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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 18 février 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 709) M. Huveners procède à l'appel nominal à une heure et quart.

M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs avocats à Dinant demandent une loi qui interdise aux avoués la plaidoirie dans les tribunaux où les avocats et les stagiaires sont en nombre suffisant pour l'expédition des affaires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Bellefroid, Del Marmol et autres membres du comité des charbonnages liégeois, présentent des considérations sur la nécessité d'établir le chemin de fer de Liège à Namur, sur la rive gauche de la Meuse. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Plusieurs habitants de la ville basse de Charleroy demandent qu'il soit pris des mesures pour empêcher les inondations de la Sambre. »

M. Pirmez. - Je prierai la chambre de bien vouloir ordonner qu'il soit fait un prompt rapport sur cette pétition. Il s'agit des inondations de la Sambre, occasionnées, disent les pétitionnaires, par les travaux de canalisation et par les travaux du chemin de fer et qui causent des préjudices considérables aux populations. Il est urgent d'y porter remède.

- La pétition est renvoyée à la section centrale du budget des travaux publics, avec demande d'un prompt rapport.


« Par message en date du 17 février, le sénat adresse à la chambre une copie de la liste des membres du jury universitaire, nommés par lui et que le sort vient d'éliminer. »

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de cette pièce.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Henot dépose différents rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1846

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IX. Etablissements de bienfaisance

Discussion générale

M. Rodenbach. - Messieurs, dans la discussion du budget de la justice pour 1844 et pour 1845, j'ai soumis au-gouvernement quelques observations sur les dépôts de mendicité, sur les colonies agricoles et sur les monts-de-piété. Dans l'exposé des motifs de son budget de cette année, M. le ministre de la justice nous dit qu'il a l'intention de présenter des projets de lois, notamment sur les dépôts de mendicité et sur les monts-de-piété. Il a consulté les conseils provinciaux sur ces projets, et, si me suis bien informé, ces conseils n'ont pas tous accueilli favorablement le projet relatif aux dépôts de mendicité. On a dit, et je pense que c'est à juste titre, que ce projet, loin de diminuer les frais énormes des communes, viendrait encore les augmenter.

Vous le savez, messieurs, les dépôts de mendicité sont une véritable lèpre pour le pays : ce sont les dépôts de mendicité qui ont en quelque sorte ruiné presque toutes nos communes. Au lieu de centraliser en cette matière, c'est au contraire une décentralisation qu'il faudrait opérer pour établir un bon système. On reçoit dans les dépôts de mendicité des hommes' valides, des vagabonds : on y reçoit tous ceux qui se présentent. Je pense que les dépôts de mendicité ne devraient être que des maisons de répression et que les pauvres devraient être entretenus dans les communes, moyennant leurs propres ressources et des subsides du gouvernement ; car c'est là qu'on peut les entretenir à bon compte. Dans la Flandre occidentale, et notamment dans le district de Roulers, je pourrais citer jusqu'à huit communes où lés pauvres, les vieillards et même les malades, sont entretenus à raison de 19 centimes par jour en moyenne, tandis que dans le dépôt de mendicité de Bruges, l'entretien des détenus coûte 41 centimes par jour ; ainsi cet entretien coûte dans les dépôts de mendicité plus du double de ce qu'il coûte dans les communes. Mais il y a plus, messieurs, c'est que quand les détenus des dépôts de mendicité sont malades, leur entretien s'élève jusqu'à 50 centimes par jour. Cela prouve bien que le système des dépôts de mendicité est un système éminemment vicieux.

Je crois qu'il en sera de même pour les colonies agricoles que M. le ministre se propose d'établir. Il faudra encore une fois créer des places largement rétribuées, tandis que dans les communes les établissements de bienfaisance sont administrés gratuitement par des hommes animés de l'esprit de charité. Il est impossible que les établissements créés par le gouvernement soient dirigés avec autant d'économie que le sont les institutions locales des campagnes.

Le gouvernement est trop haut placé pour opérer avec économie. Je crains que si ces colonies agricoles étaient établies, il n'en résultât d'année en année des augmentations de dépenses. Il en résultera des augmentations successives des contributions, et lorsqu'on aura augmenté ainsi les impôts il faudra recourir à de nouveaux emprunts. Or, nous avons déjà une dette de 600 millions, c'est-à-dire de plus d'un demi-milliard.

En 1844 et en 1845 j'ai eu également l'occasion de parler des monts-de-piété qu'on devrait bien appeler : monts d'usure et où l'on prélève jusqu'à 15 p. c. d'intérêt. Il est assez généralement reconnu que les ouvriers honnêtes ne font point usage des monts-de-piété ; ce sont les ouvriers paresseux, les ouvriers débauchés qui les fréquentent ; ce sont surtout les voleurs qui en font le plus grand usage. Naguère encore, dans une commune de la Flandre, à la distance d'une lieue du chemin de fer, un vol fut commis la nuit, et le lendemain matin toutes les marchandises volées étaient transportées par le chemin de fera une vingtaine de lieues de l'endroit où le crime avait été commis, et là ces objets furent déposés au mont-de-piété. Il a été impossible de découvrir les coupables.

Dans une autre commune, qui fait partie de mon arrondissement, un vol d'argenterie avait été commis et, quelques heures après, tous les objets volés avaient été déposés chez les commissionnaires du mont-de-piété. Je dis, messieurs, que réellement cette institution n'est utile qu'aux malhonnêtes gens. M. le ministre a aussi l'intention de proposer un projet de loi à cet égard ; mais je crois que le meilleur projet à présenter, ce serait celui qui aurait pour objet de supprimer purement et simplement les monts-de-piété, car je considère ces établissements comme nuisibles à la société, J'attendrai les réponses de M. le ministre pour présenter de nouvelles observations, s'il y a lieu.

M. Savart-Martel, rapporteur. - Messieurs, lorsqu'il s'agit de refuser des fonds demandés pour des œuvres de philanthropie, l'homme doit éprouver toujours quelque peine, quelque regret.

Quant à moi, ces regrets sont d'autant plus amers que depuis longues années j'ai vu de près les larmes et la misère de l'indigent ; forcé, en qualité de maître des pauvres et d'administrateur du bureau de bienfaisance d'une ville où se trouvent 12,000 indigents sur une population de 24,000 âmes, de m'occuper spécialement et des besoins qui sont immenses, et des ressources qui sont fort exiguës, mon cœur serait soulagé si je pouvais donner un vote qui procurât à l'indigence un secours suffisant pour les plus stricts besoins ; il est douloureux de penser que l'ouvrier, même laborieux, ne puisse fournir à sa famille le pain et l'habit. Mais l'homme public, l'homme politique, qui se doit à la société tout entière, ne peut s'abandonner aux seules inspirations de son cœur. Il a d'autres devoirs à remplir ; il ne doit en négliger aucun.

Il ne s'agit pas en ce moment, messieurs, de secours extraordinaires que pourraient commander les circonstances, si, à la suite d'événements calamiteux, la Providence ne nous avait réservé une saison qui réduit singulièrement nos craintes. En pareil cas, mon vote serait acquis à des secours extraordinaires. Là est pour moi un point capital. Il s'agit, en grande partie au moins, de principes de dépenses nouvelles, de la création d'établissements utiles, sans doute, mais qui nécessiteront des mises de fonds dont le chiffre est inconnu, et qui auront leur place marquée nécessairement dans tous nos budgets annuels.

Cette première réflexion, je la soumets à la chambre ; elle est digne, je le crois, de fixer son attention.

Jamais, d'ailleurs, jamais il n'est entré dans notre intention, ou au moins dans mon intention, de refuser les fonds nécessaires pour les hospices d'aliénés. Jamais je n'ai cru que l'érection de pareils établissements dût être abandonnée à la charité publique, ni même aux soins des administrations provinciales ou communales, car ces hospices sont dans l'intérêt général du pays. Ils doivent donc être, non pas seulement subsidiés, mais dotés par le trésor public.

Qu'on ne se trompe point I La somme de 200^000, francs dans laquelle serait comprise l'augmentation de 80,000 francs, est motivée comme suit : «Art. 2, chap. IX. Subsides : 1° pour favoriser l'érection et l'amélioration des hospices d'aliénés, l'organisation et le soutien des établissements de bienfaisance, des ateliers de travail, et d'autres institutions en faveur de la classe ouvrière et indigente ; 2° pour secours aux victimes de l'ophtalmie militaire qui n'ont pas droit à une pension ou à un secours à la charge du département de la guerre. »

On voit là une agglomération qui confond les hospices d'aliénés avec d'autres établissements de bienfaisance d'une nature toute particulière ; or, cette confusion a été critiquée par presque toutes les sections. Il ne pouvait guère en être autrement ; non seulement à cause de la hauteur du chiffre demandé, mais parce que, si les hospices d'aliénés peuvent et doivent être une charge générale, il n'en est pas de même des autres établissements de bienfaisance, qui toujours seront d'intérêt communal, et parfois d'intérêt provincial.

En jetant un coup d'œil sur les rétroactes, on remarque qu'au budget de 1840 :

1° Les frais d'entretien et de transport de mendiants et d'insensés dont le domicile de secours est inconnu ont été augmentés de 3,000 fr., ils étaient cotés pour 15,000 fr.

2° Les subsides à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance et à des hospices d'aliénés portaient 125,000 fr.

3° Les subsides pour les enfants trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des communes et provinces, 175,000 fr.

La totalité de ce chapitre, « Etablissements de bienfaisance », s'élevait à la somme de 315,000 fr.

Le budget de 1841 présente les mêmes chiffres.

Le budget de 1842 présente aussi les mêmes chiffres.

(page 710) Il en est de même au budget de 1843.

Le budget de 1844 pousse à 20,000 fr. l'article premier, mais il réduit à 12,000 fr. l'article 2, qui était du 125,000 fr. Il laisse, pour l'article 3, 175,000 fr.

En totalité, c'est donc encore le même chiffre.

Arrivant au budget de 1845, l'article premier restait fixé à 20,000 fr., l'article 2 à 12,000 fr., l'article 3 à 175,000 fr. Encore 315,000 fr.

Mais un nouvel article fut introduit, import 30,000 fr., qui concerne plutôt les prisons que les établissements de bienfaisance. Il suffit de lire le libellé : « Subsides 1° pour l'organisation du patronage pour les condamnés libérés ; 2° pour l’établissement et le soutien des maisons de refuge destinées aux condamnés libérés et aux personnes qui veulent abandonner la voie du vice et de l'immoralité ; 3° pour venir en aide aux institutions qui forment des sujets propres au service des prisons, des dépôts de mendicité et d'autres établissements de bienfaisance ». La totalité du chiffre se montait donc à 345,000 fr.

Mais voici qu'aujourd'hui on propose, non plus l'ancien chiffre de 315,000 fr., non plus même celui de l'an dernier, 345,000 fr., mais une somme de 445,000 francs.

On maintient à 20,000 fr. le premier numéro, chiffre forcé en 1844.

On veut augmenter de 80,000 fr. le numéro 2.

On laisse le même chiffre de 175,000 fr. pour le numéro 3.

Enfin le numéro 4, qui concerne les prisons et l'immoralité, on le pousse de 30 à 50,000 francs.

Ces chiffres, ou au moins l'augmentation des 80,000 fr., qui fait présager de nouvelles augmentations susceptibles de se produire chaque année, ont fixé longtemps l'attention de la section centrale ; j'ai moi-même hésité : deux membres l'ont admise, deux l'ont rejetée, deux se sont abstenus.

Je me présente ici, non point précisément pour combattre cette augmentation de charges, mais pour vous soumettre mes réflexions. La discussion seule décidera mon vote.

Examinons, pièces en mains, les motifs présentés par le ministère.

Il y a, dit-il, nécessite de réviser l’institution et le régime des établissements charitables de diverse nature, et d'en créer de nouveaux ; des projets sont préparés au ministère.

Mais d'abord ces projets comprenant, dit-on, des réformes et des créations nouvelles : où sont-ils ? La chambre les a-t-elle vus ? Est-elle à même de les apprécier ? J'aime à croire que ces projets attesteront la sollicitude du ministère en faveur du paupérisme ; mais, nous aussi, nous avons des devoirs à remplir.

Je conçois que, dans un moment d'urgence, le ministère puisse obtenir un simple vote de confiance sous sa responsabilité ; mais dans un budget annuel, dans un budget normal, il en est tout autrement. Les conséquences ne sont pas les mêmes...

Je suivrai cependant le ministère à l'égard de chacun des établissements qu'il veut créer ou doter.

M. le ministre nous propose 1° l'organisation de bureaux de bienfaisance dans les communes rurales.

Je réponds que la loi de l'an V et notre loi communale en font des établissements communaux. Il suffit à cet égard de faire exécuter les lois, et quant au régime de ces institutions, il est soumis au pouvoir municipal.

Les administrateurs exercent et doivent exercer gratuitement ; et s'il vous prenait fantaisie, M. le ministre, d'y introduire des agents salariés, ce serait un malheur, car vous ne trouveriez plus d'administrateurs notables et désintéressés.

2° L'institution des comités de charité dans les villes.

Cette institution, qui existe à Tournay, ne peut être également qu'une émanation directe ou indirecte de l'administration locale ; s'il en était autrement, vous y lieriez la confusion dans les secours à distribuer. Et ici encore, ce n'est point le lucre, mais la charité chrétienne ou la philanthropie qui engagera d'honnêtes citoyens à se charger de cette pénible besogne.

3° L'institution des crèches, telles qu'elles existent à Paris.

Je vous avoue que je n'en vois guère une grande utilité dans notre pays où les habitudes des ouvriers pauvres ne ressemblent en rien à celles des habitants des grandes capitales.

D'ailleurs, s'il est une institution qu'il faille laisser au bon vouloir de la bienfaisance particulière, ce sont bien les crèches.

4° Les écoles d'arts et métiers. Ce sont sans doute des institutions éminemment utiles, mais je ne puis y voir qu'une déception, quand on nous signale cette nécessité pour obtenir 80,000 fr. ; ce sont des centaines de mille francs qu'il faudrait employer. Or, vous savez quelle est la position de notre budget.

5° Les écoles gardiennes, si utiles pour la morale et l'hygiène, existent dans plusieurs de nos villes et doivent émaner nécessairement des bureaux de bienfaisance, si pas de la charité privée.

6° Les établissements d'hospices spéciaux pour les enfants malades, rachitiques et valétudinaires.

Je vous avoue, messieurs, que je n'aurais jamais pensé de mettre aux soins ou à la charge du trésor public les enfants dont s'agit.

Evidemment, c'est la une charge locale, une charge des hospices ; il serait déraisonnable de créer à cet effet des hospices spéciaux qui coûteraient des sommes considérables ;

7° La réforme de l'institution des monts de-piété.

Je ne conçois pas encore qu'il faille au gouvernement des fonds à cet effet.

Oui, je regarde comme montagnes d'impiété plusieurs institutions honorées du nom de mont-de-piété, lorsque je vois qu'on arrache à l'indigent 12, 15 à 20 p. c. quand il est réduit à s'adresser à ces maisons de malheur. Mais encore ici c'est un devoir qui incombe au pouvoir communal d'aviser à de criants abus ; espérons qu'il suffira au gouvernement d'appeler à cet égard l'attention des autorités locales.

8° L'amélioration du régime des aliénés devrait être séparée, comme je l'ai dit, des établissements ordinaires de bienfaisance ; je voterai volontiers les fonds nécessaires à cette fin.

9° La réorganisation des dépôts de mendicité, qui comprendrait la réorganisation des colonies agricoles, et l'institution d'écoles de réforme et de travail pour les jeunes reclus. Ces sortes d'établissements, j'en conviens s'ils sont réalisables, sont une charge du gouvernement. Mais je réponds qu'au moyen des subsides qu'on nous demande et même de dix pareils subsides, on serait encore bien éloigné de la création d'établissements de cette nature. C’est ici une question fort grave qui divise les hommes les plus sages et dont il nous est impossible d'apprécier la portée. Puisqu'on nous promet une loi à cet égard, n'anticipons point sur les événements. Qu'il nous suffise de constater que le subside proposé ne ferait point plus d'effet qu'un verre d'eau dans un fleuve.

10° Enfin, il faut des fonds, dit-on, pour la rédaction d'une statistique générale de paupérisme en Belgique. Je réponds que votre statistique ne sera jamais qu'un mensonge, car pendant qu'on y travaille (ce qui doit nécessiter un temps plus ou moins considérable, puisque les articles à renseigner sont nombreux, et que les administrations de bienfaisance n'ont point, en général, des commis à disposition), pendant ce temps, dis-je, des mutations s'opèrent chaque jour,

Les pauvres ne sont point inamovibles ; du jour au lendemain ils délogent, emportant leur mobilier sous le bras, sans que personne, propriétaire ou autre, pense au droit de suite ; à plus forte raison y a-t-il journellement mutation dans les accessoires qui doivent composer une bonne statistique. On aurait mieux fait d'exiger dans chaque commune la seule liste des pauvres.

Vous voyez, messieurs, où ira s'engouffrer ce que vous iriez voter pour les pauvres. Dans des frais de bureaucratie. On vous l'a dit, voici un seul acte qui coûtera une mise considérable à prélever sur le morceau de pain qu'on vous demande pour l'indigent ; cependant les administrations locales travailleront gratuitement, mais il n'en sera pas de même de la bureaucratie. Cependant, quand nous votons annuellement le traitement du personnel des ministères, n'est-ce pas pour qu'on y fasse toute la besogne ordinaire et extraordinaire, prévue ou imprévue ?

Qui donc profitera de cette somme qui, d'après le ministre même, formera une dépense assez considérable ? Sera-ce des commissions ? Mais je ne crois pas qu'il y ait une âme assez vile dans les classes aisées de la société pour percevoir un centime au préjudice de l'indigence. Sera-ce la bureaucratie ? Je viens de vous prouver qu'il y aurait double emploi, et j'ai confiance que nos fonds, s'ils sont votés, recevront un meilleur usage.

Mais outre l'augmentation de 80,000 fr., dont je viens de parler ; outre les 30.000 fr. alloués au budget dernier, on nous demande aujourd'hui 20,000 fr. pour l'établissement et le soutien de maisons de refuge, destinées entre autres aux personnes qui veulent abandonner la voie du vice, de l'immoralité, c'est-à-dire aux maisons connues sous le nom de filles repenties.

L'honorable M. Pirmez a prononcé, dans l'une de nos dernières séances, des paroles pleines de sens et de sagesse qui méritent l'attention de la chambre, il s'est plaint, et avec raison, qu'on fasse des subsides pour des filles qui avaient mené mauvaise vie, tandis qu'on ne faisait rien pour les filles vertueuses. Il vous a dit, et avec raison, qu'il y avait injustice dans cette conduite ; je partage, à cet égard, son opinion.

La pensée d’arracher au vice et à l'immoralité les personnes qui s'y sont a données, est sans doute une bonne pensée. Mais dans l'impossibilité où nous nous trouvons de faire tout le bien désirable, il me semble qu'il vaudrait mieux employer nos subsides en faveur des personnes qui n'ont pas besoin de se repentir, plutôt qu'en faveur de celles qui sont repenties. Or, je ne pense point qu'on ait jamais subsidié les premières.

Là serait cependant une belle institution ; une institution qui honorerait le pays qui prendrait l'initiative à cet égard. Mais favoriser les filles repenties seulement, c'est injuste et presque immorale. Subsidier ces maisons placées au centre des nombreuses populations, c'est impolitique. Jusqu'ici je ne vois donc pas la nécessité d'augmenter de 80,000 fr. le chapitre des établissements de bienfaisance qui portait déjà 345,000 francs. Cette somme doit suffire au gouvernement pour la part qui lui incombe dans la charité publique en l'état actuel des choses.

Quant à moi, messieurs, je crains que cette bonne volonté du ministère, de subsidier avec nos deniers les établissements dépendant du pouvoir municipal n'ait pour but d'intervenir ainsi indirectement dans les affaires et les institutions qui sont à charge des communes.

Vous le savez, messieurs, la Constitution a consacré le principe, article 31, que les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux.

Or, en allouant des subsides, le gouvernement voudra avoir sa part d'action dans nos administrations locales.

Les conséquences, vous les apprécierez facilement.

Une règle d'économie politique, c'est que chaque localité doit nourrir ses pauvres.

Si vous entrez dans la voie de subsidier annuellement les bureaux de bienfaisance, vous n'en sortirez plus. Tous voudront avoir part aux (page 711) subsides, et bientôt vous arriverez à la taxe des pauvres, ce redoutable fléau qui afflige l'un des Etats voisins : une pente irrésistible vous y conduira ; car le nombre des pauvres à secourir augmentera d'autant plus que la bienfaisance locale s'exercera, en partie au moins, avec les deniers de l'Etat. Les administrateurs seront nécessairement plus faciles à l'admission. L'impôt créé à cet égard deviendra considérable. D'autre part, la charité particulière est féconde en Belgique. La plupart des grandes fortunes font spontanément, dans leur budget, la part de la charité chrétienne.

Une fois le principe admis, que l'Etat y pourvoit par des impôts sur la société tout entière, n'est-il point à craindre que les dons provenant de la charité privée ne s'arrêtent ? Ces dons prendront une autre direction.

Croyez-vous d'ailleurs que les subsides réclamés à ce jour viendront en aide aux communes ? Il n'en sera rien. Les exigences, provenant de véritables besoins, augmenteront avec la possibilité de participer aux secours. Rien n'est plus difficile que de ne plus donner, quand on a une fois donné.

Ah ! s'il était question d'une haute pensée, d'un objet grandiose pouvant vraiment faire cesser le paupérisme, et nous permettre de rayer de nos dictionnaires le mot « aumône », de tout cœur je voterais les subsides ; mais les 80,000 fr. que demande ici le ministère, insuffisants pour la réalisation de hautes conceptions, ne lui permettront guère que de se traîner terre à terre dans l'ornière actuelle. Cette somme, avant d'arriver à sa destination, sera tellement écornée par la bureaucratie, qu'une faible portion seulement contournera à l'œuvre de la bienfaisance. Je le répète, vous n'en pouvez douter lorsque le ministère déclare que la seule statistique du paupérisme coûtera en frais de bureau et autres, une dépense assez considérable, dont le montant devra être payé sur la somme demandée.

Vous croirez avoir voté en faveur d'œuvres philanthropiques, et dans le fait, vous aurez voté des dépenses de bureaucratie.

Messieurs, les honorables membres qui appuient le ministère, ont une thèse fort agréable, j'en conviens ; la mienne était ingrate. Mais je supplie mes collègues d'apprécier les conséquences et l'immense portée de leurs votes pour l'avenir du pays.

J'ai dis que je doutais, et je doute encore.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, j'ai à répondre aux deux orateurs que nous venons d'entendre et les dernières paroles prononcées par l'honorable M. Savart me font espérer qu'après avoir entendu les explications que je vais donner la chambre, l'honorable membre n'hésitera pas à revenir sur l'opinion qu'il a émise dans la section centrale et à voler l'allocation demandée.

L'honorable M. Rodenbach a appelé l'attention du gouvernement sur les dépôts de mendicité. Il a rappelé à la chambre que déjà dans plusieurs occasions il l'a entretenue de cet objet, et il a surtout éveillé la sollicitude du gouvernement sur la nécessité de diminuer le prix de la journée d'entretien dans les dépôts de mendicité ; il a dit, avec raison, que c'est là une charge très lourde pour les communes, et il a cité des localités de la Flandre où les pauvres sont entretenus à un prix de beaucoup inférieur à celui de la journée d'entretien dans les dépôts de mendicité ; ce que l'honorable membre a dit à cet égard est fort exact.

Je sais, en effet, que dans plusieurs communes et même dans des hospices de la Flandre, on entretient les pauvres à un prix moindre que dans les dépôts de mendicité et c'est précisément pour faire cesser le mal signalé par l’honorable M. Rodenbach que j'ai fait élaborer un projet de loi qui sera, je pense, de nature à satisfaire aux désirs de l'honorable membre. Ce projet a été soumis aux conseils provinciaux ; il a été l'objet d'observations très importantes ; différents inconvénients auxquels on croyait qu'il pourrait donner lieu, ont été signalés ; j'ai mûrement pesé toutes ces observations, qui ont été renvoyées avec le projet lui-même à l'examen d'une commission instituée, comme la chambre le sait, auprès du département de la justice pour s'occuper des questions qui concernent la bienfaisance publique ; d'après les conversations que j’ai eues avec quelques-uns des membres de la commission, je pense que d'ici à un mois elle aura fini son travail, et alors, je serai à même de présenter à la chambre un projet complet qui fera disparaître les inconvénients grave de l'état de choses actuel.

L'honorable M. Rodenbach pense que le projet de loi qui a été soumis par le gouvernement aux conseils provinciaux est mauvais, en ce sens qu'on voudrait centraliser davantage les dépôts de mendicité ; je suis d'un avis tout à fait opposé ; je considère cette centralisation comme un grand bien ; et pour établir cette thèse, il me suffit de rappeler ce que l'honorable membre disait lui-même sur les inconvénients du système actuel. Je pense que créer des dépôts de mendicité en trop grand nombre, les multiplier au lieu de les centraliser, c'est un système fâcheux ; je pense qu'il ne faut pas trop rapprocher les dépôts de mendicité des grands centres de population ; parce que, sans cela, dans un mouvement de gêne, les individus sont trop disposés à se rendre dans les dépôts, et se trouvent ainsi à charge des communes d'une manière ruineuse pour elles.

L'honorable M. Rodenbach préfère de beaucoup les secours à domicile aux dépôts de mendicité. Ces secours, largement distribués, peuvent sans doute faire du bien, mais il faut bien se garder de généraliser cette mesure ; car ces distributions de secours ont aussi un grand danger. En effet, si vous habituez les individus à recevoir des secours à domicile, ils finiront par compter sur ces secours, par s'imaginer qu'ils y ont un droit acquis ; et alors viendront à naître les inconvénients qui ont été signalés par l'honorable M. Savart, relativement à la taxe des pauvres. Le même danger n'existe pas quant aux dépôts de mendicité, lorsqu'ils sont organisés comme ils doivent l'être, c'est-à-dire de manière à ne pas faire désirer d'y séjourner.

Je réponds par ces courtes observations à ce qu'a dit l'honorable M. Rodenbach, qui ne voudrait de dépôts de mendicité que pour les individus condamnés. Ce serait changer tout à fait le système suivi depuis longtemps, ce serait établir, d'une manière permanente, les secours à domicile, ce serait en un mot bouleverser toute la législation existante.

Je ne dis pas qu'il ne faille rien changer à l'état actuel des choses ; qu'il ne faille pas surtout modifier les conditions de l'admission dans ces établissements, diminuer la facilité des sorties ; mais lorsque nous avons empêché les dépôts de mendicité d'être considérés comme de véritables hôtelleries, nous avons fait beaucoup dans l'intérêt des communes.

Je ne partage pas non plus l'opinion de l'honorable M. Rodenbach, relativement aux monts-de-piété. D'abord je rappellerai que dans l'état actuel de la législation il n'incombe pas au gouvernement de s'assurer si les dispositions qui régissent les monts-de-piété sont bien ou mal exécutées ; ce devoir appartient à l'administration communale, aux termes de l'article 177 de la loi communale.

Ainsi, si les monts-de-piété sont mal organisés, c'est aux administrations communales qu'il faut s'en prendre. Pour faire cesser ces abus, j'ai voulu également, dans le projet de loi qui est élaboré, centraliser davantage l'administration des monts-de-piété.

L'honorable M. Rodenbach condamne les monts-de-piété d'une manière absolue ; il nous a dit qu'en général les monts-de-piété ne servaient qu'à recevoir des objets volés. Je pense, quant à moi, que dans l'état actuel de la société, les monts-de-piété sont d'une utilité incontestable. S'il n'y avait pas de monts-de-piété légaux, si je puis m'exprimer ainsi, il y aurait à l'instant une foule de maisons de prêts sur gages qui consommeraient la ruine des individus qui, forcés par les circonstances, y auraient recours. Mais l'inconvénient que présentent actuellement les monts-de-piété, est le taux élevé qu'on prélève sur les sommes prêtées, et je pense qu'à cet égard le projet de loi donnera encore pleine satisfaction à la bienfaisante sollicitude de l'honorable M. Rodenbach.

Je passe au discours de l'honorable M. Savart et je commence par une réflexion générale. Il serait infiniment plus commode pour le gouvernement de se croiser les bras et de ne rien faire. Si la chambre n'allouait rien pour la bienfaisance publique, si la chambre ne votait pas, je ne dirai pas les 200 000 fr. que je demande cette année, mais les 120,000 fr. qui ont toujours été votés dans le budget de la justice, le rôle du gouvernement deviendrait et simple et commode ; il pourrait suivre alors le système qui a été indiqué par l'honorable M. Pirmez ; il dirait aux individus : « Je n'ai, comme gouvernement, aucune obligation morale à remplir envers les populations malheureuses ; qu'elles se tirent d'affaire comme elles peuvent ; si elles n'ont pas de travail et si elles sont en danger de mourir de faim, j'en suis fâché ; mais je ne puis l'empêcher. » Ainsi le gouvernement n'aurait à s'inquiéter de rien, il n'aurait pas à se préoccuper le moins du monde des besoins des populations souffrantes, il n'aurait pas à exercer sur les établissement de bienfaisance une influence salutaire ; il se bornerait à dire : « C'est une affaire provinciale, c'est une affaire communale, c'est une affaire qui regarde la charité privée. » Or, je pense que tel ne doit pas être le rôle du gouvernement

Le gouvernement ou plutôt la société, composée d'une collection d'individus, a des devoirs à remplir tout comme les particuliers. L'action, louable chez l'individu, ne cesse pas de l'être, parce qu'elle est faite par la collection des individus qui composent la société. Ainsi, si l'individu fait bien, en venant en aide à son semblable, en formant des associations pour aider les malheureux, pour protéger les individus qui sortent des prisons, je ne concevrais pas comment ce fait louable deviendrait condamnable, alors que le gouvernement s'y associerait ; il faudrait prouver que l'intérêt général s'y oppose, et c'est ce qu'on n'a pas fait.

Du reste, l'honorable M. Savart, qu'il me permette de le lui dire, est parti d'une base tout à fait fausse. D'après l'honorable membre, il semblerait que le gouvernement va, en quelque sorte usurper la place de la commune, de la province et des particuliers ; qu'avec la modique somme de 80,000 fr., il aurait la prétention de nourrir tous les pauvres de la Belgique, de fonder des hospices pour recevoir les malheureux ; mais il n'en est rien. Il ne s'agit pas pour le gouvernement de se substituer à l'administration communale et provinciale et à la charité particulière ; il s'agit simplement pour le gouvernement de venir en aide aux institutions existantes, de faire en sorte que ces institutions soient à la hauteur de leur mission et soient à même île la remplir.

Il me semble que le moment n'est pas bien choisi pour contester l'augmentation de 80,000 fr. que le gouvernement réclame, pour venir en aide aux indigents. En effet, les légers subsides à accorder, dans certains cas, aux institutions de bienfaisance ont pour but de faciliter l'action de la charité ; ainsi, me refuser l'augmentation que je réclame, ce serait véritablement priver les malheureux, pendant toute cette année, d'un secours de 80,000 fr.

L'honorable M. Savart prétend donc bien à tort que les communes et les provinces vont se décharger sur le gouvernement des obligations qui leur sont imposées ; il n'en est rien, ces obligations ne seront pas déplacées, seulement le gouvernement aidera à les remplir.

Dans l'état actuel de la législation, nous ne pouvons pas forcer les communes à faire tel ou tel emploi de leurs fonds Nous ne pouvons pas dire, par exemple, à une commune : « Il est indispensable que vous établissiez une salle d'asile. » La commune est libre de le faire ou de ne pas le faire. Mais si la commune nous objecte : « J'ai une telle somme disponible, je veux l'employer pour une salle d'asile dont l'utilité est démontrée par le nombre d'enfants pauvres qui existent dans la commune ; mais pour l'établir convenablement, il me faut un subside de 1,000, de 2,000 et peut-être même seulement de 1,500 fr. » Est-il bon, est-il utile que le gouvernement doive le refuser ? Eh bien, si la chambre n'accorde pas la modique augmentation que je demande, le gouvernement se trouvera dans l'impossibilité de (page 712) faire doter cette commune d'un établissement reconnu utile par tout le monde.

Lorsque le gouvernement accorde des subsides, il ne les accorde jamais qu'à certaines conditions. Il en alloue par exemple un pour la création d'un établissement d'aliénés, il exige que le plan lui suit d'abord soumis, il exige que l'établissement réunisse telle ou telle condition de localité, de salubrité, de régime hygiénique, etc. etc. Le gouvernement s'assure donc par ce subside, une part d'action qu'il n'aurait pas, s'il refusait son concours à l'établissement. D'après l'opinion de l'honorable M. Savart lui-même, l'intervention du gouvernement dans les établissements est indispensable. L'honorable membre a dit en effet que les établissements d'aliénés ne devaient pas être abandonnés à la sollicitude isolée de la commune, que le gouvernement devait y exercer une pari d'influence. Comment donc l'honorable membre conteste-t-il l'augmentation que le gouvernement demande, pour être mis à même d'obtenir, dans la direction des établissements de ce genre, cette part d'influence reconnue nécessaire ?

Mais outre la part d'action du gouvernement dans l'organisation et la direction des institutions qu'il subsidie, le gouvernement se réserve le droit d'y faire entrer un certain nombre d'individus à désigner par lui et qui, par les services qu'ils ont rendus à l'Etat, ont droit à la sollicitude du gouvernement.

Je puis citer les établissements de Ste-Gertrude et des Ursulines, la société Philanthropique à Bruxelles, un hospice d’incurables à Matines, etc. Le gouvernement, en retour du subside qu'il leur accorde, dispose dans ces établissements de quelques places qu'il donne à d'anciens serviteurs de l'Etat qui, devenus infirmes, n'ont pas de droit à la pension ou n'ont qu'une pension extrêmement modique. A l'aide de ce système, introduit sans grands frais, le gouvernement peut remplir une véritable obligation morale, celle de procurer à des gens qui ont bien mérité du pays, les moyens de passer leurs vieux jours d'une manière tranquille et heureuse.

Voilà l'action du gouvernement dans ces établissements de bienfaisance ; voilà l'action, je dirai salutaire, qu'exerce le gouvernement pour étendre et propager ces institutions que, contrairement à l'opinion de l'honorable M. Pirmez, je considère comme éminemment utiles, comme éminemment morales.

Je passe maintenant, messieurs, aux articles du budget.

L'article premier du chapitre IX est relatif aux frais d'entretien et de transport des mendiants et insensés dont le domicile de secours est inconnu. Je demande pour cet objet une somme de 20,000 fr. Je passe l'article 2, dont je m'occuperai tout à l'heure. L'article 3 est relatif aux subsides pour les enfants trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des communes et des provinces ; la somme demandée est de 175,000 fr.

Ces deux articles n'ont pas besoin de justification ; les frais d'entretien et de transport des mendiants et insensés dont le domicile de secours est inconnu sont mis par la loi à la charge de l'Etat. Le gouvernement ne peut pas demander une somme moindre. Les faits sont là, il faut bien les subir.

Si le nombre des mendiants et des insensés dont le domicile de secours est inconnu devient tel que les sommes précédemment allouées soient insuffisantes, force est bien au gouvernement de demander une somme supérieure. Là il ne s'agit pas de créer, de faire quelque chose de nouveau, mais de supporter une dépense obligatoire. Le fait existe ; il est évident ; il peut être justifié par les documents qui sont à la cour des comptes ; dès lors, on ne peut pas se refuser à payer la dépense. De cet état de choses il résulte une augmentation sur le budget de 1842.

J'en dirai autant des subsides pour les. enfants trouvés ou abandonnés ; c'est aussi une charge que la loi impose à l'Etat, il suffit de savoir quel est le nombre des enfants trouvés et abandonnés, il suffit de savoir si on conserve au crédit son affectation spéciale ; ces deux justifications seraient faciles à fournir, si la chambre les exigeait.

Je reviens à l'article 2, intitulé : Subsides : 1° favoriser l'érection et l'amélioration des hospices d'aliénés, etc.

Je constate d'abord une chose, je pense du moins que je puis la constater, l'honorable M. Savart ne repousse pas le chiffre de 120,000 fr. alloué l'année dernière. Il ne demande pas d'autre justification que celle indiquée dans les tableaux où l'emploi de cette somme se trouve renseigné. Si la chambre veut examiner ces tableaux, elle s'assurera que l'allocation a été employée de la manière la plus utile.

Il me suffit donc de justifier la demande de 80 mille francs en plus que jJe fais cette année.

Je crois pouvoir répondre en peu de mots aux observations par lesquelles M. Savart a combattu cette augmentation que lui-même, du reste, n'a pas considérée comme étant très considérable.

Les développements du budget disent, en premier lieu, qu'il s'agit de réorganiser les bureaux de bienfaisance. L'honorable membre demande si une des bases de cette réorganisation serait d'attribuer des appointements aux administrateurs qui jusqu'ici ont gratuitement donné leurs soins aux institutions de bienfaisance.

Il suffit d'une simple observation pour répondre à cette supposition. Il y a des bureaux de bienfaisance dans toutes les communes du pays ; comment pourrait-on songer à l'aide de la modique somme que je demande, à allouer des appointements à ces milliers d'administrateurs ? Jusqu'ici les bureaux de bienfaisance n'ont pas rendu tous les services qu'ils sont appelés à rendre.

Je citerai notamment l'absence d'un service médical convenablement organisé ; ce service n'est organisé presque nulle part dans les communes rurales.

Il me paraît indispensable qu'un médecin soit mis à la disposition de ces établissements et puisse fournir aux pauvres les médicaments que leur état réclame. Il faut donc fournir les moyens d'organiser un semblable service. Il ne s'agit sans doute pas pour le gouvernement de prendre d'une manière permanente ce service à sa charge, mais uniquement de permettre au gouvernement de pousser au moyen d'une somme une fois donnée à l'organisation de ce service à laquelle on n'est pas encore parvenu malgré le zèle des administrateurs des bureaux de bienfaisance.

Je passe à l'administration même de ces bureaux, qui, dans plusieurs localités, laisse à désirer.

Pour amener cette régularité si désirable dans l'administration, il y a des dispositions à proscrire, la tenue de registres à conseiller, etc., etc. L'absence de registres régulièrement tenus est cause de la difficulté qu'éprouvent les bureaux de bienfaisance à donner les renseignements que je leur ai demandés.

Je désire, dans l'intérêt des pauvres eux-mêmes, de faciliter aux bureaux de bienfaisance les moyens d'organiser leur administration d'une manière complète : ce serait un subside utilement employé que celui à l'aide duquel le gouvernement atteindrait ce but.

Les renseignements que j'ai demandés sont d'une véritable utilité ; les bureaux de bienfaisance auront quelques frais à faire pour les recueillir et les mettre en ordre ; il ne faut pas que ce travail soit onéreux pour une institution charitable, il faut aussi qu'il soit fait d'une manière exacte, de façon que la statistique ne soit pas un mensonge, comme l'a dit M. Savart, mais une vérité utile et pratique.

Messieurs, dans certaines localités les bureaux de bienfaisance suffisent aux besoins, dans d'autres ils sont insuffisants. Dans plusieurs localités, on ne s'est pas borné maintenant aux bureaux de bienfaisance, on a organisé des comités de charité. Ces comités, qui ont rendu et rendent encore de grands services, peuvent aussi dans certaines circonstances avoir besoin d'un subside, soit pour se procurer un local, soit pour acquérir quelques meubles ; ira-t-on paralyser le zèle des personnes charitables en leur refusant un subside pour se procurer ces objets ? Attendra-t-on le subside de la commune ? Mais souvent alors on se privera des services que ces comités pourront rendre.

J'arrive à l'organisation des crèches. L'honorable M. Savart conteste l'utilité de cette création nouvelle, cependant elle n'a été jusqu'à présent méconnue par personne. Il en existe déjà, grâce à un zèle bien louable, dans une localité du pays ; cette institution est destinée à rendre de véritables services ; quel immense avantage pour l'ouvrière de pouvoir déposer, pendant toule une journée, avec pleine sécurité, son enfant dans un endroit convenable où il sera soigné presque pour rien !

Aujourd'hui, l'ouvrière est forcée de confier ses jeunes enfante à une voisine ou à un autre enfant qui ne lui donne pas toujours les soins désirables.

Combien d'accidents n'avons-nous pas eu à déplorer de cette dure nécessité où se trouvent maintenant les mères de famille ! Au point de vue de l'humanité, au point de vue de l'intérêt des ouvrières, il est donc urgent de donner au gouvernement les moyens de faciliter l'érection de semblables institutions. Grâce à ces établissements, ces mères de famille pauvres pourro.il conserver la totalité du salaire de leur journée, au lieu d'être obligées d'en donner une partie, comme maintenant, à la personne qui garde leurs enfants, ou de livrer ces pauvres créatures à d'autres enfants qui ne peuvent pas leur donner les soins que leur jeune âge exige.

Ce n'est pas le gouvernement qui imposera à cette localité l'institution d'une crèche ; elle sera établie soit par la commune, soit par une société philanthropique, soit par de simples particuliers qui, s'associant pour cette bonne œuvre, mettront en commun les ressources dont ils pourront disposer. Mais si, dans certaines localités, l'intervention du gouvernement est-nécessaire, la législature lui refusera-t-elle la possibilité d'intervenir ? l'empêchera-t-elle d'aider à une œuvre utile ?

Messieurs, les crèches sont le premier degré des institutions destinées aux malheureux. On y reçoit les enfants (cela existe déjà depuis quelque temps en France) de 1 à 3 ans. Voilà donc l'enfant protégé et soigné dans l'âge le plus tendre. Viennent ensuite les salles d'asile et les écoles gardiennes. Ces salles d'asile et ces écoles gardiennes continuent à rendre aux enfants, jusqu'à l'âge de sept ans, les services que les crèches leur rendent jusqu'à l'âge de trois ans. Je ne conçois pas, je l'avoue, comment, en présence des résultats heureux que ces écoles et ces salles d'asile ont déjà produits dans plusieurs localités où elles ont été fondées avec l'aide du gouvernement, on puisse hésiter un instant à mettre le gouvernement, à même d'étendre le bienfait de cette institution.

Les salles d'asile, les écoles gardiennes existent déjà, comme je le disais, dans certaines localités. Malheureusement elles ne sont pas assez nombreuses. Je considère comme un devoir de m'y forcer de les multiplier, et je considérerai comme un véritable bonheur de pouvoir y parvenir.

Remarquez bien, messieurs (j'insiste sur cette observation, parce qu’elle sape par sa base toute l'argumentation de l’honorable M. Savart), qu'il s'agit, pour le gouvernement, non pas de créer des salles d'asile et des écoles gardiennes, mais de venir en aide à des salles d'asile et à des écoles gardiennes existantes ou à créer par la commune ou la charité privée.

Ainsi, l'on ne doit pas se préoccuper de la crainte de l'honorable membre de voir créer des fonctionnaires nouveaux et nécessiter des frais d'administration, qui absorberont tous les fonds volés. Les frais d'administration seront à peu près nuls, et les salaires des personnes employées seront très peu élevés.

(page 713) Je vais dire un mot maintenant des écoles d'apprentissage et des écoles de métiers.

Ici je suis heureux de me trouver d'accord avec l'honorable M. Savart. Rien n'est plus utile, n'est plus convenable dans l’intérêt général, a dit cet honorable membre, que d'apprendre des métiers aux enfants. Mais que le gouvernement veuille établir lui-même des écoles d'apprentissage, il a tort, ce n'est pas sa mission. Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable membre. Je répéterai ici l'observation que j'ai déjà faite plusieurs fois.

Ce sont les communes, les associations qui fondent ces établissements, qui sont seulement subsidiés, encouragés par le gouvernement ; il leur donne une bonne direction ; et à l'aide des renseignements qu'il recueille, des documents qu'il possède ; il peut mettre ces établissements à même d'être plus utiles que s'ils étaient abandonnés à eux-mêmes ou à la commune.

Le gouvernement indiquera les bonnes méthodes, fera connaître les progrès des arts mécaniques et rendra ainsi service, non seulement à l'ouvrier, mais à la société elle-même, intéressée à la prospérité de l'industrie.

Il existe en Belgique un établissement spécial pour les enfants malades et rachitiques. L'honorable membre a critiqué cet établissement ; je voudrais qu'il voulût aller le visiter ; il s'assurerait alors des services immenses qu'il rend. Cet établissement, parfaitement organisé et administré, reçoit non seulement les enfants de la commune où il est situé, mais encore des enfants de la capitale qui lui donne même, je pense, un subside.

Dans cet établissement, non seulement on traite les enfants malades et rachitiques, mais on donne des consultations gratuites pour les pauvres. Le nombre des pauvres d'Ixelles qui vont y recevoir des soins médicaux et des médicaments est très considérable. Je puis le dire, sans craindre d'être démenti par personne, cet établissement est l'un de ceux qui font le plus d'honneur à la Belgique, si riche pourtant en établissements de bienfaisance.

On dit qu'il serait plus simple de mettre les enfants dans les hôpitaux ordinaires ; mais des hôpitaux existent-ils partout ? et s'il en existe dans les villes en est-il de même dans les communes rurales ? Or, c'est dans une commune rurale, à Ixelles, que l'établissement dont je parle est situé. Mais il y a plus : pour des enfants malades et rachitiques de quelle utilité, de quel avantage serait le régime des salles d'hôpital ?

Ce qu'il faut à ces enfants, c'est le grand air et un régime spécial. C'est ce qu'ils trouvent dans cet hospice d'Ixelles. Cet établissement peut servir de modèle pour d'autres hospices à ériger dans les autres provinces.

J'ai écrit dans ce sens aux autorités locales et aux gouverneurs des provinces. Tous ont été d'accord que cette institution était fort utile ; mais ils ont répondu que faute d'une première mise de fonds ils ne pouvaient rien établir. Vous voyez donc, messieurs, qu'il résulterait du système de l'honorable M. Savart que le gouvernement ne pouvant rien faire, ne pouvant donner aucune aide, aucune impulsion, nous resterions éternellement dans le statu quo. C'est un rôle qui ne convient pas au gouvernement. C'est une inaction dont je décline la responsabilité.

Quant aux établissements d'aliénés, l'opinion de l'honorable M. Savart est conforme à la mienne. Je dois le déclarer à la chambre : si nous n'avons pas la faculté de donner des subsides aux établissements d'aliénés, nous resterons dans l'ornière où nous sommes maintenant. Un projet de loi sur les hospices d'aliénés est prêt ; il sera présenté très incessamment ; il donnera au gouvernement la possibilité d'accorder des subsides aux établissements d'aliénés à certaines conditions, mais dès que nous voulons imposer certaines conditions aux communes ou aux établissements, il est indispensable que nous donnions des fonds, de manière à faire accepter ces conditions.

Je ne veux pas développer les bases du projet sur les aliénés. Mais d'après les discussions des années précédentes qui ont puissamment éclairé le gouvernement, je crois pouvoir espérer que le projet de loi rencontrera de la sympathie sur tous les bancs de cette chambre.

Je passe aux dépôts de mendicité, dont j'ai dit tout à l'heure un mot en réponse à l'honorable M. Rodenbach. Je persiste à dire qu'il faut établir des dépôts de mendicité agricoles. Je crois que c'est une condition indispensable de la bonne organisation et de l'utilité de ces établissements. Je crois que ces établissements agricoles, outre qu'ils seraient avantageux au point de vue moral, le seraient au point de vue physique et au point de vue pécuniaire pour les communes chargées de l'entretien des mendiants.

Je n'en dirai pas davantage sur les dépôts de mendicité, parce que dans cette session (sans que je puisse cependant l'affirmer), il sera, j'espère, présenté un projet qui donnera lieu alors à une discussion approfondie. J'ai voulu seulement indiquer sommairement une des bases du projet de loi.

Je demande à la chambre la permission de lui faire connaître un fait bien intéressant et bien consolant pour une certaine classe de malheureux.

Nous avons le bonheur d'avoir en Belgique un oculiste des plus distingués, M. le professeur Van Roosbroeck. J'ai prié cet homme, aussi savant que charitable, de parcourir les hôpitaux et les communes du pays et de visiter tous les indigents aveugles. Il s'est acquitté de cette mission avec le zèle philanthropique qui le distingue ; il a consulté qu'il y a 2,032 aveugles. Sur ces 2,032 aveugles il a déclaré que 669 étaient curables. Ces individus se sont confiés aux soins de M. Van Roosbroeck, et de ces individus en traitement, 80 qui croyaient avoir perdu la vue pour toujours l'ont recouvrée.

Les soins de ce docteur se continuent, il les donne gratuitement ; mais le remboursement de ses dépenses et déboursés qui doit être imputé sur le crédit que je demande prouve l'emploi utile que nous comptons en faire et obtiendra sans doute l'approbation de toute la chambre.

La statistique que j'ai demandée aux établissements de bienfaisance et aux députations permanentes a été l'objet de plaisanteries de la part de l'honorable M. Savart. J'ai demandé très sérieusement ce travail qui sera, je crois, très utile ; il fera connaître au gouvernement l'état réel des biens des pauvres, et le mettra à même de savoir si ces biens sont convenablement administrés.

Je crois pouvoir donner l'assurance à la chambre que ce travail aura des résultats très avantageux pour les pauvres et amènera probablement des diminutions dans les charges des communes.

Messieurs, nous avons demandé, non seulement l'indication des biens des pauvres, mais encore la statistique du paupérisme lui-même. En effet, comment prétendre faire disparaître ou du moins diminuer cette plaie sociale, sans remonter aux causes du paupérisme, sans savoir à quelle circonstance spéciale il faut attribuer la misère ? N'est-il pas utile de connaître le nombre des étrangers indigents qui arrivent, le nombre des indigents indigènes qui émigrent, de savoir ce qu'ils deviennent, si leur émigration est avantageuse ou nuisible ?

Je crois que cette statistique ne méritait pas les sarcasmes dont elle a été l'objet de la part de l'honorable M. Savart.

Je terminerai en m'occupant de la question du patronage des condamnés libérés. On dit : Mais, en 1814, vous avez pour la première fois demandé 30,000 fr. ; maintenant vous en demandez 20,000 de plus. L'année prochaine, la somme augmentera encore, et ainsi de suite d'année en année. Ce sera un gouffre sans fond.

Je ne puis donner l'assurance à la chambre que l'an prochain il n'y aura pas d'augmentation sur ce chiffre. Je dis plus, que j'espère qu'il y en aura une ; en voici le motif ; je ne parle pas des 80,000 fr. ; ceci est un poste à part. Mais on reconnaît avec moi qu’il est désirable, je dirai même, urgent, d'organiser un patronage sur une large échelle. De quoi se plaint-on en effet ? Des récidives. Quelle en est la cause ? L'abandon où se trouvent les condamnés libérés. Si par le patronage vous empêchez les récidives, si par le patronage les condamnés libérés rentrés dans la société soit maintenue dans la ligne du devoir, ce patronage rendra un service signalé non seulement à la morale, mais surtout à la société.

Ces 50,000 francs seront une véritable économie ; car si l'individu après être sorti de prison, y rentre, c'est ordinairement pour un terme plus long que la première fois, et il devient ainsi une charge bien plus lourde pour l'Etat. Ainsi le patronage bien organisé constituera à la longue pour l'Etat une véritable économie.

Messieurs, je n'entamerai pas la discussion à laquelle m'a en quelque sorte convié l'honorable M. Savart, en ce qui concerne les filles repenties. Je considère pourtant ces institutions comme fort utiles ; je crois avec le conseil provincial de Liège qu'elles rendent de véritables services. Je dis avec le conseil provincial de Liège ; car ce conseil vote tous les ans mille francs pour l'institution du sieur Habets, et c'est à la demande de l'autorité provinciale de Liège qu'un subside double a été alloué par le gouvernement. Les résultats obtenus de l'institution du sieur Habets, de même que de toutes les autres institutions semblables, sont de nature à prouver l'utilité de ces établissements.

Mais ici, messieurs, je dois faire une observation. Le gouvernement n'accorde pas de subsides pour les institutions qui ne reçoivent que des filles repenties ; il en accorde seulement aux institutions où l'on recueille aussi des condamnés libérés. Je ne dois donc pas à la rigueur m'occuper de la question des filles repenties pour défendre le chiffre de 50,000 fr. que je demande. A Gand, Mons et Anvers il y a des institutions de filles repenties, et elles ne reçoivent aucun subside. Mais quand il s'agit de condamnés libérés, le gouvernement s'en préoccupe dans l'intérêt de la société. Si dans le même établissement où l'on reçoit les condamnés libérés, il y a un quartier spécial pour les filles repenties, nous n'y voyons aucun mal ; nous y voyons au contraire un grand bien. Mais je tiens à dire, pour qu'on ne se méprenne pas sur le but de la demande du gouvernement, qu'il ne demande pas des fonds en vue de subsidier des établissements de filles repenties, mais pour organiser le patronage sur une plus grande échelle ; et il faut reconnaître, messieurs, que si nous atteignons ce but, nous aurons rendu un grand service à la société.

Depuis le budget de l’année dernière, nous avons vu le patronage s'organiser à Tournay et s'organiser, je dois le dire, d'une manière très convenable. Il est organisé, grâce à la société de St-Vincent-de-Paule, à Bruxelles ; il va l'être à Anvers ; il l'est à Namur, à Liège ; et j'espère qu'il finira par l'être dans toutes les localités.

Messieurs, il est évident que le gouvernement, pour atteindre son but, doit avoir recours à ces institutions particulières. Le gouvernement lui-même ne peut pas patronner les condamnés libérés, pour tâcher de les maintenir dans la bonne voie, de leur procurer du travail, et de les rendre utiles à la société. Mais en recourant à ces institutions le gouvernement ne peut pas en exiger qu'elles y consacrent tous leurs fonds ; il doit leur venir en aide par des subsides et leur faire ainsi accepter sa direction.

Le gouvernement est tellement convaincu de l'utilité de ce patronage, qu'il n'hésitera jamais à accorder des subsides pour le développer. Toutefois la nécessité de ces subsides pourra cesser quand le patronage sera entièrement organisé ; mais avant cette époque il sera peut-être encore utile d'augmenter les subsides ; plus tard, je le répète, on pourra s'en passer lorsque les avantages du patronage seront sentis partout et que les secours particuliers viendront en telle abondance qu'ils seront suffisants sans intervention du gouvernement.

(page 714) Mais il faut, avant tout, organiser le patronage ; il faut donner l'élan et ne pas abandonner à une direction particulière ce qui, dans le commencement au moins, doit recevoir l'impulsion du gouvernement. Si des établissements s'organisaient dans certaines villes, sans l'intervention du gouvernement, je crois qu'ils ne rendraient pas autant de services que l'institution en quelque sorte uniforme que nous voulons protéger.

Je crois, messieurs, à l'aide de ces considérations, avoir suffisamment justifié le subside pétitionné, et j'espère que la chambre n'hésitera pas, surtout dans les circonstances où nous nous trouvons, à voter la somme demandée. Je le répète, il ne s'agit pas de substituer l'Etat à la commune ; il ne s'agit pas de tarir dans sa source la charité privée ; mais il s'agit au contraire de l'encourager, de l'alimenter, de la diriger.

M. Pirmez. - Messieurs, je me vois forcé, par les intentions que m'a prêtées M. le ministre de la justice, de présenter quelques observations dans cette discussion à laquelle je ne croyais pas prendre part.

Je ne vois pas, messieurs, où M. le ministre de la justice a trouvé dans le discours que j'ai prononcé dernièrement où dans mes discours antérieurs, la preuve que je voudrais que le gouvernement laissât les populations dans l'état où elles se trouvent, qu'elles meurent où qu'elles vivent, que cela était indifférent, que le gouvernement ne devait nullement s'en occuper. Mes discours, messieurs, et même les actes que j'ai posés dans cette enceinte sont entièrement contraires à l'opinion que m'a prêtée M. le ministre de la justice. Ainsi je crois avoir voté les 2 millions mis à la disposition du gouvernement pour venir au secours des classes nécessiteuses, je crois non seulement avoir voté, mais aussi avoir appuyé par mes paroles la demande de subside pour la distribution de métiers perfectionnés dans les Flandres.

Messieurs, contrairement aux intentions que l'on m'a prêtées, je professe que lorsqu'il se révèle dans le pays une calamité subite, lorsque certaines parties de la société se trouvent inopinément surprises par de grands besoins, c'est à la société tout entière à venir à leur secours.

Mais autant je suis partisan d'un pareil mode d'assistance, autant je suis contraire au système que vient de défendre M. le ministre de la justice et qui tendrait à établir des institutions permanentes qui, si elles se développaient, feraient de la Belgique un vrai pays de paupérisme. Lorsqu'on a parlé des institutions de filles repenties, j'ai lâché de vous démontrer que ces établissements n'avaient aucune influence sur la prostitution, mais qu'ils tendaient à faire tomber dans le vice des femmes jusqu'alors vertueuses.

Le système de l'honorable ministre de la justice tend à multiplier considérablement les établissements où les individus dégradés trouveraient un asile. Je ferai sur ce point une observation et je prendrai pour exemple les dépôts de mendicité. Il est évident qui si vous aviez les fonds nécessaires, vous pourriez couvrir toute la Belgique de dépôts de mendicité. Car ces établissements sont toujours remplis en proportion des ressources et subsistances que vous pouvez leur donner. Tant que vous leur donnerez des ressources, soyez persuadés que vos dépôts de mendicité seront combles.

Messieurs, je vous ai parlé de la concurrence que venait faire le travail des filles repenties au travail des femmes honnêtes ; je vous ai dit que vous poussiez ces dernières au vice par suite de la misère où les jetait cette concurrence. Il en sera de même si vous établissez un grand nombre de maisons de refuge où le gouvernement donnera du travail aux individus dégradés. Il est certain que dans ce cas vous jetterez dans la misère beaucoup d'ouvriers honnêtes qui n'avaient pas mérité un pareil sort.

Il y a, messieurs, des nécessités de la société qu'il faut bien admettre. Ainsi nos lois punissent les délits de l'emprisonnement. Il y a donc des prisons et sans doute il vaut mieux donner du travail aux prisonniers que de les laisser oisifs. Mais nous ne devons pas chercher à augmenter le mal qui peut résulter de cette nécessité, et tel serait l'effet de la multiplication trop grande des établissements de charité.

M. le ministre de la justice part toujours du même point ; il veut donner du travail. Mais je l'ai déjà dit, il n'y a pas rémunération pour tout le travail qui se présente. C'est une chose triste, que je déplore, mais qui existe, qui est palpable. Cette vérité doit vous saisir et vous environner de toutes parts.

De ce que je dis que cela est ainsi, ne concluez pas que je dise qu'il est bien que cela soit ainsi, que je m'en applaudisse et encore moins que j'en sois la cause.

Ainsi, messieurs, mon système n'est pas celui que me prête M. le ministre de la justice. Je ne veux pas qu'on laisse les populations à l'abandon, je veux que le gouvernement s'en occupe, mais je dis les cas spéciaux où je veux qu'il s'en occupe.

M. le ministre est à la recherche des causes du paupérisme, comme si ces causes étaient ignorées. Mais le paupérisme est de tous les temps et de tous les pays, et les causes du paupérisme sont principalement qu'il n'y a pas de proportion entre la puissance de créer les hommes et la puissance de les élever et de les nourrir.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Conséquemment il n'y a rien à faire.

M. Pirmez. - Ce n'est pas du tout la conséquence que je tire. Je crois que vous devez reconnaître avec moi cette vérité ; mais ne me prêtez pas des conséquences que je n'en tire pas. Cette vérité est triste, mais elle est ; si vous contestez qu'elle soit, entrons en discussion sur ce point. Vous pouvez me prêter les conséquences les plus absurdes et les plus odieuses parce que je proclame cette vérité ; mais vous qui êtes ministre de la justice, et qui par cela même devriez connaître ces questions, je demande que vous disiez si vous la contestez ; j'ai tort, je ne demande pas mieux que d'avoir la preuve que j'ai tort. Car cette vérité est très triste, mais elle est.

M. Savart-Martel, rapporteur. - M. le ministre de la justice vous a d'abord rappelé, messieurs, la situation malheureuse où le pays se trouve en ce moment et il a dit que les observations que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre sont très inopportunes. Je crois, messieurs, que l'on abuse de cette position, et vous l'avez vu récemment, puisque, sous prétexte de donner de l'ouvrage aux populations, on a voulu nous faire décréter des travaux de fortifications qui ne pourraient être exécutés que dans le courant de l'été prochain. M. le ministre de la justice s'appuie également sur la situation actuelle pour nous engager à voter l'augmentation de 80,000 fr. qu'il demande. Mais, messieurs, tous les ministres vont en faire autant, et je suis persuadé que M. le ministre des travaux publics, par exemple, ne manquera pas d'insister sur la même considération pour obtenir des augmentations de crédit.

Je concevrais ce raisonnement si l'on nous proposait quelque mesure extraordinaire, quelque mesure temporaire, mais il s'agit de sanctionner des principes dont les conséquences seront permanentes, et qui auront probablement pour résultat de nous entraîner à des dépenses plus fortes d'année en année.

M. le ministre nous dit que le gouvernement a des devoirs à remplir envers les classes malheureuses de la société. Je vous dirai, messieurs, ma pensée tout entière à cet égard : je crains qu'il n'y ait là, de la part du gouvernement, une tendance à intervenir dans les attributions des administrations municipales...

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Ce sont elles qui le demandent.

M. Savart-Martel. - Il est bien certain qu'elles le demanderont, du moment où vous avez des subsides à leur accorder. Si vous ouvrez votre bourse, tout le monde tâchera d'y puiser. Mais ce que je crains, moi, c’est qu'au moyen de ces subsides, le gouvernement n'absorbe cë qui doit être laissé aux communes.

Que le gouvernement surveille les administrations locales, rien de mieux ; c'est son devoir et c'est dans l'intérêt général ; mais que, sous le prétexte qu'il accorde des subsides, il tire à lui toutes les affaires des communes, c'est une chose contraire aux principes de la Constitution et en ce qui concerne l'objet dont nous nous occupons, c'est contraire au principe de l'économie politique qui veut que chaque commune entretienne ses pauvres.

S'il était possible d'extirper la misère, alors j'accorderais volontiers au gouvernement non pas seulement les 80,000 fr. qu'il demande, mais des sommes bien plus considérables. Pour atteindre un aussi beau résultat, je voterais avec plaisir de larges subsides, mais c'est là une chose que nous ne parviendrons jamais à réaliser. Il est écrit : Habetis semper pauperes vobis cum ; faites ce que vous voulez, vous aurez toujours des pauvres parmi vous ; tout ce que vous obtiendrez ce sera de soulager les plus grandes misères.

Eh bien, c'est là ce que doivent faire les communes ; c’est à chaque localité d'entretenir ses pauvres, et le gouvernement, comme l'a fort bien dit l'honorable M. Pirmez, ne doit intervenir que dans les circonstances extraordinaires. Une intervention permanente de l'Etat dans des affaires de cette nature l'exposerait à ce danger de prendre aux uns pour donner aux autres, surtout dans un pays comme le nôtre où toutes les ressources du gouvernement consistent dans le produit des impôts.

M. le ministre nous a dit, messieurs, qu'au moyen des subsides qu'il demande, il pourrait, lorsque l'occasion s'en présenterait, placer dans des hospices certaines personnes qui ont rendu des services à l'Etat et qui se trouvent dans la misère ; mais ces personnes doivent être secourues par les communes où elles ont leur domicile ; c'est pour cela que vous avez fait une loi sur le domicile de secours. D'ailleurs si le gouvernement croit devoir faire admettre telle ou telle personne dans un hospice, sa recommandation sera toujours une protection très puissante.

Messieurs, nous n'avons pas contesté l'article premier, qui concerne les frais d'entretien parce qu'il est impossible de prévoir exactement quel sera le chiffre de ces frais et que dès lors nous devons bien accorder pour cet objet ce qui a été accordé les années précédentes. Il en est de même de l'article 3. Mais en ce qui concerne l'article 2, il me semble que rien n'a été répondu aux observations que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre, qu'on n'y a rien répondu qui soit de nature à nous faire consacrer les principes posés par le gouvernement.

On nous dit qu'il faut bien des fonds pour organiser les bureaux de bienfaisance et le service médical, par exemple. Mais, messieurs, c'est là l'affaire des communes. Comment voulez-vous faire payer des contributions à telle commune pour organiser le service médical dans une commune voisine ? On dit qu'il faudra également des fonds pour permettre aux administrations de bienfaisance d'avoir un registre.

Il faut convenir que cet objet est bien minime et que les localités pourront aisément y pourvoir. Je le répète, que chaque commune ait son bureau de bienfaisance pour secourir ses pauvres, c'est là le principe généralement admis, et il ne faut s'en écarter que dans certains cas exceptionnels. Sans cela, messieurs, vous pourriez arriver à ce résultat, qu'au lieu de 10,000 pauvres vous en auriez 20,000. C'est ce qui arriverait, si nous adoptions les principes du gouvernement en cette matière.

On dit qu'il faut également des locaux pour les comités de charité. Mais, messieurs, c'est encore aux communes à fournir ces locaux. D'ailleurs comment fait-on là où il n'existe pas même de maison communale ? L'administration municipale tient ses séances dans un cabaret, par exemple. Je suis persuadé que les membres des comités de charité trouveront toujours un local pour se réunir.

J'accepte, messieurs, la promesse qu'il nous sera présenté une loi sur les dépôts de mendicité, et je désire de tout mon cœur qu'il n'en soit pas de cet objet comme il en a été de la réforme du système hypothécaire.

(page 715) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je n'avais pas promis du présenter un projet de loi sur la réforme du système hypothécaire.

M. Savart-Martel. - M. le ministre a dit que la statistique qu'il a réclamée a été l'objet de plaisanteries. Quant à moi, messieurs, je n'ai fait aucune plaisanterie à cet égard ; j'ai dit qu'en général les statistiques sont menteuses, et j'espère que M. le ministre lui-même ne se reposera pas entièrement sur les statistiques qui lui seront envoyées, alors surtout qu'elles doivent reposer sur des faits de nature à changer chaque jour. Je ne conçois pas d'ailleurs comment ces statistiques peuvent occasionner de très grandes dépenses ; les bureaux de bienfaisance et les administrations communales fourniront gratuitement les renseignements nécessaires, et ces renseignements seront dépouillés et classés par les employés du ministère, qui doivent faire toute la besogne qui se présente, celle-là comme toute autre. Il ne faut pas ainsi augmenter continuellement le chiffre du budget, tantôt sous prétexte de faire dresser des tableaux statistiques, tantôt sous le prétexte de faire faire tel autre travail imprévu.

Quant au patronage des condamnés libérés, je crois que cela ne doit pas être rattaché aux établissements de bienfaisance ; en ce qui concerne les filles repenties, je vous déclare, messieurs, que j'abonde dans le sens des observations présentées par l'honorable M. Pirmez et je dis que sous ce rapport on peut commettre une véritable injustice. Tous les jours, en effet, on entend des personnes du sexe dire : « Voyez une telle, qui s'est conduite de telle manière ; elle est cent fois plus heureuse que nous qui n'avons rien à nous reprocher. » (Interruption.) Cela vient de ce que vous ne faites rien pour les honnêtes gens et de ce que vous faites tout pour les fripons et les mauvais sujets. Vous patronnez des gens condamnés aux fers, vous patronnez des filles repenties ; vous imposez en leur faveur des charges aux contribuables, et vous ne faites rien pour les ouvriers honnêtes, qui participent à ces charges et qui vivent du travail de leurs mains ; vous ne faites rien non plus pour les filles qui n'ont pas besoin de se repentir. Il me semble qu'il manque des institutions pour les personnes du sexe ; il y a dix institutions pour les garçons, là où vous n'en trouvez pas deux pour les filles.

Eh bien ne vaudrait-il pas mieux employer les subsides que l'on accorde aux filles repenties à empêcher les filles honnêtes d’avoir à se repentir ?

On prétend qu’au moyen des statistiques on connaîtra les causes du paupérisme. Mais tout le monde connaît ces causes. S'il est sage et prudent de venir au secours de l'indigence, il faut prendre garde aussi qu'à force de vouloir bien faire, nous arrivions à quelque chose de pis que le paupérisme, je veux parler de la taxe des pauvres.

M. Rodenbach. - Messieurs, dans le discours que j'ai prononcé tout à l'heure, j'ai signalé le vice administratif des dépôts de mendicité et des monts-de-piété. M. le ministre de la justice m'a répondu, en ce qui concerne les dépôts de mendicité, que son projet de loi était prêt ; qu'il avait consulté les conseils provinciaux, et que, par suite, il avait notablement amélioré les dispositions du projet. Si réellement on a eu égard aux observations des conseils provinciaux, je suis porté à croire que la loi qui nous sera soumise sera acceptable.

M. le ministre de la justice a déclaré que son idée était d'établir des dépôts de mendicité agricoles. Je ne puis qu'applaudir à cette idée ; mais je suis étonné que, même en l'absence d'une loi, M. le ministre ne l'ait déjà pas mise en pratique.

A St-Hubert existe, comme vous le savez, messieurs, un pénitentiaire destiné aux jeunes délinquants. Cent hectares de terre sont joints à cet établissement. Pourquoi ne pas faire apprendre à ces jeunes délinquants l'agriculture, puisqu'il y a des terres inoccupées ; au lieu d'exercer ces détenus au métier de tailleur, de cordonnier et d'autres professions de ce genre ? A leur sortie de là, ces individus viendront prendre la places des ouvriers.

Nous pourrions prendre pour exemple notamment l'établissement de Fellemberg, en Suisse. Une école d'agriculture est annexée à cette institution ; les enfants y apprennent tout ce qui a rapport à la théorie et à la pratique de l'agriculture ; on accueille même dans l'établissement des vagabonds qui y acquièrent les mêmes connaissances.

Il est donc extrêmement désirable qu'en Belgique les dépôts de mendicité deviennent des dépôts agricoles. Ce qui prouve la bonté de ce système, c'est l'exemple de ce qui se passe dans les communes des Flandres, et entre autres dans quelques localités de mon arrondissement.

Avec la ressource de quelques pièces de terre, on parvient à y entretenir les pauvres, pour une rétribution de 14 à 15 centimes par jour, que paye le bureau de bienfaisance. Mais les dépôts de mendicité, tels qu'ils sont organisés aujourd'hui, sont une source de ruine pour les communes, surtout dans les Flandres où la misère aujourd'hui est à son comble et désole toutes les localités. Je dis que nos communes sont complétement endettées, par suite des mauvais systèmes de dépôts de mendicité. On admet dans ces établissements des hommes valides. Tous les jours, des individus de cette catégorie se présentent devant les administrations communales et leur tiennent ce langage :

« Si vous ne me donnez pas deux francs par jour, je me rends avec ma femme et mes enfants au dépôt de mendicité, et la dépense que je vous occasionnerai alors sera bien plus considérable. » C'est ainsi que ces hommes font des menaces aux autorités communales. Thielt et d'autres communes sont contraintes, par cette cause, de payer deux ou trois mille francs au dépôt de mendicité. Voilà comment le gouvernement, qui devrait ménager les deniers communaux, ruine toutes les communes avec son système actuel des dépôts de mendicité.

Les deux tiers de la population de ces dépôts se composent d'hommes valides. C'est la paresse qui les y pousse. Si je ne me trompe, la ville de Bruxelles seule paye annuellement 300,000 francs pour cette classe de désœuvrés, pour cette écume de la société qui considère le dépôt de mendicité comme une espèce d'auberge.

M. le ministre de la justice a dit que son projet était d'établir un très petit nombre de dépôts de mendicité. Je l'en félicite. Il doit, autant que possible, éviter une centralisation exagérée. Les communes sauront, en général, entretenir leurs pauvres ; parmi ces localités, il s'en trouve, sans doute, qui n'ont pas assez de ressources pour pourvoir à ce besoin : eh bien, que dans ce cas on vienne à leur secours, en leur accordant un subside sur les fonds de l'Etat ; j'approuverai entièrement cette allocation. On demande aujourd'hui une augmentation de 80,000 fr. pour les établissements de bienfaisance ; je suis disposé à la voter ; je ne me suis jamais opposé aux crédits portés au budget en faveur des institutions destinées au soulagement de l'humanité souffrante ; je n'ai cessé, au contraire, de les appuyer chaudement. J'agirai encore de même dans la circonstance actuelle.

Le chapitre du budget que nous discutons s'applique à plusieurs dépenses différentes. Je crois qu'il faudrait subdiviser ce chapitre. J'ai remarqué notamment qu'il y a une demande faite en faveur des ophtalmiques de l'armée qui n'ont pas droit à la pensionne consentirais volontiers à accorder 5,000 fr. pour secours à cette classe d'infortunés. Au département de la guerre, on ne les pensionne que lorsqu'ils sont frappés de cécité. Mais sans être tout à fait dans cet état, les ophtalmiques peuvent cependant, à raison de cette infirmité, se trouver dans une position telle qu'un secours leur est indispensable. Cette partie de l'allocation est donc absolument nécessaire.

Une autre partie de l'allocation est destinée à faire apprendre des métiers aux enfants pauvres. Cette destination est encore fort utile. La misère se généralise dans notre pays : je ne serais pas étonné d'apprendre que la Belgique renferme 800,000 pauvres ; les Flandres comptent un pauvre sur cinq habitants, tandis qu'en France on compte un pauvre sur dix habitants. C'est donc un devoir pour le gouvernement de chercher à procurer un sort aux enfants de la classe malheureuse.

Messieurs, indépendamment des dépôts de mendicité, j'ai parlé des monts-de-piété. Je me réfère à ce que j'ai dit. J'ai signalé plusieurs cas où des individus, qui avaient volé des marchandises, avaient trouvé moyen, grâce au chemin de fer, d’aller les engager promptement dans un mont-de-piété fort éloigné du lieu où ils avaient dérobé la marchandise. (Interruption). Je sais bien que, dans ces institutions, l'on doit connaître, avant de leur faire un prêt, les individus qui y apportent des marchandises. Mais on n'use presque pas de cette précaution ; d'ailleurs, ces fripons sont presque toujours nantis de bons papiers, et dans tous les cas l'avidité de gagner jusqu'à 15 p. c. fait qu'on accueille facilement ces marchandises.

En vertu de nos lois, l'usurier qui prête à 8, 9, 10 p. c. d'intérêt, est poursuivi en justice, tandis que de par la loi communale, ainsi qu'on le dit, les monts-de-piété prélèvent jusqu'à 16 p. c. C'est une protection que le gouvernement lui-même accorde à l'usure la plus exagérée.

D'ailleurs, des publicistes d'un mérite éminent désapprouvent complétement l'institution des monts-de piété, et pour ma part je pense qu'on ferait très bien de les supprimer.

Dans l'origine, les monts-de-piété étaient de véritables monts de miséricorde ; on y prêtait aux pauvres sur gages, sans intérêt ; c'était gratuit. C'est même pour ce motif qu'on a donné à ces institutions le nom de monts-de-piété. Mais aujourd'hui ces institutions existent, non plus pour pourvoir à un besoin d'humanité, mais uniquement pour gagner de l'argent. Il y a cependant encore à Gand un établissement qui prête sur gages, sans intérêt ; mais les ressources de l'institution sont trop bornées ; elle n'a pas assez d'argent pour satisfaire à toutes les demandes.

Je pense donc que si l'on ne peut pas supprimer tout à fait les monts-de-piété en Belgique, il faut au moins que l'intérêt usuraire qu'on y prélève sur les malheureux emprunteurs soit réduit à l'intérêt légal.

M. de Saegher. - Messieurs, l'honorable ministre de la justice, en répondant tout à l'heure à l'honorable M. Savart, nous a fait connaître qu'il ne pouvait pas dire si le chiffre de 50,000 fr., pétitionné pour les sociétés de patronage, ne serait pas augmenté l'année prochaine ; qu'il espérait même que cette somme serait augmentée, afin de pouvoir parvenir au but que le gouvernement se proposait d'atteindre : « II faut, a dit M. le ministre, empêcher les récidives par tous les moyens possibles ; les patronages bien organisés sont une véritable économie. »

Je partage entièrement l'opinion de M. le ministre de la justice. Je pense, comme lui, qu'en présence de la réforme prochaine du régime pénitentiaire, il est urgent qu'on prenne toutes les mesures nécessaires pour organiser, sur une base solide, les sociétés de patronage des condamnés libérés, parce que ces sociétés forment le complément du nouveau système pénitentiaire que l'on se propose d'introduire, et que, sans ces institutions, il sera impossible d'arriver au but qu'on se propose, c'est-à-dire l'amendement des libérés.

En effet, aujourd'hui la position malheureuse de la plupart des condamnés, à leur sortie de prison, ne peut être révoquée en doute ; cette position est quelquefois si misérable, qu'elle place les libérés dans l'alternative ou de commettre un nouveau délit ou de mourir de faim et de misère. Vous savez qu'aujourd'hui les condamnés libérés sont repoussés partout, et ce n'est pas sans motif, puisque partout ils doivent inspirer de la défiance ; or l'intérêt de la société entière exige que des mesures convenables soient prises pour empêcher la continuation de cet état de choses ; car l'expérience vient nous démontrer tous les jours toute l'étendue du mal : les nombreux crimes qui ont été commis récemment pir des condamnés libérés dans toutes les parties du pays, et notamment dans les Flandres, prouvent qu'il est temps d'y porter remède.

(page 716) Cela étant, voyons ce que le gouvernement se propose de faire.

Le gouvernement a jusqu'ici accordé des subsides à cinq ou six institutions qui se chargent de donner de l'ouvrage à un certain nombre de condamnés libérés. Le gouvernement annonce, dans une note annexée au budget, que l'administration s'occupe d'étendre le patronage dans les autres parties du pays. C'est là sans doute une mesure très utile ; pour notre part, nous nous empresserons de voter les fonds qu'on demande pour cet objet.

Mais puisque, de l'aveu de tous, il est incontestable que le succès de l'amendement des condamnés dépend presque entièrement de la protection qu'on leur accorde à la sortie de prison, nous pensons que le système adopté par le gouvernement est incomplet et qu'il n'atteindra pas le but que l'on se propose. Qu'il me soit permis d'émettre mon opinion à cet égard. D'abord il faudrait, selon moi, organiser le patronage des condamnés sur des bases beaucoup plus larges que celles indiquées dans la note annexée au budget de la justice ; en second lieu, il conviendrait d'introduire sans retard des modifications à la législation existante sur la surveillance des condamnés libérés.

Nous ne nous occuperons pas maintenant de cette seconde question, parce que les détails dans lesquels nous devrions entrer, nous entraîneraient trop loin ; nous nous en tiendrons, pour le moment, à la question du patronage.

Nous disons que le patronage des condamnés libérés, tel qu'il est déjà organisé dans quelques villes, et tel que le gouvernement, ainsi qu'il l'annonce, se propose de l'étendre dans autres parties du pays, est incomplet ; que même lorsqu'il sera établi partout, il n'atteindra pas le but auquel on veut parvenir.

En effet, voyons ce qui existe aujourd'hui.

La maison du Bon Pasteur à Namur, et deux institutions érigées à Liège donnent asile à des femmes qui sortent des prisons de ces deux villes.

Ces établissements produisent le plus grand bien et doivent être encouragés, mais ce sont des maisons de refuge qui ne peuvent donner asile qu'à un petit nombre de femmes libérées.

La société de St-Vincent-de-Paule à Tournay se charge du patronage des condamnés libérés, appartenant à cette ville et à arrondissement de ce nom ; celle de Bruxelles s'est également chargée d'un semblable patronage.

Mais il est à remarquer que, d'après leurs statuts, ces société ne s'occupent qu'accessoirement du patronage des libérés ; elles ne pourront donc prendre sous leur patronage qu'un petit nombre d'individus.

Ainsi, en admettant avec le gouvernement, que d'ici avant la fin de l'année les maisons de refuge et les sociétés de St-Vincent-de-Paule pussent être établies partout dans le pays, toujours est-il que le nombre des libérés que ces sociétés pourront prendre sous leur patronage sera très restreint, et dès lors le but qu'on se propose, celui de procurer à tous ceux qui acceptent ce patronage du travail et des secours, sera manqué ; le patronage des libérés constituera une exception en faveur de quelques individus et l'œuvre de moralisation, si nécessaire comme complément de la réforme des prisons, restera imparfaite.

Si nous sommes dans l'erreur, nous prions M. le ministre de la justice de nous donner quelques explications a cet égard. Il est d'ailleurs important que le pays sache comment on se propose d'organiser le patronage. C'est une œuvre de bienfaisance qui rencontre beaucoup de sympathie. Les explications de M. le ministre pourront exciter nos concitoyens à s'y associer.

Voici, messieurs, quelles devraient être, d’après nous, les bases fondamentales du patronage des libérés :

Des sociétés principales de patronage seraient établies pour les grandes prisons de Gand, Vilvorde, St-Bernard, Sl-Hubert et Alost. C'est là qu'elles devraient agir, si tant est qu'elles soient utiles, comme c'est notre opinion, et c'est là cependant que, d'après l'organisation actuelle, elles auront le plus de difficulté à s'établir.

Chaque société principale entretiendrait une correspondance régulière avec le directeur et la commission administrative de la prison qui la concerne ; elle en recevrait tous les renseignements nécessaires relatifs aux détenus sur le point d être libérés. Les membres de la société auraient la faculté de communiquer avec ces détenus.

Il serait établi des sociétés auxiliaires dans chaque chef-lieu d'arrondissement judiciaire. Cependant les sociétés principales rempliraient la mission des sociétés auxiliaires dans les arrondissements où elles se trouvent établies.

Les libérés qui auraient invoqué l'appui de la société seraient adressés par la société principale de la prison qu'ils quittent, à la société auxiliaire de l'arrondissement où ils doivent séjourner. La société auxiliaire pourvoirait aux moyens de leur procurer du travail en s'interposant auprès des administrations communales, des fabricants, des cultivateurs et autres maîtres, pour faciliter leur placement ; elle se chargerait d'assister les libères de toute autre manière qui serait jugée nécessaire.

Toutes ces sociétés entretiendraient entre elles une correspondance suivie dans le but de venir en aide aux condamnés libérés qui réclament leur assistance, et de prévenir les récidives.

Voilà, messieurs, quelles devraient être, d'après nous, les bases des associations du patronage des libérés, si l'on veut atteindre le but que l'on se propose, la diminution du nombre des récidives.

Le gouvernement a-t-il l'espoir fondé de voir s'organiser soit la société de St-Vincent-de-Paule, soit toute autre association de bienfaisance sur des bases semblables à celles que nous indiquons, ou d'après tel autre système qui peut avoir pour résultat de procurer du travail à tous les libérés qui se montrent disposés à abandonner la voie du crime ? S'il n'a pas cet espoir, (et nous devons le croire à en juger par les minces résultats obtenus depuis 1835, époque à laquelle les premiers essais ont été tentés), alors il nous paraît urgent, que l'administration prenne des mesures pour faire établir dans le pays un patronage sur des bases assez étendues, pour que tous les libérés qui invoquent son appui puissent en profiler. Sans une institution de cette nature, le système pénitentiaire lui-même restera sans résultat pour la société.

Nous savons bien que le gouvernement ne doit pas intervenir directement dans la création de ces sociétés de patronage, mais lui seul peut et doit leur donner une impulsion forte et décisive, en faisant appel à la charité privée, en dirigeant son action, et surtout en centralisant ses efforts. Nous affirmons sans crainte d'être démentis, que s'il n'existe pas de relations régulières, de lien commun entre les directeurs et les commissions administratives des prisons d'une part, et les différentes sociétés qui s'occupent de patronage de l'autre, tout bon résultat est impossible. Or ces relations régulières entre les administrations et les sociétés, c'est le gouvernement seul qui peut les établir.

Voilà, messieurs, les quelques considérations que j'ai cru devoir faire valoir dans l'intérêt même du succès de ces sociétés qui ont toutes nos sympathies et que nous croyons indispensables si on veut obtenir un bon résultat du nouveau système pénitentiaire, dont le projet nous est présenté et qui coûtera des sommes énormes pour son établissement.

M. de Haerne. - Messieurs, l'honorable rapporteur de la section centrale vous a dit tantôt une grande vérité. Il vous a dit que nous aurons toujours des pauvres. Mais, messieurs, s'il est vrai qu'il existe toujours des pauvres, il est également vrai qu'on devra toujours faire tous les efforts possibles pour diminuer la misère. Celui qui a prononcé l'oracle cité par l'honorable M. Savart, a imposé aussi comme un devoir impérieux de soulager l'indigence. Messieurs, en partant de ce point, je crois devoir dire qu'en premier lieu la charité privée doit venir au secours du malheur, de la misère publique. Mais si la charité privée reste en défaut, si elle est insuffisante, c'est l'association communale, c'est l'association provinciale qui doit prêter la main aux particuliers pour le soulagement de la misère. ! Si enfin ces institutions réunies aux efforts privés sont encore en défaut, ; c'est au gouvernement à intervenir. Je crois que c'est aussi un devoir et un devoir impérieux pour le gouvernement de venir au secours des pauvres de tâcher d'extirper la misère et le vice qui engendre la misère, et de soulager ainsi, autant qu'il est en lui, les souffrances du peuple.

Si le gouvernement ne pouvait atteindre ce but sans faire naître des malheurs ou des inconvénients d'un autre côté, il faudrait examiner de quel côté est le plus grand mal et de deux maux choisir le moindre. Mais en général le gouvernement ne peut pas se dispenser, comme l'a fait remarquer M. le ministre de la justice, de donner l'impulsion à la charité telle, qu'elle s'exerce dans la société ; il doit guider les personnes charitables, leur servir d'exemple, indiquer les meilleurs plans à suivre, faire connaître par sa salutaire intervention les résultats obtenus dans d'autres localités, dans d'autres pays.

J'appellerai votre attention sur ce dernier point qui est très important. Ne croyez pas que dans les diverses localités, on soit toujours assez éclairé pour bien comprendre les institutions de bienfaisance et de charité. Dans les campagnes, dans de petites localités et même dans des villes assez considérables, on voit combien, pour l'établissement des meilleures institutions qui ont reçu la sanction du temps et de l'expérience dans d'autres pays, on doit souvent lutter contre le torrent des préjugés. Souvent il arrive que tous les efforts sont inutiles pour vaincre les préventions. C'est alors que l'intervention bienveillante du gouvernement est salutaire, nécessaire, indispensable.

On vous a dit qu'en recueillant dans les établissements de bienfaisance les personnes vouées au malheur ou au vice, on commet souvent une grande imprudence. On a dit qu'on établissait par là une concurrence dangereuse pour les ouvrières libres. On voudrait par ce motif restreindre considérablement le cercle d'action de la bienfaisance du gouvernement.

Je crois qu'il y a ici confusion d'idées. J'admets avec l'honorable préopinant qui a parlé dans ce sens qu'il y a une concurrence dans le cas qu'il suppose ; elle résulte du travail exécuté dans les maisons où il y a des détenus, des malheureux et même des personnes vicieuses. L'honorable membre ne craint pas la concurrence qui provient des prisons ; parce que là, dit-il, le travail est nécessaire ; mais il la craint et la repousse, lorsqu'elle se produit par le travail exécute dans des maisons de bienfaisance, parce qu'il considère cette concurrence comme nuisible aux ouvriers libres, aux ouvriers honnêtes. C'est supposer ou que ces maisons ne sont pas utiles ou qu'elles peuvent se passer de travail.

Je vous prierai de remarquer, messieurs, que d'abord l'on doit donner aux détenus une espèce de travail qui fasse le moins de concurrence possible. Jusque-là je suis d'accord avec l'honorable M. Pirmez. C'est aussi ce que l'on a tâche de faire dans les prisons des Flandres. On a tâché d'y établir des industries nouvelles autant que possible, afin que cette concurrence ne soit pas aussi grande. Mais s'il n'est pas possible d'introduire dans les institutions publiques des industries nouvelles et que, par le travail que l'on doit donner à des reclus, à des malheureux, on ne puisse éviter la concurrence ; eh bien, il faut la subir, parce que le travail est un élément nécessaire dans ces sortes d'établissements, qui sont eux-mêmes d'une utilité incontestable. C'est par le travail joint à la discipline et aux leçons de morale, que l'on peut espérer si ce n'est d'extirper la misère et le vice, au moins d'en restreindre le cercle et d'améliorer l'état de la société.

Il y a autre chose à craindre : car les vices qui ordinairement conduisent à la misère, font naître aussi une espèce de concurrence pour les personnes qui, après s'y être livrées, tombent dans le malheur, dans l'indigence. Cette concurrence est plus à redouter que toute autre. C'est la concurrence dans la participation aux secours de la part de personnes qui y ont le (page 717) moins de titres. Eh bien ! concurrence pour concurrence, je préfère celle du travail, quoiqu'elle présente des inconvénients, à la concurrence de la misère.

J'ai entendu dire aussi dans cette chambre que les maisons de refuge présentent un appât à la séduction par la facilité que l'on trouve à s'y retirer. Ce raisonnement tombe devant l'expérience : les personnes dégradées qui mènent une vie dissolue cherchent en général à cacher leurs dérèglements, et, en se livrant à l'inconduite, ne songent guère aux suites terribles qu'elle peut avoir pour elles. Elles s'aveuglent dans leur infamie, et ne songent nullement à se retirer dans une maison où elles savent qu'elles seront soumises à un contrôle et à une discipline sévères, et qu'elles n'en pourront sortir qu'après avoir donné des preuves non équivoques de repentir.

On ne peut donc pas contester, messieurs, l'utilité des maisons de refuge, pas plus que celle des autres maisons de bienfaisance sous quelque face qu'on les envisage.

C'est en partant des principes et des observations que je viens d'avoir l'honneur de vous exposer, messieurs, que je viens appuyer la demande d'allocation faite par le ministère, sinon en entier, au moins en grande partie.

Je prendrai la liberté de demander tantôt quelques explications à M. le ministre de la justice pour avoir mes apaisements sur toute l'allocation.

Pour mieux comprendre l'utilité des crédits demandés par le ministère, examinons en détail les principales institutions qu'ils sont destinés à favoriser.

Les crèches, les salles d'asile, les ateliers d'apprentissage, voilà des établissements dont il me semble qu'on ne peut contester les avantages et auxquels on ne peut convenablement refuser les subsides dont ils ont besoin.

Les autorités locales et provinciales sont unanimes dans cette opinion.

Quant aux écoles gardiennes ou salles d'asile, il n'y a que quelques années que ces institutions sont introduites dans le pays, tandis que depuis longtemps elles existent dans les grandes villes de France.

M. Savart-Martel, rapporteur. - Depuis bien des années il en existe à Tournay.

M. de Haerne. - Je suis charmé de l'apprendre de la bouche de l'honorable M. Savart. Mais si ces établissements existent à Tournay, ils seraient également utiles dans d'autres localités ; c'est un bel exemple à suivre, mais dont l'utilité est trop peu appréciée. Cela prouve à l'évidence que l'intervention du gouvernement est ici nécessaire, pour faire comprendre cette utilité, pour stimuler le zèle et le courage, là où ils ne sont pas assez actifs.

Puisqu'on a cité des noms de localité, je dirai qu'un établissement semblable existe à Courtray, mais depuis peu de temps ; il a été organisé surtout par la charité privée, par le noble dévouement des personnes charitables et des dames qui se sont consacrées à cette belle œuvre. J'ai été témoin des efforts qui ont été faits dans ce but. En l'organisant, on a compté sur l'intervention du gouvernement, sans quoi peut-être l'on n'aurait rien fait, ou du moins l'on n'aurait eu qu'un demi-succès, parce que les personnes qui se sont mises à la tête de l'entreprise n'auraient pas eu la même force auprès des autres, et celles-ci peut-être auraient reculé devant une entreprise dont elles auraient eu à supporter tous les frais. Quand on peut dire que le gouvernement interviendra dans la création d'une institution, tout le monde est disposé à y contribuer, et il en résulte quelquefois que la collecte devient suffisante à elle seule, tandis que sans cela on n'obtiendrait que peu de chose. Quant à Courtray, ce que l'on y a fait récemment est digne des plus grands éloges, mais ne suffit pas encore à beaucoup près aux besoins de la population. J'espère qu'avec l'appui du gouvernement l'on parviendra à atteindre le but désiré.

Je dois adresser à M. le ministre de la justice une demande relativement à quelques observations qui figurent dans les explications données pour justifier la demande de 80,000 fr.

M. le ministre a parlé d'atelier d'apprentissage. Personne plus que moi n'en apprécie l'utilité. Certes, il faut tâcher de propager autant que possible des industries nouvelles et des procèdes nouveaux pour les industries déjà existantes, surtout dans les localités où l'industrie est en souffrance.

Je fais allusion à la grande industrie linière. Bien souvent on a dit qu'il fallait remplacer cette industrie par d'autres dans les localités où elle est le plus souffrante. Sous ce rapport, la création d'ateliers d'apprentissage peut être des plus utiles.

C'est ainsi que, dans certaines localités de la Flandre occidentale et des environs de Courtray, on a tâché d'introduire la ganterie ou d'autres industries nouvelles. Je citerai le village de Sweveghem, qui sera redevable au zèle éclairé de son bourgmestre, de l'introduction du tricot au métier circulaire. Cette commune, qui fait d'ailleurs des efforts inouïs pour le soutien et l'amélioration de l'ancienne industrie linière, et où le comité linier occupe dans ce moment douze cents personnes, tant fileuses que tisserands, cette commune, dis-je, a besoin d'être secondée par le gouvernement, non seulement en ce qui concerne le travail du lin, mais aussi quant à l'introduction et à l'apprentissage de métiers nouveaux. La règle à suivre, au point de vue de la bienfaisance qui doit nous guider avant tout, c'est de soutenir l'industrie existante jusqu'à ce qu'on en ait pu adopter de plus lucratives.

La demande que je désirais faire se rapporte à cet objet. J'approuve tout à fait l'institution d'ateliers d'apprentissage, mais je ne sais s'il n'y a pas double emploi avec les fonds proposés au budget de l'intérieur. Je désirerais avoir une explication de M. le ministre de la justice à cet égard, pour savoir s'il n'y a pas confusion de ce chef. Cette demande ne tend pas diminuer le chiffre, mais seulement à en mieux régler l'emploi. Pour ce qui regarde les dépôts de mendicité, on en a beaucoup parlé ; je me dispenserai donc d'entrer dans de longs développements ; cependant je dois dire que l'organisation de ces dépôts me paraît hérissée de grandes difficultés.

Pour vous en donner la preuve, je rappellerai que l'on s'est adressé aux gouverneurs, aux députations permanentes et qu'il y a eu pour ainsi dire autant d'opinions que d'autorités. C'est une question extrêmement difficile ; je suis cependant d'accord avec M. le ministre de la justice quant aux principes fondamentaux sur lesquels il fait reposer cette institution ; à savoir : qu'il faut leur donner une tendance agricole, fonder des colonies agricoles. Ces colonies sont le meilleur moyen de diminuer la dépense des dépôts de mendicité.

Cependant une observation à faire, c'est que l'on a organisé des dépôts de mendicité sur un pied agricole, qui n'ont pas réussi.

Ce n'est pas pour combattre le principe que je fais cette observation ; je pense que cela tient au régime, à l'organisation intérieure de la colonie. Je crois qu'il faut dans ces dépôts une organisation toute paternelle, toute charitable, sans cela les colonies agricoles, aussi bien que les dépôts de mendicité ordinaires, entraîneront de très grands frais.

Il est certain que les frais seront plus ou moins grands, selon que le travail y sera organisé. Si le travail est bien soigné et productif, la dépense sera moins considérable ; mais comme les personnes qui se trouvent dans les dépôts de mendicité seront souvent des condamnés, il est certain que leur travail n'est pas en général aussi productif, qu'il pourrait l'être avec des personnes tout à fait libres. Car les hommes condamnés ne travaillent pas aussi bien : ils n'ont pas le même stimulant, la même moralité, le même courage, le même but que les hommes libres. Ou doit nécessairement y introduire la moralité et une récompense pour le travail. On doit donner aux détenus la perspective de pouvoir subsister du travail de leurs mains au sortir du dépôt. J'avoue que la trop grande décentralisation des dépôts de mendicité offre des inconvénients, par un accès trop facile. Mais la centralisation ne peut être avantageuse dans mon opinion que pour autant qu'elle réunisse les conditions dont je viens de parler.

C'est pour ce motif, messieurs, que le gouvernement doit tâcher d'établir un très bon régime dans les dépôts de mendicité, même lorsqu'ils sont établis sur un pied agricole. Sans cette intervention paternelle et charitable, on n'atteindra pas le but, et les dépôts de mendicité nouveaux aussi bien que ceux qui existent, au lieu d'offrir un soulagement à la misère, ne serviront qu'à obérer les communes.

M. le ministre de la justice a annoncé, si j'ai bien compris, pour cette session même, la présentation d'un projet de loi sur les dépôts de mendicité ; mais je doute qu'il puisse être accepté dans cette session ; car on aura beaucoup de peine à s'entendre sur les bases et sur les détails du projet de loi.

Dans cette position, je ne sais jusqu'à quel point on doit allouer des fonds pour ces institutions de bienfaisance. Si ce n'était cette circonstance, je n'hésiterais pas à voter le crédit tel qu'il est proposé ; mais je pense que de ce chef on pourrait y faire une réduction.

M. Castiau. - Les développements dans lesquels je compte entrer sont de quelque étendue. Il est quatre heures et demie. Plutôt que de parler aujourd'hui, je préférerais renoncer à la parole.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je regrette que l'honorable M. Castiau renonce à la parole ; mais il m'est impossible de laisser clore cette discussion sans répondre aux honorables préopinants.

Plusieurs membres. - A demain !

- La séance est levée à 4 heures et demie.