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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 13 juin 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1662) M. Huveners procède à l'appel nominal à midi et demi. La séance est ouverte.

M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners donne lecture des pièces suivantes adressées à la chambre.

. « Le sieur Kronever, officier pensionné, demande que le gouvernement restitue aux officiers placés dans la réserve avant le 1er janvier 1840, le montant des réductions qui ont été opérées sur leurs traitements en vertu de l'arrêté royal du 6 décembre 1839. »

M. Manilius. - Puisqu'on a demandé l'examen en sections du budget de la guerre de 1847, nous aurons bientôt la section centrale de ce budget. Comme l'objet de la pétition se rattache intimement au budget, je propose le renvoi de la pétition à cette section centrale.

- Ce renvoi est prononcé.


« Les habitants de la ville de Thielt demandent l'union douanière avec la France. »

« Même demande du conseil communal d’Ingelmunster. »

- Sur la proposition de M. Rodenbach, renvoi à la commission des pétions avec demande d'un prompt rapport.


« L'administration communale de Weert prie la chambre de ne prendre aucune décision sur le chemin de fer projeté, de Bruxelles à Gand, par Alost, avant de connaître le résultat de l'enquête qui doit être faite sur cette question. »

« Même demande des administrations communales de Borshem, Oppuers et Lebbeke. »

- Dépôt sur le bureau, pendant la discussion du rapport fait par M. le ministre des travaux publics.


« Les membres de l'administration communale de Berlaere présentent des observations contre le projet d'un chemin de fer de Bruxelles à Gand, par Alost, et prient la chambre, si elle décidait d'établir une nouvelle voie ferrée, d'adopter le tracé de Bruxelles par Assche et Merchtem sur Termonde.

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La veuve de Taeye, revenue au mois de juin 1845, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir de la compagnie de colonisation les indemnités qui lui ont été promises du chef d'achat de biens de la communauté. »

- Même renvoi.


« Le sieur Wartomont, vérificateur de l'enregistrement et des domaines à St-Hubert, présente des observations sur le projet de loi relatif à l'organisation du notariat. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Corswarem (pour une motion d’ordre). - Dans le cours de cette semaine, j'ai proposé à la chambre de décider qu'elle ne se réunirait ni lundi, ni mardi, à cause des fêtes qui auront lieu. Plusieurs membres pensent même que la chambre ne sera pas en nombre mercredi et qu'il faudrait s'ajourner à jeudi. Ce serait disposer de la moitié de la semaine ; beaucoup de membres pourraient croire que ce n'est plus la peine de revenir.

Je proposé donc à la chambre de décider qu'elle se réunira mercredi.

Plusieurs membres. - A jeudi !

- La chambre, consultée, décide, après une épreuve douteuse, quelle se réunira mercredi.

M. Delehaye. - Nous espérons bien que ceux qui ont voté pour le renvoi de la séance à mercredi seront à leur poste.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Certainement !

Projet de loi sur les sucres

Discussion générale

M. Manilius. - Messieurs, au point où en est arrivée la discussion, je crois pouvoir me dispenser d'entrer dans de longs développements relativement à la position spéciale des trois partis qui semblent être maintenant en lutte.

Je crois, messieurs, que malgré tous les discours qui ont été prononcés, malgré la longue étude que le gouvernement a faite de la question, on ne parviendra pas, et qu'il se passera encore beaucoup de temps avant qu'on parvienne à concilier les trois intérêts que l'on veut concilier.

En effet, messieurs, nous voyons se livrer à la défense ardente du premier de ces intérêts M. le ministre des finances, qui, je le reconnais, met beaucoup d'habileté à défendre la cause. Mais on doit le reconnaître et je le regrette, cette défense ne me semble pas avoir les proportions de solidité et de persuasion que M. le ministre des finances a voulu lui donner dans la sortie violente qu'il a faite hier en réponse au discours de l'honorable M. Loos.

M. le ministre des finances nous dit que c'est une bataille de chiffres ; qu'il a pris position, qu'il n'a pas changé d'avis, qu'il est resté fidèle à cette position et qu'il la maintiendra. Messieurs, je dois répondre à M. le ministre qu'il n'y a rien de semblable dans les faits que nous avons vus se passer.

M. le ministre nous a présenté son projet, il y a plusieurs mois, alors que le ministère n'était pas composé comme il l'est aujourd'hui. Il a défendu ce projet de loi devant la section centrale avec une vigueur, avec une ardeur et une persuasion qui aurait pu faire croire qu'il avait trouvé la pierre philosophale. Ce projet de loi, c'était la guérison de toutes les plaies. Tous les partis étaient satisfaits, le trésor même était satisfait.

Cependant, messieurs, malgré la persuasion que M. le ministre a voulu donner hier à la chambre, aussitôt que la discussion a été ouverte, il à abandonné sa première position, il nous a mis dans une position toute nouvelle, dans une position tout autre que celle dans laquelle il avait si vaillamment combattu, et si victorieusement résisté à ceux qui s'opposaient à ce qu'il nous avait proposé dans un travail si bien élaboré.

Et de quoi, messieurs, sont appuyées ces nouvelles propositions ? De rien ; de quelques propos vagues en quelque sorte ; d'un discours jeté au hasard dans la chambre. De quoi au contraire étaient appuyées les propositions de M. le ministre ? D'un examen mûri, de développements fort étendus. Les premières propositions enfin avaient toutes les proportions que doit avoir l'économie d'une bonne loi, et étaient entourées de ce qu'une bonne loi doit exiger.

Cependant on renverse toute cette économie, et cela sans nous donner aucun motif, sans donner aucune raison à l'appui de ce revirement.

Toutefois, messieurs, nous avons vu, dans toute la discussion, d'où venait ce revirement. M. le ministre s'est trouvé un peu piqué hier, parce qu'il a semblé croire qu'on voulait l'accuser d'avoir cédé à un esprit de parti. Mais M. le ministre a mal compris. Quant à nous, nous avions bien compris que la signification qu'il fallait attacher aux paroles de l'honorable M. Loos, c'était que l'avantage de ce revirement était pour ceux qui en ont déjà adressé des remerciements à M. le ministre ; pour ceux qui après avoir déjà obtenu une amélioration aussi considérable dans leur position, demandent à la générosité du ministère d'aller encore un peu plus loin.

En effet, messieurs, que nous a dit l'honorable M. de la Coste ? II a dit qu'il ne récriminerait pas relativement aux amendements présentés par M. le ministre, que ces amendements étaient bien, mais qu'il regrettait seulement qu'on eût conservé la rigueur de l'article 6. Eh bien, messieurs, la rigueur de l’article 6 c'est la garantie d'un exercice convenable pour surveiller la fabrication du sucre indigène. L'honorable M. : de la Coste dit que cet exercice deviendra vexatoire ; mais lorsque le trésor est menacé de subir une perte, M. le ministre des finances doit lui assurer des garanties contre cette perte, il doit exécuter la loi avec toute la sévérité quelle comporte. M. de la Coste dit : Si vous exécutez la loi avec sévérité, vous nous enlevez une protection dont nous avons joui jusqu'à présent ; jusqu'à présent nous avons trouvé une véritable protection dans la facilité de nos relations avec l'accise ; vous voulez rendre ces relations difficiles, et dès lors vous voulez enlever une partie de notre protection. Je ne comprends pas, messieurs, cette manière de raisonner. Comment peut-on dire que le système des moyens « subreptices » comme les a appelés l'honorable M. de la Coste... (Interruption.) C'est l’honorable membre qui m'a appris ce mot ; c'est, je crois, un terme de chancellerie... (Nouvelle interruption.) Je dis que je ne comprends pas qu'on puisse, dans cette enceinte, présenter l'existence d'un semblable système comme une protection.

L'honorable membre a dit encore : Vous augmentez les droits dont nous sommes frappés, et vous laissez notre adversaire, le sucre exotique, jouir d'une prime énorme, d'une prime qui s'élève à 12 francs.

Voilà ce qu'a dit l'honorable M. de la Coste, mais il n'a donné aucune preuve à l'appui de cette assertion. Il n'a rien dit non plus des avantages dont jouira le sucre de betteraves, avec la loi dont nous nous occupons. Je vais, moi, démontrer qu'il n'y a jamais eu de prime pour le sucre exotique ; il n'y a pas eu non plus de prime pour le sucre indigène ; chaque industrie a usé des moyens que la loi mettait à sa disposition, rien de plus ; lorsque le sucre indigène ne devait rien payer, il n'a rien payé ; il n'a pas fraudé, il n'a pas reçu de prime, mais vous n'avez rien payé, et cependant vous avez livré votre sucre à la consommation. Serais--je, pour cela, admis à dire que depuis 7 ans le sucre indigène jouit d'une prime ?

Non, ce n'était pas une prime, c'était seulement la jouissance de la loi. La même chose existe pour le sucre exotique ; le sucre exotique a usé de la loi ; il a usé de la loi, telle que le législateur l'a faite ; il a profité de la différence des faveurs qui devaient lui accorder le moyen d'exporter ; mais c'est en définitive lui qui a payé ce qui est payé dans le trésor ; et l'on dit que c'est lui qui a reçu une prime.

Messieurs, toutes ces récriminations n'avancent en rien la solution de la véritable question qui s'agite devant vous ; ce sont des récriminations vagues, chacun crie au voleur et tout le monde dit qu'il est volé.

Lisez les pétitions qui ont été envoyées en masse à la chambre et qui (page 1663) ont été imprimées et distribuées ; il en est qui poussent l'exagération jusqu'à dire que le sucre exotique aurait dû payer 5 millions au trésor ; et, comme il n'a payé que 2 millions et demi, il en résulte qu'il a soustrait 2 millions et demi ; mais les mêmes pétitionnaires gardent le silence sur cette circonstance, que le sucre indigène, qui a fourni à la consommation, n'a absolument rien payé ; le sucre indigène n'a rien payé, mais il n'a rien soustrait au trésor ;le sucre exotique a payé beaucoup, mais il n'a pas payé assez, il a volé. Comment un tel raisonnement peut-il s'être formé dans la tête de ceux qui se donnent la peine de rédiger de sembla-Iles mémoires ? C'est inconcevable.

Messieurs, je le répète, la question est tellement difficile, tellement insaisissable en quelque sorte, que M. le ministre des finances a avoué lui-même qu'on avait commis beaucoup d'erreurs sur cette matière, que lui-même en a fait une récemment, et que ceux qui viendront après lui en commettront encore ; cela est vrai ; je me place dans la même position ; je ne prétends pas avoir résolu d'une manière parfaite la triple question que nous cherchons à résoudre aujourd'hui ; mais j'espère que grâce à l'étude longue et consciencieuse que j'ai faite des diverses faces de la question, je pourrai contribuer à la faire résoudre avec le temps.

Je tiens à faire comprendre que je suis en dehors de tous les intérêts qui se débattent devant vous, que j’ai examiné la question sans passion, sans me laisser préoccuper par l'intérêt exclusif, soit de l'un des deux sucres, soit du trésor. Ainsi, aucun des intérêts ne doit trouver rien d'offensant dans mes raisonnements.

Dans mon opinion, nous devons tenir compte des faits accomplis, nous devons souffrir ce que nous possédons aujourd'hui. Or, vous avez devant vous une production du sucre indigène ; cette production, vous ne pouvez l'empêcher ; on peut récriminer tant qu'on voudra, mais on ne peut contester que le sucre indigène ne soit là, on ne peut pas écarter ce fait, il faut en tenir compte. J'en dirai autant du commerce maritime ; vous devez exporter, c'est une nécessité impérieuse, et vous avez charge de faire l'impossible pour favoriser cette exportation.

Eh bien, le trésor a le même droit. Voilà la position, il faut la respecter ; nous la respectons. Nous restons dans le système de la loi que M. le ministre des finances avait présentée après y avoir donné ses soins pendant si longtemps et qu'il a bouleversée aujourd'hui. Trois principes furent alors maintenus ; ils doivent l'être encore ; il faut bien faire la part de la situation. Il ne s'agit pas dédire : Je suis national ; je veux livrer les produits de mes champs.

L'honorable M. Eloy de Burdinne nous l’a dit ; il nous le dirait dix fois encore qu'il ne nous apprendrait rien de neuf. Nous le savons. Ce que nous savons, c'est que lorsque vous livrez vos sucres à la consommation, il faut qu'ils payent. C'est ce que l'honorable M. Dumortier vous a dit hier ; le sucre indigène, vous croyiez qu'il ne payait pas ; mais la mélasse doit payer, lorsqu'on la distille ; ainsi, les résidus doivent payer. Pourquoi ? Parce qu’il y a un droit de consommation sur les alcools. Sans cela ils ne devraient pas plus payer que les autres sucres.

Vous voyez que le principe du droit de consommation a des défenseurs parmi les défenseurs mêmes de la betterave.

L'honorable M. Eloy de Burdinne croit-il que les cultivateurs qui ont des distilleries agricoles et qui distillent leurs grains, seraient admis à dire : « Nos grains sont nationaux ; ils ont poussé à l'ombre du drapeau tricolore ; il faut les dispenser du droit quand ils sont employés à la fabrication du genièvre » ?

Vous n'admettriez pas de telles prétentions ; vous ne les admettriez pour aucun objet soumis à des droits de consommation. Ces faits sont connus.

Il suffit de vous les rappeler pour que votre esprit en soit suffisamment frappé.

On a voulu, on veut encore franchement la coexistence des deux sucres ; mais je désire cette coexistence, comme on doit la vouloir, c'est-à-dire avec la viabilité des deux parties et du commerce maritime, qui, lui aussi navigue sous pavillon national.

J'ai pensé que l'on pourrait arriver à ce but, en modifiant les amendements que M. le ministre des finances a présentés.

Si ce n'était là situation actuelle dont il faut tenir compte, on devrait faire payer à chaque producteur sans autre forme de procès, ce qu'il doit payer en droits de consommation.

Cela devrait être, mais il y a des impossibilités auxquelles il faut savoir se plier. Il faut admettre une moyenne. Voici la moyenne que je crois pouvoir présenter afin de concilier les droits des parties.

Je propose à l'article premier un amendement consistant à substituer 66 fr. à 65. Cela fait un rendement de 68-18. Je le fixe à ce chiffre pour régularité ; car 68 est le maximum que puisse supporter le sucre exotique.

Vous aurez beau faire des discours par douzaines, vous ne détruirez pas ces vérités.

Vous ne pouvez aller au-delà, où vous ruinerez l'industrie du sucre exotique, alors que vous proclamez la nécessité de la coexistence.

Voilà le principe d'où je pars pour vous faire comprendre mon opinion sur les articles nouveaux de M. le ministre des finances.

Je demande la modification de l'article premier.

J'admets le maintien de l’article 4, que la section centrale avait proposé de mettre de côté.

Le gouvernement ne se ralliant pas à la proposition de la section centrale, je crois que l'amendement que je propose au premier paragraphe de l'article 5 nouveau, peut se concilier avec la disposition de M. le ministre des finances.

Je propose de dire après l'article 4 :

« Si le gouvernement est obligé de modifier la décharge en vertu de l'article 4, le droit d'accise sur le sucre brut de betterave sera fixé en même temps, la première fois à 35 francs. »

Ainsi, je propose de frapper le sucre de betterave d'un droit de 55 seulement, le cas échéant ; j'accepte donc provisoirement la combinaison de M. le ministre, car pour moi j'accepte 30 francs pour la betterave. Et pourquoi ? Parce qu'il faut faire la part de la position, parce qu'il faut sortir de cette position où nous sommes.

Je ne me place à la tête d'aucun des trois partis ; je me place au milieu ; je vois les choses avec indifférence.

Je crois que de cette manière, en acceptant pour la betterave le droit de 30 francs momentanément, vous pouvez-vous rallier à mon premier amendement de 65 fr. L'éventualité de 35 fr. se produirait dans le cas où le troisième intérêt ne serait pas satisfait (le trésor).

Ne serait-il pas juste que celui qui livre le sucre à la consommation, au plus grand nombre, payât au moins sa part au trésor ? Aussitôt que le fisc se sent trop pincé, il faut qu'il s'adresse au plus tôt à celui dont il reçoit le moins.

Si donc on est obligé de conserver l'article 4, de modifier la loi, la première modification qu'entraîne le changement du rendement, c’est de changer le droit pour la betterave en même temps que l'on augmente le rendement pour la canne. Je crois que cela est équitable.

Ensuite je propose que pour chaque cent mille francs qui viennent à manquer à la recette de 3 millions à payer au trésor, il y ait une augmentation d'un franc sur cette même accise, et une diminution d'un franc sur la restitution ou rendement sur le sucre, catégorie A. Ainsi il y aura égalité.

Vous entrerez de cette manière dans cette voie de progrès dans laquelle la betterave prétend être. Que dit-elle, en effet ? « Nous progressons tous les jours. Viendra un temps où nous pourrons lutter à armes égales. » L'honorable M. Eloy de Burdinne nous a dit : Otez tous les droits, et nous lutterons.

Je réponds par un seul mot : Je dis « c'est impossible.» Ce mot en dit assez, parce que les motifs sont trop connus.

Vous ne pouviez exister quand nous payions des millions et que vous ne payiez rien, et vous venez nous dire que vous existeriez quand personne ne payerait rien ; moi je dis que vous n'existez que lorsque le sucre exotique, le commerce enfin, donne l'argent au trésor et que vous ne donnez rien, ou peu.

Ainsi, je dis que s'il y a déficit dans la caisse, le ministère, qui doit défendre les intérêts du commerce et de l'industrie doit frapper l'un et l'autre sucre pour combler le déficit. Mon amendement a cette tendance. Si vous augmentez le rendement, vous augmentez le droit sur le sucre indigène. Je vous ferai remarquer, messieurs, que je ne vais pas si loin que M. le ministre des finances, j'ai un point d'arrêt.

Que propose le ministre des finances ? De mettre une entrave à votre fabrication ; il propose, quand vous serez parvenus à bien travailler, à travailler beaucoup, de vous arrêter, de vous faire payer double, triple, de vous surcharger en un mot. Je dis que les sucres ne doivent payer que pour les besoins du trésor ; si le trésor a des besoins, qu'on fasse payer, car vous ne pouvez faire payer que parce que vous avez besoin d'argent et non parce qu'une industrie prospère.

Je ne comprends pas qu'un esprit aussi judicieux que M. le ministre des finances ait pu produire un raisonnement semblable : Vous faites beaucoup, votre industrie prospère, vous payerez beaucoup ; le trésor n'a pas besoin d'argent, c'est égal vous payerez parce que vous prospérez. Mais vous changez de langage, car vous aviez dit que vous aviez besoin de trois millions, et que votre projet n'avait pour but que d'obtenir ces trois millions, que si votre combinaison ne les produisait il faudrait la modifier ; mais vous n'avez jamais dit qu'il fallait dans des circonstances données élever le droit pour entraver l'industrie quand le trésor n'aurait pas de besoin.

Je pense, M. le ministre, que vous ne soutiendrez plus cette idée-là, et si vous la soutenez, vous n'aurez pas de succès ; j'ai une trop haute opinion de la chambre pour penser qu’elle accepte une pareille proposition.

Je pense que ma combinaison est plus heureuse. Que M. le ministre n'y mette pas d'entêtement ; je n'ai pas de plaisir à le contrecarrer, mais à chercher à faire quelque chose de mieux. Je désire que si on doit frapper le sucre, on frappe également l'un et l'autre sucre. Je dis dans le dernier paragraphe de mon amendement :

« Toutefois sans pouvoir dépasser 40 francs pour l'accise et 72 58 soit 62 francs du chef de restitution ou rendement. »

C'est autant pour le sucre indigène que pour le sucre exotique. On pourrait croire qu'il ne s'agit que du sucre exotique ou du sucre de betterave ; il s'agit de l'un et de l'autre.

Si le trésor ne pleure pas pour avoir plus de recettes, MM. des betteraves, vous ne payerez que 50 fr.

Quand vous avez des droits de consommation on doit les prélever sur celui qui consomme, n'importe d'où vient la matière consommée, de la betterave, ou de la pomme de terre, ou de la canne ; car on fait aussi du sucre de pomme de terre, et à la fin de la loi j'aurai soin de demander qu'on empêche la fabrication du sucre tiré d'une denrée autre que la betterave ou la canne, car j'aime à croire qu'il y a d'autres plantes que la betterave qui donneront du sucre. Il est possible que le génie trouve, (page 1664) la chimie aidant, d'autres moyens de produire le sucre. Vous devez donc établir en principe un droit de consommation sur le sucre, n'importe d'où il vienne maintenant.

Si les exigences du trésor dépassent le chiffre qui aura été fixé par mon amendement, il faudra s'adresser à la législature ; la latitude est assez grande pour que le ministre doive s'arrêter là.

J'ai commencé par vous dire, messieurs, que le chiffre de 66 fr. où rendement de 68 18 je ne l'admets qu'à mon corps défendant et contre l'opinion des industriels de mon pays. Ils supposent que leur industrie ne pourra pas facilement exister avec ce chiffre ; mais je fais la part de la situation, parce qu'elle est difficile. Je ne veux pas accorder au ministre d'aller au-delà des 72 58 qui lui ont coûté tant de peine à établir ; car il a déclaré formellement qu'en allant jusque-là le trésor serait garanti ; il l'a dit dans cette enceinte et à la section centrale. C'est un maximum que l'on veut voter éventuellement.

Mais je me hâte de faire remarquer qu'il ne faut qu'un droit de 30 fr. sur la betterave. Aujourd'hui, il est donc revenu à de meilleurs sentiments. Voyant qu'on allait au-delà de trois millions, comme il ne veut que trois millions, il a réduit ses prétentions, mais en faveur de la betterave.

Je prie la chambre de remarquer que je ne parle pas ici au nom de ceux dans la dépendance desquels on pourrait me croire ; car la localité à laquelle j'appartiens préférerait une loi qui ne permît pas à l'industrie du sucre indigène de se soutenir ; tandis que je réclame en ce moment pour les deux industries.

Le dernier paragraphe tend à qu'on ne dépasse pas 72 58 et 40 fr. Si M. le ministre, mettant de côté toute prévention, veut bien examiner mes amendements, j'espère qu'il les appuiera, et que nous pourrons être d'accord.

Je dépose mes amendements.

- M. Dumont remplace M. Liedts au fauteuil.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Lorsqu'au début de la discussion, j'ai modifié les propositions que j'ai soumises à la chambre, je n'ai cédé à aucune influence, que je ne puisse reconnaître à cette tribune.

La question des sucres est assez difficile par elle-même ; elle embrasse assez d'intérêts pour qu'on comprenne facilement qu'une étude continuelle, incessante porte ses fruits. Je n'éprouve aucune répugnance à convenir que j'ai continué cette étude depuis le commencement de cette discussion, je la continuerai jusqu'au vote.

J'ai reconnu, dès le début de la discussion, et par suite de ces études, que si le projet eût été voté tel qu'il était primitivement conçu, la concurrence pour l'industrie du sucre exotique eût été rendue très difficile, sinon impossible. J'ai donc atténué la proposition primitive. Mais j'ai cru nécessaire, au point de vue où le gouvernement s'était placé, d'améliorer en même temps la position de l'industrie du sucre de betterave.

Il n'y a donc ici aucune autre influence que le désir que je puis hautement avouer d'assurer à chacune des deux industries une position meilleure, une position que le projet primitif ne leur faisait pas. Si je m'étais trompé, messieurs, ce ne serait pas une raison pour chercher, par des insinuations, à faire croire à des motifs que je ne veux pas qualifier.

L'honorable membre m'a fait la recommandation de ne pas mettre d'entêtement dans cette discussion. Messieurs, si l'honorable membre avait trouvé cette pierre philosophale qu'il me reproche d'avoir cherchée et que je n'ai pas la prétention d'avoir trouvée, j'adopterais immédiatement le remède qu'il propose. Toutefois, à première vue, ces amendements que je me réserve cependant d'étudier avec le plus grand soin, avec le désir de découvrir que l'honorable membre a bien résolu la question, ces amendements, dis-je, ont fait naître en moi une objection très forte.

Je ne comprends pas comment on peut établir une connexité entre le droit d'accise sur le sucre de betterave et les recettes du trésor. Je ne comprends pas comment on peut établir une connexité entre le chiffre du rendement, chiffre qui est commun aux deux sucres, et le droit différentiel d'accise qui est spécial à la betterave.

Je m'explique.

Pourquoi n'admettons-nous pas l'égalité des droits ? Pourquoi diminuons-nous le chiffre de l'accise en faveur du sucre indigène ? C'est d'abord pour assurer la coexistence, et c'est aussi pour donner à cette industrie une protection d'une manière tout exceptionnelle, non applicable à nos autres industries, mais dont le but est identique.

L'industrie du sucre indigène est la seule en faveur de laquelle la protection soit établie au moyen d'une différence dans le droit d'accise, tandis que pour les autres la protection est établie par le tarif des droits de douane ; et ce n'est pas, messieurs, veuillez le remarquer, dans l'intérêt du sucre indigène, que le droit protecteur est établi à l'accise ; mais uniquement, exclusivement dans l'intérêt du sucre exotique. Si, en effet, vous faisiez pour cette industrie ce qui existe pour les autres, si vous établissiez un droit de douane élevé sur le sucre exotique, il est évident que l'industrie du sucre exotique serait immédiatement frappée de mort.

Vous voulez donc un droit protecteur sous une forme spéciale. Cette différence de droit d'accise vous ne l'établissez pas en vue de la recette, mais plutôt en vue de la coexistence des deux sucres et de la protection que l'on veut assurer à l'industrie indigène.

Il y a plus encore, messieurs, le rendement est commun aux deux industries. Si vous augmentez le rendement ou si vous diminuez la décharge, vous atteignez également, proportionnellement et la canne et la betterave. De sorte que l'amendement de l'honorable M. Manilius a cette portée que, parce que vous êtes dans la nécessité de frapper la betterave, vous la frappiez une seconde fois ; que parce que vous êtes obligé, quant à l'industrie indigène comme à l'égard du sucre exotique, de diminuer les avantages de la législation, afin d'assurer les recettes du trésor, vous frappiez une deuxième fois, d'une autre manière, l'industrie du sucre indigène.

J'aime à croire, comme le dit l'honorable membre, que telle n'est pas son intention. Mais j'ai compris son amendement en ce sens que tel en serait le résultat, et j'essaye de le démontrer à la chambre. Le maximum que l'on désire voir écrire dans la loi, j'ai déjà fait connaître les motifs pour lesquels je crois devoir m'y opposer ; toutefois, je n'hésite pas à déclarer que le jour où il serait nécessaire d'élever le rendement du sucre exotique, non pas au-dessus du rendement hollandais, mais seulement au taux de ce rendement, le gouvernement ne le ferait pas sans en référer à la législature, car si nous établissons notre rendement à un taux inférieur, nous le faisons afin que la concurrence reste possible.

Je m'oppose à ce que la nécessité de l'intervention des chambres soit inscrite dans la loi, parce qu'il est possible, probable même, que le rendement hollandais, tel qu'il existe aujourd'hui, sera, lui aussi, renforcé, et que s'il était porté à 76, par exemple, je ne vois pas de motif pour interdire au gouvernement de porter le nôtre à 72 ou 73 sans l'intervention de la législature.

L'honorable M. Manilius s'est préoccupé, messieurs, de la fabrication de sucres tirés de matières autres que la betterave. Déjà, par la loi du 4 avril 1843, on a autorisé ou plutôt obligé le gouvernement à établir l'accise sur ces sucres. L'année dernière il existait en Belgique trois fabriques de sucre de glucoses extrait de pommes de terre.

J'ai proposé au Roi un arrêté imposant à ces fabriques l'accise proportionnellement à la valeur de leurs produits. Ces sucres sont incristallisables ; ils restent à l'état de mélasse. Quelque temps après, soit que le fait doive être attribué à la crise des pommes de terre, soit, ce que je pense, qu'il faille l'attribuer, du moins en partie, à l'arrêté lui-même, ces fabriques ont déclaré qu'elles cessaient leurs travaux ; de sorte qu'aujourd'hui il n'existe plus en Belgique d'autres fabriques de sucre indigène que les fabriques de sucre de betterave.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, j'ajouterai quelques mots d'abord à ce que vient de dire mon honorable collègue le ministre des finances, en réponse au discours prononcé par l'honorable M. Manilius, et relativement aux amendements qu'il vient de vous proposer.

L'honorable M. Manilius a reproché au gouvernement ce qu'il a appelé un revirement d'opinion, c'est-à-dire les modifications apportées depuis l'ouverture de la discussion, au projet de loi primitif. Mais, messieurs, je m'étonne que l'honorable membre ait adressé un semblable reproche au gouvernement, car ce revirement nous a singulièrement rapprochés de l'opinion que M. Manilius a défendue, comme je vais le démontrer en peu de mots.

En effet, messieurs, quelle différence y a-t-il entre les principes des amendements de l'honorable M. Manilius et le principe du projet de loi modifié ? L'honorable M. Manilius veut un rendement de 68 au lieu d'un rendement de 69 1/4 que le projet de loi a fixé. Ainsi, comme l'a déjà dit mon honorable collègue des finances, la distance, sous ce rapport, n'est plus entre nous que de 1 fr. ; nous aurons à apprécier, dans la discussion des articles, quelle est l'importance de cette différence.

M. Manilius veut de plus que l'on fixe un maximum à l'échelle ascendante du rendement, et il le limite à 72 1/2, c'est-à-dire au chiffre du rendement hollandais. Eh bien, mon honorable collègue vient de faire la déclaration que cette limite est fixée dans l'intention du gouvernement, et j'ajouterai : par la nature même des choses. Il est impossible, en effet, que jamais le gouvernement fixe le rendement au-dessus du rendement hollandais ; seulement si le rendement hollandais est augmenté plus tard, on pourra aussi élever notre rendement dans le cas où la somme de 3 millions ne serait plus atteinte.

Ainsi, messieurs, en ce qui concerne la limite à déterminer pour le maximum du rendement, la différence consiste en ce que les honorables membres voudraient la fixer dans la loi, tandis que le gouvernement déclare qu'elle est dans ses intentions et qu'elle résulte de la nature même des choses.

L'honorable membre admet l'accise de 30 fr. pour le sucre de betteraves, c'est-à-dire une protection de 15 fr. ; c'est un grand pas vers la conciliation ; la seule différence encore qui existe ici, c'est que l'honorable M. Manilius propose un autre système d'échelle ascendante. D'après le projet du gouvernement, le droit d'accise sur le sucre de betterave s'élèverait à mesure que la production du sucre de betteraves s'étendrait, à mesure qu'elle dépasserait le chiffre de 3,800,000 kilog. D'après M. Manilius l'échelle ascendante monterait à mesure que le rendement du sucre exotique s'élèverait lui-même, et dans la même proportion. C'est un autre système d'échelle ascendante qu'il faudra soigneusement examiner, mais, comme l'a dit M. le ministre des finances, il semble, à la première vue que le système du gouvernement est préférable.

Ainsi, d'après le système de l'honorable député de Gand, on punit le sucre indigène de la prospérité du sucre exotique. En effet, à mesure que le développement commercial s'étendra, c'est-à-dire, à mesure que la prospérité du sucre exotique s'accroîtra, le rendement devra s'élever, parce que la recette du trésor diminuera ; eh bien, M. Manilius augmente dans la même proportion le droit d'accise sur le sucre indigène, c'est-à-dire, je le répète, qu'il punit le sucre indigène de la prospérité du sucre exotique, de l'extension donnée au mouvement (page 1665) commercial. Dans le système du gouvernement, au contraire, le droit sur le sucre indigène n'augmentera que proportionnellement à la prospérité même que cette industrie indigène pourra acquérir.

Quoiqu'il en soit, messieurs, vous voyez bien que, pour les principes essentiels, nous sommes bien près d'être d'accord. Nous ne sommes séparés les uns des autres que par des questions de nuances que la discussion, je l'espère, fera disparaître.

Messieurs, au début de la discussion l'on paraissait d'accord que notre législation nouvelle devait être à la fois commerciale, industrielle et financière. Il faut cependant bien le dire, pendant les derniers jours de cette discussion plusieurs orateurs ont oublié un peu ce point de départ et suivi le penchant de leurs propres idées.

Ainsi, les uns ont fait la guerre à l'intérêt commercial, qu'ils ont appelé un intérêt étranger. Messieurs, l'intérêt commercial, auquel se rattache évidemment la question du sucre exotique, cet intérêt commercial n'est pas plus étranger, est tout aussi national que l'intérêt d'une industrie quelconque ou que l'intérêt agricole. C'est par une véritable confusion d'idées que l'on a parlé ici d'intérêts havanais ou d'intérêts brésiliens.

Le commerce, la navigation, ont sans doute pour objet les relations avec les pays étrangers, mais sont-ils moins pour cela un intérêt national ?

Les autres ont nié la possibilité de coexistence entre les deux industries ; c'est l'honorable M. Delehaye qui a déclaré qu'il regarderait comme une illusion la tentative de pouvoir concilier ces deux intérêts.

Messieurs, je comprends jusqu'à un certain point que quelques honorables membres puissent regretter que la culture de la betterave se soit acclimatée en Belgique ; mais cet intérêt existe, il a acquis de l'importance, il a droit à la protection du gouvernement, comme tout autre intérêt majeur du pays.

Pour le trésor, peu d'orateurs ont pris soin d'en prendre la défense, et l'honorable M. Manilius a semblé faire tout à l'heure un reproche à M. le ministre des finances d'avoir soutenu ces intérêts avec persistance et habileté ; mon honorable collègue pourrait remercier l'honorable membre de ce reproche qui ressemble à un compliment.

Messieurs, dans la discussion de ces jours derniers, j'ai été frappé d'un fait, c'est qu'on a renouvelé les arguments qui avaient été jetés dans la discussion en 1838 et en 1843, comme si le système de la loi nouvelle n'avait pas détruit à l'avance la plupart de ces arguments. Ainsi, on a voulu rétablir la guerre entre le sucre exotique et le sucre indigène, à propos du rendement ; eh bien, comme je n'aurai pas de peine à le démontrer, cette argumentation n'a plus de valeur en présence des principes de la loi nouvelle.

Dans le système de 1843, la conciliation entre les trois intérêts, l'intérêt commercial, l'intérêt industriel et l'intérêt financier était impossible ; on a poursuivi une véritable illusion, l'expérience l'a prouvé. Mais pourquoi, messieurs ? parce que le système des retenues forcées en faveur du trésor public, d'un rendement légal trop bas, et d'un droit protecteur trop élevé pour le sucre indigène, mettait une barrière à l’extension de notre mouvement commercial ; ce système forçait le sucre exotique de se jeter sur le marché intérieur et d'y établir une lutte de concurrence avec le sucre indigène.

Quels ont été les résultats de ce système ? Vous les connaissez : l'encombrement sur le marché intérieur, l'avilissement des prix, l'établissement d'une prime de mévente qui s'est élevée à 30, 40, 50 et jusqu'à 64 pour cent. Or, sous l'influence de ces résultats, toutes les prévisions de la loi de 1843 ont disparu ; le rendement de 57 que le sucre exotique avait réclamé comme moyen de salut, est devenu complétement illusoire, car l'exportation a été entravée ; l'égalité de droit qui était l'effroi du sucre indigène, le sucre indigène l'a subie et au-delà ; le trésor public qui devait recevoir 3 millions n'a pas perçu la recette qui était dans les prévisions de la loi.

Tous ces résultats viennent d'un seul fait, c'est parce que le système de la loi de 1843 forçait le sucre exotique, par les entraves mises aux exportations, à se refouler sur le marché intérieur et à y organiser la concurrence fatale aux deux sucres ; eh bien, la nouvelle loi que nous discutons, rend ces résultats impossibles. D'après la nouvelle loi, la recette du trésor est toujours assurée, parce que le gouvernement a la faculté d'élever le rendement, proportionnellement à la diminution qui pourrait avoir lieu dans les recettes.

L'honorable M. Delehaye nous disait dans une séance précédente qu'il aurait fallu prélever l'impôt directement sur le consommateur. Messieurs, c'est précisément une des grandes différences qui existent entre la loi ancienne et la loi nouvelle, c'est que, dans la loi ancienne, l'impôt était prélevé sur le commerce dont il empêchait l'extension et sur l'industrie qu'il entravait par le système des retenues forcées, tandis que par la loi nouvelle, c'est sur le consommateur, c'est-à-dire sur le rendement réel, que l'impôt est perçu.

Par la suppression des retenues, on évite l'encombrement, on prévient l'avilissement des prix sur le marché intérieur, on rend dès lors toute prime de mévente impossible ; on dégage complétement le marché intérieur, et alors il est permis d'assurer au sucre indigène une place convenable sur ce marché.

Ainsi, messieurs, dans le système que nous défendons, l'antagonisme qui existait, d'après les idées de 1843, entre le sucre indigène et le sucre exotique ; cet antagonisme cesse, autant qu'il est possible de le faire cesser.

Le sucre indigène reprochait au sucre exotique ce qu'on appelait le rendement fictif et la prime que ce rendement constituait ; il lui reprochait les quantités de sucre, indemnes de droit, qu'il plaçait ainsi dans la consommation.

Le sucre exotique reprochait au sucre indigène de ne pas subir l'égalité des droits.

Eh bien, quel est le résultat de la loi nouvelle ? Par cette loi, le rendement réel, en tant qu'on le met en corrélation avec une recette assurée de 3 millions de francs, ce rendement réel est toujours atteint, parce que le gouvernement aura la faculté de l'élever, si la recette diminue. C'est là un système de vérité substitué à un système de fiction.

Je dis que le rendement réel, calculé sur une recette de 3 millions, sera atteint. Chaque fois que le développement commercial s'étendra ; chaque fois que le rendement réel s'élèvera au-dessus du rendement légal, qu'une différence trop grande existera entre ces deux rendements, la recette diminuera, mais alors le gouvernement, ayant la faculté de l'élever, atteindra toujours 3 millions.

L'égalité de droit pour les deux sucres, c'est aussi un résultat final de la loi, parce que, si le sucre indigène dépasse la limite de 3,800,000 kilog., il parviendra à atteindre l'égalité de droits, sauf la différence de valeur intrinsèque relativement aux bas produits qu'il faut évaluer de 5 à 7 francs.

Le sucre indigène, bien loin d'avoir intérêt à demander qu'on fixe un rendement bas pour le sucre exotique, a un double intérêt à voir ce rendement fixé de manière que l'exportation soit toujours possible. En effet, si vous fixiez le rendement à un chiffre trop élevé, de manière à rendre impossible la concurrence avec la Hollande, de manière à rendre difficile, comme sous l'empire de la loi de 1843, l'exportation du sucre exotique, qu'arriverait-il ? Le sucre exotique serait de nouveau repoussé sur le marché intérieur, à cause du défaut d'exportation ; vous auriez de nouveau l'encombrement, l'avilissement des prix, tous les efforts que vous voulez faire cesser aujourd'hui.

La seconde raison pour laquelle le sucre indigène a intérêt à ce que le rendement légal ne soit pas fixé à un chiffre trop élevé, c'est que depuis qu'il jouit de la haute décharge pour l'exportation, il ne doit pas désirer que l'obstacle d'un rendement exagéré serve de barrière à cette exportation.

L'honorable M. de La Coste a cru que l'exportation du sucre indigène ne pourrait pas avoir lieu. Déjà M. Loos a répondu à cette objection ; mais il y a un fait qui sert de réponse péremptoire. Je dirai à l'honorable membre : Comment ! le sucre indigène a exporté sous l'empire de la loi de 1843 en payant plus que l'égalité du droit, et avec une décharge différentielle ; et d'après le système de la loi nouvelle quand le sucre indigène jouira de la haute restitution et d'une protection de 15 fr., il n'exporterait pas ! Je ne vois aucune raison sur laquelle on puisse faire reposer cette allégation.

Le sucre indigène n'a aucun intérêt à demander un rendement trop élevé parce qu'il entraverait l'exportation, créerait une nouvelle concurrence sur le marché et ramènerait la perturbation que la loi de 1843 avait produite.

D'un autre côté le sucre exotique a-t-il bien intérêt à s'opposer à la protection de 15 fr. que la loi accorde dans la limite de 3 millions 800,000 kilog. ?

L'amendement proposé par M. Manilius sert de réponse à cette question, il admet comme le gouvernement une protection de 15 fr. pour le sucre de betterave. Je me réjouis que ce chiffre de protection, dont on avait fait un si vif reproche au gouvernement, soit accepté par les députés de Gand et d'Anvers. En effet, une fois que la loi permet d'élever le mouvement commercial, du chiffre de 14 millions de kilog. où il est tombé, à celui de 40 millions, le sucre exotique aura un bien mince intérêt à ce que le sucre de betterave s'empare du tiers de la consommation du pays avec une protection de 15 fr. Ce sera un bénéfice pour le sucre indigène, mais il ne l'obtiendra pas au détriment du sucre exotique.

Ainsi l'antagonisme qui était établi sous la loi de 1843 n'existera plus au même degré sous la législation nouvelle. La question du rendement me paraît simple et d'une appréciation facile. Le rendement, selon moi, doit être fixé à la limite où les trois millions de francs se trouvent assurés au trésor et où l'exportation est permise, et peut se développer en présence de la concurrence hollandaise. Voilà le problème à résoudre.

N'oublions pas que la difficulté n'existe que pour les dix-huit premiers mois de la loi ; le gouvernement, après ce terme, ayant la faculté d'élever le rendement pour assurer la recette de trois millions. La difficulté n'existe donc que pour la fixation du premier échelon du rendement pendant les dix-huit premiers mois. Le seul fait à examiner est dont celui-ci : reconnaître si la restitution de 65 ou de 66 fr., comme le propose M. Manilius, assure pendant un an et demi la recette de trois millions qu'on veut garantir au trésor.

La question du rendement n'est pas posée entre les deux sucres.

Un membre. - C'est vrai.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Le sucre indigène n'a pas intérêt à contester un rendement modéré au sucre exotique ; c'est exclusivement une question de trésor public.

L'objection soulevée dans une séance précédente relative à la valeur comparée du sucre java et du sucre havane perd dès lors de son importance. En effet, une fois la recette du trésor assurée, il faut choisir, selon moi, le rendement qui place le sucre belge dans les meilleures conditions de concurrence avec le sucre hollandais pour le premier échelon de droit à établir.

(page 1666) Il n'y a qu'un seul intérêt qui doive désirer de voir le rendement s'élever graduellement, c'est l'intérêt commercial. C'est le seul moyen d'étendre le mouvement de nos importations et de nos exportations.

Je suis convaincu que le rendement de 60 qu'il s'agit de fixer devra s'élever dans l'intérêt du commerce dont le mouvement doit s'étendre dans l'intérêt du pays ; il s'élèvera en Belgique comme en Hollande, à mesure que des perfectionnements seront apportés à la fabrication.

Examinons donc là question la plus sérieuse, celle du trésor public. Le rendement de 69 assure-t-il, pendant les 18 premiers mois, la recette de trois millions au trésor public ?

Permettez-moi, messieurs, de poser quelques faits très simples : le chiffre maximum de mise en raffinage qui a été atteint depuis 1834, s'est élevé, en 1840, à 25,400,000 kilogrammes. Jamais il n'est remonté à ce chiffre dans les plus fortes années après 1840. En 1834, la mise en raffinage a été de 23,800,000 kil ; en 1836, de 22,700,000 kil. ; en 1835 et en 1837, d’environ 20,000,000 kil.

Pendant les cinq années d'un chiffre plus faible, 1832, 1838, 1841, 1844 et 1845, la mise en raffinage a été de 18, 16, 15, 13 et 10 millions dé kilog.

La moyenne générale de 1834 à 1845 a été de 18,000,000 kil.

Je vous le demande, messieurs, est-il possible de supposer que la mise en raffinage de 10 millions, qui est le chiffre de 1845, puisse s'élever, pendant les 18 mois dont il s'agit, au maximum de l’année 1840, à 25 millions de kilog. Chacun sait que toutes les raffineries étaient alors en activité ; depuis lors plusieurs ont été détruites, ont changé d'usage ; d'autres sont en liquidation ; il faudra assez longtemps pour que ces fabriques en liquidation puissent être remises en plein travail.

Dans l'état actuel des raffineries, il faudra un certain temps pour atteindre, non le maximum de 25 millions, mais 20 millions qui est le chiffre des années les plus fortes en dehors de 1840.

Messieurs, supposons une mise en raffinage dans l'année de 20 à 22 millions de kil., ce qui est peut-être une exagération. Admettons le rendement de 69, supposons même le rendement de 68 qu'a proposé l'honorable M. Manilius ; et d'un autre côté acceptons l'hypothèse que le rendement réel atteindra pendant cette année le taux du rendement hollandais, c'est-à-dire près de 75. Eh bien, pour une mise en raffinage de 20 millions de kil., au rendement légal de 69,avec un rendement réel de 73, la recette dépassera 4 millions de francs.

Mon honorable collègue, M. le ministre des finances, a dû songer à l'imprévu, et s'il n'avait pas dû supposer l'imprévu, évidemment ce ne serait pas le chiffre de 69 qu'il aurait proposé, mais un chiffre de rendement plus bas. Mais il a dû faire une part à l'imprévu, d'abord parce que les calculs que je viens de faire reposent sur une première donnée, c'est que la consommation de sucre fin en Belgique est de 7 millions 500,000 kil. Je crois cette donnée assez exacte. Elle est établie sur ce fait que la consommation en Belgique serait de 1 3/4 kil. par tête.

Le ministre des finances néerlandais évalue la consommation en Hollande à 3 kil. par tête ; en Prusse et en France elle est évaluée à 2 3/4 kil ; en Angleterre, et je ne veux pas ici prendre de terme de comparaison, elle est de 6 à 7 kil. ; tandis qu'on ne l'a évaluée en Belgique qu'à 1 3/4 kil., ce qui correspond au chiffre de 7,500,000 kil. pour la consommation en sucre fin. Or, messieurs, bien que ce calcul repose sur des données que nous devons supposer exactes, cependant ces chiffres ne sont pas officiels, et mon honorable collègue, M. le ministre des fînances, a dû tenir compte, dès lors, d'un certain imprévu. Si mon honorable collègue n'avait pas fait cette part, large selon moi, aux éventualités, évidemment il ne risquait rien d'établir le chiffre du rendement à 68 ; les 3 millions de francs seraient évidemment dépassés.

Du reste, messieurs, la différence entre nous et ceux qui nous combattaient hier, n'est plus, sous le rapport du rendement, que d'un franc. Or, cette différence peut-elle justifier les accusations dont le gouvernement a été l'objet dans la séance précédente ? Peut-on accuser le gouvernement d'esprit de partialité en faveur des campagnes ou contre l'intérêt des villes, lorsqu'il ne s'agit plus entre nous que d'une différence de 1 fr. pour le chiffre du rendement ?

Cette question, messieurs, n'a plus à mes yeux qu'un intérêt secondaire, au point de vue du trésor public. Veuillez bien ne pas oublier, que sur une mise en raffinage de 20 ou 22 millions de kil., la différence de 1 fr., c'est-à-dire la différence de 68 à 69 pour fixer le rendement, ne représente pour le trésor qu'une somme de 70 à 90 mille francs.

Ainsi, je dois le dire, nous sommes divisés par une nuance d'opinion. Le gouvernement aura à examiner sérieusement si au chiffre de 68, la recette du trésor est assurée. Si elle ne l'est pas complétement, si des doutes sérieux peuvent subsister. Je dis que le gouvernement ne peut pas admettre ce chiffre. Mais s'il lui est démontré que la recette de 3 millions sera atteinte avec le rendement de 68, évidemment alors la question est jugée. Car, comme je l'ai dit, la question du rendement n'est plus posée entre les deux sucres, elle concerne presque exclusivement le trésor public. (Dénégations.)

J'attends qu'on me démontre quel est l'intérêt qu'a le sucre indigène à ce que le rendement soit fixé à 69 plutôt qu'à 68 p. c.

M. Eloy de Burdinne. - Je vous le démontrerai tout à l'heure.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je serai enchanté d'entendre cette démonstration.

Ainsi, messieurs, le système de la loi est celui qui garantit de la manière la plus certaine la recette de 3 millions assignée pour le trésor public. La question du rendement, je le répète, doit être examinée au point de vue du trésor public. Le sucre indigène, bien loin d'avoir un intérêt à l'élever, a un intérêt tout contraire, et je l'ai démontré. Le sucre exotique, de son côté, n'a aucune raison sérieuse pour s'opposer à la protection de 15 fr. que le gouvernement propose d'accorder au sucre indigène. Nous paraissons être d'accord sur ce point, puisque l'honorable M. Manilius a lui-même proposé ce chiffre.

Il ne restera donc plus à l'égard du sucre indigène, qu'à examiner une seule question : Le principe de la limitation de quantité et le système de l'échelle ascendante.

Le système d'échelle ascendante que je crois jusqu'à présent le meilleur, celui du gouvernement, satisfait-il mieux aux intérêts généraux que le système d'échelle ascendante proposé par l'honorable M. Manilius ? C'est une question que mon honorable collègue M. le ministre des finances s'est réservé d'examiner avec le plus grand soin.

Messieurs, j'avais l'intention d'entretenir encore la chambre de la question commerciale, de l'influence que le commerce de sucre doit avoir pour créer un marché d'importation à Anvers et pour développer nos exportations industrielles. Mais je me sens un peu fatigué. J'attendrai j que d'autres orateurs aient pris part à la discussion pour en venir aux i considérations que je me proposais de présenter encore.

(page 1680) M. de La Coste. - Messieurs, ne siégeant pas sur les mêmes bancs où sont placés les deux derniers orateurs, j'ai toujours grand plaisir à entendre l'honorable M. Manilius. Cependant, je suis forcé de l'avouer, je l'entends avec plus de plaisir, lorsque c'est sa propre éloquence qui coule de source, que lorsqu'il veut bien chercher à reproduire mes paroles ; je craindrais qu'il ne fût désagréable à la chambre, après m'avoir entendu très longuement, de m'entendre une seconde fois comme l'honorable M. Manilius m'a compris, et une troisième fois comme j'ai cru me comprendre moi-même.

Si l'honorable membre a vu quelque chose d'outrageant pour l'industrie des raffineurs dans le mot de prime, et si son observation à cet égard me concerne, je dois faire remarquer que cette expression est employée dans l'espèce par le ministre des finances de Hollande, et, si je ne me trompe, par l'association commerciale d'Anvers et par un homme dont le nom a souvent reparu dans cette polémique, par M. Matthyssens.

Messieurs, je ne partage pas du tout l'opinion de l'honorable M. Manilius sur les vues qui ont dirigé le ministère dans cette circonstance.

La loi de 1843, messieurs, a eu des résultats imprévus sous beaucoup de rapports. Elle n'a pas placé l'industrie indigène dans une position très désirable. Mais, messieurs, lorsque les débris que cette loi a faits auront été déblayés, la situation de l'industrie indigène sera, à tout prendre, plus favorable qu'elle ne le serait sous le régime de la loi en discussion, lors même que des modifications importantes seraient apportées aux derniers amendements présentés.

Je suis donc persuadé que M. le ministre des finances a eu surtout en vue de rendre un grand service au commerce et à l'industrie d'une de nos principales cités dont il connaissait bien les intérêts. Tel a été évidemment son but principal, et je pense que la chambre entière, s'il ne lui semblait pas désirable d'atteindre ce but, ne délibérerait pas même sur de semblables propositions. Ce sont nos sympathies, messieurs, pour cette grande ville commerciale, et pour la ville de Gand, qui font que nous ne repoussons pas tout d'abord cette mesure si onéreuse au trésor, ou aux contribuables, cette mesure tout à fait exceptionnelle, même dans notre système protecteur, d'une prime considérable accordée pour l'exportation d'un seul produit auquel le travail national a si peu de part.

Messieurs, on se plaint que M. le ministre des finances n'ait fait de concessions qu'à l'un des intérêts qui sont en lutte, et on dit que c'est aussi du côté des défenseurs de cet intérêt, dont on fait un parti, que des éloges lui sont venus.

Messieurs, mon style de chancellerie, comme l'a appelé l’honorable M. Manilius, n'est pas aussi animé que son éloquence parlementaire, et voilà peut-être pourquoi il a cru que j'applaudissais aux propositions de M. le ministre des finances. J'applaudis aux sentiments de conciliation qu'a témoignés M. le ministre des finances, comme aux sentiments de conciliation qu'a témoignés l'honorable M. Manilius. Mais je réserve tout à fait mon opinion sur les amendements de l'honorable M. Manilius que je n'ai pas eu le temps d'étudier, que je n'ai pu bien saisir à une première audition. Et quant aux amendements de M. le ministre des finances, ce sont les intentions que j'aime à lui supposer, et non ces amendements, que j'approuve.

On se plaint que M. le ministre des finances n'ait rien fait pour l'intérêt dont M. Manilius a pris la défense. Eh bien, messieurs, ce ministre demandait un rendement de 72 1/2 ; on l'a, pour ainsi dire, traîné à reculons jusqu'à un rendement de 69 et nous le voyons tout près de descendre à un rendement de 68. Or, qu'a-t-il fait pour ce côté vers lequel on prétend qu'il y a revirement ? Il a ajouté 8 fr. à son chiffre de protection et il en reprend 10 du même coup ; et ceci est très facile à saisir, si l'on suit le fil des idées de M. le ministre des finances.

Remarquez, messieurs, que je ne prends pas ici mes propres données, que je prends celles de M. le ministre.

M. le ministre des finances, ainsi que l'honorable M. Loos, a attribué à la production intérieure le tiers de la consommation. Je pense avoir bien entendu. La consommation intérieure est évaluée par le même ministre à 12,600,000 kil. de produits du raffinage. Je pense que ces deux données sont exagérées, mais je les prends comme on me les fournit. Eh bien, 12,600,000 kil. de produits du raffinage supposent plus de 13 millions bruts. Or, le tiers de 13 millions bruts, c'est un peu plus de 4,300,000 kil., précisément la quantité qui, suivant les amendements de M. le ministre des finances, donne ouverture au droit de 40 fr.

Ainsi, du moment qu'on atteindrait ce terme, qui, dans la pensée de M. le ministre des finances, est atteint dès à présent, du moins il m'a semblé le comprendre, vers lequel, du reste, on peut être conduit immédiatement par une bonne récolte, par la reprise des travaux de l'une ou de l'autre des fabriques qui les ont suspendus, on arriverait sur-le-champ au droit de 40 fr. Dès lors, comme je le disais, en nous donnant 8 fr., on en reprend 10.

Messieurs, ce qui rend la solution de cette question si difficile, c'est que nous voulons dominer l'avenir, un avenir que nous ne connaissons pas. C'est que nous avons à résoudre ou que nous nous posons un problème à plusieurs inconnues.

Une de ces inconnues, c'est, jusqu'à un certain point, la production réelle. Une autre de ces inconnues, c'est la question qu'a traitée l'honorable ministre des affaires étrangères : le sucre indigène sera-t-il l'objet d'une exportation ? Mais, remarquons-le bien, messieurs, on ne peut entendre par là qu'une exportation régulière, et non pas une exportation exceptionnelle.

Le sucre indigène n'a fait l'objet jusqu'ici que d'une exportation exceptionnelle. Dans l'un des derniers rapports joints au budget, M. le ministre des finances faisait observer que ses calculs étaient subordonnés à la question de savoir si les crédits du sucre indigène seraient apurés entièrement par payement de l'accise, et quelque temps après il annonçait que cela avait eu lieu. Il n'y avait donc pas eu d'exportation.

Mais, messieurs, remarquez-le bien, comment y a-t-il eu plus tard exportation ? Il y a eu quelques essais d'exportation réelle de la part de certains fabricants qui s'en sont fort mal trouvés. Mais du reste il y a eu transfert. Et pourquoi ? Précisément pour un motif que, dans les calculs par lesquels il veut établir qu'il y a eu égalité des droits sous la loi de 1843, M. le ministre des finances a perdu de vue ; c'est que, quand la prime excédait pour le sucre exotique 48 1/2, alors il y avait avantage, il y avait intérêt pour les exportants à acheter les droits du sucre indigène ; alors le sucre indigène obtenait également une prime de mévente, prime qu'il aurait fallu prendre en considération dans les calculs auxquels je viens de faire allusion.

Messieurs, je dirai un mot de ces calculs auxquels l'honorable rapporteur de la section centrale a donné son approbation, qu'il a accueillis avec tant d'empressement qu'il semblerait qu'il y savourât un certain goût de terroir. Effectivement, messieurs, ces calculs sur la prime de mévente sont d'une telle nature, sont tellement subtils que, pour se conduire dans ce labyrinthe, il faut le fil de ceux qui s'occupent spécialement de ces spéculations. Aussi serait-il très-difficile de rendre sensibles à la chambre les erreurs qui, selon moi, se sont glissées dans ces calculs. Il me semble cependant évident pour tout le monde, que, sauf le cas d'une raffinerie qui croule, qui fait des spéculations ruineuses et qui, par conséquent, va disparaître, le consommateur a dû réellement supporter la totalité des droits réellement payés au trésor, outre la totalité de la prime de mévente payée par les raffineurs à d'autres raffineurs.

Eh bien, c'est cette vérité si simple qu'on ne veut pas admettre. On va jusqu'à dire que les raffineurs auraient fait, sur ce qu'ils ont effectivement payé, une perte de plus de 11 fr. ; on ajoute, il est vrai, que dès lors ils devaient cesser de travailler. On reconnaît donc que si la chose a jamais existé, elle était anormale et nécessairement très passagère et l'on n'en part pas moins de là pour prouver le contraire de ce que le département des finances disait quelques mois auparavant pour prouver qu'il n'y avait plus de protection, qu'il y avait égalité de droits.

Dans un document émané du département des finances, vers la fin de l'été de 1845, on dit : « Au taux de 48 où la prime est parvenue, cette protection n'est plus que de 12 fr. 4 c. » Ainsi le département des finances reconnaissait que la protection était encore de 12 fr. 4 c. ; maintenant en soutenant que les raffineurs travaillaient à perte, qu'ils faisaient une perte de 11 fr. l'on est parvenu à éliminer cette protection. Voici comment on procède :

Les 4/10 des prises en charges payaient 18 fr. au trésor. Les 6/10 payaient environ 9 fr.

Or, dit-on, les mêmes sucres ne peuvent avoir deux prix. Partant de là on fait réagir la réduction du droit payé par l'un sur le droit paye par l'autre ; mais évidemment les choses ne se passent pas ainsi : quand il y a deux prix, il s'en forme une moyenne ; c'est là tout simplement la règle d'alliage que l'on apprend au collège.

Voici une indication peut-être plus sûre, quoique rien ne soit sûr en cette matière : le produit moyen de l'accise de 1844 et 1845, est de 3,137,888 fr. 15 c. ; à déduire la moyenne du produit du sucre indigène suivant les prévisions des deux budgets (c'est la seule donnée que j'aie à cet égard) : 448,919 fr. 90 c. Reste : 2,688,968 fr. 25 c. qui ont été payés par 7,556,459 kilog. qu'on trouve être restés dans la consommation, quand on déduit l'exportation de l'importation. Cela revient à 36 fr. 55 c. par 100 kilog. Protection : 16 fr. 55 c.

Il peut y avoir quelque erreur dans ce chiffre. Une partie de la somme peut appartenir à l'apurement de crédits d'un autre exercice, mais, messieurs, il est impossible d'admettre que régulièrement, d'une manière permanente, les contribuables aient payé moins d'impôt que ce que les raffineurs ont payé réellement. Les contribuables doivent même inévitablement avoir payé davantage, car ils ont dû payer en sus la prime d'exportation. Ainsi la protection a été en minimum telle que je l'ai indiquée.

Je passe maintenant, messieurs, à ce que disait tout à l'heure M. le ministre des affaires étrangères, savoir que le sucre indigène, que ceux qui ne veulent pas sa destruction n'ont pas intérêt à contester le rendement. Cependant l'honorable ministre des finances est parti, dans les rendements, d'un principe contraire ; il a admis (et cela est très réel) que quand on diminue le rendement on fait naître la prime de mévente et qu'il faut alors augmenter la protection de l'industrie indigène parce que cette protection s'efface par la prime de mévente.

Quant à la question de savoir si sous le régime de la loi nouvelle on exportera du sucre indigène, c'est, disais-je, une des inconnues du problème.

Sous la loi actuelle, si l'on exportait, ce n'était que par exception et pour des motifs spéciaux ; sous la loi qu'on vous propose il y aura certainement plus de chances d'exportation, mais il n'en est pas moins vrai que les fabricants de sucre indigène seront toujours, sous ce rapport, dans une position d'infériorité vis-à-vis des raffineurs de sucre exotique, car, ainsi que je l'ai déjà dit, ou bien le fabricant voudra exporter lui-même (page 1681) et alors il faudra qu'il passe par les intermédiaires des ports de commerce et ces intermédiaires lui enlèveront naturellement (ce n'est pas un reproche que je leur adresse), lui enlèveront une partie du bénéfice. L'opération pourra devenir moins bonne, elle pourra devenir mauvaise, elle pourra devenir impossible, suivant l'état du marché extérieur ; ou bien le fabricant vendra les droits et j'ai expliqué que c'était là une ressource nulle quand il n'y avait pas prime de mévente et que quand il y avait prime de mévente il n'en résultait pas un véritable bénéfice, pas même compensation complète, que ce n'était qu'une compensation partielle de la diminution de protection résultant de la mévente.

Une troisième hypothèse, c'est que le fabricant vendra ses sucres aux raffineurs qui travaillent également le sucre exotique et qu'il fera un transfert de droit en leur faveur. C'est encore là une chose plus ou moins hypothétique. Sous l'empire de la loi actuelle et précédemment, on a remarqué que les raffineurs imposaient souvent des conditions inacceptables aux fabricants de sucre indigène. Je ne dirai pas, messieurs, de quel côté se trouvaient les exigences exagérées, mais le fait est que les fabricants ne s'entendent pas avec les raffineurs et c'est là l'origine de l'introduction du raffinage dans les fabriques de sucre indigène. Eh bien, messieurs, ces difficultés peuvent se présenter encore. En un mot, messieurs, les fabricants sont, pour l'exportation, à la merci, soit des commissionnaires, soit des raffineurs des grandes villes.

Quelle sera maintenant leur position si l'exportation n'a pas lieu ? Il résultera alors des amendements proposés les conséquences les plus bizarres.

Il en résultera qu'à mesure que le sucre indigène sera plus imposé, le sucre exotique aura moins à verser au trésor pour compléter les 3 millions et pourra être de plus en plus dégrevé ; que dès l'origine même, sous le droit de 30 fr., le sucre exotique pourra payer beaucoup moins que le sucre indigène, pourra payer environ 20 fr. les 100 kilog., et qu'à la dernière limite de l'échelle lorsque le sucre indigène payera 40 francs, le sucre exotique ne payera plus en réalité que moins de 15 fr. Il payera toujours nominalement 45 fr., mais au moyen des excédants indemnes qu'il pourra verser dans la consommation il ne payera en réalité que moins de 15 francs. Je parle dans l'hypothèse que la fabrication indigène ne participe point au bénéfice de l'exportation.

Je dois un mot de réponse à ce qu'a dit l'honorable M. Loos quant à la position des choses en France. Puisqu'on a attaché beaucoup d'importance à cette comparaison, je crois aussi qu'il est important de rectifier les idées à cet égard.

D'abord je ne m'étendrai pas sur la différence totale de situation, sur la différence totale de motifs politiques.

Je veux me borner au fait en lui-même.

Mais, messieurs, je ne conçois réellement pas comment on peut faire de ceci une question, comment il est possible de supposer que les raffineurs qui sont obligés de se limiter aux produits de deux ou trois îles sont dans la même position que les raffineurs qui peuvent choisir dans l'univers entier les sucres qui leur conviennent, soit sous le rapport de la qualité, soit sous celui du prix. Si par exemple nous faisions une alliance intime de commerce avec la Hollande, si nous admettions librement tous les grains provenant du sol de la Hollande en excluant tout autre grain étranger, serions-nous dans la même position que le peuple qui admettrait tous les grains de l'univers ? Non sans doute, la position des producteurs de grains serait encore plus favorisée chez nous que chez le peuple qui admettrait librement tous les grains sans distinction.

En France, il y a sur les sucres blancs et terrés une surcharge qui n'existe pas chez nous ; en France, par la limitation du marché, lorsque le droit sur le sucre indigène augmente, lorsque par là il y a une tendance à une augmentation dans la production du sucre des colonies, on a nécessairement recours dans celles-ci à des moyens plus dispendieux de culture ou à des terres moins fertiles, et par là le prix du sucre français colonial monte.

Cette question a été traitée par d'autres que par nous. Voici un rapport de la chambre de commerce de Lille, où elle établit la comparaison entre les colonies françaises et les colonies voisines :

« Pour dépeindre la misère coloniale, y lit-on, M. le ministre dit que les colonies perdent 6 fr. par 50 kilog. de sucre en vendant ce produit à 17 fr., tandis que les enquêtes ont prouvé qu'il leur fallait un prix rémunérateur de 23 fr. »

Voilà la situation des colonies françaises en 1843 ; elles vendaient sur place les sucres à 17 fr., tandis qu'elles auraient dû avoir 23 fr. Je lis plus bas :

« Portorico, qui fabrique par les mêmes procédés, et se trouve dans les mêmes conditions de travail, ne réclame qu'un prix rémunérateur de 11 fr. les 50 kilog. de sucre rendu au port de départ. »

Ainsi, là on admet une différence de 12 fr. sur 100 kilog, à laquelle il faut ajouter le fret plus élevé en France, à cause du privilège exclusif du pavillon national, et puis la différence de valeur intrinsèque entre les Portorico et les Havane, différence égale à celle que l'on admet entre ceux-ci et la bonne quatrième des colonies françaises, que M. Matthyssens calcule à 6 fr., mais que généralement on porte à 3 ou 4 florins les 100 kilog.

Messieurs, on nous a opposé une moyenne prise sur 11 années ; eh bien, c'était le chemin le plus sûr pour arriver à l'erreur. Les prix des Havane ont comparativement diminué, les prix des colonies françaises ont comparativement haussé, cela devait être, d'une part, par les raisons que j'ai déjà indiquées et de l'autre par les dispositions du tarif anglais qui ont rendu fort difficile l'admission des sucres de la Havane.

Messieurs, au lieu donc de nous en rapporter à cette moyenne sur laquelle l'état des choses tel qu'il était à une époque sans rapport avec leur état actuel, a trop d'influence, voyons ce qui existe aujourd'hui.

Voici le résumé des notes qui m'ont été remises et qui mentionnent les prix en France et les prix à Anvers pendant les deux derniers mois.

Le sucre Bourbon a été au plus haut à 65 fr. les 50 kil. ; il y a eu une partie qui a été vendue en dernier lieu à 59 fr. 3/4 ; mais la bonne quatrième qu'on prend ordinairement pour base a été cotée à 62, et elle était au 29 mai à 60 les 50 kilog. ; cela fait pour 100 kilog. 120 fr. Les droits à francs 49 50 étant déduits, reste francs 70 50 Ajoutez la différence de valeur intrinsèque dont M. Malhyssens tient compte à raison de 6 fr., mais que je calcule sur la moyenne entre 3 et 4 fl. pour 100 kilog., c'est-à-dire 7 fr. 40 c, cela fait 77 fr. 90.

Il m'a été un peu plus difficile de connaître les prix à Anvers, et je dirai pourquoi. On met « Havane (très ordinaire) de 12 fl. 3/4 à 13 fr. » Après cela on voit : « secret, divers, non cité, etc. » Pourquoi les prix ne sont-ils pas indiqués ? Il faut croire qu'ils étaient plus bas qu'il ne convenait au commerce de le faire connaître.

Après cela, je vois la cote de 13 1/2 à 15 fl. 1/2, puis la cote de 14 1/2 puis la cote de 13 1/2 au 28 avril ; puis du Havane avarié de 25 1/2 à 31 1/4.

Ainsi, le dernier prix que je trouve sans qualification exceptionnelle est de 13 1/2 ; ce qui fait pour 100 kil., 57 fr. 14 c. ; maintenant de 77 fr. 90 c. les 57 fr. 14 c., il y a une différence de 20 fr. 76 c. Voilà une protection très suffisante, et l'on se contenterait même, je crois, à moins en Belgique. On dira peut-être qu'il y a quelques déductions à faire, le droit de douane, par exemple ; mais aussi il y a de la marge de 20 fr. 76 c. à 15 fr., que le ministre accorde ou semble accorder.

On a parlé de la surtaxe qui existe en France pour les sucres raffinés ; je crois que ceci tient au système des types ; je n'entrerai pas dans des détails à cet égard ; ils nous entraîneraient trop loin ; mais cette surtaxe correspond à la taxe des sucres blancs et terrés et n'affecte pas la situation générale des fabricants français,

La protection de 15 fr. que M. le ministre des finances propose maintenant avec des réserves, c'est eu égard à la différence des produits, et à l'éventualité de la mévente, moins que la protection douanière qui a été accordée aux tabacs. Les tabacs ne sont pas une industrie, du moins l'industrie y a beaucoup moins de part ; c'est presque exclusivement culture, tandis qu'ici il y a culture et industrie. Pour les tabacs, outre les droits de pavillon, de provenance, vous avez établi, pour ceux des Antilles, un droit de 15 fr., qui, avec les additionnels, revient à 17 fr. 40 c. ; pour les autres provenances, c'est un droit de 10 fr., lequel, avec les additionnels, fait 11 60 ; moyenne 15 fr. 50 c. (Interruption.) C'est pour prévenir tout reproche d'exagération que je mentionne les 10 fr., car j'aurais pu me borner à établir une comparaison entre les tabacs de la Havane et les sucres de la Havane.

Messieurs, je suis d'accord avec l'honorable M. Manilius, non pas sur ses amendements sur lesquels je réserve mon opinion, mais je suis d'accord avec lui sur ce point qu'il y a quelque chose d'inadmissible dans une limitation absolue de la production indigène, qu'il est impossible de dire à une industrie : Nous voulons bien vous tolérer, vous favoriser même jusqu'à ce que vous atteigniez une certaine limite, mais vous ne dépasserez pas le tiers, le quart de la consommation. C'est là de l'arbitraire, du bon plaisir. Il me semble qu'il faudrait tâcher de trouver quelque autre moyen de concilier les choses, ce que je désire fortement, non pas dans l'intérêt du sucre indigène, mais dans cet intérêt qu'ont fait valoir d'autres honorables membres de cette assemblée, dans cet intérêt que j'apprécie au point d'admettre pour lui une extension exceptionnelle de notre système général de protection, une protection toute spéciale et qu'on peut qualifier d'exorbitante.

J'ai dit que nous voulons dominer l'avenir. Nous voulons, le ministre veut du moins avec des données hypothétiques soumettre à un mécanisme inflexible les éventualités d'un avenir inconnu. Cela peut jusqu'à certain point se faire pour le rendement, parce qu'il y a une base fixe ; niais si l'on voulait établir une gradation pour le droit, il faudrait au moins procéder avec plus de ménagement, avec plus de prudence ; il vaut mieux réserver cela pour le temps où les faits seront posés, seront connus ; dire, si l'on veut, que dans telle supposition il y aura révision de cette partie de la loi ; mais ne nous engageons pas de plus en plus dans un dédale ; cherchons-en plutôt une prompte issue dans l'intérêt du commerce et de l'industrie.

Pour moi si les amendements de M. le ministre des finances ne sont pas entièrement modifiés sous le rapport que je viens d'indiquer, je ne pourrai pas les adopter.

J'admets son vœu de conciliation, il m'a toujours animé ; j'ai toujours désiré une transaction, mais je ne la crois pas possible sur ce pied-là. Je conçois qu'il y a quelque chose à dire dans ce sens ; je concevrais que si une expérience suffisamment longue constatait une diminution du produit de l'impôt non attribuable à l'exportation du sucre exotique, à la prime dont il jouit, une diminution provenant d'un développement très sensible et constant du sucre indigène excédant de 30, de 40, de 50p. c., en moyenne les quantités réellement produites pendant la série des années précédentes, je conçois que le trésor, que l'industrie du sucre exotique réclamassent alors, et demandassent que le sucre indigène contribue davantage à fournir la somme exigée. A ce point de vue, je comprends la possibilité qu'il y ait plus tard quelque chose à faire, mais quant à une limitation de production, je ne puis en admettre le principe. J'en dirai davantage sur ce point quand nous en viendrons à la discussion des articles.

(page 1666) M. Osy. - J'avais demandé la parole pour répondre à quelques orateurs qui ont pris la défense du sucre indigène, mais MM. Loos et Veydt ont répondu si victorieusement aux principaux arguments de ces honorables membres que je ne puis rien ajouter à ce qu'ils ont dit. Je.me bornerai à parler des amendements proposés par M. le ministre des finances et de ceux qui viennent d'être déposés par M. Manilius.

Pour moi, dans l'état où se trouve l'industrie, je pense que nous aurions bien fait de commencer par un rendement plus bas que celui proposé par M. Manilius, 66 fr. par exemple ; je suis certain que nous aurions les trois millions que nous avons fixés pour le trésor ; mais désirant la conciliation comme l'honorable préopinant, je veux bien me rallier au chiffre de 68. Avec ce chiffre il est certain que si la mise en raffinage ne dépasse pas 22 millions de kil., le trésor percevra près de quatre millions.

Quand M. le ministre aura bien examiné la question et vu combien il faut qu'il y ait de mise en raffinage pour obtenir les trois millions de recette, il se ralliera à ce chiffre. Nous prenons pour base trois millions, le fisc est désintéressé si nous y arrivons.

M. le ministre des finances nous a dit que si on trouvait que le rendement n'a pas été bien fixé, on devrait s'adresser à la législature. Si j'étais sûr que M. le ministre des finances se trouverait encore au pouvoir alors, je me contenterais de ses paroles ; la promesse de nous soumettre la question me satisferait ; mais nous avons si souvent des changements de ministère, et aucun changement de ministre ne pouvant lier son successeur, que je préférerais que cela fût écrit dans la loi, parce qu'alors un autre ministre serait obligé de soumettre la question à la législature pour assurer au trésor ses trois millions, dans le cas où l'industrie aurait fait des progrès.

M. le ministre a dit que, par l'amendement de M. Manilius, nous frappions deux fois la betterave, c'est-à-dire par le rendement et par l'impôt.

Je ne partage pas l'opinion de M. le ministre des finances, car si l'industrie indigène se développe elle pourra, comme l'industrie du sucre exotique, avoir une augmentation ; nous aurons une augmentation de rendement, elle aura une augmentation d'impôt. Je trouve la conception de M. Manilius très heureuse, car toutes deux marcheront ensemble. S'il n'y a pas de progrès, si nous ne pouvons mettre en raffinage que 22 millions de sucre exotique, nous resterons au rendement fixé par la loi et le sucre indigène payera 30 fr. Si l'industrie indigène peut augmenter sa production, elle pourra supporter une augmentation de droit de 5 francs.

Et au fur et à mesure qu'il y aura un franc d'augmentation sur le rendement, il y aura aussi 1 fr. d'augmentation pour l'industrie indigène.

Je crois, messieurs, que par cette conception de l'honorable M. Manilius, les deux industries seront mises sur le même pied. C'est une loi de progrès que nous propose l'honorable membre. Si nous ne faisons pas de progrès, nous savons que nous conservons le rendement de 68 et l'impôt de 30 fr. Mais s'il y a progrès, on augmentera et le rendement et l'impôt.

Je regarde, messieurs, ces propositions comme très justes, tandis que celles de M. le ministre des finances ne me paraissent pas aussi heureuses. En effet, M. le ministre évalue la production indigène à 3,200,000 kilog. Eh bien, il engage l'industrie indigène à aller jusqu'à 3,800,000 kilog, et alors il lui dit : Vous serez frappée. Mais comme il y a dans une industrie beaucoup de producteurs, l'un fera du tort à l'autre en augmentant sa production ; tandis qu'avec la proposition de l'honorable M. Manilius, tout le monde est sur la même ligne, tout le monde sait que s'il y a progrès il y aura augmentation d'impôts. Si le progrès continue, s'il faut revenir à un rendement plus élevé parce que la mise en raffinage a dépassé 22 millions de kilog. dans ce cas l'industrie indigène qui aura également pu prendre part à l'exportation, subira aussi les conséquences de ce progrès.

Quant à moi, messieurs, je vous l'avoue, j'aurais préféré que l'on établît immédiatement sur le sucre indigène le droit de 40 fr., parce que je crois que, dans l'intérêt de la Belgique, il est plus avantageux d'avoir un commerce qui nous permettra peut-être une exportation de 30 à 40 millions, que de conserver une petite industrie qui cultive 1,700 hectares.

(page 1667) Il me semble beaucoup plus important, dans l'intérêt général, d'avoir un grand mouvement commercial qui fait du bien à toutes les branches de l’industrie et même de l'agriculture.

Messieurs, l'industrie de la betterave reste véritablement stationnaire. La preuve, c'est qu'avant 1843, alors qu'il n'y avait pas de droits sur la betterave, on cultivait en Belgique 1,900 hectares de betteraves.

M. de Renesse. - 2,500 hectares.

M. Osy. - Soit, j'admets 2,500 hectares, tandis qu'aujourd'hui cette culture est réduite à 1,700 hectares. Il faut reconnaître que c'est là une industrie fort peu importante.

S'il s'agissait de laisser les terres en friche, je concevrais qu'on vînt demander une protection ; mais depuis quelque temps le prix des céréales est si élevé, que je n'ai aucune crainte quant à l’emploi de ces terres. Nous devons importer aujourd'hui non seulement des céréales, mais aussi des quantités considérables de graines oléagineuses et même du lin. Si donc on ne cultivait plus la betterave, il n'y aurait pas lieu de craindre que les terres destinées à cette culture restassent en friche.

Messieurs, je vous l'avoue franchement, je crois que si comme en 1843, nous discutions encore trois semaines nous ne ferions pas un pas de plus, que chacun conserverait son opinion. Le seul pas que pouvait faire la discussion, l'honorable M. Manilius le lui a fait faire, et je lui en rends grâce.

M. le ministre des finances et M. le ministre des affaires étrangères nous ont promis d'examiner attentivement la question, de voir si avec le rendement proposé par l'honorable M. Manilius le trésor est certain de recevoir les produits auxquels il prétend ; et si le gouvernement est rassuré sur ce point, je crois avoir compris qu'il se rallierait à la partie des amendements de l'honorable M. Manilius, relative au rendement. Car M. le ministre des affaires étrangères a dit lui-même, que si la mise en raffinage n'était que de 20 millions, la recette serait de 4 millions de fr. De sorte que pour les 18 premiers mois le gouvernement ne me paraît avoir rien à craindre. Il pourra, d'ailleurs, augmenter le rendement par arrêté royal jusqu'à la limite extrême de 72-58.

Je crois donc qu'il devrait se rallier à la proposition de l'honorable M. Manilius.

Quant à la betterave, je crois que la conception de l'honorable député de Gand de fixer le droit à 95 francs lorsqu'il y aura augmentation du rendement, est plus heureuse que la proposition du gouvernement, parce que par la proposition de n'augmenter le droit que lorsque la production sera arrivée à 3 millions 800,000 kil. on pourra engager beaucoup de personnes à cultiver la betterave, à élever de nouveaux établissements, et ensuite viendraient encore une fois les plaintes. Je crois qu'il vaut mieux que l'industrie sache d'avance que si elle prospère, elle devra supporter une aggravation de charges.

J'engage donc M. le ministre des finances à examiner la question, et à voir s'il ne peut se rallier aux propositions de l'honorable M. Manilius. Cela abrégerait singulièrement la discussion.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, les deux derniers orateurs qui viennent de prendre la parole veulent la conciliation. Mais au lieu de marcher vers ce but, l'un et l'autre se dirigent par des chemins en direction complétement opposée qui les en éloignent. Le gouvernement s'est tenu dès le principe et continue de se tenir au milieu des exigences des deux industries ; il indique quel est le but, quel sont les moyens d'y parvenir si l'on envisage la question des sucres au point de vue large des trois intérêts.

Ainsi, messieurs, qu'ai-je voulu donner au trésor ? trois millions. Part modeste, puisque par l'accise intégralement perçue, il aurait beaucoup plus. Il y a donc pour le trésor un intérêt satisfait, mais pas entièrement satisfait ; il y a aussi un sacrifice.

Que demandé-je à l'industrie du sucre indigène ? Je demande, en défendant son existence, en désirant qu'elle ait une part sur le marché intérieur et à l'exportation, que cette part soit belle et assurée. A lui aussi un intérêt satisfait, mais non complétement satisfait. A lui aussi un sacrifice : la limitation qui empêche son développement illimité au droit le plus favorable.

Pour le sucre exotique, messieurs, que demandé-je encore ? Le moyen d'atteindre, je le répète, plus haut que la plus grande prospérité qu'il ait eue en Belgique depuis 1830, et le seul sacrifice que je réclame de lui, c'est d'accepter franchement la coexistence du sucre indigène, de l'accepter pour un tiers sur le marché intérieur et de l'associer au mouvement d'exportation. A lui donc aussi un intérêt satisfait. Je pourrai dire plus : pour lui tous les intérêts satisfaits. Car, ainsi que l'a fait remarquer l'honorable M. de La Coste, s'il y a une raison de faire cette loi, cette raison n'est pas sur un champ de betterave, elle est à Anvers et à Gand.

J'ai proposé un rendement de 69 1/4 et j'ai cherché à démontrer qu'avec ce rendement la concurrence était possible, que si l'on descendait plus bas, on sacrifierait l'avenir au présent.

On me dit qu'une recette de plus de 3 millions est assurée au trésor avec le rendement de 68. Il peut en être ainsi, mais je désire que ma responsabilité, comme ministre des finances, ne soit pas engagée.

Je désire qu'en aucun cas, dans l'espace de 18 mois qui va s'écouler on ne puisse réduire la recette au-dessous de trois millions par année. Or, comme il serait possible et que le mouvement commercial prît une grande extension et qu'il y eût encore des moyens à moi inconnus, mais des moyens qui ont toujours suivi pas à pas les actes du législateur pour en éluder les effets, et qui pourront exister encore sous la loi nouvelle, je désire qu'aujourd'hui nous visions au-delà du but pour être certains de l'atteindre. Ce motif me porte, lorsque nous avons devant nous un espace de 18 mois, à proposer un rendement fixé au strict nécessaire, pour rendre la concurrence possible, mais fixé de manière que dans toute hypothèse, quels que puissent être les développements de l'industrie ou ses moyens d'échapper partiellement à l'impôt, la recette de 3 millions soit assurée.

Quant au moyen d'établir la coexistence et d'empêcher le développement illimité de l'industrie indigène, deux systèmes se produisent devant vous : celui de la limitation, qui impose à l'industrie du sucre indigène, dans l'intérêt de la coexistence, un impôt d'autant plus fort qu'elle est plus prospère ; et le système de l'honorable M. Manilius qui impose à la betterave une augmentation d'impôt à raison de la diminution des recettes.

Il m'est venu tout à l'heure à l'esprit un argument qui vous démontrera, je l'espère, combien l'amendement de l'honorable M. Manilius est illogique. Pour que cet amendement fût juste, il faudrait que la diminution de la recette coïncidât avec l'augmentation de prospérité de la betterave. Pour que cet amendement fût juste, il faudrait que ce fût le développement de la betterave qui fût la cause de la diminution de la recette. Mais il pourrait arriver au contraire que ce fût la grande prospérité de l'industrie du sucre exotique, et que le sucre indigène, au contraire, déclinât, tendît à périr, et dans cet état de choses, parce que la recette aurait diminué, et lors même que l'industrie indigène dépérirait, vous aggraveriez sa position de deux manières à la fois.

Vous iriez donc directement à l’encontre du but. Comme cet argument me paraît péremptoire, que la chambre me permette de le produire de nouveau sous une autre forme.

Je dis, messieurs, qu'il n'y a pas de connexité entre l'aggravation de l'impôt à charge de l'industrie indigène, et l'augmentation du rendement, en vue de produire la recette, et voici comment je le démontre.

Il se peut que la recette soit entamée, que le trésor public n'obtienne, par exemple, que 2,800,000 fr., parce que l'industrie du sucre exotique se sera considérablement développée, tandis que l'industrie indigène aura dépéri. Cela est possible, puisque la lutte s'établira encore. Eh bien, d'après l'amendement de l'honorable M. Manilius, lorsque la recette serait tombée à 2,800,000 fr., il faudrait d'abord, contre l'intérêt de la betterave, augmenter le rendement, et bien qu'elle ait dépéri, parce qu'elle a dépéri, il faudrait encore lui imposer un impôt plus lourd.

Un tel résultat me paraît complétement inadmissible.

L’honorable M. de la Coste a paru croire que mon amendement contenait une limitation absolue, que l'on disait à l'une de nos industries nationales : Vous n'irez pas plus loin. L'amendement n'a pas ce caractère. Mais, si l'on veut la coexistence, et je reviens à dessein sur cette idée, il faut que, dans le système de la loi, le gouvernement ait le moyen d'empêcher que l'une des deux industries concurrentes ne vienne complétement envahir le marché intérieur.

La limitation n'est pas absolue ; seulement à mesure que ce principe de coexistence est menacé par les faits, l'impôt est aggravé, et il l'est seulement jusqu'à 40 fr. Alors la production peut être illimitée.

Si l'industrie du sucre indigène se développe, si elle se développe malgré l'aggravation de l'impôt, n'est-ce pas la meilleure justification de la loi ? Concevrait-on que l'impôt restât stationnaire, alors que l'industrie qui peut le supporter, irait progressant constamment, alors qu'elle irait même jusqu'à expulser sa rivale du marché intérieur.

J'ai foi dans l’industrie indigène ; sou passé répond assez de son avenir. Il y a quelques années, on doutait qu'elle fût viable. Et je ne veux pas même me reporter jusqu'au temps de l'empire où elle était seulement l'objet de caricatures. Mais aujourd'hui elle est acceptée comme industrie sérieuse et elle a de l'avenir aux yeux de tous.

Pour le lui assurer, non seulement en Belgique, mais au dehors, quel est le résultat qu'il faut produire ? Il faut l'associer au mouvement d'exportation.

L'honorable M. de La Coste doute que cette exportation puisse avoir lieu. Il me semble, messieurs, que la preuve est bien facile à cet égard. Les droits des fabricants de sucre indigène étaient délaissés sous la législation actuelle, ils avaient de la peine à placer leurs produits, parce qu'il y avait une défaveur pour celui qui achetait le sucre provenant des fabriques du pays. Il y avait défaveur, parce que ce sucre ne pouvait pas servir à produire des raffinés admis, comme les produits des sucres étrangers, à l'exportation, et aux mêmes conditions, alors que déjà quatre dixièmes devaient forcément rester en consommation. Aujourd'hui, au contraire, une défaveur ne pourra plus exister.

On dit qu'il n'y aura pas exportation réelle. Mais il y a ici une distinction à établir. Dès aujourd'hui les fabricants de sucre indigène, qui produisent directement des raffinés, peuvent les envoyer, et les envoient en réalité, quand leur intérêt l'exige, dans les entrepôts où le terme d'échéance est indéfiniment suspendu et où ils attendent un acheteur. Sous ce rapport ils sont exactement sur la même ligne que les raffineurs de sucre exotique. Ils peuvent donc, comme les raffineurs de sucre exotique ou déclarer leurs sucres en consommation ou les vendre pour l'exportation.

Je passe maintenant à ceux qui ne produisent pas directement des raffinés.

Aujourd'hui, comme à l'avenir, ils doivent subir, par la condition même de leur industrie, l'intermédiaire des raffineurs. Mais ils ne rencontreront plus les mêmes difficultés, lorsque le raffineur aura le même intérêt, peut-être même un intérêt supérieur (puisque la belle qualité du sucre de betterave équivaut, dit-on, au beau havane), à acheter le sucre (page 1668) qui lui produit, pour l'exportation, les mêmes avantages que le sucre havane.

S'il peut vendre ses sucres à l'intérieur, si les marchés ne sont pas gênés, peu lui importent les mises en consommation, dès que le marché n'est pas gêné par la distinction qui est faite entre les quantités qui doivent rester en consommation et celles qui doivent être exportées.

La prime de mévente, dont on a tant parlé, avait pour cause, pour cause exclusive, l'obligation de payer des droits, de laisser une quotité en consommation. Mais du moment que vous supprimez les retenues, il est évident que la prime de mévente vient à disparaître et que la vente de droits qui aura encore lieu à l'avenir, ne sera qu'une espèce d'escompte du terme de crédit ; c'est-à-dire que celui qui vendra des droits, les escomptera comme s'il escomptait un effet de commerce. La prime de mévente ne pourra aller au-delà ; et, restreinte dans ces limites, elle ne pourra plus avoir aucune des mauvaises conséquences qu'elle avait sous le régime de la loi de 1843, alors que la distinction était établie entre les 4 et les 6 dixièmes.

On ajoute que pour l'exportation, la condition du sucre indigène est plus défavorable, parce qu'on doit recourir aux intermédiaires. Messieurs, je crois que cette différence de position n'existe pas ou presque pas.

En effet, il est peu d'industriels en Belgique, travaillant le sucre exotique, qui exportent par eux-mêmes. Eux aussi, comme les producteurs de sucre indigène, doivent recourir à l'intermédiaire de l'armateur, du négociant qui achète ou qui expédie le sucre à l'étranger ou qui le vend à la consommation.

La position de l'industrie du sucre indigène est encore bonne sous un autre rapport, et ici on ne pourrait contester le chiffre de 3,800,000 kil. qui forme le minimum au droit le plus favorable, qu'en soutenant que la quantité indemne, ou, comme on l'a appelée, la protection de fait s'élève, non pas à 25, mais au moins à 50 p. c. Or, j'espère qu'on ne le soutiendra pas. Je maintiens donc à l'industrie du sucre indigène, non seulement son développement actuel, mais je lui laisse encore, à des conditions très avantageuses, les moyens de prendre un développement nouveau.

Si ensuite cette industrie prend de trop grandes proportions, j'aggrave l'impôt, je l'aggrave proportionnellement à ce développement lui-même ; et lorsque la différence n'est plus guère que la représentation de la moins-value des bas produits, je lui laisse le moyen de prendre un développement illimité. C'est là, comme l'a dit l'honorable M. de la Coste, avec lequel je suis d'accord sur ce point seulement, c'est là une question qu'il faut laisser à l'avenir. Peut-être dans l'avenir, faudra-t-il, à l'égard de l'industrie du sucre indigène, si elle réalise de nouveaux progrès, aller jusqu'à l'égalité absolue des droits, malgré la différence de la valeur des bas produits ; mais cette question n'est pas mûre ; avant qu'elle puisse être résolue affirmativement, il faut que les faits aient démontré que l'industrie du sucre indigène peut non seulement vivre, mais se développer en supportant un droit de 40 fr.

Je crois qu'il en sera ainsi, mais ce n'est pas ce que nous avons à rechercher en ce moment. Ne préjugeons rien à cet égard ; bornons-nous à assurer, d'après les faits tels qu'ils se présentent aujourd'hui, la coexistence des deux industries, et à garantir au trésor une recette certaine de 3 millions.

M. de Renesse. - Messieurs, dans une séance précédente, l'honorable M. Desmaisières disait qu'en défendant les intérêts du commerce et du raffinage des sucres exotiques, il n'était nullement guidé par un esprit de localité, mais par la conviction profonde de défendre, avant tout, les intérêts généraux du pays.

Je puis pareillement déclarer qu'en appuyant le maintien de la fabrication du sucre de betterave, je crois soutenir, sans influence aucune, les véritables intérêts généraux du pays qui se rattachent plus particulièrement à la première industrie du pays, à l'agriculture, qui, à elle seule, a plus d'importance que toutes les autres industries réunies. En outre, je défens en même temps les intérêts de nos nombreuses classes ouvrières des campagnes qui, par la fabrication du sucre de betterave, trouvent du travail pendant la plus grande partie de l'année, et surtout pendant la morte saison ; toutefois, en appuyant ces différents intérêts, je demande aussi que l'on ne perde pas de vue la question financière ; elle n'a été que trop longtemps négligée ; il est incontestable que, depuis 1832, le pays a fait de très grands sacrifices pour maintenir l'industrie du raffinage des sucres exotiques, pour contribuer, par des primes déguisées, à l'exportation d'une partie de ces sucres à peine raffinés. Ces sucres lumps étaient admis, il y a quelques années, dans les pays de l'association allemande, à un simple droit de balance, étant considérés comme sucres bruts, tandis que les exportateurs en recevaient la décharge comme sucres entièrement raffinés ; mais les droits prohibitifs que l'association douanière allemande a établis à l'entrée de ces sucres ont réduit considérablement leur exportation vers ces pays, c'est une des causes du malaise du raffinage des sucres exotiques ; nous ne pouvons y remédier qu'en sacrifiant les intérêts du trésor.

La législation des sucres de 1822 avait, en grande partie, été portée dans un intérêt colonial ; il était alors tout naturel d'accorder une certaine protection, même aux dépens des finances de l'Etat, pour favoriser l'exportation des sucres raffinés dans les Pays-Bas ; mais maintenant, que nous avons un intérêt colonial à ménager, pouvons-nous encore, sans nuire à d'autres grands intérêts du pays, suivre les errements d'une législation créée dans un tout autre but.

Nous avons maintenant à examiner s'il faut continuer à priver le trésor de ressources certaines, que le sucre, objet de consommation de luxe, devrait rapporter à l'Etat ;s'il faut, pour avantager un produit étranger, nuire à la fabrication du sucre indigène, liée intimement aux intérêts de l'agriculture, ayant une influence marquante sur plusieurs de nos industries et procurant surtout du travail à la classe ouvrière des campagnes.

La situation du trésor n'est pas si brillante que nous puissions négliger les ressources que les sucres pourraient lui apporter. Pour arriver à ce but, il faut que le rendement des sucres exotiques soit fixé aussi rapprochée que possible de la réalité, il ne faut pas qu'une assez grande partie d'excédants puisse être déversée dans la consommation intérieure du pays sans payement d'aucun droit ; alors l'on pourrait aussi augmenter jusqu'à un certain taux l'accise sur le sucre de betterave, en accordant toutefois à cette industrie nationale une protection différentielle et réelle, comme à tout autre produit du pays ; vouloir lutter avec les sucres exotiques raffinés en Belgique sur les marchés étrangers, en concurrence avec les sucres hollandais, cela me semble être assez difficile à obtenir, à moins de continuer le système vicieux des primes déguisées, et de priver notre trésor des ressources que ces sucres devraient lui rapporter. Il nous faudrait ainsi faire constamment de nouveaux sacrifices et plus considérables que ceux de la Hollande pour pouvoir primer son commerce de sucre. Sous ce rapport il est certain, que les raffineries hollandaises se trouvent dans une position plus favorisée, travaillant un produit de leurs colonies et transporté au moyen de leur marine marchande ; que ce pays consente à faire de grands sacrifices d'argent en faveur du raffinage des sucres de ses colonies, cela est facile à concevoir ; mais demander que nous suivions ce même système, lorsque nous n'avons ni marine, ni colonies, c'est assez difficile à concilier avec les véritables intérêts du pays, surtout lorsqu'il est prouvé, par des rapports faits à la chambre, que les avantages commerciaux attachés à l'importation et à l'exportation des sucres n'ont nullement l'importance que l'on semble vouloir leur donner ; c'est ainsi que le rapport de l'honorable M. de Foere prouve qu'il y a de l'exagération dans les assertions avancées à cet égard ; en outre, le rapport de l'honorable M. Mercier établit à l'évidence, que ni par l'importation directe des sucres bruts des lieux de production, ni par l'exportation de ces sucres raffinés, nos échanges de produits nationaux avaient été fortement avantagés. Dans ce rapport se trouve le passage suivant :

« On semble craindre que si les importations de sucre étaient restreintes, nous ne manquassions d'éléments d'échange pour entretenir des relations commerciales avec les contrées transatlantiques ; mais, ce sont là des craintes tout à fait chimériques. Puissions-nous un jour exporter vers ces parages, en marchandises sortant de nos manufactures, une valeur égale à celle des produits que notre sol ne peut nous fournir, et dont nous sommes obligés de nous approvisionner en provenances de ces pays directement ou par des ports intermédiaires.

« Nous consommons annuellement en marchandises qui peuvent nous arriver de contrées transatlantiques, en sucre, coton, café, cuirs, tabacs, laine, huile, poivre, etc. : pour une valeur de plus de 66,729,902 fr.

« Nous n'exportons vers les mêmes contrées que pour une valeur de 5,498,119 fr.

« La différence est de 61,231,783 fr. en notre défaveur.

« Quant au commerce d'exportation de nos produits fabriqués, au moyen du sucre raffiné exporté, il est démontré, par le même rapport, que nous ne tirons que de faibles avantages, comparés aux charges imposées au contribuable en faveur des exportations de sucre raffiné ; d'ailleurs, il est encore à observer que le commerce d'exportation de ces sucres est si précaire que la moindre mesure de douane prise à l'étranger, peut tout à fait l'anéantir ; que si quelques nouvelles raffineries s'érigeaient dans les villes hanséatiques, si celles-ci entraient dans l'association douanière allemande, c'en serait fait de notre commerce d'exportation des sucres, puisque nous livrons les 2/3 des sucres raffinés au nord de l'Allemagne. »

L'on ne peut, pareillement, soutenir que les moyens de transport nous auraient manqué, sans ce commerce de sucre, lorsqu'il est constaté que, chaque année, une quantité de navires sortent de nos ports sur lest, ou avec des cargaisons incomplètes.

Par les nouveaux amendements présentés par M. le ministre des finances, la fabrication du sucre de betterave, limitée à sa production actuelle, devrait recevoir une protection de 15 francs ; ce droit pourrait être une vérité, si effectivement, M. le ministre fixait au sucre exotique un rendement plus élevé, qui se rapprocherait plus de la réalité ; mais, en baissant ce rendement à 69 23/100, il est à supposer que la protection stipulée pour l'industrie indigène serait, en partie, une nouvelle fiction ; par la réduction du rendement, beaucoup au-dessous du rendement réel, une certaine partie de sucres exotiques serait déversée dans la consommation intérieure ; il est à supposer qu'en élevant le rendement au taux proposé, les raffineurs emploieraient de préférence des sucres de meilleures qualités, auraient ainsi un rendement beaucoup supérieur à celui fixé par la loi ; ce qui maintiendrait l'encombrement, produirait l'avilissement du prix des sucres sur le marché intérieur et la prime de mévente.

Pour aggraver encore la position déjà si pénible de la fabrication du sucre de betterave, l'on voudrait limiter sa production ; il faut la maintenir en tutelle, (page 1669) de crainte qu'elle ne soit trop prodigue de ses douceurs ; il faut empêcher son développement, tout essor qu’elle voudrait prendre, et ceci uniquement pour favoriser, aux dépens du trésor, une industrie rivale travaillant un produit étranger ; je dois combattre de tous mes moyens une telle proposition qui n'a rien de libéral, qui est tracassière et arbitraire ; elle ne peut être admise dans une loi. Comment ! vous voulez limiter les progrès, les développements d'une industrie nationale, pour avantager une production étrangère ?C'est tout à fait opposé à tous les principes d'une saine économie politique ; au contraire, il faut laisser librement se développer toutes les industries du pays, il ne faut pas leur porter obstacle, il ne faut pas aggraver leur position, en les surchargeant de droits fiscaux à mesure que leurs productions augmenteraient ; s'il fallait adopter un pareil système pour encourager le commerce maritime, il faudrait alors limiter la production de tous les produits nationaux que nous pourrions tirer, au moyen de ce commerce, de l'étranger ; ainsi, il faudrait circonscrire la production des céréales, des houilles, fers, bois, cuirs, des produits distillés et autres ; une telle proposition restrictive de la production du sucre indigène ne me paraît pas soutenable ; aussi j'espère que la chambre n'y donnera pas son assentiment.

Je concevrais que dans les premiers moments de l'établissement d'une industrie nouvelle, on n'impose cette industrie que légèrement ; si ensuite elle prenait de l'extension, qu'elle eût surmonté toutes les difficultés inhérentes à sa position d'industrie nouvelle, que l'on veuille lui faire payer un droit plus élevé, dans l'intérêt de nos ressources financières, cela serait rationnel ; mais vouloir limiter la production de cette industrie, la frapper d'un droit pour ainsi dire égal à celui à supporter par le sucre exotique, ce serait décréter l'anéantissement d'une industrie nationale au profit d'une industrie rivale employant un produit étranger.

En France, le gouvernement et les chambres ont traité d'une manière bien différente la fabrication du sucre de betterave ; cependant, ce pays avait à ménager les intérêts de ses colonies ; cette industrie a pu s'y développer lentement, ayant joui pendant 25 années de toute exemption de droits ; lorsqu'en 1837, le sucre de betterave y a été imposé, c'est, seulement, successivement que le droit y doit être augmenté ; ici, on a agi tout autrement : à peine cette industrie était-elle établie dans le pays, que de suite elle a été frappée d'un droit assez élevé : elle a dû se soumettre à toutes les exigences fiscales, à toutes les formalités de l'exercice, et maintenant, l'on veut encore aggraver sa position, en augmentant le droit dans le but principal de favoriser une industrie rivale. Si l'on avait été équitable envers l'industrie du sucre indigène, le droit d'accise n'aurait dû être établi que graduellement, comme en France, et si, actuellement, sa charge doit être augmentée, il faudrait qu'elle le fût successivement : jusqu'à un taux normal et différentiel, qui la protégerait contre la concurrence à l'intérieur des sucres exotiques.

Un honorable représentant d'Anvers a voulu contester l'importance de la fabrication du sucre indigène ; il disait, que la culture de la betterave n'avait qu'un intérêt microscopique pour l'agriculture, puisque l'on ne cultivait environ que 1,700 hectares en betteraves ; si cet honorable membre avait pu prendre connaissance des pétitions adressées en 1845, par les ouvriers des fabriques du sucre indigène, il aurait pu se convaincre que plus de 7,000 ouvriers de tout âge étaient employés dans nos campagnes, pendant une grande partie de l'année, soit à la culture, au sarclage ou à la fabrication de ce produit national ; je doute que le commerce et le raffinage des sucres exotiques puissent donner un travail aussi considérable à des ouvriers belges, car je ne pense pas que nous devions plutôt défendre ici les intérêts des marins étrangers qui sont employés au commerce maritime des sucres exotiques, ni ceux des esclaves, occupés dans les plantations de la canne à sucre.

Si, depuis quelques années, la fabrication du sucre indigène n'avait été entravée et soumise, dès son début, à un droit d'accise assez élevé ; si elle n'avait eu à lutter contre la concurrence ruineuse des sucres exotiques, dont une assez forte partie pouvait être déversée dans la consommation intérieure, indemne de tout droit, elle aurait pu prendre de l'extension ; car, dans les premières années, plus de 2,500 hectares étaient cultivés en betteraves ; si donc le nombre des fabrique a dû être restreint, on doit l'attribuer aux charges que l'on a imposées à l'industrie naissante de la fabrication indigène, avant qu'elle avait pu prendre dans le pays une certaine consistance, et à la concurrence ruineuse des sucres exotiques. Je crois devoir observer ici, que, d'après la disposition de l'article 5 nouveau de M. le ministre des finances, ces fabriques de sucre de betterave qui, pour le moment, ont cessé de travailler, ne pourraient plus reprendre leur fabrication, parce que, par l'augmentation successive du droit d'accise, on comprimerait constamment cette industrie, on ne permettrait plus aucun développement ; il faudrait qu'elle restât stationnaire, qu'elle ne dépassât plus la limite normale de sa production, fixée par la nouvelle loi.

Dans le premier discours, que j'ai eu l'honneur de prononcer dans une séance précédente, j'ai prouvé, par des citations extraites des discussions devant les chambres françaises, ainsi que des avis de plusieurs corps constitués de ce pays-ci, que l'agriculture avait le plus grand intérêt à voir prospérer la culture de la betterave à sucre ; qu'il en résultait, non seulement une amélioration dans la culture des terres, que l'engrais du bétail y était intéressé, et que l'on obtiendrait, au moyen de la betterave, une production plus considérable de céréales ; ainsi, l'intérêt qu'attachent l'agriculture et nos ouvriers des campagnes au maintien de la fabrication indigène, n'est pas aussi microscopique que l'honorable M. Veydt voudrait le croire ; cet honorable membre n'aurait qu'à se rendre dans les localités où se trouvent les fabriques indigènes, pour pouvoir s'assurer, par lui-même, quelle influence heureuse exerce cette industrie nationale sur l'amélioration de la culture des terres, et sur le bien-être des classes ouvrières.

Puisque l'honorable M. Veydt a cité un extrait de l'excellent ouvrage de M. F. Behr, sur la question des sucres, je me permettrai de le compléter, de citer ce passage dans son entier ; cet honorable industriel s'exprime ainsi :

« Pour que le fabricant de sucre de betterave jouisse réellement de la protection qui lui est accordée, il faut faire disparaître les causes de la prime de mévente, et mettre un terme à l'encombrement factice du marché ; il faut donc cesser d'exiger que les 4/10 des prises en charge restent acquis au trésor ; mais il faut aussi que le raffineur travaillant pour l'exportation ne soit pas en mesure de livrer continuellement à la consommation intérieure des excédants affranchis de l'accise ; nous devons donc en venir au vrai et faire définitivement bon marché des mensonges législatifs, en portant un rendement à un taux raisonnable.

« Les exigences du sucre exotique sont, sous ce dernier rapport, d'une nature tout à fait divergente. Il s'accommode parfaitement de la faculté qui lui serait rendue de pouvoir obtenir la décharge complète de son compte, par exportation, puisque cette faculté doit mettre fin aux extorsions des raffineurs de l'intérieur ; mais il lui faut une prime, ouverte ou déguisée, il lui faut le rendement mensonger, ou bien un subside direct voté chaque année par les chambres législatives. Alors que devient le produit de l'accise et que dira le fisc ? »

C'est aussi cette dernière observation que je demande que la chambre et le gouvernement ne perdent pas de vue, en modifiant la législation sur les sucres ; je désire que le trésor soit pour le moins assuré d'une recette de trois millions de francs, et que, en établissant un droit différentiel entre les deux sucres, il soit accordé au sucre indigène une protection réelle et équitable comme à tous les autres produits du pays ; s'il faut, pour favoriser l'exportation des sucres raffinés, des primes pour soutenir sur les marchés étrangers la concurrence de nos voisins du Nord, je veux bien que ces primes d'exportation soient prélevées sur l'excédant de trois millions de francs du droit d'accise ; mais il me semble que ces primes ne devraient être accordées qu'en faveur des sucres bruts, provenant directement d'Etats ou de colonies avec lesquels nous aurions conclu des traités de commerce avantageux ; car, pourquoi irions-vous protéger de nos deniers la culture de la canne dans une colonie qui refuserait de recevoir les produits de notre industrie ?

- La séance est levée à 3 heures 1/2.