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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 23 avril 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1441) M. Huveners procède à l’appel nominal à une heure et un quart.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Chaudfontaine demande le rejet de la proposition de loi sur les céréales signée par 21 députés. »

« Même demande de plusieurs habitants de Clermont. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen des propositions de loi sur les céréales.


« Plusieurs habitants de Horpmael demandent l’adoption de la proposition de loi sur les céréales signée par 21 députés. »

« Même demande des habitants de Grand-Looz, Cuttecoven, Mettecoven et de l’administration communale de Voroux-Goreux. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Lanaye prient la chambre d’autoriser le gouvernement à accorder la concession du chemin de fer de Liége à Maestricht. »

« Même demande de plusieurs habitants de Lixhe. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Leloup, vétérinaire à Chénée, prie la chambre de modifier quelques-unes des dispositions sur l’exercice de la médecine vétérinaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Hooglede demande que le chemin de fer projeté de Bruges à Roulers passe par Thourout. »

- Renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi concernant ce chemin de fer.


« Les sieurs Dandrimont, Delmarmol et autres membres de la commission des charbonnages liégeois, présentent des observations contre le chemin de fer projeté de Liége à Maestricht. »

M. Lesoinne – Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau, pendant la discussion du projet de loi relatif au canal latéral à la Meuse.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs propriétaires de Namur prient la chambre de s’occuper du projet de loi sur la chasse. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi.


« L’administration du mont-de-piété de Bruxelles présente des observations sur le projet de loi concernant les ventes publiques à l’encan de marchandises neuves. »

- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi.

Projet de loi réorganisant la poste aux chevaux et les autres services de transport en dehors du chemin de fer

Discussion des articles

Article 2

M. le président – Nous sommes arrivés à l’art. 2, dont le gouvernement a demandé l’ajournement. Nous passons à l’art. 3.

Article 3

« Art. 3. Le gouvernement est autorisé à réorganiser la poste aux chevaux et à accorder des subventions aux titulaires des relais qui devront être maintenus. »

La section centrale ne fait pas d’amendement.

M. Verhaegen – Messieurs, dans tous les pays, la législature a attaché une haute importance à la poste aux chevaux. Cette importance n’est contestée, je pense, par aucun membre de cette assemblée, si ce n’est pour certaines localités, c’est-à-dire, pour les lignes parallèles au chemin de fer.

Messieurs, je ne puis partager l’opinion des honorables membres qui prétendent que la poste aux chevaux est devenue inutile dans les localités qui sont en possession d’un chemin de fer. D’abord, dans ces localités, il peut arriver fréquemment que la circulation par le chemin de fer soit interrompue. Il suffit de rappeler l’éboulement du tunnel de Cumptich ; cet accident est cause que beaucoup de voyageurs se sont servis de la poste jusqu’à Tirlemont, au lieu de prendre le chemin de fer. D’un autre côté, la suppression des relais de poste parallèles aux chemins de fer, n’est pas possible à un autre point de vue et il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’œil sur la carte de la Belgique.

En effet tous les relais parallèles suivants aboutissent, savoir :

1° Verviers à Theux, Spa, Stavelot, Malmédy, etc. ;

2° Saint-Trond à Looz, Tongres, Maestricht ;

3° Liége à Dinant, Herve, Maestricht, Tongres, la route d’Aywaille, Theux et Spa ;

4° Tirlemont à Jodoigne, St-Michel, route de Gembloux, Namur et Charleroy ;

5° Louvain à Diest, Aerschot, Wavre, Nivelles, Namur, Tervueren, etc. ;

6° Malines à Aerschot, Diest et Lierre ;

7° Termonde à Lokeren, Bruxelles ;

8° Gand à Terneuzen, Eecloo, Alost ;

9° Bruges à Courtray, l’Ecluse, Thourout, Blankenberg, etc. ;

10° Ostende à Nieuport, Thourout, Furnes, Dunkerque ;

11° Deynze à Thielt, Pitthe, Roulers ;

12° Courtray à Audenaerde, Renaix, Lessines, Bruges, Menin ;

Sur la ligne du Midi.

1° Hal à Enghien, Nivelles, Waterloo ;

2° Soignies à Lessines, Roeulx, Fontaine-l’Evêque ;

3° Mons à Ath, Binche, Fontaine-l’Evêque, Beaumont, Philippeville ;

4° Quiévrain à Condé, Peruwelz, Leuze, Tournay, etc.

5° Charleroy à Nivelles, Fosse, Beaumont, Philippeville, Fontaine-l’Evêque.

Quel est donc le membre de cette assemblée qui viendrait proposer après cela la suppression non pas de tous les relais, mais d’un seul d’entre eux !

L’importance des relais de poste est donc incontestable ; cette importance est aussi grande en Belgique qu’en France, et dans ce dernier pays on ose vouloir venir sérieusement au secours de la poste aux chevaux.

Maintenant comment faut-il réorganiser la poste aux chevaux ? Moi qui veut réellement cette organisation, je ne trouve pas, je dois le dire, des éléments de succès dans le projet de M. le ministre des travaux publics, surtout depuis l’ajournement de l’art. 2 auquel le ministre a consenti. Quelles ressources restent aujourd’hui au gouvernement pour venir au secours des relais en souffrance, ces ressources sont-elles suffisantes ? Voilà la véritable question et c’est de cette question que dépendra mon vote.

Messieurs, il ne s’agit pas de faire les choses à demi, il faut les faire d’une manière convenable ou ne pas les faire du tout. Certes, il eût été à désirer, si le temps l’avait permis, que l’organisation se fit par la législature et qu’une loi réglât définitivement le service des relais, dans l’intérêt de tous ; mais il y a urgence, car la position des maîtres de postes n’est plus tenable…

M. de La Coste – Je demande la parole.

M. Verhaegen – Messieurs, on s’est beaucoup appesanti sur l’intérêt général engagé dans le maintien des relais de poste, et on a eu raison, mais jusqu’à présent on a négligé de traiter une autre question. Indépendamment de l’intérêt général, il y a encore des intérêts privés à l’égard desquels il peut y avoir des droits acquis ; j’entends parler des intérêts des maîtres de postes eux-mêmes.

Messieurs, je ne sais pas si, de la manière dont les relais de poste ont été concédés, il n’y a pas là quelque chose qui participe du titre onéreux. Les maîtres de poste, en obtenant leurs relais, ont contracté vis-à-vis du gouvernement des obligations souvent très-grandes et qui consistent, entre autres, à assurer le transport des dépêches et à avoir constamment à la disposition du gouvernement lui-même un nombre déterminé de chevaux.

(page 1442) S’il est vrai qu’il y a dans la concession des relais quelque chose qui tient du titre onéreux, au point qu’en Belgique et en France les relais ont fait l’objet de cessions successives, il y a lieu d’examiner si l’on peut bien mettre de côté ces droits acquis par suite d’obligations corrélatives prises par les titulaires vis-à-vis du gouvernement ; dès lors les intérêts privés qui sont en jeu méritent aussi de fixer l’attention du gouvernement et des chambres dans l’organisation qu’il s’agit de faire.

La loi de l’an XIII, en établissant 25 centimes à charge des messageries, avait déjà envisagé la chose à ce point de vue.

C’est parce qu’on avait touché à l’organisation primitive, parce qu’on avait enlevé certains droits acquis aux maîtres de poste, qu’ils avaient obtenu en l’an XIII une indemnité à charge des messageries.

Je n’ai pas à m’expliquer maintenant sur la nécessité ou l’opportunité de maintenir cette indemnité, cette question reste entière ; toujours est-il que, d’après le principe de la loi, il a été reconnu que les relais constituent, sinon une propriété proprement dite, du moins un droit acquis à titre onéreux, en raison des obligations imposées aux maîtres de poste vis-à-vis du gouvernement.

J’ai donc l’honneur de fixer l’attention toute spéciale de la chambre sur ce point dont on ne s’est pas encore occupé jusqu’à présent. Ne perdons pas de vue, messieurs, qu’en faisant table rase pour procéder à une organisation nouvelle, nous ne pouvons cependant pas porter atteinte à des droits acquis à titre onéreux.

En résumé, j’attendrai les observations de M. le ministre des travaux publics pour me déterminer sur le parti qui reste à prendre, car je désire vivement que la poste aux chevaux soit réorganisée d’une manière convenable et solide.

M. de Man d’Attenrode – Messieurs, la législature, en allouant les capitaux nécessaires à l’établissement d’un système de communications par des chemins de fer, a sensiblement amélioré les moyens de transports des centres de population, que nos voies ferrées parcourent.

Mais ces dépenses, en améliorant la situation des uns, a fait grand tort à la situation des autres.

Le résultat immédiat de la construction des chemins de fer a été l’anéantissement de la poste aux chevaux, la suppression de nombreux services de messageries ; et ceux des services qui ont continué à marcher, se sont fait remarquer par un manque de soins et de garanties pour les voyageurs, qu’on peut attribuer en partie à la négligence que met le gouvernement à surveiller, à contrôler leur matériel, leur personnel et à tenir la main à l’observation des conditions imposées par les concessions.

Le but principal du projet en discussion est de porter remède à cet état de choses.

L’art. 2 était destiné à permettre au gouvernement de monter lui-même des services de messageries dans les directions où l’industrie particulière n’offrirait pas les garanties suffisantes, dans les directions où l’industrie particulière ferait défaut. Le gouvernement eût ainsi stylé en quelque sorte l’industrie particulière, si arriérée en fait de transports en Belgique ; il eût en quelque sorte remonté une industrie arriérée, découragée.

Cet art. 2 a été retiré par M. le ministre, son principe est au moins ajourné ; mais en attendant je demanderai, que le gouvernement fasse usage des moyens mis à sa disposition pour assurer la sécurité des voyageurs, et exiger que les départs et les arrivées des messageries sur les points extrêmes des chemins de fer, soient mis en rapport avec les départs et les arrivées des trains de railway. Car il est des entreprises qui font le contraire pour nuire à nos chemins de fer, et il dépend du gouvernement d’y mettre ordre en introduisant les conditions nécessaires dans les concessions de services et en tenant à la main leur exécution.

Je voudrais de plus qu’on mît pour condition de la concession d’un service de messageries le transport gratuit des lettres ; les dépêches sont d’un poids insignifiant ; et celui qui accorde une concession, une faveur, est en droit d’exiger des compensations.

Il n’existe donc, pour le moment, aucun contrôle sérieux sur le service des messageries. Le gouvernement concentre toute son attention sur le chemin de fer ; et les voyageurs qui se servent des messageries, sont abandonnés à la négligence et à l’incurie des entrepreneurs. C’est ce que remarquent tous les voyageurs qui passent la frontière, et j’en ai fait souvent l’expérience, et mon amour-propre national en a été froissé. J’insiste donc pour que le gouvernement prenne des mesures pour assurer la sécurité des voyageurs, et pour garantir des produits à nos chemins de fer.

L’art. 3, tout comme l’art. 2, tend à perfectionner nos voies de communications en dehors des chemins de fer.

Il tend à assurer la conservation des services de la poste aux chevaux.

J’ai entendu deux de nos honorables collègues dire que la poste aux chevaux était inutile, partout où il existe une ligne de chemin de fer.

Mon honorable ami, M. de Mérode leur a fort bien répondu hier. La suppression de la poste aux chevaux, est une question importante ; je ne pense pas que la chambre veuille la résoudre dans le sens de la suppression, et, quant à moi, je pense qu’il est prudent de maintenir l’institution, tout en la tenant sur un pied de paix, si je puis m’exprimer ainsi, qui permette de la porter sur un pied de grande activité, si le besoin l’exigeait.

Messieurs, la cause de la défaveur qui pèse sur la poste aux chevaux, consiste en ce qu’elle ne serait établie que pour les classes élevées ; d’abord on nous a fait voir que cette institution est un instrument politique pour le gouvernement, dont il ne peut se dessaisir ; et il me semble qu’il y a quelques années il était question de la constituer de manière à la rendre utile à toutes les classes de la société, qui ont besoin de se déplacer ; il s’agissait alors de diminuer les prix, de mettre le nombre des chevaux en rapport avec le poids de la voiture, et de ne plus en fixer le nombre d’après celui des voyageurs. Il s’agissait enfin de permettre de voyager en poste avec un seul cheval. Je regrette que le projet ne fasse pas mention de ces améliorations, car elles étaient de nature à disposer en faveur de l’institution de la poste aux chevaux.

L’institution de la poste aux chevaux devant être maintenue, et je crois pouvoir raisonner dans cette hypothèse, reste la question de savoir au moyen de quelles ressources elle doit subsister. Cette question a paru difficile ; elle a creusé l’intelligence de ceux qui s’en sont occupés. Cette question a aussi fait l’objet de mes réflexions, et quant à moi, je n’hésite pas à dire que c’est à celui qui profite du désastre de la poste aux chevaux, à faire les fonds pour la soutenir.

Je dis donc que c’est au trésor, qui perçoit le produit des chemins de fer, à soutenir la poste aux chevaux ; et je dis que le gouvernement peut le faire sans surcharge pour les contribuables, en élevant un peu les tarifs. Pourquoi dans le projet de tarif qu’il nous a proposé récemment, fixe-t-il la 3e classe à 19 centimes par kilom. la 2e à 28 cent., et la 1re à 38, tandis, qu’en proposant des chiffres ronds, c’est-à-dire 20,30 et 40 cent., il augmenterait les recettes de 250 à 300 mille francs, somme suffisante pour soutenir la poste aux chevaux, sans surcharge pour les contribuables ?

En France, les tarifs sont fixés au double de ce qu’ils sont ici ; en Angleterre, ils sont fixés encore plus haut. Je ne demande pas que nous prenions ces tarifs pour guides ; mais je persiste à soutenir qu’une élévation aussi peu sensible que celle dont je viens de faire mention, peut être adoptée en Belgique sans inconvénient.

Quant à l’impôt sur les messageries, dont on vous propose la suppression, je ne pourrai lui donner mon approbation, parce que cette proposition n’aurait d’autre résultat que de diminuer les ressources du trésor.

Les messageries belges sont susceptibles de contribuer aux charges publiques, comme dans les pays voisins.

M. de Garcia – En France, on ne paye pas de droit de barrière.

M. de Man d’Attenrode – C’est vrai ; mais en France on paye à l’administration des contributions directes un droit représentant le dixième présumé des recettes ; le payement de ce droit est constaté par une plaque apposée sur les messageries. Ce droit, qui n’est pas payé par les messageries belges, est beaucoup plus considérable que notre droit de barrière. Je voterai donc pour le versement au trésor de la subvention que payent les messageries.

Quelques membres de cette chambre ont fait des objections fondées sur ce que M. le ministre voulait créer un fonds spécial pour entretenir la poste aux chevaux. Il paraît que cette expression de fonds spécial n’est qu’une fiction. Je suis fondé à penser que M. le ministre a seulement voulu nous assurer que si une nouvelle dépense allait être faite, il y aurait d’un autre côté de nouvelles recettes ; que s’il accordait une subvention aux maîtres de poste, il percevrait de nouveaux produits tels que ceux de l’exploitation des bateaux à vapeur et du droit de 25 centimes. Mais je ne pense pas que la somme nécessaire pour indemniser les maîtres de poste, soit limitée à un fonds spécial quelconque.

Je prierai d’ailleurs M. le ministre de vouloir nous donner quelques explications à cet égard. Je désire aussi qu’il veuille fixer le chiffre qu’il compte porter au budget pour les indemnités à accorder aux maîtres de poste ; et nous faire connaître le minimum et le maximum de la subvention qu’il se propose d’accorder par cheval de poste.

Le vague, qui règne dans ce projet, est cause de la défaveur avec laquelle il a été accueilli.

J’attendrai que M. le ministre ait répondu aux questions que j’ai eu l’honneur de lui adresser, et je reprendrai la parole, si je le crois nécessaire.

(page 1453) M. de La Coste – Je n’entrerai pas dans les diverses considérations qu’on a déjà exposées ; je n’aborderai pas non plus la question d’indemnité qui a été soulevée par l’honorable député de Bruxelles. Cette question est très-délicate, parce qu’une fois le champ ouvert à de semblables réclamations, ce champ peut devenir très-vaste.

Au surplus je pense que la position des maîtres de poste, en Belgique, n’est pas absolument la même qu’en France. Je ne sais si je me trompe ; mes recherches n’ont peut-être pas été assez complètes, mais je crois que la loi de 1790 qui donnait un titre positif aux maîtres de poste n’a été publiée en Belgique que par extraits et, dans ces extraits, je ne trouve pas la disposition que les maîtres de poste français pourraient invoquer. Néanmoins, comme il s’agit de la position, de l’existence de plusieurs individus, c’est une raison accessoire au moins pour conserver la poste aux chevaux. Si, d’autre part, elle rend encore des service à l’Etat, plusieurs honorables membres, en insistant sur l’utilité de cette institution, l’ont considérée en rapports avec certaines éventualités, heureusement rares et probablement peu prochaines. Il n’est guère possible cependant d’organiser le service destiné aux temps ordinaires de manière à répondre à de semblables éventualités ; on ne peut guère s’occuper que des besoins du moment, tout en conservant une certaine latitude. Il faut donc que l’organisation de la poste soit basée sur les services immédiats qu’elle peut encore rendre, ce qui offre un problème très-difficile, quand on considère l’envahissement progressif du chemin de fer sur la poste, envahissement qui serait encore plus rapide si l’on organisait, sur les chemins de fer, des services de nuit.

Dans l’état actuel, la poste aux chevaux fait le service de la poste aux lettres, le service d’estafettes pendant la nuit ; son service en effet est, je crois, en relations très-intimes avec celui de la poste aux lettres ; la poste aux chevaux fait le service de nuit parallèlement au chemin de fer ; elle fait le service de nuit et de jour dans toutes les directions où le chemin de fer n’arrive pas.

A cette occasion, je présenterai une observation qui n’a pas encore été faite, c’est que sous ce rapport les maîtres de poste ont de justes réclamations à élever. En effet, la poste fait le service du gouvernement à des conditions tout à fait onéreuses ; elle reçoit, je crois, 1 fr. par poste, tandis que le tarif pour tout autre qui emploie ce service est beaucoup plus considérable. Elle livre un seul cheval pour le service du gouvernement, tandis qu’un particulier est obligé de prendre deux chevaux et un postillon. Il y a donc là un service réel qui n’est pas payé à sa valeur. Le gouvernement doit, ce me semble, payer l’instrument dont il se sert.

Cette considération s’applique à l’article qui nous occupe, mais considéré dans sa liaison avec d’autres dispositions. En effet, si, par exemple, l’amendement de l’honorable M. de Garcia était admis, que resterait-il pour satisfaire à l’art. 3 ? D’où tirerait-on ce subside ? En premier lieu, du produit éventuel sur les bateaux à vapeur. Quant à moi, j’ai admis ces bateaux à vapeur, mais ce n’a pas été du tout sous le rapport du produit que j’en attends. Je m’y suis déterminé, après quelque hésitation, mais ça a été par d’autres considérations ; car je ne compte pas trop sur ce produit. Mais en présence des efforts que l’on fait en France pour établir des services réguliers et bien organisés entre la France et l’Angleterre, on ne pouvait pas laisser la côte flamande sans ressources analogues ; on devait faire en sorte que les relations s’établissent aussi bien vers notre pays que vers la France, surtout dans un moment où l’on peut dire que la Flandre est une des parties du royaume qui se trouve dans la situation la moins prospère.

Voilà les considérations qui m’ont déterminé à voter ce premier article. Mais je n’ai pas, en général, une grande confiance dans le succès des spéculations gouvernementales ; je ne compte pas beaucoup sur les bénéfices que celle-ci nous procurera.

Mais devons-nous compter sur le produit de l’art. 5 ? J’en dirai un mot, pour ne pas demander une seconde fois la parole. Si je considérais la rétribution payée aux maîtres de poste comme un impôt sur les diligences, je voterais pour l’amendement de l’honorable M. de Garcia ; car ce serait à mes yeux un mauvais impôt que celui qui porterait sur le transport des voyageurs, là précisément où ce transport serait dans les conditions les moins favorables. Mais je ne crois pas que ce soit un impôt sur le transport des voyageurs en diligence. C’est le rachat d’une obligation générale.

La poste est fondée sur deux principes peu analogues aux idées du jour, sur deux monopoles : le monopole du transport des lettres et le monopole des relais. Toute la poste est là. Pour changer ceci, il faudrait supprimer la poste et improviser une organisation toute nouvelle, ce que nous n’avons pas le temps de faire.

Le monopole de relais ne pèse pas seulement sur les diligences. C’est un principe général. Les diligences en sont exemptes moyennant un droit de 25 centimes. Aussi est-ce une contradiction flagrante que de rendre cette contribution exigible de ceux mêmes qui font usage des chevaux de poste. Là il n’y a pas lieu à rachat, puisqu’on se soumet au droit commun.

A l’art. 5, je demanderai donc la division et je me prononcerai contre le dernier §. Dès lors je vois encore une diminution de produits sur lesquels on comptait à l’art. 3.

Le ministre avait eu en vue une autre ressource qui était donnée par l’art. 2.

Ce serait une pensée fort élevée que de mettre le chemin de fer en rapport avec tous les bureaux de poste du royaume. Le personnel de la poste pouvait en faciliter la réalisation. Mais ce serait une immense entreprise, une tâche très-vaste pour laquelle il faudrait non-seulement des ressources considérables, mais un système bien conçu, tellement bien développé que la Chambre osât s’y engager avec pleine confiance.

Nous ne rencontrons pas là seulement la question de concurrence qui a été traitée par quelques honorable membres ; il y a de plus la question de savoir si nous ne courions pas risque d’établir ou des services très-incomplets, très-partiels, ou des services qui auraient dépassé les ressources que nous pouvions y consacrer.

Je m’applaudis donc de ce que l’art. 2 soit retiré, de ce que la disjonction ne doive revenir que quand le gouvernement aura préparé la solution de toutes les objections qui ont été faites et que je fais moi-même ; mais c’est encore là une source de produits qui nous échappe.

Resterait donc, comme moyen de venir au secours des maîtres de poste, un subside du trésor ; je ne recule pas devant ce moyen s’il n’y en a point d’autre ; j’en ai dit le motif, c’est qu’il faut que l’Etat paye ce qu’il emploie. La poste aux chevaux transporte ses lettres, lui fournit des estafettes, à un prix réduit. C’est une faveur particulière ; il faut qu’il la paye. Je ne vois pas là de véritable dépense. Ce n’est pas faire de la dépense que de payer ses dettes.

L’honorable M. de Garcia a fait aussi une observation sur la facilité avec laquelle on décrète une ligne de poste, pour avoir l’occasion de percevoir cet impôt. Sous ce rapport, je suis entièrement de son avis : on ne doit (page 1454) déclarer lignes de poste que celles qui sont desservies régulièrement par la poste, où il y a de véritables relais. Je ne sais s’il en est ainsi.

En résumé, quoique l’utilité de la poste soit réduite, et qu’elle doive l’être encore davantage peut-être d’ici à quelques temps, ce qui rend difficile l’appréciation de l’organisation qu’on nous propose, cette institution conserve encore un caractère d’utilité qui exige son maintien. Il me semble aussi que l’Etat doit payer les avantages dont il profite. Enfin je ne vois pas d’injustice dans le rachat que font les diligences de l’obligation générale de se servir des relais de poste, mais il y aurait injustice, selon moi, à donner à cette charge une extension nouvelle.

(page 1442) M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps)– L’utilité de la dépense n’est ni contestable, ni contestée. Plusieurs honorables membres ont désiré savoir si le gouvernement avait l’assurance que le fonds commun suffirait pour maintenir et réorganiser la poste aux chevaux. Le gouvernement a cette conviction ; s’il ne l’avait pas eue, il n’aurait pas présenté la loi. J’ai déjà expliqué à la chambre qu’au point de vue financier du projet, l’ajournement de l’art. 2 de la loi n’exerce que peu d’influence sur le projet envisagé de son point de vue financier. Le gouvernement n’avait proposé l’art. 2 qu’au point de vue de l’intérêt public qui s’y rattache. Mais les éléments du fonds spécial sont les 25 centimes centralisés et le revenu du service de bateaux à vapeur que la chambre a adopté dans la séance d’hier.

Ce fonds sera-t-il suffisant pour maintenir les relais ? Je le crois ; la somme destinée à la réorganisation des relais est évaluée à 250,000 fr. dans l’exposé des motifs que la chambre a entre les mains.

Cette somme suffirait, d’après les calculs du gouvernement, pour maintenir et réorganiser les relais de poste. Le produit de l’impôt de 25 centimes, qui, depuis quelques années, a été en baissant, ne s’élève plus qu’à une somme de 180 à 200 mille fr. Je suppose même que le fonds est destiné à descendre encore jusqu’à la somme de 150 mille francs. Cependant, si le gouvernement n’établit pas un système de messageries, comme le supposait l’art. 2, il est évident que le produit des 25 centimes ne diminuera pas autant que dans l’hypothèse du maintien de l’art. 2, pusique le gouvernement aurait renversé une partie des services existants.

D’après les calculs de la commission instituée pour examiner la question de l’organisation des services de bateaux à vapeur, la dépense devait être de 221,000 fr. et le produit de 360,000 fr. C’est-à-dire que le bénéfice de l’entreprise est évalué à 159,000 fr. mais j’ai déjà eu l’honneur de le dire, depuis ce travail, l’expérience qui a été faite par l’organisation des bateaux à vapeur de la société de Douvres depuis l’année dernière, a non-seulement (page 1443) confirmé ces prévisions, mais démontré qu’elles seraient dépassées. Ainsi, les calculs de la commission reposaient sur l’hypothèse de 20 voyageurs par voyage. Or, depuis le mois d’août dernier, alors que le service n’est pas quotidien, qu’il vient seulement d’être organisé, la moyenne des cinq mois pendant lesquels il a marché, a été de 50 à 60 voyageurs par voyage, au lieu de 20 que supposait la commission, et, comme j’ai eu l’honneur de le dire, pendant les mois de passage, le nombre des voyageurs est monté à 100 et 120. Ainsi, les prévisions de la commission seront de beaucoup dépassées.

Ainsi, messieurs, d’après les renseignements que je viens de rappeler à la chambre, le gouvernement doit avoir la conviction que le fonds spécial non-seulement suffira, mais dépassera les besoins pour réorganiser ou maintenir la poste aux chevaux.

L’honorable M. de Garcia et quelques autres membres auraient voulu que le gouvernement eût proposé à la chambre non-seulement une loi de principe autorisant le gouvernement à réorganiser, mais une loi organique de la poste aux chevaux. Ils ont demandé quelles seront les lignes conservées, quelles seront celles qui seront supprimées, quels seront les relais qu’il faudra supprimer, maintenir ou créer ; quelles seront les distances respectives entre les relais, ainsi tout le problème d’organisation. – Ces honorables membres ont oublié que le gouvernement est investi de ce pouvoir par les lois de 17983 et du 19 frimaire an VII. Ainsi, l’article 11 de la loi du 19 frimaire an VII stipule : « Le gouvernement est autorisé à régler la position, le nombre des relais et leurs distances respectives, en réduisant les relais les plus forts à deux postes et demie, et en portant les plus faible à une poste et demie, lorsque les localités ne s’y opposeront pas impérieusement. »

Il est également autorisé à supprimer les relais dont l’inutilité sera reconnue.

Ainsi le gouvernement a le pouvoir d’organiser la poste aux chevaux, de créer, supprimer, maintenir des relais, fixer toutes les distances. Ce pouvoir, il n’avait pas besoin de le demander aux chambres puisqu’il le possédait déjà.

Relativement au système à adopter pour réorganiser la poste d’après des bases nouvelles, dans le but de rendre la poste, qui avait été jusqu’à présent un service exceptionnel pour les classes riches de la société, dans le but de la rendre plus accessible à la classe moyenne : c’est précisément là le but de la loi, mais c’est là une question administrative compliquée et toute neuve. Il faut la réorganiser, d’abord en combinant avec le service des chemins de fer. C’est une organisation complète nouvelle. Le gouvernement doit procéder par essais. La chambre aura son contrôle supérieur, car elle devra voter les fonds nécessaires pour cette réorganisation. Quand elle aura voter les fonds, elle examinera le système que le gouvernement aura adopté. Elle fera ses critiques. Le gouvernement devra tenir compte des observations qui auront été faites. Du reste, les bases de cette organisation ont été indiquées dans un rapport que notre honorable président a présenté, au nom d’un section centrale. J’ai déclaré, dans l’exposé des motifs, que le gouvernement comptait prendre les bases indiquées par cette section centrale et par la commission qui a soumis un projet au gouvernement. La chambre a sous les yeux l’exposé de motifs et connaît ces bases d’organisation.

Reste donc un seul point, c’est la répartition de la subvention destinée aux maîtres de poste, c’est la répartition entre les relais. Messieurs, je viens de le dire, a chambre, dans le vote annuel du crédit qui sera demandé, aura à examiner le système que le gouvernement aura adopté.

Plusieurs systèmes ont été présentés au gouvernement. Le premier est celui présenté par la commission des maîtres de poste, qui consiste à établir quatre catégories selon l’importance des localités et à répartir les subventions d’après le nombre de chevaux affectés à chaque relais. Messieurs, cette répartition a peut-être le défaut de n’évaluer les relais que par rapport aux frais qu’ils nécessitent, en laissant de côté la question de produits. C’est là le défaut du système proposé par les maîtres de poste. Un second système était de ne former qu’une catégorie et d’allouer un minimum pour chaque cheval.

Ce système rencontre aussi des inconvénients, car on ne tiendrait pas compte de la différence des relais établis dans les villes et de ceux établis dans les campagnes. Il y aurait iniquité, injuste répartition.

Un troisième système a été soumis, c’est celui qui me paraît le plus juste ; il consiste à répartir la subvention d’après les trois bases qu’il faudra combiner, les dépenses des relais, les produits des relais et ce que j’appellerai les droits acquis, dont vient de parler l’honorable M. Verhaegen, la valeur antérieure des relais, dont il faudrait tenir compte jusqu’à un certain point.

La combinaison de ces trois bases pourrait fournir le moyen de répartition des subventions. Je ne fais que l’indiquer, parce que c’est là un travail administratif très-important sur lequel le gouvernement doit appeler l’attention des intéressés.

Mon intention est de nommer une commission qui combinera les propositions des diverses commissions précédentes. Il est impossible de présenter à la chambre un travail administratif de ce genre ; elle aura son haut contrôle à exercer quand elle votera son crédit annuel.

Messieurs, des opinions divergentes ont été émises relativement à la nécessité de conserver les relais sur les lignes parallèles au chemin de fer. L’honorable M. de Mérode, l’honorable M. Verhaegen ont insisté sur la nécessité de maintenir les relais sur les grandes lignes parallèles au chemin de fer. Messieurs, j’ai déjà indiqué dans une réponse faite à la section centrale que les lignes parallèles au chemin de fer formaient aussi des ponts de départ pour les lignes transversales et qu’il serait impossible de les supprimer tous.

Messieurs, c’est un principe élémentaire en fait d’organisation postale que le système des relais doit être un système général non interrompu, un réseau sans maille rompue, si je puis m’exprimer ainsi. Cependant, messieurs, il y aura un travail complètement neuf à faire ; cette organisation devra être mise en rapport avec le service des chemins de fer. Il y aura certainement des relais inutiles qu’il faudra supprimer ; peut-être que quelques-uns seront à créer et les autres devront être maintenus.

M. de Garcia – Messieurs, dans une séance précédente, j’avais demandé quelques renseignements à M. le ministre des travaux publics sur les routes qu’il entendait déclarer lignes de poste, et en second lieu sur le système et les bases qu’il se proposait d’adopter pour la répartition des indemnités qu’on nous appelle à voter en vertu de la loi.

Au premier point de vue, M. le ministre des travaux publics a repoussé les explications en disant qu’en vertu de la loi de frimaire an VII, il était investi du droit d’établir des lignes de poste, partout où il le jugerait convenable, que cet objet était réellement de l’administration et que la chambre ne pouvait pas s’en occuper.

Je conçois, messieurs, qu’au moment où la loi de frimaire a été portée, on ait donné au gouvernement des pouvoirs aussi larges ; mais je ne le concevrais pas dans l’état actuel des choses, en présence de tous les chemins de fer qui ont surgi sur tout notre territoire. Je le conçois d’autant moins que beaucoup de membres de notre assemblée ne veulent pas avoir de lignes de poste parallèles au chemin de fer.

Je voudrais que le gouvernement eût des idées positives à ce point de vue, qu’il nous dît d’une manière positive s’il entend conserver toutes les lignes de poste existantes et en créer où il jugera utile. La chambre verrait ce qu’elle doit faire en présence d’une semblable déclaration ; je ne sais, au surplus, s’il est nécessaire d’une déclaration favorable à cet égard, puisque le raisonnement de M. le ministre aboutit à ce résultat (Dénégation de M. le ministre des travaux publics.)

Vous avez annoncé la pensée d’user de la loi primitive, et en votant l’article 3, nous vous donnons un droit illimité ; vous créerez des lignes et des relais de poste partout où vous voudrez ; c’est réellement un blanc seing que nous vous donnerons.

Passant de ce point, que considère comme purement administratif, à la question de la base des indemnités, M. le ministre veut que nous lui donnions, à ce point de vue un pouvoir aussi illimité que pour l’établissement des lignes de poste. Ici pourtant, M. le ministre ne peut argumenter de la loi de frimaire an VII, car il faut le remarquer, messieurs, dans la loi primitive, il ne s’agissait pas d’établir, comme dans la loi actuelle, un impôt pour salarier les maîtres de poste ; il ne s’agissait nullement de la répartition d’aucun fonds en indemnités pour les maîtres de poste. Alors les maîtres de poste n’avaient droit qu’aux avantages qui résultaient du transport des personnes et des choses, et il entrait si peu dans les vues du législateur de cette époque de conférer au gouvernement un semblable droit, que lorsqu’il s’agit d’accorder une indemnité aux fonctionnaires de cette administration ou de porter la loi du 15 ventôse an XIII, qui créa l’impôt de 25 centimes sur les messageries, la création de l’impôt contenait en même temps la base de sa répartition.

Eh bien, en vertu de la loi actuelle, le ministre distribuera l’indemnité comme il le jugera convenable, il pourra la distribuer de la manière la plus arbitraire.

L’honorable M. Verhaegen a soulevé une question de la plus haute importance. Il nous a demandé, messieurs, si, en droit, les maîtres de poste pouvaient prétendre à une indemnité. La solution de cette question doit avoir une grande influence sur nos délibérations. M. le ministre des travaux publics vient de nous dire qu’on lui a présenté 3 systèmes de répartition ; il n’est fixé sur aucun de ces systèmes, cependant il penche pour le troisième qui consacre un droit à l’indemnité en faveur des maîtres de poste.

- M. le ministre des travaux publics fait un signe négatif.

M. de Garcia – Vous avez dit que dans ce troisième système on prend pour base de la répartition de l’indemnité le nombre de chevaux qui se trouvent dans le relais, l’importance du service et la perte essuyée par les maîtres de poste à raison des changements dans les communications, à raison surtout de l’établissement du chemin de fer. Sous ce dernier rapport, évidemment vous reconnaissez un droit acquis en faveur des maîtres de poste, sans cela cette considération ne devrait pas entrer dans votre système. Quant à moi, je ne partage pas cette opinion. C’est une erreur d’adopter pour notre pays les raisons de ce qui se passe en France ; nous ne nous trouvons pas dans la même position que la France ; en France, les offices de poste étaient considérés comme un patrimoine de famille ; il en était de même pour plusieurs autres fonctions ; il en était de même, par exemple, pour le notariat, pour les avoués ; ces offices étaient considérés en quelque sorte comme des titres de famille transmissibles.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il y a une loi nouvelle.

M. de Garcia – Cette loi n’est pas applicable à notre pays.

Eh bien, messieurs, en Belgique les offices de maîtres de poste n’ont jamais été considérés comme un patrimoine de famille. Mon opinion sur ce point est partagée par beaucoup d’hommes capables.

Messieurs, j’invoquerai l’autorité de notre honorable président qui tranche la question d’une manière positive dans le rapport qu’il nous a fait, il y a deux ans, sur le premier projet. Voici ce qu’il nous disait dans ce rapport :

« Un point, toutefois, sur lequel tout le monde est tombé d’accord (toute (page 1444) la section centrale), c’est que l’Etat n’est obligé à rien envers les maîtres de poste, ni en droit strict, ni en équité. »

Eh bien, messieurs, je demande à M. le ministre des travaux publics s’il entend réorganiser la poste aux chevaux dans l’intérêt du service public seulement, ou s’il entend la réorganiser dans l’intérêt du service public et dans celui des maîtres de poste. Quant à moi, je désire que cette réorganisation ait lieu exclusivement dans l’intérêt du service public.

Messieurs, on a demandé si le fonds spécial que M. le ministre des travaux publics se propose de créer en vertu de la présente loi, par l’établissement d’une navigation à vapeur entre Ostende et Douvres, et par la continuation de la perception des 25 centimes par cheval et par poste sur les messageries, on a demandé si ce fonds spécial pourrait couvrir toutes les dépenses. L’honorable ministre des travaux publics n’a pas hésité à répondre que, dans la pensée du gouvernement, ce fonds suffirait. Selon moi, cette réponse est hasardée, d’abord parce que beaucoup d’honorables membres ne croient pas que la navigation à vapeur rapporte la somme que M. le ministre s’en promet ; mais je suppose que ce revenu de la navigation à vapeur et les 25 centimes, dont je demande la suppression, produisent les fonds nécessaires pour couvrir la dépense à faire dans le moment actuel. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s’il est possible de répondre que ces moyens continueront à suffire, lorsque nous sommes à la veille de concéder une quantité de chemins de fer qui vont anéantir encore une foule de services de messageries ? Je citerai, par exemple, le chemin de fer de Namur à Liége et celui de Louvain à Jemeppe : voilà des chemins de fer qui doivent encore anéantir une partie des grandes messageries. D’autre projets de chemins de fer seront probablement présentés dans peu de temps ; car il semble qu’aujourd’hui on ne rêve plus que chemins de fer.

Que doit-il nécessairement arriver alors ? c’est que les ressources dont il s’agit seront singulièrement diminuées, deviendront insuffisantes, à moins qu’elles ne soient trop fortes aujourd’hui, et que la dépense de la poste aux chevaux tombera à la charge du trésor.

Prenez-y garde, messieurs ; en créant ainsi un fonds spécial, en mettant hors ligne, en quelque sorte, une partie des fonctionnaires publics, on arrive à faire de ces fonctionnaires une véritable corporation, ce qui est contraire aux principes utiles de la centralisation administrative ; ce fonds spécial, l’honorable M. de Man l’a qualifié de fiction. Je vous avoue, messieurs, qu’en fait de lois, je ne sais pas ce qu’est une fiction pareille, et je ne puis en concevoir l’utilité. Quand on dit qu’il y aura un fonds spécial, il n’y a pas là de fiction ; si vous voulez que ce fonds rentre réellement dans la caisse de l’Etat, qu’il fasse partie des revenus généraux du trésor, alors, dites-le, marchez droit au but.

Messieurs, j’ai présenté un amendement qui a déjà donné lieu à quelques observations, je me réserve d’y revenir, lorsque nous en seront à l’art.5 ; en parler maintenant, serait, je pense, anticiper sur la discussion de cet article.

M. d’Elhoungne – Messieurs, dans une précédente séance, j’ai eu l’honneur de vous soumettre quelques rapides observations pour démontrer que le projet actuel est tout à fait incomplet et insuffisant. Les considérations présentées par M. le ministre des travaux publics, dans les séances d’hier et d’aujourd’hui, ne m’ont nullement fait changer d’avis. Veuillez remarquer que, par le projet soumis à nos délibérations, M. le ministre des travaux publics nous demande véritablement, comme l’a dit l’honorable préopinant, une espèce de blanc seing à l’effet de réorganiser la poste aux chevaux comme il l’entendra. Aujourd’hui M. le ministre vient nous dire que, d’après la législation existante, le gouvernement est déjà investi du droit d’organiser la poste aux chevaux de la manière qu’il jugera la plus convenable ; mais s’il en est ainsi, je demande à quoi sert le projet actuel ? Il ne sert sans doute pas à faire préjuger par la chambre le système que M. le ministre des travaux publics adoptera, car M. le ministre ne sait pas plus que nous à quel système il donnera la préférence. Il hésite entre trois systèmes. (Interruption). On me dit qu’il nommera une commission : mais l’opinion de cette commission est tout aussi inconnue que l’opinion de M. le ministre des travaux publics.

Ne perdons pas de vue qu’aujourd’hui le service de la poste aux chevaux se trouve dans un état exceptionnel, anormal, en contradiction avec tout le passé. Lorsque la poste aux chevaux a été organisée par le législateur français, celle-ci a accordé aux maîtres de poste un véritable monopole ; toutes les dispositions de la législation existante dérive du principe de ce monopole ; c’est ainsi que se justifie encore l’indemnité de 25 centimes. Mais quelle est la situation actuelle ? est-elle encore la situation de l’an VII et de l’an XII, alors que le législateur a porté les dispositions qui nous régissent ? Evidemment non ; tout est radicalement changé ; au lieu du monopole qui avait été étable au profit des maîtres de poste, vous avez aujourd’hui le monopole de l’Etat réalisé par le réseau de nos chemins de fer, que l’Etat seul exploite.

Faut-il maintenant conserver l’indemnité qui est la conséquence du monopole accordé aux maîtres de poste, alors que ce monopole lui-même a été détruit dans sa base ? Pour moi, cette question n’est pas susceptible de deux solutions ; mais, sans aller jusque-là, on conviendra, messieurs, que nous nous trouvons dans un état de choses tout à fait nouveau.

Le projet primitif est très-logique dans sa base, quoique dans ses détails il fût tout à fait incomplet. M. le ministre proposait de substituer au monopole des maîtres de poste, le monopole de l’Etat, d’abord au moyen des chemins de fer, ensuite au moyen des messageries établies par le gouvernement ; et les maîtres de poste venaient prendre place dans ce système, non plus comme ayant eux-mêmes un monopole, mais comme simples fonctionnaires de l’Etat. Tel était le système de M. le ministre lors de la présentation du projet, et, sans contredit, dans son ensemble, il était logique, il reposait sur une base rationnelle. Malheureusement, il était tout à fait incomplet dans ses détails ; il n’y précisait rien ; M. le ministre se bornait à demander les pouvoirs les plus étendus, sans même déterminer l’usage qu’il en voulait faire.

Maintenant le projet se trouve dépouillé de la seule qualité qu’on pût lui reconnaître. Le ministre, en effet, est venu détruire la pensée d’ensemble qui avait présidé à sa rédaction ; et, après avoir ébranlé son projet par sa base, par le retrait de l’art. 2, il vient nous demander d’en voter les autres dispositions. Je comprends très-bien que nous votions la disposition spéciale qui concerne l’établissement d’un service de bateaux à vapeur, puisque, comme je l’ai dit dans une précédente séance, cette disposition ne se rapporte pas à la poste aux chevaux, mais à la poste aux lettres, dont le monopole appartient déjà à l’Etat, et dont le monopole doit être conservé entre les mains de l’Etat comme une des sources les plus fécondes et les plus importantes de son revenu. Mais, quant à la poste aux chevaux, nous ne sommes pas fixés, personne ne peut l’être, sur les résolutions qu’il convient de prendre. Faut-il maintenir la poste aux chevaux ? Comment faut-il la maintenir ? Où faut-il la maintenir ? A l’aide de quelles ressources faut-il la maintenir ? Ces quatre questions, messieurs, ne reçoivent pas de solution dans le projet que M. le ministre veut nous voir voter.

Faut-il maintenir la poste aux chevaux ? M. le ministre nous a dit tout à l’heure que la nécessité de maintenir la poste aux chevaux n’est ni contestable ni contestée. J’en demande bien pardon à M. le ministre des travaux publics ; mais la nécessité du maintien de la poste aux chevaux a été contestée par plusieurs de nos honorables collègues, au moins quant aux lignes parallèles au chemin de fer. M. le ministre des travaux publics a répondu, avec un honorable député de Bruxelles, que les lignes parallèles au chemin de fer servent en même temps de point de départ pour joindre les lignes de poste au railway. Mais, je le demande, est-ce là un motif suffisant pour grever les voyageurs des messageries ordinaires d’un impôt très-lourd ? est-ce parce que les lignes parallèles amèneront quelques voyageurs opulents, trois ou quatre peut-être dans l’année, au chemin de fer, est-ce pour ce motif que nous devons grever tous les voyageurs qui se servent des messageries, d’un impôt considérable ? Le maintien de la poste sur toutes les lignes est donc une question très-grave, et je dis que M. le ministre ne l’a pas suffisamment discutée et que le projet de loi ne la résout pas comme il devrait la résoudre.

Comment faut-il réorganiser la poste aux chevaux ? M. le ministre n’en sait rien, lui-même nous l’a ingénument avoué ; nous n’en savons rien non plus ; pouvons-nous résoudre cette question dans l’état d’incertitude dans lequel la discussion l’a laissée ?

Où maintiendra-t-on la poste aux chevaux ? Voilà une troisième question qui nous partage. A l’aide de quelles ressources la maintiendrez-vous ? M. le ministre vient de nous dire que ce sera en premier lieu au moyen des bénéfices que donneront les bateaux à vapeur. J’admets qu’il y aura des bénéfices sur cette entreprise, mais s’il n’y en avait pas la dépense de la poste tomberait donc à la charge du trésor public ? Comme deuxième moyen, M. le ministre présente l’indemnité de 25 centimes ; mais j’aime à croire que ce qu’il y a de plus douteux et de plus incertain dans tout ceci, c’est précisément le maintien de l’indemnité de 25 centimes établie par la loi de ventôse an XIII. J’ai démontré, je pense, tout à l’heure que l’indemnité de 25 centimes était la conséquence du monopole accordé aux maîtres de poste ; que ce monopole n’existe plus de fait et ne peut plus exister de droit, et que dès lors cette indemnité, qui n’en est que le corollaire, doit également cesser d’exister.

L’honorable M. Donny vous a démontré, il est vrai, que cette indemnité n’était pas une chose illogique, qu’elle n’était point si cruellement injuste au point de vue om se trouvait placé le législateur français. Messieurs, je suis d’accord avec l’honorable M. Donny, et je reconnais que son observation est judicieuse. Mais la question est de savoir si le législateur belge de 1845 se trouve placé en présence des mêmes faits et au même point de vue que le législateur de l’an XIII. Or, le contraire est évident aux yeux de tout le monde.

L’honorable M. de la Coste a présenté une autre observation dont la justesse est frappante ; il vous a dit : Si vous touchez à l’indemnité des 25 centimes, si vous la supprimez, vous prononcez sur le sort de la poste aux chevaux. Effectivement, messieurs, l’institution de la poste aux chevaux aujourd’hui est périclitante, elle n’est attachée à l’existence que par un seul lien, c’est l’indemnité des 25 centimes. Si vous anéantissez cette indemnité, il n’y a plus de poste aux chevaux. Vous le voyez donc, la situation se complique de plus en plus. D’une part, nous ne sommes nullement fixés sur la nécessité et la justice du maintien de l’indemnité ; d’autre part, nous ne pouvons, en ce moment, la supprimer, parce que ce serait supprimer virtuellement la poste aux chevaux sur toutes les lignes et dans toutes les parties du pays, ce serait prononcer irrévocablement sur le sort de l’institution elle-même. Que peut donc faire la chambre dans cette alternative ?

M. le ministre des travaux publics répond que la chambre peut laisser faire par le gouvernement, parce qu’elle a toujours « son contrôle supérieur » ; que quand nous aurons voté le service des bateaux à vapeur (ce que nous avons fait hier), que quand nous aurons voté l’établissement d’un fonds spécial et le maintien de l’indemnité des 25 centimes, le gouvernement réorganisera la poste aux chevaux comme il l’entend, et que nous aurons notre contrôle supérieur ! Non, messieurs. Déjà je l’ai fait remarquer, ce n’est pas là le rôle que nous pouvons accepter. Si M. le ministre veut agir de sa seule autorité et venir ensuite demander notre approbation, qu’il s’en tienne à la loi de frimaire qui lui donne, prétend-il les pouvoirs nécessaires. (page 1445) Nous n’avons pas à lui en accorder d’autres. Si au contraire M. le ministre est obligé de convenir que les dispositions existantes ne l’autorisent pas à créer un système nouveau et à grever le budget de toutes les charges à résulter de ce système, qu’il nous présente alors un projet où les questions de principe soient nettement et franchement résolues.

N’oublions pas qu’il s’agit d’une loi d’impôt. C’est un impôt qu’on vous demande. C’est dans le vote d’un impôt que se résume la loi proposée. Et cet impôt destiné au maintien de la poste aux chevaux, au profit de ceux qui se servent de la poste aux chevaux, devrait en définitive peser exclusivement sur ceux qui ne s’en servent pas. Rien n’est plus évident. On tente en vain de chercher des biais, de donner des explications. Tout ce qu’on peut dire à cet égard revient à ceci ; que les transports en dehors de la poste aux chevaux seront soumis à un impôt très-lourd au seul avantage des transports privilégiés de la poste. Eh bien, nous ne pouvons maintenir au milieu de tant d’incertitudes un impôt que la plupart d’entre nous réprouvent comme injuste.

Il me paraît donc, messieurs, que j’ai eu raison de combattre le projet qui vous est soumis comme incomplet, comme insuffisant, et j’ai l’honneur de proposer à la chambre de disjoindre l’art. 1er, d’en former un projet spécial, et d’écarter par un ajournement les dispositions relatives à la poste aux chevaux.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, j’ai dit tout à l’heure qu’en général, dans cette chambre, il semblait que l’opinion était presque unanime relativement à la nécessité de maintenir la poste aux chevaux. Sauf quelques opinions individuelles, il faut le reconnaître, on paraît assez d’accord sur la nécessité de son maintien. En effet, messieurs, il serait inconcevable que le Belgique qui est un des pays du monde où le service des transports et le mieux organisé par les chemins de fer, serait le seul pays où l’organisation de la poste aux chevaux n’existerait pas.

Mais, messieurs, on veut le maintien de la poste aux chevaux par abstraction, et lorsqu’il s’agit des moyens de la maintenir, on n’est pas d’accord et on repousse la base même de tout projet pour arriver à son maintien à sa réorganisation.

Messieurs, quel est le problème qu’on a voulu résoudre en France comme en Belgique ? C’est de trouver les fonds nécessaires pour maintenir la poste aux chevaux sans recourir directement à l’intervention du trésor public. Messieurs, en France, depuis 1831, je l’ai déjà dit, le gouvernement a successivement proposé aux chambres françaises diverses systèmes qui ont successivement échoué. Ainsi on a proposé d’abord le système de la réadjudication des relais, espérant trouver dans les revenus des relais productifs de quoi subvenir au déficit des relais improductifs. Ce système a été repoussé en France comme irréalisable, parce que le produit des relais productifs n’est pas assez considérable pour subvenir au déficit.

En Belgique, je l’ai démontré, cette objection est encore plus forte. Le système de la réadjudication des relais y est plus irréalisable encore.

Quel est le second système mis en avant mis en avant jusqu’ici ? C’est le système proposé en France par M. Jouhaud et les maîtres de poste ; c’est d’étendre le système de ventôse an XIII, c’est de frapper d’un impôt tous les transports publics, tandis que la loi de l’an XIII ne frappe que les grands services de messageries relayant. Messieurs, ce système a été repoussé aussi par le gouvernement français. Quant à moi, je n’ai pu lui donner mon assentiment, parce que, selon moi, le principe était mauvais. On frappait les petits services destinés aux classes moyennes, on frappait les services que le gouvernement doit soutenir et favoriser au profit de la poste aux chevaux, c’est-à-dire au profit des transports destinés aux classes supérieures. Ce principe, je le regarde comme illogique et mauvais.

Messieurs, en dehors de ces deux systèmes, le gouvernement vous en a présenté un troisième : c’est de trouver le fonds nécessaire pour réorganiser la poste aux chevaux, c’est-à-dire les 250,000 fr. nécessaires, dans le fonds commun formé des 25 centimes centralisés et du revenu qui paraît assuré au gouvernement, du service des bateaux à vapeur qui forme aussi un service de transport en dehors du chemin de fer. Messieurs, par ce moyen du fonds commun, le gouvernement trouvait les voies et moyens en face de la dépense qu’il proposait à la chambre de voter, c’est-à-dire qu’il résolvait, selon lui, le problème de ne pas faire peser directement sur le trésor public les frais nécessaires pour la réorganisation des relais.

Ce système, messieurs, rencontre de la résistance chez quelques honorables préopinants ; mais en dehors de ces trois systèmes, je n’en connais plus aucun, sinon celui, qui est beaucoup plus simple, j’en conviens, d’allouer au budget des dépenses la somme nécessaire pour maintenir les relais. Messieurs, en France, après avoir essayé de tous les systèmes, le gouvernement a fini par proposer cela. L’an dernier, le gouvernement français a proposé aux chambres d’allouer des subsides annuels pour subventionner les maîtres de poste. Les chambres française, à l’unanimité, pour ainsi dire, ont repoussé ce système comme un mauvais précédent.

Eh bien, en dehors de ces systèmes, je n’en connais plus aucun.

L’honorable M. d’Elhoungne me dit : Mais, selon vous, vous trouvez dans la loi de frimaire an VII les pouvoirs nécessaires pour réorganiser la poste aux chevaux au point de vue administratif ? A quoi bion l’art. 3 que vous proposer par votre projet de loi ?

Messieurs, oui, le gouvernement a dans la loi de frimaire an VII, les pouvoirs administratifs nécessaires pour organiser la poste aux chevaux ; mais il n’avait pas le pouvoir de subventionner les maîtres de poste ; voilà l’objet spécial de l’article nouveau qui vous est présenté ; le gouvernement devait être autorisé à subventionner les maîtres de poste.

Je n’ai pas compris l’honorable M. d’Elhoungne, qui a anticipé sur la discussion relative au maintien ou à la suppression du droit de 25 centimes, est favorable ou opposé au maintien du droit de 25 centimes.

Messieurs, la question est une question d’impôt. En France, les adversaires du droit de 25 centimes, qui ont eu pour organe principal M. Dupin, n’ont jamais osé aller jusqu’à demander la suppression du droit de 25 centimes. Que voulaient les adversaires de ce droit ? Leurs objections portaient sur la mauvaise répartition de l’impôt ; un autre reproche qu’ils faisaient à cet impôt, c’est que les maîtres de poste le prélevaient eux-mêmes, et qu’il semblait dès lors être perçu au profit des particuliers. Que demandait M. Dupin à la chambre française ? Il demandait précisément ce que le gouvernement vous demande aujourd’hui, le pouvoir de centraliser les 25 centimes, afin d’arriver à une répartition plus équitable, et surtout afin de sortir d’une situation qui, au premier abord, paraît inconstitutionnelle, et qui consiste à faire substituer des particuliers à l’Etat dans la perception d’un impôt.

Si l’on supprimait le droit de 25 c. qui, comme l’a dit l’honorable M. d’Elhoungne, est le seul lien d’existence pour les maîtres de poste, il faudrait remplacer ce droit par une subvention analogue qui serait prélevé sur le budget général des dépenses.

L’honorable M. Verhaegen l’a dit, il faut remonter à l’origine de ce droit de 25 c., si je ne considère pas les droits des maîtres de poste comme des droits acquis, leur propriété, comme une véritable propriété, il faut reconnaître cependant qu’ils ont obtenu un privilège à titre onéreux ; beaucoup de relais ont été achetés ; à côté des droits il y avait des obligations, tout cela forme des quasi-droits, si je puis m’exprimer ainsi, et le gouvernement doit en tenir compte, au moins au point de vue de l’équité.

Du reste, il ne faut pas oublier que la poste aux chevaux est toujours régie par la loi de 1793. or, cette loi admet, entre autres, que les relais passent aux héritiers.

Maintenant, je ne comprends pas que la chambre veuille que le gouvernement lui-même présente un système d’organisation pour toute la poste aux chevaux, a priori, sur des bases nouvelles, en rapport avec le chemin de fer, qui a apporté une grave perturbation dans le système des relais. Lorsqu’on a établi le chemin de fer, le gouvernement n’a pas pu soumettre à la chambre un système complet d’exploitation administrative, même par rapport à la poste aux lettres ; mais aussi, le gouvernement a un pouvoir administratif qui est contrôlé par les chambres, lorsqu’elles votent le crédit nécessaire pour subvenir aux besoins de ce service.

Après que le gouvernement aura procédé par des essais, et sera parvenu à une bonne organisation des relais de poste, question compliquée, question administrative qu’il est impossible de soumettre maintenant à la chambre, le gouvernement examinera s’il y a lieu de recourir à une loi pour faire sanctionner les essais administratifs qui auront été tentés.

M. d’Elhoungne – Messieurs, je crois devoir répondre à quelques-unes des considérations que M. le ministre des travaux publics vient de présenter.M. le ministre, en discutant les objections que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre, me paraît s’être appuyé surtout sur un exemple qui frappe complètement à faux, celui de la France. Je ferai remarquer que, relativement à la poste aux chevaux, la France ne se trouve pas dans la même position que la Belgique. En France, il n’y a pas, jusqu’à présent du moins, un vaste réseau de chemins de fer appartenant à l’Etat, exploité par l’Etat, et, attribuant véritablement à l’Etat, dans un cercle étendu, le monopole du transports des hommes et des choses.

Lorsque la question s’est présentée en France, il s’agissait uniquement de deux ou trois lignes de chemin de fer isolées ; on comprend que les chambres françaises, en présence de ces faits partiels, n’aient voulu décréter ni une réorganisation sur des bases nouvelles de la poste aux chevaux, ni un système d’indemnités pour les maîtres de poste, ni un système de subsides à prendre sur les fonds ordinaires du budget au profit des maîtres de postes qui, par l’établissement de deux lignes de chemin de fer (les lignes d’Orléans et de Rouen, je pense), se trouvaient gravement lésés dans leurs intérêts. La législature française a dû reculer devant la crainte de poser des précédents, dont l’immense portée était presque impossible à calculer ; et son hésitation a dû s’accroître par la position et les besoins de la France qui sont tout autres que ceux de la Belgique. En effet, il y a en France, pour maintenir la poste aux chevaux, des motifs qui n’existent pas en Belgique, précisément parce que nous avons un chemin de fer qui sillonne presque toute la surface du pays.

Maintenant le problème, d’après le M. le ministre des travaux publics, est de maintenir la poste aux chevaux, sans grever le trésor de nouvelles charges. Mais il ne faut pas s’y tromper, la première et la véritable question est de celle de savoir s’il faut maintenir la poste aux chevaux, et dans quelles limites. La question des ressources, des moyens, ne vient qu’en seconde ligne.

Quant à celle-ci, messieurs, je n’admets pas la distinction que fait M. le ministre des travaux publics entre les ressources puisées directement dans le trésor public, et celles puisées dans un fonds spécial. Pour moi, c’est la même chose. C‘est, dans l’une et l’autre hypothèse, une charge imposée aux contribuables ; car enfin c’est toujours dans la poche du contribuable qui sert à alimenter le fonds spécial et le trésor de l’Etat. Que vous commenciez par prendre dans le trésor public une somme qui y est entrée, après être sortie de la poche du contribuable, ou que vous la preniez directement dans la poche du contribuable, sans la laisser passer dans la caisse de l’Etat, quelle différence cela fait-il, je vous prie ?

L’objet de la discussion est donc le maintien du service public de la poste aux chevaux au moyen d’un impôt

C’est une question grave que celle de savoir quel sera cet impôt. Si le service de la poste aux chevaux est réellement nécessaire, il serait moins (page 1446) injuste de prélever l’impôt sur la généralité des citoyens, qu’en d’en grever une classe spéciale, et précisément celle-là qui n’est pas appelée à profiter de la poste, chose qui révolte la raison et la conscience.

La première question est donc bien celle de savoir s’il faut maintenir la poste aux chevaux ; et la deuxième question est de savoir à l’aide de quelle ressource on la maintiendra. Et M. le ministre des travaux publics n’est pas fondé à dire que je déplace la question je pose, au contraire, la question sur son véritable terrain.

Dès lors, il serait inutile d’entrer dans l’examen des trois systèmes qui ont été présentés en France. Je crois que s’il est reconnu par la chambre qu’il y a nécessité de maintenir la poste aux chevaux sur toutes les lignes existantes ou sur quelques-unes d’entre elles, la législature doit intervenir pour changer le mode de subvention à l’aide duquel ce service sera maintenu.

Dans ma pensée, et sans doute dans la pensée des membres de cette chambre, l’impôt existant repose sur un principe injuste, inique et qui a même cessé d’être rationnel, alors que le monopole accordé par la législation existante aux maîtres de poste a été de fait renversé, et se trouve remplacé par le monopole que l’institution de nos chemins de fer assure à l’Etat.

Après cela, M. le ministre des travaux publics a eu tort de me demander si j’étais favorable ou non au maintien de l’indemnité postale. Je pense m’être prononcé avec assez d’énergie contre cet impôt dans une séance précédente ; mais j’ai dû déclarer qu’en réalité nous ne pourrions maintenant, sans trancher toutes les questions relatives à l’organisation de la poste aux chevaux, nous prononcer sur la suppression de l’indemnité de 25 centimes, parce que c’est aujourd’hui la dernière ressource à l’aide de laquelle la poste aux chevaux subsiste.

C’est assez dire que je n’ai nullement été touché par cette espèce d’argument ad hominem, que M. le ministre des travaux publics m’a opposé, en parlant de M. Dupin , « de M. Dupin, a-t-il dit, qui n’a pas osé aller jusqu’à proposer la suppression du droit de 25 centimes. » Si M. Dupin siégeait dans cette enceinte (et j’en féliciterais bien sincèrement la chambre), il n’eût pas hésité à proposer la suppression du droit de 25 c., parce que la situation de la Belgique était entièrement différente de celle de la France, il aurait voulu être juste avant tout.

Je crois avoir établi la convenance d’ajourner la discussion jusqu’à ce que M. le ministre des travaux publics nous ait présenté un système complet. Alors nous nous prononcerons sur l’impôt que la loi de ventôse an XIII a établi. Si son maintien est adopté, nous verrons dans quelles limites on le devra maintenir. Mais avant d’en venir là, il faut faire table rase de tout ce qui existe. Il faut revoir l’ensemble des lignes postales, retrancher les lignes inutiles, réduire, autant que possible, le réseau qu’on conservera. Et, pour ma part, j’espère que, quand ce service public aura été ainsi réorganisé dans ses vraies limites, la chambre se décidera à porter au budget des dépenses générales les sommes reconnues nécessaires pour atteindre ce but, et qu’ainsi nous y ferons face par un impôt moins inique que celui qui a été établi par le législateur de l’an XIII.

M. de Garcia – L’honorable M. d’Elhoungne a rendu ma tâche extrêmement facile : il vient de présenter la plupart des observations que je me proposais de soumettre à la chambre. Toutefois, je ne puis partager l’opinion de l’honorable membre qu considère la perception de la taxe des 25 centimes comme le seul lien qui maintienne la poste aux chevaux. Les postes existaient avant la loi du 15 ventôse an XIII, or, avant cette date cette administration existait, et cette loi n’a eu pour objet que de lui accorder une indemnité précise. Qu’il me soit permis de faire l’historique des circonstances qui ont accompagné cette loi.

Le but que s’est proposé le législateur de l’an XIII est celui-ci : L’abrogation des privilèges, et, par suite, l’établissement des diligences avait fait péricliter l’entretien de la poste aux chevaux. Il fallait improviser les moyens de la sauver, et, cette fois, on établir au profit de cette institution un impôt de 25 centimes par cheval et par poste, sur toutes les messageries qui parcourraient les lignes de poste. Il est donc évident que c’est une indemnité stipulée par le législateur pour compenser l’administration des postes des pertes qu’elle éprouvait, à raison du service des messageries créé sur différentes lignes. Aujourd’hui que l’existence de la poste aux chevaux, en Belgique, est mise en péril par le chemin de fer, si vous voulez être conséquents comme le législateur de l’an XIII, ce n’est pas à l’aide du droit de 25 centimes que vous devriez maintenir la poste aux chevaux, ce serait le chemin de fer qui devrait assurer ce maintien. Le droit de 25 centimes est tellement insuffisant pour atteindre ce but, qu’il est évident que si vous restez dans la position où vous êtes, les postes devront nécessairement tomber.

L’honorable M. d’Elhoungne a répondu à quelques-unes des considérations qui ont été présentées par M. le ministre des travaux publics ; il a surtout rencontré celle sur laquelle roulait l’argumentation de M. le ministre, argumentation qui consistait à dire qu’il n’avait pas voulu que le trésor supportât une charge nouvelle du chef de la réorganisation des postes.

C’est encore ici, sans doute, une fiction de la nature que celle de l’honorable M. de Man ; je vous le demande, messieurs, n’est-ce pas une véritable fiction que de supposer que l’emploi qu’on demande de faire du revenu de l’établissement nouveau d’un service à vapeur et des 25 centimes sur les messageries, n’est pas une charge pour l’Etat et pour le trésor ? Evidemment le trésor serait enrichi de la hauteur de ce revenu s’il n’en était diverti. Au fond il est donc incontestable que de quelque mot qu’on veuille décorer la dépense nouvelle, elle constitue une charge du trésor.

Quant à moi, je voudrais qu’on abordât franchement la question ; qu’on dît que la poste aux chevaux est un service public, un service nécessaire et que le trésor en supporte les charges.

L’honorable M. d’Elhoungne a fait ressortir la différence qui existe entre la position de la France et la nôtre à cet égard. Ce qu’on dit de la France ne peut pas être opposé dans notre pays. En France la qualité de maître de poste n’est pas ce qu’elle est en Belgique. Les difficultés qui existaient en France n’existent pas en Belgique.

On a parlé aussi, messieurs, des obligations que les maîtres de poste ont dû prendre vis-à-vis du gouvernement ; et, de là, on a conclu que ces derniers n’étaient pas libres de les rompre. Cette conclusion n’est pas juste, parce qu’on oublie qu’en regard des obligations se trouvent des devoirs, et qu’en remettant ces devoirs, le gouvernement s’affranchit dans les mêmes proportions de ces obligations. Cette conduite est conforme aux règles de la justice, comme aux principes administratifs. Si, au lieu de 10 chevaux pour lesquels il avait une indemnité, il ne doit plus aujourd’hui en tenir que cinq, je ne lui dois plus la rémunération ; la rémunération se réduit à moitié. En résumé, messieurs, je pense que la réorganisation des postes doit être abordée avec plus de netteté et de franchise qu’elle ne l’est dans le projet de loi ; je pense que les frais de cette réorganisation doivent être mis à charge du trésor ; je pense, enfin, que le chemin de fer, qui a mis cette institution en ruine, doit couvrir les dépenses indispensables pour la remettre sur un pied convenable.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Le gouvernement avait proposé un projet de loi à l’aide duquel il croyait pouvoir maintenir et réorganiser la poste. Cette question est pendante depuis plusieurs années, on l’a ajournée d’année et année.

Il ne suffit pas que l’on trouve de l’incomplet dans une proposition du gouvernement pour la rejeter lorsqu’on éprouve tant de difficultés pour mettre quelque chose à la place. Je vous ai fait voir de ces difficultés. Malgré la différence qui existe entre la France et nous, il y a une grande analogie dans les positions, la question est la même. Il s’agit de venir au secours des maîtres de poste que les chemins de fer compromettent. En Belgique la désorganisation de ce service est plus profonde, il faut se hâter de venir à son secours.

Il y a donc un motif d’urgence de plus de venir au secours de la poste aux chevaux, afin d’arriver à sa réorganisation. Au fonds, les honorable MM. d’Elhoungne et de Garcia demandent l’ajournement, parce qu’ils ne veulent pas l’impôt de 25 centimes.

Cet impôt étant supprimé, je reconnais que vous ruinez par la base le projet qui vous est soumis. Il restera le service des bateaux à vapeur comme faisant l’objet d’une loi particulière, mais la question du maintien de la poste aux chevaux est ajournée. Je doit le reconnaître, on trouvera les difficultés dont la France n’est pas sortie depuis 1831. je crains qu’on ne soit arrêté par les mêmes difficultés, et qu’on ne soit obligé d’en revenir au système proposé par l’honorable M. de Garcia, de porter au budget de 250 mille francs tous les ans pour réorganiser la poste aux chevaux. C’est plus simple, mais c’est ce qu’on voulait éviter. On a voulu trouver des ressources nouvelles pour subvenir à des besoins nouveaux.

Messieurs, je l’ai déjà déclaré, s’il fallait vous proposer de créer l’impôt de 25 centimes, on ne le proposerait pas ; mais cet impôt existe, on y est habitué. D’ailleurs, il n’est pas aussi injuste qu’on veut le dire, car en France et en Angleterre des impôts fort élevés pèsent sur les transports ; en France il est du dixième et s’élève à neuf millions par an ; en Angleterre, les impôts sur les transports rapportent annuellement 11 millions de francs. En principe, cet impôt n’est donc pas injuste. D’un autre côté, cet impôt pèse sur les grands services de messageries relayant, c’est-à-dire sur une iniquité, comme on l’a dit. On ne le créerait pas s’il n’existait pas, mais si vous le supprimez, par quel impôt nouveau voulez-vous le remplacer ? Vous créez une dépense nouvelle, il faut trouver les moyens d’y faire face.

Je vous l’ai dit, d’après le projet du gouvernement, on trouvait le moyen de maintenir la poste aux chevaux, ce qui est dans les vœux de la chambre. Si vous ajournez cette partie du projet, le gouvernement examinera s’il ne peut pas trouver des moyens nouveaux qu’on n’a pas rencontrés ailleurs. Mais je pense qu’il y a danger à ajourner encore cette grave question déjà ajournée depuis si longtemps, du maintien et de la réorganisation de la poste aux chevaux.

M. de Theux – Je demanderai d’abord si le gouvernement, au moyen de la perception des 25 centimes, se croit nanti de moyens suffisants pour réorganiser la poste aux chevaux ?

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Avec le revenu de bateaux à vapeur.

M. de Theux – Il résulte de la déclaration de M. le ministre, que les 25 centimes ne sont pas suffisants pour réorganiser la poste aux chevaux ; il faudra y ajouter les bateaux à vapeur. Jusqu’à présent, ils ne donnent aucun revenu assuré, le service n’est pas organisé. Il faudra voir si les espérances du gouvernement se réaliseront. Il est donc vrai que la question d’organisation ne serait pas résolue quand vous auriez voté cette disposition, parce qu’il nous manque un budget de postes. Il faudrait que le gouvernement nous fît connaître, au moins d’une manière approximative, la dépense qu’exigera la réorganisation de la poste aux chevaux, et que nous votions la somme nécessaire sur les fonds généraux pour que la loi pût (page 1447) avoir quelque effet ; car M. le ministre ne peut pas conclure de convention avec les maîtres de poste sur les revenus présumés des bateaux à vapeur ; une pareille convention serait sans base.

D’un autre côté ; il ne peut pas grever le budget de l’Etat avant que les fonds suffisants ne soient mis à sa disposition ; car bien que l’art. 3 autorise le gouvernement à réorganiser la poste aux chevaux, il n’en faudra pas moins que la chambre lui alloue les fonds nécessaires. Il n’est pas dans l’intention de la chambre d’accorder les fonds pour toutes les subventions que le gouvernement aura promises. Il est donc évident que, quoi que vous décidiez le service de la poste aux chevaux ne pourra pas être réorganisé immédiatement sur des bases nouvelles.

Il me paraît qu’en général on est d’accord sur la nécessité de maintenir un service de postes, on ne diffère que sur le plus ou moins d’extension de ce service. On est aussi d’accord sur ce point que le produit des 25 cent. a diminué par suite de la création du chemin de fer de l’Etat. Il est juste que le gouvernement intervienne dans la réorganisation de la poste aux chevaux pour la partie du produit des 25 centimes, qui est tombée par le fait de l’établissement du chemin de fer.

Que l’Etat intervienne directement par le produit présumé des bateaux à vapeur, peu m’importe ! je ne ferais pas la moindre difficulté de voter les fonds nécessaires à la réorganisation de la poste aux chevaux, si j’étais convaincu qu’ils ne fussent pas trop considérables et que la réorganisation correspondît aux vœux de la législature. Mais le point sur lequel on n’est pas d’accord, ce sont les bases de la réorganisation. Les chambres ne veulent pas s’engager à voter d’une manière illimitée les subsides que le gouvernement aura promis. Il y a donc une lacune dans la loi.

Je ne sais si on perdrait beaucoup de temps à adopter la motion : Que le gouvernement présente, à l’ouverture de la session prochaine, un projet complet de réorganisation de la poste aux chevaux, avec le budget des dépenses ou des subventions à accorder sur le trésor de l’Etat. Je ne pense pas qu’il faille faire dépendre la réorganisation de la poste du produit éventuel des bateaux à vapeur. Si ce service est nécessaire, nous devons en faire les fonds, qu’il soit productif ou non. Depuis longtemps la discussion est dans le vague, parce qu’elle ne repose pas sur des bases solides.

Si M. le ministre veut prendre l’engagement de présenter son projet de réorganisation à l’ouverture de la session prochaine, nous serons aussi avancés qu’à voter maintenant ; car nous ne voterions rien, nous voterions seulement en principe la réorganisation de la poste aux chevaux, mais nous ne votons pas de subsides. Le gouvernement a donc les mains liées ; il ne peut conclure aucune convention, il ne peut rien réorganiser.

Si je voyais moyen d’en finir par un vote immédiat, je ne demanderais pas mieux, parce qu’en effet il s’agit de grands intérêts qui sont en souffrance depuis longtemps. Mais quoi que nous fassions, il n’y aura rien de décidé. Il faudra toujours qu’à la session prochaine on nous demande un crédit ; et c’est alors seulement que nous pourrons examiner utilement la question.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, l’honorable préopinant ne m’a probablement pas prêté une complète attention ; car j’avais déjà répondu d’avance à une partie des renseignements qu’il m’a demandés.

Ainsi j’avais indiqué, et cela se trouve du reste dans l’exposé des motifs, que la somme nécessaire pour réorganiser la poste aux chevaux serait de 250,000 francs annuellement. Le produit actuel des 25 centimes est de 180 à 200,000 francs, mais je crois qu’il est destiné encore à décroître, et on a évalué la somme normale comme devant être de 150,000 francs. Il resterait donc 100,000 francs de déficit pour couvrir le fonds nécessaire destiné à réorganiser la poste aux chevaux.

M. de Theux – Alors, il faudrait les demander immédiatement

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, par suite du retrait de l’art.2, et j’avais l’intention de faire cette remarque à la chambre lorsque nous serions arrivés à l’art.5, je voulais proposer un amendement qui dérive de l’ajournement de l’art. 2 : ce serait de faire porter la date de l’exécution du projet, c’est-à-dire du commencement de la formation du fonds spécial et de la réorganisation de la poste aux chevaux, au 1er janvier 1846, et cela, messieurs, pour une raison que la chambre appréciera.

Le fonds spécial ne sera constitué que dans l’année 1846, alors que les bateaux à vapeur seront construits et seront en état de service, ce qui n’aura lieu probablement qu’au moins de mars de l’année prochaine. Ainsi, je ne trouverai des ressources, pour le fonds spécial, dans le revenu des bateaux à vapeur, qu’à partir de l’année 1846. Il en résultait, messieurs, que l’indemnité des 25 centimes ne devait être versée dans les caisses de l’Etat, qu’à partir du 1er janvier 1846 ; puisque ce fonds n’aurait pas été suffisant pour réorganiser la poste aux chevaux en 1845.

Ainsi, messieurs, ce ne sera que dans le budget de 1846 que des fonds vous seront demandés pour la réorganisation de la poste aux chevaux, pour la subvention des relais. C’est alors que la chambre aura à discuter le crédit, et en même temps le gouvernement sera en mesure de lui soumettre les bases qu’il entend admettre pour la réorganisation de la poste aux chevaux. Il ne s’agirait pas toutefois d’un projet de loi ; cela me paraît impossible ; il s’agit ici d’une question purement administrative.

Mais il me paraissait qu’on pouvait dès maintenant voter le principe qui aurait permis au gouvernement de procéder à cette réorganisation.

M. de Theux – Messieurs, puisque d’après la déclaration de M. le ministre des travaux publics, les 25 centimes ne doivent être perçus, par le gouvernement, qu’à partir du 1er janvier prochain, il me semble qu’on pourrait concilier les diverses opinions en ajournant ce projet jusqu’à la session prochaine et en le mettant à l’ordre du jour comme premier objet à discuter. Le gouvernement pourrait encore percevoir les 25 centimes au 1er janvier. Il nous présenterait la demande de crédit nécessaire pour faire le service des postes pour l’année prochaine, et nous soumettrait les bases d’après lesquelles il a établi ses évaluations du crédit nécessaire pour compléter la subvention des 25 centimes. De cette manière, messieurs, on arriverait très-promptement à un résultat. Car, en général on est d’accord sur la nécessité de maintenir le service de la poste aux chevaux. Dans l’état actuel des choses, au contraire, je crois que la discussion se prolongera et que nous n’arriverons à aucun résultat.

M. Dumortier – Messieurs, je pense que pour maintenir la poste aux chevaux, il n’y a qu’un seul moyen, c’est de lui donner un degré nouveau d’utilité. Car dans l’état actuel des choses, depuis que la Belgique est couverte d’un vaste réseau de chemins de fer, qui tend à s’étendre encore d’après les propositions qui nous sont faites, il faut convenir que le service de la poste deviendra de moins en moins considérable et que rien ne pourra la remettre dans son ancienne position.

En effet, messieurs, dans toutes les directions où vous avez des lignes de chemins de fer, il demeure constant, il demeure évident que la poste est tombée et qu’il y a impossibilité de la rétablir. Ainsi, je demanderai aux honorables députés d’Anvers qui viennent maintenant d’Anvers à Bruxelles, je demanderai combien il y a de voitures de poste qui viennent d’Ostende à Bruxelles, de Liége à Bruxelles. Chacun me répondra qu’il n’y en a plus. Vous voulez donc ressusciter un cadavre ? Messieurs, c’est une chose singulièrement difficile, et je doute qu’on puisse jamais y parvenir.

D’un autre côté, messieurs, en principe, ceux qui vont en poste doivent payer la poste, ce n’est pas à l’Etat de payer pour eux…

M. de Garcia – Et le service de la poste aux lettres ?

M. Dumortier – J’entends qu’on m’interrompt pour dire : le service de la poste aux lettres. Je viens de dire qu’il n’y avait qu’un seul moyen de remettre la poste sur pied, que c’était de lui donner un degré nouveau d’utilité. Mais il est certain que, dans la situation actuelle, elle se trouve dans une fausse position, parce que vous aurez beau avoir des maîtres de poste et des relais de poste, vous n’aurez pas de voitures à transporter par la poste, et par conséquent, vous aurez fait une dépense complètement inutile dans toutes les directions où vous avez des lignes de chemin de fer parallèles.

Jusqu’ici, messieurs, j’ai toujours entendu parler en faveur du maintien de la poste aux chevaux ; mais j’ai cru qu’il y avait lieu de présenter aussi quelques observations purement pratiques, car je ne sais à quoi nous servira d’avoir constitué une poste aux chevaux, lorsqu’il n’y aura plus de voitures à conduire en poste.

Il faut, vous a-t-on dit, pour réorganiser la poste aux chevaux, deux choses ; il faut d’abord le produit des 25 centimes prélevés sur les diligences, il faut, en second lieu, un subside de cent mille francs au moins, payé par le gouvernement.

D’abord, messieurs, je vous dirai que je ne partage pas du tout l’opinion de notre honorable collègue M. d’Elhoungne, lorsqu’il qualifie d’injuste le subside payé aux maîtres de poste par les entrepreneurs de messageries. Les maîtres de poste ont eu d’abord le privilège des transports sur les routes déclarées lignes de poste. D’autres entrepreneurs sont venus et leur ont dit : Nous voulons établir des voitures, non pas de relais à relais, mais de distance en distance. Eh bien, a dit le gouvernement, soit ; mais vous payerez une indemnité aux maîtres de poste, qui ont le privilège, le monopole de cette direction.

Il faut remarquer, messieurs, que pour les petites distances, toutes les fois qu’il n’y a pas de relais, on ne paye rien aux maîtres de poste. Ainsi, les petites voitures qui amènent les paysans des localités peu importantes dans les cités, ne payent rien. Quels sont ceux qui payent une indemnité aux maîtres de poste ? Ce sont les gros entrepreneurs de messageries, et ceux-la font d’assez beaux bénéfices pour qu’on ne dise pas que c’est une injustice de leur imposer cette indemnité (Interruption.)

Messieurs, j’entends qu’on me dit que ce sont les voyageurs qui payent l’indemnité. Si l’art. 2 qui tendait à autoriser le gouvernement à établir des voitures de transport des voyageurs, n’avait pas été retiré, j’aurais demandé que l’arrêté du roi Guillaume sur les messageries fût remis en vigueur.

M. Rogier – Il était illégal.

M. Dumortier – Cependant les tribunaux ont reconnu sa légalité. Je crois que dans cet arrêté il y avait des mesures excellentes qu’il est à regretter de ne plus voir appliquer.

Quant à la disposition qui accorde les 25 centimes aux maîtres de poste, personne n’oserait en contester la légalité. Aussi ne l’a-t-on pas contestée. On dit seulement qu’elle n’est pas juste. Messieurs, je le répète, je n’y vois pas d’injustice. C’était les maîtres de poste qui, en principe, avaient le monopole des transports. Si un entrepreneur vient se mettre en concurrence avec les maîtres de poste, et s’il leur enlève une partie de leurs bénéfices, rien de plus juste qu’il leur accorde une indemnité en compensation.

M. de Theux – Le projet cumule les bénéfices avec l’indemnité.

M. Dumortier – C’est une autre question. Je ne parle que du principe qui a été attaqué. Je dis que les 25 centimes sont une indemnité accordée aux maîtres de poste pour un monopole qu’ils avaient, et qui leur rapportait des bénéfices, tout en leur imposant de grands devoirs envers le gouvernement. Que les maîtres de poste continuent à toucher ces bénéfices, rien de plus juste.

(page 1448) Si dans certaines directions, messieurs, il n’y a plus de diligences, qu’est-ce que cela prouve ? C’est que tout le monde va en chemin de fer. Cela prouve que le chemin de fer fait disparaître la nécessité de la poste aux chevaux. Car quand le chemin de fer fait disparaître les diligences, à plus forte raison fait-il disparaître les moyens de transport d’une plus grande célérité.

Je pense donc, messieurs, que c’est à tort qu’on veut nous engager dans une dépense nouvelle. On veut nous faire voter une somme annuelle de cent mille francs pour les maîtres de poste. D’abord je dois dire que cette somme de cent mille francs ne suffira pas pour entretenir des relais sur les routes où il n’y a plus de voitures à conduire par la poste. Car ce n’est pas parce que vous accorderez quelques centaines de francs à un maître de poste qui se trouve sur une route où il n’y a plus de voitures à transporter que vous pourrez exiger qu’il ait des relais.

D’un autre côté, messieurs, il me paraît qu’il n’est pas du tout nécessaire que l’on applique aux maîtres de poste les bénéfices du service des bateaux à vapeur. J’ai voté pour l’établissement de ce service ; mais j’y ai surtout été favorable, parce que M. le ministre des travaux publics nous a démontré d’une manière évidente qu’il amènerait un bénéfice pour l’Etat ; et qu’en même temps notre marine, nos ports de mer, nos constructions devaient en profiter. Si j’avais pu prévoir, messieurs, qu’en votant l’établissement de bateaux à vapeur, j’accorderais un subside indirect aux maîtres de poste, je ne l’aurais certainement pas voté. Je ne veux pas que nous fassions ici des opérations pour compte d’autrui ; et en destinant les bénéfices du service des bateaux à vapeur aux maîtres de poste l’Etat ne ferait qu’une opération pour compte d’autrui, opération dans laquelle il aurait le mali et les maîtres de poste le boni. Car vous aurez des frais d’entretien ; vous aurez des renouvellement de gréements, des renouvellement de machines à vapeur, des renouvellement de vaisseaux. Lorsqu’il faudra faire ces dépenses, les maîtres de poste la payeront-ils ? Nullement ; ce sera au trésor public qu’on les demandera. Vous aurez donc fait une opération pour compte d’autrui, et autrui en prendra les bénéfices en vous laissant les charges.

Ce n’est pas ainsi que j‘entends la manière de gouverner l’Etat. Quand il fait une entreprise, il doit en avoir les bénéfices ; il en fait bien assez de mauvaises.

Je pense donc que les maîtres de poste doivent se contenter des 25 centimes qu’ils perçoivent sur les diligences. Quant aux routes sur lesquelles cette indemnité n’est plus suffisante pour l’entretien des relais, il me paraît démontré à l’évidence que vouloir y maintenir des lignes de poste, c’est vouloir garder des chevaux dans des écuries pour ne rien faire.

M. de Mérode – Messieurs, si l’on ajourne le projet en discussion à la prochaine session, on n’en sera pas alors plus éclairé ; seulement on aura perdu tous les fruits de la discussion, et comme il y a beaucoup d’autres projets à discuter, il serait fâcheux que la chambre eût perdu inutilement son temps.

On a, messieurs, dans beaucoup d’observations qui ont été faites, oublié une considération ; ce sont les circonstances embarrassantes où, sans la poste aux chevaux, le gouvernement pourrait se trouver dans le cas de certaines missions qu’il voudrait remplir au milieu de la nuit ou d’ordre pressés à transmettre. Je vous ai signalé hier les inconvénients qui pourraient résulter, si l’on n’avait aucun moyen rapide de transport, et par conséquent la nécessité qu’il y a de ne point laisser tomber légèrement l’institution de la poste aux chevaux.

Je vous ai dit qu’on pouvait utiliser chaque relais sur les grandes lignes. Car, enfin, si l’on arrive à une station, si l’on doit aller dans les communes environnantes, quels moyens de transports a-t-on aujourd’hui ? Il n’y en a pas. Eh bien, selon moi, il faudrait toujours établir les relais en rapport avec les stations, et en n’établissant pas uniquement le service de la poste sur une ou deux routes, mais en établissant un système rayonnant, dans lequel on payerait en raison de la distance qu’on parcourrait, il est certain qu’au moyen de petites voitures on pourrait aller presque partout, surtout pendant l’été, et que de cette manière on utiliserait singulièrement la poste aux chevaux.

On dit encore que le projet est incomplet. Mais ce projet incomplet apporterait des lumières pour en créer un meilleur. Si, au contraire, on ne fait rien, on ne sera pas plus avancé l’année prochaine qu’aujourd’hui.

- La discussion est close.

Ajournement et disjonction

La proposition de M. d’Elhoungne tendant à faire de l’art. 1er un projet spécial et à ajourner la discussion des autres articles est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi autorisant l'établissement d'un service de paquebots à vapeur entre la Belgique et l'Angleterre

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

Article 2 nouveau (devenu article premier)

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, par suite du vote de la chambre, le projet de loi ne concerne plus que l’établissement d’une ligne de bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres.


Il faudra ajouter à ce projet de loi un article 2 qui serait ainsi conçu :

« Art. 2. Un règlement d’administration publique déterminera les conditions d’exploitation du service mentionné à l’art. 1er, et les mesures à prendre pour l’exécution de la présente loi. »

- Cet art. 2 est mis aux voix et adopté.


La chambre décide qu’elle passera immédiatement au vote sur l’ensemble de la loi.

Voici le résultat de l’appel nominal :

70 membres prennent part au vote

1 (M. Rogier) s’abstient.

55 votent l’adoption.

14 le rejet.

En conséquence, le projet est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont voté l’adoption : MM. Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Van Volxem, Verhaegen, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Cogels, Coghen, d’Anethan, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, Biebuyck, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Meester, de Muelenaere, de Naeyer, de Saegher, de Secus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumont, Dumortier, Duvivier, Fallon, Goblet, Huveners, Jadot, Lange, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Rodenbach, Scheyven.

Ont voté le rejet : MM. Troye, Brabant, Castiau, Delfosse, de Mérode, de Tornaco, Eloy de Burdinne, Fleussu, Malou, Osy, Pirmez,, Savart, Sigart, Simons.

M. Rogier – Messieurs, je ne suis pas contraire, en principe, à l’exploitation des bateaux à vapeur par l’Etat. Mais je n’étais pas positivement rassuré sur la dépense qu’il y aurait à faire. J’ai présenté à cet égard quelques observations qui l’ont pas été rencontrées par M. le ministre des travaux publics.

Ordre des travaux de la chambre

M. Rogier - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

On a renvoyé à la section centrale divers projets relatifs à des chemins de fer. Je ne sais où elle en est parvenue dans son examen ; mais je demanderai s’il ne serait pas possible de nous présenter immédiatement le rapport sur le projet relatif à la section de Namur à Liége et à celle de Manage. Ces sections se lient très-directement au projet de chemin de fer de Tournay à Jurbise. Je crois même qu’il sera assez difficile de discuter ce projet, sans s’occuper en même temps de la section de Namur à Liége et de la section de Manage ; car, au moyen de ces deux dernières lignes et de la section de Tournay à Jurbise, on a un ensemble complet pour le midi de la Belgique.

Je demanderai donc à la section centrale de bien vouloir nous présenter son rapport le plus tôt possible.

M. le président – Je ferai connaître que la section centrale n’a pu encore s’occuper de ce projet de loi, attendu qu’il n’a pas été imprimé et distribué. Nous avons jusqu’ici procédé à l’examen du projet de loi relatif au chemin de fer d’Ath vers Alost et de celui relatif au chemin de fer de Louvain à Jemeppe. M. le ministre des travaux publics vient de m’informer que les deux autres projets seront distribués ce soir.

M. Rogier – J’aurais désiré, si le temps l’avait permis, que l’on eût au moins distribué à la chambre une carte générale avec toutes les lignes nouvelles dont la concession est demandée.

M. le président – Cette carte a déjà été remise aux membres de la section centrale, chaque membre de la chambre en recevra un exemplaire aussitôt que l’impression en sera achevée.

M. Rogier – Je désirerais également que les cahiers des charges avec les pièces à l’appui fussent distribués le plus tôt possible.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – J’ai pressé autant que possible l’impression des différentes pièces, mais comme il y a à côté de chaque projet les études des ingénieurs, qui sont assez étendues, je n’ai pu faire distribuer jusqu’à présent que deux projets. Comme l’honorable président vient de le dire, on distribuera ce soir les derniers projets, sauf celui de la Flandre. Quant aux cartes, le travail est assez long et je ne pourra dire maintenant quand elles seront terminées. Pour le chemin de fer de Jurbise, il y a une carte annexée au rapport. Du reste, j’ai ordonné la confection d’une carte générale destinée à être distribuée à tous les membres de la chambre.

M. de La Coste – Messieurs, puisque le projet relatif au chemin de fer de Jemeppe à Louvain est imprimé, ainsi que le mémoire à l’appui de ce projet et que maintenant, par suite de certaines modifications proposées, toutes les difficultés semblent cesser ; en un mot puisque ce projet me semble extrêmement simple, il vaudrait mieux, je pense, le discuter avant ceux qui soulèveront peut-être des questions plus difficiles. Cela me paraît d’ailleurs être maintenant dans l’intention de la section centrale.

M. Lesoinne – Si j’ai bien compris l’honorable M. Rogier, il a demandé que l’on mît le projet de chemin de fer de Liége à Namur, en première ligne parmi les projets de lois présentés en dernier lieu.

M. le président – M. Rogier n’a pas fait de proposition. Il a seulement manifesté le désir que les rapports sur les autres projets fussent présentés le plus tôt possible.

M. Lesoinne – Dans tous les cas, je demande que l’on maintienne l’ordre du jour, tel qu’il a été fixé, c’est-à-dire que le projet de canal latéral de la Meuse vienne immédiatement après le projet de loi relatif au chemin de fer de Jurbise.

M. Rogier – Je ne veux nullement surprendre à la chambre une modification à son ordre du jour ni surtout faire ajourner le canal latéral à la Meuse, qui se détache entièrement des projets de chemins de fer ; mais la chambre remarquera que les deux projets qu’il s’agit de discuter maintenant ont été présentés isolément ; je parle des chemins de fer de Tournay à Jurbise et de St-Trond à Hasselt. Depuis la présentation de ces projets cinq ou six autres projets ont été soumis à la chambre. Parmi ces derniers il en est deux qui se lient très-directement au chemin de fer de Jurbise puisqu’ils n’en sont que la continuation. Ces deux chemins de fer avec (page 1449) celui de Jurbise formeront au midi de la Belgique une ligne qui sera en concurrence avec la ligne du Nord. J’ai témoigné le désir que la section centrale nous fît le plus tôt possible son rapport sur les deux projets dont je viens de parler, c’est-à-dire la ligne de Liége à Namur et celle de Manage, attendu qu’ils se lient intimement à la discussion que nous allons entreprendre. voilà tout ce que j’ai demandé ; je n’ai nullement cherché à faire ajourner la discussion du projet de chemin de fer de Tournay à Jurbise ; je veux au contraire faciliter cette discussion.

M. le président – Je ne pense pas qu’il soit possible de présenter les rapports dont il s’agit, avant mercredi ou jeudi prochain.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – L’honorable M. Rogier s’est surtout préoccupé d’une question, c’est celle de savoir si par la combinaison des chemins de fer de Tournay à Jurbise, de Mons à Manage et de Namur à Liége, il n’y aura pas un raccourcissement de la distance entre la France et Liége, et par suite un changement dans la position actuelle des lignes de l’Etat. Eh bien, messieurs, dans l’exposé des motifs, et dans le rapport annexé au projet qui sera distribué prochainement, cette question est complètement traitée. La chambre aura tous les renseignements possibles pour résoudre ce point. Je pense donc qu’il ne faut pas, pour discuter le projet, relatif au chemin de fer de Jurbise, attendre que la chambre soit saisie du rapport de la section centrale sur les autres projets.

M. Rogier – Je demande seulement que la section centrale veuille, autant que possible, hâter ses travaux. Cela n’est pas un obstacle à ce qu’on commence la discussion du projet relatif au chemin de fer de Jurbise.

M. Dumortier – Si l’on demandait l’ajournement, j’aurais l’honneur de faire observer que le projet relatif au chemin de fer de Jurbise est dans une position toute spéciale. Le but principal de ce chemin de fer est de mettre Lille et la Flandre française en contact avec la capitale. D’un autre côté, les demandeurs en concession ont signé leur engagement depuis plusieurs mois, ils ont fait un dépôt de fonds très-considérable et manifestement, il faut qu’on en finisse avec eux comme on en a fini avec les demandeurs en concession du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse.

Je prie donc la chambre de vouloir bien entamer la discussion générale.

M. Malou – Je désire seulement qu’on laisse la section centrale libre quant à l’examen des quatre projets dont elle est saisie. il est impossible de décider ici quel sera le projet sur lequel on fera rapport en premier lieu. Ce doit être, je pense, d’après l’ordre naturel, le projet qui soulève le moins d’objections et c’est ce que la section centrale reconnaîtra elle-même. Je fais cette simple observation, pour que du débat qui vient d’avoir lieu il ne résulte pas un préjugé en faveur de la priorité de telle ligne sur telle autre.

M. Cogels - Messieurs, la section centrale a suivi l’ordre naturel dans ses travaux, c’est-à-dire qu’elle s’est occupée en premier lieu des projets suffisamment étudiés, sur lesquels elle avait tous les renseignements nécessaires. C’est ainsi qu’elle s’est occupée d’abord du projet de Jemeppe à Louvain sur lequel elle pourra faire son rapport après-demain. Est venu ensuite le chemin de fer de la Dendre, sur lequel il sera également fait rapport dans un très-bref délai. Quant aux autres projets, ils ne sont pas encore distribués, et dès lors il a été impossible que le section centrale s’en occupât.

M. le président – Nous passerons à la discussion générale.

Projet de loi autorisant la concession des chemins de fer de Tournay à Jurbise et de St-Trond à Hasselt

Discussion générale

M. Simons – Messieurs, vous connaissez le motif qui empêche mon honorable collègue et ami M. de Renesse de se rendre en ce moment à nos séances. Vous savez qu’il est retenu chez lui par une indisposition. Comme il a spécialement examiné la question qui nous occupe, il avait préparé un discours qu’il se proposait de prononcer et qu’il m’a prié de prononcer en son nom. Je demanderai à la chambre de bien vouloir m’autoriser à donner lecture de ce discours.

Messieurs, lorsque, par suite des événements politiques de 1830, les relations commerciales avec la Hollande avaient été violemment brisées, la Belgique dut chercher à remplacer les communications fluviales, entre l’Escaut et le Rhin, par un autre moyen de relation plus directe ; c’est alors que la première idée de l’établissement d’un chemin de fer fut soumise au gouvernement provisoire, au mois d’octobre 1830, par un comité d’industrie et d’agriculture formé à Liége.

Le gouvernement provisoire s’empressa d’accueillir cette grande pensée, et d’appuyer un projet aussi utile que nécessaire à la Belgique. Deux jeunes ingénieurs, d’un mérite distingué, furent envoyés en Angleterre pour y examiner les chemins de fer, y étudier les différents systèmes, et pour présenter ensuite un projet-compte. Alors il ne s’agissait que de diriger le chemin de fer d’Anvers sur Maestricht ; l’on avait encore l’espoir que cette dernière ville aurait fait partie de la Belgique ; mais après l’adoption des 18 articles, après l’avènement du roi, l’exécution du chemin fut résolue en principe, et, sur sa demande, l’on poussa avec plus d’activité les études. Le 10 mars 1832, MM. de Ridder et Simons présentèrent au conseil des ponts et chaussées le devis des dépenses d’établissement d’un chemin de fer, partant d’Anvers, se dirigeant par Diest et Tongres vers Visé, avec un embranchement vers Liége, aboutissant au quai St-Léonard ; ce tracé aurait eu une longueur de 130 kilom. ; il aurait coûté 9,807,717 fr., et Visé eût été le point de départ du prolongement ultérieur de la route vers le Rhin. Ce projet fut approuvé par arrêté royal du 21 mars 1832, sur la proposition de M. de Theux, alors ministre de l’intérieur ; il devait être offert en concession. Malheureusement, dans l’intérêt de la province de Limbourg, et surtout dans celui de l’arrondissement de Tongres, ce projet ne reçut pas d’exécution.

A la fin de 1832, après l’avènement d’un nouveau ministère, celui de MM. Lebeau et Rogier, après le traité de Londres du 21 mai 1833, qui établissait un statu quo favorable à la Belgique, l’on reprit activement l’examen du projet de chemin de fer de l’Escaut au Rhin ; après de nouvelles études, un nouveau projet surgit, qui ne changeait pas les points extrêmes de la voie ferrée à établir, mais le plan de 1833 poussait le tracé de la Nèthe à Malines et puis à Bruxelles, et il bifurquait à Malines pour se diriger vers Liége en passant par Louvain et Tirlemont.

La province de Limbourg, déjà destinée à être sacrifiée par le traité du 15 novembre 1831, fut entièrement oubliée dans la part distributive de nos chemins de fer ; au lieu de lui tenir compte de la position exceptionnelle faite par les traités, au lieu de lui donner une compensation pour les pénibles sacrifices que le pays lui imposait, elle n’obtint aucune part dans les voies ferrées décrétées par la loi du 1er mai 1834, tandis que d’après le projet primitif de 1832, une grande partie de cette province devait être traversée par le chemin de fer, destiné à relier Anvers au Rhin, par Diest, Tongres et Visé.

Si cette direction avait été adoptée, le pays eût épargné beaucoup de millions ; les transports de marchandises vers le Rhin eussent pu être fixées aux taux les plus modérés, le tracé eût été plus direct ; nous aurions pu alors faire avec efficacité une véritable concurrence au commerce hollandais de l’Allemagne par le Rhin, tandis qu’actuellement, cette concurrence est encore très-problématique, surtout si la Hollande parvient à faire un traité de navigation et de commerce avec le Zollverein.

En 1837, le gouvernement crut devoir donner une première extension à la loi du 1er mai 1834, par la continuation du chemin de fer de Gand vers Lille, par Courtrai avec embranchement vers Tournay. La province de Limbourg ne fut pas assez heureuse pour être comprise dans le projet du gouvernement. Mais au sein de la commission chargée de l’examen du projet de loi, notre honorable collègue et ami, M. Simons, fit la proposition formelle que le Limbourg serait aussi relié au chemin de fer de l’Etat ; il pensait avec d’autres membres de cette commission, que la justice distributive qu’une bonne politique exigeait que toutes les provinces fussent reliées à la voie ferrée, puisqu’elle contribuaient toutes aux charges de la construction de ce grand travail national.

Par la loi du 26 mai 1837, il fut décidé que le Limbourg serait rattaché au chemin de fer de l’Etat ; le ministère d’alors, au lieu d’ouvrir une enquête contradictoire dans cette province pour rechercher quelle direction du railway y serait la plus utile, la plus convenable aux intérêts de la généralité du Limbourg, se contenta d’y faire exécuter des études peu sérieuses en différents embranchements. MM. les ingénieurs chargés de ce travail connaissaient d’avance l’inspiration ministérielle ; ce fut donc vers la direction à la convenance de l’un des ministres, comme on le prétend dans le Limbourg, que devaient nécessairement se résumer les conclusions favorables du rapport. Les réclamations les plus fondées du conseil provincial, de nombreuses localités et populations furent entièrement méconnues ; on ne tint compte que d’un seul intérêt : la pensée ministérielle devait absorber tous les autres intérêts de la province ; il fallait un chemin de fer d’un intérêt local qui ne favoriserait qu’une petite partie du Limbourg ; la partie la plus riche, la plus populeuse ne méritait pas que l’on prit en considération ses justes doléances sur la direction de la voie ferrée proposée par le gouvernement ; cependant, dans la requête au Roi, au nom du conseil provincial, en date du 29 septembre 1837, la députation permanente s’exprima ainsi : « Dans le sein du conseil, l’importante question de la direction a été débattue ; les mandataires de tous les points de la province ont pris part à cette discussion, les vœux qui y ont été exprimés sont donc bien ceux de la majorité ; ils sont l’expression réelle des besoins du commerce et de l’industrie. »

En outre, dans les nombreuses pétitions adressées au roi, en octobre 1837, l’on disait : « Mieux vaudrait sans doute ne pas faire d’embranchement du tout, et consacrer la somme que le gouvernement y destinait, à la confection de routes ordinaires. Au moins n’y aurait-il là ni déception ni injustice ; il n’y aurait pas d’avantage exclusif conféré à quelques Limbourgeois, à quelques riches et puissants seigneurs peut-être ! ».

La ville de St-Trond, par les pertes qu’elle devait éprouver, par l’établissement du chemin de fer d’Anvers à Liége qui paralysait tout son commerce de transit, d’un côté vers les provinces de Brabant, d’Anvers, les Flandres et le Hainaut, et de l’autre vers Liége et l’Allemagne, avait, certes, des titres à l’obtention d’une certaine compensation ; si le gouvernement croyait devoir lui accorder, à cet égard, un embranchement du railway, la ville de Tongres et son arrondissement judiciaire et électoral, pouvaient alors réclamer avec autant de droit de ne pas être déshérités, dans le partage des chemins de fer ; cette contrée du Limbourg, par un fatal traité devait perdre une forte partie de sa population ; plus de 76,000 habitants furent cédés en 1839 à la Hollande ; la ville de Tongres et son district perdaient, en outre, leurs nombreuses et anciennes relations commerciales avec la partie cédée du Limbourg ; la route de Tongres vers Maestricht et Aix-la-Chapelle était alors la voie principale de communication d’une grande partie de la Belgique avec l’Allemagne ; par le traité, et par l’établissement du chemin de fer de Liége à la frontière allemande, cette route fut entièrement délaissée.

Si le gouvernement avait eu un principe d’équité, s’il avait pris en considération les véritables intérêts de la province de Limbourg, si les justes réclamations avaient été favorablement accueillies, n’aurait-il pas dû ouvrir une enquête contradictoire pour rechercher le moyen de concilier les différents intérêts des deux districts les plus importants de cette province ? Si cette enquête avait eu lieu en 1837, j’ai la conviction que l’on aurait pu trouver un tracé qui eût satisfaire aux besoins des différentes parties du (page 1450) Limbourg ; s’il fallait relier la ville de St-Trond au railway de l’Etat, il eût été possible de prolonger la voie ferrée au travers du canton riche et populeux de Looz, jusqu’à la commune de Cortessem, d’où un embranchement aurait pu conduire à Hasselt, et un autre se serait dirigé vers Ans par Tongres ; alors du moins cette province obtenait une certaine part dans les chemins de fer de l’Etat, dont on a largement doté les autres parties du royaume. La province de Limbourg avait des droits incontestables à être traitée avec la même ferveur que les autres provinces, puisqu’elle contribuait dans les charges de construction des railways ; qu’en outre, le traité lui imposait des sacrifices pénibles, et notamment l’arrondissement de Tongres a encore sous ce rapport, plus particulièrement des titres à la bienveillance du gouvernement et des chambres.

En abordant la question du railway à établir dans la province de Limbourg, j’ai l’honneur d’exposer à la chambre que, par le mémoire du conseil communal de la ville de Tongres, il est prouvé d’une manière péremptoire que toutes les principales relations commerciales du Limbourg sont vers les provinces de Liége, de Namur et le Luxembourg. Cette assertion est, en outre, corroborée par le mémoire du conseil communal de Hasselt, approuvé en séance du 25 août 1842, et adressé aux membres des deux chambres. il est donc étonnant de voir persister la ville de Hasselt dans sa préférence pour le tracé de St-Trond, lorsque cette ville obtiendrait, par la ligne du chemin de fer d’Anvers à Hasselt par Tongres, une communication plus directe, plus économique, surtout vers Liége et les autres localités où se trouvent les débouchés des produits de la ville de Hasselt et d’une grande partie de son arrondissement. C’est principalement dans l’intérêt de ses nombreuses distilleries que Hasselt réclame le prolongement du chemin de fer ; c’est une question vitale pour l’industrie et le commerce de cette ville d’obtenir des moyens de transport faciles et économiques avec les provinces, où sont toutes ses principales relations commerciales ; c’est ainsi que nous voyons, par le mémoire d’Hasselt, « que la houille, les pierres de taille, les pavés, la chaux, les ardoises, le fer, proviennent des environs de Liége ou des bords de la Meuse en amont de cette ville. Une quantité de bières, de houblon, de couleurs, de cuirs tannés, de papier, de vin, de vinaigre, de sel raffiné, de savon noir, de drap, de verreries, de faïence, etc., y parviennent de ou par Liége, la majeure partie des céréales nécessaires pour la fabrication du genièvre est fournie par la province du Limbrrug, ne vient pas conséquent pas par le chemin de fer ».

Pour les exportations des produits de Hasselt et de son arrondissement, il est constaté par le mémoire « que le genièvre s’expédie en grande partie vers Liége, Verviers et Luxembourg, le genièvre en transit provenant des distilleries de Herkenrode, Curange, Donck, etc., prend la même direction.

Le beurre, le tabac en feuille, la garance en poudre, les tuiles, le chanvre en bottes, la laine, les vieilles loques, l’avoine, le blé sarrasin, et les poissons d’eau douce, s’expédient principalement vers Liége ; le sapin, le bois blanc, les pommes de terre, les os, sont aussi exportés en partie vers Liége. »

Cependant, lorsqu’un projet aussi utile aux intérêts de la ville de Hasselt, que ceux d’une grande partie de Limbourg, est proposé, il semble actuellement que les distillateurs, les hommes politiques surtout, de cette ville et des environs, ne prennent plus en considération l’intérêt de leur industrie et de leur commerce ; d’autres motifs probablement tout personnels à quelques habitants influents de cet arrondissement, doivent prévaloir ; il n’importe plus que cette ville obtienne des relations plus directes, plus économiques avec Liége, Verviers et une partie de Luxembourg, où se traitent presque toutes ses affaires de commerce ; il importe seulement qu’elle soit reliée au chemin de fer de l’Etat. Quelques lieues de détour ne sont plus d’aucune importance ; la distillation des genièvres ne paraît plus en souffrance : elle peut supporter de plus forts droits de transport.

Dans le mémoire de la ville de Hasselt, l’on établit que pour pouvoir concourir avec les produits distillés sur les marchés du pays, il faut nécessairement que les prix de transports soient fortement modifiés ; à cet égard le conseil communal déclare qu’actuellement le prix moyen du transport, par voiture, de la houille des environs de Liége jusqu’à Hasselt, s’élève à la somme de 12 fr. par 1,000 kilog., tandis que par le chemin de fer prolongé de St-Trond, ce prix ne serait que de 7 fr. 20 ; ainsi, sur ce transport de 1,000 kilog. de Liége à Hasselt, les habitants, les distillateurs de cette ville doivent subir une perte de 4 fr. 80. Si au contraire, le chemin de fer d’Ans à Hasselt par Tongres s’exécutait, comme il y aurait un parcours de 5 à 6 lieues de moins à faire que celui de Liége, par Landen, St-Trond à Hasselt, qui a 13 lieues de longueur, il en résulterait que les prix du transport de toutes les marchandises pondéreuses, seraient diminués de plus de moitié ; le prix du transport de la houille ne serait plus que de 4 fr. 20 c., il y aurait donc un bénéfice de 7 fr. 80 c. sur le prix actuel de 12 fr., et de 3 fr, sur celui du chemin de fer par St-Trond ; si même la différence n’était que de 2 fr. et même de 1 fr. 50 c. par 1,000 kilog., ce résultat serait encore des plus avantageux pour les distilleries, et les autres intérêts communaux de la ville de Hasselt.

Il est évident que, si la ville de Hasselt réclame d’être reliée au chemin de fer de l’Etat, dans l’intérêt de ses distilleries, qui, d’après elle, paraissent être en souffrance, elle devrait donner la préférence à la direction la plus directe, la plus économique vers Liége et ses environs, et sous ce rapport, je crois plutôt défendre les véritables intérêts de cette ville, que les honorables collègues de l’arrondissement de Hasselt, qui, dans cette circonstance, semblent oublier les intérêts généraux du Limbourg, pour appuyer un véritable intérêt local, mal apprécié par ceux-là mêmes qui en 1842 réclamaient, dans l’intérêt de leur commerce et de leurs distilleries, une communication moins coûteuse vers Liége, Verviers, le Luxembourg, etc., où s’exportent notamment les produits distillés, et d’où l’on importe vers Hasselt la plus grande partie des marchandises pondéreuses.

Si le gouvernement veut établir des chemins de fer, des canaux, ou en accorder les concessions, il faut qu’il ouvre des enquêtes contradictoires, qu’il suive les dispositions de l’arrêté du 29 novembre 1836 (Bulletin officiel, n°594), sur les demandes en concession, qu’il s’entoure de tous les renseignements nécessaires, pour pouvoir apprécier les différents intérêts d’une province ; il ne faut pas qu’il laisse froisser les intérêts des uns, en faveur des autres ; il faut, autant que possible, chercher à les concilier. Actuellement, pour une simple route pavée ou empierrée, l’on fait une enquête ; mais lorsqu’il s’agit d’un chemin de fer, d’un canal, tout est laissé à l’arbitraire du gouvernement, d’autres exigences politiques et électorales, surtout, semblent le guider, et les plus justes réclamations, les intérêts les plus froissés ne sont plus pris en considération. Un gouvernement qui n’est pas juste envers des réclamations fondées d’une grande partie de provinces, agit presque toujours arbitrairement, il perd toute la considération de ceux qui sont constamment sacrifiés en faveur d’autres ; pour mériter cette juste considération, il doit, avant tout, être équitable envers toutes les localités du pays : le temps des privilèges n’existe plus ; cependant d’après la partialité du gouvernement envers certaines parties de provinces aux dépens d’autres, l’on pourrait croire qu’il veut les faire revivre.

Pour prouver à la chambre la partialité du gouvernement, sa prédilection en faveur d’une certaine partie du Limbourg, j’aurai l’honneur d’indiquer les travaux publics exécutés dans l’arrondissement de Hasselt depuis 1830 :

1° Une route de Hasselt à Saint-Trond, actuellement presque sans roulage ;

C’est dans cette direction que le chemin de fer de Saint-Trond doit être prolongé.

2° Une route de Hasselt à Diest, qui relie Hasselt au Brabant et à la province d’Anvers ;

3° Une route de Hasselt vers Maeseyck ;

4° Une route en exécution de Hasselt à Beeringen, ajournée, il y a quelques années, par le conseil provincial, puisque d’autres routes réclamées par différentes localités de la province, paraissaient être d’une utilité plus générale ;

5° Une route de Beeringen vers Diest ;

6° Une route de Saint-Trond à Herck-la-Ville ;

7° Une route de Hasselt vers Maeseyck, en exécution en partie, dans l’arrondissement judiciaire de Hasselt.

Cet arrondissement a encore obtenu l’embranchement du chemin de fer de Landen à Saint-Trond, que le gouvernement voudrait faire prolonger jusqu’à Hasselt, direction contraire aux intérêts généraux du Limbourg ; il, a l’espoir de voir relier la ville de Hasselt par un canal à celui de la Campine, d’obtenir la canalisation du Demer, et il possède sur son territoire le camp de Beverloo ; la ville de Hasselt a en outre obtenu une garnison et un athénée royal.

Si, depuis quelques années, le district de Maeseyck a obtenu quelques routes, cette partie de la province y avait des droits incontestables ; car, elle fut sacrifiée par le traité de paix, comme une grande partie de l’arrondissement judiciaire de Tongres ; j’ajouterai, que si l’arrondissement de Maeseyck a été doté du canal de la Campine, ce n’est pas aux efforts du conseil communal de Hasselt, ni à ses représentants, qu’il doit cet avantage, mais à l’insistance des députés de la province d’Anvers, des districts de Maeseyck et de Tongres ; cependant, ces derniers n’y avaient aucun intérêt direct ; des considérations d’un intérêt général les y ont portés à appuyer vivement cette canalisation.

Dans le mémoire du 25 août 1842, le conseil communal de Hasselt s’exprime ainsi à l’égard de la canalisation de la Campine : « Ce dernier projet, conçu par le gouvernement, dans la pensée générale de rendre productives les landes stériles et improductives, est loin de pouvoir recevoir une solution immédiate, car toutes les difficultés ne sont pas aplanies, et jusqu’à ce jour aucune mesure n’a été prise pour l’acquisition de zones parallèles à ces canaux et à leurs embranchements, dont l’Etat se réserve la propriété. La canalisation de la Campine est donc pour nous une question d’avenir. »

Si l’on avait écouté les vœux de ce conseil communal, la province de Limbourg n’aurait pas obtenu de sitôt le canal de la Campine ; il n’eût pas été décrété en 1843 ; il fallait que le chemin de fer de Hasselt obtînt la préférence sur la canalisation ; il paraît toutefois que les habitants de la Campine, en pétitionnant, en partie, pour le prolongement du chemin de fer de St-Trond à Hasselt, ont oublié l’opposition faite par l’administration de Hasselt à la prompte exécution du canal traversant cette contrée, trop longtemps négligée sous le rapport des travaux publics. Nous ne pouvons concevoir les motifs qui engagent les habitants d’une partie de la Campine à donner la préférence au tracé par St-Trond. Il est incontestable, et je défie de me prouver le contraire, que toutes les relations commerciales de cette contrée du Limbourg ont toujours été vers Liége ; aussi, M. l’ingénieur en chef Groetaers, déclare formellement dans son rapport du 15 mai 1844, que Liége est le principal centre des expéditions vers la Campine. C’est par le canal de la Campine qu’elle pourra former de nouvelles relations avec Anvers, et, quant aux relations avec le Brabant, elles se feront, en grande partie, par la route de Beringen vers Diest, surtout sui cette route était continuée de Beeringen vers Hasselt.

L’arrondissement judiciaire de Tongres, sacrifié et morcelé par le traité avec la Hollande, avait avant 1839 une population de 123,793 habitants, dont 76,362 restèrent à la partie cédée du Limbourg ; pour réparer en partie cette perte, le canton de Looz de l’arrondissement de Hasselt, ayant (page 1450) environ une population de 19 000 habitants, fut joint à celui de Tongres. Néanmoins, la population de cet arrondissement judiciaire est restée de 57,000 âmes au-dessous de celle avant 1839 ; en outre, toutes les anciennes relations commerciales avec le Limbourg néerlandais, et le commerce très-considérable de transit vers Aix-la-Chapelle et l’Allemagne, ont dû cesser, ainsi qu’une partie du transit de commerce de Liége vers Tongres, vers le Brabant septentrional.

Lors de l’exécution de ce fatal traité, notamment pour l’arrondissement de Tongres, le gouvernement promit formellement de réparer les pertes des parties morcelées, par des compensations de toute nature ; cependant, depuis 1839, le district actuel de Tongres, froissé dans tous ses intérêts, n’obtint qu’avec une grande peine une petite route de deux lieues de Tongres à Bilsen, et dont encore la largeur du pavé n’est que de 2 ½ mètres ; il avait, en outre, obtenu depuis 1830 une petite route en gravier de jonction autour de Maestricht, entre la route de Tongres et celle de Maeseyck, d’une longueur de une lieue et demie ; si l’on met en regard les routes et autres travaux publics accordés à l’arrondissement de Hasselt, il est de toute évidence que le gouvernement a été inique envers celui de Tongres, qui a dû supporter la plus grande part des sacrifices imposés au Limbourg, en faveur de la Hollande.

Toutes les nombreuses réclamations de plusieurs localités du district de Tongres n’ont eu, jusqu’ici, aucun succès ; tantôt le département des travaux publics n’a pas assez de fonds à sa disposition ; une autre fois, le génie militaire, qui est le mauvais génie de cet arrondissement, s’oppose à toute construction de route se dirigeant vers Maestricht ou la Hollande ; c’est toujours avec de pareilles phrases que messieurs les ministres des travaux publics qui se sont succédé, ont répondu aux demandes de cette partie du Limbourg ; pour le district de Hasselt, il en est tout autrement ; le gouvernement a une toute autre manière d’agir, il a une toute autre mesure, c’est le district privilégié ; presque chaque année, l’une ou l’autre route y est décrétée, l’avis contraire du génie militaire n’est nullement pris en considération.

Pour combler la mesure des griefs, le gouvernement, non content d’avoir été jusqu’ici injuste à l’égard d’une partie du Limbourg, propose encore actuellement de porter le plus grand préjudice à l’arrondissement de Tongres, en autorisant le prolongement du chemin de fer de Tongres à Hasselt. Ce prolongement anéantirait toutes les relations actuelles de Liége à Hasselt par Tongres ; ce dernier arrondissement se trouverait dans une véritable impasse, ayant déjà perdu une grande partie de son commerce vers Maestricht, vers l’Allemagne et vers Bois-le-Duc, et serait, en outre, privé d’une communication prompte et économique, à établir entre Ans et Hasselt, qui serait d’un immense avantage pour les deux arrondissements les plus populeux du Limbourg. Par cette voie ferrée, ils seraient mis en relation avec les provinces où se traitent au moins les deux tiers de leurs affaires commerciales.

Si l’on décrète des chemins de fer, l’on doit plutôt avoir égard aux relations commerciales qu’aux considérations personnelles qui ne paraissent pas étrangères à la prédilection du gouvernement et d’autres hommes politiques pour le tracé de St-Trond à Hasselt.

C’est toujours par des pareilles considérations que les intérêts de l’arrondissement de Tongres ont été sacrifiés ; que le gouvernement n’a pas fait droit aux justes réclamations ; qu’il a constamment donné sa préférence à l’une des parties de la province du Limbourg aux dépens de l’autre. Quoique sacrifiée par les exigences de la politique, elle ne paraît cependant pas moins mériter la sollicitude gouvernementale.

L’administration de la ville de Tongres démontre à l’évidence, par le mémoire qu’elle a adressé à la chambre, qu’il est d’un intérêt majeur, pour cet arrondissement où la population est la plus agglomérée, où le sol est le plus riche, le plus fertile, de n’être pas laissée en dehors des avantages de la voie ferrée ; il y a dans cette partie du Limbourg le plus de transactions commerciales ; elle produit annuellement une grande quantité de céréales, dont à peu près la moitié est transportée vers Liége, et le seigle principalement à Hasselt ; cet arrondissement a un certain nombre de distilleries, des fabriques de sucre, de sirop, de vinaigre, de nombreuses brasseries, des tanneries, des savonneries, des tuileries, des scieries de bois, des moulins à farine et à l’huile ; en outre, les fabriques de chapeaux de paille de Roclenge, Bassange, Wonck, etc., situés dans le vallon du Geer, font annuellement des affaires pour passé deux millions de francs ; il y a aussi, dans le district de Tongres, des centaines de métiers à tisser la toile de lin et d’étoupes ; beaucoup de bois et de plantations d’arbres de toute essence. La ville de Tongres, au centre de cette riche contrée, possède des marchés hebdomadaires de grains et de bétail, que l’on peut regarder comme des plus importants du royaume. Dans l’arrondissement de Hasselt, à l’exception du canton de St-Trond, la population y est disséminée sur une grande étendue de terrain ; le sol y est, en général, peu fertile, les transactions, par conséquent, ne peuvent y être aussi nombreuses que dans la partie où la population est agglomérée, où le territoire est le plus riche ; cette partie se trouve principalement vers le midi, entre Maestricht, Tongres et Liége.

Les distilleries de Hasselt ont certes une grande importance, et méritent, sous ce rapport, que leurs intérêts soient pris en considération ; aussi je ne contesterai pas l’utilité de donner à cette intéressante industrie de Hasselt et de son arrondissement un moyen de communication facile et économique avec le chemin de fer de l’Etat ; mais ce que je conteste, et que les mémoires des villes de Hasselt et de Tongres prouvent d’une manière irréfutable, c’est que la direction du chemin de fer de St-Trond à Hasselt n’est pas celle qui est réellement la plus utile aux distilleries de cette partie du Limbourg. Par le mémoire de 1842 de la ville de Hasselt, il est affirmé que, pour concourir sur les marchés consommateurs des produits distillés, il faut le moyen de transport le plus direct, le plus économique ; cette assertion est encore corroborée par le rapport de M. l’ingénieur en chef Groetaers du 15 mai 1844, où il est dit que le tracé le plus direct est celui qui est le plus utile, qu’il résulterait une augmentation dans le fret, par un parcours plus long sur le chemin de fer. Or, nous voyons que toutes les principales relatons commerciales de Hasselt et de son arrondissement sont vers Liége, Verviers, Luxembourg, etc, et que c’est vers ces localités que se portent leurs genièvres, que les bois de sapin sont dirigés en grande partie vers les houillères des environs de Liége ; que de Liége, Namur et du Luxembourg, viennent toutes les marchandises pondéreuses, que vers XXXX de là s’expédient les 7/10 au moins des affaires de commerce.

Si les intérêts matériels de deux arrondissements du Limbourg plaident en faveur de la direction la plus économique, la plus directe vers Liége, il est de toute nécessité que le chemin de fer soit dirigé de manière à desservir tous les intérêts de la majeure partie de cette province. Le tracé proposé par le gouvernement ne répond nullement aux exigences commerciales de la généralité du Limbourg, parce qu’il se dirige à peu près à l’extrême frontière de la province vers l’occident ; ce chemin de fer ne parcourra presque pas de localités populeuses, il ne favoriserait même qu’incomplètement la ville de Hasselt ; le tracé du gouvernement priverait, en outre, la plus grande partie des populations de cette province du bienfait du chemin de fer, ne relierait pas directement les habitants et le commerce de l’arrondissement de Tongres au canal projeté de Hasselt, aux canaux de la Campine, et forcerait le commerce de Hasselt de faire un détour de cinq ou six lieues pour arriver à Liége ; si cette direction relie plus directement la ville de Hasselt au Brabant, les relations de ces deux parties du pays sont si peu importantes, qu’actuellement la route de St-Trond à Hasselt, exécutée aux frais de la province, est tellement délaissée du roulage, qu’elle était une charge pour la province du Limbourg ; aussi, par arrêté royal du 24 décembre 1840, le gouvernement a consenti à la reprendre ; l’on ne peut donc prétendre, avec quelque fondement, que c’est vers cette partie de la Belgique que se dirigent les principales affaires commerciales de Hasselt. Si l’on insiste pour le tracé vers St-Trond, disons-le franchement, ce n’est que dans le seul désir de satisfaire à l’exigence de quelques personnes influentes du district de Hasselt, qui se verraient, à regret, forcées de faire quelques lieues de détour pour arriver à Bruxelles. Si l’on avait réellement à cœur les véritables intérêts de l’industrie, du commerce de la ville de Hasselt, ne faudrait-il pas plutôt appuyer la direction la plus directe vers Liége ?

Dans toute cette affaire du chemin de fer d’Ans à Hasselt, je dois le dire à regret, M. le ministre des travaux publics n’a pas agi avec cette impartialité que l’on devait attendre d’un chef de département ministériel, surtout après les vives réclamations qui lui ont été adressées, ainsi qu’à la chambre, contre le tracé du chemin de fer proposé par le gouvernement, dont l’exécution porterait le plus grand préjudice à la partie la plus riche, la plus populeuse du Limbourg.

M. le ministre n’aurait-il pas dû chercher à concilier les deux intérêts de cette province, actuellement divisés ? Il fallait seulement se ressouvenir de la grande opposition qu’avait rencontrée en 1837 la direction du railway que l’on veut maintenant prolongé. Si le gouvernement, mû par un principe d’équité, avait voulu faire chose utile pour les différents intérêts de cette province, il aurait dû rechercher le tracé le plus profitable à la plus grande partie du Limbourg ; il fallait faire une enquête contradictoire, comme l’a demandé le conseil communal de la ville de Tongres, demande à laquelle, je pense, on n’a pas daigné répondre, puisque l’on n’avait pas de bonnes raisons à y objecter. Certes, alors, toute personne impartiale, non prévenue d’un intérêt purement local, aurait dû donner la préférence à la direction de Liége à Hasselt par Tongres, parce que de là et vers là se traitent toutes les principales affaires commerciales de cette province.

Mais il paraît qu’en accolant le chemin de fer de St-Trond à Hasselt à celui de Jurbise, il fallait coaliser différents intérêts, établir entre ces deux chemins une telle connexité, qui du reste n’ont rien de commun, qu’il ne fût pas possible à la chambre de les séparer ; en admettant l’un, il fallait aussi adopter l’autre. Je crois devoir vivement désapprouver une telle manière d’agir ; il me semble qu’un ministre, lorsqu’il propose un projet de loi à l’assentiment des chambres, doit être assuré que ce projet, par son importance, par l’intérêt général qui s’y rattache, peut être accepté par la grande majorité des chambres, sans avoir besoin de former une coalition de différents intérêts, pour obtenir une majorité intéressée ; administrer les affaires de l’Etat par de pareils moyens, forcer différents intérêts à se donner la main ; c’est presque toujours sacrifier l’intérêt du trésor en faveur des intérêts particuliers en politique ; c’est ainsi que, par le contrat avec la Société de Mackenzie, les intérêts de l’Etat ont été entièrement négligés, de même ils auraient été sacrifiés par la première convention faite par M. le ministre des travaux publics avec la société Richards pour la garantie d’un minimum d’intérêts qui, peut-être, eût été acceptée par la chambre, si l’honorable M. Rodenbach, et moi, nous n’avions fortement engagé MM. Taylor et Delaveleye à présenter leur demande en concession sans cette garantie ; c’est probablement par la persistance de la société Taylor à demander la concession du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, que celle de Richards a été forcée de renoncer à un minimum d’intérêts, que de meilleures conditions ont été stipulées en faveur de l’Etat, et le pays n’a pas été obligé d’avaler la pilule dorée que M. le ministre des travaux publics lui avait préparée, et que peut-être, plus tard, on aurait dû payer.

Je fera aussi un reproche à M. le ministre d’avoir désigné, pour faire les études préparatoires du chemin de fer d’Ans à Hasselt, le même ingénieur (page 1452) en chef qui déjà en 1837, ensuite en 1844, avait dans ses différents rapports, donné des avis contraires à toute direction d’un railway vers la ville de Tongres ; en chargeant ce haut fonctionnaire de ce travail, il était à prévoir qu’il ne serait pas revenu de ses opinions primitives ; au contraire, ayant fait le rapport du 15 mai 1844 sur le prolongement du chemin de fer de Saint-Trond à Hasselt, il devait naturellement donner la préférence à cette direction, pour ne pas être en opposition avec ses décisions antérieures sur le tracé le plus favorable à tous les intérêts du Limbourg. Si M. le ministre avait voulu obtenir un rapport tout à fait impartial, il fallait charger un autre ingénieur des études du chemin de fer dont la concession était demandée par MM. Detiège et Blyckaerts ; il est probable qu’alors nous n’aurions pas reçu un rapport contraire à l’établissement du railway d’Ans à Hasselt par Tongres, il put été démontré à l’évidence que c’était la direction la plus utile aux véritables intérêts de la province du Limbourg, que cette voie ferrée pouvait être exécutée sur une échelle moyenne, comme le chemin de fer du pays de Waes, et non au coût présumé dans le rapport de M. l’ingénieur en chef Groetaers, qui me paraît avoir exagéré les dépenses, surtout en dépassant les frais par lieue de construction de plus de 16,000 fr. de ceux de la ligne de Landen à Saint-Trond ; pour tous ceux qui connaissent les différentes localités du Limbourg, il est notoire que les terrains entre Saint-Trond et Landen sont d’une plus grande valeur que ceux situés d’Ans à Tongres, et surtout de cette ville d’Hasselt.

Sous un autre rapport, le travail de M. Groetaers peut aussi être soumis à quelques réflexions critiques ; pour former les évaluations de la recette du chemin de fer de Landen à St-Trond, M. l’ingénieur en chef prend les calculs du mouvement commercial indiqués dans le mémoire de la ville de Hasselt ; ces chiffres statistiques sont alors d’une exactitude rigoureuse ; aucune somme, quelque minime qu’elle soit n’est négligée ; il faut arriver à une évaluation de recette, aussi élevée que possible, pour démontrer que, réellement, le chemin de fer de St-Trond à Hasselt donnerait un bénéfice assez marquant qui produirait un revenu de plus de 6 p.c. à la ligne de Landen à Hasselt ; mais lorsqu’il s’agit de la voie ferrée par Tongres, alors les chiffres du mouvement commercial énoncés dans le mémoire du conseil communal de cette ville paraissent à M. l’ingénieur en chef, être fort exagéré. Si M. Groetaers croyait devoir admettre les calculs de Hasselt, il me semble qu’il n’est pas en droit de récuser la véracité des assertions de la régence de Tongres, dont les chiffres indiqués dans le mémoire sont puisés dans les registres des receveurs des accises et de l’octroi municipal : il ne faut pas avoir deux poids et deux mesures, si l’on veut rester équitable. D’après les rapports de M. Groetaers des 8 et 20 février 1845, il n’établit qu’une différence de 15 kilom, ou 2 lieues 3/5 à l’avantage du tracé d’Ans à Hasselt par Tongres, dont la longueur serait de 38 kilom. 75 tandis que la distance réelle à Hasselt, par le railway de St-Trond, est de 35 kilom. 5 ; ainsi, la différence entre ces deux tracés seraient de 26 kilom. 30 en faveur de la direction de Tongres ; pour parvenir à la différence de 13 kilom., M. l’ingénieur est chef est obligé de prendre la moyenne des distances de Liége à Hasselt par la route pavée, par le chef de fer de St-Trond, c’est sur cette moyenne de 51 kilomètres qu’il base son calcul, pour fixer le prix des transports en destination de Liége par Hasselt ; il en résulte, à l’évidence, que le chemin de fer devra transporter pour rien, pour chaque parcours, sur une distance de 13 kilomètres 30, tous les voyageurs et les marchandises se dirigeant de Liége vers Hasselt, et de là vers Liége ; en calculant les frais de locomotive, etc., à raison de 14 fr. par lieue, comme le fait M. l’ingénieur en chef à la page 142 du rapport, je trouve que dans l’hypothèse d’une circulation de trois convois par jour, dans les deux sens, cela ferait une perte indirecte de 200 fr. par jour, en ne prenant que quinze lieues de parcours, et pour l’année la perte serait de fr. 76,650.

Ce sacrifice est assez important pour que la chambre examine sérieusement s’il n’y aurait réellement pas plus d’avantages pour les intérêts du trésor, de se prononcer en faveur du tracé le plus direct de Liége à Hasselt, surtout si l’Etat doit, en outre, subir la perte des intérêts du capital employé à la construction de l’embranchement de Landen à St-Trond, dont le capital renseigné est de fr. 1,320,000

Il faut y ajouter pareillement les intérêts du matériel de l’exploitation ; ce capital est évalué à 280,000

Id. du subside de l’Etat, de 128,000

Total : 1,728,000

Les intérêts de ce capital à 5 p.c. font annuellement 86,400

La perte indirecte indiquée ci-dessus est de 76,650

La perte réelle pour l’Etat serait chaque année de fr. 163,050

D’après le rapport de M. Groetaers, le coût du chemin de fer de St-Trond à Hasselt est évalué à fr. 1,472,000

Mais la société concessionnaire recevant de l’Etat et de la ville de Hasselt un subside de 200,000, elle n’aura réellement à débourser que la somme de 1,272,000

Pour indemniser la société de la dépense qu’elle aura faite, par la construction de ce railway, elle obtiendrait chaque année 50 p.c. de la recette brute, évaluée dans le rapport de M. Groetaers à la somme de 292,368 48

Dont la moitié, attribuée à la société, est de 146, 184 24

En calculant annuellement 5 p.c. pour satisfaire aux intérêts de ce capital, et 1 p.c. pour son amortissement, ce calcul est certes très-large ; la société devra prélever 76,320

Il lui resterait un bénéfice annuel de fr. 69,864 24 après avoir défalqué les intérêts et l’amortissement du capital employé à la construction du chemin de fer de St-Trond à Landen.

Les sacrifices que l’Etat s’impose, les avantages considérables qu’il accorde à la société concessionnaire pour obtenir la construction d’un chemin de fer de trois lieues de longueur, me semblent devoir fixer l’attention particulière de la chambre, d’autant plus que ce chemin de fer ne satisfait que très-imparfaitement les relations commerciales du Limbourg, et que son exécution froisserait les intérêts de la partie la plus riche, la plus populeuse de cette province, qui serait laissée en dehors de la ligne des voies ferrées.

L’on m’objectera probablement que la demande en concession du chemin de fer d’Ans à Hasselt par Tongres, n’était pas sérieuse, puisque M. Detiège et Blyckaerts n’avaient pas présenté un projet entièrement étudié, ni fourni le cautionnement ; si ce cautionnement n’a pas été déposé, c’est que M. le ministre des travaux publics ne l’a pas désiré, n’ayant voulu prendre aucun engagement envers ces demandeurs en concession, malgré plusieurs démarches de leur part, appuyées par les députés de l’arrondissement de Tongres.

La demande en concession a été formée le 2 décembre 1844 ; ce n’est que le 24 du même mois, que M. le ministre leur répondit qu’il ne pouvait donner suite à leur projet, leur demande n’étant pas accompagnée d’un avant-projet ; après une nouvelle démarche faite par M. Detiège et Blyckaerts, au commencement du mois de janvier, M. le ministre leur donna cependant l’assurance qu’il leur adjoindrait des ingénieurs pour faire les études du tracé d’Ans à Hasselt ; mais au lieu de donner immédiatement les ordres à MM. les ingénieurs, pour se rendre sur le terrain, ce ne fut qu’une dizaine de jours après l’entrevue de M. le ministre avec MM. les demandeurs en concession, que M. Groetaers reçut les instructions pour en faire les études préparatoires. Il avait été convenu que MM. les entrepreneurs seraient mis en relation avec MM. les ingénieurs, ce qui n’eut lieu qu’après une interpellation de ma part. on laissa ainsi passer presque tout le mois de janvier, où le temps était très-favorable pour faire les études, sans qu’aucune suite fût donnée à cette demande de MM. Detiège et Blyckaerts ; ensuite les ingénieurs s’étaient rendus sur les terrains sans les en prévenir, ils pouvaient ainsi choisir le tracé qui était à leur convenance, tandis qu’avant de commencer les opérations, ils auraient dû se mettre d’accord avec les demandeurs en concession sur la direction qu’il fallait suivre.

Si maintenant nous nous reportons à la manière d’agir envers la société Mackenzie, il en est tout autrement : c’est la société privilégiée, on lui présente un projet-compte, étudié par un ingénieur en chef de l’Etat ; elle n’a que la peine d’examiner le projet, elle n’a pas de frais à faire, et on lui accorde, le 7 du mois de décembre 1844, un contrat tellement favorable, que s’il ne reçoit pas des modifications importantes, les intérêts du trésor seraient fortement froissés ; on laisse à la compagnie Mackenzie tout le temps pour se constituer, pour former son capital, et pour fournir le cautionnement. Si M. le ministre des travaux publics avait agi de même envers MM. Detiège et Blyckaerts, ils auraient déposé leur cautionnement dans le délai de 15 jours, à dater de l’assurance qu’ils auraient obtenue, que la concession leur serait accordée.

Voulait-on peut-être prétendre, que ces demandeurs en concession aurait dû fournir le cautionnement, sans obtenir aucune assurance d’être déclarés concessionnaires ? En tout cas, il me semble que l’on ne voulait pas de cette concession, parce qu’elle devait porter préjudice au projet de coalition présenté par M. le ministre des travaux publics, qu’il paraît affectionner outre mesure. La manière d’agir envers la demande de MM. Detiège et Blyckaerts démontre la grande partialité du gouvernement, puisqu’il propose même à l’adoption de la chambre des projets de chemins de fer, dont les conventions ne sont pas encore signées par les sociétés demanderesses en concession ; en outre, qu’il marche dans la direction des affaires du pays, sans aucun principe ; que tout dépend du bon plaisir de MM. les ministres, ou de l’influence politique qui les fait mouvoir. Il accorde parfois des concessions de chemins de fer qui doivent faire une forte concurrence au railway de l’Etat ; c’est ainsi que le département des travaux publics a concédé la construction de la voie ferrée de Gand vers Anvers, et qu’il propose actuellement le chemin de fer de Liége à Namur, celui de Tournay vers Jurbise ; mais ce dernier chemin de fer a l’avantage de passer par le district d’Ath, dont les intérêts doivent être appréciés particulièrement par M. le ministre des travaux publics ; c’est pourquoi l’on veut, en outre, doter cet arrondissement du chemin de fer de la vallée de la Dendre ; sous ce rapport, il faut bien accorder quelques faveurs aux arrondissements qui ont l’avantage d’avoir un représentant à portefeuille ; c’est ainsi que nous voyons que les districts électoraux de la plupart de MM. les ministres auront obtenu, pendant le courant de cette session, l’assurance d’être dotés de chemins de fer, surtout si la concession de la voie ferrée de Jemeppe sur Sambre à Louvain est décrétée.

N’ayant plus rien à attendre de la justice du gouvernement, qui propose actuellement des railways pour presque toutes les parties du pays, sans y comprendre le chemin de fer d’Ans à Hasselt par Tongres, quoique ce district, sacrifié à l’intérêt général, ait cependant plus de droit que tout autre d’obtenir des compensations pour les pertes éprouvées, je crois devoir m’adresser à la chambre et réclamer sa bienveillante intervention envers un district mutilé et morcelé en 1839, par les exigences politiques, qui, jusqu’ici, malgré ses vives réclamations, n’a presque rien obtenu pour les sacrifices que la nation lui a imposés ; le chemin de fer d’Ans à Hasselt par Tongres aurait pu améliorer la position matérielle de cette partie populeuse du Limbourg, en y attirant des relations commerciales nouvelles, et en y maintenant surtout les anciennes qui pourraient prendre une autre direction si le chemin de fer de St-Trond doit être prolongé jusqu’à Hasselt.

(page 1453) Les nombreuses pétitions adressées aux chambres et au gouvernement, prouvent à l’évidence que le tracé d’Ans par Tongres est réellement celui qui convient le plus aux intérêts généraux du Limbourg ; il est pareillement le plus utile aux nombreuses relations commerciales avec la province de Liége ; aussi les pétitions des conseils communaux des villes de Liége, de Verviers et de leurs chambres de commerce, démontrent le grand intérêt que ces deux villes industrielles ont d’être reliés à la province de Limbourg, par la voie ferrée la plus directe, par conséquent la plus économique. Les réclamations des villes de Liége, de Verviers et de leur commerce, réunies à celles de la partie populeuse du Limbourg méritent quelque considération, et ne devraient pas être dédaignées ; elles doivent être d’un plus grand poids sur la décision que la chambre prendra que celles adressées en sens contraire, qui n’ont en vue que des intérêts de localités ou des intérêts de personnes, tandis que les autres réclament dans l’intérêt de leur commerce, dans l’intérêt général, d’être reliés au railway de l’Etat vers les parties de la Belgique où se traitent la plus grande partie de leurs affaires commerciales. J’ajouterai en outre, si le gouvernement laissait aux distillateurs et industriels de la ville de Hasselt, l’option de choisir la direction du chemin de fer par St-Trond, ou par Tongres vers Liége, que cette dernière direction obtiendrait la préférence, car il n’est pas à supposer, qu’une voie indirecte devant augmenter les frais de transport, puissent obtenir leur assentiment, lorsque, par le tracé par Tongres, ils auraient la route la plus directe et la plus économique qui, pour l’industrie principale de Hasselt, est indispensable pour pourvoir soutenir la concurrence sur les marchés où elle vend ses produits.

D’après les considérations que j’ai fait valoir en faveur d’une autre direction à donner au railway à établir dans le Limbourg que celle proposée par le gouvernement, je crois devoir demander à la chambre de disjoindre le projet du chemin de fer de Saint-Trond à Hasselt à celui de Jurbise, de vouloir ordonner qu’une enquête contradictoire ait lieu, pour que les différents intérêts de cette province puissent être entendus sur le tracé du chemin de fer qui serait le plus utile aux intérêts généraux et au commerce du Limbourg.

Les motifs que M. le ministre des travaux publics a donnés à la section centrale, à l’égard de la question d’enquête soulevée dans deux sections de la chambre, ne me paraissent nullement concluants pour s’opposer à la proposition que j’ai l’honneur de faire ; M. le ministre reconnaît d’ailleurs lui-même que les enquêtes en matière de travaux publics ont, en général, pour objet de reconnaître si les ouvrages projetés sont d’utilité publique, et de donner aux divers intérêts engagés dans la question (intérêts industriels, commerciaux, agricoles et de localités), les moyens d’être entendus ; mais d’après M. le ministre, lorsqu’il s’agit d’un projet de loi relatif à la concession d’un chemin de fer, il n’est pas nécessaire qu’une enquête ait lieu pour que les chambres puissent prendre une détermination en pleine connaissance de cause ; il me semble qu’en tout cas il devrait y avoir une enquête ; surtout s’il y a de fortes oppositions formées contre le tracé d’un railway, l’enquête est toujours obligatoire, puisque l’arrêté du 29 novembre 1836 ne fait aucune distinction ; il faut que les projets de travaux publics soient entourés de tous les renseignements nécessaires, non-seulement pour prouver qu’ils sont d’utilité générale, mais aussi il faut que les différents intérêts puissent se faire entendre, et s’opposer à des constructions qui seraient contraires à leurs véritables relations commerciales.

M. le ministre s’oppose, en outre, à une enquête parce que qu’elle entraînerait des retards d’une année ; ainsi, pour froisser de grands intérêts, pour nuire à de très-anciennes relations de commerce, pour les déplacer entièrement, il faut se hâter d’accepter la direction d’un chemin de fer qui ne satisfait qu’à une partie minime des besoins de la ville de Hasselt, et qui fera le plus grand tort aux intérêts de la partie la plus populeuse, la plus riche de la province de Limbourg.

J’ai donc l’honneur de proposer que le chemin de fer de St-Trond à Hasselt soit distrait de celui de Jurbise, qu’il y ait une enquête pour constater contradictoirement la meilleure direction du railway à établir dans la province du Limbourg ; si cette proposition n’était pas adoptée, je me verrais forcer de m’abstenir ou de voter contre les projets de chemins de fer qui soulèveraient de fortes oppositions, et qui n’auraient pas été soumis à une enquête préalable ; je veux que tous les intérêts soient consultés et entendus avant que l’on décrète la direction d’un chemin de fer.

- La séance est levée à 4 heures et demie.