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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 13 mai 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
relatives, notamment, à l’industrie lainière (Lys)
2) Motion d’ordre relative au
renvoi des ouvriers pour l’exécution de la route concédée de Nederbrakel à Renaix
et aux inondations de l’Escaut et de la Lys ((+route concédée de Nederbrakel à Renaix)
(de Villegas, de Bavay), David, Delehaye, Lejeune,
David, Lejeune, Dumortier, Desmaisières, de Saegher, Desmet, David, Malou)
3) Motion d’ordre relative à
l’exécution des travaux de la concession ferroviaire de Liége à Namur (de Baillet, de Bavay, de La Coste, de Bavay, David, de Bavay, de Baillet, de Bavay, Fleussu, de Bavay, de Mérode, Lebeau, de Bavay, Mast de Vries, Rogier, de Bavay, de Garcia, Malou)
4) Projet de loi accordant un
crédit supplémentaire au budget du département des finances pour l’exercice 1846.
Service de la monnaie
5) Projet de loi portant le
budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1846. Discussion des
articles. Organisation d’un recensement général de la population et impact
électoral (adaptation du nombre des députés et des sénateurs) (Lebeau, Fleussu, de
Theux, Manilius, de Theux,
de La Coste, Manilius, de Theux, Delfosse, de La Coste, Delfosse, Lebeau, de Garcia, de Brouckere, Dumortier, de Garcia, de Brouckere, Dumortier, de Brouckere, Delehaye, de Theux, Rogier, Dumortier, de Theux)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1317) M. de Villegas procède à l'appel nominal à une heure et quart.
M. Huveners lit le
procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Villegas présente
l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les
sieurs Jaclot et Ramonfosse, président et secrétaire de la Société agricole et
forestière de Jalhay, demandent le rejet de la convention de commerce conclue
avec la France. »
- Renvoi à la section
centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la convention et
insertion au Moniteur.
________________
« La chambre de
commerce et des fabriques de Verviers présente à la chambre une statistique de
l'industrie lainière en Belgique. »
M. Lys. - La chambre de
commerce de Verviers présente un tableau fort intéressant pour l'examen de la
convention avec la France. Je demanderai donc que ce tableau soit inséré au
Moniteur et renvoyé à la section centrale chargée d'examiner la convention.
- Cette proposition
est adoptée.
________________
« M. Weissenbruch,
imprimeur du Roi, annonce à la chambre que les billes dont il a annoncé
l'arrivée dans le premier des procès-verbaux dressés à Compiègne lors de
l'examen qui en a été fait après plus de trois ans d'enfouissement, sont à voir
chez lui, l'une préparée entièrement par le procédé Boucherie, l'autre préparée
par moitié, toutes deux en bois de hêtre. Il ajoute qu'il peut également
montrer lesdits procès-verbaux en original revêtus de toutes les signatures,
légalisées par le gouvernement français. »
__________________
M. Sigart. - J'avais une
interpellation à faire à M. le ministre des travaux publics ; mais comme il
n'est pas ici en ce moment, je me réserve de lui adresser mon interpellation dans
la séance de demain.
MOTION D’ORDRE
M. de Villegas. - Je désire savoir si M. le ministre des travaux
publics a connaissance du renvoi de la presque totalité des ouvriers qui ont
été employés à la roule concédée de Nederbrakel à Renaix. Cependant la roule
est loin d'être achevée, et de nombreux terrassements restent encore à faire.
Dans la séance du sénat du 18 mars dernier, un honorable sénateur a demandé à
M. le ministre des travaux publics s'il avait l'intention de renvoyer les
ouvriers pour remplacer le travail des brouettes par le camionnage.
Voici la réponse de
M. le ministre : «Le rapport que j'ai reçu en dernier lieu de l'ingénieur en
chef chargé de diriger les travaux de la route de Nederbrakel à Renaix
m'annonçait la présence sur les lieux de 550 à 570 ouvriers. Depuis lors je
n'ai pas reçu de nouveau rapport, mais aucun ordre n'est émané du département
des travaux publics tendant au renvoi de ces (page 1318) ouvriers. Je m'informerai si réellement ces ouvriers
sont menacés d'être renvoyés. Car je conçois, comme l'honorable sénateur, que
oe serait une chose fâcheuse dans les circonstances actuelles. Je désirerais
comme lui, qu'il y eût, dans ces localités, le plus grand nombre d'ouvriers
possible employés, au lieu de le voir diminuer. »
Il paraît que
l'administration des ponts et chaussées n'a pas tenu compte de ce désir
ministériel et, si mes informations sont exactes, qu'elle persévère dans
l'intention de faire les transports au tombereau.
J'adjure M. le
ministre des travaux publics de renoncer à ce mode de travail, d'exécuter
promptement la promesse de son prédécesseur et d'ordonner que l'on emploie le
plus grand nombre d'ouvriers possible, attendu que la route de Nederbrakel à
Renaix n'a pas été concédée, que je sache, pour donner du travail aux chevaux,
mais pour occuper les bras de la classe nécessiteuse ; une augmentation de
dépenses dût-elle être la conséquence du mode de travail que nous indiquons.
C'est au nom de la population la plus malheureuse, sans contredit, de toute la
Belgique, que j'ai adressé cette demande à M. le ministre des travaux publics.
Qu'à cette occasion,
il me soit permis d'attirer l’attention de M. le ministre sur la requête de la
commune d'Opbrakel, par laquelle elle demande à être reliée à la route de
Renaix par un embranchement qui ne doit être que d'une longueur de 130 mètres.
En principe, l'administration des ponts et chaussées ne s'oppose pas, à ce
qu'il paraît, à l'admission de la demande ; seulement elle provoque un
changement de direction à donner à donner à cet embranchement. De son côté, la
commune d'Opbrakel pense que la direction qu'elle a soumise à l'approbation
supérieure présenterait plus d'avantages et serait plus conforme aux intérêts de
la localité. Je prie M. le ministre des travaux publics d'avoir égard à la
réclamation de la commune d'Opbrakel.
Je dois appeler en
second lieu l'attention de M. le ministre sur un objet de la plus haute
importance.
A l'heure qu'il est,
la vallée de l'Escaut, toutes les prairies depuis Tournay jusqu'à Merelbeke,
c'est-à-dire, sur un parcours de plus de dix lieues, sont couvertes de 3 à 4
pieds d'eau. La plupart des terres avoisinantes sont également inondées. Cet
état de choses a jeté la consternation dans cette contrée. La récolte est
fortement compromise, sans que le gouvernement ait songé jusqu'ici à porter un
remède efficace à tant de maux et de souffrances et à aviser aux moyens
d'éviter ces désastres, en quelque sorte périodiques, et qui occasionnent des
pertes incalculables. Le but de ma motion d'ordre est de prier l'honorable
ministre des travaux publics d'envoyer sur les lieux des ingénieurs de la
capitale, avec mission de lui faire rapport sur les inondations de l’Escaut et
de proposer immédiatement les moyens d'y porter remède.
Je
désire que cette enquête administrative soit ordonnée sans retard ; car si mes
renseignements sont exacts, l'écoulement des eaux du haut Escaut est empêché
par la manœuvre des écluses à Gand. Je ne veux pas affirmer le fait, mais une
personne très digne de foi m'a assuré dimanche dernier, que les écluses du
confluent des deux rivières sont fermées, et qu’à celle du canal de Terneuzen,
il y a une chute d'eau de 2 pieds au moins.
J'attire à cet égard
l'attention la plus sérieuse de l'honorable ministre des travaux publics. Le
fait est assez grave pour nécessiter une enquête immédiate.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, les inondations de la vallée de
l'Escaut sont un fait affligeant, mais elles ne sont pas un fait nouveau. Ces
inondations tiennent, li faut bien le dire, au régime du fleuve et, pour avoir
un remède réel, c'est ce régime qu'il faut corriger. Une proposition a été
faite à la chambre pour l'exécution d'un canal de dérivation des eaux de la Lys
vers la mer du Nord. L'adoption de ce projet permettrait de faire dans la
vallée de I Escaut certains travaux qui permissent aux eaux de ce fleuve
d'accélérer leur marche vers Gand. Mais, messieurs, dans la situation présente
des choses, il est absolument impossible d'amener vers Gand une plus grande
masse d'eau ; il faudrait d'abord qu'on eût créé, à Gand même, un débouché plus
grand pour les eaux surabondantes, débouché qui résulterait de l'ouverture
d'une voie nouvelle aux eaux de la Lys.
D'après des renseignements
très récents, toutes les écluses de l'Escaut sont ouvertes depuis le mois de
novembre dernier. La rivière a donc été abandonnée entièrement à son cours
naturel. A Gand même, les eaux sont basses ; elles y sont même au-dessous de la
jauge d'été. Cela est vrai, non seulement à Gand, mais même en amont de Gand, à
une assez grande distance. Il est donc évident que l'obstacle n'existe pas à
Gand.
Le mal, messieurs,
tient à ce que la section de la rivière est telle que les eaux qui couvrent la
vallée ne peuvent trouver à se dégorger par cette section de la rivière qu'en
un temps tort long.
Les inondations
actuelles, messieurs, sont la conséquence des pluies abondantes qui ont marqué
la fin du mois de mars ; et, d'après les observations faites depuis fort
longtemps, ces eaux surabondantes ne peuvent s'abaisser que d'environ un
centimètre par jour.
L'honorable
préopinant a cité le fait d'une écluse fermée à Gand pour établir une
séparation entre l'Escaut et la Lys ; mais, messieurs, l'ouverture de cette
écluse ne modifierait pas la position des choses, puisque, comme je l'ai dit,
les eaux sont basses à Gand. Ce n'est donc pas à Gand que se trouve le mal.
L'honorable
préopinant paraît aussi regretter qu'on n'introduise pas une quantité d'eau
plus grande dans le canal de Terneuzen. Je puis faire savoir à l'honorable
membre que les eaux n'ont pas été remises dans le canal de Terneuzen à la cote
de navigation. Cet état de choses existe depuis longtemps et existe, messieurs,
maigre les réclamations du commerce de Gand. Il est très vrai qu'on pourrait
par l'ouverture de l'écluse du Tolhuys introduire une plus grande masse d'eau
dans le canal de Terneuzen ; mais, messieurs, cette masse d'eau irait au-delà
de ce que le canal de Terneuzen peut recevoir et la mesure n'aboutirait, par
conséquent, qu'à faire au canal d'immenses dégradations et à inonder les terre
riveraines de ce canal.
La mesure est donc
parfaitement impraticable et de plus, elle ne produirait qu'un assez faible
effet sur les inondations qui existent à Audenarde et au-dessus, puisque, comme
je l'ai dit, l'obstacle à l'écoulement des eaux se trouve dans le régime même
du fleuve ; il tient aux sinuosités du fleuve et à son peu de pente. C'est ce
qui explique cette marche lente des eaux vers Gand. Pour permettre aux eaux de
descendre vers Gand en un temps plus court, il faudrait, ainsi que je l'ai dit,
opérer certains redressements du lit du fleuve, redressements auxquels on ne
peut songer avant d'avoir créé à Gand même un débouché plus grand. On ne
pourrait actuellement opérer les redressements sans exposer la ville de Gaud à
un véritable danger de destruction.
Je crois pouvoir dire
encore que dans toute cette question des inondations de l'Escaut, l'intérêt de
la propriété foncière n'a pas été perdu de vue. Je pourrais même dire que c'est
à cet intérêt que tous les autres intérêts ont été sacrifiés. Par suite des
manœuvres d'eau faites à Gand, les usines n'ont pas pu travailler 8 jours
depuis le commencement de l'hiver. Il n'existe à Gand aucune espèce de chute.
L'intérêt des usiniers a donc été sacrifié.
L'intérêt du commerce
a été sacrifié également ; tous les débouchés ont été ouverts ; on a donc fait
pour la propriété tout ce qu'il était possible de faire actuellement.
Le fait qui motive
l'interpellation de l'honorable membre n'est pas un fait nouveau. Ainsi que je
l'ai dit, c'est un fait véritablement périodique. Je demanderai à la chambre la
permission de lire un passage du rapport fait à la chambre par la section centrale,
qui a été chargée de l'examen du projet de lui relatif au canal de Deynze à
Schipdonck.
Voici ce passage :
« Maintenant, quand
on prend en considération, d'une part, les effets des grands travaux exécutés
en France et d'autre part, le peu de pente qu'il y a dans ce lit du fleuve,
ainsi que ces grandes sinuosités de son cours, qui forment en quelque sorte des
barrages, on doit être convaincu tout de suite qu'il suffit, comme les faits le
prouvent malheureusement, d'ailleurs, de quelques jours consécutifs de grandes
pluies, pour que, dans toutes les saisons de l'année, les inondations
calamiteuses aient lieu.
« Le peu de pente du
lit du fleuve et les grandes sinuosités de son cours constituent tellement des
obstacles au prompt écoulement des eaux, que parfois on est encore inondé à
Audenarde, lorsque déjà le point d'eau à Gand est au-dessous de la jauge
ordinaire.
Ce qui arrive entre
Gand et Audenarde, se produit aussi quelquefois entre Audenarde et Autryve, et
ainsi de suite, de bief en bief, en remontant. Aussi, bien qu'il n'y ait qu'une
différence minime, en comparaison de la longueur du cours du fleuve, entre les
hauteurs de son lit, d'un bief à l'autre, il y a souvent une différence très
grande entre les hauteurs des points d'eau. »
Je suis donc porté à
croire que la seule marche sûre, pour remédier aux inondations de l'Escaut,
consiste a faire dans le lit du fleuve les travaux qui sont reconnus
nécessaires pour atteindre ce but. Je ne puis donc que désirer de voir
promptement discuter le projet du canal de Deynze à Schipdonck qui est
maintenant à l'ordre du jour. Ce projet de canal, dans l'opinion de la section
centrale, se concilie avec les travaux à faire dans le lit du fleuve.
Voici, en effet, dans
quels termes l'article premier du projet a été amendé par la section centrale :
« Le
gouvernement est autorisé :
« 1° A ouvrir, de
Deynze à Schipdonck, un canal de dérivation des eaux de la Lys vers le canal de
Gand à Ostende, sauf à régler ultérieurement, par une loi, le concours des
provinces ou autres intéressés, s'il y a lieu.
« 2° A recreuser le
Moervaert, depuis Roodenhuys jusqu’à la naissance de la Eurme, à
Splettersput ;
« 3° A faire
exécuter, dans la vallée du haut Escaut, immédiatement après que ledit canal de
Schipdonck sera creusé, et même simultanément, les travaux les plus propres à
activer l'écoulement des eaux du haut Escaut. »
Je n’ai aucune
objection à faire contre l'envoi d'un fonctionnaire qui serait charge de
reconnaître l'état des lieux ; et je prends volontiers l'engagement de charger
un membre supérieur du corps des ponts et chaussées de cette mission ; mais je
dois déclarer que, dans ma conviction, le rapport de ce fonctionnaire cadrera à
tous égards avec les explications que je viens de donner.
Messieurs,
l'honorable préopinant a entretenu la chambre de la route de Nederbrakel vers
Renaix ; il désire qu'on puisse continuer les travaux de cette route à la
brouette. Le travail à la brouette est fort convenable pour les transports à
courte distance ; mais on ne peut songer à faire des transports à la brouette,
à 3 ou 400 mètres de distance ; on arrive à use augmentation énorme de
dépenses, et il devient de plus assez difficile de faire de cette façon un
terrassement régulier, convenable.
Ce qui a été proposé,
c'est de continuer en régie les terrassements de la route, au lieu de les
mettre en entreprise ; on conçoit que l'intervention d'un entrepreneur
lasserait au gouvernement moins de liberté pour la direction de la marche des
travaux, et moins de latitude pour assurer du travail à la classe ouvrière, à
quelle fin aucun soin n'a été négligé jusqu'à présent.
(page 1319) M. David. - Messieurs, la chambre trouvera peut-être
étrange que je me lève à l'occasion de la motion d'ordre qui vient d'être faite
par l'honorable M. de Villegas. Cependant je n'hésite pas, quelle que soit mon
inhabileté, à prendre part à ce débat, parce que je crois qu'il y a une
révélation dans les paroles que je vais prononcer.
je pense, messieurs,
que les grandes inondations dans les parties de l'Escaut belge qui sont restées
sinueuses, ont pour cause une concession occulte qui a été accordée à la France
par la Belgique. Le cours du fleuve sur la partie française a été rectifié ;
c'est une chose qu'il est bon de signaler en ce moment. (Interruption.)
Je ne pense pas que
les dénégations que l'on m'adresse des bancs opposés soient fondées. Quoi qu'il
en soit, un point qu'on ne peut contester, c'est que, quand on rectifie le
cours d'une rivière, elle devient plus torrentueuse ; les eaux se déversent
avec plus d'abondance ; or, la partie de l'Escaut, restée sinueuse en Belgique,
a besoin d'un déversement plus prompt à son tour ; je ne suis donc pas opposé à
ce qu'on fasse cette rectification au fleuve ; je la désire, au contraire.
En prenant la parole
en ce moment, je n'ai qu'un but, c'est celui de faire observer que le mal dont
on se plaint, est la conséquence de la concession occulte qui a été accordée à
la France... (Bruit). Je répète le
mot : concession occulte, et lorsque nous arriverons à la discussion de la
convention linière conclue avec la France, je ne manquerai pas de faire
ressortir cette concession là comme bien d'autres encore.
Il y aura à la
chambre de France quelqu'un qui comprendra mes paroles, si toutefois il les
lit. On sait quel est l'homme privilégié qui a fait des achats immenses sur la
spéculation de la rectification du fleuve.
Il aura fait en sa
faveur des plaines fertiles sur les bords de l'Escaut français et des marais
sur l'Escaut inférieur.
Je regrette d'avoir
été pris au dépourvu, à l'improviste dans une question aussi grave ; si j'avais
pu m'en expliquer préalablement avec l'honorable auteur de la motion, j'aurais
pu apporter dans cette discussion, dont l'objet m'est d'ailleurs étranger, un
peu plus de jour que je n'en puis fournir aujourd'hui.
L'honorable
M. de Villegas a déclaré que, par suite de la rectification du cours de
l'Escaut français, la Belgique avait à supporter des pertes incalculables. (On
vient de les élever à 6 millions annuellement.)
Considérerait-on une
par une situation comme n'étant pas digne d'être signalée à l'attention de la
chambre ? Resterons-nous impassibles en présence du désastre de contrées
entières qui sont inondées, par l'effet de la concession qui a été faite à la
France et à laquelle la Belgique n'a pas eu la prudence de s'opposer, ni contre
laquelle elle n'a demandé aucune réciprocité ?
M. Delehaye. - Je crois devoir rectifier une erreur que vient de
commettre l'honorable M. de Villegas ; il n'est pas exact que les écluses à
Gand sont fermées. Parmi les écluses qui se trouvent sur l'Escaut à Gand, il y
en a une à poutrelles ou à vannes, placée à la porte Saint-Lievin, donnant
passage aux eaux du haut Escaut vers le bas Escaut ; celle écluse présentait,
il y a quelques jours, une chute de plusieurs centimètres ; pourquoi ne
donne-t-on pas un écoulement plus considérable en augmentant l'ouverture. C'est
une question sur laquelle j'appelle l'attention de M. le ministre.
M. le ministre a
parlé de l'écluse qui se trouve au pont Madou, entre la Lys et l'Escaut, qui
d'après lui, se trouve ouverte aujourd'hui. Je lui dirai qu'elle est ouverte
aujourd'hui comme elle l'est depuis longtemps ; je ne pense pas, messieurs, que
cette écluse ait été fermée depuis bien longtemps.
L'on prétend encore
que le règlement sur la navigation n'est pas bien observé a Gand ; sur ce point
encore l'on pourrait prendre des renseignements.
Je voudrais donc que
M. le ministre des travaux publics envoyât à Gand des employés qui connussent
la situation des lieux et qui voulussent s'assurer comment il se fait que dans
ce moment les eaux présentent le grand obstacle dont je viens de parler.
Il est très vrai
qu'actuellement une étendue de 12 lieues se trouve couverte d'eau...
Un membre. - Cette étendue est
bien plus grande.
M. Delehaye. - C'est un motif de plus pour que le gouvernement ne
perde pas cet objet de vue, et constate l'état des choses dans le plus bref
délai possible.
Quoi qu'il en soit,
il existe aujourd'hui une étendue de plusieurs lieues, qui est couverte d'eau ;
vous pouvez dès lors, messieurs, apprécier la perte qui doit en résulter.
La plupart des
prairies qui sont inondées sont les meilleures du pays ; ce sont celles qui
donnent le produit le plus considérable ; toute la récolte qu'on pouvait
espérer est entièrement compromise.
Je
voudrais donc que M. le ministre des travaux publics se hâte d'envoyer des
agents spéciaux sur les lieux, et qu'il pût nous dire quelle est la véritable
situation des choses, lorsque nous en viendrons à la discussion du projet de
loi relatif à la dérivation des eaux de la Lys.
Il est certain qu'il
doit y avoir un vice quelque part. Ce vice, existe-t-il à Gand ? Je ne le crois
pas : toujours est-il qu'il existe à un endroit quelconque. Il peut se faire
aussi que le règlement sur la navigation ne soit pas observé. J'ai remarqué à
Gand qu'un grand nombre de navires stationnaient souvent à l’un ou l'autre
endroit du fleuve par où les eaux peuvent s'écouler avec le plus de rapidité.
C'est un fait qui pourra être constaté par les agents que M. le ministre des
travaux publics enverra sur les lieux.
M. Lejeune. - Messieurs, je ne m’attendais pas à voir aujourd'hui
le pouvoir occulte tomber dans l'eau. L'honorable M. David vous promet une démonstration
de ce qu'il a avancé ; j'attendrai cette démonstration ; je l'écouterai avec
plaisir dans la discussion qui s'ouvrira après le vote du budget de
l'intérieur.
La seule chose que je
tiens à constater, c'est que s'il y a un pouvoir occulte qui a agi en cette
circonstance, ce n'est certainement pas de ma connaissance, je n'y ai pas
participé, je n'y ai pas donné la main et mes amis de la droite qu'on prétend
être sous l'influence du pouvoir occulte n'y ont pas contribué non plus, car
s'il y a eu des réclamations contre ce qui s'est fait en France au détriment de
la Belgique, c'est de la part des membres à l'égard desquels vous voulez faire
des insinuations plus ou moins désobligeantes ; c'est sur nos bancs, dans nos
discours, dans nos actes que vous trouverez l'opposition la plus formelle
contre les concessions faites à la France relativement à l'évacuation des eaux
de l'Escaut.
Revoyez attentivement
ce qui s'est dit et écrit sur la question de l'Escaut, vous verrez quels sont
les membres de cette chambre qui ont révélé, puisque M. David parle de
révélation, qui ont révélé tous les torts que les| faites à la France ont causés à la Belgique.
Pour ma part, sous ce
rapport je suis d'accord avec l'honorable M. David, les concessions
inopportunes, intempestives faites à la France nous ont fait souffrir beaucoup.
Messieurs, j'ai été
étonné d'entendre aujourd'hui, pour la première fois, faire un reproche au
canal de Terneuzen sous le rapport de l'écoulement des eaux supérieures. Cela
prouve une seule chose ; c'est que le régime de l'évacuation des eaux en
Belgique est bien peu connu. C'est la première année de tout le temps de
l'existence du canal de Terneuzen qu'il a évacué beaucoup d'eau ; il n'a peut-être
pas évacué plus d'eau pendant tout le temps de son existence qu'il n'en a
évacué ce dernier hiver. C'est par suite de la convention avec la Hollande que
le canal de Terneuzen a fait un service extraordinaire qu'il n'a jamais pu faire
depuis 1828. et c'est dans ce moment qu'on vient lui reprocher de ne rien faire
!
On veut prendre des
informations sur les causes des inondations extraordinaires du haut Escaut. Les
causes extraordinaires de ces inondations sont connues de tout le monte, c'est
la pluie. Les inondations qui ont été plus fortes cette année que l'année
dernière, qu'il y a deux ans, il y a trois ans n'ont pas d'autre cause que la
pluie extraordinaire.
Mais les inondations
ordinaires sont assez fortes pour que nous y portions notre attention ; ce
n'est pas seulement une saison pluvieuse qui fait beaucoup de tort à la vallée
de l'Escaut, mais une saison normale la fait souffrir considérablement. C'est
un grand mal ; il faut y porter un remède efficace ; il n’y en a qu'un seul,
c'est le débouché à la mer ; vous aurez beau faire quelques rectifications dans
le lit de l'Escaut, quelques dépenses partielles, il faut en venir au grand
remède, ouvrir un débouché à la mer. Alors les eaux qui arrivent de France
pourront être évacuées.
On croit que la cause
des inondations du haut Escaut se trouve dans la fermeture des écluses de Gand.
Je ne réponds de rien quant à présent ; je ne sais pas ce qui est en fait. Ce
que je sais, c'est que quand je résidais à Audenarde, à tout moment on venait
de l'amont d'Audenarde me dire qu'à Gand on avait fermé les écluses et qu'on
était inondé. J'ai constaté vingt fois que cela n'était pas exact ; a deux
lieues au-dessus d'Audenarde, on était inondé, tandis qu'à Gand on manquait
d'eau.
On
vous dit maintenant qu'à Gand les eaux sont au-dessous de la jauge d'été ; les
usines ont presque constamment chômé. Est-ce donc à Gand qu'il faut chercher le
remède au mal ? Si j'ai pris la parole, c'est pour constater la véritable cause
du fait dont on se plaint, et engager à y appliquer le véritable, le seul
remède ; les petits remèdes ne feront rien ; ce sera de l'argent et du temps
perdu.
Je suis bien loin de
vouloir en rien amoindrir le mal qu'on a signalé ;
Je connais ce mal. La
perte de la récolte des foins peut être évaluée à six millions. Je.ne crois pas
exagérer en disant que la vallée de l'Escaut, à cause des pluies
extraordinaires et d'autres circonstances, fera cette année une perte de 6
millions. Il s'agit de chercher un remède efficace à cet état de choses et se
l'appliquer.
M. David. - Je demande la
parole pour un fait personnel. Je commencerai par rassurer l'honorable M.
Lejeune, à l'occasion de la dénonciation que j'ai faite du pouvoir occulte. Je
n'ai jamais entendu le comprendre dans les représentants de ce pouvoir ; je ne
crois pas non plus qu'il représente complétement l'Escaut. Du reste, il a dit
qu'il était, à propos de mes paroles sur cet objet, tout à fait d'accord avec
moi ; je l'en remercie.
J'ai
demandé la parole pour vous dire que j'entends par pouvoir occulte celui qui
dirige et préside aux négociations dans les malheureuses circonstances où l'on
vient de traiter, à propos de la convention avec la France, de la Belgique sans
la Belgique intéressée, ou au moins des parties de la Belgique les plus
intéressées. C'est ainsi que je ferai valoir, dans la solennelle discussion de
la convention avec la France, l'observation sur cette nouvelle concession faite
à la France.
Messieurs, il y en a
déjà bien assez d'autres, de concessions à la France, passées inaperçues depuis
qu'on négocie la vie de deux industries en Belgique, tandis qu'il est si facile
de sauver tout le monde si on le voulait.
J'appelle pouvoir
occulte, messieurs, un pouvoir qui fait les affaires de la France en Belgique,
au lieu de faire les affaires de la Belgique chez elle, et par conséquent bien
moins encore à l’étranger. Voilà du pouvoir occulte sans doute, ou c'est tout
au moins de l'humiliation.
M. Lejeune. - Je demande la parole sur le fait personnel.
Je ne dirai que deux mots. Je n'ai pas pris pour moi personnellement ce que
l'honorable préopinant a dit de l'influence occulte ; j'ai relevé cette
expression (page 1320) parce que,
dans une discussion mémorable, on s'en est servi comme moyen politique et qu'on
a cherché à faire peser la responsabilité de ce prétendu pouvoir occulte sur
les membres de la droite. Je ne me suis pas non plus posé comme le seul
représentant de l'Escaut. J'ai parlé des causes des inondations de l’Escaut
parce que je connais les faits ; je ne suis en aucune manière le représentant
de l'Escaut ; le district que je représente ne compte aucune localité sur
l'Escaut ; je n'ai pas le moindre intérêt, pas pour une goutte d'eau, ni moi personnellement,
ni le district dont je tiens mon mandat, dans la question dont il s'agit. Je
n'en parle que dans l'intérêt de la question en elle-même, dans l'intérêt
général du pays.
M. Dumortier. - Vous avez pu
comprendre, par les dernières paroles prononcées tout à l'heure par l’honorable
député d'Eecloo, combien la motion de l'honorable M. de Villegas a
d'importance. L'honorable membre vous a dit que la perte que ferait cette année
la vallée de l'Escaut serait de 6 millions de francs au moins ; il n'y a là
nulle exagération.
Remarquez que cette
perte se fait sentir plus ou moins chaque année. L'année dernière encore, il y
a eu une perte considérable. Tant que le régime existant depuis quelques années
continuera, cette perte sera sentie, sera plus ou moins grande suivant que
l'année aura été plus ou moins pluvieuse, mais elle sera considérable chaque
année.
Il importe donc que
la chambre examine cette question avec une sérieuse attention, car je ne pense
pas qu'au point de vue de l'intérêt agricole une question d'une plus haute
importance puisse être soulevée. Dans l'état actuel des choses, voici quelle
est la situation de la vallée de l'Escaut. De Tournay à Gand, sur une étendue
de 12 lieues en ligne droite, et sur une étendue de 20 lieues, si on suit toutes
les sinuosités de l'Escaut, toute la vallée est couverte d'eau.
Hier matin encore,
j'ai vu, en partant de Tournay, toutes les prairies bordant l'Escaut sous les
eaux ; avant-hier j'ai été voir la hauteur de l'eau au radier du pont
Notre-Dame, il y avait 15 pieds et demi d'eau.
Je vous laisse à
juger quand une ville, à 30 lieues de la mer, a 15 pieds d'eau dans le fleuve
qui la traverse, si les prairies qui l'avoisinent doivent être inondées.
Vous le savez,
messieurs, il n'y a pas en Belgique de domaine public plus important que la
vallée de l'Escaut ; c'est là qu'on récolte les foins pour le Hainaut, pour les
Flandres et pour toute la cavalerie de l'armée
D'où vient l'état de
choses dont nous nous plaignons ? Est-ce un fait nouveau ou un fait ancien, comme
l'a dit M. le ministre des travaux publics ? Je n'hésite pas à déclarer que
c'est un fait nouveau, un fait entièrement nouveau. Avant la chute de l'empire,
la vallée de l'Escaut ne connaissait aucune espèce de dégât de cette nature. Le
génie hollandais, en fortifiant la ville d'Audenarde, a bouché les écoulements
latéraux de la ville ; l'écoulement du fleuve étant restreint à l'intérieur,
toute la partie de la vallée de l'Escaut entre Audenarde et Tournay a éprouvé
des inondations considérables ; la plus grande a eu lieu en 1827.
Vous vous rappelez
qu'immédiatement après la révolution on a demandé la réouverture des anciens
canaux latéraux établis par les anciens Etats, qui circulent autour de la ville
d'Audenarde ; on a rétabli alors les anciens débouchés, voilà les choses
rétablies dans leur état primitif, comme elles étaient sous le gouvernement
français ; dès lors nous ne devrions pas avoir plus d'inondations que sous le
gouvernement français. D'où vient qu'on en a plus ? Le motif est simple, ce
sont les travaux faits à l'écluse d'Antoing qui est la première écluse à
l'entrée de l'Escaut, en Belgique. En France, on a canalisé l'Escaut, on a
canalisé la Scarpe, on a canalisé la Sensée, tous les affluents au-dessus de
Morlagne qui viennent se jeter dans l'Escaut ; il en résulte que le lit étant
redressé, la pente est plus forte, le cours moins long, et le fleuve a gagné en
rapidité. Les eaux pluviales, qui autrefois mettaient huit jours pour arriver à
Antoing, y viennent maintenant en dix-huit heures.
J'en ai parlé, il y a
peu de jours, au bourgmestre de Péronne, commune dont on vous a entretenus et
qui est sous l'eau quatre ou cinq fois par an. Ce magistral m'a déclaré qu'il y
a un petit nombre d'années, lorsqu'il y avait des pluies abondantes, on savait
qu'on aurait les eaux vives dans huit jours, tandis qu'aujourd'hui elles
arrivent 18 ou 20 heures après. La canalisation des affluents de l'Escaut fait
donc arriver les eaux avec plus de rapidité.
Mais autrefois, ces
eaux étaient arrêtées par l'écluse d'Antoing.
Ici je veux vous
entretenir d'un fait entièrement nouveau pour moi, que je crois également
nouveau pour cette assemblée et même pour le gouvernement, fait qui m'a été
révélé par un homme extrêmement capable, ancien membre des états généraux, dont
les connaissances en cette matière sont certainement très étendues.
Vous savez que la
Scarpe a été canalisée par Vauban. Par suite, le lit de cette rivière s'est
constamment relevé. Depuis un grand nombre d'années le lit de la Scarpe est
plus élevé que les prairies du voisinage. C'est le résultat des atterrissements
qui ont toujours lieu, quand on canalise une rivière par écluses ; le limon
venant d'être charrié par le courant se dépose et relève ainsi chaque année le
lit du fleuve.
Sous le gouvernement
autrichien, pour améliorer les prairies de la Scarpe qui n'avaient plus
l'écoulement, on a créé un vaste canal, qui portait les eaux dans l'Escaut
français près de Morlagne ; ce canal prit le nom de canal du Décours. Mais en
1788, les états de France demandèrent aux états du Tournaisis de pouvoir
transporter leurs eaux jusqu'à l'Escaut du Tournaisis. Les états du Tournaisis
consentirent à recevoir ces eaux ; mais à une condition, c'est qu’il serait
construit en aval une écluse, dont le jeu appartiendrait aux états du Tournaisis,
qui en feraient usage pour que les eaux du canal du Décours ne nuisissent pas à
nos propres propriétés.
Dans les premiers
temps de la révolution, il s'est passé un fait très grave qui m'a été signalé
il y a peu de jours. Des personnes payées par la compagnie française sont
venues. en violant notre territoire, faire sauter l'écluse d'aval, de manière
qu'aujourd'hui il n'y a plus d'écluse.
Voilà un fait très
grave, une violation de territoire qui a eu pour résultat d'assécher les marais
de la Scarpe pour faire de nos magnifiques prairies des marais infects.
J'insiste pour que M.
le ministre des travaux publics se fasse produire le traité international
intervenu à ce sujet entre les deux pays, et le fasse exécuter, attendu que ce
traité est un acte international.
Mais ce n'est pas
tout. Cela n'a pas suffi aux propriétaires des marais de la Scarpe. Il y avait
en France des personnes qui avaient acheté ces marais à vil prix, et qui ont
voulu en faire d'excellentes prairies en se débarrassant de leurs eaux sur
notre pays. On a donc fait un traité que l'honorable M. David a qualifié de
traité occulte, et que je qualifie de même.
M. David. - A la bonne heure
!
M. Dumortier. - Je ne crois pas
au pouvoir occulte ; mais je crois qu'il y a eu un traité occulte, puisqu'il
n'a pas été soumis à la ratification des chambres.
On a fait un traité,
resté longtemps secret, en vertu duquel l'écluse d'Antoing, située à l'entrée de
l'Escaut sur notre territoire, et dont l'ouverture était de 9 mètres, a aujourd’hui
20 mètres. Vous concevez qu'une écluse de 9 mètres ne laissait passer que 9
mètres d'eau ; tandis qu'avec une écluse élargie, nous recevons 20 mètres au
lieu de 9.
Vous avez là toute
l'explication des inondations à la région supérieure.
On a ouvert l'Escaut
en amont ; on n'a pas créé de débouché en avals Moyennant quoi les marais
français sont devenus d'excellentes prairies, et nos prairies promettent de
devenir d'excellents marais.
Voilà la cause de ces
désastres qui nous feront perdre cette année plus de six millions de francs et
cela pour enrichir quelques spéculateurs français.
Ce traité occulte,
qui n'a jamais été soumis à notre vote, porte atteinte aux droits des Belges.
Il ne pouvait donc être mis à exécution sans l'assentiment des chambres.
Cependant il a été exécuté, il y a un grand nombre d'années. Il importait
cependant que la Belgique veillât à ses propres propriétés.
Nous devons veiller à
ce que les magnifiques prairies, qui se trouvent entre Tournay et Gand, ne
deviennent pas des marais infects et ne soient pas une cause de mortalité pour
la population. A cet égard, plusieurs moyens ont été indiqués.
L'honorable M.
Lejeune a insisté pour ce qu'il a appelé un écoulement vers la mer. Sans doute
l'Escaut, comme toutes les eaux, doit s'écouler vers la mer ; sans quoi elles
deviennent des marais.
Dans cet examen, nous
anticipons un peu sur la discussion de l'écoulement des eaux de l'Escaut. Mais
c'est un grand bien, parce que nous sommes aujourd'hui en présence de faits qui
n'existeront plus dans trois semaines. Alors perdant ces faits de vue, nous
pourrions faire une mauvaise loi et dépenser six millions sans résultat, tandis
qu'en présence de ces faits nous pourrons, en dépensant quelques centaines de
mille francs, éviter de graves accidents.
Quelle est la
situation actuelle ? Toute la vallée de l'Escaut est inondée. Il y a là, comme
je l'ai dit, une perte de six millions. Cependant, vous avez entendu ce qu'a
dit M. le ministre des travaux publics, à Gand les eaux sont en ce moment plus
basses qu'en été. On doit se servir des écluses pour la navigation.
L'honorable M.
Delehaye, avec cette franchise qui le caractérise, nous a déclaré qu'à l'écluse
de la porte Saint-Liévin à Gand, il l'avait hier vérifié lui-même, il y avait
une chute de 7 à 8 douces d'eau. J'attache le plus grand prix à cette
déclaration franche et loyale de notre honorable collègue, parce que je sais
qu'il recherche la vérité.
Que résulte-t-il de
là ? C'est que quand les eaux de la Lys sont basses à Gand, au point qu'on doit
y mettre les écluses pour la navigation, dans ce même moment, les prairies qui
bordent l'Escaut sont encore tout inondées ; d'où il suit que si au moyen du
canal projeté de Deynze, on amenait le résultat qui existe aujourd'hui, les
prairies de l'Escaut continuerait d'être inondés comme aujourd'hui. Par
conséquent, le canal de Deynze, qui coûtera six millions, ne soulagera en rien
les prairies de l'Escaut. Il faut donc bien nous garder de ce prétendu moyen
d'écoulement des eaux de l'Escaut qui ne produira aucun résultat et
occasionnera une énorme dépense au chemin de fer.
M. le président. - J'engage
l'honorable membre à ajourner ses observations à la discussion du projet de loi
relatif au canal de Schipdonck qui doit venir dans quelques jours.
M. Dumortier. - Je termine en
deux mots.
D'où vient que les
eaux qui arrivent de France n'ont pas d'écoulement ? D'une seule chose : de ce
qu'entre Gand et Audenarde et particulièrement à Gand il n'y a pas d'écoulement
pour l'Escaut, et que les écluses y font obstacle.
Ainsi, quand à
l'écluse de St-Liévin il y a une chute de 7 à 8 pouces, vous devez comprendre
que pour la produire il faut barrer le lit du fleuve 8 pouces au-dessus du
courant et qu'ainsi il faut mettre des vannes dans toute la hauteur du fleuve.
Alors il n'y a plus d'écoulement des eaux que pour ce qui passe au-dessus des
vannes. Alors les eaux ne se déchargent pas. C'est l'usage des usines de Gand
qui est la cause de notre perte. Les trois écluses que rencontre l'Escaut, en
entrant a Gand, celles de St-Lievin, du pont Madou et du Moulin étant placées
pour la facilité de ces usines, comme elles le sont en ce moment, il n'y a plus
d'écoulement possible. Je (page 1321)
ne prétends pus qu'il faille détruire ces usines pourvu qu'on donne un autre
écoulement à l'eau de l'Escaut. Je constate ici la cause du mal. Quel est le
remède ? De faire construire, comme nous l'a proposé la section centrale, un
canal où se déversent les eaux, du haut Escaut dans le bas Escaut à l'est de la
ville de Gand. C'est là le seul remède à un aussi grand mal ; et ce remède est
très peu dispendieux, tandis que le canal de Deynze coûterait six millions et
n'apporterait aucun remède aux inondations de l'Escaut.
M. le président. - Je rappellerai à l'honorable membre
l'observation que je lui faisais tout à l'heure.
M. Dumortier. - M. le président,
je ne demande pas mieux que de me rasseoir. J'ai justement fini.
M. Desmaisières. - Je n'entrerai pas
dans la discussion du canal de Schipdonck qui est à l'ordre du jour
immédiatement après le budget de l'intérieur. Je craindrais en y entrant
actuellement de retarder te moment où cette discussion pourra avoir lieu avec
fruit ; car tout ce qu'ont dit les honorables préopinants, vous démontre
l'urgence de prendre une décision sur ce projet de loi, et air conséquent aussi
la nécessité de ne pas retarder la véritable discussion qui doit amener un résultat,
tandis que la discussion anticipée dans laquelle on cherche à entraîner la
chambre ne doit en amener aucun.
Je ne m'oppose pas à
ce que M. le ministre des travaux publics donne aux localités inondées la
satisfaction d'envoyer un ingénieur de Bruxelles sur l'Escaut, pour rendre
compte de la véritable situation, quoiqu'il me semble que l'ingénieur de la
Flandre orientale soit très en état de faire connaître à M. le ministre des
travaux publics la véritable situation des choses ; ce qu'il a déjà fait.
Mais
on désire savoir comment il se fait que les eaux soient descendues à Gand
au-dessous de la jauge d'été, tandis que les environs d'Audenarde sont inondés.
J'ai longuement expliqué le fait dans le rapport que j'ai fait comme
président-rapporteur de la commission mixte, instituée par M. le ministre des
travaux publics, et aussi dans le rapport que j'ai fait récemment à la chambre,
comme l'a prouvé M. le ministre des travaux publics par le passage de ce
dernier rapport dont il a donné lecture.
Je crois donc l'envoi
d'un ingénieur sur les lieux tout à fait inutile ; encore une fois je ne m'y
oppose pas, pourvu que cela ne retarde pas la discussion régulière du projet de
loi qui a été mis, je le répète, à l'ordre du jour, immédiatement après celle
du budget du département de l'intérieur.
M. de Saegher. - Depuis longues
années, il existe un préjugé à Tournay et à Audenarde, c'est que les
inondations qui ont lieu dans les environs de ces deux villes proviennent de la
mauvaise manœuvre des écluses à Gand. C'est là un véritable préjugé et rien de
plus.
Pour ne pas abuser
des moments de la chambre, je n'entrerai pas maintenant dans le fond de la
discussion, puisque dans peu de jours nous serons obligés de traiter les
questions que vient d'entamer l'honorable M. Dumortier. Je me bornerai à
répondre aux deux faits allégués par l'honorable M. de Villegas.
L'honorable membre
nous a dit que les écluses avaient été fermées sur le canal de Terneuzen ; eh
bien ! j'affirme, d'après les renseignements certains que j'ai obtenus, que
depuis sept mois le canal de Terneuzen n'a pas été à sa jauge de grande
navigation. Cela est de notoriété publique à Gand, et les honorables membres
auraient fort bien pu s'en assurer dans cette ville.
Quant
au second fait qui a été allégué par l'honorable M. de Villegas, à savoir que
les écluses n'auraient pas été fermées au confluent des deux rivières, l'Escaut
et la Lys, je répète ce que l'honorable ministre des travaux publics vous a
déjà dit ; c'est que ces écluses sont ouvertes depuis plus de quinze jours. A
cet égard, messieurs, je citerai un autre fait dont on n'a pas encore fait
mention ; c'est qu'il y a environ un mois la régence de la ville de Gand et peu
de temps après la chambre de commerce de cette ville se sont rendues auprès de
l'administration a l'effet de solliciter que les écluses fussent fermées
pendant un jour seulement, dans l'intérêt de la navigation, et que
l'administration a refusé formellement de consentir à cette demande ; que par
conséquent cette fermeture n'a pas eu lieu même pendant un seul jour.
M. Desmet. - Messieurs, comme je vois que l'on veut donner
suite à un projet de canal de jonction entre le haut Escaut et le bas Escaut,
je demanderai à M. le ministre de bien vouloir, avant la discussion du projet
de loi relatif au canal de Schipdonck, prendre des informations par ses
ingénieurs et nous faire un rapport sur la situation du bas Escaut. Car, je
crois que la construction du canal dont a parlé l'honorable M. Dumortier,
aurait uniquement pour effet de déplacer le mal. Car, messieurs, il est
incontestable que les propriétés riveraines du bas Escaut souffrent aussi
considérablement des inondations inopportunes de la rivière, et j'oserais même
dire que la partie inférieure de l'Escaut, celle en aval de Gand, est autant en
souffrance que la partie supérieure.
Je répète donc ma
prière au ministre de nous communiquer, pour le moment où la discussion aura
lieu du projet de loi sur le creusement du canal de dérivation des eaux de la
Lys, un rapport détaille sur l'écoulement des eaux dans le bas Escaut et les
dommages qu'elles causent annuellement aux propriétés, et surtout quels sont
les effets qu'on devra attendre par le creusement d'un canal qui conduira
directement les eaux du haut au bas Escaut.
M. David. - Je prends la
parole pour demander le dépôt sur le bureau de toutes les pièces relatives à la
convention qui a été conclue entre la Belgique et la France relativement à
l'élargissement de l'écluse d'Antoing., afin que nous puissions en prendre
connaissance avant la discussion des projets qui ont des rapports avec cette
convention et notamment du projet relatif au traité de commerce conclu avec la
France.
Je demande le dépôt
de ces pièces pour savoir à quelles conditions la Belgique a fait cette
nouvelle concession, qui a dû avoir été faite dans l'ombre. Je le répète,
messieurs, des fortunes considérables ont été faites en France au moyen de
cette convention qui a passé inaperçue et qui a eu pour objet de noyer la
Belgique à l'avantage de la France.
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- Messieurs, on m'assure que cette convention, prétendument occulte, se trouve imprimée
dans le grand travail de M. Vifquain sur les eaux navigables.
MOTION D’ORDRE
M. de Baillet. - J'ai demandé la
parole pour adresser une interpellation à M. le ministre des travaux publics
sur des faits qui me paraissent de nature à mériter son attention et celle de
la chambre, faits qui malheureusement ne m'avaient pas été signalés lors de la
discussion de son budget.
Est-il vrai, comme on
me l'affirme, que, malgré les conditions fixées par les chambres et
sanctionnées par le Roi, le gouvernement ait donné aux concessionnaires du
chemin de fer de Liège à Namur, l'autorisation de remplacer les billes en chêne
par des billes en sapin ?
Les conséquences
d'une autorisation aussi illégale ne seraient que trop faciles à comprendre ;
ces conséquences seraient : défaut de sécurité, d'abord, car les billes de
sapin sont loin d'offrir le même degré de résistance que celles en chêne ;
ensuite, fréquentes interruptions dans la circulation sur le chemin de fer, car
les billes de sapins doivent être renouvelées beaucoup plus souvent que les
autres.
Cette autorisation
favoriserait évidemment les intérêts des concessionnaires aux dépens des
intérêts de l'Etat, car, le prix du sapin étant bien inférieur à celui du chêne,
il est bien évident que, si, lors de la discussion du cahier des charges, le
gouvernement avait déclaré qu'il permettrait de substituer les billes de sapin
aux billes de chêne, les chambres n'eussent pas fixé un terme aussi éloigné à
la durée de la concession.
Il paraît que, pour
chercher à justifier cette nouvelle décision, l'on allègue qu'elle a été
nécessitée par les prétentions exagérées des propriétaires de bois en Belgique.
Mais cette assertion est mal fondée, car les ventes de bois se font par adjudication
publique ; ce sont donc les acquéreurs qui fixent le prix des bois, et non les
propriétaires.
L'industrie
des bois du pays a, pendant de longues années, subi, faute de débouchés, un
malaise fâcheux dont elle se remet à peine ; voudrait-on déjà lui porter un
coup funeste, en sacrifiant ses intérêts à des intérêts étrangers ?
Je prie donc M. le
ministre des travaux publics de vouloir bien nous donner des explications à cet
égard, et, pour ma part, je désire vivement que les renseignements qui m'ont
été fournis manquent d'exactitude ; car si réellement cette autorisation avait
été accordée, ce serait là un fait grave, un fait, je le répète en terminant,
qui compromettrait la sûreté des voyageurs, nuirait à la régularité du service,
sacrifierait les intérêts de l'Etat à ceux d'une compagnie, et les intérêts
d'une industrie nationale à ceux d'une industrie étrangère.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, je ne pense pas que le cahier des charges
du chemin de fer de Namur à Liège fasse obstacle d'une manière absolue à
l'emploi des billes en sapin. Cette question, messieurs, n'est pas pour la
compagnie une question d'économie. Les billes en sapin peuvent coûter quelque
chose de moins que les billes en chêne ; mais elles imposent une charge de
renouvellement plus fréquente. A cet égard donc, messieurs, une compagnie qui a
une concession de 90 ans, ne fait aucune espèce de bénéfice eu substituant du
sapin au chêne.
Mais, messieurs, les
billes de chêne sont montées à un prix déjà excessif et qui peut l'être bien
autrement l'année prochaine. Ce fait, messieurs, vous a été signalé à propos de
la discussion du budget des travaux publics par votre section centrale, qui a
déploré pour le gouvernement les conséquences de ce renchérissement.
Je
dois le dire, messieurs, cet intérêt du chemin de fer de l'Etat a été pris en
considération et a été le principal motif de la détermination prise à l'égard
du chemin de fer de Namur à Liège.
Je le répète, du
reste, il n'y a ici aucun allégement de charges pour la compagnie ; et il doit
y avoir pour l'Etat un intérêt très réel à ne pas pousser d'une manière
immodérée au renchérissement des billes en chêne.
L'honorable membre
pense qu'il y a ici une question de sécurité. Je pense, messieurs, que des
billes en sapin offrent tout autant de sécurité que des billes en chêne à la
condition d'être renouvelées en temps opportun.
M. de La Coste. - Messieurs, je pense cependant que pour l'Etat ceci
n'est pas entièrement indifférent. Car ce principe une fois admis pourra
également continuer à être suivi, et à l'époque (très éloignée, il est vrai,
mais le législateur s'occupe aussi de l'avenir) où la concession finira, on
pourra nous rendre un chemin de fer muni de billes de sapin et par conséquent
ayant une valeur moindre que celle que nous devons attendre.
Il
faut encore faire attention, messieurs, que si les motifs qui viennent d'être
allégués recevaient plus d'extension, il en résulterait un très grand
inconvénient pour l'industrie métallurgique. Car par les mêmes motifs on
devrait ouvrir une porte fort large au fer étranger, ce qui ne rencontrerait
pas une grande approbation. Car si l'on facilite l'emploi du bois étranger à
raison d'une hausse de prix, il n'y a aucun motif pour ne pas faciliter
l'emploi du fer étranger, le prix du fer ayant augmenté, je crois, dans une
proportion beaucoup plus forte.
(page 1322) C'est là un doute qui s'est élevé dans mon esprit en
entendant les explications de M. le ministre.
Certainement
la situation des propriétés boisées et par conséquent des cantons où le bois
est l'objet auquel s'appliquent les travaux de l'agriculture, cette situation,
avant la hausse survenue par suite des nombreuses concessions de chemins de
fer, était loin d'être prospère. Il me semble donc qu'il ne faudrait pas
légèrement abandonner l'avantage qui en résultait pour ces contrées.
M. le ministre des
travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, je dois faire connaître à la chambre,
que le fait d'acquisition de fers à l'étranger a été prévu dans le cahier des
charges. Les concessionnaires sont autorisés à s'approvisionner de fers à
l'étranger, mais à cette condition que les fers fournis par les usines du pays
présentent un prix supérieur d'au moins 10 p. c. à celui des fers étrangers
rendus à Anvers.
M. David. - Messieurs, je ne
sais trop si, dans les circonstances où l'on se trouve aujourd'hui, en présence
des nombreux chemins de fer qui vont être construits, l'on doit trop s'opposer
à l'emploi des billes autres que celles en chêne. M. le ministre des travaux
publics vous a fait valoir à cet égard des raisons qui me paraissent
péremptoires. Le sapin, du reste, n'est pas une production exclusivement
exotique.
Mais il est une autre
question relative à la même route, celle qualifiée de Liège-Namur, qui
mériterait mieux les honneurs d'une motion l'ordre.
D'après
les plans et devis qui nous avaient été soumis lorsque nous avons été appelés à
statuer sur la concession de ce chemin de fer, il avait été décidé (car la
chambre n'a jamais pu croire autre chose) que la voie entre Huy et Liège suivrait
la rive gauche de la Meuse. Cependant aujourd'hui, dans un intérêt particulier,
un haut personnage, semblerait-il, est parvenu à influencer le gouvernement, et
il paraîtrait que la route suivra la rive droite. C'est là, messieurs, un
double malheur ; car d'une part toutes les industries se trouvent groupées sur
la rive gauche, et réclament son bienfait, et d'autre part les populations de
la rive droite repoussent cette direction et demandent qu'il suive sa première
indication.
Au moment de la
discussion, jamais, sur les cartes qui nous ont été soumises, messieurs, il n'a
été question que du parcours par la rive gauche entre Huy et Chokier, et puis
de là, que d'une bifurcation qui contentait tous les intérêts, et puis après
serait-il possible que l'on vînt remettre en question ce qui tacitement a été
décidé, puisque la chambre ne pouvait pas s'attendre à un pareil changement ?
Ce n'est pas la
première fois que j'interpelle M. le ministre des travaux publics à propos de
cette importante affaire.
M. le ministre des
travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, je crois me souvenir que dans la
discussion du budget des travaux publics, une interpellation a été faite au
sujet du tracé du chemin de fer de Namur à Liège, soit par la rive gauche soit
par la rive droite de la Meuse entre Huy et Liège. J'ai eu l'occasion
de déclarer alors, messieurs, que cette question n'était pas décidée ; je puis
ajouter que je comptais donner à cette question un soin tout particulier et
qu'elle sera décidée par des considérations d'intérêt général et nullement par
des considérations d'intérêt particulier, ainsi que l’honorable M. David paraît
le croire.
M. de Baillet. - Je demanderai
encore à M. le ministre des travaux publics s'il a autorisé d'autres chemins de
fer que celui de Liège à Namur à faire usage de billes en sapin, et si cette autorisation
pouvait être accordée en présence du cahier des charges.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Il n'a été donné qu'une autorisation
partielle et sans que cette décision puisse être invoquée comme précédent. Je
pense que cette réserve se trouve insérée dans l'arrêté.
Je crois, du reste,
messieurs, qu'il peut être utile d'apprécier, par un emploi de billes de sapin
sur une route isolée, quels seraient les avantages que pourrait éventuellement
présenter l'emploi de bois de cette essence, moyennant certaines préparations ;
l'attention du gouvernement a été spécialement appelée sur ce point dans la
dernière discussion du budget des travaux publics.
M. Fleussu. - Je prierai M. le ministre des travaux publics
de bien vouloir nous dire si, dans le cahier des charges du chemin de fer de
Liège à Namur, il a été stipulé quelle serait l'essence de bois qu'on devrait
employer pour les billes.
M. le ministre des travaux
publics (M. de Bavay). - Messieurs, la
question n'est pas décidée par le cahier des charges. Le cahier des charges dit
simplement qu'on se servira des matériaux en usage dans le pays.
M. de Mérode. - Je ne veux dire
qu'un mot à l'appui des observations de M. le ministre des travaux publics,
c'est que si l'on établissait d'une manière absolue l'obligation de n'employer
que des billes en chêne, on ferait monter le prix du chêne à un taux
exorbitant. Les propriétaires des bois de chêne feraient là un bénéfice très
beau, mais je crois que dans l'intérêt public il n'est pas à propos de leur
donner un pareil monopole.
(page 1335) M. Lebeau. - On a demandé à M. le ministre des travaux publics s'il n'y avait pas
dans le cahier des charges une clause impérative pour l'emploi du chêne. M. le
ministre n'a pas répondu. Je viens de voir le cahier des charges du chemin de
fer de l'Entre-Sambre et-Meuse ; il y est positivement déclaré que les billes
doivent être en bois de chêne. Si, maintenant, on s'est servi des mêmes
expressions dans le cahier des charges du chemin de fer de Namur à Liège, on
aurait altéré la loi, car le cahier des charges a été voté par la chambre, en
ce sens que la chambre avait le cahier des charges sous les yeux au moment où
elle a émis le vote consacrant la concession et que des lors elle a pu se
décider par les clauses de ce cahier des charges.
Je ne puis pas m'empêcher de trouver assez étrange la prédilection accordée
à la vallée de la Meuse, par M. le ministre des travaux publics, pour faire un
essai auquel on prétend que se rattachent des conditions de sécurité. Le lieu
est singulièrement choisi : une vallée à côté d'un grand fleuve, où il y aura
sans doute des travaux d'art, ce lieu est singulièrement choisi, je le répète,
pour faire un essai auquel se rattachent des questions de sécurité.
Du reste la question est celle-ci : dans le
cahier des charges du chemin de fer dont il s'agit, s'est-on servi des mêmes expressions
que dans le cahier des charges du chemin de fer de l'Entre- Sambre-et-Meuse où
l'obligation d'employer des billes de chêne est positivement stipulée. Si,
maintenant, on s'est servi d'une autre phrase, si l'on a dit, par exemple,
qu'on se servira de bois en usage dans le pays, eh bien, il est notoire que
jusqu'à présent, le sens de cette phrase c'est de prescrire l'emploi du bois de
chêne qui est généralement employé dans le pays.
Je demande que M. le ministre des travaux publics veuille bien nous donner
une explication plus précise.
(page 1322) M. le ministre des
travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, je crois être certain que le cahier des charges
du chemin de fer de Namur a Liège n'a pas, quant au système de fondation, une
rédaction qui soit identiquement celle du cahier des charges du chemin de fer
de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Evidemment, si le cahier des charges avait dit
d'une manière formelle que les billes en chêne étaient seules admissibles, le
gouvernement n'aurait pas cru pouvoir admettre, même partiellement et avec
certaines restrictions, une dérogation à une pareille clause. Je crois que le
cahier des charges du chemin de fer de Namur a Liège est conçu dans ce sens que
les matériaux doivent être analogues à ceux qu'on emploie dans le pays.
Or, dans le pays,
nous avons employé du bois de toutes essences, du sapin, du bois blanc, du
peuplier et par conséquent l'usage ne résout pas la question d'une manière
formelle, dans le sens d'une fondation en chêne.
Quoi qu’il en soit,
messieurs, ainsi que je l'ai déclaré, la considération la plus forte est celle
de l'intérêt du chemin de fer de l'Etat qui est sous le coup d'une élévation
considérable du prix des billes.
Eu ce qui concerne la
sécurité, ainsi que je crois l'avoir déjà dit, les billes en sapin offrent les
mêmes garanties que les billes en chêne, à la seule condition qu'elles soient
renouvelées en temps convenable. Il n'y a donc ici qu'une question de
surveillance, et du moment que cette surveillance est bien exercée, la sécurité
ne peut être compromise en aucune façon.
M. Mast de Vries. - Je ne conçois pas, messieurs, l'insistance avec
laquelle on semble critiquer une décision prise entièrement dans l'intérêt du
trésor. Si le département des travaux publics doit continuer à se servir de
bois de chêne comme nous l'exigeons, et si l'on emploie le même bois dans tous
les chemins de fer qui sont accordés ou qui le seront à l'avenir, il est
évident que le gouvernement payera ses billes à un prix exorbitant. Les billes
en chêne ont augmenté l'année dernière de 22 à 23 p. c. et depuis quelques
années le prix en est doublé. Vous pouvez vous attendre à les payer bientôt 10
ou 12 fr.. au lieu de 6 fr. 20 c, qu'elles coûtent aujourd'hui. Lorsque le
chemin de fer a été commencé, les billes coûtaient 2 ou 3 fr. ; c'était la
valeur vénale, aujourd'hui elles coûtent dans les campagnes jusqu'à 5 fr., et
le gouvernement, je le répète, les paye à 6 fr. 20.
Je
conçois parfaitement que pour le chemin de fer de l'Etat, on continue à
n'employer que des billes en chêne, mais je crois qu'on peut, moyennant une
bonne surveillance, permettre aux sociétés de faire usage de billes en sapin.
Si ces billes, au lieu
de durer 10 ans, doivent être renouvelées au bout de cinq ans. c'est l'affaire
des compagnies, car il est fort peu important que d'ici à 90 ans on nous livre
un chemin de fer dont les billes sont en sapin ou en chêne. Cela est si vrai
que l'on considère une concession de 90 ans comme une concession perpétuelle.
Et en effet, un franc qui nous sera payé dans 90 ans ne vaut pas aujourd'hui un
quart de centime. Peu importe donc quelle sera l'essence des billes d'un chemin
de fer qui ne nous sera livré qu'au bout de 90 ans.
M. Rogier. - J'ai une simple
observation à faire dans l'intérêt de l'Etat. Je demanderai à M. le ministre si
la faculté de substituer des billes en sapin aux billes en chêne, qui a été
accordée pour la route de Namur à Liège, l'a été pour d'autres routes et
notamment pour les chemins de fer de Jurbise à Tournay et de St Trond à
Hasselt. Je ne suppose pas que M. le ministre ait pu prendre sur lui de
permettre une pareille substitution, car ici, évidemment il y aurait lésion des
intérêts du trésor. Vous savez, messieurs, que l'exécution de la route de
Tournay à Jurbise a été entreprise par les directeurs de la société
concessionnaire, moyennant la somme de 12,500,000 fr. J'ai fait ressortir les
avantages pécuniaires considérables qui devaient résulter pour les directeurs de la compagnie, d'un pareil marché. D'après le devis de M.
l'ingénieur Desart, les billes sur cette route doivent être en chêne, et si M.
le ministre autorisait ici la substitution du sapin au chêne, il donnerait par
là un nouvel avantage aux entrepreneurs qui ne sont autres que les directeurs
de la compagnie, et cet avantage, remarquez-le bien, messieurs, leur serait
accordé au détriment direct du trésor public. En effet, le gouvernement esl
chargé de l'entretien de la route, et si les billes ne durent que quelques
années, l'économie que les directeurs de la société auraient faite en employant
du sapin, retomberait à charge de l'Etat qui doit renouveler les billes. Voilà,
messieurs, une observation qui ne doit pas échapper à l'attention de M. le
ministre. Je le répète, si la substitution du sapin au chêne était permise pour
cette route, il y aurait lésion directe des intérêts du trésor, à moins que les
entrepreneurs ne consentissent à indemniser l'Etat de la perte que cette
substitution lui causerait.
M. le ministre des
travaux publics (M. de Bavay). - Je crois avoir déclaré qu'il n'avait été pris
qu'une décision isolée, décision environnée elle-même de restrictions. Je crois
pouvoir renouveler cette déclaration et je crois pouvoir ajouter que pour les chemins de fer de Tournay à Jurbise
et de Saint-Trond à Hasselt, le cahier des charges exige des billes de
fondation en chêne, et que le gouvernement exigera qu'il soit satisfait a cette
prescription. Ici, messieurs, comme l'a fort bien fait remarquer l'honorable
préopinant, la position est toute différente ; il ne s'agit pas d'une route à
exploiter par une société concessionnaire pendant 90 ans, et à entretenir par
cette société pendant le même laps de temps ; ici c'est un travail à faire et à
remettre au gouvernement qui est chargé de l'exploitation et de l'entretien.
Ici l'intérêt du trésor exige évidemment que le gouvernement prescrive l'emploi
de billes en chêne, et cet emploi est en effet prescrit.
M. de Garcia. - Messieurs, la discussion actuelle me semble
réellement manquer de base. En effet, le cahier des charges n'est pas produit,
et dès lors impossible d'apprécier justement la légalité du fait qui fait
l'objet de la motion d'ordre. L'on dit à la vérité que, dans l'espèce, les
billes devaient être d'essence de chêne, mais ce fait n'est pas établi, et j'ai
lieu de croire qu'il en est autrement. Je tiens ici un cahier des charges d'un
chemin de fer, et je n'y vois pas la clause qu'on prétend exister dans le
cahier de charges du chemin de fer de Namur à Liège. Dans le document que j'ai
sous la main, je rencontre à peu près les expressions que M. le ministre
prétend exister dans le cahier de charges dont s'agit. C'est le cahier des
charges du chemin de fer de Wavre à Manage. Voici, messieurs, ce qu'il porte :
« Tous les ouvrages,
sans distinction, pourront être construits avec les matériaux en usage dans les
travaux publics des mêmes localités, sous la (page 1323) seule condition que ces matériaux seront, chacun dans
son espèce, de la meilleure qualité, et qu'ils seront mis en oeuvre d'après les
règles de l'art, de manière à garantir la solidité et la durée des
ouvrages. »
Sciemment et
impartialement interprétée, cette clause ne me paraît nullement comporter
l'exclusion de toute autre essence de bois que celle de chêne. Au surplus, messieurs,
si de pareilles clauses peuvent exister dans des concessions à longs termes,
j'ai la conviction intime que d'ici à peu de temps elles ne pourront recevoir
leurs effets, et sans m'exposer en rien, je crois pouvoir prédire que d'ici à
peu d'années, les billes en chêne et en bois du pays feront défaut tant aux
chemins de fer de l'Etat qu'à ceux concédés. En présence de la multiplicité de
nos lignes ferrées, il est incontestable que dans un avenir assez rapproché,
les forêts du pays ne fourniront plus les billes dont on aura besoin.
Lors
de la discussion de la loi des droits différentiels, j'ai été partisan d'une
certaine protection en faveur des bois du pays ; mais je ne veux pas d'une
protection exagérée, et ils est possible qu'un jour je devrai consentir à ce
que, dans l'intérêt public et dans celui de nos chemins de fer, les portes du
pays soient ouvertes au bois étranger : mais je m'étonne que les membres qui,
dans cette circonstance, demandent qu'on fasse usage du bois de chêne et du
bois national, soient précisément ceux qui se sont montrés les adversaires de
la protection que l'on a accordée à nos propriétés forestières.
Quoi qu'il en soit,
si la clause du chemin de fer de Liège vers Namur est conçue comme celle que
j'ai sous les yeux, je crois que le gouvernement, en usant de la faculté qu'on
semble vouloir lui contester, n'a pas outrepassé le cahier des charges.
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- Messieurs, il me semble qu'on discute sans base jusqu'à présent ; je crois
qu'il vaudrait mieux remettre les explications de M. le ministre des travaux
publics, lorsqu'on discutera le projet de canal ; M. le ministre des travaux
publics pourra alors faire connaître la clause du cahier des charges.
PROJET DE LOI PORTANT UN CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU
BUDGET DU DEPARTEMENT DES FINANCES POUR L’EXERCICE 1846
M. le ministre des finances (M.
Malou) dépose un projet de
loi tendant à accorder au département des finances, sur l'exercice 1846, un
crédit supplémentaire de 80,000 fr. pour le service de la monnaie.
- Il est donné acte à
M. le ministre de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé et
distribué.
Sur la proposition de
M. le ministre des finances, la chambre renvoie le projet à l'examen de la
section centrale du budget du département des finances.
Discussion des articles
Chapitre III. -
Statistique générale
Article 2
M. le président. - La discussion
continue sur l'article 2 du chapitre III.
(page 1335) M. Lebeau. - Messieurs, je demande à la chambre la
permission de présenter encore quelques observations sur l'article qui est
actuellement en discussion et que je regarde comme étant d'une très haute
importance, opinion qui semble être partagée par la chambre, puisqu'elle n'a
pas voulu clore le débat hier.
Je voudrais qu'on fût
bien fixé, et surtout qu'on le fût au banc des ministres, sur le sens que nous
attachons au vote que nous allons émettre et qui, je l'espère, sera conforme à
celui de la section centrale.
La section centrale a
résumé dans les termes suivants les motifs de l'allocation de 250,000 fr.,
qu'elle a substituée à la demande de 60,000 fr. faite par le gouvernement.
« M. le ministre,
dit-elle, n'a pu prendre d'engagement quant à l'époque où pourrait être terminé
le recensement. La section centrale compte cependant qu'en mettant à la
disposition du gouvernement la somme nécessaire pour poursuivre cette opération
avec activité, il pourra être fait dans les premiers mois de 1847, si pas un
dépouillement complet des bulletins, au moins un relevé numérique de la
population qui en fasse connaître le chiffre exact. »
Vous voyez quel est
le vœu de la section centrale, et quel est le but qu'elle veut atteindre, en
proposant d'augmenter de 190,000 fr. le chiffre du gouvernement, qui ne
proposait que 60,0 0 fr.
La commission
centrale de statistique elle-même, tout en reconnaissant les difficultés qui
pouvaient entraver le travail du recensement de la population, s'est exprimée
de la manière suivante sur la possibilité d'atteindre au même résultat.
« Si le gouvernement
désire, dit-elle, faire usage des résultats du recensement de la population, de
manière à pouvoir le faire servir de base aux élections du mois de juin 1847,
il faut nécessairement que ce recensement puisse se faire dans un délai aussi
rapproché que possible ; ce n'est qu'a cette condition que les résultats en
pourront être exactement connus dans les premiers mois de 1847. »
Ainsi la commission
de statistique, d'accord avec le vœu de la section centrale estime que le
dénombrement de la population peut être achevé assez tôt pour qu'on puisse en
tirer parti, en cas de présentation d'un projet de loi, tendant à mettre le
nombre des membres des chambres législatives en rapport avec le chiffre de la
population du royaume.
Il va de soi que la
commission, de même que la section centrale, n'a pu entendre, en parlant de la
connaissance du chiffre exact de la population, qu'un résultat en bloc, ne
comprenant pas les différentes subdivisions que j'ai indiquées hier,
subdivisions qui sont très utiles, indispensables, au point de vue de la
science et même de l'administration générale, mais qui demanderont du temps
pour être exactement relevées et qui sont complétement oiseuses quant au but
spécial que la commission de statistique et la section centrale avaient chacune
en vue en parlant des élections de 1847.
Je dois dire que dans
des entretiens particuliers que j'ai eus avec plusieurs membres distingués de
la commission centrale de statistique, ces messieurs ne mettent pas en doute
que, réduite aux proportions que je viens d'indiquer, cette première opération,
qui n'exclut pas un travail ultérieur plus complet, est très facile, et qu'elle
demanderait tout au plus deux mois à deux mois et demi. Par conséquent, si l'on
procédait au dénombrement de la population, soit le 1er octobre, soit le 1er
novembre, soit même un peu plus tard encore, il y a lieu de penser que les résultats
en seraient acquis au gouvernement et aux chambres, de manière à profiter à la
présentation et à la discussion d'une loi de la nature de celle dont j'ai déjà
parlé.
Nous ne sommes pas
sans doute trop exigeants, en demandant que le recensement de la population ne
soit plus retardé. Déjà, en 1845, la chambre, d'accord avec le gouvernement, a
exprimé le vœu que l'opération fût commencée : elle a, en effet, voté une
première somme sans discussion.
Il n'y a pas
d'exemple qu'on ait retardé des dénombrements de population autant que celui
auquel on va procéder, il en a été fait dans notre pays en 1806, en 1811, en
1816 et en 1829 ; il devait en être fait un en 1839, cela était formellement
prescrit ; je ne sais pourquoi le dénombrement qui devait être fait en 1839 a
été ajourné, mais il a été ajourne à un très long terme sur la proposition même
de l'honorable M. de Theux.
L'urgence de la
mesure, ce n'est pas moi qui la proclame. Voici comment M. Nothomb, dans un
rapport qu'il présentait au Roi, à l'appui des tableaux qui sont annuellement
distribués, s'exprimait dès le mois de mars 1842.
« Persuadé de la
nécessité de procéder à un nouveau recensement général de la population, je
saisis cette occasion pour informer V. M. que j'aurai l'honneur de lui
soumettre des propositions à cet égard, dès que la commission centrale de
statistique aura terminé les travaux qu'elle a entrepris à titre d'essai sur le
recensement qui vient d'être fait dans le capitale du royaume. »
Il y avait d'autant
plus de raison de s'exprimer ainsi que dans le dénombrement de 1829 qui,
depuis, a servi de point de départ aux calculs de la population, la commission
de statistique accuse des omissions, à peu près dans la proportion d'un
dixième.
Et ces omissions sont
faciles à concevoir. En effet, ce recensement semble avoir été particulièrement
prescrit dans un but fiscal ; l'on comprend dès lors quelle force d'inertie ont
dû y opposer beaucoup d'administrations locales : il s'agissait, pour plusieurs
d'entre elles, d'éviter de passer dans une classe supérieure, non seulement
pour la milice, mais pour l'impôt des patentes et celui des portes et des
fenêtres, et du personnel ; on conçoit, après cela, une espèce de conspiration
de la part de beaucoup d'administrations locales pour dissimuler le chiffre
vrai de la population dont la révélation aurait pu avoir de pareilles
conséquences.
La commission de
statistique déclare qu'après les recherches les plus approfondies, elle a lieu
de penser que dans le recensement de 1829, il y a eu omission à peu près d'un
dixième de la population existant alors.
Le gouvernement doit
comprendre qu'a ce nouveau point de vue, un intérêt très important est engagé
ici, celui du trésor public, celui des finances de l'Etat ; il est évident que
s'il y a eu une si grande dissimulation dans le chiffre de la population, il y
a, de ce chef, une réduction notable sur le chiffre auquel devraient s'élever
la contribution personnelle, l'impôt des patentes ; et que probablement aussi
il y a, quant à la milice, des inégalités choquantes, des injustices, aux
dépens des administrations qui ont fait des déclarations sincères.
Il y a quelque chose
de plus actuel à faire remarquer. On a présenté à la chambre une loi sur les
notaires ; or on ne pourrait pas la discuter en l'absence d'un recensement.
Evidemment dans l'opinion de M. le ministre de la justice, le nombre des
notaires propose est basé sur la population des différentes juridictions judiciaires
ou administratives ; cette base, nous ne la connaissons pas ; elle a été
faussée dans le seul dénombrement qui nous reste, et elle ne peut être
rectifiée que par un dénombrement nouveau. Par conséquent, pour la fixation des
notaires, vous seriez dans la plus grande incertitude sur la base, telle que la
loi organique du 25 ventôse an XI, qu'on dit vouloir respecter, l'a établie.
Je n'ai plus besoin
d'insister sur ce fait, que si on lie intimement, indissolublement l'opération,
d'ailleurs très utile, de la statistique agricole et industrielle, au
dénombrement de la population, il est clair qu'on renvoie à 4 ou 5 ans ce
dénombrement même.
Il est de fait que si
on insistait pour que ces trois opérations se fissent à la fois, non seulement
sur les lieux, mais dans les bureaux, elles restassent indissolublement unies à
toutes leurs phases, c'est comme si on disait que nous voulons renvoyer à 5, 6
ou 7 ans la fin des opérations du dénombrement de la population. Les
appréhensions que manifestait en 1842 l'honorable M. Sigart, appréhensions dont
l'expression seule offensait la susceptibilité de l'honorable M. Nothomb, ces
appréhensions seraient complétement justifiées si on ne procédait pas
immédiatement au dénombrement de la population, de manière à en offrir d'abord
le résultat brut, le résultat purement numérique.
Lorsqu'on a voté pour
la première fois un chiffre destine à faire face aux dépenses du dénombrement,
on n'a parlé que de la population ; c'est seulement vers le milieu de 1845 que
l'idée de lier les trois opération a germé dans quelques têtes ; c'est partant
de cette idée que les trois opérations étaient indivisibles, qu'on en est venu
à demander un ajournement presque indéfini à cause du manque de récolte des
pommes de terre. Aurait-on vu là un expédient envoyé par la Providence au
secours de ceux qui ne veulent pas du dénombrement de la population ?
L'obstacle qu'on y verrait pour la statistique agricole n'aurait pas disparu en
1847 ; je ne crois pas que la marche régulière de la production agricole soit complétement
remise de la crise de l'année dernière avant plusieurs années ; ce serait donc
peut-être un ajournement indéfini, que de lier la statistique de la population
à la statistique agricole. Je sais qu'on peut différer d'opinion sur l'urgence
de la mesure ; j'ai entendu l'honorable comte de Mérode se récrier contre
l'impatience avec laquelle on paraît vouloir, pour me servir à peu près de son
langage, fabriquer de nouveaux instruments législatifs. Impatience pour
impatience, je comprendrais plutôt l'impatiente de fabriquer de nouveaux
législateurs, que celle de fabriquer de nouveaux notaires.
Les nouveaux
législateurs sont demandés par le pays ; ils sont demandés en très bons termes,
avec de très solides arguments, tandis que pour les nouvelles institutions de
charges de notaires, je n'ai pas vu qu’elles aient été demandées par qui que ce
soit. Les notaires eux-mêmes ne les ont pas (page 1336) demandées, je le comprends très bien ; mais les corps
judiciaires, les corps administratifs les ont-ils demandées ? Des particuliers
même se sont-ils adressés à vous pour vous manifester le besoin, l'extrême
urgence d'une aussi grande augmentation de notaires ?
Il m'est donc permis
de m'étonner à mon tour qu'à propos d'urgence et en égard aux travaux dont nous
sommes chargés, on trouve que nous avons mauvaise grâce à la présenter comme
militant en faveur du projet dont il s'agit, quand on vient la proclamer à
propos d'une nouvelle et considérable fabrication de notaires que personne ne
réclame, et que cette urgence se révèle tout à coup au point de faire donner la
priorité à ce projet inattendu sur l'examen du projet de loi d'enseignement
moyen dans les sections.
Plusieurs voix. - Non ! non !
M. Fleussu. - Cela a eu lieu dans ma section.
M. Lebeau. - C'est tellement
vrai que cet empressement est l'objet des plus singulières conjectures, à tel
point que, hors de cette chambre, cette loi est tout simplement qualifiée
d'expédient électoral.
M. le ministre des finances (M.
Malou).
- C'est votre projet de 1834.
Un membre. - Non pas quant au
nombre des notaires.
M. Lebeau. - J'ai dit que des
réclamations s'étaient fait entendre en faveur de l'augmentation du nombre des
représentants. Déjà le conseil d'une des provinces les plus éclairées, les plus
populeuses, les plus intéressantes du pays, s'est adressée au gouvernement ; je
prends la liberté de rappeler à la chambre ce qui s'est passé dans la dernière
session du conseil de cette province ; il s'agit du Hainaut.
Un membre du conseil
provincial du Hainaut a proposé dans la dernière session le projet de
résolution suivant :
« Le conseil, vu
les articles 45 et 53 de la Constitution ;
« Vu l'article 55 de
la loi électorale de 1831 qui a fixé les membres de la représentation
nationale, ainsi qu'il suit :
« Pour la chambre des
représentants, 102
« Pour le sénat, 51
« Vu la loi du 3
juin 1839 qui par les modifications apportées à la loi électorale pour les
provinces de Limbourg et de Luxembourg a réduit le nombre total des
représentants à 95 et celui des sénateurs à 47.
« Considérant que la
population du royaume était au 1er janvier 1814 de 4,213,805 habitants et que,
sur cette base, le nombre des représentants doit être élevé à 105 et celui des
sénateurs à 52, pour minimum, aux termes de l'article 49 de la Constitution.
« Que dans la
nouvelle répartition à faire entre les provinces, le Hainaut, d'après sa
population actuelle, aurait droit à 17 représentants, au lieu de 15, et à 9
sénateurs au lieu de 7.
« Arrête :
« La députation
permanente est chargée de renouveler au gouvernement le vœu émis dans les deux
sessions précédentes, pour une répartition nouvelle des représentants et des
sénateurs du royaume, d'après la population effective des provinces et de
solliciter, à cet effet, la présentation, aux chambres, pendant la session de
1845-1846, d'un projet de loi qui assigne aux provinces respectives, dans la
représentation nationale, la part indiquée au tableau suivant, sur pied des
relevés officiels de population au 31 décembre 1843. »
L'auteur de la
proposition, M. le comte Lehon, se livre ensuite à diverses considérations et à
des calculs dignes du plus grand intérêt. Le journal qui la rapporte termine
ainsi le compte-rendu de la séance du conseil provincial du 18 juillet 1845.
« L'honorable membre
présente quelques autres observations sur les griefs comparatifs de chaque
province et sur les avantages privilégiés du Limbourg et du Luxembourg qui,
depuis six ans, ont à la chambre un de leurs députés, la première, pour 17,184
habitants, la seconde, pour 20,709, tandis que tant d'autres provinces en sont
privées, le Brabant pour 94,738 habitants, le Hainaut pour 79,536, la Flandre
orientale pour 79,428.
« La proposition,
mise aux voix, est adoptée à l'unanimité. »
Il paraît que c'était
la troisième fois qu'on s'adressait au gouvernement. Comme je n'ai pas
l'honneur de faire partie de l'administration, je ne sais pas quelle décision
le gouvernement a fait connaître à cette assemblée ou à ceux qui étaient
chargés de la représenter.
L'auteur de la motion
faisait ressortir les augmentations de représentants et de sénateurs, qui
devraient avoir lieu par province ; mais il a basé son travail sur l'état de la
population au 3l décembre 1843. J'ai fait le même travail, mais d'après l'état
de la population au 31 décembre 1844, dernier document officiel communiqué par
le gouvernement ; voici quels sont les résultats auxquels je suis arrivé.
J'ai basé mes
opérations sur les principes de la loi électorale de 1831 qui, dans la
répartition entre les provinces et dans la sous-répartition entre les
districts, a eu, en général, égard, pour la fixation du nombre des
représentants et des sénateurs, aux fractions de chiffres les plus élevées,
c'est-à-dire qui s'approchent le plus tantôt de 40,000 âmes, tantôt de 80,000,
selon qu'il s'agit de cette chambre ou du sénat.
(Note du webmaster : les tableaux en question ne sont pas repris
dans la présente version numérisée. Globalement, ils concluent au fait que le
nombre d’élus devraient passés par province de :
Anvers : députés : de 9 à 10
(+1) ; sénateurs : de 4 à 5 (+1)
Brabant : députés : de 14 à 17 (+3) ;
sénateurs : de 7 à 8 (+1)
Flandre occidentale : députés : de 15 à 16
(+1) ; sénateurs : de 8 à 8 (+0)
Flandre orientale : députés : de 18 à 20
(+2) ; sénateurs : de 9 à 10 (+1)
Hainaut : députés : de 15 à 17 (+2) ;
sénateurs : de 7 à 9 (+2)
Liége : députés : de 9 à 11 (+2) ;
sénateurs : de 5 à 6 (+1)
Limbourg : députés : de 5 à 4 (-1) ;
sénateurs : de 2 à 2 (+0)
Luxembourg : députés : de 5 à 5 (+0) ;
sénateurs : de 2 à 2 (+0)
Namur : députés : de 5 à 6 (+1) ;
sénateurs : de 3 à 3 (+0)
Total : députés : de 95 à 106 (+11) ;
sénateurs : de 47 à 53 (+6))
(page 1338) Je prie la chambre de remarquer que ces résultats sont
basés sur la population arrêtée au 31 décembre 1844. Nous pourrions connaître
déjà, je pense, l'étal de la population au 31 décembre 1845 ; je crois que les
documents sont à l'impression ; je conçois que l'impression en soit lente,
c'est un travail difficile et ordinairement très soigné.
Je ne m'arrêterai pas
sur une considération spéciale et assez étrange, ce serait indigne de moi et
des ministres intéressés, à savoir, que la province du Limbourg, et notamment
le district de Hasselt, n'a pas à gagner à cette mesure, que le district d'Ath
n'a rien à y gagner non plus ; qu'il en est de même des districts de Louvain et
d'Ypres.
Je veux croire au
contraire que c'est une raison de plus pour espérer que MM. les ministres, se
plaçant au-dessus de l'offensante supposition qu'ils se laisseraient préoccuper
par un mesquin intérêt de localité ou de personne, apporteront tout le zèle et
toute l'ardeur dont ils sont capables dans les opérations qui doivent les
mettre à même de nous présenter la loi concernant l'augmentation du nombre des
membres des deux chambres. J'ose croire que MM. les ministres ne me feront pas
repentir de leur avoir témoigné la bonne opinion que je viens d'exprimer.
L'honorable M. de
Theux a manifesté un scrupule que je regarde comme très fondé relativement à ce
qui devrait arriver dans le cas de l'augmentation du nombre des membres des
chambres législatives. Je vais y répondre, en faisant remarquer que ce scrupule
s'appliquerait à toutes les époques.
M. le ministre a
parlé de la prépondérance momentanée que pourraient acquérir certaines
provinces ; c'est-à-dire, messieurs, que les provinces appelées à élire en 1847
jouiraient toutes de l'avantage de l'accroissement du nombre, tandis que les
autres provinces qui ne seraient pas dans la série appelée à élire en 1847,
seraient forcées d'attendre deux ans avant de participer à l'avantage du
nouveau nombre, et que l'équilibre serait ainsi rompu entre les provinces.
Je crois, messieurs,
qu'il y a deux moyens de maintenir cet équilibre. Le premier, c'est 1a
dissolution ; mais comme la dissolution, même sans caractère politique,
pourrait encore faire peur à certains esprits, je crois que dans le cas dont
nous nous occupons, il serait très légitime de dire que les députés nouveaux
attribués aux provinces qui appartiennent à la série non sortante en 1847,
seraient élus pour deux ans, qu'ils feraient partie de la série sortant dans
deux ans. Il n'y aurait là rien que de rationnel et de légal. Voilà donc un
moyen très simple qui ne peut effrayer personne, comme semble le faire le moyen
de la dissolution.
Il y a une raison
nouvelle et toute spéciale pour que la loi produise ses effets aux élections de
juin 1847 ; c'est qu'il y aura aussi à cette époque des élections sénatoriales
; les électeurs devront aussi se réunir pour élire des sénateurs. C'est encore
là une question d'opportunité qui n'est pas à dédaigner.
Dirai-je un mot,
avant de finir, de l'opinion exprimée par l'honorable M. Orban, que la loi
électorale avait en quelque sorte tout terminé sur la question du nombre lorsqu’en
1831 on avait annexé le tableau des représentants et des sénateurs à la loi
organique ? L'honorable M. Orban a complétement perdu de vue, messieurs, que le
congrès n'a pas voulu et que nous n'avons ici ni le système anglais ni le
système français ; nous avons adopté véritablement un tout autre système ;
c'est le système de la représentation par population, système qui prévaut dans
d'autres pays et notamment aux Etats-Unis d'Amérique, que le congrès belge a
sanctionné. Voyez la Constitution : « Art. 49. La loi électorale fixe le
nombre de députés d'après la population. Ce nombre ne peut excéder la
proportion d'un député sur 40,000 habitants.» La loi électorale fixe donc le
nombre de députés d'après la population. Mais la population est un élément
essentiellement variable. Ainsi, supposez que notre jeune Belgique, sous
l'influence de ses institutions libérales, d'une bonne administration et d'une
longue paix européenne, développe toutes les ressources, toutes les richesses,
toute la fécondité qu'elle renferme dans son sein, et voie sa population se
doubler, se tripler dans une période plus ou moins rapprochée ; elle devrait
donc conserver la même représentation. Si la population belge s'élevait un jour
à 12 millions, il faudrait qu'elle conservât sa représentation de 1831, basée
sur une population de 4 millions ! Cela, messieurs, n'est pas soutenable.
Evidemment il y aurait alors d'autres intérêts qui demanderaient de nouveaux
organes. Les développements seuls de l'agriculture et de l'industrie créent de
nouveaux intérêts, auxquels, pour rester fidèle à l'esprit de la Constitution
de 1831, il faut créer de nouveaux organes.
C'est ainsi qu'en
Amérique, où le principe de la représentation par population a été écrit comme
chez nous dans les lois constitutionnelles, on a prescrit qu'après une période
donnée, huit ou dix ans, le nombre des membres des chambres serait augmenté en
proportion de la population. Aussi le congrès des Etats-Unis est-il aujourd'hui
au moins quadruple de ce qu'il était du temps de l'illustre Washington.
Non seulement la
constitution fédérale des Etats-Unis a prévu, avec le cas de l'augmentation de
la population, la nécessité de modifier la composition des chambres
législatives, mais les constitutions des différents Etats l'ont prévue. Je
citerai la constitution de l'Etat de New-York, la constitution de l'Etat de Pennsylvanie.
Je pourrais en citer d'autres, et mettre les textes sous vos yeux ; mais je ne
veux pas abuser des moments de la chambre.
On comprend parfaitement
bien que quand le législateur a posé, pour base de la représentation nationale,
la population, élément essentiellement variable, il faut, après une période
donnée, mettre les conséquences en harmonie avec le principe.
Le système contraire,
le système préconisé par l'honorable M. Orban, savez-vous, messieurs, ou il
conduit ? Il conduit directement au système des bourgs pourris.
Supposez, par
exemple, un arrondissement, une province, qui, riche aujourd'hui, favorisé par
certaines circonstances, ait obtenu, en raison de sa population, un nombre
déterminé de députés basé sur cette population. Supposez que cette province ou
ce district, frappé de circonstances fatales, de circonstances qui ont pesé
alternativement dans différents siècles sur certaines localités, s'appauvrisse,
que sa population émigré. Supposez qu'à côté un province ou un district pauvre
d'abord, devienne par la naissance ou le développement dans son sein de
diverses sources d'industrie, par de nouvelles voies fluviales, par de
nouvelles voies de communication, par la découverte de grandes richesses
minérales, devienne à son tour riche et qu'il voie sa population doubler,
tripler, quadrupler en quelques années, comme on l'a vu dans certains comtés de
l'Angleterre, comme on l'a vu, surtout aux Etats-Unis d'Amérique ; il
résulterait du système de M. le rapporteur que le district le plus pauvre, le
district devenu sans population, conserverait la même représentation, alors que
le district le plus riche, celui dont la population serait quadruplée,
resterait avec le seul député que la loi de 1831 lui aurait attribué.
Voilà, messieurs, où
conduit le système de l'honorable M. Orban. Il conduit directement au système
des bourgs pourris, contre lequel toute l'Angleterre s'est soulevée il y a dix
ou douze ans.
Nous avons
d'ailleurs, messieurs, la démonstration la plus positive de la manière dont il
faut entendre l'article 51 de la constitution par l'application qui en a été
faite par le congrès lui-même. Le congrès s'est arrêté où ? A la limite
extrême. Chaque fois qu'un district a pu prouver que la population allait à
40,000 âmes ou même en approchait et surpassait sur ce point celle d'un
district voisin, on lui a attribué un député. Quand il a eu 80,000 âmes, ou qu
il a approché de ce chiffre plus qu'un autre, ou lui a donné un sénateur.
Dans la loi de 1839,
après la réduction du territoire, quand on a été forcé de réviser la loi
électorale, on a encore maintenu la limite extrême ; à tel point qu'on a
franchi cette limite, et notamment en faveur du Limbourg qui a obtenu un député
de plus que bien certainement il n'avait le droit d'obtenir.
Je n'ai pas besoin
d'insister, messieurs, sur cette considération si vraie, si puissante, sans
pourtant vouloir pousser les choses à l'extrême, sans vouloir la cohue, que
plus une assemblée est nombreuse, plus il y a de chances d'y trouver des
lumières, plus il y a de chances que tous les intérêts du pays soient
convenablement représentés, plus il y a de chances que la Couronne puisse
facilement y trouver les éléments de son conseil, moins il y a de chances de
corruption.
Et par exemple,
chacun se rappelle quel patriotisme, quelle sagesse ont présidé aux actes de
notre mémorable assemblée constituante. Nous sommes encore certainement loin de
voir la chambre des représentants portée à 200 membres. Mais je crois que par
l'expérience de ce qui a été fait lorsque la législature atteignait ce nombre,
on peut être pleinement rassuré sur les conséquences de la loi que nous
sollicitons.
Messieurs, ce n'est
pas ici une loi de parti. Si vous prétendez, si vous croyez sincèrement, vous
membres de la majorité, que votre opinion a de la popularité dans le pays, que
votre opinion domine dans le pays, et vous devez le soutenir, sans cela vous
reconnaîtriez que vous n'avez pas le droit de gouverner ; si vous reconnaissez
que votre opinion est la plus nationale, vous devez nous aider dans les efforts
que nous faisons pour augmenter, pour compléter la représentation. Ceci n'est
pas une loi qui puise sa raison d'être dans l'intérêt d'un parti ; c'est une
loi d'intérêt éminemment national, et l'opinion qui refuserait de s'associer au
vœu que j'émets pour que la Constitution, pour que l'esprit de la Constitution
soit obéi dans cette circonstance, après une intervalle aussi long, après seize
ans d'inaction, l'opinion qui repousserait ce vœu, avouerait elle-même qu'elle
a peur du pays, qu'elle n'est pas la représentation du pays, et qu'elle a perdu
le droit de le gouverner.
(page
1323) M. le
président. - La parole est à M. Fleussu.
M. Fleussu. - Messieurs, j'avais préparé un travail tout à fait
analogue à celui qui vient de vous être présenté par l'honorable M. Lebeau. La
manière dont il l'a présenté et les observations dont il l'a accompagné
m'engagent à renoncer à la parole.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, dès le début de la discussion sur
cet article, je n'ai pas hésité un instant à déclarer que je me ralliais
entièrement aux conclusions de la section centrale. Mais, messieurs, je dois le
faire remarquer, l'honorable M. Lebeau a mal compris le rapport de la section
centrale. Il pense que cette section invite le gouvernement à disjoindre le
recensement de la population du recensement de l'industrie et de l'agriculture.
C'est là une erreur, je vais le prouver.
M. Lebeau. - N'importe ; je
n'y attache pas de prix.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'honorable
membre me dit qu'il n'y attache pas de prix ; alors je n'insisterai pas sur ce
point.
Mais je déclare que
je suis entièrement d'accord avec la commission de statistique, avec mon
honorable prédécesseur M. Van de Weyer, avec la section centrale, que je ferai
tout ce qui sera en mon pouvoir, au moyen des mesures administratives, pour
hâter la conclusion de ce travail, et que j'en communiquerai immédiatement le
résultat à la chambre, comme le désire l'honorable préopinant, sans qu'on ait
fait le relevé des individus appartenant à tel culte, à telle profession, etc.,
chose tout à fait indifférente pour la question à laquelle on s'est attaché
dans cette circonstance.
D'après cela, si nous
sommes d'accord avec l'honorable membre, je ne pousserai pas plus loin mes
observations.
M. Manilius. - Messieurs, je
désirerais que M. le ministre s'expliquât un peu plus clairement. Il fera tout
ce qui est en son pouvoir, mais il peut être en son pouvoir de ne pas faire
terminer à temps les opérations du recensement. Je demande qu'il nous promette
qu'il fera tout ce qui sera en son pouvoir pour que le recensement ait lieu
avant 1847, comme le demande la section centrale.
Moi aussi, messieurs,
j'ai lu le rapport de la section centrale ; mais je n'en tire pas la même
conclusion que l'honorable M. de Theux. La section centrale, comme la
commission de statistique, témoigne le désir que les opérations du recensement
soient terminées avant le mois de janvier 1847.
Messieurs, ce n'est
pas ainsi que l'on doit satisfaire au vœu et à la volonté du pays. M. le
ministre se renferme dans les avis qu'il a reçus de la commission de
statistique. Mais je ne sais depuis quand M. le ministre a le droit de
satisfaire au vœu d'une commission plutôt qu'au vœu du pays, au vœu de la
section centrale qui émane de la chambre, qui émane de la nation. S'il y a des
avis contraires à ce dernier vœu, ils ne doivent pas obtenir la préférence.
J'insiste
donc de nouveau pour que M. le ministre nous promette qu'il fera tout ce qui
est en son pouvoir pour que le recensement de la population ait lieu de manière
que le résultat puisse nous être présenté dans les premiers mois de 1847. Je
n'en dirai pas davantage en ce moment. Mais si M. le ministre ne nous donnait
pas la garantie morale que c'est là son intention, je demanderais formellement
la division du chiffre en discussion pour que le dénombrement pût avoir lieu
sans que la statistique y fût rattachée.
Le chiffre demandé
pour le dénombrement de la population est de 60,000 fr. On a augmenté ce
chiffre parce qu'on voulait que la statistique y fût rattachée. Mais sans
explications plus catégoriques de M. le ministre, je demanderai la division.
C'est d'ailleurs dans le vœu de la section centrale ; elle exprime l'intention
de demander éventuellement la division.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Véritablement, après les observations que
j'ai faites à la chambre, je dois croire que l'honorable préopinant n'a pas lu
le rapport de la section centrale. Il m'est impossible de croire qu'il ait lu
ce rapport, à moins que ce ne soit pour le plaisir de faire un discours d’opposition
qu'il a pris la parole.
M.
Manilius. - Je demande la parole.
M. Delfosse. - C'est inconvenant
!
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Pardonnez-moi, ce n'est pas inconvenant. Car
le rapport de la section centrale se rallie aux conclusions de la commission de
statistique, auxquelles je me suis rallié moi-même. Que veut-on de plus ?
Et l’honorable
préopinant prend la parole, comme si je repoussais la proposition de la section
centrale, qui adopte les conclusions de la commission de statistique, lorsque
je me rallie à la proposition de la section centrale.
M. de La Coste. - J'ai demandé la parole, uniquement pour donner une
explication, comme membre de la section centrale, à l'honorable M. Manilius et
à la chambre, qui a entendu ses paroles.
Nous avons examiné
attentivement les avantages des deux modes.
La commission de statistique,
le ministre et la section centrale ont fini par se convaincre qu'il était plus
avantageux, non pas de disjoindre, mais de cumuler les opérations ; d'abord
parce que cela coûterait 150,000 francs de moins, ensuite parce que la
commission de statistique et le ministre nous ont déclaré que les opérations
seraient ainsi plus exactes, parce que, ont dit la commission de statistique et
M. Van de Weyer, ces différentes opérations se contrôleront l'une l'autre.
Ainsi ce n'est pas
seulement pour économiser 150,000 fr. que ce mode a été adopté ; c'est surtout
pour avoir une opération plus exacte. Cela est si vrai que c'est après ces
explications que les membres de la section centrale, désirant avoir le
recensement le plus prompt et le meilleur possible, ont pris le parti
d'augmenter le crédit.
Quant à l'opinion de
la section centrale, de la commission de statistique et du prédécesseur de M.
le ministre, il n'y a pas, ce me semble, le moindre doute. Après avoir mûrement
examiné, on a trouvé que pour avoir une opération non seulement plus complète,
non seulement plus économique, mais plus exacte (ce qui est le plus grand
point), il fallait réunir les opérations.
C'est
après être arrivée à ces conclusions que la section centrale a voulu concourir
à rendre les opérations aussi promptes que possible, tout en cumulant les
opérations. Car s'il n'avait pas été question de les cumuler, on n'aurait pas augmenté
le crédit. Cela est clair comme le jour.
C'est une question de
fait où je suis parfaitement neutre, puisque je n'ai pas pris part au vote.
Je ne pense pas que
cela puisse faire l'objet d'un doute.
L'honorable M.
Delfosse, qui était présent, ne peut avoir entendu les choses autrement.
M. Manilius. - Je tiens à
déclarer que, si j'ai pris la parole, ce n'était pas pour le plaisir de faire
de l'opposition. Jamais je n'ai cédé à un pareil mobile. Lorsque je parle dans
cette enceinte, c'est pour obéir aux devoirs que j'ai à remplir envers mes
concitoyens de qui je tiens mon mandat.
Je n'ai pas lu le
rapport, a dit M. le ministre. Je l'ai si bien lu que j'avais préparé un
travail que je ne prétends nullement comparer, quant au mérite de la forme, au
discours prononcé par l'honorable M. Lebeau ; mais qui, je puis le dire, avait,
du moins, quant au fond, une portée analogue.
Veuillez,
messieurs, lire la page 8 du rapport ; vous y verrez que si ce n'est pas dans
les conclusions de la section centrale, au moins entrait-il dans ses vues
d'imposer à M. le ministre la nécessité de disjoindre, si cela était exigé par
la question de temps, pour satisfaire aux exigences, non seulement de la
commission de statistique, mais de la loi communale elle-même, qui impose au
gouvernement l'obligation de faire un dénombrement dans un terme de 12 ans. Ce
terme approche. C'est pour cela qu'on demande que le dénombrement soit fait au
commencement de 1847, afin que nous en connaissions les résultats dans le
courant de 1847.
Je demande que
l'honorable M. de Theux déclare qu'il fera tout ce qui est en son pouvoir pour
que le recensement soit terminé au commencement de 1847. Si, au lieu de m'accuser de parler pour
le plaisir de faire de l'opposition, il avait fait cette déclaration, je
n'aurais pas pris la parole. Je le prie de ne plus m'adresser de reproches de
cette nature. Il n'en a pas le droit !
(page 1324) M. le ministre de l’intérieur (M. de
Theux). - J'adhérerai volontiers à la prière de l'honorable préopinant,
mais c'est à la condition qu'il ne se méprendra plus ni sur ma pensée, ni sur
mes paroles.
J’ai dit de la
manière la plus expresse que je me référais aux conclusions de la section
centrale, que je donnerais tous mes soins au recensement et à l'effectuer le
plus promptement possible.
Il est impossible de
s'expliquer d'une manière plus précise.
M. Delfosse. - Je me joins à
l'honorable M. Manilius pour blâmer la supposition injurieuse que M. le
ministre de l'intérieur s'est permise envers un membre de la chambre. M. le
ministre de l'intérieur devrait moins que personne se permettre de dire qu'un
membre de cette chambre prend la parole pour le seul plaisir de faire de
l'opposition ; on devrait montrer plus d'égards pour la représentation
nationale lorsqu'on a l'honneur de siéger dans les conseils de la Couronne.
Il fut un temps où
l'on aurait pu dire que M. le ministre de l'intérieur prenait la parole pour le
seul plaisir de faire de l'opposition ; c'est lorsqu'il se livrait, dans cette
enceinte, à d'injustes accusations contre un fonctionnaire investi de la
confiance du gouvernement, qui venait de recevoir une décoration en récompense
de longs et d'honorables services. Quand on pousse l'oubli des convenances
aussi loin que M. le ministre de l'intérieur l'a fait alors, on devrait se
montrer beaucoup plus indulgent pour l'opposition.
L'honorable M. de la
Coste, membre de la section centrale, a donné tantôt quelques explications qui
sont très justes, mais qui ne sont pas entièrement complètes. Je n'en fais pas
un reproche à cet honorable membre. Il n'a pas assisté à toutes les séances de
la section centrale, où la question du recensement a été agitée.
Il est très vrai,
comme l'a dit l'honorable M. de la Coste, que la majorité de la section
centrale s'est ralliée à l'avis de M. le ministre de l'intérieur et à celui de
la commission de statistique. La section centrale a reconnu l'avantage qu'il y
aurait à ne pas disjoindre les opérations ; elle a reconnu qu'il serait utile
de procéder simultanément au recensement et à la statistique agricole et
industrielle. La simultanéité des opérations devait produire une économie
d'environ 150,000 fr. et il en résultait eu outre plus de garantie
d'exactitude, par le contrôle que chaque opération pourrait exercer sur les deux
autres.
Mais ce n'est pas
parce que la section centrale a eu sur ce point une opinion conforme à celle de
M. le ministre de l'intérieur et de la commission de statistique, qu'elle a
proposé une augmentation de la somme portée au budget ; en effet, lorsque M. le
ministre de l'intérieur avait demandé 60,000 francs, il était déjà d'avis que
toutes les opérations devaient s'effectuer simultanément. Il demandait cette
somme pour les travaux préparatoires d'opérations qui, dans son opinion,
devaient être simultanées.
Si la section
centrale a augmenté le chiffre de l'allocation, ce n'est pas, je le répète,
parce qu'elle était d'une opinion conforme à celle du ministre en ce qui
concerne la simultanéité des opérations. Si elle n'avait eu que ce motif, elle
n'aurait pas eu de raison pour changer le chiffre. Si elle augmenté
l'allocation c'est parce qu'elle désirait qu'on ne se bornât pas à effectuer
des travaux préparatoires dans le cours de l'année 1846, c'est parce qu'elle
désirait que le résultat du recensement fût connu au commencement de 1847, afin
qu'il fût être pris en considération pour les prochaines élections aux
chambres, afin qu'il pût des lors possible de mettre le chiffre de la
représentation nationale en harmonie avec le chiffre de la population.
Voilà quel a été le
vœu, voilà quel a été le but de la section centrale ; si tel n'avait pas été
son vœu, si tel n'avait pas été son but, elle n'aurait certes pas touché à
l'allocation que M. le ministre de l'intérieur avait primitivement portée au
budget.
Je
pense, messieurs, que les explications que je viens de donner sont bien claires
: elles ne laissent aucun doute sur les intentions de la section centrale.
Il va sans dire,
messieurs, que lorsque je parle de la section centrale, c'est de la majorité
que j'entends parler, il est possible que l'honorable M. de La Coste, il est
possible que l'honorable M. Orban n'aient pas eu les mêmes intentions, le même
but que nous ; l'honorable M. Orban prétendait hier qu'il avait été de la
minorité. Je ne m'en suis pas aperçu ; je ne puis que répéter ce que j'ai dit
hier, que je n'ai aucun souvenir de l'opposition que l'honorable M. Orban
prétendait avoir faite au sein de la section centrale.
M. de La Coste. - L'honorable M. Delfosse a donné à peu près
l'explication que je réclamais.
Je me bornerai donc à
lire les conclusions, en ce qui concerne la disposition :
« Par ces
diverses considérations, la commission centrale a l'honneur de vous proposer de
faire porter à 250,000 fr. l'allocation demandée au budget de votre département
pour l'exercice 1846, laquelle, jointe aux 15,000 fr. déjà votés au budget de
1845, permettra de procéder immédiatement au recensement général appliqué à la
population, à l'agriculture et à l'industrie. »
Telles sont les
conclusions de la commission de statistique.
Suivent celles du
ministre :
«
M. le ministre a fait connaître en même temps à la section centrale qu'il
partageait l'avis exprimé dans le rapport de la commission de statistique, sur
les inconvénients attachés à la disjonction. »
Voici maintenant
l'avis de la section centrale sur le même point.
« La section
centrale pense également qu'eu égard à l'augmentation de dépense qui en résulterait,
il n'y a pas lieu de disjoindre les opérations. »
Ces citations
suffisent pour justifier mes observations.
M. Delfosse. - Je disais tantôt
que les explications de l'honorable membre n'étaient pas complètes. Je dois
dire la même chose de la citation qu'il vient de faire.
L'honorable membre
aurait dû lire le dernier paragraphe de la page 11, qui est ainsi conçu :
« M. le ministre n'a
pas pu prendre d'engagement quant à l'époque où pourrait être terminé le
recensement. La section centrale compte cependant qu'en mettant à la
disposition du gouvernement les sommes nécessaires pour poursuivre cette
opération avec activité, il pourra être fait dans les premiers mois de 1847, si
pas un dépouillement complet des bulletins, au moins un relevé numérique de la
population qui en fasse connaître le chiffre exact. »
Ce paragraphe exprime
bien clairement la pensée de la section centrale.
(page 1338) M. Lebeau. - Je lis dans le rapport de la
section centrale le passage suivant :
« La section centrale
compte cependant qu'en mettant à la disposition du gouvernement les sommes
nécessaires pour poursuivre cette opération avec activité, il pourra être fait
dans les premiers mois de 1847 (ce qui fait supposer qu'on commencera
auparavant), si pas un dépouillement complet des bulletins (ce dont nous
n'avons pas besoin), au moins un relevé numérique de la population qui en fasse
connaître le chiffre exact. »
Voilà le vœu de la
section centrale. Eh bien, nous sommes d'accord avec elle.
(page 1324) M. de Garcia. - Je désire, messieurs, faire connaître en peu
de mots ma manière de voir sur la question soulevée à propos de l'article en
discussion. Quant à moi, je désire aussi et j'appuie de toutes mes forces un
recensement le plus prochain possible, afin qu'on puisse coordonner le nombre
des membres de la représentation nationale avec le chiffre de la population. Je
ne considère pas un acte semblable comme constituant une mesure de réforme
électorale ; évidemment elle n'est et ne peut être envisagée que comme
l'application d'un principe posé dans la Constitution. J'engage donc de toutes
mes forces le gouvernement à satisfaire aux vœux qui ont été exprimés dans
cette enceinte, et, comme on l'a dit, je suis convaincu que si un membre de
cette assemblée, lorsque le recensement sera terminé, prenait l'initiative d'un
projet de loi dans le sens que je viens d'indiquer, je suis convaincu, dis-je,
que ce projet serait accueilli par une immense majorité.
Comme on l'a dit fort
justement, ce n'est point ici une question de parti ; mais voulût-on lui donner
cette portée, elle n'en devrait pas moins être résolue conformément à la
Constitution, car tous les partis doivent vouloir une représentation nationale
telle qu'elle est organisée par le pacte fondamental. Quant à moi, je n'en veux
pas d'autre.
Messieurs, si pour atteindre ce but l'on doit vouloir
le recensement le plus prompt possible, il ne faut pourtant pas perdre de vue
d'autres matières qui se rattachent à l'article en discussion. Je désire que
l'on fasse également une bonne statistique commerciale et agricole. Une
semblable statistique est de la plus haute importance. L'année dernière nous
avons eu à nous occuper de certains projets de loi dont il nous a été
impossible d'apprécier la portée faute d'une semblable statistique, comme l'a
dit alors, je pense, l'honorable M. Rogier, ou tout autre qui a vivement
reproché l'absence d'éléments semblables. Il est inouï, disait-il, que depuis
15 ans que le pays est constitué on n'ait rien fait pour créer une bonne
statistique industrielle, agricole et commerciale qui puisse servir de guide au
gouvernement et à la législature pour traiter les questions qui se rattachent directement
aux sources de la richesse publique.
M. de Brouckere. - Après les
explications dans lesquelles on est entré, il doit être devenu évident pour
tout le monde qu'il ne s'agit point ici d'une question de parti, qu'il s'agit
uniquement d'une satisfaction à donner au pays et que le pays réclame à grands
cris. Dans une semblable situation, la chambre doit désirer que cette
satisfaction soit donnée le plus tôt possible et il faut que la chambre exprime
son vœu à cet égard. Je proposerai donc la rédaction suivante qui exprime
simplement un vœu auquel tout le monde peut se rallier, car, je le répète, ce
n'est pas une question de parti.
« Première partie des
frais auxquels donnera lieu le recensement général de la population et, sans
que cette opération puisse en être retardée, celui de l'agriculture et de
l'industrie 250,000 fr. »
De cette manière,
messieurs, on ne tranche pas positivement la question de savoir s'il y a lieu
de disjoindre ou de ne pas disjoindre les opérations ; mais s'il était vrai
qu'une statistique convenable de l'agriculture et de l'industrie dût réclamer
plusieurs années (ce que je crois), alors il faut qu'il y ait disjonction parce
que le pays ne peut plus attendre ni 4 ni même 3 ans sans avoir la représentation
à laquelle il a droit.
Et qu'on ne vienne
pas me dire que cette disjonction entraînera peut-être quelques frais de plus,
car en présence d'une question aussi importante, en présence d'une question
qui, je ne crains pas de le dire et personne ne le niera, d'une question qui
remue tout le pays et qui le remuera de plus en plus, à mesure que nous
approcherons des élections, en présence d'une pareille question, on ne peut pas
s'arrêter à la minime considération de quelques mille francs de plus à dépenser.
Je me résume,
messieurs, car je ne veux pas prolonger la discussion. Je ne tranche point la
question de savoir si la disjonction aura lieu oui ou non ; tout ce que je
demande à la chambre (et je voudrais que la chambre entière entendît cette
question comme moi, c'est-à-dire qu'elle l'entendît comme une question qui
intéresse tout le pays), je demande, dis-je, une seule chose, c'est que la
chambre exprime son désir bien formel qu'aucune circonstance, quelle qu'elle
soit, ne vienne plus retarder les opérations du recensement de la population.
Après
cela, messieurs, quant aux conséquences de ce recensement, je suis parfaitement
tranquille, et quoique le gouvernement n'ait voulu nous faire aucune promesse,
je ne crains pas de lui dire qu'il n'échappera pas à ces conséquences.
J'irai plus loin, je
ne crois pas qu'il puisse y avoir un ministère quelconque assez fort pour
résister aux conséquences du recensement, lorsque ce recensement aura lieu,
tant j'ai la conviction que le pays entier veut, et veut impérieusement, être
représenté d'une manière convenable, d'une manière conforme à la Constitution.
(page 1325) M. Dumortier. - Messieurs, l'honorable préopinant
dit que le pays a droit d'avoir la représentation légitime que la Constitution
lui accorde ; c'est un principe que nul ne conteste, mais je suis loin de
penser que la question qui nous occupe remue, comme on vient de le dire, le
pays jusque dans ses fondements. Quant à moi, je dois déclarer que je n'ai
entendu parler de cette question que depuis deux jours, et je crois que si elle
remuait le pays jusque dans ses fondements, depuis longtemps nous aurions vu
arriver ici des pétitions de toutes les localités...
M. Fleussu. - Vous en recevrez.
M. Dumortier. - Il est possible
que nous en recevrons, car je ne conteste pas que l'honorable préopinant puisse
remuer le pays, mais je dis que, dans le moment actuel, le pays n'est pas
encore remué par cette question. Si le pays s'en préoccupait fortement, la
situation serait toute autre qu'elle ne l'est. Il ne faut pas ainsi exagérer
les choses.
Du reste, je suis
d'avis qu'il faut donner au pays la représentation qui convient ; mais il ne
faut pas se dissimuler la portée de la mesure dont il s'agit ; il ne faut pas
équivoquer, ceci n'est autre chose qu'une première motion de réforme
électorale.
On veut que le
gouvernement présente une statistique de la population, ce qui est une partie
de la statistique électorale. Il faut être franc, c'est là ce que l'on veut ;
eh bien, moi je veux une statistique électorale complète, et j'appelle cette
statistique de tous mes vœux.
Ce n'est pas ici non
plus une question de parti, c'est aussi une question qui intéresse le pays tout
entier. Eh bien, qu'on nous fasse une statistique électorale complète...
Un membre. - Qu'est-ce que
vous entendez par là ?
M. Dumortier. - Je suis fort
surpris que l'honorable membre m'adresse cette question. Une statistique
électorale complète, c'est l'indication du chiffre des électeurs à côté du
chiffre de la population, afin qu'on puisse voir dans quelle proportion chaque
localité et chaque condition de citoyen est représentée dans le corps
électoral. Voilà ce que je demande, et rien n'est plus facile ; il ne faut pas
un temps très long pour le faire.
Il s'agit de deux
choses, messieurs, c'est d'abord l'augmentation du nombre des députés ; mais
quand on aura augmenté le nombre des députés, on viendra demander le complément
de cette réforme, on viendra demander la réforme électorale. (Dénégations.) Mais, messieurs, plusieurs
fois dans la discussion politique on a parlé de la réforme électorale, on l'a
hautement demandée. Eh bien, si vous vouliez un jour arriver à la reforme
électorale, consentez à avoir une statistique électorale complète, afin que la
question puisse être examinée comme sou importance l'exige. Et qui sait si,
après avoir obtenu les renseignements nécessaires, nous ne nous mettrons pas
avec vous pour demander la réforme électorale. Dans tous les cas, commençons
par nous éclairer, faisons une statistique complète et non un fragment à
l'usage d'une partie seulement de cette réforme.
Je le répète, rien
n'est plus facile : que le gouvernement donne à chaque commissaire
d'arrondissement l'ordre de faire, dans son district, le dépouillement de tout
ce qui est relatif à la statistique électorale.
De cette manière,
nous aurons un travail complet qui nous mettra à même de juger en connaissance
de cause les mesures qu'il y aurait à prendre, car c'est là le but qu'il faut
avoir en vue lorsqu'on demande une statistique, et c'est dans ce sens que je
demande également la statistique commerciale, industrielle et agricole, c'est
le but politique qu'il faut avoir en vue, sans cela, je ne sais pas à quoi
servirait une statistique... (Interruption.)
Je veux cette statistique électorale complète, peut-être précisément pour le
motif qui vous porte à ne pas la vouloir. Eh bien, nous admettons la
statistique que vous demandez, admettez donc aussi celle que nous demandons.
Agissons avec franchise, avec loyauté, et tout ira le mieux du monde. Mais
qu'avez-vous donc à craindre d'une statistique électorale ? Y a-t-il une chose
plus simple, plus naturelle, plus légitime que de demander à voir clair dans
les opérations du pays ? Lorsque nous aurons cette statistique électorale
complète, nous pourrons décider en connaissance de cause toutes les questions
de réforme électorale qui viendraient à surgir.
J’insiste
donc pour que nous ayons cette statistique, et je me joins aux honorables
membres qui sont en ce moment mes contradicteurs, je me joins à eux pour
demander que la statistique électorale, mais la statistique électorale
complète, soit déposée au commencement de l'année 1847.
M. de Garcia. - Si l'on veut se bien rendre compte de
l'esprit de la Constitution, il est incontestable, selon moi, que c'est la
population et nullement le nombre des électeurs qui doit servir de base pour
déterminer le nombre des membres de la représentation nationale.
Le recensement de la
population est donc le véritable et le seul élément nécessaire pour se fixer
sur la question qui nous occupe et déterminer le nombre de membres que doit
atteindre la chambre et le sénat. Dans cet état, je ne puis m'expliquer la
portée de la question incidentielle soulevée par l'honorable M. Dumortier, qui
réclame la statistique des électeurs. Une statistique semblable est tout à fait
inutile, puisque les faits qu'elle révélerait sont connus et résultent de la
force même des choses.
Quand on aura le chiffre de la population, suivra
nécessairement celui du nombre des membres de la législature et à côté de cela
le nombre des électeurs de chaque arrondissement.
Je ne conçois donc
pas qu'on puisse attacher de l'importance à avoir d'abord la statistique des
électeurs ; incontestablement dans l'esprit de la Constitution, ce ne sont pas
uniquement ceux qui payent le cens qui doivent être représentés, mais la
population tout entière du pays ; en d'autres termes, c'est la population et
nullement le nombre des électeurs qui détermine le chiffre de la représentation
nationale.
M. de Brouckere. - Messieurs, je me lève uniquement pour
déclarer à l'honorable M. Dumortier qu'il donne à ma proposition une portée
qu'elle n'a pas. Il n'est nullement question de la réforme électorale, et si du
reste telle devait être la conséquence de ma proposition qu'elle entraînât une
réforme électorale, l'honorable M. Dumortier ne l'aurait pas combattue puisque
lui désire une réforme électorale.
M. Dumortier. - Je n'ai pas dit
cela.
M. de Brouckere. - Il est possible
que l'honorable M. Dumortier n'ait pas dit cela, il est possible que je l'aie
mal compris, car je dois déclarer que je n'ai pas très bien saisi le sens de
son discours. C'est ainsi qu'il a demandé une statistique électorale complète,
et je ne sais pas ce qu'il a voulu dire par une statistique complète. Très
sincèrement, je ne le sais pas, et je voudrais que l'honorable M. Dumortier me
l'expliquât.
M. Dumortier. - La définition de
ce que j'appelle une statistique électorale complète, est la chose la plus
simple du monde. Qu'est-ce qu’on a demandé dans les pétitions relatives à la
réforme électorale ? On a demandé deux choses : la première l'uniformité du
cens, la deuxième l'augmentation du nombre des députés pour qu'il soit en
rapport avec le chiffre de la population. Maintenant on prend la deuxième
proposition et on abandonne la première. Eh bien, pour mon compte, je désire
avoir des éclaircissements sur la première proposition, je désire avoir tous
les éléments qui puissent servir à instruire la question de l'uniformité du
cens.
Et pour cela je
désire savoir quelle est la proportion des électeurs aux habitants tant dans
les localités qui payent un cens différentiel, que dans les autres localités ;
je désire savoir quelle est la proportion de ce cens, par exemple, dans les
populations agglomérées et dans les populations rurales ; je désire savoir, en
un mot, jusqu'à quel point chaque agglomération d'habitants est représentée
dans le scrutin. Je désire savoir si l'agriculture n'est pas sacrifiée par la
loi actuelle. Mes honorables contradicteurs veulent s'occuper de la question de
savoir jusqu'à quel point les populations sont représentées dans la chambre ;
je veux le voir avec eux, mais je veux voir aussi jusqu'à quel point elles sont
représentées dans le scrutin...
M. Rogier. - C'est le
fractionnement.
M. Dumortier. - Je n'émets pas
d'opinion sur ce point ; je me borne à demander des renseignements ; quand ces
renseignements seront fournis, je formulerai, s'il y a lieu, mon opinion comme
je crois devoir le faire. (Interruption.)
Je demande des
renseignements précisément pour les mêmes motifs qui vous engagent à en
demander ; vous demandez des renseignements dans l'ordre de vos opinions, moi
j'en demande dans l'ordre des miennes. (Nouvelle
interruption.) Je dois d'autant plus persister à les demander, que les
interruptions dont je suis l'objet me prouvent que ces renseignements sont
précieux...
M.
Delfosse. - Personne ne s'oppose à ce que ces renseignements
soient soumis.
M. Dumortier. - Si personne ne
s'y oppose, nous sommes alors tous d'accord.
M. de Brouckere. - Messieurs, ainsi,
ce que désire l'honorable M. Dumortier, c'est d'avoir des renseignements qui
établissent quelle est la proportion entre le nombre des électeurs et celui des
habitants du pays. Ce sont là des renseignements qui peuvent être utiles ; il peut
être convenable de savoir quelle est cette proportion, et je désire qu'on
procure ces renseignements à l'honorable M. Dumortier. Mais je puis déclarer
que ces renseignements n'ont aucun rapport avec la question qui s'agite en ce
moment. Il ne s'agit pas de savoir de combien d'électeurs les collèges
électoraux sont composés, il s'agit seulement d'établir quel est le nombre des
habitants, pour fixer ensuite la proportion qui doit exister entre la
population du royaume et les chambres législatives. Voilà la seule question.
Maintenant, que l'on
procure ces renseignements à l'honorable M. Dumortier...
M. Dumortier. - A la chambre.
M. de Brouckere. - A la chambre..., la chambre les recevra avec
plaisir, comme elle recevra avec non moins de plaisir des renseignements sur
l'agriculture, sur l'industrie et en général sur toutes les branches qui
intéressent le pays. Mais nous disons que ces renseignements exigeront des
opérations fort longues. Donnez au gouvernement le temps de faire ces
opérations ; qu'il puisse y procéder dans des circonstances favorables ; mais
rien n'empêche de faire immédiatement un recensement de la population. Ce
recensement peut être fait dans un bref délai ; nous ne demandons pas autre
chose ; quant aux conséquences, elles découleront nécessairement.
Je le répète, le vœu
que j'exprime est un vœu tout simple, et je prie l'honorable M. Dumortier de
croire que je ne cherche pas à atteindre mon but par des moyens détournés ; je
ne vise à autre chose qu'à ce que demande ma proposition, c'est-à-dire que le
recensement de la population ait lieu sans retard.
M. Delehaye. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier dit que,
dans le cas dont il s'agit, il ne faut pas seulement connaître le recensement
de la population, mais qu'il faut encore avoir la statistique électorale. Mais
cette statistique, telle que l'entend l'honorable membre, existe ; toutes les
listes électorales du pays se trouvent au ministère de l'intérieur. Ainsi,
voilà une opération à laquelle l'honorable M. Dumortier attache la plus haute
importance et qui est déjà terminée. On peut donc immédiatement faire droit à
la réclamation de l'honorable membre ; et puisque l'honorable membre a dit tout
à l'heure que tout le monde était d'accord, j'espère qu'il restera d'accord
avec nous, pour appuyer l'adoption de la proposition de l'honorable M. de
Brouckere.
M. le ministre
de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, en effet, les listes électorales
sont déposées aux commissariats d'arrondissements, et les renseignements
qu'indique l'honorable M. Dumortier peuvent être obtenus, en (page 1326) mettant le chiffre
des électeurs de chaque commune en regard de celui de la population.
Quant à la motion de
M. de Brouckere, je ne m'y oppose pas ; mais il doit être bien entendu que cela
n'entraîne pas nécessairement la disjonction des opérations. (Non ! non !) La commission de
statistique a donné, pour établir la nécessité de la jonction, des motifs très
graves qui sont exposés au rapport de la section centrale.
M. Rogier. - Messieurs, si M.
le ministre de l'intérieur nous avait déclaré positivement son intention, s'il
nous avait dit qu'il est possible de faire le recensement de la population au
mois de décembre prochain, et que telle est sa résolution, la discussion serait
close depuis longtemps ; une pareille déclaration aurait suffi. Mais M. le ministre
de l'intérieur se retranche dans des fins de non-recevoir successives, ou il se
borne à des explications vagues et tout à fait insuffisantes.
Si M. le ministre de
l'intérieur veut avoir le recensement de la population pour la fin de l'année
1846, il le peut, cela est incontestable. Eh bien, nous qui attachons de
l'importance à connaître l'état de la population au 1er janvier 1847, nous
demandons que M. le ministre de l'intérieur fasse ce qui est, en effet, dans
son pouvoir de faire, et ce que nous voulons, Tel est le but de la proposition
de l’honorable M. de Brouckere. Je crois, messieurs, qu'on peut parfaitement
faire marcher ensemble les trois opérations : statistique de la population,
statistique agricole, statistique industrielle. En effet, en quoi consistent
les opérations auxquelles il s'agit de procéder ? A faire remplir trois
bulletins, l'un relatif à la population, le second, très compliqué, relatif à
l'agriculture, et le troisième, également très compliqué, relatif à
l'industrie.
Si l'on veut
connaître l'état réel de la population, avant de constater les autres
résultats, rien n'empêche de retirer et de dépouiller d'abord le bulletin
relatif a la population, qui est le plus simple et le plus facile a remplir par
les déclarants ; et de continuer l'opération quant aux deux autres bulletins.
Une fois en
possession du bulletin de la population, le gouvernement se bornerait à
additionner les résultats numériques de la première colonne : et l'on aurait
dès lors les renseignements qui sont seuls nécessaires, pour l'augmentation du
nombre des représentants et sénateurs. Rien n'est plus simple que cette
opération, et si M. le ministre de l'intérieur a l'intention formelle d'arriver
à la connaissance exacte de la population pour le 1er janvier 1847, il le peut,
cela est positif, la commission de statistique s'en est expliquée, et M. le
ministre ne risque à prendre un engagement.. Pour moi, lorsque j'ai eu
l'honneur de faire la proposition de mettre le nombre des représentants en
harmonie avec le chiffre de la population, j'avais l’assurance positive que je
pourrais réaliser ce que j’avais l'intention de faire.
Je dirai maintenant
quelques mots en réponse au discours de l'honorable M. Dumortier.
On vient de faire un
appel à la franchise de l'opposition. Est-ce une réforme électorale que vous
voulez, nous dit-on ; expliquez-vous franchement. Messieurs, le mot de réforme
ne m'effraye pas ; j'appartiens à une opinion qui ne recule pas devant les
réformes sages et réglées, devant les réformes mûries par le temps et par
l'expérience ; mais s'agit-il ici d'une réforme électorale ? Non, il s'agit
simplement de la mise en action d'un principe constitutionnel, c’est là de la
vraie et bonne conservation, et je le dis, une pareille proposition, faite dans
cette enceinte, doit inévitablement rencontrer la presque unanimité des voix ;
cette question embrasse en effet, non pas seulement des intérêts de localité,
mais encore et surtout l'intérêt du pays tout entier.
Il faut qu'à mesure
que les forces du pays s'accroissent, que sa richesse se développe, que sa
population augmente ; il faut que tous ces éléments de force et de prospérité
viennent se résumer et se refléter en quelque sorte dans l'enceinte de la
représentation nationale. Il sera beau, pour le pays, de montrer qu'après
quinze années d'émancipation politique, sa population et sa richesse
s'accroissent à l'exemple de tous les peuples qui jouissent de la liberté. C’est
ainsi qu'aux Etats-Unis, nous avons ce spectacle de divers corps législatifs
dont le nombre des membres s'est quadruple et au-delà en suivant la progression
de la population.
Il faut sans doute
tenir compte de grandes différences entre ce pays et le nôtre. Mais enfin, nous
aussi, nous avons des institutions libérales ; à l'ombre de ces institutions,
le pays se développe, la richesse augmente, la population s'accroît ; il faut
que la représentation nationale suive cette magnifique progression ; voilà ce
que signifiera le recensement, dégagé de certains intérêts de localité ; voilà
sous quelles impressions se discutera la loi de l'augmentation du nombre des
représentants, et voilà pourquoi personne dans cette chambre n'entreprendra
sans doute de la combattre.
On nous a demandé une
statistique électorale. S’agit-il simplement du nombre des électeurs, cette
statistique est toute faite, l'honorable M. Dumortier peut se la procurer à
l'instant même.
Il y aurait, au
surplus, dans la statistique des élections, de précieux renseignements à
recueillir ; et par exemple, on parle de parti conservateur, on se pose comme parti
conservateur en présente d'un parti cependant qui n'a l'intention de rien
bouleverser ; il serait curieux de voir apporter dans cette enceinte une
statistique électorale indiquant le nombre des électeurs qui nomment le
soi-disant parti conservateur et le nombre de ceux qui nomment le parti
libéral.
Il serait bon de
constater que les représentants du parti libéral sont précisément nommés, pour
la plupart, par les électeurs qu'on doit supposer le plus attachés à l'ordre,
les électeurs payant 70 ou 80 florins d'impôt, tandis que les représentants du
parti soi-disant conservateur sont nommés par les électeurs à 20 ou 30 florins
d'impôt.
Est-ce là la
statistique que vous voulez ? Nous en voulons aussi. Une pareille statistique
apporterait de nouvelles lumières sur le caractère et la véritable force des
partis.
On a demandé à
l'honorable préopinant si sa demande de statistique électorale ne cachait pas
quelque arrière-pensée, s'il ne voulait pas arriver au fractionnement des collèges
d'arrondissement, et recommencer, pour l'élection des membres des chambres,
l'imprudence dont beaucoup de ses amis gémissent aujourd'hui, l'imprudence
qu'ils ont commise en fractionnant les collèges électoraux des grandes
communes.
Je
ne sais pas ce que l'honorable préopinant ou quelques-uns de ses amis
espéreraient gagner à un pareil projet. Mais si j'avais un conseil à donner à
l'honorable préopinant, je l'engagerais mûrement à réfléchir avant de remuer
dans le pays de pareilles idées. Je l'engagerais à réfléchir au sort malheureux
que probablement une pareille résolution, si elle était mise à exécution,
réserverait encore à bon nombre de ses amis.
Qu'il étudie l’état
des localités comme nous les avions étudiées ; qu'il fasse bien ses calculs, et
il se convaincra que beaucoup de ses amis seraient de nouveau victimes de ce
nouveau fractionnement. Je finis. Si, en prononçant dans cette enceinte le mot
« fractionnement », on croit le moins du monde effrayer l'opinion à
laquelle j'appartiens, on se trompe gravement, et à une pareille proposition,
je répondrai par ce seul mot : Vous n'oseriez pas !
M. Dumortier. - Ce n'est pas moi
qui le premier ai prononcé dans cette discussion le mot
« fractionnement ». C'est l'honorable préopinant qui vient de se rasseoir
et qui paraît m'en faire un reproché. En réponse à la question qu'il m'a
adressée, j'ai eu l’honneur de dire que je n'avais aucune opinion faite pour ou
contre le fractionnement, comme législateur. Si maintenant vous voulez
connaître mon opinion privée, je vous dirai que le mode anglais et même le mode
français me paraissent présenter beaucoup plus de sincérité que le mode suivi
en Belgique. Je suis loin cependant de vouloir proposer rien de semblable.
C'est mon opinion privée que j'exprime, je pourrais la taire, mais je la dis.
Je n'ai pas plus peur
du fractionnement que de la conservation du mode actuel. Mais je veux connaître
un fait ; je veux savoir si, quand vous voulez représenter la population par
parties égales dans la chambre, les électeurs sont représentés aussi par
parties égales dans le scrutin ; je veux savoir jusqu'à quel point l'industrie
est représentée, le commerce est représenté, l'agriculture est représentée dans
le corps électoral, et certes de pareilles questions sont toutes loyales,
toutes sincères ; elles ne peuvent tendre qu'a vous éclairer, c'est si vrai,
que l'honorable membre a dit que si tel était le but de ma demande, il
l'approuvait.
L'honorable membre a
dit encore que les électeurs qui nommaient les libéraux étaient les électeurs
riches et fortunés, tandis que ceux qui nous nommaient étaient des électeurs de
peu de fortune. Ces sortes de déclamations qui nous casent à l'état de
l'infériorité indiquent de la part de nos adversaires une modestie bien rare.
Chose étrange ! Ces jours derniers, l'autre côté de la chambre prétendait
représenter l'opinion éclairée et lumineuse, tandis que notre rôle représentait
l'opinion ténébreuse et ignorante ; aujourd'hui, notre rôle prend une face
nouvelle, on a la galanterie de nous dire que nous représentons l'opinion qui
n'a pas le sou. C'est sans doute très libéral.
Convenez,
messieurs, que nous sommes alors les représentants des démocrates !
Mais laissons là ces
insinuations peu aimables, nous sommes tous les représentants du pays, et j'ai la
faiblesse de me croire autant de lumières que les membres de l'assemblée qui
siègent sur d'autres bancs, et de penser que mes amis ne sont pas moins
éclairés, pas moins lumineux que les membres de la gauche.
M. le ministre de
l’intérieur (M. de Theux). - Je m'estime heureux de pouvoir terminer ce
long débat par la déclaration que j'ai faite en l'ouvrant. Voici ce que je
disais hier au début de la discussion :
« J'accepte le crédit
propose par la section centrale, c'est-à-dire une majoration pour faire
accélérer les travaux du recensement. Ce travail, je l'espère, sera terminé
dans le délai indiqué au rapport et annoncé par la commission de statistique,
dont l'avis a été communiqué à la section centrale.
« Je ferai tout ce
qui sera en mon pouvoir pour que la chambre soit saisie le plus tôt possible
des résultats du recensement. »
Je le demande, est-il
possible de faire une déclaration plus précise ? S'il s'agissait d'un fait
qui me fût personnel, je pourrais en dire davantage, mais comme il ne m'est pas
personnel, je ne puis dire autre chose, sinon que je ferai tout ce qui sera en
mon pouvoir.
- L'article, avec le
libellé proposé par M. de Brouckere, est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à
quatre heures et demie.