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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 9 février 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 603) M. Huveners procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.

M. de Villegas donne lecture du procès-verbal de la séance d'avant-hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Fortuner, pharmacien à Bruxelles, demande une loi réglementaire de l'exercice de la médecine et de la pharmacie. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vanderhoost, ancien candidat notaire, demande des modifications à la loi sur l'institution du notariat. »

- Même renvoi.


« Le sieur Mouton, administrateur de la société charbonnière de Bernissart, demande que la chambre, lors de la révision de la loi du 4 avril 1843, prenne des mesures de protection en faveur de l'industrie du sucre indigène. »

« Même demande de plusieurs habitants de Boussu. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la guerre

Discussion générale

La discussion est ouverte sur le projet de la commission, auquel le gouvernement se rallie.

M. Lebeau. - Je sympathise avec le gouvernement et sans doute avec toute la chambre dans les efforts qui ont pour but de venir, dans de malheureuses circonstances, au secours de la classe ouvrière, au secours des localités où le travail manque le plus en ce moment.

Sous ce rapport, le projet de loi obtiendra mon approbation, d'autant plus qu'à côte de la dépense, figure la recette.

Mais cette observation générale ne peut s'appliquer qu'à ce qui concerne les dépenses relatives aux places de Hasselt et d'Audenarde.

Je ne voudrais pas accorder par un vote dont les fortifications semblent être l'accessoire, la sanction demandée par le gouvernement pour les fortifications d'Aerschot, et cela sans documents quelconques, sans devis estimatif, sans qu'on pût dire, si ce n'est par approximation, pendant combien d'années la dépense se continuera, à quel chiffre elle s'élèvera.

On sait quelle part il faut faire à l'imprévu dans des dépenses de cette nature : l'élévation des sommes consacrées et qui restent à consacrer encore aux fortifications de la ville de Diest le prouve assez.

Dans ce moment, je crois qu'on ne peut voter du projet rien de ce qui concerne les fortifications d'Aerschot. Je crois qu'il conviendrait d'abord que la chambre fût complétement édifiée sur la nécessité et sur le montant de la dépense. La chambre ne sait à quoi elle s'engage. On demande aujourd'hui 300,000 fr. Mais cela constituerait de notre part l'obligation de voter au moins un million et demi, dans le délai de cinq ans ; car les fortifications qu'il s'agit de construire, coûteraient au minimum (je crois pouvoir me servir de cette expression, puisqu'il s'agit d'une évaluation purement approximative, sans bases connues), un million et demi, dont le vote de 300,000 fr. serait la sanction anticipée.

Je suis incompétent, surtout dans l'étal actuel de la discussion. Je ne me prononcerai pas sur la nécessité de fortifier la localité d'Aerschot. Je suppose que M. le ministre de la guerre pourra ultérieurement démontrer la nécessité de ces fortifications. Dans tous les cas, la chambre en sera juge. Mais je ne pense pas qu'à propos de ce projet de loi, qui a un caractère spécial, qui est tout de circonstance, qui a pour but principal de venir au secours de la classe ouvrière, nous puissions empiéter sur la discussion relative au système de fortification du royaume.

Je crois que ce système doit, comme le système d'organisation de l'armée, avoir les honneurs d'une discussion spéciale, approfondie. Si l'on trouvait un inconvénient quelconque à ce que cette discussion eût lieu en public, je veux bien qu'on fasse pour le système de fortification ce qu'on a fait pour le système des droits différentiels qui aurait pu être discuté en public, avec beaucoup moins d'inconvénient que tout ce qui touche à la défense du royaume.

Je crois que, quand il s'agira de cette discussion, nous aurons à nous occuper non seulement de ce qui doit être érigé ou conservé, mais encore de ce qui doit être démoli. Il se rattache des questions d'une nature si grave au système de défense extérieure, que cette question vaut bien l'honneur d'une discussion solennelle, approfondie. Le ministère viendra avec des plans, avec des devis, avec les délibérations du conseil supérieur de défense ; il donnera des renseignements qui militeront en faveur du système de défense du pays, tel que le gouvernement l'aura conçu.

J'ai donné assez de preuves (M. le ministre de la guerre peut en témoigner) de ma sympathie pour tout ce qui tient à la défense du pays, pour qu'il soit sûr qu'en faisant la réserve que j'apporte à mon vote, je n'ai en aucune façon l'intention d'atténuer les moyens de défense de notre territoire.

Je propose donc sans scrupule l'ajournement de tout ce qui concerne la localité d'Aerschot.

M. Mast de Vries. - Lorsque le gouvernement propose à la chambre de fortifier un des points du pays, il est très difficile à la chambre de refuser une allocation pareille, puisque le gouvernement vient dire que la sûreté du pays en dépend. Sous ce rapport, la position où nous nous trouvons pourrait nous obliger à voter la dépense qui nous est soumise.

Mais lorsque, dans un projet antérieur, le gouvernement a proposé un système général de fortification, dans lequel il voulait fortifier la ligne d'Anvers à Hasselt, et que dans ce système on demandait plusieurs millions pour le mettre à exécution, l'on a droit à concevoir des craintes ; car pour fortifier une seule place, celle de Diest, il en coûtera le double de la dépense à laquelle avait été évalué l'achèvement de tout le système.

Je crois donc que la chambre doit y regarder à deux fois. Car quand vous aurez voté les 300,000 fr. demandés pendant cinq années, il en sera pour les fortifications d'Aerschot, comme pour celles de Diest. Le premier pas sera fait et de crédits en crédits vous irez encore à plusieurs millions.

En 1835, on demandait 3 millions. Les fortifications de Diest ont coûté 5,700,000 fr., et elles ne sont pas achevées ; on parle encore de 1,800,000 fr. pour l'achèvement de la citadelle de cette même place. Si pour Aerschot on doit suivre les mêmes proportions, il y aura encore de nouvelles dépenses qu'il faudra ajouter pour de nouvelles fortifications auxquelles on ne songe point aujourd’hui.

D'après le projet de 1835, il y avait d'autres localités qui devaient être fortifiées ; ainsi l'on avait demandé 400,000 fr. pour Lierre. J'ai entendu raisonner à cet égard divers officiers qui entendaient parfaitement la défense du pays, et qui croyaient qu'il n'était pas possible de fortifier un seul point, mais qu'il fallait fortifier la ligne entière.

A différentes reprises, lorsqu'il s'est agi du budget de la guerre, on a été étonné des frais énormes que la place de Diest avait déjà coûté et qui surpassaient de beaucoup toutes les allocations demandées en 1835. Eh bien, messieurs, après ces précédents, ne sommes-nous pas en droit de demander à M. le ministre de la guerre quel sera le système qu'il compte exécuter ? Ce n'est pas avec 1,300,00 fr. à dépenser à Aerschot, que l'on complétera le système de 1835 ; il faudra plus tard encore beaucoup de millions.

Je voudrais qu'on nous dît positivement ce qu'on se propose de faire : abandonne-t-on le système de 1831, ou bien veut-on le continuer ? Si ou veut le continuer qu'on nous le dise franchement ; qu'on nous dise : nous allons continuer, le système de 1835, et nous vous demandons à cet effet un premier crédit, parce que les classes ouvrières se trouvent dans une position pénible et que, dès lors, nous croyons utile de commencer les travaux en ce moment. Toutefois, messieurs, si c'est là ce qu'on veut, alors je crois qu'une demande générale devrait être faite, et que la question de notre système de forteresses devrait avoir les honneurs d'une discussion spéciale. Je partage à cet égard l'opinion de l'honorable M. Lebeau.

Nous devons savoir où nous irons ; sans cela les millions viendraient s'entasser les uns sur les autres. En votant le crédit qui nous est demandé aujourd'hui, nous nous engagerions d'avance à allouer toutes les sommes qui nous seraient demandées à l'avenir pour la place d'Aerschot.

J'attendrai les explications de M. le ministre, mais si je n'obtiens pas mes apaisements, je ne pourrais pas adopter le projet.

M. Goblet. - Messieurs, quoique ce soit avec raison que M. le ministre de la guerre ait avancé, dans l'exposé des motifs du projet de loi en discussion, que tous les travaux dont il s'agit sont d'une utilité bien constatée, il pourrait se faire que cette utilité ne parût pas évidente à tous les yeux.

Je n'entends point faire ici allusion aux travaux à exécuter à Hasselt et à Audenarde (ceux-là peuvent se justifier en peu de mots), mais bien à ceux plus importants que l'on se propose d'établir au défilé d'Aerschot, sur le Demer.

Il y a précisément onze années, messieurs, que la chambre des représentants a eu à s’occuper de la proposition de l'établissement d'une frontière défensive permanente au nord du royaume ; il y a onze années, qu'une commission d’hommes très distingués pris dans son sein a soigneusement étudié cette question et fait un rapport qui ne laissait point de doute sur son utilité et son opportunité.

Le temps qui s'est écoulé depuis lors peut faire considérer comme chose utile de remonter, à l'origine de cette question, sur laquelle l'attention de la chambre est appelée de nouveau.

Avant 1830, messieurs, diverses causes avaient privé la Campine des voies de communication indispensables a sa prospérité ; des vues plus libérales ont présidé depuis lors aux destinées de cette contrée.

On sait, en effet, dans quel état elle se trouvait encore, il y a dix années : une étendue de territoire d'environ deux cents lieues carrées était dépourvue de canaux et de routes pavées. Aussi longtemps que la Belgique ne fut que l'appendice d'un Etat plus considérable, on sentit moins qu'aujourd'hui la nécessité de favoriser l'agriculture et l'industrie d'une population (page 604) laborieuse et digne d'être secondée dans son courage et sa constance à fertiliser un sol ingrat.

D'ailleurs, la politique des puissances auxquelles la Belgique fut successivement réunie, dut les éloigner de l'idée de faire disparaître dans les voies de communication de la Campine une lacune qui rendait les opérations militaires plus difficiles et qui suppléait, jusqu'à un certain point, à l'absence de places fortes sur la frontière septentrionale de notre pays.

Durant l'existence du royaume des Pays-Bas, le roi Guillaume lui-même ne voulut jamais consentir à ce que les deux grandes divisions de ses état fussent unies par d'autres chaussées que celles qui existaient alors et dont l'une conduisait d'Anvers à Breda, et l'autre de Liège à Bois-le-Duc. Il suffisait de jeter les yeux sur la carte pour être frappé du soin que l'on avait pris, malgré les vœux des populations, de ne point prolonger dans la Campine les autres routes pavées qui partaient de l'intérieur de la Belgique ; ces routes s'arrêtaient, en effet, à Turnhout, Lierre, Aerschot, Diest et St-Trond.

Tel était encore l'état des choses, lorsqu'en 1830 la Belgique fut violemment détachée de la Néerlande.

A partir de cette époque, de gouvernement belge eut donc à se préoccuper des moyens de réaliser deux résultats différents, mais également importants pour notre patrie. Les gouvernements précédents avaient sacrifié le bien-être de la Campine aux nécessités de la défense ; le nouveau régime se proposa de concilier ces deux grands intérêts. Il s'appliqua par conséquent à constituer vers le nord du royaume, entre la Meuse et l'Escaut, une bonne frontière défensive conciliante avec un système de routes et de canaux propre à favoriser un territoire victime jusqu'alors d'une politique ombrageuse. Il était d'autant plus indispensable de faire marcher de front ces deux ordres d'idées, qu'on ne pouvait se dissimuler que la majorité de la conférence de Londres s'était appliquée, dans le traité du 15 novembre 1831, à laisser ou à donner à la Hollande la frontière la plus avantageuse possible sous le rapport militaire, et qu'il en était résulté pour la Belgique une situation défensive très défavorable. L'art, la nature et les traités, ont tout fait pour s'opposer à ce que nous puissions porter avec succès nos armes au cœur des Pays-Bas, tandis qu'en l'absence des travaux d'art la nature et les traités donneraient à nos adversaires les plus grandes facilités pour fixer le théâtre des hostilités au sein de la Belgique.

Cette situation désavantageuse attira de tous temps la plus sérieuse attention du département de la guerre ; mais constamment animé du désir de ménager et même de favoriser les intérêts matériels de la Campine, ce département fut loin de poursuivre d'une manière exclusive le but militaire qu'il était dans ses devoirs d'atteindre : il se montra toujours prêt au contraire à réaliser, par une combinaison convenable des travaux civils et des travaux militaires, les progrès dont cette portion du pays paraissait susceptible.

Porter ses espérances jusqu'à trouver un système qui pût permettre de sillonner en tous sens la partie septentrionale du royaume par des voies de communication de toute nature, ne fut jamais dans la pensée du département de la guerre ; mais il crut en 1835 être parvenu à faire la part de tous les intérêts et, dans l'espèce de transaction qui intervint alors, les autorités militaires furent bien loin de pouvoir être accusées de cette rigidité de principes qui, dans la plupart des autres pays, fait taire toute considération étrangère à la sûreté du territoire, et qu'on avait si rigoureusement appliquée a la Campine sous les gouvernements antérieurs.

Vous pouvez en juger, messieurs, par l'énumération de toutes les voies de communication qui purent être établies, les unes sans aucune réserve de la part du département de la guerre, les autres de son assentiment conditionnel.

Mais avant de vous en donner le délai, je dois faire connaître les principes généraux qui furent posés à cette époque, dans le double but que j'ai indiqué.

D'une part, il fallait arrêter les éléments qui devaient constituer militairement la frontière du Nord entre la Meuse et l'Escaut.

Et de l'autre, fixer les idées sur l'ensemble des communications dont la Campine pouvait être successivement dotée.

Un travail avait été fait par l'administration des ponts et chaussées pour ce dernier objet.

Une commission militaire fut chargée de son côté d'examiner et de sanctionner le projet d'un système de défense de la frontière du Nord. Elle fui d'avis qu'il y avait nécessité d'établir les travaux suivants :

1° La fortification de Lierre, comme camp retranché.

2° La construction d'une tête de pont à Malines.

3° La construction d'un fort défendant le défilé d'Aerschot.

4° La fortification de Diest.

5° La construction d'une forteresse près de Westerloo, au confluent de la Grosse Nèthe et de la Laeck (à Zammel).

6° Postérieurement aux travaux précédents, la fortification de la position de Hasselt.

Comme j'aurai l'occasion de le faire observer ci-après, il est essentiel de ne pas confondre l'ouvrage permanent dont il est ici question avec les fortifications passagères élevées autour de cette ville et qui n'ont jamais été destinées à être conservées.

La commission militaire, dans l'hypothèse que tous les travaux que je viens d'énumérer seraient exécutés, exprima l'opinion, que les nombreuses routes projetées par l'administration des ponts et chaussées devaient, sous le point de vue défensif, être divisées en trois catégories,

La première comprenait les routes qui, favorables à la défense en toute hypothèse, pouvaient être construites préalablement à tous nouveaux travaux militaires, savoir :

1° La partie de la route de Malines à Beeringen, comprise entre Maline et Heyst op-den-Berg.

2° La route de Lierre à Aerschot.

3° Celle de Diest à Hasselt.

La seconde catégorie embrassait les routes qui, assujetties à passer par des points destinés à être fortifiés, ne seraient plus nuisibles après la fortification de ces points, c'étaient :

1° La route de Turnhout à Aerschot par Zammel.

2° La partie de la route de Malines à Beeringen par Heyst-op-den-Berg et Zammel, comprise entre Heyst-op-den-Berg et Beeringen.

Il avait été décidé qu'aucune considération relative à la défense du pays ne s'opposerait à la construction des deux routes précédentes quand Zammel serait fortifié.

3° La route de Lierre à Gheel.

Cette roule, qui, d'après le projet, devait passer par Herenthals, ne pouvait être tracée directement de cet endroit vers Gheel, mais bien se diriger sur Zammel pour venir se réunir à la grande communication de Turnhout à Diest.

La partie de cette route entre Herenthals et Lierre était considérée comme pouvant être exécutée sans inconvénient quand on aurait amélioré la fortification de cette dernière ville, tandis que la partie entre Herenthals et Zammel ne pouvait l'être que lorsque la fortification de ce dernier endroit aurait reçu un commencement d'exécution.

4° La route de Hasselt à Beeringen, et

5° Celle de Hasselt à St-Trond.

Il avait été décidé que les deux routes précédentes pourraient être construites quand la position de Hasselt serait dans un état de défense respectable par la construction d'une forteresse de troisième classe indépendante de la ville.

En général on avait reconnu que les cinq routes précédentes ne seraient plus nuisibles à la défense du pays, après l'exécution de certains travaux militaires, et la commission était d'avis que le département de la guerre ne devait en autoriser la construction que lorsqu'il aurait acquis la certitude que Diest, Aerschot et Zammel seraient fortifiés.

La troisième catégorie comprenait les routes proposées par le département de l'intérieur qui ne pouvaient pas être comprises dans les deux catégories précédentes, parce que dans tout état de choses leur exécution était préjudiciable à la défense du territoire, à moins d'adopter un système de points fortifies beaucoup trop étendu.

Passant ensuite à l'examen des projets de canaux à établir d'après les intentions du département de l'intérieur, qui alors avait les travaux publics dans ses attributions, la commission décida qu'il n'y avait pas de motif suffisant pour s'opposer à leur construction.

Telles étaient les conclusions prises par la commission. Vous voyez, messieurs, que dès ce moment des principes étaient posés pour l'avenir. Un système de défense était arrêté pour la partie de la frontière correspondant à la Campine, en même temps que le système de routes compatibles avec la défense se trouvait déterminé pour cette contrée.

Aussi, messieurs, à l'ouverture de la session de 1835, le discours du trône annonça-t-il aux chambres que le gouvernement présenterait des projets sur les mesures nécessaires pour donner au pays une ligne défensive vers le Nord.

Remplissant cette promesse, le général Evain vint, dans la séance de la chambre des représentants du 24 mars 1835, présenter un projet de loi pour faire face aux frais des ouvrages à établir sur divers points de la frontière du Nord, dont la fortification venait d'être arrêtée en principe.

Par l'adoption de ce projet, l'exécution d'une grande partie du système de voies de communication dont l'utilité avait été reconnue simultanément devenait possible désormais.

Les motifs sur lesquels M. le général Evain fondait cette demande de crédit n'étaient pas exclusivement des raisons militaires.

« Vous savez, messieurs, disait il, avec quelles instances les provinces d'Anvers et du Limbourg réclament, pour la partie de ces provinces connue sous le nom de Campine, l'établissement de nouvelles communications sur leur territoire ; vous savez aussi combien celles-ci sont indispensables au développement de la richesse agricole, commerciale et industrielle de cette contrée, appelée à partager un jour la prospérité générale du pays.

« Les réclamations a ce sujet se sont renouvelées et multipliées depuis qu'il a été décidé qu'une roule de fer traverserait la Belgique et lui assurerait bientôt un nouveau et puissant moyen d'activer son commerce et d'exploiter tous les éléments de richesse qu'elle renferme.

« Le gouvernement, appréciant l'importance de ces réclamations, s'est occupé de l'examen de cette question, afin d'arriver à une solution qui conciliât les intérêts de cette contrée avec les intérêts généraux du pays : vous connaissez, messieurs, les divers motifs qui, jusqu'à présent, s'étaient opposés à la réalisation de ces projets.

« Il a en conséquence fait étudier le système complet des communications à ouvrir dans le pays : divers projets ont été préparés et discutés, et le département de l'intérieur a définitivement adopté un système général de routes et de canaux qui devront bientôt traverser la Campine et qui lui donneront les moyens d'augmenter et d'améliorer ses cultures et ses produits, en lui procurant ceux de les exporter et de les livrer au commerce.

« Les voies nouvelles à établir sont, les unes dirigées de l'Escaut vers la Meuse, pour les communications entre ces deux fleuves et pour en établir de directes entre les villes de Malines, Aerschot, Lierre, Diest et Hasselt ; les autres doivent être perpendiculaires aux premières et se diriger de la frontière vers le centre.

(page 605) « Mais, pour accorder de pareilles routes, qui mèneront, par des chaussées pavées, à la capitale et au centre du pays, il est évident que vous ne pouvez adopter ce système, à moins de renoncer aux règles de la plus commune prudence, sans, en même temps défendre le passage par ces routes et couvrir ainsi la capitale par de nouveaux moyens de défense.

« Le département de la guerre aurait donc été contraint, pour la conservation des intérêts généraux du pays, de s'opposer à l'exécution des travaux projetés dans le but d’améliorer l'état actuel de la Campine, si vous ne lui accordiez pas les moyens d'assurer la défense de cette frontière et par suite celle du pays même. »

Ainsi s'exprimait, messieurs, le chef du département de la guerre au mois de mars 1835.

Vous voyez, messieurs, que la double question de la ligne de défense à organiser vers le Nord et des voies de communication à ouvrir dans la Campine, est loin d'être nouvelle ; elle a été mûrement examinée par le gouvernement et de concert entre les deux départements qu'elle concernait.

Cette même question a été résolue en outre par la commission que la chambre nomma pour examiner le crédit demandé par le général Evain. Cette commission se composait de MM. Jullien, président, Corbisier, Desmaisières, de Nef, d'Hane, Desmanet de Biesme et de Puydt, rapporteur.

Ce qui prouve bien avec quelle sollicitude cette commission étudia le sujet qu'elle avait mission de traiter et qui doit être représente aujourd'hui à l'attention de la chambre, c'est qu'elle consacra une séance entière à entendre la lecture de différents mémoires communiqués par le ministre de la guerre qu'elle avait fait appeler dans son sein.

Ces mémoires traitaient de la question d'utilité des travaux projetés et déterminaient les principes d'après lesquels les positions à fortifier étaient choisies.

L'opinion qui alors fut exprimée à cet égard par la commission de la chambre étant entièrement applicable à la partie du crédit réclamée aujourd'hui pour établir une tête de pont à Aerschot, je demande à la chambre la permission de citer quelques passages du rapport remarquable présenté par M. le colonel de Puydt dans la séance du 4 mai 1835.

Je me bornerai pour épargner votre temps, messieurs, aux passages qui ont un intérêt tout à fait d’à-propos.

« Sans lever le voile, dit le rapporteur, dont le gouvernement a jugé prudent de couvrir l'exposé du détail des ouvrages de fortification proposés, la commission a cependant cru nécessaire de communiquer d'une manière générale à la chambre les principaux motifs qui rendent ces ouvrages indispensables. Mais des deux questions développées dans les mémoires, la commission a pensé qu'il était opportun de n'en examiner qu'une, celle de l'utilité.

« En effet, les dispositions à prendre pour la défense du pays, sont essentiellement dans les attributions du pouvoir exécutif et subordonnées, d'ailleurs, à des applications entièrement du domaine d'agents spéciaux du gouvernement ; il n'entre pas dans les attributions des chambres d'en critiquer les détails.

« Faut-il une frontière défensive ? Telle est la question que la commission s'est posée. Elle l'a résolue affirmativement, en partageant à cet égard les opinions émises dans les mémoires qui lui ont été soumis.

« La Belgique, devenue Etat indépendant, doit subir inévitablement toutes les conditions inséparables de sa position ; il est nécessaire qu'elle se constitue militairement, non pour prendre l'offensive, mais pour être en mesure de se défendre en cas d'attaque. Veut-on que son état militaire soit économique ? Il importe que la force de son armée se combine avec des moyens de défense matérielle qui en augmentent la puissance, c'est-à-dire, avec des postes fortifiés.

« L'existence des places de Breda, Bois-le-Duc, Berg-op Zoom, Maestricht, nous fait une loi d'opposer à cette ligne menaçante, une ligne sinon égale, au moins capable d'en paralyser l'effet et doter à notre adversaire toute idée de recommencer la guerre. La frontière hollandaise, dans son état actuel, est une frontière offensive, une base d'opération dangereuse contre nous. En fortifiant davantage quelques murs de nos villes, en établissant des postes nouveaux, la frontière hollandaise n'est plus qu'une ligne défensive : la plus grande partie de la force morale de l'armée hollandaise tombera devant nos travaux, et l'agression ennemie perd ses avantages.

« Or, si cette considération d'intérêt national rend urgente l'organisation de la frontière belge, entre Anvers et la Meuse, combien de projets d'améliorations dans les voies de communication demandées pour la Campine, ne doivent-ils pas faire une loi au gouvernement d'opposer à l'ennemi des obstacles propres à contrebalancer, s'il est possible, les facilités qu'on va lui donner en pratiquant des routes là où il ne se trouvait que sable et fondrières, là où jusqu'à présent il eût rencontré bien peu de ressources en voies et moyens de transports !

« La combinaison d'un certain nombre de forteresses rapprochées, liées entre elles par des communications faciles, donnera à la plus faible armée belge le moyen de conserver le pays intact. La réduction du personnel de notre force militaire est donc une conséquence de son organisation matérielle.

« L'ensemble de ces motifs et leurs développements, formant la substance des mémoires soumis à M. le ministre de la guerre, a porté la commission à abonder dans le sens du gouvernement et à admettre la nécessité de pourvoir, sans plus tarder, à l'organisation militaire de la frontière septentrionale du royaume. »

C'est dans la séance du 4 mai 1835 que s'exprimait ainsi le rapporteur de la commission spéciale.

On pouvait s'attendre alors à une prompte décision sur les travaux militaires dont il démontrait si bien l'utilité et sans l'exécution desquels la Campine devait rester privée d’un grand nombre de routes qu'elle attendait avec impatience.

Mais il ne fut plus question de ce rapport ; le jour de la discussion n'arriva pas ; ce ne fut que deux ans plus tard, au budget de l'exercice 1837, qu'un crédit fut porté pour commencer les travaux de fortification projetés sur la ligne du Demer.

Mais dans l'intervalle, les réclamations des habitants étaient devenues tellement vives que le département de l'intérieur ne crut pas pouvoir empêcher l'exécution même de certaines routes qui d'après les bases admises n'auraient pas dû se construire sans le commencement simultané des travaux militaires. Par là, la responsabilité du département de la guerre se trouvait gravement exposée. Plusieurs fois il crut devoir protester contre des concessions dangereuses pour la sûreté du pays, et qu'il avait été convenu de subordonner aux garanties qu'exigeaient les intérêts de la défense : en effet, non seulement toutes les routes placées dans la première catégorie, c'est-à-dire que non seulement celles qui étaient indépendantes de tous travaux militaires, sont construites aujourd'hui, mais encore qu'une grande partie de celles de la deuxième catégorie, qui étaient, comme je l'ai dit, subordonnées à ces travaux, sont achevées en ce moment, bien que les conditions mises à leur exécution n'aient pas été remplies jusqu'à ce jour.

Les routes de cette deuxième catégorie étaient au nombre de cinq ; deux sont achevées. deux sont en exécution et il n'en reste qu'une en projet.

Mais on ne s'est point borné à faire ces routes, dont le mauvais effet sur la défense du pays pouvait être neutralisé par les travaux militaires dont on a précédemment fait mention ; on a même procédé à l'exécution d'une grande partie de celles que la commission, consultée sur la défense de la frontière septentrionale, avait placées dans la troisième catégorie, c'est-à-dire parmi celles qui, dans tous les cas, nuiraient à la sécurité du pays. Les routes de cette troisième catégorie étaient au nombre de huit. Eh bien ! trois sont déjà achevées, deux sont en exécution, et trois seulement ont été abandonnées.

Certes, en cette occasion, si l'on peut exprimer quelque regret, c'est que le gouvernement ait trop mis en oubli à ce qu’il devait a la sûreté nationale.

Mais là ne s'arrêtèrent pas encore les concessions faites aux vœux de la Campine. En effet, depuis 1835, c'est-à-dire depuis que l'on avait cherché à concilier autant que possible les intérêts de la défense et ceux de la prospérité du territoire, de nouvelles demandes, de nouvelles prétentions ont surgi et la construction de sept nouvelles routes a été décidée, toujours en prenant aussi peu de souci de la responsabilité du département de la guerre. Parmi ces nouvelles routes achevées ou en construction, plusieurs ont encore été décrétées en opposition au système de défense adopté pour la frontière septentrionale.

En présence d'un tel état de choses, c'est à juste titre, il faut le reconnaître, que le département de la guerre s'inquiète d'aussi grands sacrifices, faits aux intérêts du moment et dont on pourrait se repentir dans l'avenir ; et c'est sans doute parce que M. le ministre est profondément convaincu qu'il est temps de s'arrêter dans cette voie dangereuse qu'il vient aujourd'hui vous demander des fonds pour établir une tête de pont à Aerschot.

Ce n'est, en effet, qu'en donnant une certaine force à cette position, que la route nouvelle qui, du côté de la Hollande, viendra y aboutir, ne sera point nuisible à la défense du pays. La proposition qui vous est faite à ce sujet n'est donc qu'une nouvelle application des principes généraux que j'ai eu l'honneur de vous rappeler et dont l'esprit n'est autre que de concilier en toute circonstance les intérêts de la défense avec ceux de la prospérité du pays.

M. de La Coste. - Un des honorables préopinants vous a dit, messieurs, que dans le projet soumis à vos délibérations, les fortifications ne semblaient qu'un accessoire ; que l'objet principal semblait être d'offrir du travail à la classe ouvrière.

Messieurs, ce dernier objet a paru tellement important dans un autre pays, qu'en ce moment on propose au parlement anglais de faire abandon d’un de ses privilèges pour accélérer la construction de routes ferrées et notamment en Irlande.

Les mêmes motifs, messieurs, peuvent certainement vous disposer à accueillir favorablement le projet soumis à vos délibérations. Mais, messieurs, il faut avouer que, toutes les fois qu'il est question de la défense du pays, de l'indépendance nationale et par conséquent de la défense de tous les intérêts si nombreux qui s'y rattachent, cette question doit primer toutes les autres.

Il est encore une autre question, messieurs, qui, à mes yeux et sans doute aussi aux yeux de la chambre, prime également les autres, c'est la question de justice.

L'honorable M. Lebeau vous a dit, messieurs, que dans l'état actuel de l'instruction de l'affaire, il se reconnaissait incompétent pour juger de la nécessité des ouvrages de défense qu'on propose d'établir à Aerschot. Quant à moi, messieurs, j'irai beaucoup plus loin, je dirai qu'en tout état d'instruction de cette affaire, je serai forcé de me reconnaître incompétent pour résoudre une telle question. Cette compétence appartient, selon moi, au département de la guerre. (Interruption). J'entends un honorable membre réclamer contre l'opinion que j'émets, et je suis prêt à lui donner raison, lorsque la question de défense se mêle à des questions historiques, à des questions politiques que nous sommes à même d'apprécier, et, sous ce rapport, je serais parfaitement d'accord avec l'honorable M. Lebeau, que s'il s'agissait, par exemple, du maintien ou de la suppression de certaines autres forteresses, ce serait un point que nous devrions examiner très mûrement, et en comité secret. Mais, messieurs, dans le cas actuel, et surtout (page 606) d'après les faits que vous a rappelés l'honorable général Goblet, je pense que la question est bien plus simple. Cependant, je le répète, je me sens tellement incompétent à cet égard que je n'ai voulu qu'appeler en peu de mots votre attention sur l'autre question que j'ai indiquée, sur celle de justice.

Messieurs, qu'est-ce qui se passe ? L'honorable M. Goblet vient de vous le dire. Parmi les routes de la seconde catégorie, c'est-à-dire les routes qui ne pouvaient être construites que dans le cas où leur construction aurait été précédée de celle de certains ouvrages de défense, la plupart sont construites ou en voie de construction. On a été plus loin, on en a autorisé qui, selon le département de la guerre, n'auraient pas dû, dans l'intérêt de la défense du pays, être établies, et d'autres qui n'étaient pas prévues au moment de cette classification et qui présentent les mêmes désavantages.

Cependant, messieurs, voilà un point du pays où une route décrétée par le Roi, l'année dernière, ne peut être construite, la route d'Aerschot vers Zammel, et où une autre route décrétée par le gouvernement entre Aerschot et Tirlemont ne peut être terminée. Il y a plus : je m'attends à ce que les mêmes difficultés vont s'opposer à ce qu'un chemin de fer puisse passer par ce point. Car je ne vois pas pourquoi un chemin de fer trouverait grâce, si les routes pavées sont proscrites. Eh bien, je pose à la chambre ce dilemme : ou l'interdiction dont on frappe cette partie du territoire est un acte d'odieuse partialité, et vous devez y mettre un terme ; vous devez vouloir qu'on agisse envers cette partie du pays, comme l'honorable général Goblet vous a dit, qu'on avait agi à l'égard de plusieurs autres localités ; ou vous devez admettre que ce point est tellement important, que l'on ne peut se dispenser d'y faire les constructions demandées.

Voilà, messieurs, ce qui me paraît évident, et comme cependant je ne crois pas que la chambre veuille prendre sur elle la responsabilité de déclarer qu'il sera passé outre à l'opposition du département de la guerre ; comme je ne crois pas qu'elle veuille s'immiscer assez avant dans les détails qui sont réservés à la connaissance du génie militaire, pour décider que le point dont s'agit n'exige pas d'être fortifié, je pense qu'il ne nous reste qu'à adopter la seconde partie de l'alternative, c'est-à-dire à accepter la proposition qui vous est faite.

Je laisse à M. le ministre à répondre aux questions qu'a soulevées l'honorable M. Lebeau, quant au montant total de la dépense. Celle-ci s'effectuera successivement, et le département de la guerre lèvera son opposition, dès l'instant où il pourra commencer les travaux de fortifications ; une fois le principe posé, la responsabilité du département de la guerre se trouvera à couvert, et alors cette partie du territoire sera assimilée à toutes les autres où l'on a permis l'exécution de routes. Ce sera un simple acte de justice.

On a parlé, messieurs (je ne sais si cette question se reproduira), des servitudes militaires qui résultaient des fortifications.

Je ne sais quelle conséquence on veut tirer de cet argument. Si l'on veut attaquer la manière dont le gouvernement entend l'application de la loi de 1791, c'est une question que je ne puis ni ne veux empêcher d'honorables membres de traiter, mais qui ne se lie point à celle qui nous occupe ; c'est une question sur laquelle je pourrais fort bien être de l'avis de ceux qui ne partagent pas l'opinion du gouvernement, mais sans que cela ait la moindre influence sur mon vote en ce qui concerne le projet actuel.

Au surplus, si l'on trouve onéreuses les servitudes militaires résultant des fortifications existantes (et certainement c'est un sacrifice qui est demandé en faveur du pays), que doit-on dire alors d'une servitude qui pèse sur une grande partie non seulement de l'arrondissement de Louvain, mais aussi de la Campine, en faveur de fortifications qui n'existent pas, de la servitude de ne pouvoir faire aucune route dans le rayon d'une forteresse qui n'est pas construite et qui ne le sera jamais, si la chambre ne veut pas accorder les fonds nécessaires ? Je le répète, je fais un appel à la justice de la chambre pour que, de façon ou d'autre, elle replace ce territoire dans les mêmes conditions que le reste du pays, dans les mêmes conditions que les parties du pays où les routes sur lesquelles pesait un interdit semblable sont en voie de construction ou sont déjà terminées.

M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - Messieurs, à en juger par les discours des premiers orateurs, il semblerait qu'il s'agit ici d'une question tout à fait nouvelle et que, dans le projet de loi qui vous a été présenté, il y eût quelque chose de caché. L'honorable général Goblet vous a déjà exposé que la question date de 1835, qu'à cette époque elle avait été présentée, avec tous les développements qu'elle comporte, à votre section centrale. L'honorable membre vous a rappelé aussi que le projet de fortifier Aerschot était compris dans le système général de défense de la frontière du nord, qui faisait alors l'objet de la proposition de mon honorable prédécesseur, M. le général Evain, et que ce projet était nominalement mentionné dans le rapport de l'honorable M. de Puydt. Dès lors, messieurs, les explications qui accompagnent ce projet pouvaient être moins étendues.

On a demandé pourquoi cette proposition semblait déguisée sous le prétexte de l'opportunité de donner du travail à la classe ouvrière. Je dois rétablir les faits, et déclarer que les intérêts de la défense du pays sont ceux qui dominent dans le projet qui vous est soumis.

L'honorable préopinant vient de vous rappeler qu'il était question d'établir une route de Zammel à Aerschot. Nous avons dû examiner quels étaient les inconvénients que pourrait présenter sa construction, et nous avons été frappes de l'utilité du projet de M. le général Evain, d'établir des ouvrages de défense en avant d'Aerschot. J'examinerai brièvement les motifs sur lesquels se fonde cette opinion.

La zone centrale du pays, celle qui est comprise entre la Meuse et l'Escaut, présente trois voies de communication qui se trouvent perpendiculaires à notre frontière du nord. La première est la route de Bréda à Anvers ; la seconde est la route qui passe à Turnhout et ensuite à Diest ; la troisième est celle qui va de Bois-le-Duc à Hasselt.

La première de ces routes est commandée par la place d'Anvers. La seconde l'est aujourd'hui par la place de Diest. Mais il s'agit de donner un embranchement à cette route, embranchement qui conduirait, en évitant Diest, par Aerschot à Louvain et même à Bruxelles.

Cet embranchement satisferait à de grands intérêts commerciaux, industriels et agricoles ; mais il y a en même temps, ici, de grands intérêts militaires qui se trouvent engagés ; non seulement cette route deviendrait la voie la plus directe de Turnhout à Louvain et à Bruxelles ; mais elle irait aussi en rencontrer d'autres qui traversent le centre de notre pays, perpendiculairement aux deux frontières du nord et du midi.

Nous avons été frappés de la nécessité d'avoir une position militaire sur cette route. Or, quelle était la position la plus favorable, si ce n'est le point d'intersection entre cette route et le Démer ?

Notre projet est en outre des plus économiques ; car il s'agit, non pas de faire d'Aerschot une place entièrement fortifiée, mais d'établir, en avant de cette ville, un fort qui commanderait en même temps et la route à construire et la route d'Aerschot à Lierre.

L'ouvrage que nous vous proposons de construire, messieurs, a encore un autre avantage, c'est de défendre les barrages du Démer, de défendre, par conséquent, les inondations. Sans doute, messieurs, les inondations à étendre sur les Nèthes et sur le Demer contribueraient fortement à la défense du pays ; mais il faut observer que si les barrages ne sont pas couverts par des fortifications il sera très facile à l'ennemi de les rompre et de saigner les inondations. Il résulte de la que les inondations du Démer en amont d'Aerschot ne peuvent être assurées que par un fort de la même manière que celles en amont de Diest le sont par cette place ; sans ce fort, les inondations du Démer seront interrompues et par conséquent encore sous ce rapport l'ouvrage que nous nous proposons d'établir à Aerschot est une conséquence des ouvrages pour lesquels les chambres ont voté depuis nombre d'années des allocations, je veux parler des fortifications de Diest.

L'utilité de cet ouvrage consiste encore à maintenir libres les communications entre Diest et les places de Malines, d'Anvers et autres.

D'après les observations qui vous ont déjà été faites, cette fortification d'Aerschot non seulement est jugée nécessaire aujourd'hui, mais elle a déjà été reconnue l'être en 1835. Elle a été trouvée nécessaire alors, aussi bien par mon honorable prédécesseur le général Evain que par le comité du génie et par votre section centrale.

La conclusion a toujours été la même, savoir que cet ouvrage doit être exécuté.

La seule question est celle-ci : Sera-t-il exécuté demain ou le sera-t-il aujourd'hui ? Eh bien, messieurs, il y a des raisons très fondées de le faire exécuter de préférence aujourd'hui. Ces travaux eux-mêmes procureront de l'occupation à la classe ouvrière, ce qui sera très utile dans ce moment et en second lieu, toutes les difficultés étant levées on pourra en même temps procéder à la construction de la route.

M. de Villegas. - Messieurs, les observations critiques que l'on a dirigées en ce qui concerne l'utilité des travaux militaires sur la ligne du Démer ne s'appliquent pas au projet de parachèvement des travaux à exécuter à Audenarde. Il ne s'agit ici que fermer la place en aval de la ville et de continuer les ouvrages interrompus depuis les événements de 1830.

D'après les renseignements que j'ai obtenus, les dépenses n'excéderaient pas la somme de 80,000 fr.

L'opportunité de ces dépenses est incontestable. Le district d'Audenarde a droit à toute la sollicitude de la chambre. C'est par le travail que l'on doit s'évertuer à soulager la misère affreuse et sans cesse croissante qui. existe dans la presque totalité des communes.

Aussi n'ai-je pas demandé la parole pour m'opposer au crédit pétitionné. Je ne me suis levé que dans l'intention d'adresser quelques interpellations a M. le ministre de la guerre.

Avant 1830, le génie hollandais, d'accord avec le waterstaat, avait projeté la rectification de l'Escaut, en aval d'Audenarde, dans l'intérêt de la navigation et de la défense de la place. Ce projet avait reçu un commencement d'exécution. Depuis la révolution, on l'a abandonné.

L'intention du département de la guerre est-elle de renoncer définitivement à ce projet de rectification mis en harmonie avec la défense de la place ?

Pour couvrir la totalité des dépenses, on se propose de vendre entre autres les terrains sur la hauteur de Bevere évalués par approximation à la somme de 68,250 fr.

Là le terrain a été remué en tous sens et a été préparé pour établir un fort. Pourquoi n'en ordonne-t-on pas le nivellement avant de l'exposer en vente, ou de le rétrocéder, en vertu de la loi de 1835 ?

Si ce nivellement avait lieu, la valeur vénale serait augmentée et l'on ferait ainsi une dépense productive, par le travail donné à la classe ouvrière, Si mes renseignements sont exacts, ces parcelles de terre situées à proximité de la ville appartiennent à la première classe et pourraient être vendues jusqu'à 10,000 francs par hectare. Au lieu de réaliser 68,000 fr., le prix de la vente s'élèverait ainsi à 130,000 fr. et l'excédant compenserait amplement les frais de nivellement.

En troisième lieu, je désire savoir quel est le plan de parachèvement des travaux définitivement adopté par l'administration de la guerre ?

L'un de ces plans renfermait le projet d'étendre l'enceinte de la ville. Lui a-t-en accordé la préférence ? Le conseil communal d'Audenarde a fortement appuyé l'adoption de ce plan et a transmis au département de la guerre des observations fort justes sur l'utilité d'un projet destiné à agrandir (page 607) l'enceinte de la ville resserrée au dedans et traquée au dehors par les servitudes défensives. Cette extension était demandée dans l'intérêt de l'avenir commercial ou industriel de la ville et dans la prévision d'établir à l'intérieur la station du chemin de fer projeté de Gand à Audenarde. J'aime à croire que le département de la guerre a eu égard à ces réclamations et a saisi avec empressement l'occasion de faire chose agréable à la ville d'Audenarde et de réparer le tort qu'il lui a fait éprouver. M. le ministre de la guerre comprend parfaitement bien l'allusion que je fais. Ne doit-il pas, en effet, se rappeler que c'est à l'excitation du département de la guerre que la ville d'Audenarde a fait des dépenses énormes pour la construction de ses casernes de cavalerie, que l'Etat lui a fait des avances et qu'immédiatement après avoir construit à grands frais un superbe manège, sur la foi des promesses ministérielles, sa garnison de cavalerie lui a été retirée et demeure retirée, malgré les réclamations les plus pressantes. M. le ministre de la guerre n'a pas tellement perdu le souvenir de ces douloureux sacrifices, que nous désespérions d'obtenir justice de sa loyauté.

Je ne dirai que quelques mots relativement à la question des servitudes militaires, dont a parlé l'honorable M. de la Coste. Cette question a été indiquée par l'honorable M. Manilius dans une séance précédente, alors qu'il s'est agi de la fixation à l'ordre du jour du projet de loi en discussion. Cette question de servitudes militaires est extrêmement grave. Je ne la traiterai pas ici. Je me contenterai de signaler à l'attention de M. le ministre de la guerre la nécessité généralement reconnue de modifier la législation qui régit la police des fortifications, et de tempérer la rigueur de cette législation en étendant, comme on l'a fait en France, la tolérance spécifiée par l'article 30 de la loi du 10 juillet 1791, à toute espèce de bâtiments ou clôtures situés hors des places ou postes militaires.

M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - L'honorable préopinant m'a adressé différentes interpellations au sujet desquelles je ne puis pas lui fournir une réponse immédiate parce que je n'ai pas ici tous les documents nécessaires. Je puis cependant lui donner quelques indications sur les principaux points.

En ce qui concerne le nivellement des terrain de Bevere, c'est une question qui a été examinée par le génie, et il a trouvé qu'il n'est pas de l'intérêt de l'Etat de niveler ces terrains avant de les vendre ; il a trouvé qu'il valait mieux les vendre tels qu'ils sont.

Quant au plan de la place, il avait été arrêté et exécuté en partie avant 1830. Depuis lors il y a été introduit plusieurs modifications, mais ces modifications ont été adoptées en grande partie dans l'intérêt de l'Etat, pour diminuer la dépense sans pour cela compromettre l'intérêt de la défense.

En ce qui concerne la garnison de cavalerie qui a été retirée de la place d'Audenarde, je dois faire observer que la caserne a été construite lorsque l'armée se trouvait sur le pied de guerre, lorsque nous avions un effectif considérable. Depuis cet effectif a été réduit d'une manière notable, et il en est résulté qu'il a fallu réduire une partie des garnisons C'est la seule raison pour laquelle on a retiré la cavalerie de la ville d'Audenarde. Du reste ceci a été fait depuis plusieurs années ; c'était avant mon arrivée au département de la guerre.

M. Lys. - Je ne viens pas, messieurs, soutenir qu'il n'y a pas lieu de construire des fortifications à Aerschot ; je ne veux pas, en ce moment, en contester la nécessité ; mais je viens m'opposer à ce que l'on accorde le crédit demandé, avant que le gouvernement ne nous ait fourni les plans et les devis estimatifs.

Non seulement, messieurs, ces documents ne nous ont pas été fournis, mais M. le ministre a déclaré lui-même que les études n'étaient pas achevées Or, si, dans cet état des choses, vous accordiez le crédit, vous tomberiez dans la même erreur qui a déjà été commise. Quand il s'est agi des chemins de fer, vous avez admis des plans qui n'étaient pas parfaitement étudiés, et de là il y a eu lieu à beaucoup de mécomptes, et de grandes difficultés sont survenues. Mais, dans la position actuelle, il n'y a pas de plan arrêté, il n'y a pas de devis estimatif ; des études sont peut-être à peine commencées.

Je citerai un fait qui établit déjà la perte que l'Etat peut faire et fait réellement. Il y a ici des quantités de propriétés que vous avez à vendre et qui ont été expropriées par le gouvernement. Si les études avaient été bien faites, vous n'auriez pas tous ces terrains à vendre ; et remarquez-le, vous ne trouverez pas un prix de vente proportionné à celui que l'objet vous a coûté II arrivera souvent que vous revendrez pour une bagatelle des terrains que le gouvernement a dû acquérir pour des sommes considérables. Pour les terrains que l'on a expropriés pour la forteresse de Diest, on a dépensé la somme énorme de 1,400,000 fr. On ne vous demandait pour toutes les forteresses que trois millions, et aujourd'hui les dépenses sont déjà fixées à 7,500,000 fr.

Ainsi, les ventes de terrains que vous avez à faire aujourd'hui, résultent de la manière incomplète dont on avait fait les études. Eh bien, on avoue aujourd'hui qu'il n'y a pas encore de plan et de devis ; vous pouvez donc encore tomber dans la même erreur.

Le ministre ne peut pas venir se borner à nous dire : « Vous pouvez faire aujourd'hui les travaux. » Pour faire une semblable déclaration, il y a une obligation préliminaire qui incombe à M. le ministre ; il devait se présenter avec des études parfaitement faites, avec des plans et un devis estimatif ; mais M. le ministre ne peut pas venir nous demander des fonds, sans produire aucune de ces pièces.

C'est en présence de charges extraordinaires qui ne sont pas couvertes par vos budgets qu'on vient nous demander des fonds. Et que vous dit-on pour les obtenir ? Il faut satisfaire aux besoins de la classe ouvrière, en lui procurant du travail !

Messieurs, ce sont là des mots et rien de plus. Le projet de loi n'est pas destiné à venir en aide à la classe ouvrière. En effet, le projet de loi ne pourra être adopté par les deux chambres avant la fin du mois de février ; l'achèvement des études et du plan vous conduira jusqu'à la fin de mars ; puis viendront les adjudications publiques, et vous arriverez nécessairement à la fin d'avril ; la classe ouvrière aura alors assez de travaux ; elle n'est donc pour rien dans le projet actuel, et la considération qu'on invoque, à l’appui du projet, n'est donc pas fondée.

Maintenant, rien n'empêche la construction des routes qui sont déjà décrétées. Une fois les études faites de la part du gouvernement, la direction des routes est certaine, et rien ne peut plus s'opposer à l'exécution.

M. le ministre de la guerre nous dit : Je veux avoir la certitude que mes ouvrages se feront ; mais M. le ministre demandant 400,000 fr., ne propose pas la somme nécessaire pour ces ouvrages ; il faut une somme beaucoup plus considérable qu'il faudra demander plus tard. Or, la chambre l'a déjà déclaré plus d'une fois elle n'a pas le droit de s'obliger pour l'avenir. En obtenant aujourd'hui ce qu'il demande. M. le ministre de la guerre n'obtient aucune garantie pour le restant de la dépense ; tout ce qu'il peut faire, c'est de faire faire les études ; de celle manière, les routes pourront se construire. Il y a d'ailleurs des précédents qui établissaient que la chambre a confiance dans M. le ministre de la guerre ; M. le ministre doit donc compter sur le dévouement de la chambre, pour tout ce qui concerne l'intérêt ; du pays ; elle sera toujours très disposée à voter les fonds nécessaires que pourra exiger le système de défense de la Belgique.

M. le ministre de la guerre ne peut donc pas venir nous lier aujourd'hui par un crédit qui n'est qu'une très faible partie de la dépense totale qu'il sera nécessaire de faire de ce chef.

On a dit qu'il y avait un système arrêté pour la défense du pays. Mais je crois que le canal de la Campine a quelque peu changé ce système de défense. Ce canal est, selon moi, une ligne de défense. Je ne suis pas assez compétent pour raisonner ex professo sur cette matière, mais je crois que le canal de la Campine a amélioré le système de défense du pays.

Par ces considérations, je proposerai de supprimer l'article premier du projet de loi et d'ajouter à l'article 2, qui deviendrait l'article unique de la loi :

« En se conformant au principe de rétrocession établi par l'article 23 de la loi du 17 avril 1835, ou en procédant à l'adjudication publique. »

M. Manilius. - Messieurs, la chambre est sans doute convaincue que cette loi que M. le ministre de la guerre nous a présentée comme très innocente n'est pas aussi restreinte qu'on l'a prétendu. Il ne s'agit de rien moins que de l'intervention d'un honorable général, député de Tournay, pour nous développer tout le plan stratégique qui a été conçu en 1835.

Ce plan stratégique de 1835 date d'une époque où nous étions en guerre avec la Hollande. Je ne pense pas que sérieusement il s'agisse de la continuation de ce plan ; il n'en est rien ; car s'il était question de continuer le plan de 1835, il ne s'agirait pas de poser aujourd'hui le principe. C'est ce que nous a fort bien montré l’honorable M. de la Coste.

Pour nous tirer de l'incertitude où nous nous trouvons, faites donc connaître votre principe ; nous ne demandons que cela ; déclarez qu'il s'agit aujourd'hui d'un nouveau plan stratégique, qu'il s'agit d'une combinaison nouvelle. Et, en effet, il doit s'agir d'une combinaison nouvelle. Aujourd'hui nous sommes en paix avec la Hollande, nous avons des traités qui garantissent notre indépendance et notre neutralité ; notre siluation est actuellement tout autre qu'elle n'était en 1835.

Je dois regretter que M. le ministre de la guerre vienne ainsi, d'une manière détournée, agiter une question aussi sérieuse, en laissant à la chambre et à lui-même si peu de temps pour étudier cette grave question. En effet, à la suite de demandes qui lui ont été posées par la commission, M. le minisire de la guerre a été contraint de dire que les plans n'étaient pas achevés.

Quoi ! les plans ne sont pas achevés !... et l'on veut que la chambre consacre le principe d'une dépense nouvelle qui doit s'élever à des millions.

Vous voyez donc, messieurs, que le projet de loi présenté par M. le ministre de la guerre est des plus graves, et je crois qu'en adhérant à la proposition de l'honorable M. Lebeau, nous ferons acte de sagesse et de prudence.

Le projet de loi a trouvé des défenseurs. Ces défenseurs sont, entre autres, les députés de l'arrondissement de Louvain. Mais cette adhésion a-t-elle bien pour objet l'intérêt de la défense du pays ? Non, messieurs ; en effet, l'honorable M. de la Coste s'est borné à signaler la nécessité de faire cesser l'espèce d'asservissement dans lequel son canton se trouve vis-à-vis du département de la guerre.

Comment ! M. le ministre de la guerre s'oppose à l'exécution de routes qui ont été décrétées par arrêté royal ; il s'oppose à cette exécution, non pas parce qu'elle n'entre pas dans le plan de sa tête de pont ; mais il s'y oppose parce qu'il voulait avoir dans cette chambre quelques voix de plus pour sa forteresse. Il faut que ces députés votent ma forteresse, s'ils veulent avoir leur route ! Voilà le motif de l'opposition de M. le ministre de la guerre. Eh bien, je dis que M. le ministre de la guerre n'a pas le droit de s'opposer à l'exécution de routes qui ont été décrétées par arrêté royal.

Je n'entrerai pas dans d’autres détails.

Je ne suis pas compétent non plus pour parler du système de défense qui convient le mieux au pays, mais je suis compétent comme député pour traiter cette grave question de fortifications non dans ses détails, mais dans son ensemble et dans ses rapports avec la situation du pays et avec la législature.

Messieurs, nous avons dans notre pays une quantité de forteresses. Nous en avons de toutes les couleurs : nous avons des forteresses espagnole, des (page 608) forteresses françaises, des forteresses prussiennes et anglaises, bavaroises, que sais-je ? Nous avons aussi des forteresses hollandaises. Nous avons aussi une forteresse nationale que la législature belge a votée ; c'est la forteresse de Diest. C'est la seule qui ait été faite dans l'intérêt de la révolution belge, dans l'intérêt de la défense de la Belgique.

Lorsqu'on veut avoir un système de défense, on ne vient pas, par une demande faite d'une manière maladroite, s'exposer à voir discuter le système des forteresses ; on vient avec un plan arrêté qu'on développe franchement sans détour ; voilà ce que nous exigeons du ministère, et alors ce serait le moment de voir si nous pouvons voter les dépenses que l'on justifierait pour la défense nationale, et s'il est nécessaire de voter tous les ans dans le budget des dépenses énormes pour l'entretien de ces forteresses portées au chapitre du matériel du génie et de l'artillerie, crédits que l'on réclame pour des forteresses qui n'ont pas la couleur nationale, pour des forteresses destinées tantôt contre la France, tantôt contre je ne sais qui, situées au cœur du pays, disséminées sans être rattachées au système de défense de notre royaume nouveau, mais se rattachant à des séries de forteresses appartenant à d'autres puissances réunies et alliées entre elles.

Je le répète, ce n'est pas le moment d'entrer dans ces détails, je craindrais d'aller trop loin si je donnais libre carrière à mes pensées. Cette question doit être traitée avec calme et prudence, quand les circonstances le. demanderont. Ces circonstances pouvaient exister en 1835, elles ne le peuvent pas aujourd'hui, surtout quand nous sommes en état de paix avec la Hollande. Il est vrai que nous avons une petite guerre de tarif, mais le moment est mal choisi, quand nous avons un ministre plénipotentiaire à la Haye pour la faire cesser, de demander des fonds pour fortifier notre ligne contre la Hollande.

Comme je l'ai dit en commençant, je ne voterai pas pour la partie du projet relative aux fortifications d'Aerschot. Je me rallierai, dans l'intérêt de la classe ouvrière, à la demande faite pour les déblais à opérer à Hasselt et les quelques travaux à exécuter à Audenarde.

L'honorable député d'Audenarde, en prenant la parole dans cette discussion, a dit que j'aurais fait entrevoir l'intention d'examiner la question des indemnités et des servitudes militaires. Je ne m'étendrai pas à cet égard, je dirai seulement que les lois sur cette matière n'ayant pas été faites au même point de vue que les lois fondamentales que la Belgique s'est données, il est urgent de les modifier pour les mettre en harmonie avec notre droit public. Déjà ces lois ont donné lieu à des procès qui, de première instance, ont été portés en appel et jusque devant la cour de cassation. Qu'est-il arrivé ? En cassation, on a décidé que les servitudes militaires pouvaient être utiles dans l'intérêt public et devaient être reconnues en vertu de la loi de 1791, décret de 1811 et arrêté-loi de 1815. Quand on a opposé la loi fondamentale de 1815 et la constitution de 1830 qui prescrivent que quand on exproprie on doit payer une indemnité, on s'est trouvé dépourvu de loi pour régler la manière d'indemniser ; paice que le pouvoir judiciaire s'est trouvé en présence de lois d'un autre siècle, de lois de la république, de lois d'un peuple conquérant qui voulait gouverner l'univers, qui ne voyait que guerres et conquêtes. Ce sont ces lois qui doivent encore régler la matière. Si nous voulons organiser un système de défense, établissons des forts aux frontières qui en sont dépourvues, mais ne laissons pas au cœur du pays des forteresses inutiles dont les charges, les servitudes sont nuisibles à l'industrie, nuisibles aux propriétaires, nuisibles à notre ordre social, incompatibles avec notre pacte fondamental.

Tous les jours, dans la série de sessions législatives que nous avons eue, le gouvernement est venu proposer des modifications aux anciennes lois qui nous régissent. Naguère nous avons consacré 12 ou 15 jours à apporter des modifications à la loi de 1669 sur la chasse, loi en vertu de laquelle on n'aurait osé intenter un procès, tandis qu'on ne propose pas de changement à la loi de 1791 qu'on applique tous les jours, bien que ce soit une loi de la révolution française, de la république, une loi faite pour le temps des grandes guerres.

Messieurs, mon observation ne doit aboutir qu'à un vœu, mais je préviens M. le ministre de la guerre, que ce vœu je le renouvellerai chaque fois que l'occasion s'en présentera pour qu'un ouvre enfin les yeux sur la contradiction, l'incompatibilité qui existe entre la Constitution et les lois relatives aux places fortes, aux servitudes militaires et au classement des places fortes.

Comme je viens de le dire, je ne voterai le projet de loi qu'autant qu'on en retranche ce qui est relatif aux fortifications d'Aerschot.

M. le ministre de la guerre (M. Dupont). - L'honorable préopinant vient de dire que nous sommes dans une situation différente de celle de 1835, que par conséquent nous ne devons pas songer à prendre des mesures de défense. Cette doctrine n'est pas celle qui est généralement admise par les nations qui attachent du prix à leur indépendance.

En effet, si nous jetons un coup d'oeil sur ce que font nos voisins, nous voyons la France, en plein état de paix, s'occuper activement de fortifications ; l'Angleterre est préoccupée de la même question, et permettez-moi de vous le dire, nous voyons la Hollande s'en occuper également.

Ce pays, qui a sa frontière du nord déjà fortement défendue par deux lignes d'inondation : la ligne du Wahal et la ligne de la Meuse, et en outre par de nombreuses places fortes du Brabant septentrional ; ce pays, dis-je, a encore jugé nécessaire de construire des ouvrages de fortifications, savoir : un camp retranché à Vucht en avant de Bois-le-Duc et des ouvrages à Tilbourg, à cheval sur cette même route, sur laquelle nous demandons à placer un fort.

L'on a fait observer que la question d'Aerschot n'était pas suffisamment instruite. J'ai déjà rappelé de quelle manière la question s'est présentée.

Il s'agissait de faire faire une route le plus tôt possible afin de fournir du travail à la classe ouvriers. Nous avons cru de notre devoir d'examiner sans retard ce projet, et l'intérêt du pays nous a conduits à venir vous dire : Cette route rend indispensable la construction de quelques ouvrages de fortifications au point d'Aerschot. Nous avons en même temps envoyé des ingénieurs sur les lieux pour faire les études nécessaires. Il existe un avant-projet, mais le plan définitif n'est pas adopté,et je ne pense pas que cela importe beaucoup à la discussion ; car ne perdez pas de vue, messieurs, qu'il ne s'agit que d'un simple fort pour lequel je ne vous demande qu'un premier subside. Je me suis engagé à ne pas dépasser la somme totale d'un million et demi, et je prendrai toutes les mesures pour arriver à ce résultat.

On m'a dit que, pour Diest, la dépense prévue a été de beaucoup dépassée. Mais il y a une grande différence entre les travaux de Diest et ceux-ci. A Diest on a fait une forteresse complète. Les travaux ont été étendus successivement ; cependant le devis en a été définitivement arrêté en 1837, et ce devis ne diffère pas de cent mille francs de la somme qui a été dépensée. Je crois devoir rappeler, à ce sujet, que le ministre de la guerre en 1841, a présenté à la section centrale chargée de l'examen du budget de la guerre, des notes justificatives de toutes les dépenses qui ont été faites.

Si l'on n'a pas pu se circonscrire dans ces travaux, on le peut dans ceux dont il s'agit, et c'est ce que nous avons déjà fait. L'avant-projet nous a paru trop étendu ; en l'examinant, nous avons craint que la somme d'un million et demi ne fût dépassée. C'est pour cette raison que nous l'avons renvoyé à l'inspecteur général du génie, pour l'examiner avec le comité de cette arme en lui recommandant de ne pas perdre de vue qu'il devait rester au-dessous d'un million et demi dans le devis estimatif, et que toutes les mesures devaient être prises pour que cette somme ne fût pas dépassée lors de l'exécution des travaux.

Il nous sera d'autant plus facile de restreindre l'étendue de ce fort que, d'après le projet qui existe, les deux routes de Zimmel et de Lierre doivent être réunies en avant du fort, de sorte qu'il n'aura à défendre qu'une seule partie de route.

Vous voyez donc qu'à propos de cette forteresse d'Aerschot il ne sera pas, dépensé des millions et des millions comme le disait l'honorable M. Manilius.

Quand j'ai proposé à la chambre d'élever un fort à Aerschot, j'ai rempli un devoir. Il s'agissait d'un grand intérêt public. Je me suis trouvé dans l'obligation, comme je l'ai fait tantôt, de dire à la chambre : Telle route offre tel danger, tant que vous n'y aurez pas placé un ouvrage fortifié. Je me suis vu dans la nécessité de dire à la chambre : Ces millions dépensés dans la forteresse de Diest l'auront été en grande partie inutilement, si vous n'admettez pas ce simple fort. C'est un devoir que j'ai rempli. et en venant le remplir, je me suis souvenu de cette sollicitude de la chambre qui s'attache à tous les intérêts publics, les intérêts militaires y compris.

J'espère que la chambre, avant de repousser ce projet de loi, vaudra bien en peser mûrement l'importance.

L'honorable M. Lys nous a fait aussi quelques objections relativement aux parcelles de terrains dont nous avons projeté la vente. Nous avons indiqué les places auxquelles ces parcelles appartiennent. C’était assez vous dire que ces terrains ont été acquis il y a plus de quinze et même de vingt-cinq ans.

Depuis lors, ces parcelles n'ont pas été perdues, elles ont été mises en location ; et le produit en a été porté annuellement au budget des votes et moyens.

Je ferai observer d'ailleurs que, depuis que ces terrains ont été acquis, les propriétés ont en général éprouvé une grande augmentation de valeur, et qu'ainsi les parcelles dont il est question seront, selon toutes les probabilités, vendues beaucoup plus cher qu'elles n'ont été achetées.

Cependant je dois faire une restriction ; car je crois qu'il serait de toute justice d offrir la préférence à celui qui a été exproprié dans le temps.

Je vous avoue, messieurs, que lorsque j'ai eu l'honneur de présenter ce projet de loi, je ne me suis nullement attendu à ce qu'on soulevât, à propos de la construction d'une simple forteresse, une question de droit aussi grave que celle des servitudes. La matière des servitudes a été réglée par des lois. Ces lois ont non seulement occupé l'attention du département de la guerre, mais leur application a été discutée devant de nombreux tribunaux, depuis quelques années. Ces tribunaux et la cour de cassation ont trouvé que ces lois étaient d'accord avec notre Constitution. Dès lors, le gouvernement a jugé qu'il n'était pas indispensable de venir soulever une question de cette importance.

Permettez-moi de vous faire observer que les servitudes militaires sont la suite inévitable de l'établissement des forteresses. Du moment qu'on conserve des forteresses, il est nécessaire qu'on prenne des mesures pour que le terrain environnant reste libre, n'offre pas de couvert qui mette les attaquants à l'abri des feux de la place. Ces servitudes ne sont donc pas nouvelles et elles ont été fixées, depuis de longues années, par des lois.

En France on avait déjà une loi dès l'an 1670.

En Belgique, nous avons eu les placards de Marie-Thérèse dès 1771.

En France, la loi de 1670 a été remplacée d'abord par la loi de 1791, ensuite par le décret impérial de 1811 ; elle a subi une nouvelle modification par la loi de 1819. Mais cette loi de 1819 n'a pas toute la portée que certains orateurs ont semblé lui attribuer.

Cette matière est réglée dans notre pays par la loi de 1791,et par l'arrêté de 1815.

Les principes sur lesquels ont été basées les lois concernant les servitudes sont ceux-ci : La servitude n'est pas la dépossession ; elle est une gêne, une dépréciation peut-être, mais tout au profit d'un grand intérêt public.

Dans toutes les législations que j'ai citées, il a été établi qu'on ne devait pas d'indemnité pour ce genre de servitude. Je l'ai déjà dit, cette question a (page 609) été agitée devant plusieurs tribunaux et cours d'appel et devant la cour de cassation qui a confirmé le principe,

S’agit-il de changer la législation actuelle tout exprès pour le fort d'Aerschot ? D'abord relativement à cette forteresse, cette servitude n'offre pas une grande importance.

Les places de troisième classe et les forteresses n'ont qu'une seule zone, ne s'étendent qu’à 195 mètres.

Ensuite, si vous admettiez une législation nouvelle pour la place d'Aerschot, quel en serait le résultat ? C'est qu'on nous demanderait d'appliquer cette législation à toutes les autres places fortes du royaume. Eh bien, messieurs, c'est alors que cette mesure entraînerait à des millions et des millions comme l'a dit l'honorable M. Manilius, et je ne pense pas que la chambre soit disposée, en ce moment, à voter tous ces millions. Je ne pense pas, d'un autre côté, que, dans cette attente, toutes les questions de fortifications doivent rester indécises, et je demande de nouveau que la chambre veuille bien se prononcer sur le projet des fortifications d'Aerschot sans attendre la solution de la question soulevée par l'honorable M. Manilius.