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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 13 décembre 1844

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 355) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à une heure.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Le sieur P. Desmet, maître d’équipage à bord du bâtiment marchand le Macassar, désirant quitter le service de la marine royale, demande que son avoir à la masse lui soit compté. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Peruwelz demande que la station du chemin de fer dans la traverse de la Leuze soit établie à la barrière du Vieux-Leuze. »

- Même renvoi.


« Par dépêche en date du 12 décembre, M. le ministre de la guerre transmet à la chambre des renseignements relatifs à la requête du sieur Martin Braive, qui demande que sa position, en qualité d’ancien major de corps franc, soit régularisée. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. le président – Le gouvernement a adressé à la chambre, pour être déposées sur le bureau, les pièces relatives aux négociations avec le Zollverein jusqu’à la date du traité.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le rapport sur le budget de l’intérieur a été distribué ce matin. Je propose d’en fixer la discussion après la discussion actuelle.

M. Delfosse – Après le second vote du budget sur la justice.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est entendu.

- L’ordre du jour, proposé par M. le ministre de l'intérieur, est adopté.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu avec le Zollverein

Discussion générale

M. Mast de Vries – Messieurs, si le banc du ministère était occupé par des hommes qui fussent les plus antipathiques à mes opinions, et si ces hommes avaient posé la convention avec le Zollverein, je ne pourrais m’empêcher de les féliciter sur le résultat qu’ils ont obtenu ; je n’hésiterai donc pas un seul instant à les soutenir de mon vote ; c’est que, pour moi, la convention avec le Zollverein n’est pas un acte purement commercial, ne se réduit pas aux proportions exiguës d’un simple traité de navigation. La convention avec le Zollverein est, à mes yeux, un acte politique de la plus haute importance ; c’est, en quelque sorte, pour moi, le seul acte de la véritable indépendance que la Belgique ait réussi à poser ; je dis le seul acte de véritable indépendance que la Belgique ait réussi à poser, parce que, dans mon opinion, il détruit une espèce de suzeraineté qu’une puissance voisine paraissait exercer sur nous. Je conçois que notre origine de 1830 ne devait pas exciter de très-vives sympathies chez divers gouvernements qui nous avoisinent, mais cette révolution, en détruisant la circonscription territoriale qui avait été imposée par les hautes puissances, était un événement pour un gouvernement voisin, pour la France, plus important que celui qui a eu lieu dans ce pays, par la révolution de juillet ; c’était déchirer les traités de 1815 ; et c’était à ce prix que la nouvelle dynastie pouvait se voir bien assise en France. D’après moi, il eût été juste que les sympathies politiques de la France nous eussent été acquises. Je ne parle pas des sympathies politiques, je reconnais que, sous le rapport politique, la France nous a donné des preuves de ses sympathies ; je me souviens que la France est venue faire le siège de la citadelle d’Anvers. Mais quand il s’est agi de sympathies réelles pour nous-mêmes, de sympathies commerciales, je ne me souviens pas que la France ait donné de grandes preuves, je ne me souviens point qu’elle ait accueilli un seul de nos produits, pas une seule pièce de drap pour sa consommation.

Messieurs, à quoi se réduisent aujourd’hui nos exportations en France ? Vous le savez : malgré la mémoire assez heureuse que je possède, je n’en ai pas assez pour vous dire toutes les concessions que nous avons faites ; nous avons tout cédé ; qu’avons-nous obtenu ? Quand la France nous a fait quelques concessions, elle s’est empressée, le lendemain, de les retirer pièce à pièce, de manière que les concessions que nous avions faites étaient réelles, et celles que la France nous avait faites était réduites à rien.

Je vous dirai quelques mots de notre commerce des toiles : nous faisons des affaires avec la France. L’amendement de Lespaul, dont vous aurez sans doute conservé le souvenir, y a bientôt mis ordre. Le gouvernement français, je le sais, pouvait se retrancher derrière la volonté de la chambre ; il pouvait nous dire : Je suis contraint d’exécuter sa volonté. Mais, plus tard, lors de la convention du 16 juillet, n’avons-nous point eu la preuve de toute la mauvaise volonté du gouvernement français ? Ressouvenez-vous comment on a exclu nos toiles de la consommation de l’armée ?

Je n’entends point, messieurs, à l’occasion du traité avec le Zollverein, engager notre gouvernement à faire une guerre de douanes avec la France, mais ce que je voulais, ce que je désire de toutes mes forces, c’est de ne pas rester, pour ainsi dire, dans la dépendance de la France.

La France reçoit de la Belgique des matières premières nécessaires à son industrie ; nos houilles, par son système de zones ; une partie de notre (page 356) métallurgie par les avantages qu’elle nous fait ; nos toiles par la convention du 16 juillet ; mais s’il entrait dans sa politique de nous priver des relations que nous avons encore, je vous demande quelle serait la perturbation qui en résulterait en Belgique ; qui de vous peut le prévoir ?

C’est l’épée de Damoclès suspendue sur la Belgique. Il dépend de la France, de la chambre française, de porter la plus grande perturbation dans notre pays. C’est cette situation que j’ai toujours désiré voir changer. Il ne fallait pas dépendre de la volonté d’un seul gouvernement. La convention avec le Zollverein porte un changement notable dans notre existence politique. Il ne dépendra plus de la France de nuire à notre industrie métallurgique, nous obtiendrons pour nos charbonnages de nouveaux débouchés. Notre industrie métallurgique pouvant exister indépendamment de ce qui pourra se faire en France, nos charbonnages pourront exister également, parce que si l’industrie métallurgique prend de l’essor, l’industrie charbonnière en sentira les effets, et que le Zollverein pourra lui-même en consommer.

Le traité avec le Zollverein donne un immense avantage à notre gouvernement pour les traités qu’il va faire. Et si le gouvernement français retirait la convention du 16 juillet ou nous demandait de nouveaux sacrifices, le gouvernement belge pourra dire : Je dois frapper l’industrie viticole. J’ai en main contre la France, des armes que je n’avais pas auparavant.

En envisageant le traité de cette manière, je ne veux pas dire qu’il n’y ait pas des dispositions que je regrette d’y voir ; mais je ne dis pas que je les blâme, parce que je crois que le gouvernement a fait ce qui dépendait de lui pour bien faire. Il ne s’est pas trouvé en situation d’obtenir ce qu’il pouvait désirer, sur trois points principaux ; le premier, c’est la question des bois. J’avoue, je déclare que je suis grand partisan du droit sur les bois ; ainsi, je crois que le gouvernement doit changer la législation existante, quand le traité avec le Zollverein sera adopté. Mais, d’après les explications qui ont été données à la section centrale et que M. le ministre de l'intérieur a données hier, c’est une question qui dépend absolument de nous ; il n’y pas d’engagement secret, c’est une question que nous pouvons résoudre sans consulter personne. Ainsi, ce premier point n’est pas une raison pour moi de rejeter le traité ; je n’ai donc point de vives inquiétudes sur l’avenir de la question des bois. Je regrette, comme tout le monde, qu’on ait cru devoir introduire une clause concernant l’industrie cotonnière, parce qu’il me paraît que cette question a agité cette industrie, et que les membres connaissant cette industrie s’opposent au traité. Cependant, je ne vois pas la grande importance qu’on lui attribue. Mais je trouve qu’on a eu tort de céder sur ce point à la France. La concession faite au Zollverein, on ne manquera point d’exiger encore ce sacrifice lorsqu’il s’agira de négocier pour une nouvelle convention du 16 juillet ; l’article concernant l’industrie cotonnière dans le traité, n’a pas l’importance qu’on croit y voir, car le Zollverein ne vous envoie pas de cotons blancs et il ne vous envoie guère de cotons imprimés.

Une troisième question, c’est celle du transit. Cette observation se trouve consignée dans le rapport de la section centrale. On a dit que nous ne nous trouvions pas sur le pied de parfaite égalité avec le Zollverein ; que les produits belges, transitant par le territoire du Zollverein, se trouvaient soumis à des droits tout autres que les produits du Zollverein transitant à travers la Belgique. C’est une question de mots. Je voudrais qu’on pût me dire quels sont les objets que nous avons à faire transiter par le Zollverein. C’est pour l’Autriche, et chacun sait que ce que nous envoyons en Autriche ne transite pas par le territoire du Zollverein, mais prend la voie de Trieste. Voyez la situation commerciale de la Belgique, vous trouverez que ce que j’avance est exact : ce n’est que pour l’Autriche septentrionale qu’il pourrait y avoir transit de la part de la Belgique.

Eh bien, j’ai consulté ce matin le tableau du commerce qui nous a été distribué ; j’ai vérifié que notre transit pour l’Autriche septentrionale s’élevait à 70,000 fr. ; si je ne me trompe, c’est l’import de deux ou trois locomotives.

D’après ces considérations, j’admets le traité ; je crois qu’il est dans l’intérêt du pays, car il assure l’avenir de la principale industrie du pays : l’industrie métallurgique. Je dis que c’est notre principale industrie, car la matière première vient du sol ; la matière première avec laquelle on le fabrique vient également du sol ; et c’est la main-d’œuvre du pays qui fait le métal. C’est une matière entièrement du pays ; nous ne faisons aucune dépense pour nous le procurer et elle nous amène d’immenses capitaux. Ainsi, sous le rapport politique et sous le rapport commercial et matériel, je donne mon assentiment au projet de loi.

M. Desmet – Quand nous devons nous prononcer sur un acte aussi important pour le pays, il me semble que nous pouvons examiner un instant la politique commerciale suivie depuis la révolution.

Qu’avons-nous trouvé à la révolution Un tari assez protecteur, un tarif qui nous protège contre le tarif prohibitif de la France. Un instant après, nous avons fait des concessions gratuites. Quelles concessions avons-nous faites à la France ? Celles surtout que nous avons faites ont beaucoup contribué à ce que cette nation n’a pas été pressée d’ouvrir des négociations commerciales avec nous ; et, à cette occasion, je dirai un mot sur les négociations qui ont été tentées avec la France.

On nous dit constamment qu’il est impossible de traiter avec nos voisins, parce qu’ils ne le veulent pas. Mais je dirai : prenez des mesures de protection, et ils traiteront parce qu’ils auront besoin de vous ; car nos 4 millions d’habitants consomment plus de 12 millions de produits de France.

Si nous faisions comme la France agit à notre égard, ; si nous garantissions notre marché contre les marchandises étrangères, si notre tarif de douanes touchait sérieusement les articles de Paris, de Lyon et de Bordeaux, je crois que la France trouverait utile de traiter avec nous. Nous gâtons la France par nos concessions gratuites, et nous sommes causes qu’un traité, qui serait dans l’intérêt des deux pays, ne se conclut pas. On pourrait croire que nos gouvernants n’en veulent pas et préfèrent de traiter avec la Prusse.

Après ces premières concessions gratuites, est arrivée la convention dont on a tant parlé. Là il y a eu au moins réciprocité. Je ne dirai point que l’importance de l’objet a été grande ; mais, qu’est-il arrivé ? Un instant après la convention avec la France, on a fait des concessions gratuites à l’Allemagne, sans aucune compensation. On a accordé gratuitement au Zollverein, ce qui avait été obtenu par la France, sur les vins et les soieries. N’était-ce pas manquer à la France ? On devait savoir qu’elle demandait la diminution des droits sur les soieries, afin de les placer plus facilement en Belgique, et notre gouvernement s’empresse à accorder les mêmes faveurs à la plus dangereuse rivale de la France, pour cet article. Comment expliquer un tel acte ?

Le moment arrive où nous devons céder le territoire ! Mais en faisant cette déplorable cession, qu’est-il arrivé ? Que nous avons fait des ouvertures nouvelles pour laisser entrer des produits étrangers. Le sacrifice est grand, tout le monde l’a reconnu, aussi je n’ai pas la tache d’avoir voté l’abandon de nos frères ; mais fallait-il pour cela encore aggraver la position du pays et faire du tort à son industrie et à son commerce ?

Nous arrivons au grand traité avec la Prusse, celui que nous discutons. Personne ne s’y attendait, quand le fameux memorandum prussien a paru. On en était tellement étonné, qu’il y a lieu de croire que notre gouvernement aurait pris des mesures de représailles qui auraient pu gravement léser le commerce et diverses branches industrielles des provinces rhénanes. Aussi, quand j’ai appris la nouvelle de cette menace de la Prusse, j’ai dit : Ce n’est qu’une comédie, ce n’est qu’un moyen pour avoir le traité. On frappe sur les sociétés anonymes, on sait que c’est de là que viendront les plaintes les plus vives, et vous verrez, disais-je, qu’en peu de temps vous aurez la conclusion du traité. Je n’ai été trompé que sur un seul point : c’est que le traité est venu en si peu de jours. En effet, messieurs, aurait-on pu croire qu’un acte de si haute importance et qui embrasse tant d’objets, aurait été négocié et conclu en huit jours de temps ? N’y avait-il pas lieu de soupçonner qu’il avait été proposé avant le memorandum, et que la menace avait été inventée pour en faciliter la passation ?

Mais quel a été le premier effet du fameux traité ? C’est qu’on a donné des soufflets à droite et à gauche ; on a touché de près deux puissances avec lesquelles nous pouvions, sous le rapport du commerce, traiter plus avantageusement qu’avec la Prusse ; mais on a été tellement de pressé conclure qu’on n’a pas regardé derrière soi. Cependant, soit ensuite de réclamations, soit ensuite d’un mouvement propre, on a fait des concessions aux deux nations lésées. Le pays a encore une fois pâti par la faute que le gouvernement avait faite. Des concessions gratuites ont été faites en faveur de la France sur un objet aussi important que le coton, et à la Hollande on en a fait sur les céréales et sur le vin. C’est le premier tort que le traité avec le Zollverein a fait à notre industrie et à notre agriculture.

Je crois encore dire quelques mots sur les dernières concessions faites à la France. On sait combien tout ce qui se rattache à l’industrie des cotons doit nous intéresser. Cette industrie est extrêmement en souffrance ; cependant elle recommençait à renaître pour certains objets, notamment pour les articles similaires à ceux que produit Roubaix. Eh bien, on accorde à la France une concession qui lui permettra d’introduire en Belgique ses produits cotonniers.

L’agriculture se trouve dans un état de souffrance qui augmente chaque jour de plus en plus. Néanmoins vous laissez entrer autant de millions de kilogrammes de céréales dans le pays. Quand on s’intéresse à son pays, peut-on voir avec indifférence tous ces actes ?

Messieurs, j’arrive au traité. J’examinerai ce traité, comme l’a fait la section centrale, sous le rapport maritime, commercial et même politique.

Je le répète encore, ce traité est immense ; il est immense pour la Belgique sous bien des rapports. Nous allons avoir à lutter contre une nation plus productrice, plus manufacturière que nous.

Messieurs, quelle est l’étendue du Zollverein ? Je vais vous le dire. Jusqu’à présent on n’a pu encore nous dire quelle était l’étendue du Zollverein. La confédération douanière allemande comprend aujourd’hui au moins 8,252 lieues carrées et plus de 25 millions d’habitants, presque tous producteurs.

Elle s’étend, comme vous le savez, dans la direction du nord-est à l’ouest de Memel, 37° de longitude jusqu’à Aix-la-Chapelle, 23°, et dans la direction du nord jusqu’à Stralsund, 54° de latitude, jusqu’aux frontières autrichiennes derrière Munich, 47° de latitude.

Elle est bornée par la Russie et la Pologne, au sud par l’Autriche et la Suisse, à l’ouest par la France, au nord-ouest par la Belgique et la Hollande, et au nord enfin par le Hanovre et les autres Etats de l’Allemagne qui ne font pas encore partie de l’union. Voici comment le Zollverein se compose :

La Prusse : 13,696,653 habitants, 5,157 21 mille carrés

La Bavière : 4,251,118 habitants, 1,477 26 milles carrés

La Saxe : 1,595,668 habitants, 271 68 milles carrés

Le Wurtemberg : 1,631,779 habitants, 385 15 milles carrés

Bade : 1,232,185 habitants, 279 54 milles carrés

Hesse-Electorale : 640,674 habitants, 182 25 milles carrés

Thuringe : 928,478 habitants, 233 49 milles carrés

Duché de Nassau : 373,601 habitants, 82 70 milles carrés

Ville de Francfort : 60,000 habitants, 4 33 milles carrés


Total : 25,153,847 habitants, 8,255 21 milles carrés

(page 357) L’union douanière possède un littoral immense et s’étend dans la Baltique depuis Memel jusqu’à Kill et dans la mer du Nord depuis les rives de l’Elbe jusqu’à l’Escaut ; elle contient plus de 20 pavillons différents. Comment peut-on lutter contre une telle puissance ? La quantité de navires sur mer est innombrable ; la construction, comme l’exploitation, est des plus économiques, nulle part on ne la voit à si bon compte. Comment veut-on qu’un jeune marché puisse lutter contre tous ses pavillons ? mais n’est-il pas étrange que nos gouvernants ne s’en soient pas aperçus ?

Messieurs, en examinant le traité, je vois que, par les 5 premiers articles, tous les avantages différentiels que vous avez pu obtenir par votre loi sont tout à fait annulés. Vous laissez entrer les navires du Zollverein comme les vôtres ; ils jouissent de tous les avantages que vous accordez à votre marine.Et quels sont les motifs ? Je vais vous les dire. Le Zollverein, qui produit extraordinairement, avait quelques débouchés pour les produits du Nord, de la Poméranie, des deux Prusses, qui sortent par la Baltique, et des autres parties de la Confédération qui peuvent faire sortir leurs produits par la mer du ord.

Mais le grand pays producteur, c’était la Westphalie et le Rhin. On avait besoin de Rotterdam et d’Anvers. On n’avait pas Rotterdam, parce que la Hollande a égard aux intérêts de ses habitants ; elle ne cède pas facilement. Mais la Prusse s’est dit : Tâchons d’avoir Anvers, nous aurons alors bientôt Rotterdam. Et c’est ce qui arrive déjà. On a Anvers, et déjà on négocie avec la Hollande, et on aura Rotterdam. Ainsi vos rivaux, qui sont les provinces rhénanes, vont avoir deux débouchés : Rotterdam et Anvers. Et pourquoi ? Pour que l’Allemagne puisse lutter plus facilement contre nous dans les pays transatlantiques ; car, remarquez-le bien, messieurs, ce ne sont pas seulement la France et l’Angleterre qui nous font concurrence dans les pays transatlantiques ; notre grande rivale dans ces pays, c’est l’Allemagne, qui produit à si bon marché des articles similaires aux nôtres. Eh bien, vous lui donnez toutes les facilités pour lutter avec vous, et plus que jamais pour nous disputer le marché des possessions transatlantiques. C’est encore ici que le traité porte un coup terrible à notre jeune système de droits différentiels.

L’art. 4 est tellement général, qu’on n’excepte pas même les provenances directes ; il est vrai que l’art. 5 entre dans quelques explications, mais ces explications ne sont pas suffisantes pour détruire la portée générale de l’article 4, d’après lequel l’Allemagne peut importer dans nos ports tous les produits quelconques aux mêmes conditions que nos propres navires. Il est possible que nos négociateurs l’aient compris autrement ; cependant tout le monde doit reconnaître que la disposition est générale et ne contient point d’exception.

Par la loi sur les droits différentiels, vous avez voulu favoriser deux espèces d’arrivage : ceux de la Baltique et ceux des pays transatlantiques. Les principaux sont ceux qui concernent la Baltique ; ceux-là n’existent plus pour les droits différentiels, et ce sont les articles les plus importants, parce que ce sont ceux-là qui font la plus dangereuse concurrence avec nos produits agricoles.

Les articles de la deuxième catégorie n’ont pas la même importance, ce sont des matières premières, et pour le café, l’avantage des droits différentiels a été paralysé par l’exception en faveur de la Hollande.

Eh bien, messieurs, aux termes de l’art. 3 du traité, le bois en grume paye un droit de 2 fr. par last par navire belge, et 4 fr. par navire étranger ; c’est 100 p.c. de différence. Or, voilà une protection qui n’existe plus. Cependant, c’est le mauvais bois de Memel et de la Poméranie qui fait tant de mal à nos sapinières.

Toute l’agriculture, messieurs, est sacrifiée par le traité. Le lin ne paye que 50 centimes par navire national, mais il paye 2 fr. par navire étranger ; c’est une protection de 400 pour 100 que vous aviez établie et qui se trouve anéantie par le traité. Il est vrai que la Belgique produit beaucoup de lin, mais encore il y a une espèce de lin, venant du Nord, qui nous fait beaucoup de mal, parce que c’est du lin commun produit par des terrains médiocres. Je connais une filature à la mécanique qui a reçu une commande de 1,500,000 kilog. de fil à la confection duquel elle ne peut employer que du lin du Nord.

Le traité fait également disparaître la protection accordée aux produits indigènes en ce qui concerne la potasse, les graines oléagineuses ; l’importation des graines oléagineuses étrangères fait un grand tort à notre agriculture. Ces graines payent 1 fr. lorsqu’elles sont importées par navire national et 4 fr. 25 lorsqu’elles ont importées par navire étranger. C’est encore une fois une protection de 300 p. 100 que nous sacrifions à l’Allemagne.

Ce n’est pas seulement en ce qui concerne les objets dont je viens de parler que nous faisons des sacrifices considérables. Vous savez, messieurs, que tous les pays situés au-delà du Sund sont assimilés aux pays de production. Ainsi, toutes les graines venant de Riga et du Nord vont nous être importées par les navires du Zollverein.

On a dit que cela porterait un coup terrible à l’Angleterre.

Ce n’est pas tout pour cette malheureuse agriculture, pour laquelle il paraît que le gouvernement a si peu d’égards ; j’ai cité les bois, les lins, le chanvre, les graines grasses, etc, qui n’avaient pas la protection que leur donnait la loi sur les droits différentiels ; je dois ajouter les écorces de chêne ; par l’étendue immense que le traité donne au transit, les écorces du Luxembourg sont aussi sacrifiées. Cependant elles sont d’un grand produit pour la province du Luxembourg, la propriété y trouve un de ses principaux revenus.

Avant le traité, les navires qui nous importaient des bois du Nord nous prenaient au moins quelque chose ; aujourd’hui ils ne nous prendront plus rien ; le transit sera tellement facile pour le Zollverein qu’il va établir des magasins à Anvers, où l’on chargera des produits allemands au lieu de charger des produits belges, comme on le faisait jusqu’ici.

On croit que le traité fera un grand bien à Anvers : c’est une erreur, messieurs ; il ne se fera à Anvers qu’un commerce de transit, qui ne laissera aucun bénéfice au pays. On a eu bien raison d’appeler le port d’Anvers port de Cologne ; ce sera réellement le port de Cologne, et tout ce qui s’y fera ne laissera aucune bénéfice à la Belgique, si ce n’est de faire gagner quelques journées aux ouvriers du port et peut-être quelques commissions.

On va plus loin, messieurs ; le traité accorde une véritable prime d’exportation à l’Allemagne ; les navires du Zollverein de notre draw-back, de nos primes d’exportation et de protection à notre industrie et à notre commerce. C’est vraiment incroyable qu’on puisse faire de telles concessions ; jamais, non jamais, on n’a vu un tel traité de commerce !

Messieurs, je crois en avoir dit assez pour démontrer que le traité détruit absolument les avantages que vous avez voulu créer par l’établissement des droits différentiels.

Je dirai maintenant deux mots relativement aux conséquences commerciales du traité. Quels sont les avantages accordés à la Prusse ? C’est d’abord la concession faite pour les vins ; par là, vous allez causer un grand préjudice au trésor, ce qui ne serait rien si vous aviez obtenu des compensations ; mais vous n’avez obtenu aucune compensation réelle. Vous laissez ensuite entrer les tissus de soie à des conditions très-favorables, et cela au moment où vous voulez introduire l’industrie sétifère en Belgique. Vous faites bien de vouloir introduire cette industrie dans le pays, car je ne sais pas pourquoi l’on ne produirait pas aussi bien de la soie en Belgique qu’à Elberfeld, par exemple ; mais comment voulez-vous établir des fabriques de soie dans le pays, lorsque vous laissez entrer les soies allemandes aux conditions les plus favorables ?

Un objet pour lequel nous faisons encore une très-grande concession à l’Allemagne, ce sont les articles de Nuremberg, dont tous nos magasins sont remplis. Ces articles, vous les laissez entrer, et cependant toute leur valeur se compose de travail ; la matière première y est presque pour rien.

En compensation de tout cela, messieurs, que vous a-t-on donné ? Une concession pour la fonte et pour les fromages. Quant à la fonte, la concession est beaucoup moins importante qu’on ne le pense ; car nos fontes ne peuvent aller que jusqu’au Rhin.

Il est bien stipulé que ce ne sont que les envois par terre qui jouiront de la diminution du droit. Ces envois se borneront aux besoins qu’ont les fabriques de la ville de Duren et Ehvenbreistein. Or, le total des fontes que ces endroits consomment, ne s’élève pas au-delà de 40,000 kilog. Vous ne passerez pas le Rhin, vus n’irez pas par la mer. D’ailleurs, vous ne pourrez pas lutter contre l’Angleterre. Quand l’Angleterre veut placer ses produits, elle les place ; elle fait les sacrifices nécessaires pour les placer, et ce n’est pas une différence de cinq francs qui permettra de l’emporter sur les fontes anglaises. D’ailleurs, messieurs, je suppose même que vous placiez beaucoup de fontes en Allemagne ; mais à combien de travail la fabrication des fontes donne-t-elle lieu ? A très-peu de chose, à presque rien. Le placement de nos fontes, fût-il considérable, n’aurait d’autre effet que d’enrichir quelques sociétés anonymes ; je le répète, si la fabrication de la fonte n’amenait pas une consommation de charbon, elle ne donnerait lieu à aucun travail important.

Je ne parlerai pas des fromages, j’aime bien que les cultivateurs de Herve puisse bien placer leurs fromages, mais lorsque l’agriculture toute entière est sacrifiée, je ne puis pas considérer l’exportation de quelques fromages comme une compensation suffisante.

Une autre concession importante que nous faisons par le traité, c’est la continuation du privilège que la loi du 6 juin accorde au territoire cédé ; les mêmes produits de ce pays étranger pourront entrer librement en Belgique ; ce sont les faïences, la fonte au bois, étoffes de laine, charbons de bois et les céréales. 4,000,000 de kilog. de fonte peuvent entrer avec un simple droit de balance. La faïence pour une valeur de 400,000 fr. aura aussi le privilège. Cependant, la concurrence de la fabrique fait un tort immense à la manufacture de Tournay, qui, quoiqu’elle fasse d’excellente porcelaine et faïence est grandement en souffrance. En étoffes de laine, le privilège aurait lieu pour une valeur de 400,000 francs. Des charbons de bois pourront aussi entrer avec privilège. C’est encore un coup qui est porté au malheureux Luxembourg. Je ne parlerai point des céréales ; on en a parlé dans une autre occasion, et on en a montré tout le danger ; mais je dois faire une remarque capitale sur le privilège qu’on va continuer à accorder au territoire cédé. C’est que le privilège ne s’étend pas à toutes les fabriques et usines, mais uniquement à celles existantes au moment où la loi de 1839 a été promulguée. C’est donc quelque chose de plus fort encore. Ce sont des privilèges à des particuliers ; ce sont quelques particuliers qui profitent de ce privilège.

Je crois, messieurs, que le Zollverein s’étendra ; je crois que le Hanovre, l’Oldenbourg, ainsi que les villes de Lubeck, de Brême et de Hambourg ne tarderont pas à faire partie de l’union douanière allemande ; eh bien lorsque le Zollverein aura pris cette extension, que ferez-vous de votre marine, de vos entrepôts ? Et cependant les villes libres doivent forcément entrer dans la grande association, elles ne peuvent s’en dispenser, leurs intérêts le réclameront bientôt.

Je n’aurai pas traité, messieurs, la partie politique du traité, s’il n’en était point parlé dans le rapport de la section centrale ; mais puisque le (page 358) traité est envisagé, dans le rapport, sous le point de vue politique, je dois présenter quelques considérations à cet égard.

Sous le rapport politique, comment doit-on envisager l’union allemande ? La Prusse a pris l’initiative ; mais en se mettant à la tête de cette révolution commerciale, son seul et unique but a-t-il bien été d’augmenter les revenus en diminuant les frais et la contrebande ? Le traité de douanes, résumé d’une haute pensée politique, peut-être justement regardé comme l’absorption du Midi par le Nord, ou plutôt par la Prusse, comme le premier pas fait vers la réalisation d’une unité germanique sous la suprématie prussienne.

Déjà la Prusse devait à ses institutions de posséder l’influence militaire. A force d’efforts et de persévérance, elle a rendu Berlin le foyer scientifique de l’union et est parvenue à s’assurer l’influence littéraire, si précieuse pour sa politique et si entraînante dans un pays comme l’Allemagne. On sait aussi quelles sont ses vues pour attirer à elle la suprématie religieuse.

Mais, pour arriver à l’accomplissement de cette grande œuvre, il fallait nécessairement contenter les intérêts matériels ; il fallait songer à protéger le commerce national et à faire progresser et prospérer l’industrie.

C’est en quoi le gouvernement prussien a réussi, car jamais on n’a tant fait en Allemagne pour le développement de l’industrie de tous les Etats qui composent l’union douanière.

A l’extérieur, la Prusse a conclu, toutes les fois que les circonstances l’on permis, des traités de commerce et de navigation, et entretenu des consuls sur toutes les places du monde. Non-seulement elle a cherché ainsi à créer des débouchés pour ses produits, mais, depuis la mise en vigueur du traité de douanes, ses consuls et ses agents ont des instructions spéciales pour défendre tout aussi bien les intérêts de leurs compatriotes que ceux des différents autres membres de l’union, qui, par leur petitesse, sont dispensés d’entretenir des consuls à l’étranger.

Les Allemands des diverses parties de la Confédération apprennent ainsi peu à peu, et pour ainsi dire comme malgré eux, à se serrer autour de la Prusse, à la regarder comme le gouvernement vers lequel il faut toujours tourner ses regards pour obtenir justice ou réparation. On conçoit facilement quelle influence doit peu à peu résulter pour elle d’un semblable patronage.

A l’intérieur, le gouvernement prussien a tout fait pour se concilier l’admiration et l’attachement des Etats de l’union. Il a creusé des canaux, de nouveaux ports, construit des entrepôts, fait des routes, et n’a négligé aucun moyen d’augmenter les sources de la richesse publique.

Le port de Swinemunde, autrefois, ensablé et impraticable, a été construit à grands frais ; le cours de l’Oder, celui de la Saale et de la Lippe raccourcis, régularisés ; et ces fleuves rendus navigables dans toute leur étendue. La Saale fut mise en communication avec l’Insstrut, la Havel avec l’Oder. Le canal de Clodnitz a été refait, l’Elbe rendu à son ancien lit, et Magdebourg a eu de nouveau son port. Enfin, par le moyen de la Lippe, le Rhin fut réuni au Weser.

Mais à ces voies de transport et de sortie de l’Allemagne, il y en avait une qui manquait, celle qui devait transporter à l’extérieur les produits multipliés que les provinces rhénanes produisent en si grande abondance ; on ne pouvait la trouver que par Rotterdam ou par Anvers. La Hollande, qui n’est pas de caractère à servir de suite les intérêts d’autrui et qui regarde de près si le siens propres ne seront pas lésés, n’était point facile à être conduite par la Prusse ; l’on s’est adressé au gouvernement belge, et l’on ne s’est pas trompé quand on l’a cru plus commode à traiter que la Hollande ; c’est là l’origine et le but du traité qui nous est soumis.

La compagnie rhénane des Indes occidentales, dont le gouvernement prussien avait doté les provinces qui la possèdent et dans laquelle il prit une part d’intérêt, va considérablement gagner par la nouvelle voie que la Belgique lui prépare.

En présence de ces faits, il ne faut pas s’étonner que le gouvernement réussit dans ses vues et groupa autour de lui une foule de sympathies ; les peuples apprenaient insensiblement à se serrer autour de lui et à lui accorder, sur toute la Confédération, un protectorat, un suprématie tacites.

J’aime à croire que cette politique ne plairait pas beaucoup à la Belgique !

Je pense donc que ce ne peut-être sous le rapport politique que l’on doit admirer l’union germanique, car elle se résume dans une seule dynastie qui veut régner et dominer sur une quantité de petits Etats et qui se sert des moyens de commerce pour arriver à son grand but politique. Messieurs, je dois vous le dire, je ne pourrai jamais donner mon approbation à un tel traité, qui, d’après moi, est aussi mauvais pour la Belgique que l’a été pour la France celui qu’elle avait conclu avec l’Angleterre en 1786.

M. Lesoinne – Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur si la faveur stipulée à l’art 19 pour l’entrée des fontes s’applique également aux fontes belges qui entreraient dans le territoire du Zollverein par le Rhin.

Je ne ferais pas cette question, si le rapport ne formulait pas un doute à cet égard. Je ne pense pas que l’intention du gouvernement soit de restreindre cette faveur à l’introduction des fontes par la frontière de terre. Si l’on a voulu accorder une faveur à la principale industrie du pays, on a voulu qu’elle fût efficace. Si elle était restreinte à la frontière de terre, cela aurait les conséquences les plus graves pour l’industrie métallurgique. Je demanderai si M. le ministre peut donner des explications.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je pense qu’il est inutile d’ouvrir dans de grands détails et qu’il suffit de répondre directement à la question posée par l’honorable préopinant.

L’art. 19 du traité doit recevoir son exécution, dans ce sens que les fontes et les fers belges pourront, moyennant certaines précautions à prendre dans l’intérêt de la Belgique, être admis par la Meuse et le Rhin, sous le bénéfice de cet article.

Cette interprétation, le gouvernement l’énonce ici, et l’on peut la consigner au procès-verbal.

M. de Brouckere – C’est sur ce point que tombaient les observations que j’ai présentées hier et sur lesquelles je comptais revenir dans la discussion générale. M. le ministre de l'intérieur vient de faire une déclaration tellement expresse que je pense que tout le monde aura été satisfait.

M. Dedecker, rapporteur, – Je dois expliquer comment le rapport contient des explications qui sont aujourd’hui démenties. L’art. 19 a été examiné dans la section centrale ; il a été échangé des observations dont j’ai présenté le résumé. Il se trouve que la section centrale n’a pas bien interprété les mots « par la frontière de terre. » Je suis heureux de constater, avec les honorables députés de Liége, que l’interprétation donnée par la section centrale n’a pas été l’interprétation véritable.

M. le président – M. Osy est inscrit ; je lui demanderai s’il parle pour ou contre ?

M. Osy – Je parle sur le traité.

M. le président – Dans ce cas, l’honorable membre doit déposer un amendement.

M. Osy – Je ne puis pas. Je voterai pour le traité ; mais j’ai à faire plusieurs observations critiques.

M. le président – Soit ; M. Osy a la parole.

M. Osy – J’ai vu arriver avec plaisir le traité du 1er septembre avec le Zollverein, parce que c’est le premier traité international que nous ayons fait sur un pied plus large que les traités antérieurs avec la France.

Je crois que toutes nos sympathies doivent être pour l’Allemagne, où nos relations ne peuvent qu’augmenter. J’ai été d’autant plus charmé de voir arriver le traité, que nous étions auparavant en guerre douanière. Cette guerre, je l’ai déplorée. Je crois qu’elle provient entièrement de la faute de notre gouvernement.

J’ai toujours critiqué les avantages faits gratuitement à l’Allemagne pour les vins et les soieries. Mon principe est qu’il ne faut jamais rien accorder gratuitement. Je crois que, d’après l’attitude prise par nos ministres vis-à-vis du gouvernement prussien, la Prusse a dû se trouver blessée de ce que ces avantages lui ont été retirés au mois d’avril ; parce que, d’après le memorandum, je ne doute pas que nos ministres n’aient fait des promesses qu’ils n’ont pas tenues.

Les dénégations de M. le ministre de l'intérieur me touchent peu ; ses antécédents, ses facilités font que souvent il nous avance des faits dont on peut douter.

Ainsi, au commencement de la session on présente un projet important pour l’agriculture du pays, on ne parle pas des promesses qui ont été faites à l’étranger ; nous avons dû les deviner par les paroles échappées dans la section centrale au ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’étaient des paroles écrites ; celles-là ne s’échappent pas.

M. Osy – On parle de gouvernement de franchise. Depuis quatre ans nous n’en sommes plus là ; nous n’avons plus qu’un gouvernement d’expédients. Je le combattrai aussi longtemps qu’il existera.

Nous avons vu les expédients du ministère. Au lieu de dire franchement qu’en faisant la convention de navigation avec la Hollande, il avait été obligé de faire des concessions à cette puissance, on présente un projet de loi pour autoriser l’entrée des grains pendant un temps illimité. S’il avait été adopté, nous étions lié pour toujours ; car vous savez que, pour faire une loi, il faut le concours des trois pouvoirs.

Heureusement, nous avons vu clair ; ce fait prouve que nous ne devons pas avoir une entière confiance dans les paroles du gouvernement.

Je crois que la promesse de maintenir l’arrêté sur les vins et soieries avait été faite à la Prusse. Certes, la Prusse, avec cette promesse, avait à se plaindre de ce qu’il n’a pas été renouvelé.

Si la promesse n’avait pas été faite, j’aurais approuvé la mesure, parce que, quand nous sommes frappés, nous devons frapper à notre tour.

Mais le gouvernement prussien, croyant avoir le bon droit de son côté, ne devait pas s’attendre à vous voir prendre des mesures pour la navigation et le remboursement du péage sur l’Escaut.

J’aborde maintenant le fond du traité.

Je trouve, messieurs, que le gouvernement a commis une faute grave en s’engageant, vis-à-vis du Zollverein, à ne jamais augmenter les droits sur les cotons fabriqués venant de l’Allemagne. Vous savez tous, messieurs, que lors de la discussion des droits différentiels, le gouvernement avait promis à l’industrie gantoise de prendre des mesures en sa faveur. Mais, par suite du traité du 1er septembre, le gouvernement n’a pu tenir sa promesse. Il a été obligé de se borner à frapper seulement les cotons venant de l’Angleterre et de la Suisse. Car s’il eût frappé la France, elle aurait eu à se plaindre d’être placée sur un pied moins avantageux que le Zollverein.

Je crains, messieurs, qu’au mois d’octobre prochain l’on n’ait avec la France les mêmes désagréments que l’on a eus avec le Zollverein pour les vins et les soies. Car, à cette époque, il faudra examiner si l’on doit maintenir l’exception qui a été accordée à la France pour ses cotons. Je crains que si l’exception n’est pas renouvelée,vous ne nuisiez à notre industrie (page 359) linière. Messieurs, le traité fait avec la France en faveur de notre industrie linière, cessera ses effets au mois de juillet 1846, et ce sera au mois d’octobre 1845 que vous devrez prendre une mesure décisive pour les cotons. Vous voyez que les deux époques se rapprochent beaucoup.

Le gouvernement a frappé la Suisse. La Suisse, messieurs, est un pays qui devient très-important pour nos relations commerciales. Je sais que jusqu’à présent elle n’a pas de droits de douane et qu’elle ne peut dès lors prendre des mesures de représailles contre vous. Mais nous avons, près de nous, une puissance très-commerçante, la Hollande, qui, ayant de très-grands avantages sur nous, pourra prendre en Suisse la place que nous commencions à y avoir. Cependant, messieurs, nos relations avec ce pays commençaient à s’étendre tellement, que depuis l’ouverture du chemin de fer, nous envoyions même des sucres en Suisse, et que la fabrication du tabac y trouvait un débouché important.

Vous vous rappelez comment, lors de la discussion des droits différentiels, M. le ministre de l'intérieur se félicitait de ce que les villes anséatiques ne faisaient pas partie du Zollverein ; il vous disait que nous devions désirer, dans l’intérêt de la Belgique, que ces villes ne fussent jamais réunies au Zollverein. M. le ministre de l'intérieur vous disait même que lorsqu’une tête couronnée viendrait à disparaître de ce monde, il y avait beaucoup à craindre que les villes anséatiques n’entrassent dans le Zollverein. Quant au Hanovre, il existe un traité qui empêchera ce royaume, pensant dix ans, d’entrer dans l’union douanière ; mais il n’en est pas de même des villes anséatiques.

Messieurs, l’opinion en Angleterre n’est pas du tout opposée à l’entrée des villes anséatiques dans le Zollverein. Loin de là ; je crois que les hommes d’Etat de l’Angleterre verraient cette adjonction avec quelques plaisir, parce que les villes anséatiques, s’occupant surtout de commerce, arrêteraient le Zollverein dans des mesures qui pourraient contrarier vivement les puissances voisines.

Mais si l’Angleterre verrait avec plaisir l’adjonction des villes anséatiques au Zollverein, nous, par contre, que faisons-nous par le traité avec la Prusse ? Nous laissons à cette dernière puissance l’occasion d’offrir aux villes anséatiques des avantages et de les attirer ainsi dans l’union.

Vous voyez, messieurs, que, sous ce rapport, le traité nous est plutôt funeste qu’avantageux. Car nous sommes tous d’accord que l’entrée des villes anséatiques dans le Zollverein, serait très-nuisible à notre commerce maritime.

Le principe général, dans le traité, devait être que les seuls produits du sol et de l’industrie du Zollverein pourraient entrer chez nous aux mêmes droits par son pavillon que par le pavillon belge ; mais l’art. 5 du traité va plus loin ; il dit que toutes les marchandises sortant des entrepôts du Zollverein, pourront entrer par pavillon allemand aux mêmes droits que par pavillon belge.

Je sais fort bien qu’il n’est pas à craindre aujourd’hui que l’on nous envoie de Stettin et de Memel des sucres, des cafés et des cuirs. Mais il est dit dans le traité que toute puissance qui se réunira au Zollverein, jouira immédiatement de tous les avantages dont jouit l’union douanière. Il en résulte qu’aussitôt que les villes anséatiques feront partie du Zollverein, votre loi sur les droits différentiels sera annulée ; votre cabotage sera détruit et les villes anséatiques vous amèneront des denrées coloniales.

Le gouvernement a donc commis une faute énorme en concédant au Zollverein ce grand avantage, qui, je le répète, nul aujourd’hui, peut devenir funeste au commerce belge, lorsque les villes anséatiques feront partie du Zollverein.

J’espère que d’ici à six ans cet événement n’arrivera pas. Mais j’engage le gouvernement à bien méditer mes observations et à ne plus commettre la même faute, lorsqu’il s’agira de renouveler le traité.

Quant au transit, messieurs, vous savez qu’il est libre en Belgique. La Prusse peut transiter tous les produits de son commerce et de son industrie à travers notre pays et les exporter d’Anvers vers les colonies, sans nous payer le moindre droit. C’est là un très-grand avantage pour elle.

Qu’aurait dû faire le gouvernement belge ? Il aurait dû obtenir de l’Allemagne les mêmes concessions pour le transit de nos produits à travers son territoire. Il est vrai que, pour passer au-delà du Rhin, vous n’avez qu’un demi-silbergros à payer. Mais à l’art. 17, on maintient le droit de transit, pour l’Autriche et l’Italie, à 10 silbergros. Et cependant, messieurs, c’et surtout pour aller en Autriche et en Italie que vous pouvez espérer transiter à travers l’Allemagne, car vous ne pouvez guère compter envoyer des marchandises en Pologne et en Russie.

Je demande, messieurs, s’il y a réciprocité entre les facilité qu’accorde la Belgique au commerce prussien, et celles que nous avons obtenues du Zollverein. J’avoue que je ne conçois pas comment le gouvernement a pu consentir à ce que le transit à travers notre territoire fût libre, alors qu’il n’obtenait pas les mêmes concessions de l’Allemagne. Il a encore commis là une grande faute, et je l’engage à ne pas perdre cet objet de vue pour le moment où il s’agira de renouveler le traité.

Vous voyez, messieurs, que mes objections contre le traité sont assez importantes. Je dois maintenant vous dire les motifs qui m’engageront à l’adopter.

J’adopterai le traité, parce que plusieurs de nos provinces y trouvent un grand avantage.

La France ne nous accordant presque rien, je suis charmé que nous nous tournions d’un autre côté pour procurer à ces provinces industrielles un débouché pour leurs produits. Pour Anvers je ne vois dans le traité d’autre avantage qu’une réduction, quoiqu’insuffisante, dans les droits du transit.

Je demanderai encore une explication sur l’art. 20 du traité. Cet article est ainsi conçu :

« Art. 20. Les droits de sortie sur les laines, en vigueur dans le Zollverein, seront réduits de moitié pour les laines en destination de la Belgique. »

Ainsi, le droit de sortie en Allemagne pour toutes les laines dont nous avons besoin, tant pour notre industrie que pour notre commerce, était réduit de deux écus à un écu. Or, avant la ratification du traité, la Prusse a trouvé qu’elle nous avait accordé beaucoup trop. En effet, lisez l’art. 4 nouveau où il est dit.

« Art. 4 nouveau. La réduction des droits de sortie sur les laines en destination de la Belgique, n’a été accordé par le Zollverein qu’en faveur et pour la consommation du pays. Par conséquent, s’il arrivait qu’on importât en Belgique des laines du Zollverein pour les réexpédier ensuite, il est convenu que le gouvernement belge prendra des mesures pour empêcher cet abus, ou que le Zollverein aura le droit de limiter l’exportation de ses laines au besoin reconnu, de commun accord, des fabriques de la Belgique. »

Ainsi l’avantage accordé par l’art. 20 à notre industrie et à notre commerce nous est entièrement enlevé par l’art. 4 nouveau. Je demanderai, à cet égard, une explication.

Je sais bien que le gouvernement nous dira qu’on a eu pour but d’avoir les laines à bon compte pour notre industrie. Or, quand nous faisions un traité, ce n’est pas seulement pour notre industrie, mais encore pour notre commerce ; eh bien, nous faisons assez d’avantages à l’Allemagne, pour qu’elle accorde aussi quelques faveurs à notre commerce.

De plus, cet art. 4 nouveau est tellement élastique que, dans un moment de crise, la Prusse pourrait en paralyser l’effet. Cet art. 4 nouveau est donc une faute.

Je demanderai encore au gouvernement pourquoi il n’a pris dans le traité aucune précaution pour la Meuse. Vous savez qu’après avoir fait la convention pour la navigation, on a dû demander à la Hollande une exception pour le transit par la Meuse, exception que vous avez dû payer bien cher, puisqu’elle vous coûtera au-delà de 400,000 francs. Or, rien n’est stipulé pour le transit par la Meuse dans le traité du 1er septembre, quoique nous ayons besoin de l’approbation de la Prusse pour le transit des toiles, des fils et des fers par cette voie navigable. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas prévenu avec la Prusse la faute qu’il avait commise avec la Hollande ?

En résumé, je trouve que le traité est loin d’être un traité entièrement avantageux pour la Belgique. Il accorde quelques avantages pour l’exportation de nos fers ; encore ces avantages se réduisent à bien peu de chose, car il n’y a que les deux catégories A et B sur lesquelles vous être favorisés, tandis que pour les catégories C et D, vous ne jouissez d’aucune faveur différentielle sur l’Angleterre.

Les fers sont un article si variable, et la baisse du prix des fers anglais est quelquefois telle qu’il y aura des moments où nos provinces industrielles, qui paraissent attacher beaucoup de prix au traité, trouveront souvent encore les Anglais en concurrence avec eux sur le marché de l’Allemagne. De manière que, si je suis charmé que la guerre douanière soit finie avec l’Allemagne par le traité du 1er septembre, il n’y a pas de raison pour s’en glorifier comme on a voulu le faire dès le commencement. Si le traité était conclu pour un terme plus long, bien certainement je le regretterais ; mais j’espère que d’ici à l’expiration du traité, le gouvernement examinera avec soin, pour y avoir égard, toutes les observations qui auront été faites dans la discussion.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je ne reviendrai pas sur la discussion toute personnelle qui a été soulevée hier. Je ne reproduirai pas les explications qui ont été données : ce serait chose inutile pour ceux qui croient à la vérité de ces explications, ce serait chose encore plus inutile pour ceux qui sont décidés à ne pas y croire. Notre devoir, d’ailleurs, nous prescrit de la réserve ; car je ne voudrais jamais placer personne entre le gouvernement de mon pays et un gouvernement étranger ; je consentirais plutôt à être momentanément méconnu, pour ne pas compromettre les intérêts publics.

Le traité qui vous est soumis, messieurs, établit un nouveau système de négociations que nous avons osé vous annoncer publiquement dans le cours de la longue discussion qui a précédé le vote de la loi des droits différentiels.

Nous avons trouvé occasion de vous dire que, selon nous, il fallait réunir les intérêts de navigation et les intérêts commerciaux proprement dits dans le même traité, chaque fois qu’on négocie avec une puissance maritime qui, en nous accordant la réciprocité de droit, en matière de navigation, ne nous assurerait pas de fait une compensation véritable.

Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler les paroles que j’ai prononcées dans votre séance du 20 mai dernier.

« Je ne dirai qu’un mot des négociations commerciales, parce que je puis le dire sans danger pour la chose publique.

« Nous avons voulu réunir (en ce qui concerne la Prusse) la convention de navigation et le traité de commerce. Nous n’avons pas voulu une convention spéciale, séparée, de réciprocité en matière de navigation, parce qu’il n’y aurait eu là qu’une réciprocité de droit ; il n’y aurait pas eu une réciprocité de fait. Nous disons ici franchement et publiquement notre pensée. C’est en usant des pouvoirs qui se trouvent dans la loi de 1822, loi de l’ancien royaume des Pays-Bas, que le gouvernement belge s’est vu autorisé à faire des conventions de réciprocité en matière de navigation. Quelle était la (page 360) position du royaume des Pays-Bas qui nous a légué cette loi, où se trouvent ces grands pouvoirs ? Quelle est la position de la Belgique ? Le royaume des Pays-Bas avait une marine marchande puissante. Le gouvernement des Pays-Bas pouvait, en général, appeler, accepter cette réciprocité de droit, parce qu’elle était toujours pour lui une réciprocité de fait. Quand on a une marine nombreuse, et qu’on obtient d’une puissance étrangère la réciprocité de pavillon, on a une réciprocité de droit et de fait. Mais aujourd’hui, la position est-elle la même ? Le royaume de Belgique a-t-il, comme le royaume des Pays-Bas en 1822, une marine nombreuse ? non. Il est exposé à ne traiter qu’avec des Etats qui ont une marine de beaucoup supérieure à la sienne. C’était l’inverse pour le royaume des Pays-Bas. Il ne traitait généralement qu’avec les Etats qui avaient une marine inférieure à la sienne.

« Nous disons donc que, si l’on veut se rendre compte des deux positions, on arrivera à cette conclusion, que le législateur de 1822, appliquant le principe à la situation du royaume des Pays-Bas, comptait, avec raison, sur une réciprocité de droit et de fait dans presque tous les cas. Aujourd’hui, vous avez, au contraire, en général une réciprocité de droit, une réciprocité purement abstraite. Vous n’avez pas une réciprocité de fait. La réciprocité de fait existe-t-elle quand la Belgique envoie trois navires belges dans les ports prussiens, et que 129 navires prussiens visitent les ports belges ? Y a-t-il réciprocité de fait ? Il y a une réciprocité de droit, oui ; une réciprocité de fait, non. Mais la réciprocité de fait et de droit existait pour le royaume des Pays-Bas, lorsqu’il traitait en vertu de la loi de 1822. Voilà comment je comprends la loi de 1822. Je la juge et je l’applique en appréciant la différence des positions

« Je n’entends nullement critiquer ce qui a été fait avant le cabinet actuel ; j’y ai même cru ma part. D’ailleurs, les Etats avec lesquels on a traité n’étaient pas dans la position maritime où la Prusse se trouve à notre égard. Les questions ont aussi pu être depuis mieux examinées, plus approfondies. »

Vous savez, messieurs, quels sont nos rapports de navigation. Nous avons accordé le traitement national, en matière de navigation, à la plupart des Etats maritimes. Le Hanovre a envoyé 319 navires dans nos ports en 1843 ; aucun navire belge ne s’est présenté dans les ports hanovriens pour y jouir de la réciprocité. La Suède a envoyé dans nos ports 191 navires en 1843, et trois navires belges seulement se sont présentés dans les ports suédois, pour y réclamer la réciprocité. Le Mecklembourg, en 1843, a envoyé dans nos ports, 340 navires, pour y jouir de la remise des surtaxes, en matière de navigation, et aucun navire ne s’est présenté dans les ports mecklenbourgeois, pour y réclamer la réciprocité. Enfin, la Prusse a envoyé, en 1843, 129 navires dans nos ports, et aucune navire belge ne s’est présenté dans les ports prussiens, pour y réclamer la réciprocité.

Nous avons dit que, dans cet état de choses, il ne fallait pas se contenter d’une réciprocité de droits, qu’il fallait, à l’avenir, comprendre les questions commerciales, réclamer des avantages de douane dans les traités qui doivent assurer aux puissances maritimes la remise de toutes les surtaxes de navigation dans nos ports ; en un mot, nous avons voulu trouver dans les avantages de douanes la véritable compensation de fait qui doit nous revenir pour l’abolition des droits différentiels de navigation.

Un première traité a été conclu dans ce sens avec la Prusse ; et je n’hésite pas à dire que, quand le moment sera venu de rouvrir des négociations avec les puissances maritimes qui ont des conventions de navigation avec nous ou qui jouissent de la remise des surtaxes en vertu des déclarations… (Interruption.)

Quand le moment de rouvrir des négociations sera venu, il faut que la Belgique exige de ces puissances des avantages de douanes qui soient une compensation réelle des remises des surtaxes de navigation dans nos ports.

C’est, messieurs, en vertu de ces mêmes principes que nous avons fait entrer comme élément dans la négociation le remboursement du péage de l’Escaut. Nous avons cru faire l’application véritable de la loi du 5 juin 1839, qui suppose qu’à une certaine époque les avantages de navigation pourraient venir à cesser, si la Belgique ne trouvait pas des compensations dans les arrangements conclus avec les puissances étrangères.

Voilà donc le système de négociations qui sert de base à ce traité et que nous considérons comme la base future du système commercial de la Belgique. Si la Belgique, en accordant à des puissances maritimes la remise des surtaxes de navigation, ne trouve pas la réciprocité stipulée en principe en faveur des navires belges une véritable compensation, il faut chercher autant que possible à comprendre dans le même traité et la question de navigation pure, et les questions de douane. Je m’exprime de nouveau avec la réserve dont j’ai usé dans la séance du 20 mai dernier. Je n’entends accuser personne. Jusqu’à présent, on n’avait fait que des conventions de navigation dans lesquelles on se contentait de la simple réciprocité de principe, ce qui était un avantage illusoire.

Il y a eu des époques où l’on paraissait disposé à se contenter de cette réciprocité, même avec le gouvernement prussien, mais le temps a marché, les questions ont été examinées de plus près, les faits ont été éclaircis.

Après ces considérations générales, je vais, messieurs, aborder quelques objections de détail qui ont été annoncées hier plutôt que présentées, et d’autres qui ont été développées dans cette séance.

Une des objections, que j’aborderai immédiatement, a une portée générale. L’art. 29 du traité du 1er septembre déclare que l’on doit considérer comme partie contractante au traité tout Etat allemand qui viendrait à accéder à l’union douanière. Cette disposition, dit l’honorable préopinant, est une faute ; il fallait l’écarter du traité. Je dirai d’abord qu’il y avait impossibilité de l’écarter.

M. Osy – Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il est possible que vous ne vous soyez pas exprimé de la même manière. Si vous voulez, je modifierai mes paroles, et je dis : Il eût été à désirer que tout Etat allemand qui plus tard voudra accéder au Zollverein, ne fût pas de plein droit admis au bénéfice du traité. D’abord il était impossible d’écarter cette stipulation ; il faut, pour en supposer la possibilité, ne pas connaître les statuts fondamentaux du Zollverein. Tout Etat allemand qui fait partie de la Confédération germanique, doit être admis, sur sa demande, dans l’union douanière. Le titre qu’on lui reconnaît pour cette admission, c’est qu’il fait partie de la Confédération germanique.

Les auteurs du Zollverein ont été guidés par cette grande pensée que, tôt ou tard, il fallait que la Confédération germanique et la confédération douanière se confondissent, coïncidassent en quelque sorte. Ainsi, un Etat quelconque de la Confédération germanique, aujourd’hui en dehors du Zollverein, peut y entrer demain s’il en fait la demande. C’est ainsi que, lorsque nous avons dû renoncer à la partie allemande du Luxembourg, reconstituée comme Grand-Duché, elle est entrée immédiatement, sur sa demande, dans le Zollverein.

C’est ainsi que le Hanovre, Oldenbourg, les villes anséatiques entreraient dans le Zollverein à titre de membres de la Confédération germanique, si ces Etats en faisaient la demande. Cette stipulation était donc naturelle ; je crois même que, si elle n’était pas écrite dans le traité, il faudrait néanmoins la considérer comme sous-entendue.

L’éventualité qu’on prévoit peut présenter des inconvénients. Pourquoi ? Mais parce qu’il est tel article dans le traité, notamment l’article 5, qui, s’appliquant à un des Etats de la Confédération germanique aujourd’hui en dehors du Zollverein et qui peut y entrer, aurait, par cette accession, une portée qu’il n’a pas aujourd’hui. C’est bien là, je pense, l’objection.

Que les ports du Hanovre, de l’Oldenbourg et des villes anséatiques, entrent dans le Zollverein, et l’art. 5 du traité aura une portée, j’en conviens, qu’il n’a pas dans l’état actuel de la constitution du Zollverein. Je crois, cette fois, avoir bien saisi l’objection. Mais est-il probable, je ne dis pas est-il désirable, que le Hanovre, l’Oldenbourg et les villes anséatiques entrent de sitôt dans le Zollverein ?

L’honorable préopinant, quant au Hanovre et à l’Oldenbourg, vous a lui-même dit que l’accession était devenue très-improbable, quasi impossible pour dix ans, par suite du traité nouveau qui vient d’être conclu par le Hanovre avec l’Angleterre. Ce traité est du 21 juillet 1844, il ne doit expirer qu’en 1854. il n’en est pas de même, dit-il, des villes anséatiques. Hambourg peut entrer dans le Zollverein. Hambourg et les villes anséatiques ne sont pas liées par un traité de 10 ans avec l’Angleterre. Néanmoins je ne regarde pas cet événement comme prochain. Mais s’il venait à se réaliser, l’art. 5 aurait une portée toute nouvelle.

Je reconnais ce qu’il y a de sérieux, de grave même, dans l’observation de l’honorable M. Osy. Il ne faudrait pas, à l’expiration du terme de 6 ans, renouveler le traité du 1er septembre, sans obtenir de nouvelles compensations. (Interruption.) L’honorable préopinant semble s’étonner de la franchise avec laquelle je viens en quelque sorte d’appuyer ses observations. Lorsqu’une objection réelle est faite, je le reconnais avec empressement. Je crois que l’objection est très-sérieuse et j’en parle très-sérieusement. Mais je ne pense pas, tout en reconnaissant qu’il y a possibilité d’accession pour les villes anséatiques, qu’on puisse regarder l’événement comme prochain ; je crois qu’il ne s’accomplira pas la première ou la seconde année de l’existence de notre traité. S’il vient à s’accomplir, ce ne sera que quand notre traité aura plusieurs années d’exécution, c’est-à-dire quand nous serons rapprochés du terme des 6 années.

Je reviens à l’observation que je faisais en réponse à l’honorable M. Osy. Alors on pourra ne pas renouveler le traité ou ne le faire que moyennant des compensations nouvelles. L’honorable membre vous en a dit avec raison les motifs. Vous ne pouvez pas craindre aujourd’hui de vous voir importer du café de Stettin ou de Dantzig, mais il pourrait vous en être importé de Hambourg.

Cependant n’exagérons pas : ce café ne serait importé qu’au droit d’entrepôt de Hambourg, c’est-à-dire que les navires des villes anséatiques ne pourraient vous importer le café entreposé à Hambourg, qu’en payant non pas le droit de provenance, 9 fr., mais le droit d’entrepôt, 15 fr. Tout ce qu’ils gagneraient, ce serait de ne pas être soumis à la surtaxe de 10 p.c.

C’est là tout ce que les navires hambourgeois gagneraient. Ainsi, il est vrai de dire qu’il ne faut pas exagérer la portée de l’art. 5, portée qui cependant serait tout autre dans cette éventualité. Il faut examiner jusqu’à quel point il est probable que les navires hambourgeois nous importent du café d’entrepôt au droit de 15 fr. Ne préféreront-ils pas nous en importer directement ? Or, ils peuvent le faire aujourd’hui en payant non pas 15 fr., mais 11 fr. 50. Vous voyez qu’en reconnaissant ce qu’il y a de vrai dans l’objection faite par l’honorable M. Osy, il ne fait pas outrer.

Je passe aux véritables objections de détail.

Un honorable membre vous a annoncé hier, au début de la discussion, une objection sur laquelle je crois devoir donner immédiatement quelques explications. Il s’agit, messieurs, des bois.

Dans sa motion d’ordre, M. de Theux s’est fait deux questions : il s’est demandé d’abord si la Belgique était restée libre, en ce sens que l’on pourrait augmenter le tarif sur le bois, en respectant toutefois la faveur différentielle (page 361). Je n’ai pas hésité à répondre affirmativement : mais il restera une question de convenance et de nécessité à examiner.

Il s’est demandé, en second lieu, si, par suite du traité, la protection que la loi du 21 juillet assurait aux bois indigènes par la loi du 21 juillet ne se trouvait pas complètement annulée.

C’est ce que j’ai contesté.

Je prouverai aujourd’hui, par quelques détails, que la protection que vous avez voulu accorder aux bois indigènes par la loi du 21 juillet est loin d’être annulée au point où on le prétend.

D’abord nous nions que, par le traité du 1er septembre, le pavillon prussien se trouve replacé dans la position où il était avant la loi du 21 juillet. Le statu quo antérieur à la loi du 21 juillet est loin d’être rétabli. Voyons d’abord quel était ce statu quo. Chacun de nous se rappelle qu’il faut distinguer entre le bois non scié et le bois scié.

Le droit sur le bois était alors établi comme suit :

Bois non scié : 60. cent. indistinctement. (Réduction de 10 p.c. par pavillon belge.)

Bois scié, 4 fr. indistinctement. (Réduction de 10 p.c. par pavillon belge.)

Par la loi du 21 juillet, les droits ont été établis ainsi qu’il suit :

Bois non scié : 2 fr. par pavillon belge, 4 fr. par pavillon étranger au lieu de 60 c.

Bois scié de plus de cinq centimètres d’épaisseur : 9 fr. par pavillon belge 11 fr, par pavillon étranger au lieu de 4 fr.

Bois scié de moins de cinq centimètres d’épaisseur : 13 fr. 50 c. par pavillon belge, 16 fr. 50 c. par pavillon étranger au lieu de 4 fr.

Quelle est maintenant l’espèce de bois que nous importait principalement le pavillon prussien ? C’est le bois de la deuxième catégorie des bois sciés ; ce sont les bois de moins de 5 centimètres d’épaisseur. Si donc le pavillon prussien continuait à nous importer ces sortes de bois (je parle par conjecture ; je ne puis parler autrement), ces bois payeraient 13 fr. 50 c. ; c’est le taux du pavillon belge. Autrefois, ils payaient 4 fr.

Si au contraire le pavillon prussien abandonne la deuxième catégorie des bois sciés pour adopter de préférence la catégorie des bois sciés de plus de 5 centimètres d’épaisseur, il payera 9 fr. au lieu de 4 francs.

Enfin, s’il donne la préférence au bois en grume, il payera 2 fr. au lieu de 60 c. qu’il payait autrefois.

Vous voyez donc que si l’on avait appliqué l’ancien système de négociations, si l’on avait conclu, en 1837 ou en 1839, avec la Prusse, une convention emportant assimilation des navires pour les taxes de navigation et pour les droits de douanes en ce qui concerne la navigation directe entre les ports des deux pays pour les ports des deux pays ; si une convention de ce genre avait été conclue, les navires prussiens auraient payé, d’après la convention, que 60 c. pour les bois en grume.

Je disais tout à l’heure que nous ne pouvions procéder que par conjecture. Ainsi, quel sera l’effet de la loi des droits différentiels du 21 juillet sur les bois du Nord ? Nous l’ignorons.

Quel sera l’effet du traité du 1er septembre, en ce qui concerne spécialement le pavillon prussien ? Nous l’ignorons.

Mais tout ce qu’il importe de savoir, c’est que la Belgique est entière dans son action, et si l’expérience vient à prouver que la protection accordée aux bois indigènes est devenue insuffisante, nulle, nous examinerons alors, mais alors seulement, ce que nous aurons à faire.

M. Eloy de Burdinne – Le mal sera fait.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Non, puisque vous pourrez le réparer. Prendre des mesures actuellement, ce serait agir en aveugles.

Tout ce qu’il importe de savoir, c’est que votre liberté d’action est restée entière. Mais il reste, je le répète, une question de nécessité et de convenance à examiner.

Un membre – Qu’est-ce qu’une question de convenance ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est-à-dire que, tout en conservant une protection aux bois indigènes, il faudra que vous ne détruisiez pas complètement ce que vous avez fait pour le pavillon prussien. Il faudra établir un certain équilibre C’est ce que vous ne pourrez examiner que quand vous serez en présence de faits encore inconnus.

Je passe à une seconde objection de détail.

L’honorable préopinant a regretté que les facilités de transit accordées à la Belgique ne fussent pas plus larges. Nous le regrettons comme lui ; nous voudrions avoir obtenu davantage, en ce sens qu’il y aurait suppression des formalités, et abolition de tous droits en Allemagne. Mais nous avons vainement demandé des facilités plus grandes ; nous avons considéré que les facilités qu’on nous accorde, constituent déjà des concessions.

Je crois que la question du transit fera en Allemagne des progrès, comme elle en a fait en Belgique et en France, surtout avec les voies nouvelles de communications par chemin de fer.

Je ne doute pas que lorsque l’Allemagne aura achevé ses chemins de fer, elle ne leur applique un système de transit plus libéral que celui qui existera même à la suite du traité. Déjà des Etats allemands ont manifesté l’intention d’affranchir leurs chemins de fer de toutes les formalités et pour ainsi dire de tous les droits de transit, comme nous l’avons fait pour le chemin de fer belge. Dès lors les anciennes voies seront abandonnées ; on adoptera la voie nouvelle du chemin de fer ; la question du transit fera donc des progrès, avec l’introduction des chemins de fer. Les préjugés qui avaient maintenu des dispositions rigoureuses contre le transit s’affaiblissent et tombent tous les jours.

Je partage donc les regrets de l’honorable préopinant en ce sens que nous n’avons pas pu obtenir aujourd’hui ce qui ne peut être réservé au commerce que dans l’avenir.

Une autre objection porte sur le droit de sortie des laines ; nous avons obtenu une réduction de la moitié du droit de sortie sur les laines ; mais il faut qu’elle soit destinée à la consommation belge. Telle est l’explication consignée dans le procès-verbal d’échange. Cette explication, nous devons l’accepter, parce que nous devons reconnaître que lorsque la réduction du droit sur la sortie des laines a été demandée, nous n’avions en vue que l’industrie indigène belge. Dès lors, il a bien fallu accepter l’explication lorsqu’elle a été demandée.

Dans l’intérêt du commerce, il eût été préférable que la disposition eût été générale, que la quantité eût été illimitée. Mais nous aurions fait naître d’autres craintes en Allemagne ; nous n’avons pu demander une application aussi large.

Je crois, du reste, que dans la pratique toutes les facilités seront données, de manière que l’industrie indigène belge puisse retirer de cet article tous les avantages qu’elle en attendait.

L’honorable préopinant a aussi critiqué la disposition qui maintient en faveur des tissus de coton allemands, l’ancien tarif, c’est-à-dire le tarif antérieur à l’arrêté du 13 octobre dernier.

L’Allemagne, messieurs, nous importe très-peu de tissus de coton. Elle nous importe un genre de tissus de coton, appelé cotonnettes. Les tissus de cotons peints et imprimés qui nous font réellement concurrence sont les tissus de la Suisse, les tissus de l’Angleterre, et jusqu’à un certain point les tissus français.

Le moment d’examiner la question de l’exception faite en faveur des tissus français, n’est pas arrivé. Une loi vous sera présentée pour ratifier l’arrêté royal du 13 octobre dernier et alors nous établirons la nécessité, au moins temporaire, de cette exception. Pour le moment, il ne s’agit que de l’exception promise alors éventuellement à l’Allemagne et qui est devenue une réalité par suite de l’arrêté du 13 octobre dernier.

Cette exception, messieurs, ne s’applique, je le répète, qu’au genre de tissus de coton appelé cotonnettes. On en introduit en Belgique peut-être pour moins de 200,000 fr. Car l’évaluation de la statistique commerciale est beaucoup trop élevée. En 1843 on a introduit 16,800 kil. de ces cotonnettes, et je crois qu’on peut les évaluer à 10 fr. le kil., ce qui ferait une valeur de 168,000 fr.

Il était encore équitable, messieurs, d’assurer ce statu quo à l’Allemagne. Nous étions à la veille d’augmenter les droits sur les tissus allemands ; et du jour au lendemain, au moment où l’on faisait une paix commerciale, l’Allemagne se serait trouvée atteinte dans l’une de ses industries. C’était une position qu’il fallait éviter. Malheureusement, on avait annoncé depuis fort longtemps, l’intention d’augmenter le tarif sur les tissus de coton. L’Allemagne le savait, et elle a voulu naturellement se prémunir contre cette éventualité si hautement annoncée.

Enfin, messieurs, l’honorable préopinant s’est demandé pourquoi on ne s’était pas occupé du transit par la Meuse dans ce traité. On ne pouvait, messieurs, s’en occuper. La Meuse, en ce qui concerne l’une des puissances riveraines, la Prusse, n’exige pas une simple mention dans un traité de commerce ; elle exige un règlement tout particulier. On fera ce règlement lorsque la Prusse croira de son intérêt de le réclamer ; jusqu’à présent elle n’a pas cru qu’il lui importait de provoquer ce règlement. Nous verrons ce qu’il y aura à faire lorsque la Prusse nous demandera de faire un règlement avec les autres puissances riveraines, avec le gouvernement des Pays-bas et le gouvernement belge qui déjà en ont conclu un par la convention du 20 mai 1843.

Messieurs, l’honorable préopinant a eu grand tort de supposer que nous prônions ce traité, que nous voulions lui donner des proportions extraordinaires. Il n’est pas dans nos habitudes de donner ce caractère aux actes que nous posons. Nous croyons que ce traité est utile. Quelle en sera la véritable portée ? C’est ce que personne ne peut encore constater aujourd’hui. Il nous suffit, pour le moment, que l’utilité de l’acte soit suffisamment établie pour qu’il mérite et l’approbation de l’honorable membre et l’approbation de la chambre. C’est ce qui nous importe pour le moment ; le temps fera le reste.

M. Osy – J’ai une explication à donner sur la réponse que m’a faite M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur a prétendu que j’avais critiqué l’art. 29 de la convention. Messieurs, je me suis bien gardé de critiquer une disposition qui, lors même qu’elle n’existerait pas dans le traité, existerait en fait. Il est naturel que les puissances allemandes qui entreront dans le Zollverein jouissent des mêmes avantages que les puissances qui en font maintenant partie.

Mais j’ai critiqué l’art. 5. Je vous ai dit que cet article est nul pour le moment, parce que nous n’avons pas à craindre jusqu’ici qu’il nous arrive des denrées coloniales par la Baltique ; mais qu’il y avait eu imprudence, de la part du gouvernement, de l’accepter, parce que si les villes anséatiques viennent à faire partie du Zollverein, votre loi des droits différentiels tombe pour le cabotage.

M. le ministre de l'intérieur dit que nous ne devons pas craindre qu’on nous importe du café des villes anséatiques. Messieurs, le café venant de Hambourg paye aujourd’hui 15 fr ; lorsque le pavillon hambourgeois sera assimilé au pavillon belge, il ne payera plus que 13 fr. 50 c. Eh bien, aujourd’hui que les Anglais doivent payer des droits élevés, il nous arrive encore du café d’Angleterre. Vous voyez donc que lorsque les villes anséatiques feront partie du Zollverein, l’art. 5 pourra nous devenir funeste.

(page 362) D’ailleurs, messieurs, M. le ministre de l'intérieur m’a donné raison. J’ai donc eu des motifs de dire que le gouvernement avait commis une grave imprudence.

Quant à la disposition relative aux tissus de coton, je laisserai aux honorables députés de Gand le soin de la combattre. Ils sont beaucoup plus à même que moi de le faire. Mais je dis que c’est une concession que je n’aurais pas faite, et certainement le Prusse n’aurait pas insisté pour une importation de 160 à 200,000 fr. par an. Mais maintenant que vous avez haussé les droits sur les tissus anglais, que peut-être par la suite vous les hausserez sur les tissus français, qui vous dit que, par suite des développement que prendra son industrie, l’Allemagne ne nous importera pas beaucoup plus de tissus de coton et ne viendra pas faire une concurrence redoutable à notre industrie ?

Je dis donc que le gouvernement a encore commis là une grande faute.

Je vous avoue, messieurs, que je n’ai pas compris les raisons que M. le ministre de l'intérieur nous a données, quant à l’importation de laines. L’art. 17 du traité était formel ; il s’appliquait à l’importation des laines, tant pour notre industrie que pour notre commerce ; et il a été entièrement détruit par l’article additionnel n°4.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je désire, messieurs, ajouter quelques observations à celles qui vous ont été présentées par M. le ministre de l'intérieur, en réponse à l’objection fondamentale qui vous a été faite par l’honorable baron Osy. Cette objection est grave, et c’est parce qu’elle est grave, que je me permets d’attirer un moment l’attention de la chambre sur ce point.

L’honorable baron Osy regarde l’art. 5 comme une faute ; selon lui, cette faute n’aura pas de résultats fâcheux immédiats, mais le danger commencera le jour où Hambourg entrera dans l’union douanière allemande.

D’abord, messieurs, comme vous l’a dit M. le ministre de l'intérieur, depuis qu’un traité a été conclu pour dix ans entre le Hanovre et l’Angleterre, cette accession des villes anséatiques est moins probable qu’elle ne l’a jamais été. Mais le gouvernement vient de vous déclarer que si cette accession avait lieu, la portée du traité pourrait être modifiée à certains égards, et qu’il y aurait lieu d’examiner s’il fallait renouveler le traité sans compensation.

Mais, messieurs, la chambre de commerce d’Anvers, qui a émis, en 1843, une opinion sur cette question, a été loin de partager la manière de voir de l’honorable baron Osy. J’ai, pour ma part, beaucoup de déférence pour les lumières et l’expérience de l’honorable baron Osy en fait de questions commerciales, et surtout lorsqu’il s’agit de la défense des intérêts de la ville importante d’Anvers, qu’il a la mission spéciale de défendre dans cette enceinte. Malheureusement, l’honorable membre me permettra d’avoir plus de déférence encore pour les lumières et pour l’expérience de la chambre de commerce d’Anvers qui est l’organe officiel du commerce de cette ville et des grands intérêts qui s’y rattachent. Or voici, messieurs, quelle est l’opinion de la chambre de commerce sur la question de savoir s’il fallait admettre l’assimilation réciproque pour les marchandises d’entrepôt aussi bien que pour les produits du sol et de l’industrie du Zollverein, et, en second lieu, si l’on pouvait étendre ces faveurs aux ports situés entre l’Elbe et la Meuse.

Voici la réponse de la chambre de commerce d’Anvers à cette question :

« Cela dépend des conditions auxquelles on admettra lesdits navires venant directement des ports mêmes du Zollverein : Si l’on entend que l’assimilation au pavillon belge devra s’appliquer aux produits de la fédération seulement, ou bien à toute marchandise sans distinction d’origine ? La chambre de commerce, chaque fois qu’elle a été consultée sur la question, a conseillé au gouvernement de faire prévaloir le principe d’une assimilation absolue des deux pavillons pour toute importation directe de l’un pays dans l’autre, et il résulte de la lettre que vous nous avez fait l’honneur de nous adresser le 7 mars 1841 (3e direction division du commerce N°4,230 litt. A) que le gouvernement a approuvé ce système. Nous devons donc croire qu’il a servi de base aux négociations déjà entamées ; et dès lors la concession supplémentaire réclamée actuellement par la Prusse aurait pour effet que les navires prussiens pourraient nous importer de Rotterdam, Hambourg, etc., non-seulement les produits de la fédération, mais aussi les produits de la Hollande et de la fédération hanovrienne, et même tous les articles coloniaux sans exception, aux mêmes avantages que les navires belges.

« Mais ces inconvénients disparaissent si la législature adopte un système protecteur en faveur de la marine nationale et des relations directes avec les régions transatlantiques fondé sur les principes proposés par la chambre de commerce d’Anvers. »

Or, messieurs, veuillez ne pas oublier que la protection que voulait la chambre de commerce d’Anvers en faveur du pavillon national, était moins forte que celle proposée par le gouvernement et adoptée par la chambre.

« Alors l’assimilation au pavillon belge n’empêchera pas les importations de cafés, sucres et autres produits coloniaux venant des ports entre l’Elbe et la Meuse, par navires prussiens, d’être grevés de droits différentiels sur notre marché, puisque ces droits se prélèveraient également par navires belges quand la marchandise provient d’un entrepôt d’Europe.

« Dans cette dernière hypothèse, la clause indiquée par votre dépêche, M. le ministre, pourrait être consentie sans causer de préjudice à notre navigation de long cours ni au développement de notre commerce direct avec l’Amérique et les Indes. »

La chambre de commerce d’Anvers ne croyait donc pas à la possibilité dont vient de parler l’honorable baron Osy de voir, par exemple, des cafés du brésil être entreposés à Hambourg et importés de là en Belgique.

« Nous ne pouvons dissimuler néanmoins que cette faveur accordée au pavillon prussien et son application éventuelle à quelques autres pavillons pourraient soulever des réclamations de la part du cabotage national. Mais elles ne seraient pas fondées, car ce n’est point dans la direction de l’Ems, du Weser et de l’Elbe que notre cabotage pourra jamais trouver des éléments de prospérité. »

Ainsi, messieurs, la chambre de commerce d’Anvers aurait été jusqu’à accorder immédiatement l’assimilation pour les entrepôts des villes anséatiques. Le gouvernement n’a pas cru devoir aller jusque-là ; il est resté en deçà des concessions que la chambre de commerce d’Anvers était prête à accorder. La chambre de commerce d’Anvers croyait qu’il n’y avait aucun danger pour nos intérêts commerciaux dans l’assimilation immédiate accordée pour les produits des entrepôts, pourvu qu’un système de droits différentiels fût adopté ; ce système a été adopté. Le gouvernement a donc usé de plus de prudence, de plus de circonspection, que ne l’eût indiqué la chambre de commerce d’Anvers.

Messieurs, mon intention n’a pas été de me donner le plaisir de mettre l’honorable Osy en contradiction avec la chambre de commerce d’Anvers ; mais, comme cette objection est grave, j’ai cru nécessaire de faire connaître à la chambre quelle était la manière de voir de cette chambre de commerce, afin de vous fournir un nouvel élément d’appréciation.

M. d’Elhoungne – Je désirerais que M. le ministre des travaux publics voulût bien remplir le programme qu’il s’est tracé lui-même. Hier il nous a promis d’examiner les négociations et de prouver que nous avons obtenu par le traité du 1er septembre tous les avantages que l’on avait demandés non-seulement en 1844, mais encore les années précédentes. Je prierai l’honorable ministre des travaux publics de bien vouloir tenir cette promesse d’autant plus que j’avouerai franchement à la chambre, que je ne suis pas trop en état de parler aujourd’hui par suite d’une indisposition. Si cependant M. le ministre ne satisfaisait pas à ma demande, je me réserverais de prendre la parole immédiatement.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, dans des séances précédentes, l’honorablet M. d'Elhoungne, l’honorable M. Delehaye et d’autres membres, nous avaient donné rendez-vous à la discussion du traité du 1er septembre, pour examiner l’ensemble de la politique commerciale du ministère, politique commerciale que ces honorables membres ont qualifiée de politique déplorable. Nous avons accepté ce rendez-vous, et je réponds immédiatement à l’appel que vient de me faire l’honorablet M. d'Elhoungne. Précédant l’honorable membre à ce rendez-vous, je vais aborder la question de la politique commerciale du cabinet dans son ensemble avant de l’examiner dans ses rapports avec le traité du 1er septembre ; vous reconnaîtrez, messieurs, qu’il n’y a de déplorable que l’étrange exagération à laquelle on a trop légèrement cédé.

Mais avant d’examiner cette politique, n’aurait-je pas le droit de demander à ces honorables membres qui se sont constitués nos adversaires, n’aurais-je pas le droit de leur demander quelle est leur politique commerciale à eux ? Cette politique commerciale, messieurs, il ne m’est pas difficile de la désigner ; chacun de nous la connaît. Tous les ministères qui ne suivront pas l’honorable M. Delehaye, que je regrette de ne pas voir à son banc…

Un membre – Il est malade.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) –t M. d'Elhoungne voudra bien le remplacer.

Tous le ministères, dis-je, qui ne consentiront pas à suivre ces honorables membres jusqu’à la prohibition proposée par l’industrie cotonnière, en 1835, jusqu’à l’estampille proposée en 1842, tous ces ministères seront considérés par eux comme ayant une position commerciale mauvaise, sur laquelle ils se croiront permis de déverser le blâme et l’indignation du pays.

M. d’Elhoungne – Est-ce que j’ai déjà parlé de l’estampille ?

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je parle de l’opinion, connue et respectable d’ailleurs, des industriels de Gand, dont vous vous êtes donné la mission bien légitime de défendre les intérêts.

M. d’Elhoungne – Je ne représente pas l’estampille.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – D’abord je réponds ici principalement à M. Delehaye dont l’opinion est parfaitement connue. Je ne sais pas jusqu’à quel point l’honorablet M. d'Elhoungne la partage.

Du reste, je ne veux pas me prononcer moi-même sur ces questions, mais je désire faire remarquer que ce grief retombe sur les chambres et non sur le ministère.

Messieurs, la politique commerciale du cabinet repose sur quelques faits importants et essentiels que l’opposition s’efforce en vain de faire oublier. Ces faits importants sont, sans parler des mesures introduites pour l’amélioration de l’agriculture, la loi sur les droits différentiels, la révision du tarif par l’arrêté du 14 juillet et par l’arrête du 13 octobre, la création d’un entrepôt franc, enfin le traité du 1er septembre.

La loi des droits différentiels, messieurs, n’est-ce pas le système commercial belge substitué au système hollandais de 1822 ? la loi des droits différentiels, n’est-ce pas notre acte de navigation ? n’est-elle pas la base de nos négociations et de nos traités futurs ? n’est-ce pas de la loi des droits différentiels qu’est sorti le traité du 1er septembre ?

La révision du tarif par l’arrêté du 14 juillet pour les fils et les tissus de laine ! Mais n’est-ce pas de l’époque de cet arrêté que date le développement nouveau de l’industrie drapière ?

L’arrêté du 13 octobre a été considéré comme un bienfait par l’industrie (page 363) des machines et des mécaniques, par l’industrie importante des produits chimiques et par une partie des organes de l’industrie cotonnière ; je ne doute aucunement que, lorsque nous aurons examiné la valeur de cet arrêté, toute l’industrie cotonnière n’en reconnaisse les avantages.

La création des entrepôts francs est une mesure progressive qui a été bien accueillie dans le pays. Le traité du 1er septembre que j’aurai à examiner tantôt et que je me permets de résumer maintenant en quelques mots, ce traité touche à trois grands intérêts : l’intérêt du port d’Anvers, l’intérêt de l’industrie métallurgique, auquel se rattache l’intérêt d’une autre industrie importante, l’industrie houillère.

Il y avait en Belgique deux souffrances industrielles qui préoccupaient surtout le gouvernement, la souffrance linière et la souffrance métallurgique. La première a été sinon guérie, du moins a reçu une amélioration de position par la convention du 16 juillet, qui a été signée par M. Nothomb, que vous poursuivez de vos attaques ; la seconde a cessé d’exister depuis le traité du 1er septembre.

Ne puis-je pas vous demander, messieurs, quel est l’intérêt industriel important dans le pays pour lequel un de ces actes n’a pas été un bienfait ?

Eh bien, messieurs, aux paroles dédaigneuses qu’on a fait entendre, il y a quelque temps, dans cette enceinte, à ces paroles dédaigneuses nous opposons des faits significatifs. On nous parle au nom du mécontentement du pays, nous répondons en vous disant ce que nous avons fait pour le pays. On croit défendre à cette tribune les intérêts industriels par des plaintes exagérées, par des récriminations injustes et toujours stériles ; nous les avons défendus, ces intérêts industriels, par des actes formels, et qui ont été appréciés, j’ose dire par les grandes industries du pays.

L’industrie drapière nous a remerciés de l’arrêté du 14 juillet ; l’industrie des machines et des mécaniques, l’industrie des produits chimiques et en partie du moins l’industrie cotonnière, nous ont remerciés de l’arrêté du 13 octobre. Le commerce d’Anvers nous a hautement félicités de la conclusion du traité du 1er septembre, qui assure des relations avec l’Allemagne ; les chefs des principaux établissements métallurgiques et houillers de la province de Liège et du pays de Charleroy me disaient, il y a peu de temps encore (et ils m’ont permis de porter cette déclaration à la tribune), me disaient que le traité du 1er septembre avait sauvé leurs provinces, avait sauvé trois grands intérêts. La marine belge, messieurs, ne regarde-t-elle pas la loi des droits différentiels, qui est notre loi, ne la regarde-t-elle pas comme l’espérance de sa prospérité future ?

Voilà nos actes, messieurs, et nos honorables adversaires nous permettront de considérer ces témoignages comme une compensation qui nous dédommage de la manière dont ils ont apprécié la politique commerciale du cabinet.

J’aborde maintenant, dans son ensemble, l’examen du traité du 1er septembre. J’ai promis hier à la chambre de passer en revue, d’une manière rapide et générale, les principales phases qui ont marqué la négociation avec le Zollverein depuis 1837 jusqu’aujourd’hui, et de démontrer que nous avons obtenu du Zollverein tous les avantages essentiels que les ministères précédents avaient demandés, sans avoir dû consentir à toutes les concessions que l’on avait offertes. On pourra sans douter citer un ou deux points exceptionnels qui n’ont jamais fait partie sérieusement des négociations ; je ne considère pas cela comme une objection, et je n’ai voulu parler que des faits essentiels admis comme bases des négociations aux diverses époques.

La négociation avec le Zollverein a eu trois phases principales avant la conclusion du traité du 1er septembre. Des ouvertures furent faites par le cabinet de Bruxelles au cabinet de Berlin en mai 1837 ; un projet de traité a été formulé en 1839 ; en 1841 il n’y a pas eu de projet formulé, mais des bases générales de négociation furent proposées à la Prusse. elles furent rendues plus explicites en 1842.

Mais, avant d’examiner ce qu’on proposait en 1837 et en 1839, j’ai besoin de soumettre une réflexion à la chambre, afin que mes paroles ne puissent pas avoir un caractère de critique à l’égard des ministres d’alors, ce qui serait contraire à mes intentions. Les ministres de cette époque n’étaient pas en position de réaliser ce que nous avons obtenu ; en 1837, nous n’étions pas reconnu par le Zollverein ; il était bien difficile, pour ne pas dire impossible, avant la signature du traité de paix, que le gouvernement belge pût faire autre chose que de préparer les négociations dans les limites des possibilités, et c’est ce qu’il a fait. En second lieu, il ne faut pas oublier qu’en 1837 un traité de navigation fut conclu entre la Prusse et la Hollande. Une autre base de négociation pouvait donc paraître impossible à faire admettre. Quelles étaient les bases posées en 1837 ? On admettait, en 1837, l’assimilation complète entre les deux pavillons pour les produits de toute origine, tant par la navigation directe que par la navigation indirecte ; ainsi, dans le système de 1837, on allait bien au-delà de la concession qui est faite au Zollverein par le traité du 1er septembre, puisqu’on admettait la fédération absolue des pavillons belge et allemand. En échange de cette concession importante, que demandait-on ? Jusqu’où les espérances s’étendaient-elles ? On demandait le libre transit entre la Belgique et le Rhin ; on n’allait pas jusqu’à demander l’extension de cette liberté au-delà du Rhin.

D’après le projet de 1839, on acceptait l’assimilation des navires pour la navigation directe de port à port ; on n’allait pas jusqu’au principe de la fédération des pavillons, admis en 1837 ; on s’arrêtait au principe consacré dans le traité du 1er septembre, c’est-à-dire, l’assimilation pour les produits du sol et de l’industrie et pour les produits des entrepôts. La concession que nous avons faite en 1844, on l’a offerte toute entière en 1839.

Quelle était la compensation qu’on demandait, à cette époque, dans le projet de traité ? S’agissait-il de faveurs douanières spéciales ? Aucunement ; on demandait purement et simplement le maintien du statu quo ; il était stipulé que les marchandises importées de Belgique en Prusse ne seraient pas soumises à des droits plus élevés de douane et de transit que les mêmes marchandises venant d’autres pays.

En 1839 et 1841, je n’ai pas trouvé de vestiges de négociation. On pourrait, rappelant un mot devenu fameux, dire qu’il y a eu une parenthèse vide, pour les négociations avec le Zollverein comme avec la France, entre 1839 et 1841. Mais pour qu’on ne considère pas cette remarque, qui m’est à coup sûr permise, comme une insinuation malveillante, je me hâte d’ajouter que je comprends que la crise d’Orient, qui éclata à cette époque, a pu ne pas permettre au ministère de 1840 de nouer des négociations sérieuses, soit avec la France, soit avec l’Allemagne.

En 1841, le ministère belge n’a pas proposé à la Prusse un projet de traité, mais il a indiqué des bases générales pour la négociation. Or, chacun sait que, dans ces bases générales, un cabinet comprend toutes les faveurs qu’il croit pouvoir demander, sans avoir l’espoir de les obtenir toutes. Mais examinons quelles étaient les propositions faites en 1841 ?

« Une réciprocité complète, pour ce qui regarde la navigation par navires belges et prussiens de l’un des deux pays vers l’autre. »

C’est ce que nous avons admis.

« L’abolition réciproque, absolue ou presque absolue des droits de transit pour les marchandises traversant le territoire de l’association des douanes, ou celui de la Belgique, etc. »

Nous avons obtenu l’abolition, non pas absolue, mais à peu près absolue, comme nous le prouverons lorsque j’aborderai la question du transit.

Mais j’appelle l’attention de la chambre sur une clause du traité projeté en 1841 ; je veux parler de la clause de l’art. 3.

Par l’art. 3, la Belgique renonçait à faire avec d’autres pays des traités différentiels, puisque le Zollverein devait jouir de tous les avantages concédés à toute autre voie d’importation ou d’exportation. Cette concession était excessivement grave ; alors l’honorable M. Castiau aurait pu soutenir…

M. Castiau – Je demande la parole.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - … aurait pu soutenir que cette clause était d’une politique antifrançaise. Si cette clause avait été admise en 1841, il eût été défendu au gouvernement belge de faire un traité différentiel avec la France, la convention du 16 juillet eût été rendue impossible.

En quatrième lieu, des concessions réciproques et équivalentes sur les droits de douanes existants, devaient être faites, relativement à quelques articles à désigner ultérieurement.

Messieurs, pour bien apprécier les propositions de 1841, il faut comprendre comment les concessions devaient s’équilibrer d’après ce projet. Ainsi la concession pour la navigation trouvait son équilibre dans la concession demandée pour le transit. Mais remarquez-le bien, et l’honorable M. Devaux a semblé l’oublier hier, les concessions de douane sur la sortie des laines, sur les fers et sur les fils de lin ne devaient pas former la compensation de la concession offerte pour la navigation, mais elles devaient amener, de la part de la Belgique, des réductions importantes en faveur de certains produits du Zollverein. Voilà la pensée fondamentale du projet de traité de 1841.

Or, par le traité du 1er septembre, nous avons obtenu les concessions les plus importantes demandées en 1841, je veux parler de celles relatives à la sortie des laines, aux fontes et aux fers ; mais nous n’avons pas obtenu ces concessions, en accordant ce qu’on offrait alors, c’est-à-dire des avantages équivalents de douane ; nous les avons obtenus par la seule concession de navigation que nous avons faite. Ainsi, il est clair que le traité du 1er septembre repose sur des bases infiniment plus favorables à la Belgique que le projet de traité de 1841.

Dès lors, n’ai-je pas pu déclarer hier que les avantages cumulés et essentiels demandés par les ministères précédents, nous les avions tous obtenus ? N’avais-je pas raison de dire que nous n’avions pas eu à consentir à toutes les concessions qu’on avait offertes ?

Mais, messieurs, il ne faut pas seulement se demander ce que la Belgique a réclamé ou offert, il faut encore se demander ce que la Prusse, ce que le Zollverein nous présentait dans les diverses phases de la négociation.

Or, en 1837 et en 1839, la Prusse n’a voulu qu’un traité de navigation, elle se refusait à y comprendre même la question de transit. En 1842, la Prusse consent à comprendre dans la négociation la question du transit, mais en se refusant absolument à y mêler les questions de concessions douanières. En 1843, l’insistance du cabinet belge fit faire un pas de plus à cette puissance, qui déclara admettre, comme maximum des concessions possibles, une réduction de 50 p.c. sur le droit de sortie des laines, mais à la condition d’une concession équivalente de douane.

Eh bien, messieurs, le ministère actuel n’a pas cru devoir consentir à accepter cette nouvelle offre de la Prusse. Nous avons persisté à demander que la question si importante de la métallurgie fût comprise dans la négociation avec le Zollverein. Cette persistance, et vous en avez pour preuve le memorandum prussien, cette persistance a été qualifiée d’exorbitante par la Prusse, elle a été considérée comme un refus de négocier, et c’est à cette persistance que nous devons le traité même du 1er septembre.

Ainsi, si d’une part, nous envisageons la négociation au point de vue belge, je dis que le traité du 1er septembre dépasse de beaucoup les limites favorables des négociations de 1837, de 1839 et de 1841. Si nous envisageons le traité au point de vue prussien, au point de vue des concessions (page 364) que la Prusse a cru devoir nous offrir, nous pouvons dire que nous avons obtenu plus qu’on n’espérait à d’autres époques.

La veille du jour de la conclusion du traité, et je ne crois pas commettre une indiscrétion en révélant ce fait, la veille de la conclusion du traité, des notabilités de la chambre de commerce d’Anvers m’écrivaient : « Renoncez à l’illusion que le gouvernement poursuit, de comprendre dans le traité des concessions sur les fers, sur les fontes, sur la sortie des laines, c’est-à-dire les concessions douanières ; renoncez à ce rêve qui ne se réalisera pas ; consentez à circonscrire le traité dans les conditions de navigation et de transit, et si le succès couronne une négociation dirigée dans ce sens, le ministère aura acquis un titre éclatant à la reconnaissance du pays. »

Voilà le langage que tenait le commerce d’Anvers, par l’organe de ses notabilités, la veille même de la conclusion du traité du 1er septembre. Rappelez vos souvenirs, messieurs, et vous conviendrez avec nous, qu’à cette époque les espérances n’allaient pas jusqu’à la conclusion d’un traité de commerce, de navigation et de transit tel que celui que nous avons conclu. L’opposition veut le méconnaître et nous refuse ses éloges, nous devions nous y attendre. Aussi contentons-nous du sentiment que nous conservons d’avoir servi l’intérêt du pays.

M. d’Elhoungne – Je diviserai en deux parties les observations que j’ai à présenter. Je demanderai à la chambre la permission de remettre à demain l’examen du traité, et je répondrai immédiatement aux considérations générales que M. le ministre des travaux publics a fait valoir au commencement de la deuxième partie de son discours.

M. le ministre des travaux publics est venu parler du traité du 1er septembre sur un ton bien différent de celui qu’avait pris M. le ministre de l'intérieur, avec un enthousiasme que je peindrai d’un mot (qui n’est pas de moi, mais de M. Dupin, aîné) : c’est l’effet des extases de la paternité ! Il est vrai que, d’après la doctrine professée hier par M. le ministre de l'intérieur, en matière de traités, la recherche de la paternité est interdite. (Rires.)

D’après M. le ministre des travaux publics, messieurs, nous avons ajourné le ministère à la discussion du traité du 1er septembre, pour discuter dans son ensemble sa politique commerciale et industrielle. Je dirai d’abord à M. le ministre des travaux publics, que nous n’avons pas ajourné le ministère à la présente discussion pour faire cet examen ; mais j’ajouterai que jamais je ne reculerai devant la discussion de ce qu’il veut bien appeler la politique commerciale du ministère ; que jamais surtout je ne reculerai devant une provocation ni de sa part, ni de la part de personne.

M. le ministre des travaux publics croit avoir tout dit, quand il nous a jeté à la tête le reproche de représenter l’opinion de l’industrie cotonnière.

Messieurs, j’éprouve le besoin de protester contre une pareille insinuation. Jamais, M. le ministre peut en être convaincu, je n’ai compris le mandat du député à un point de vue aussi faux. En venant m’asseoir sur ces bancs, je n’ai été animé que d’une seule pensée, celle qui doit mener tout député, messieurs : la pensée du bien général du pays. C’est à ce point de vue que j’ai jugé le ministère ; c’est à ce point de vue que j’ai examiné et que j’examinerai toujours les traités et tous les actes du ministère. Je trouve, messieurs, qu’il y a une haute inconvenance de la part de M. le ministre des travaux publics à me signaler comme le représentant exclusif d’une industrie ou d’un intérêt quelconque alors qu’aucun acte de ma courte carrière parlementaire n’y a donné lieu.

Mais, m’a dit M. le ministre des travaux publics, quelle est donc votre politique commerciale à vous qui critiquez la politique du ministère ? Messieurs, ma réponse sera aussi claire que facile. La politique commerciale que je voudrais voir suivre à mon pays, celle que je défendrai toujours, messieurs, je la formulerai en peu de mots. La politique industrielle et commerciale de la Belgique dérive de sa position même. La Belgique est à la fois une puissance agricole, industrielle et commerciale. A l’extérieur, comme à l’intérieur, c’est dans l’égale protection de ses intérêts agricoles, industriels et commerciaux que doit constituer sa politique. Ainsi, concilier les intérêts de l’agriculture, du commerce et de l’industrie dans les traités, voilà le but de la politique commerciale de la Belgique vis-à-vis des nations qui nous entourent. La Belgique ne peut pas en avoir d’autres.

Quelle est donc, messieurs, la tâche de notre diplomatie ? Evidemment, c’est de nous rapprocher, par degrés, et de plus en plus, vers cette puissance qui, dans ses relations avec nous, présente la continuation la plus complète de notre intérêt agricole, de notre intérêt industriel, de notre intérêt commercial. Cette puissance, messieurs, c’est la France. Donc la diplomatie belge, au point de vue de ses intérêts les plus considérables, les plus vitaux, doit tendre incessamment vers la France. C’est la condition évidente du présent comme de l’avenir.

De là, il faut conclure que notre diplomatie commettrait une faute bien grave, si, en nous liant par des traités à quelque autre puissance, elle venait ou empêcher, ou entraver, ou retarder notre rapprochement plus intime avec notre alliée naturelle. De là, il faut conclure encore que notre diplomatie commettrait une faute plus grave encore, si par quelque traité avec une autre puissance elle compromettait nos relations déjà existantes, déjà établies avec la France. Voilà, messieurs, en deux mots, quelle doit être, selon moi, la politique industrielle et commerciale de la Belgique. Ce système, l’avez-vous suivi soit à l’intérieur soit à l’extérieur ? Non, sans doute ; dans toutes les mesures que vous avez prises, comme dans le traité du 1er septembre que vous avez conclu, vous avez sans cesse sacrifié l’un intérêt à l’autre. Examinons, en effet. L’agriculture est protégée par la loi sur les céréales, par la loi sur le bétail, par les droits sur les bois étrangers. L’agriculture ne vous demande rien à l’intérieur que le maintien loyal de ce qui est. A l’extérieur elle ne demande pas davantage ; et cependant chaque fois que vous négociez avec l’étranger vous touchez à l’industrie agricole, vous l’alarmez, vous y portez atteinte. Pour l’industrie, vous deviez protéger équitablement toutes les branches importantes, nationales. Je vous demande si en cela votre ministère a rempli son devoir ? Je n’hésite pas à dire que non, et je vous le prouverai par l’examen rapide de vos actes, que vous-même avez rappelés.

Vous citez d’abord l’arrêté du 14 juillet. Il a été, je l’avoue, une cause de prospérité pour l’industrie des tissus de laine ; il n’a rencontré aussi qu’assentiment et sympathie dans tout le pays ; je louerai même le ministère de ne s’être pas arrêté, pour cet acte grave, à la crainte non fondée de porter atteinte d’une manière considérable à nos relations avec la France. Mais avez-vous persisté jusqu’au bout dans cette ligne de conduite ? Non, encore. En effet, deux industries françaises importent chez nous des produits jusqu’à concurrence de la même somme, ce sont l’industrie cotonnière et l’industrie lainière. Cela est si vrai, qu’en 1842, d’après le rapport de M. Cunin-Gridaine, la France nous a importé pour 4 millions de tissus de laine et pour 4 millions de tissus de coton. Eh bien, après avoir fait pour les tissus de laine cet arrêté du 14 juillet, qu’avez-vous fait ? Vous avez pris l’arrêté du 13 octobre, sur les cotons, avec la double exception pour la France et l’Allemagne ! Avez-vous été conséquents avec vous-mêmes, avec votre prétendu système, en un mot, avec ce que vous aviez fait par l’arrêté du 14 juillet ? Avez-vous protégé l’intérêt de l’industrie cotonnière avec la même fermeté, avec la même sollicitude que l’industrie des tissus de laine ? Non, vous ne l’avez pas fait ; pour ces deux intérêts également considérables, vous avez eu deux poids et deux mesures ; vous avez donné à l’un une protection efficace, à l’autre vous l’avez refusée. Voyez, messieurs, combien cela révèle une politique bien arrêtée et ferme ! On a fait ce traité avec le Zollverein dans lequel on a inséré une exception pour les tissus de coton, ensuite on a pris l’arrêté du 13 octobre, qui comprend à l’égard de la même industrie une exception en faveur de la France, exception qui est la conséquence de celle que l’on a admise dans le traité avec le Zollverein. Je dis la conséquence ; car, quand vous aviez excepté les cotons allemands, pouviez-vous, sans faire acte d’hostilité envers la France, ne pas admettre la même exception en faveur des cotons français, alors surtout que les avantages que vous aviez accordés, en 1842, à la France, à titre onéreux sur les vins et les soieries, vous les aviez accordés gratuitement à l’Allemagne ? Ne venez donc plus, M. le ministre, nous parler de votre politique industrielle ; elle se résume en ceci : Vous avez protégé l’industrie de Verviers, mais, sans tenir compte de ce précédent, vous avez adopté pour l’industrie cotonnière un système tout différent. Entre les arrêtés du 14 juillet et du 13 octobre il y a une distance que rien ne justifie. Et si nous venons, nous députés, de Gand, faire entendre ici les plaintes de cette industrie dont les intérêts ont été méconnus, certes nous remplissons le plus impérieux des devoirs. Il n’appartient à personne de nous en contester le droit ou de jeter quelques défaveur sur nous parce que nous viendrions l’exercer dans cette enceinte.

La loi des droits différentiels, voilà le deuxième acte de votre politique industrielle et commerciale. Pourquoi avez-vous fait cette loi ? Pour protéger l’industrie d’abord, ensuite la marine du pays. Eh bien, je dis que vous manquez là aussi à votre système par le traité du 1er septembre ; vous le détruisez, en effet, vis-à-vis de la Prusse. La brèche n’est pas grande, direz-vous ? Elle peut devenir énorme par l’accession des villes anséatiques que tous les hommes éclairés regardent comme prochaine. Votre traité, d’ailleurs, a pour résultat de rendre inefficace la protection qu’on avait voulu accorder à la marine belge. En effet, quel est l’armateur qui serait faire construire des navires, baser la moindre spéculation sur cette loi qui, quelques jours après avoir été publiée, a été mise en pièces pour le bon plaisir de la Prusse ?

Il me resterait, messieurs, à vous parler enfin du traité du 1er septembre. C’est le dernier acte de la politique commerciale du ministère. Cet acte, nous l’examinerons demain. Je promets à la chambre un examen sérieux de ce traité. Des actes tels que celui du 1er septembre ont une haute importance. Depuis que la nationalité belge est écrite dans le droit public européen, depuis qu’elle est reconnue par l’Europe, c’est aux traités à désigner sa position dans le monde comme puissance commerciale et industrielle. A ce titre, le traité du 1er septembre mérite l’examen le plus approfondi, un examen dégagé de toute préoccupation de politique intérieure, un examen, enfin, qui n’ait pas d’autre point de départ que l’intérêt général du pays. Je me suis placé à ce point de vue, messieurs, pour examiner le traité ; c’est à ce point de vue que je me placerai demain pour vous démontrer qu’on ne peut l’accepter ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Sans doute, c’est sans préoccupation de parti et de localité que l’honorable préopinant examinera le traité ; mais aussi qu’il ne perde pas de vue cette question : La Belgique a-t-elle le droit de traiter avec les nations quelles qu’elles soient, ou bien la Belgique est-elle réduite à cet état d’impuissance, qu’elle ne pourrait traiter qu’avec un seul de ses voisins ? C’est l’affirmative à cette dernière question que l’on pourrait supposer, d’après quelques paroles que l’honorable préopinant a prononcées.

Le traité du 1er septembre ne lèse aucun intérêt commercial ou industriel français ; il ne pourrait être considéré comme antifrançais que si on déniait à la Belgique le droit de faire des traités, si on lui déniait le premier attribut de la souveraineté. A ce titre, certainement, l’honorable préopinant ne qualifiera pas le traité d’antifrançais ; il ne déniera pas à son pays le droit de faire des traités.

M. d’Elhoungne – Je n’ai pas dit cela.

(page 365) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous ne l’avez pas dit ; mais c’est ce qui pourrait s’induire de vos paroles.

Nous avons, en concluant le traité du 1er septembre, usé d’un droit inhérent à toute souveraineté nationale ; nous n’avons lésé aucun intérêt français ; pour donner un caractère antifrançais au traité, il faut aller au-delà des intérêts matériels compris dans ce traité, il faut remonter jusqu’à la grande question de savoir si la Belgique peut ou ne peut pas conclure des traités.

Mon honorable collègue, M. le ministre des travaux publics, avait jugé à propos de passer en revue les actes les plus importants posés en matière commerciale par le cabinet actuel ; il vous a rappelé l’arrêté du 14 juillet en faveur de l’industrie lainière, celui du 13 octobre en faveur de l’industrie cotonnière, et enfin, la loi des droits différentiels. Voilà trois actes à l’égard desquels on voudra bien ne pas contester mes droits de paternité.

M. Devaux – Et M. de Foere ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’associe bien volontiers l’honorable M. de Foere à la paternité de la loi des droits différentiels.

L’honorable M. Devaux a raison, il faut être, avant tout, juste envers tout le monde.

L’honorable préopinant a fait un appel aux convenances. Mais est-il convenable d’isoler les membres d’un cabinet ?

Je le répète, le traité du 1er septembre, a été conclu avec le concours des ministres qui, à raison de leurs fonctions, devaient y prendre part ; et je dirai que le projet de traité a été rédigé par moi et apporté par moi à la première conférence. Il faut bien en venir à des justifications personnelles puisqu’on ne se lasse pas de reproduire des attaques personnelles.

Mais de quel subit amour s’est donc pris l’honorable membre pour la loi des droits différentiels ? Pourrait-il revendiquer à son tour un droit de paternité sur cette loi ? Ne permettrait-il de faire aucune brèche à une loi dont il n’a pas voulu ?

Est-ce que nous sommes partis de l’idée que l’on ne pourrait pas faire la moindre exception à la loi des droits différentiels ? Le traité ne détruit pas la loi ; il y déroge en abolissant certains droits différentiels en faveur de la puissance avec laquelle on a traité. Est-ce que l’on n’a pas toujours dit qu’on trouverait dans cette loi un moyen de négociation. N’en est-il pas parmi vous qui n’ont adopté la loi des droits différentiels, que parce qu’ils y trouvent un nouveau système de négociations commerciales ? C’est ce que l’honorable préopinant, qui prétend aujourd’hui nous faire la leçon, n’a pas compris ; car la loi des droits différentiels n’a pas même eu l’honneur de son abstention.

M. d’Elhoungne – C’est une erreur : je me suis abstenu.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je félicite alors l’honorable membre d’avoir reculé devant un vote négatif. (On rit.)

Le traité du 1er septembre renferme une dérogation à la loi des droits différentiels, l’abolition des droits différentiels en faveur de la Prusse pour les rapports directs de port à port. Il n’y a là aucune contradiction. C’est une application du système de négociations que nous vous avions annoncé. Ce que nous avions prévu s’est réalisé ; nous avons trouvé dans la loi des droits différentiels un moyen de négociation.

Ce que nos adversaires avaient annoncé ne s’est pas réalisé : la tempête qui devait éclater à la suite du vote de la loi des droits différentiels n’est pas tombée sur nous !

L’honorable préopinant a bien voulu faire l’éloge de l’arrêté royal du 14 juillet. Je l’en remercie ; mais je suis forcé pourtant de lui dire que c’est l’acte que l’on considère, à tort assurément, comme le plus antifrançais que nous ayons porté. Chose étrange ! l’honorable préopinant, pour ne pas compromettre nos relations avec un pays voisin, va jusqu’à contester le droit le plus évident de la souveraineté belge, et ses félicitations s’adressent à l’acte que l’on a considéré comme le plus antifrançais.

M. d’Elhoungne – On a eu tort.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Sans doute ; car l’arrêté du 14 juillet, non plus que le traité du 1er septembre, ne porte atteinte à aucun intérêt français ; vous avez eu raison de le louer ; malheureusement, en France, on n’a cessé de réclamer, bien que les importations françaises, en Belgique, aient augmenté par suite de cet arrêté.

D’autre part, l’honorable préopinant a critiqué l’arrêté du 13 octobre que l’on a su dépouiller de toute caractère antifrançais, puisque, dans cet arrêté, nous avons fait une exception en faveur des tissus peints et imprimés venant de France.

Ainsi, l’honorable préopinant loue l’arrêté du 14 juillet, qui, à tort, est considéré comme compromettant nos relations avec la France et blâme l’arrêté du 13 octobre, qui précisément par l’exception qui s’y trouve, a l’avantage de ne pas compromettre ces relations.

J’ai voulu dès aujourd’hui répondre aux considérations générales présentées par l’honorablet M. d'Elhoungne.

Je terminerai en disant que, sans doute, ni l’honorable préopinant, ni personne dans cette chambre ni personne dans le pays ne contestera à la Belgique indépendante le droit de faire des traités. Dès lors, si, en France, par exemple, on attribuait au traité du 1er septembre un caractère antifrançais, uniquement parce que c’est l’exercice de ce droit, personne ne pourrait s’arrêter à cette théorie ; il n’y aura qu’une question à examiner : Le traité blesse-t-il un intérêt matériel français ? Nous démontrerons, nous avons déjà démontré, qu’il n’en blesse aucun ; c’est tout ce que nous avons à faire.

La Belgique a le droit de conclure des traités ; elle en a fait un avec la France ; elle en fera, nous l’espérons, avec les Pays-Bas, avec le Brésil, avec les Etats-Unis. Si nous en faisons un avec les Pays-Bas, on ne sera pas non plus recevable à dire que nous avons fait une espèce de restauration qu’on ne l’est aujourd’hui à dire que nous sommes devenus Allemands, en traitant avec le Zollverein.

M. Devaux – Pour ne pas interrompre demain la discussion, je demanderai maintenant quelques renseignements à M. le ministre… (se reprenant) à MM. les ministres… (se reprenant encore) au ministère (on rit).

Ceux que nous avons obtenus sont en très-petit nombre.

Aussi il y a des articles dont il m’a été impossible d’apprécier la portée. Je me suis adressé à plusieurs membres ; j’ai vu qu’ils étaient dans la même incertitude que moi.

Parmi ces articles, se trouve celui qui concerne le transit vers l’Allemagne. Je désirerais que le ministère, en regard du tarif déterminé par le traité, voulût bien indiquer les chiffres du transit par suite des différentes lois indiqués dans le traité. C’est un renseignement qui doit se trouver dans les cartons du ministère.

Dans le même article, il est question de routes qui sont désignées ainsi :

« Routes de la 2me section de la 3me division du tarif des douanes. »

Je désirerais savoir quelles sont ces routes, dans quelle direction elles vont.

Ces renseignements doivent être faciles à obtenir.

Je voudrai, en outre, une date de MM. le ministres. Lorsque le memorandum prussien a été signé, il se terminait par l’annonce d’une surtaxe à l’entrée des fers ; elle devait courir à dater du 1er septembre. Je suppose qu’elle a été retirée. Je désirerais savoir quelle est la date précise de l’ordre de cabinet qui supprime cette taxe.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) – Quatre jours après la signature du traité ; demain vous l’aurez exactement.

M. Devaux – J’ai remarqué que M. le ministre de l'intérieur, dans son discours, nous a révélé qu’il y avait eu des communications écrites dans les dernières négociations ; il a même dit qu’il était l’auteur de la première.

Nous aurions désiré avoir la communication de tous les éléments des négociations. Mais puisque le gouvernement est décidé à ne pas les communiquer, je n’insiste pas. Mais je crois qu’il n’y a aucun motif de refuser les trois renseignements très-simples que je viens d’indiquer.

M. Osy – Je trouve en effet que nous avons besoin de quelques renseignements sur l’article qui concerne le transit. Je demande que le gouvernement explique quelles sont les frontières indiquées dans le traité. Je voudrais que l’on expliquât l’article relatif au transit, que l’on dit si les routes désignées dans cet article conduisent en Pologne, en Autriche en Italie, etc.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Nous avons une carte.

M. Osy – Tant mieux ! On pourra la déposer sur le bureau.

- La séance est levée à 4 heures et demie.