un accueil favorable, nous espérons aussi que le gouvernement partagera
nos convictions et nos craintes et qu’il ne tardera pas à rassurer les
populations qui doivent éprouver de sérieuses inquiétudes.
M. Dumortier. - Je remercie
l’honorable M. de Tornaco de la censure qu’il a faite de notre projet d’adresse
; mais je ferai observer cependant que, quand on se charge de critiquer la rédaction d’une
adresse, on devrait le faire en style correct ; on ne devrait pas dire
notamment que la forme est d’une négligence inconcevable. Je ne comprends pas
ce que peut signifier la négligence de la forme d’une adresse.
M. de Tornaco. - Ce n’est
pas écrit !
M. Dumortier. - C’est du
moins récité !
Quand on parle de formes négligées d’adresse, on ne
devrait pas se charger de censurer des rédactions.
Je pourrais relever plus d’une négligence encore
dans ce que vient de dire l’honorable préopinant, mais je crois que celle-là
suffit pour faire juger sa critique.
J’arrive à l’amendement en lui-même.
L’amendement présenté par l’honorable membre est
relatif aux rivières et aux canaux.
Il censure la commission d’adresse parce qu’elle
n’a pas mentionné dans son projet les divers projets de loi relatifs aux
travaux publics projetés par le gouvernement et dont il est question dans le
discours du Trône.
Je ne pense pas que la commission mérite pour cela
le moindre reproche. Je crois pouvoir faire connaître le motif de cette
prétérition. Nous avons calculé que le discours du Trône mentionnait de 20 à 24 projets de loi. Que le
gouvernement annonce les travaux qu’il a l’intention de proposer, nous le comprenons ; mais nous avons cru préférable
de dire dans une phrase générale que « nous porterons notre plus sérieuse
attention sur les lois que le gouvernement nous annonce. » Cette phrase
comprend tout. Quand les projets nous seront présentés ils seront discutés à la chambre avec toute l’attention qu’ils
méritent.
Quant au paragraphe qui a donné naissance aux
amendements des honorables députés de Liège, la commission d’adresse n’a pas
voulu préjuger ces questions. Veuillez remarquer qu’elle a fait ce sujet une
réserve expresse dans le projet d’adresse qu’elle vous soumet.
A la suite des grands travaux que le corps des
ponts et chaussées a entrepris dans le pays,
si, vis-à-vis de ce corps, qui a
un grand besoin d’activité, nous nous engageons à décréter tous les travaux
publics qui nous seront proposés, nous serons dans un grand embarras si plus
tard ces travaux ne nous conviennent pas. Le système du discours du Trône me paraît
infiniment sage. Ce discours s’exprime en ces termes :
« Les travaux publics les plus importants qui
restent à exécuter concernent le
régime des eaux et les voies navigables. L’étude de divers projets se poursuit,
des moyens d’exécution pourront vous être successivement demandés à mesure que
la situation du trésor le permettra. »
Voilà une marche nouvelle dans laquelle le
gouvernement paraît vouloir entrer ; je l’en félicite hautement au nom du pays,
Je désire que l’on n’obtienne plus de nouveaux travaux publics par de nouveaux
emprunts. J’ai réclamé ce système pendant trop longtemps, pour ne pas féliciter
le gouvernement de l’avoir adopté.
(page 104)
Qu’avec les excédants que donne chaque année le produit du chemin de fer,
qu’avec l’excédant des budgets on fasse des travaux publics, rien de mieux ;
mais faire des emprunts pour exécuter des travaux publics, c’est grever
l’avenir, c’est vouloir faire en un jour ce qui doit être fait en plusieurs
années. Je ne puis donner mon assentiment à un pareil système, quand même il
serait profitable à la localité que je représente.
Votre commission d’adresse a été plus loin ; elle
s’exprime ainsi :
« Les travaux publics dont la nécessité sera
reconnue et qui nous seront proposés à mesure que la situation du trésor le
permettra, recevront un accueil d’autant plus favorable que l’extension
successive de transports du chemin de fer et l’augmentation toujours croissante
de ses revenus, sont propres à nous rassurer sur l’avenir financier de cet
grande entreprise, dont l’exploitation va enfin recevoir une organisation légale. »
Ainsi il faut d’abord que la nécessité des travaux
publics soit reconnue par les représentants légitimes du pays, c’est-à-dire par
les deux chambres.
Je pense donc que la réserve de la commission
d’adresse aura votre approbation. Elle tend à nous tirer de la voie des
emprunts, à régulariser la situation. Comment ! nous avons une dette flottante
considérable ; nous n’avons pas la moindre réserve pour le cas de guerre, et
nous ferions de nouveaux emprunts ! Veuillez y réfléchir et vous reconnaîtrez
que le meilleur ministre des finances est celui qui mettra un temps d’arrêt à
ce système.
Je suis autant que personne partisan
de l’amélioration des fleuves et rivières, non seulement pour l’Escaut qui intéresse
la localité que je représente, mais encore pour la Meuse qui intéresse la
localité à laquelle appartiennent les honorables auteurs de l’amendement, Ils
se souviennent qu’à plusieurs reprises, j’ai demandé qu’on améliorât cette
grande artère si importante pour le pays. Mes honorables collègues peuvent être
certains que nous ne perdrons pas de vue les intérêts de leurs localités ; mais
j’ai un grande répugnance à voir introduire dans l’adresse une phrase qui
puisse grever l’avenir. Ce serait manquer à notre devoir comme député de la
nation.
M. Lejeune. - J’appuie bien volontiers l’amendement
des honorables députés de Liége. Je remercie ces honorables membres d’avoir donné
leur amendement une forme générale qui puisse être adoptée par la chambre tout
entière. Nous, nous comprenons bien qu’ils ont en vue les travaux à faire dans
la vallée de la Meuse, surtout dans le district de Liége, et les travaux nécessaires
pour mettre la ville de Liège à l’abri des inondations. Si je me félicite de ce
que l’on n’a pas exprimé spécialement cette idée, ce n’est pas que je veuille
exclure les travaux à faire à la Meuse. Au contraire, en toute occasion j’ai
rappelé que les travaux à faire dans la vallée de la Meuse sont aussi
nécessaires, aussi indispensables, aussi urgentes que ceux à faire sur tout
autre point du pays. Je n’exclus ni les travaux de la Meuse, ni ceux d’aucune
autre partie du pays. Je n’exclus pas non plus les travaux nécessaires dans la
vallée de la Senne.
Si j’ai quelque inquiétude pour les travaux à faire dans la vallée de la Meuse,
c’est qu’ils ne sont pas assez étendus, assez grandioses pour remédier au mal,
pour faire une bonne fois tout ce qu’il est possible de faire. Jusqu’ici je n’ai pas vu de projet qui réponde
à tout ce qu’on peut attendre.
Une fois que la proposition des députés de Liége
sera faite à la chambre, je ne sais pas comment on pourrait la repousser.
Plusieurs fois dans le discours du Trône et dans
les adresses, il a été parlé du régime des eaux et des voies navigables ;
toujours la chambre a accueilli ces expressions avec bienveillance. L’honorable
rapporteur de la commission d’adresse craint beaucoup qu’on n’engage par là le
gouvernement dans des dépenses qui plus tard ou dans un avenir prochain
nécessiteront des emprunts. Cet argument ne m’effraye pas. Pour moi, je l’ai
déclaré en d’autres circonstances, l’économie, pour l’Etat, ce n’est pas
toujours de ne pas dépenser.
Il y a quelquefois économie à dépenser utilement. Les
dépenses qui sont faites avec intelligence, pour améliorer le sol, ne sont pas
des fonds perdu, ce sont des capitaux placés à gros intérêts ; dépenser ainsi,
c’est créer pour le pays des revenus et des jouissances dont aucune éventualité
politique ne pourrait le priver. Voilà, messieurs, en peu de mots quelle est,
selon moi, sous certains rapports, l’économie pour l’Etat.
Je saisirai cette occasion pour prier
M. le ministre des travaux
publics de mettre en adjudication, le plus tôt possible, la seconde section du
canal de Zelzaete, décrétée depuis 1842.
Voici les motifs qui m’engagent à demander cette
adjudication immédiate : les études sont faites, l’on est d’accord sur le
tracé, le projet est décrété depuis quatre ans, et les travaux peuvent
s’exécuter en grande partie pendant l’hiver. Il serait donc possible de
procurer là de l’ouvrage à beaucoup d’ouvriers inoccupés, et de soulager ainsi
une localité qui est dans la détresse.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Messieurs, la discussion qui vient de s’engager,
si elle se poursuivait, est digne d’occuper la chambre pendant plusieurs jours.
La place la plus naturelle de cette discussion est, ce me semble, le budget des
travaux publics. Ordinairement dans la discussion de l’adresse, dans toutes les
assemblées délibérantes, on s’attache de part et d’autre, quelles que soient
les opinions, à ne pas préjuger les questions, à ne pas les approfondir, à ne pas appuyer des
systèmes.
Le discours de
l’honorable député de Liège me paraît se diviser nécessairement en deux points
: les développements de l’amendement, les développements d’une opinion
individuelle que l’honorable membre a exposés.
D’après la première de ce discours, l’amendement
vous serait présenté, non pas pour préjuger des questions d’exécution de
travaux publics, de priorité, d’urgence ou d’opportunité ; mais pour répondre
d’une manière complète au discours du Trône, et sans repousser le système qui
paraît indiqué dans ce discours. C’est ainsi que j’ai compris la première
partie des développements de l’honorable député de Liége.
Si tel est le sens de l’amendement, je ne crois pas
qu’il puisse y a la moindre difficulté à l’adopter, alors surtout que les expressions
essentielles adoptées par la commission d’adresse sont maintenues, car les
honorables membres admettent encore (je l’ai du moins compris de cette manière)
que ces travaux seront proposés à mesure que la situation trésor le permettra.
Quant aux opinions individuelles, il y a deux
systèmes peut-être trop absolus l’un et l’autre, qui peut-être, dans leur
expression absolue, présentent des dangers ou des inconvénients.
Ainsi, l’honorable député de Liége suppose qu’il
faudrait en ce moment faire une espèce de relevé général, comprendre dans une
même loi tous les travaux relatifs aux voies
navigables et au régime des eaux.
L’honorable M. Dumortier paraît admettre, au
contraire, qu’il faudra en quelque sorte décréter implicitement que tous les
travaux publics ultérieurs dont la nécessité serait reconnue, devraient être
prélevés sur nos ressources ordinaires.
Je crois que ce n’est pas le moment de vous
prononcer si ces deux systèmes, et que nous devons prendre garde, quelle que
soit notre opinion, d’adopter implicitement aujourd’hui l’un ou l’autre.
J’ajouterai,
messieurs, que ce serait une illusion d’espérer que des travaux publics d’une
certaine étendue pourront être exécutés au moyen de nos ressources ordinaires.
Mais lorsque nous aurons à demander de ressources spéciales, nous discuterons
et l’opportunité et les moyens que nous devons employer pour créer ces
ressources.
Ainsi, messieurs, l’amendement étant défini comme
je viens de le faire, et j’espère avoir fidèlement rendu la pensée de
l’honorable M. de de Tornaco, me
semble pouvoir être adopté sans inconvénient, s’il est bien entendu qu’il ne
préjuge aucune question de système.
M. de
Tornaco (pour un fait personnel). - Messieurs, tout à
l’heure, en exprimant mon opinion sur la rédaction du projet d’adresse, je n’ai
pas du tout eu l’intention d’occasionner de la peine à un honorable collègue.
Vous savez que d’ordinaire je ne suis pas du tout personnel dans mes attaques ;
je ne deviendrais personnel qu’autant qu’on me forcerait à l’être.
J’ai voulu faire une observation dans l’intérêt
général, et je vous avoue que je ne croyais pas qu’elle serait aussi sensible à l’honorable membre. J’avais oublié, en lisant son projet
d’adresse, qu’il fût académicien.
- La clôture est demandée.
M. David. - Messieurs, si l’on veut clore, je demanderai
qu’il me soit permis d’insérer au Moniteur
quelques observations d’actualité que je voulais vous présenter. (Adhésion.)
M. Osy (contre la clôture).
- Messieurs, j’avais demandé la parole pour réclamer des renseignements
relativement à des travaux dont n’a pas encore été question dans cette
discussion et qui ne coûteraient rien au trésor. On a beaucoup parlé de travaux
publics qui entraîneront le trésor dans des dépenses ; la chambre me permettra
de demander des renseignements sur des travaux qui ne coûteront rien au trésor.
M. Delfosse (contre la
clôture). - Je désirerais présenter quelques observations pour bien fixer le
sens de notre amendement ; bien que d’accord avec à M. le ministre des finances
sur quelques points, je ne puis cependant adhérer à tout ce qu’il vient de
dire.
- La clôture est mise aux voix et
prononcée.
L’amendement présenté par MM. Delfosse, Fleussu, de
Tornaco et Lesoinne est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Je mets aux voix le paragraphe.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Il est entendu que les mots : « A mesure que la situation du trésor le permettra »,
sont maintenus.
M. Delfosse. - Je ne m’oppose
pas au maintien de cette phrase mais il est bien entendu qu’elle ne doit pas
être comprise dans le sens indiqué par l’honorable M. Dumortier.
Cet honorable membre, parlant en quelque sorte au
nom du gouvernement, a prétendu que cette phrase était exclusive d’un emprunt.
Je puis croire que telle soit la pensée du gouvernement.
M. Dumortier. - J’ai parlé au nom de la commission
d’adresse, non pas au nom du gouvernement.
M. Delfosse. - Votre
phrase est textuellement extraite du cours de la Couronne, et vous avez dit
qu’on l’avait insérée dans ce cours pour exclure l’idée d’un emprunt ; je le
répète, telle ne peut être la pensée du gouvernement.
M. le ministre
des finances (M. Malou). - Rien n’est préjugé.
M. Dubus
(aîné). - Il me semble
que la phrase peut rester qu’elle est, du moment qu’on transpose un peu celle
qui vient d’y ajoutée. Ainsi on dirait : « Les travaux publics dont
la nécessité sera reconnue, et qui nos, sont proposés à mesure que la situation
du trésor le permettra, surtout ceux qui ont pour but, en améliorant le régime
des eaux et des navigables, de mettre les diverses parties du pays à l’abri des
inondations, recevront un accueil, etc. » (Assentiment.)
(page 105) - Le paragraphe, ainsi modifié, est mis
aux voix et adopté.
Paragraphe 5
« Nous porterons notre plus sérieux examen sur
les lois que Votre Majesté nous annonce. La loi sur l’augmentation de la
représentation nationale répondra à des vœux que la situation calme du pays
permet de satisfaire. »
M. Delehaye a proposé de dire :
« La loi sur l’augmentation de la représentation nationale
répondra aux vœux du pays et de la Constitution. »
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
j’ai des observations à présenter sur l’amendement de l’honorable M. Delehaye.
Le gouvernement a annoncé de la manière la plus positive l’intention de
présenter un projet de loi pour l’augmentation de la représentation nationale, et la commission d’adresse a accueilli cette
déclaration.
L’honorable M. Delehaye va plus loin ; il dit que
cette loi est conforme aux vœux du pays et de la Constitution. Je crois,
messieurs, que pour parler plus exactement, l’honorable membre aurait dû dire
qu’elle sera conforme aux vœux des localités intéressées, car, sans doute, on
ne peut pas exiger que les districts dont la représentation ne doit pas être
augmentée, voient avec une grande satisfaction d’autres districts obtenir une
pareille augmentation, circonstance qui doit nécessairement diminuer
l’importance de leur propre représentation, puisque tout est relatif en
pareille matière.
Je conçois que ces districts acceptent la loi comme
une nécessité, mais je ne puis pas y voir pour eux une occasion de se
féliciter. Je pense donc que cette expression « conforme aux vœux du
pays », c’est-à-dire de l’ensemble de tous les districts, n’est pas
heureuse ; je pense que, sur ce point, il vaut mieux s’en tenir au projet
d’adresse tel qu’il est rédigé par la commission.
L’honorable membre ajoute : « et conforme au vœu de
la Constitution. » Je sais, messieurs, que plusieurs membres prétendent
que la Constitution exige impérieusement l’augmentation de la représentation
nationale ; mais d’autres membres contestent cette opinion. Quant à moi,
messieurs, je pense que nous n’avons point, en cette circonstance, à décider ce
que porte la Constitution ; nous avons à faire une loi, et dans le vote de
cette loi, les uns se détermineront, parce qu’ils croient que la Constitution
l’exige, les autres, parce qu’ils croient qu’il est convenable de faire droit
aux vœux exprimés par plusieurs districts ou provinces intéressés. Voilà,
messieurs, ce que nous avons à faire ; mais il serait tout à fait contraire aux
usages parlementaires de chercher, dans une adresse, à déterminer quel est le
sens d’un article de la Constitution. Je rappellerai à la chambre des circonstances
bien importantes où des propositions de cette nature ont été repoussées. Dans la
discussion de la question de la nomination des échevins par le Roi, on voulut
faire voter sur une question de principe ainsi conçue : « La Constitution
permet-elle de déférer au Roi la nomination des échevins ? »
Eh bien, messieurs, la chambre refusa nettement de
voter sur cette question. La majorité pensa que la chambre n’avait pas à
répondre à des questions, mais que la chambre avait à voter des articles de loi.
La même opinion a prévalu dans d’autres circonstances, et je crois qu’elle doit
prévaloir encore aujourd’hui. Il me semble qu’il n’y a pas lieu d’admettre la
proposition de l’honorable M. Delehaye.
L’honorable membre, dans les
développements qu’il a donnés aujourd’hui, après avoir longuement parlé de la
misère des Flandres, a dit qu’après cet exposé il n’est pas possible d’admettre
que la situation du pays soit calme. Messieurs, nous pensons que, malgré la
misère qui frappe si cruellement certaines parties de la population des
Flandres, le calme existe réellement dans ces provinces.
Tout ce que nous avons voulu exprimer en disant que
la situation du pays est calme, c’est que cette situation est suffisamment
calme pour autoriser le gouvernement à nous proposer une réforme partielle de
la loi électorale. Si l’on retranchait cette phrase, ce serait en quelque sorte
déclarer que l’on met en doute la situation calme du pays et par là on pourrait
mettre en doute également s’il y a réellement opportunité à présenter une loi
réformant en partie la loi électorale. La phrase n’a point d’autre portée que
celle que nous avons indiquée, et je crois qu’il n’y a pas lieu de la modifier.
M. Delehaye. - Je ferai remarquer
d’abord, messieurs, qu’il est extrêmement étonnant de voir le gouvernement
lui-même mettre en doute le patriotisme de quelques localités qui auraient
aujourd’hui une représentation plus forte que celle à laquelle le chiffre de
leur population leur donne droit. Si j’appartenais à une localité qui fût dans
ce cas, je serais le premier à proposer à la chambre de réduire le nombre des
représentants nommés par cette localité. Pourquoi ? Parce qu’il importe que
toutes les parties du pays soient convenablement représentées et qu’elles le
soient toutes dans la même proportion. Cela importe aux intérêts généraux du
pays. Or, nous sommes les représentants du pays et non pas les représentants de
telle ou telle localité. J’aurais donc voulu, messieurs, que le gouvernement,
au lieu d’encourager l’opposition des députés appartenant à des districts trop
fortement représentés aujourd’hui, au contraire engagé tout le monde à se
soumettre à la loi qu’il nous annonce.
On a trouvé que ma proposition pouvait blesser la
Constitution, parce que, dit-on, il n’est pas certain que la Constitution exige
impérieusement la présentation de la loi dont il s’agit. Eh bien, je donnerai
volontiers satisfaction à M. le ministre de l’intérieur sur ce point, en
modifiant ma proposition dans ce sens :
« La loi sur l’augmentation de
la représentation nationale répondra les vœux qu’il est juste de satisfaire. »
Par-là, toutes les appréhensions manifestées par M.
te ministre de l’intérieur sont écartées ; la question constitutionnelle n’est
plus en cause ; vous ne parlez plus de la situation calme du pays. Vous remarquerez que cette dernière
phrase ne se trouve pas dans l’adresse du sénat ; et puisque la majorité n’a
pas voulu de l’amendement de l’honorable M. Rogier, parce qu’elle voulait se
mettre d’accord avec le sénat, c’est un motif de plus pour qu’elle adopte ma
proposition. Vous resterez encore une fois d’accord avec le sénat.
M.
le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs,
l’honorable préopinant a fait droit aux principales objections que j’avais
faites ; il a retiré l’expression « aux vœux de tout le pays ». Cette
expression ne pouvait être conservée, car je maintiens, malgré ce qu’a dit
l’honorable membre, que les districts qui vont voir s’établir à leur égard une
infériorité qui n’existe pas aujourd’hui, ne peuvent pas s’applaudir de cette
circonstance ; mais en faisant cette observation, je n’ai pas encouragé les
députés de ces districts à s’opposer au projet ; moi-même, j’appartiens à une
province qui ne doit recevoir aucune augmentation de représentation, et
cependant je n’ai pas hésité à proposer la mention de ce projet dans le
discours du Trône. Mais entre admettre une chose qui est réclamée par d’autres
localités, et s’en féliciter, lorsque sa localité a un intérêt contraire, se
trouve une distance immense.
Maintenant, l’honorable membre retranche aussi ce
qui concerne la Constitution ; par-là, je suis satisfait. Il est vrai que le
sénat n’a pas parlé de la situation calme du pays ; quant à nous personnellement,
nous ne tenons pas à ce qu’il soit fait mention de cela dans l’adresse de la chambre,
pas plus que dans celle du sénat ; tout ce que nous avons voulu, c’est qu’il ne
résultât pas de la discussion, que la chambre avait une opinion contraire à
celle du gouvernement.
- L’amendement de M. Delehaye, tel que cet
honorable membre vient de le modifier, est mis aux voix et adopté.
Le paragraphe 5, ainsi modifié, est mis aux voix et
adopté.
Paragraphe 6
L’amendement de M. de Garcia, adopté dans la séance
d’hier, formera le paragraphe 6.
Paragraphes 7 et 8
« Nous nous félicitons d’apprendre que dans le
cours de la session actuelle les budgets des recettes et des dépenses de 1848
nous seront soumis. »
- Adopté.
« L’armée, par sa bonne discipline, son
dévouement et son patriotisme continue à
se rendre digue de la confiance de Votre Majesté et du pays. Les lois
qui peuvent assurer son bien-être et développer de plus en plus les sentiments
de noble émulation et de devoir dans lesquels réside sa force, seront toujours
accueillies avec cet intérêt que nous n’avons cessé de porter à ce qui la
concerne. »
- Adopté.
Paragraphe 9
« Sire,
depuis seize années, la Belgique a conquis son indépendance, et tout ce que
notre nationalité nous a permis d’entreprendre nous donne la mesure de ce que
pourra, dans l’avenir, une nation jeune, active, intelligente et qui ne veut
rester étrangère à aucun progrès. Cette indépendance, si vivement désirée de
nos ancêtres, il était réservé à notre époque de la voir enfin s’accomplir. Le
pays n’oubliera jamais, Sire, le noble dévouement avec lequel Votre Majesté,
répondant à l’appel du tout un peuple, est venue consolider cette nationalité
naissante, en se mettant à notre tête à une époque où la situation politique
inspirait de justes inquiétudes. Aujourd’hui que la paix de l’Europe a raffermi
nos institutions et qu’une dynastie nationale s’élève et grandit au milieu de
nous, nous pouvons contempler l’avenir avec confiance. S’appuyant sur cette
dynastie, dont les racines sont désormais profondes, la Belgique aura jouir,
avec dignité, des institutions libres qu’elle s’est données, tandis que nous,
heureux d’assurer le développement de son bien-être, nous serons toujours prêts
à concourir, avec Votre Majesté, à tout ce qui peut contribuer au bonheur et à la prospérité de la patrie. «
M. Delfosse. - Dans la discussion
générale, je me suis prononcé contre ce paragraphe. Les raisons que M. le
rapporteur de la commission d’adresse a données depuis pour la justifier, ne
m’ont pas fait changer d’avis.
L’honorable rapporteur nous a parlé de je ne sais
quel prétendant dont il voudrait détruire les espérances.
Je ne crains pas plus les prétendants que les
revenants, et je suis surpris l’on soit venu dans cette enceinte donner tant
d’importance à je ne sais quel prétendant.
Vote sur l’ensemble du projet
- On procède au vote, par appel nominal, sur
l’ensemble de l’adresse.
78 membres répondent à l’appel.
73 répondent oui.
5 répondent non.
En conséquence, la chambre adopte.
Ont répondu oui : MM. Anspach, Biebuyck,
Brabant, Cans, Clep, Coppieters, d’Anethan, David, de Ballet, de Breyne, de
Brouckere, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de la Coste,
de Lannoy, Delehaye, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de
Meester, Mérode, de Naeyer, de Renesse, de Saegher, de Sécus, Desmaisières,
Desmet, de Terbecq, de Theux, de
Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric),
Dubus (Bernard), Dumortier, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn,
Lange, Lejeune, Loos, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Osy,
Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont,
Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verwilghen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert,
Zoude et Liedts.
Ont répondu non : MM. Castiau, Delfosse, de
Tornaco, Lesoinne et Verhaegen.
PROJET DE LOI RELATIF AU SERVICE SANITAIRE DE L’ARMEE
M. le ministre
de la guerre (M. Prisse). - J’ai l’honneur de déposer les amendements au
projet de loi sur le service sanitaire.
M. Sigart. - Je demande le renvoi de cet amendement â la
commission qui a été chargée d’examiner le projet.
- Cette proposition est adoptée
________________
M. le
ministre de la justice (M. d’Anethan). - L’honorable
M. Savart qui a été nommé rapporteur du budget de la justice étant retenu chez
lui par une indisposition, je prie la section centrale de vouloir bien désigner
un autre rapporteur afin que nous puissions aborder la discussion de ce budget.
M. Vilain XIIII. - J’ai
l’honneur de présider la section centrale chargée d’examiner le budget de la
justice. J’ai écrit à M. Savart pour le prier de nous renvoyer les
procès-verbaux, ainsi que les pièces remises à la section centrale, que cet
honorable membre avait emportées à Tournay pour rédiger son rapport. Dès que
ces pièces nous seront revenues, si la santé de M. Savart ne lui permet pas de
faire le rapport nous nommerons un autre rapporteur.
_______________
M. le président. procède au tirage
au sort des membres de la députation chargée de porter au Roi l’adresse votée par
la chambre.
Les membres désignés par le sort, sont : MM.
de Lannoy, Rogier, Verhaegen, Cans, Wallaert, Orban, Huveners, Osy, Kervyn,
Anspach et B. Dubus.
M. le président. - Je ferai prendre
les ordres du Roi et je ferai avertir à domicile les membres de la députation,
de l’heure â laquelle aura lieu la réception de Sa M Majesté.
- La séance est levée à 2 heures et demie.