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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 7 mars 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 924) M. de Villegas procède à l'appel nominal à midi et quart, et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée,

Pièces adressées à la chambre

M. de Villegas présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur Biar, notaire à Liége, présente des observations sur le projet de loi relatif aux ventes à l'encan et contre la pétition adressée à la chambre par quelques marchands de bois, domiciliés à Liège. »

M. Lesoinne demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

- Cette proposition est adoptée.


« Le conseil communal de Lophem présente des observations contre le projet de loi sur la dérivation des eaux de la Lys. »

« Mêmes observations du conseil communal de Coolkerke , de la chambre de commerce d'Ostende et de la wateringue de Ghistelles-Est. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les conseils communaux et plusieurs électeurs du canton de Maestricht (sud) et des communes environnantes, demandent la construction d'une route qui traverse ce canton du nord au sud. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.

Motion d'ordre

Rumeurs de démission gouvernementale

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, jusqu'à présent le ministère, retenu par un sentiment de haute convenance que la chambre appréciera, n'a pas répondu aux différentes interpellations qui lui avaient été adressées relativement à la situation ministérielle. Aujourd'hui, messieurs, mes collègues et moi, nous pouvons rompre le silence qu'un haut devoir nous imposait et nous nous empressons de répondre à l'attente de la chambre et de déclarer qu'à la suite d'un dissentiment sur la portée et l'application des principes qui avaient servi de bases premières à la loi sur l'enseignement moyen, nous avons cru de notre devoir de supplier Sa Majesté de vouloir bien accepter les démissions respectives des fonctions que nous tenions de sa royale confiance.

C'est, messieurs, le 2 de ce mois que ces démissions ont été adressées à Sa Majesté.

Depuis le Roi, avant d'accepter ces démissions, m'ayant fait l'honneur de me demander si j'accepterais la haute mission de former un ministère sur les mêmes bases que celui du mois de juillet, je crus répondre à ce royal désir en m'adressant à mes propres collègues, dont je tenais à ne me point séparer; à mes collègues, messieurs, dont j'estimais et j'honorais les talents, le caractère, la droiture et la sincérité ; à mes collègues qui avaient dirigé avec moi, dans le plus parfait accord, dans l'harmonie la plus constante, les affaires du pays.

En conséquence, je fis près de mes honorables collègues une nouvelle tentative, et nous examinâmes de commun accord, consciencieusement et profondément, toutes les questions sur lesquelles avait porté notre premier dissentiment. Après des longues et mûres délibérations mes collègues et moi nous avons été convaincus que nous devions persister dans la résolution que nous avions prise le 2 de ce mois, et maintenir les démissions que nous avions supplié Sa Majesté de bien vouloir accepter.

En conséquence, messieurs, en ce moment Sa Majesté avise, et je crois avoir rempli envers le Roi la seconde tâche que Sa Majesté avait daigné me confier, en m'adressant à mes collègues et en faisant la démarche qui est restée sans résultat.

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère de la guerre

Rapport de la commission

M. Pirson, rapporteur. - Dans la séance du 5 de ce mois, le gouvernement a demandé un deuxième crédit provisoire de 3,000,000 de francs à valoir sur le budget des dépenses du département de la guerre pour l'exercice courant.

Par la loi du 31 décembre 1845, il avait été alloué, au même département, un premier crédit provisoire de 5,000,000 de francs. M. le ministre de la guerre, interpellé sur l'emploi de ce crédit, et sur l'objet du second, a répondu que les fonds accordes par la loi du 31 décembre 1845 étaient entièrement absorbés, et qu'avec le nouveau crédit pétitionné, il pourrait assurer le service de l'armée jusque vers le 15 avril prochain.

Comme il n'est pas probable que la chambre soit à même de s'occuper incessamment de la discussion du budget de la guerre, le rapport sur ce budget n'ayant encore être dépose, la commission à laquelle vous avez renvoyé l'examen du projet de loi qui tend à accorder un crédit provisoire de 3,000,000 francs pour les besoins de l'armée, a l'honneur de vous proposer à l'unanimité son adoption, sous la réserve que jusqu'à décision ultérieure de la législature, il ne sera apporté aucun changement au taux actuel des traitements et soldes.

Ce crédit donnera à la section centrale et à la chambre la possibilité de terminer l'examen du projet de budget dont nous sommes saisis.

M. le président. - A quel jour la chambre veut-elle fixer la discussion ?

Plusieurs membres. - Votons-le immédiatement.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, comme vous venez de l'entendre par le rapport que vous a fait l'honorable M. Pirson, il y a urgence. Je prierai la chambre d'examiner le projet le plus tôt possible.

Discussion des articles et vote sur l'ensemble du projet

- La chambre consultée décide qu'elle procédera immédiatement à la discussion.

Ce projet est ainsi conçu :

« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit provisoire de trois millions de francs (fr. 3,000,000), à valoir sur le budget des dépenses de l'exercice courant. »


« Art 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

Personne ne demandant la parole, ces deux articles sont successivement adoptés.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet ; il est adopté à l'unanimité des 56 membres présents.

Ce sont : MM. de Bonne, de Brouckere, de Chimay, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dumortier, Duvivier, Fallon, Henot, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart, Scheyven, Sigart, Thienpont, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Veydt, Zoude, Biebuyck, Clep et d'Anethan.

Rapports sur des pétitions

M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, la chambre a demandé un rapport sur quelques pétitions

« Le sieur Rosseels, ancien employé des douanes, demande une augmentation de pension. »

Le pétitionnaire expose à la chambre qu'il a été au service militaire pendant 22 ans, qu'il a été blessé au siège de Dantzick, qu'il a rendu d'immenses services dans les désastreuses journées d'août 1831, qu'il se distingua à l'affaire de Botzen, qu'il est entré dans la douane le 1er avril 1832, que la brigade à laquelle il appartenait, fut attaquée dans la nuit du 11 juillet suivant au village de Burght, où il fut si grièvement blessé qu'on le laissa pour mort, qu'il a obtenu le grade de commis de première classe en 1842, qu'il fît alors une maladie longue et très pénible, résultat douloureux de ses fatigues et de ses blessures, ce qui le força à demander sa retraite qui lui fut accordée en 1844.

Mais dans le règlement de sa pension on n'a pas non seulement négligé de compter ses années de service militaire, mais on n'a même compté que sur un service de onze ans et 2 mois dans la douane, tandis qu'il peut justifier de 12 ans et un mois ; aussi, par suite de ces diverses omissions, sa pension n'a été liquidée qu'au chiffre minime de 130 fr.

Le pétitionnaire a vainement réclamé, dit-il, la révision de cette pension ; il demande surtout que ses services militaires soient pris en considération.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département des finances.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.


M. Zoude, rapporteur. - « Les habitants du hameau de St-Léonard demandent que ce hameau soit érigé en commune distincte de celle de Brecht dont il dépend. »

Les pétitionnaires invoquent à l'appui de leur demande, les motifs les plus plausibles ; mais comme le département de l'intérieur peut seul les apprécier à leur juste valeur, votre commission vous propose de lui en faire le renvoi.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.


M. Zoude, rapporteur. - « Les membres du conseil communal d'Uccle demandent que l'arrêté royal du 6 février 1846, qui a transféré d'Uccle à Saint-Gilles le bureau de l'enregistrement, soit rapporté, et que le receveur des contributions directes et le juge de paix soient tenus d'habiter Uccle, chef-lieu du canton. »

Le bourgmestre et le conseil communal d'Uccle exposent à la chambre que leur commune étant le chef-lieu du canton, a été obligée à des frais considérables pour la construction de locaux convenables pour les opérations de la milice, pour la salle d'audience de la justice de paix, pour son ameublement, pour les frais de cédules des jugements et de leur exécution, ainsi que pour pourvoir au salaire d'un employé chargé de toute cette besogne.

Cependant lorsque leur commune seule a dû supporter toute cette dépense, elle est la seule qui soit privée de tous les avantages attribués à un chef-lieu.

C'est ainsi, disent-ils, que le juge de paix habite Ixelles, qu'il en est de même de son greffier et de son huissier, et qu'au mépris de la loi, le juge de paix tiendrait ses audiences chez lui.

Mais là ne se bornent pas leurs plaintes ; ils les adressent également au ministère des finances qui permet au percepteur des contributions, au receveur de l'enregistrement et même aux commis des accises d'établir leur résidence ailleurs qu'au chef-lieu.

Ils demandent le redressement de tous ces griefs.

Votre commission, messieurs, regrette de ne pouvoir appuyer les pétitionnaires dans toutes les plaintes qu'ils articulent.

D'abord en ce qui concerne le juge de paix, sa résidence n'est obligatoire que dans une des communes du canton. Ce que la loi exige, c'est qu'il tienne ses audiences de simple police, ainsi que ses audiences civiles au chef-lieu ; libre à lui, pour les autres audiences, de les tenir chez lui, pourvu que ce ne soit pas à huis clos.

Il n'en est pas de même de son greffier, c'est au chef-lieu qu'il doit résider.

Quant au percepteur des contributions, les règlements exigent sa résidence au chef-lieu ; mais le ministre des finances, par des motifs dont il a seul l'appréciation, peut l'autoriser à résider ailleurs.

En ce qui concerne le placement du bureau de l'enregistrement, c'est un devoir au ministre de consulter les plus grands besoins de la population, d'établir les bureaux où se trouve le grand centre d'affaires, où les relations avec les bureaux sont les plus fréquentés.

En ce qui concerne le service des accises, il est évident qu'au ministre seul doit appartenir de fixer la résidence des employés ; il ne peut y avoir de limites à cet égard, c'est là où leur service peut être le plus utile qu'ils doivent résider, c'est au ministre seul qu'il appartient de le déterminer.

Toutefois, messieurs, comme la plainte des pétitionnaires pourrait être fondée sous plusieurs rapports, qu'il n'appartient pas à votre commission d'apprécier, elle a l'honneur de vous proposer le double renvoi de cette pétition à MM. les ministres de la justice et des finances.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.


M. Zoude, rapporteur. - « Le sieur Puraye, juge de paix du canton d'Uccle, présente des observations contre la demande du conseil de cette commune, tendant à ce que le juge de paix soit obligé de demeurer au chef-lieu de canton. »

La commission conclut au renvoi à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi relatif à l'organisation de la cour des comptes

Discussion des articles

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je déclare me rallier au projet de la section centrale.

- Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à l'examen des articles.

Article premier

« Art. 1er. La cour des comptes est composée d'un président, de six conseillers et d'un greffier.

« Ils sont nommés tous les six ans par la chambre des représentants, qui a toujours le droit de les révoquer.

« Le président et les conseillers doivent avoir au moins l'âge de 30 ans.

« Le greffier doit être âgé de 25 ans au moins ; il n'a pas voix délibérative. »

M. Lebeau. - Messieurs, puisque l'on réorganise en quelque sorte la cour des comptes, je regrette qu'on n'ait pas soumis à la chambre la question de savoir s'il ne serait pas utile de compléter l'organisation de cette cour par une institution analogue à celle qui existe en France.

La loi institutive de la cour des comptes en France remonte à la loi du 16 septembre 1807. La cour est composée d'un premier président, de plusieurs vice-présidents et de conseillers ; le gouvernement y est représenté par un fonctionnaire exerçant le ministère public.

Je demande à M. le ministre des finances s'il ne résulte pas des rapports qui se sont établis entre ses prédécesseurs et la cour des comptes, entre la cour des comptes et lui-même, l'idée de l'utilité d'un représentant du gouvernement auprès de ce corps ?

Tous les gouvernements ont respecté en France cette institution d'un ministère public auprès de la cour des comptes. Elle est d'origine impériale. Le gouvernement de la restauration l'a maintenue. Le gouvernement de la révolution de juillet l'a maintenue à son tour ; et si vous voyez dans l'ordonnance du 31 mai 1838, quelles sont les attributions du procureur général près la cour dis comptes, vous serez convaincu que ces attributions sont loin de constituer une sinécure. C'est au contraire une fonction extrêmement utile non seulement dans l'intérêt du trésor public, mais dans l'intérêt de la cour des comptes elle-même, dans l'intérêt de ses travaux, lesquelles sont souvent préparés par le représentant du gouvernement.

On a si bien compris qu'il fallait créer près de la cour des comptes une institution analogue à celle qui est établie en France par la loi du 16 septembre 1807, qu'il y a en Belgique un conseiller qui est chargé de remplir les fonctions de ministère public près de cette cour. Or, l'on comprend très bien que ce fonctionnaire n'a pas une véritable aptitude aux fonctions auxquels il est préposé, car il peut se faire que le procureur général, le commissaire du roi soit précisément en instance pour faire prévaloir telle ou telle opinion émise par le gouvernement et controversée entre lui et la cour des comptes.. Dès lors le ministère public aurait à agir dans un tout autre esprit que celui dont sont en général animés les membres de la cour. Ajoutez d'ailleurs, que par la manière dont ces fonctions se trouvent maintenant organisées, on enlève parfois aux délibérations les plus importantes un membre de la cour, qui doit juger alors en nombre pair ; car le membre qui a rempli les fonctions de ministère public ne peut pas convenablement participer à l'arrêt qu'il a provoqué.

Je ne veux pas insister davantage, messieurs ; je comprends que la chambre soit sous l'empire de préoccupations toutes différentes de celles qui se rattachent à la loi actuelle.

Je ne fais pas de proposition ; si une proposition doit être faite, elle devrait émaner du gouvernement. Je me suis borné à appeler l'attention du ministère et de M. le rapporteur de la section centrale, sur ce point. Il y a, selon moi, une lacune dans le projet de loi, en ce sens qu'il ne crée pas de véritable ministère public auprès de la cour des comptes.

Le pourvoi en cassation doit être et est ouvert contre les décisions de la cour des comptes ; mais c'est seulement au gré et au profit des comptables ; il s'agit cependant ici de l'intégrité des lois financières que la cour des comptes applique chaque jour, et dès lors il semble qu'il devrait y avoir aussi pourvoi dans l'intérêt du trésor public et pourvoi dans l'intérêt de la loi, pourvois qui ne sauraient être exercés avec une constante vigilante que par un officier du ministère public institué près de la cour des comptes. Je n'insisterai pas maintenant, je le répète, sur ce point. Encore un mot cependant. Quand on a fait la loi sur la cour des comptes, on était à une époque de réaction, de défiance contre le pouvoir ; partout où l'on apercevait un agent du gouvernement dont la nécessité absolue n'était pas démontrée à la dernière évidence, on reculait en quelque sorte d'épouvante devant lui.

C'est sous l'influence de ces idées qu'on a organisé la cour des comptes en 1830, et je suis convaincu que c'est à cette influence que l'on a obéi, en supprimant les fonctions dont je viens de parler, fonctions qui ont été instituées par l'empereur, et maintenues par le gouvernement de la Restauration et par le gouvernement de Juillet.

M. Dumortier. - Je pourrais donner à l’honorable orateur qui vient de parler quelques explications sur la question qu'il a soulevée. Je crois pouvoir le faire pour deux motifs ; le premier, c'est que j'ai été l'auteur du projet primitif, qui a été présenté sur l'organisation de la cour des comptes ; le second, c'est que j'ai fait partie de la commission qui a été chargée par le gouvernement d'examiner le projet de loi. C'est à ce double titre que je crois devoir prendre la parole pour répondre quelques mots à l'honorable M. Lebeau, et je pense que la chambre trouvera mes explications satisfaisantes.

Nous avons, messieurs, repoussé l'idée de créer près de la cour des comptes un procureur général ; nous l'avons repoussée comme une chose tout à fait contraire à l'institution de la cour des comptes, telle qu'elle existe en Belgique. Il y a, messieurs, cette énorme différence entre la cour des comptes belge et la cour des comptes française, qu'en France cette institution est une émanation du gouvernement, tandis qu'en Belgique elle est une émanation du pouvoir populaire. C'est comme une section de la chambre, une commission que nous nommons et à laquelle nous déléguons une partie de nos attributions, la mission d'examiner les comptes de l'Etat.

Ce pouvoir doit donc conserver toute son indépendance, afin qu'il puisse opposer un obstacle à toute irrégularité que le gouvernement serait disposé (page 926) à commettre dans la gestion des deniers publics. En France, la cour des comptes n'exerce son action qu'après que les actes ont été posés ; en Belgique, au contraire, le congrès a voulu que l'action de la cour des comptes fût antérieure aux actes posés par le gouvernement.

Enfin je le répète, la cour des comptes est une émanation de la chambre, c'est une institution populaire et je demande s'il convient d'introduire dans une semblable institution, un homme qui, disons le mot, ne serait qu'une espèce d'agent actif du gouvernement. Je crois qu'il faut laisser à la cour des comptes toute son indépendance vis-à-vis du ministère, qu'il faut lui laisser toute sa liberté d'action, cela est d'autant plus indispensable chez nous, qu'il est arrivé déjà plusieurs fois que des demandes de fonds avaient été faites en dehors des crédits ouverts par le budget ; si dans un pareil état de choses la cour des comptes n'avait pas toute sa liberté d'action ; s'il y avait dans son sein un procureur général nommé sans doute par le gouvernement et qui intervînt d'une manière quelconque dans ses résolutions, alors nous n'aurions plus les garanties que nous devons avoir, nous ne serions plus certains d'atteindre le but que le congrès a eu en vue en créant cette institution.

L'observation de l’honorable M. Lebeau soulève d'ailleurs une question très grave. Ce serait sans doute le gouvernement qui nommerait le fonctionnaire dont il s'agit. (M. Lebeau fait un signe affirmatif.)

Eh bien ! cela serait-il complétement constitutionnel ? Je ne veux pas examiner cette question maintenant, mais elle est extrêmement grave. Dans tous les cas la cour des comptes a repoussé à l'unanimité l'idée de voir introduire dans son sein un procureur général.

Malheureusement nous discutons ici sous l'empire d'autres préoccupations, de préoccupations non moins graves que celles qui se rattachent au projet de loi dont nous sommes saisis. Je crois que nous ferions mieux de remettre à lundi prochain l'examen de ce projet, afin que nous puissions relire toutes les pièces qui s'y rattachent.

Je suis loin de demander que la chambre interrompe ses travaux ; je pense au contraire que nous devons les continuer ; nous avons toujours des ministres, car si les démissions ont été offertes, elles ne sont pas acceptées ; mais je pense que nous devons prendre le temps nécessaire pour examiner les pièces et notamment celles qui ont été présentées par la cour des comptes elle-même.

La cour des comptes a été chargée de préparer un projet de loi sur son organisation, et nous devons avoir beaucoup d'égard à son travail. Si, comme le pense l'honorable M. Lebeau, le projet le loi présente une lacune, il faudra certainement y pourvoir, mus je pense qu'il fera très facile de le faire sans introduire dans la cour des comptes un procureur du roi qui l'empêcherait d'être aussi indépendante qu'elle l'a été jusqu'à présent.

M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - J'avais demandé la parole, messieurs, au moment où l'honorable M. Dumortier s'est levé, pour proposer de remettre la discussion du projet de loi à lundi. En voici les motifs : Le rapport a été déposé le 21 mai 1844, il y a 20 mois que je l'ai perdu de vue. Nous sortons d'une discussion extrêmement compliquée ; j'ai été obligé de prendre une part active à la discussion qu'il a soulevée, j'ai passé mes matinées à me préparer, mes soirées à repasser ce que j’avais dit ici ; il est impossible que la chambre me condamne à soutenir aujourd'hui même la discussion d'un projet que je n'ai pas revu, je le répète, depuis près de 2 ans. Je demande donc formellement à la chambre de vouloir remettre la discussion à lundi. C'est un projet très important et qui mérite d'être examiné avec attention.

J'aurais hésité, messieurs, à faire cette proposition s'il avait dû en résulter une interruption dans nos travaux, mais nous avons un autre projet à l'ordre du jour, c'est celui qui concerne les ventes à l'encan ; je demande que l'on entame la discussion de ce projet et qu'on remette à lundi la loi relative à la cour des comptes.

M. le ministre des finances (M. Malou). - L'honorable M. Lebeau a émis l'opinion qu'une proposition d'ajournement aurait dû venir du gouvernement. Je n'ai pas fait une telle proposition, et c'est par un sentiment que je tiens à exprimer à la chambre.

Nos démissions sont données, mais aussi longtemps qu'elles ne sont pas acceptées, le premier de nos devoirs est de continuer l'expédition des affaires. Dès lors, messieurs, ce n'est pas de nous que devait, que pouvait même émaner une demande d'ajournement. Je me considère comme étant à la disposition de la chambre pour la discussion de ce projet et de celui dont le premier vote a été terminé hier, ainsi que des autres projets concernant le département des finances que la chambre jugerait à propos de mettre à son ordre du jour.

Si la chambre ajournait à lundi la discussion du projet relatif à la cour des comptes, je soulèverais la question de savoir s'il ne vaut pas mieux s'occuper lundi du second vote de la loi sur la comptabilité. J'ai examiné si la connexité entre les deux projets était telle qu'il fallût nécessairement avoir voté d'abord la loi sur l'organisation de la cour des comptes, et. je ne pense pas qu'il y ait le moindre inconvénient à examiner lundi les divers amendements introduits dans le projet de loi sur la comptabilité ; de cette manière les souvenirs de la chambre seront plus récents et le second vote pourra être plus prompt.

M. Lebeau. - Je n'ai pas proposé l'ajournement ; je n'ai pas même fait un reproche au gouvernement de ne pas en avoir proposé ; je n'en ai pas parlé, je tiens à ce qu'on le sache, parce que je ne veux pas accepter la responsabilité d'un retard quelconque dans la marche des affaires.

Maintenant me sera-t-il permis de répondre quelques mots à l'honorable M. Dumortier ? La chambre comprendra que même dans un intérêt d'amour-propre, je ne puis pas être long, car je serai à peine écoulé, dans l'état actuel des esprits.

L'honorable M. Dumortier m'a reproché de vouloir porter atteinte à l’indépendance de la cour des comptes, en proposant (je me trompe, je n'ai pas fait de proposition), mais en parlant de l'utilité qu'il pouvait y avoir à attacher à la cour un représentant du pouvoir exécutif.

C'est absolument comme si on accusait d'avoir porté atteinte à l'indépendance de la magistrature, ceux qui ont institué à côté d'elle un ministère public ; c'est comme si on disait qu'on a porté atteinte à l'indépendance des chambres, en permettant à des ministres, qui ne sont pas même membres du parlement, d'y représenter le Roi.

J'aurais une bien mince opinion de l'indépendance de la cour des comptes, si je pouvais croire que cette indépendance fût menacée par le voisinage d'un agent du pouvoir exécutif. Je ne ferai pas cette injure à la cour.

L'honorable M. Dumortier confond les attributions. Que ferait le commissaire du Roi près de la cour des comptes ? Prendrait-il part aux délibérations ? Pas plus que le ministère public près des tribunaux. Il agirait, comme le ministère public près de la cour des comptes, en France.

En France, dit-on, le système est différent. La cour des comptes y est d'institution royale ; chez nous elle est d'origine parlementaire, d'origine domestique.

Raison de plus, messieurs, pour que le pouvoir royal doive y être représenté, raison de plus pour qu'il l'y soit sans danger.

L'argument se rétorque donc avec une grande puissance contre l'honorable M. Dumortier.

Au surplus, pour rassurer tout à fait l'honorable membre, voici un aperçu des attributions du commissaire royal près de la cour des comptes en France.

« Le procureur général ne peut exercer son ministère que par voie de réquisition.

« Il fait dresser un état général de tous ceux qui doivent présenter leurs comptes à la cour. Il s'assure s'ils sont ou non exacts à les présenter dans les délais fixés par les lois et règlements, et requiert contre ceux en retard l'application des peines.

« Il adresse au ministre des finances les expéditions des arrêts de la cour et suit devant elle l'instruction et le jugement à fin de révision pour cause d'erreurs, omissions, faux ou doubles emplois reconnus à la charge du trésor public, du département ou des communes.

« Toutes les demandes en mainlevée, réduction ou translation d'hypothèques sont communiquées au procureur général avant d'y être statué.

« Toutes les fois qu'un référendaire élève contre un comptable une prétention de faux ou de concussion, le procureur général est appelé en la chambre et entendu dans ses conclusions avant d'y être statué.

« Le procureur général peut prendre communication de tous les comptes dans l'examen desquels il croit son ministère nécessaire, et la chambre peut même l'ordonner d'office.

« Le procureur général est tenu de correspondre avec les ministres sur les demandes qu’ils peuvent lui faire de renseignements pour l'exécution des arrêts, les mainlevées, radiation ou restriction de séquestres, saisies, oppositions et inscriptions hypothécaires, et remboursement d'avances des comptables. »

Voilà l'effrayant catalogue des atteintes que peut porter le procureur général de la cour des comptes à l'indépendance du corps auquel il est attaché. Je n'en dirai pas davantage. Je ne ferai pas de proposition. Je pense qu'il existe dans l'organisation actuelle une lacune importante ; elle s’explique uniquement, selon moi, par l'influence des idées qui, au moment de l'institution de la cour des comptes, dominaient et qui paraissaient encore dominer certains esprits, notamment l'honorable député de Tournay, cette lacune est très regrettable, mais l'instant n'est pas venu de la combler lorsque le gouvernement lui-même, loin d'y penser, semble reculer devant le débat qu'une telle proposition pourrait soulever.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, si j'ai mal saisi les paroles de l'honorable préopinant, je suis tout disposé à retirer ce que j'ai dit tout à l'heure, mais j'avais compris que l'honorable membre avait déclaré que s'il y avait lieu de faire une proposition d'ajournement, elle devait émaner du gouvernement.

Messieurs, je ne suis pas entré dans la discussion du point de savoir s'il serait utile d'instituer un ministère public auprès de la cour des comptes, parce que j'attends que la chambre ait statué sur la motion d'ajournement à lundi ; je ne déserterai ni cette question, ni aucune autre, quand la discussion sera ouverte.

M. Osy. - Je crois devoir combattre l'ajournement à lundi ; il me paraît utile de terminer la loi d'organisation de la cour des comptes, avant d'entamer le second vote de la loi de comptabilité ; nous pourrons voir alors si ces deux lois coïncident bien ensemble.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je trouve étrange que l'honorable M. Osy vienne vous dire qu'il n'aperçoit aucun motif, pour remettre à lundi la discussion de la loi de la cour des comptes ; je croyais avoir donné d'excellents motifs, pour établir la convenance de remettre ce débat à lundi. Chargé des fonctions de rapporteur, je ne suis pas prêt, je le déclare ; et plusieurs honorables collègues, dont la responsabilité est moins grande que la mienne, viennent de me faire la même déclaration. Il convient donc, dans l'intérêt même de la discussion, de remettre le projet de loi concernant l'organisation de la cour des comptes à lundi.

M. le ministre des finances nous demande pour lundi le second vote du projet de loi de comptabilité. Dans la séance d'hier, l'honorable M. Desmet a demandé que la discussion du projet concernant la cour des comptes (page 927) primât le second vote de la comptabilité à cause des rapports que ces deux projets ont entre eux ; afin que si la discussion concernant la loi de la cour des comptes, révélait la nécessité de quelques changements à introduire dans la loi de comptabilité, la chambre fût encore à même de les opérer.

J'insiste donc pour que nous abordions immédiatement pendant cette séance la discussion du projet de loi relatif aux ventes à l'encan qui est à l'ordre du jour et qu'on s'occupe, lundi, du projet de loi sur la cour des comptes et que le second vote de la loi de comptabilité vienne immédiatement après.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Quant à la discussion du projet de loi relatif aux ventes à l'encan, il est impossible de l'entamer aujourd'hui ; M. le ministre des affaires étrangères, chargé spécialement de soutenir ce projet, n'est pas présent ; je dois, il est vrai, le défendre, de concert avec lui ; mais je n'ai aucune pièce par devers moi.

M. de Garcia. - Messieurs, s'il s'agissait d'un ajournement indéfini, je le combattrais ; s'il s'agissait même d'interrompre nos travaux, je combattrais encore la motion ; mais je pense qu'on ne peut refuser à M. le rapporteur le temps de se préparer d'ici à lundi ; M. le rapporteur s'est donné beaucoup de peine, pendant la longue discussion de la loi de comptabilité, tout le monde doit le reconnaître ; on ne peut donc, me semble-t-il, ne pas lui laisser le temps qu'il réclame, pour se préparer à soutenir la discussion de la loi relative à la cour des comptes.

Bien que le projet de loi sur les ventes à l'encan figurât à l'ordre du jour, personne ne s'attendait et ne pouvait s'attendre à ce qu'il serait discuté aujourd'hui. En effet, la loi d'organisation de la cour des comptes venait en première ligne et devait occuper vraisemblablement la chambre pendant plusieurs jours.

Quant à la loi d'organisation de la cour des comptes, il est d'autant plus important d'en remettre la discussion à lundi, que l'honorable M. Lebeau a soulevé une question des plus essentielles, qui se rattache à l'article premier du projet de loi. Quant à moi, dans l'état actuel des choses, je ne suis pas disposé à admettre la proposition éventuelle qui tendrait à établir un procureur général près de la cour des comptes ; cependant cette question mérite un examen approfondi, et je crois qu'il n'y a nulle espèce d'inconvénient à remettre cette discussion à lundi.

M. de La Coste. - Messieurs, j'appuie la proposition que fait M. le ministre des finances, de procéder lundi au second vote de la loi sur la comptabilité. Il me semble, en général, que quand il n'y a pas d'objections graves, il est dans les usages parlementaires de suivre, pour l'ordre des discussions, les propositions ministérielles.

En second lieu, dans la situation embarrassée des affaires qui a été exposée au commencement de la séance, dans l'incertitude où l'on se trouve, il me semble qu'il n'y a plus d'avantage à voter une loi qui a déjà été examinée, à la préparer ainsi pour l'examen du sénat, qu'à entamer la discussion d'une loi nouvelle, lorsqu'on ne sait pas quel sera le ministère qui sera chargé de la conduire jusqu'à la fin. Il me paraît donc que si nous remettons nos travaux à lundi, il est beaucoup plus naturel, sous tous les rapports, de suivre la proposition de M. le ministre des finances. Du moment que nous admettons cette proposition, nous n'avons je pense, autre chose à faire qu'à suspendre la loi relative à la cour des comptes, jusqu'après le second vote de la loi de comptabilité ; car il serait fort inutile d'entamer maintenant cette discussion pour l'interrompre lundi.

D'ailleurs, je crois que nous devons avoir quelque égard à la fatigue éprouvée dans cette longue discussion tant par M. le rapporteur que par M. le ministre des finances, fatigue augmentée encore, pour M. le ministre par les délibérations auxquelles il a dû prendre part ailleurs que dans cette enceinte.

M. Desmet. - Messieurs, la loi relative à la cour des comptes est un corollaire de la loi de comptabilité générale. M. le ministre des finances a demandé qu'on modifiât l'ordre du jour qui a été fixé, en ce sens qu'on procéderait d'abord au second vote de la loi de comptabilité. J'insiste pour que le projet de loi concernant la cour des comptes vienne avant ce second vote. Il est certain qu'on ne peut pas avoir une loi de comptabilité, sans avoir bien organisé préalablement la cour des comptes. C'est ce qu'ont bien compris plusieurs honorables préopinants.

- La discussion est close.

La chambre consultée, décide que la discussion du projet de loi relatif à la cour des comptes est ajournée. Elle décide ensuite que le second vote de la loi de comptabilité générale aura lieu dans la séance de lundi.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, il est bien entendu que le projet de loi concernant la cour des comptes, reste fixé immédiatement après le second vote de la loi de comptabilité.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - Le second objet à l'ordre du jour est le projet de loi relatif aux ventes à l'encan.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, j'ai déclaré tout à l'heure que M. le ministre des affaires étrangères était spécialement chargé de défendre cette loi ; il n'est donc pas possible de commencer aujourd'hui cette discussion ; lundi ou mardi on pourra entamer cet objet ; on peut donc le laisser à l'ordre du jour après ceux qui y sont déjà. (Adhésion.)

- La séance est levée à 1 heure et demie.