Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 4 novembre 1844

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 59) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à 2 heures.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Plusieurs habitants de Gembloux présentent des observations contre le projet de loi sur les céréales. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Les commissaires de police remplissant les fonctions du ministère public près les tribunaux de simple police dans les arrondissements de St.-Nicolas et de Termonde , prient la chambre d’améliorer leur position. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les traitements des membres de l’ordre judiciaire.


« Plusieurs habitants de Dinant présentent des observations contre le projet de construire un chemin de fer de Charleroy à la France. »

Sur la proposition de M. Pirson, renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.


« Plusieurs habitants de la ville de Diest et des environs présentent des observations sur la nécessité de faire construire le canal de Diest à Vilvorde. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée de l’examen du budget des travaux publics.


« Plusieurs habitants de la ville de Poperinghe demandent des mesures de protection pour le commerce du houblon. »

- Renvoi à la commission permanente d’industrie.


M. le ministre des finances adresse à la chambre 110 exemplaires du tableau général du commerce de la Belgique avec les pays étrangers pendant l’année 1843.

- Dépôt à la bibliothèque et distribution entre les membres de la chambre.


Il est donné lecture de la lettre ci-après de M. de Brouckere :

« A M. le président de la chambre des représentants,

Liége, le 2 novembre 1844.

M. le président,

Forcé de garder l’appartement depuis mardi dernier, par suite d’une indisposition qui ne me permettra pas d’en sortir avec quelques jours, je viens vous prier de vouloir bien faire connaître à la chambre le motif de mon absence.

Je regrette d’autant de ne pas pouvoir me trouver à mon banc, que la chambre s’occupe enfin de la discussion du projet de loi destiné à améliorer la position des membres de l’ordre judiciaire, et qu’ayant eu longtemps l’honneur de faire partie de cet ordre, je me proposais d’entrer dans certains développements pour démontrer que l’adoption de ce projet sera non-seulement un acte de convenance et de justice mais encore une mesure d’intérêt général et de bonne politique. Si j’arrive trop tard pour pouvoir être entendu, j’espère du moins être rétabli assez tôt pour pouvoir déposer mon vote en faveur du projet et contribuer ainsi, autant qu’il m’est donné de le faire, à mettre un terme aux griefs dont la magistrature n’a eu, à mon avis, que trop longtemps le droit de se plaindre.

Agréez, etc.

De Brouckere »

- Pris pour notification.


M. le président – Le bureau a été chargé de nommer une commission pour l’examen du projet de loi modifiant les art. 23, 24 et 25 de la loi du 4 août 1832. Cette commission a été composée ainsi qu’il suit : MM. Isidore Fallon, Dubus (aîné), Orts, Fleussu, Vanden Eynde, Maertens et Donny.

Le bureau a été également appelé à remplacer les membres absents dans la section centrale pour le projet de loi sur les céréales.

M. Mast de Vries a été nommé dans cette section centrale en remplacement de M. Rogier, et M. Lys, en remplacement de M. Lejeune.

Enfin le bureau a également été chargé de remplacer M. De Behr et Liedts (président) comme membres de la section centrale chargée d’examiner le projet de loi relatif au transport en dehors du chemin de fer. Le bureau a nommé MM. Dolez et Lesoinne.

Projet de loi sur le domicile de secours

Second vote des articles

Articles 1 et 2

Les articles 1er et 2 n’ont pas été amendés.

Article 3

« Art. 3. N’est point comptée comme temps d’habitation, pour acquérir un nouveau domicile de secours, la durée du séjour sur le territoire d’une commune, des sous-officiers et soldats en service actif, des détenus, des individus admis ou placés dans des établissements de bienfaisance ou des maisons de santé, ou secourus à domicile par la charité publique.

« Le temps d’habitation, antérieur et postérieur à celui qui ne peut compter aux termes du paragraphe précédent, sera réuni pour former le temps nécessaire à l’acquisition d’un nouveau domicile de secours.

« S’il est reconnu qu’une administration communale, pour se soustraire à l’entretien de ses indigents ou pour empêcher des individus d’acquérir domicile de secours dans la commune, les a, par dons, promesses, ou autres moyens, engagés à s’établir ailleurs, l’autorité compétente décidera, d’après les faits, si le séjour antérieur ne doit pas être censé continué malgré ce changement d’habitation. »

Les trois derniers paragraphes sont nouveaux.

M. Simons – Messieurs, ceux qui ont été appelés par leurs fonctions à faire des instructions relatives aux recherches de domiciles de secours autres que ceux de naissance, savent tout le mal qu’on a d’établir des domiciles de secours, domiciles que des malheureux ont acquis depuis qu’ils ont quitté leur domicile de naissance.

Il est arrivé, messieurs, que des personnes avaient quitté leur domicile de naissance depuis 30 ans, et qu’après un laps de temps aussi considérable, on a envoyé aux communes du domicile de naissance des comptes d’entretien de ces personnes dans des établissements publics. Rien de plus difficile pour une commune rurale surtout, qui est à une certaine distance de la commune où le malheureux se trouve actuellement, de prouver que cet individu a acquis, pendant l’intervalle même de 30 ans, un domicile de secours dans une autre commune par une habitation de quatre années. Il m’a souvent été impossible, malgré toutes les recherches, de constater qu’un indigent qui dans un laps de temps de 30 années doit cependant avoir séjourné quatre ans au moins dans la même commune ; que cet indigent, dis-je, avait habité la même commune pendant quatre années.

Maintenant, par l’augmentation des années requises pour acquérir un domicile de secours, la difficulté est devenu bien plus grande.

Je vous le demande, comment une commune qui est éloignée de 10 à 20 lieues de la commune où un individu tombe dans l’indigence, pourra-t-elle administrer la preuve dont il s’agit ? Il est question ici d’individus qui vont ordinairement se loger dans des chambres et qu’il est dès lors presque impossible de suivre. Il résulte de là que la plupart des communes, après qu’un indigent a quitté la localité depuis nombre d’années, se trouvent cependant chargées de l’entretien de cet individu.

Préoccupé d’un seul abus, on a fait tout ce qu’il était possible de faire pour le prévenir, mais on n’a rien fait dans la loi pour faciliter la recherche d’un domicile de secours acquis ailleurs, depuis que l’individu a quitté sa commune. Je crois qu’il y a quelque chose à faire à cet égard, et si l’on ne faisait rien, mieux vaudrait s’en tenir au domicile de naissance, et ne plus accorder la faculté d’acquérir un domicile de secours ailleurs ; car par là on entraîne les communes dans une foule de dépenses pour des enquêtes qui se prolongent souvent pendant de longues années sans aucun résultat.

Pour faciliter la recherche dont je viens de vous occuper, j’aurai l’honneur de proposer un amendement qui, au moins, mettra les communes de naissance dans le cas de pouvoir commencer une enquête pour justifier qu’un indigent a habité pendant huit ans ailleurs que dans sa commune de naissance.

Voici cet amendement :

« §. 1er. Dans chaque commune, un registre sera ouvert pour l’inscription des personnes étrangères à la commune qui viendront y fixer leur demeure. Cette inscription aura lieu par les soins de l’administration communale dans les trois mois. »

Ce n’est pas là se montrer, je pense, fort exigeant. Je dis que l’inscription devait être faite d’office, parce que si l’on voulait que les individus fissent eux-mêmes la déclaration, un grand nombre négligeraient de la faire, et par là le but que nous voulons atteindre ne sera pas atteint.

On ne rencontrera pas de difficultés pour faire cette inscription. Dans les grandes villes, vous avez, dans chaque section, des agents de police qui doivent surveiller toutes les personnes qui viennent s’y établir, et par conséquent, rien ne sera plus facile que de satisfaire aux exigences de la loi.

Si la chambre n’adoptait pas mon amendement, il deviendrait impossible à une commune d’administrer la preuve qu’un individu a acquis un domicile de secours dans une autre commune, par un séjour de huit années dans cette localité.

Voici maintenant la sanction que je donne à cette disposition. C’est le § 2 de mon amendement.

« Tout individu qui aura habité une commune pendant une année, sans que cette inscription ait eu lieu, restera à charge de cette commune, à moins qu’elle ne prouve que cet indigent n’y a pas encore acquis droit aux secours publics, conformément au § 1er. »

Vous voyez donc que je ne suis pas encore exigeant à cet égard. Si tant est qu’il y a des communes qui ne satisfassent pas à cette disposition, je ne veux pas que de là résulte absolument la preuve que l’indigent a acquis des droits dans la commune ; mais j’impose à cette commune négligente l’obligation d’administrer la preuve que l’individu n’a pas acquis chez elle le droit aux secours publics

L’amendement que j’ai l’honneur de soumettre à la chambre m’a été dicté dans l’intérêt des classes pauvres, et surtout par l’intérêt des communes rurales qui sont sacrifiées par cette loi, au profit des grandes communes, des villes manufacturières. J’espère donc que cet amendement sera accueilli favorablement par la chambre

- L’amendement est appuyé.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, cet amendement est (page 60) à peu près la reproduction de l’opinion émise par l’honorable M. Van Cutsem, qui voulait également une inscription pour établir une époque fixe à dater de laquelle aurait couru le temps requis pour acquérir un nouveau domicile de secours. J’ai combattu l’opinion de l’honorable membre, parce que cette inscription m’a paru inutile, le défaut d’inscription étant dépourvu de sanction ; l’absence de cette formalité ne pourrait pas, en effet, faire considérer une commune comme étant le domicile d’un individu, parce qu’il n’y aurait pas été inscrit. Je m’oppose, pour le même motif, à l’amendement de l’honorable M. Simons.

En quoi l’inscription servira-t-elle à la commune du domicile de naissance ? La difficulté pour cette commune sera de savoir où l’inscription s’est faite ; l’inscription ne facilitera donc en rien les recherches, car l’inscription n’aura pas plus de publicité que l’habitation.

Maintenant, si le lieu de l’inscription est découvert, il faudra, en outre, prouver l’habitation, et recourir dès lors aux enquêtes que l’honorable membre veut éviter.

Ainsi la difficulté sera aussi grande, seulement elle sera déplacée ; au lieu de consister dans la recherche du lieu où l’individu est allé habiter, elle consistera dans la recherche du lieu où il aura été inscrit, et, je le répète, si on ne sait pas où il a habité, on ne pourra pas davantage savoir où il a été inscrit. Dès lors, je ne vois ni le but, ni les conséquences de l’amendement, et je crois inutile de l’introduire dans la loi.

M. Simons – M. le ministre croit que l’inscription sera inutile, parce qu’il ne suffit pas qu’un individu soit inscrit dans une commune, mais qu’il y habite un certain nombre d’années pour y acquérir les droits au secours public.

Eh bien, c’est parce que l’inscription sera un moyen qui mettra la commune à même de rechercher avec fruit la commune où un indigent aura pu acquérir un nouveau domicile que j’en propose l’adoption. Par l’inscription, la commune intéressée est mise sur les traces du séjour plus ou moins prolongé que l’individu a eu dans telle ou telle commune, depuis sa disparition du lieu de sa naissance, et parviendra facilement, à l’aide des indications qu’elle puisera dans les registres aux inscriptions, à constater qu’il a séjourné dans une autre commune pendant un laps de temps assez prolongé pour lui donner droit à y participer aux secours publics.

L’unique objection de M. le ministre, c’est que mon amendement serait inutile, attendu que j’aurais seulement une indication d’inscription et rien de plus. Mais je crois que, par l’inscription, je trouverai tout ce qui me sera nécessaire pour savoir où un individu a séjourné, et s’il n’a pas acquis, par un séjour de huit années dans une commune, un droit aux secours publics.

Je crois avoir répondu à l’unique objection qui m’a été faite. Lors même que, par cette inscription, on ne parviendrait pas à découvrir toujours le lieu où un individu peut avoir acquis le domicile de secours, en exigeant cette inscription beaucoup d’abus seront évités, et c’est surtout pour faire cesser des abus que la loi qui nous occupe a été présentée. Celui qui a été dans le cas d’instruire ces sortes d’affaires doit convenir que la grande difficulté de découvrir si un individu a acquis un nouveau domicile de secours provient du défaut d’inscription sur les registres des habitants de la commune.

Un individu qui a séjourné dix, douze ans dans une commune, tombe dans l’indigence, cette commune le repousse cependant comme étranger, parce qu’il ne figure pas sur le registre des habitants ; et on rejette la charge sur la commune de naissance qui est ordinairement une commune rurale. Ce sont ces abus que, par mon amendement, je veux prévenir. Ils sont trop réels pour que nous ne prenions pas des mesures pour qu’ils ne se reproduisent plus. Ne perdons pas de vue que ce sont les communes rurales qui fournissent des bras aux grandes villes. C’est aux communes rurales que les villes industrielles demandent les hommes valides qui leur sont nécessaires et lorsque ces hommes ont épuisé leurs forces et contracté des infirmités qui les rendent incapables de gagner leur existence, on les renvoie impitoyablement dans leur commune natale.

Je crois avoir suffisamment répondu à M. le ministre de la justice, et par suite, j’espère que la chambre adoptera ma proposition.

M. de Man d’Attenrode – Messieurs, l’observation que j’ai à faire n’est pas relative à l’amendement de l’honorable M. Simons ; elle concerne le 3e § de l’article en discussion.

Le système que M. le ministre a développé dans la discussion précédente est que, dès qu’un individu est secouru par la charité publique, dès qu’on peut constater son état d’indigence, cette position d’indigence interrompt le temps voulu pour acquérir un nouveau domicile.

Qu’en résultera-t-il ? C’est qu’un bourgmestre zélé pourra toujours empêché qu’un individu contracte domicile dans sa commune, en lui donnant des secours, qui lui seront remboursés par la commune du domicile. Mais quelle sera la durée de l’interruption qu’un secours semblable occasionnera dans le délai voulu pour qu’un individu contracte domicile de secours ? Je ne comprends pas comment il sera possible de le fixer.

Je conçois qu’un séjour dans un hôpital puisse être constaté, mais je demanderai à M. le ministre de la justice quelle interruption occasionnera un secours de 25 francs résultant de la charité publique ?

M. Thyrion – Je pense que l’amendement proposé par l’honorable M. Simons ferait naître des difficultés nouvelles au lieu d’en éviter. L’honorable M. Simons demande qu’un registre soit ouvert dans chaque commune pour y inscrire les individus arrivant. Cette question a été soulevée au sein de la section centrale, et on a fait observer que les autorités communales ne feraient pas d’inscription et que tels individus qui habiteraient une commune depuis plusieurs années ne seraient pas inscrits, parce que l’administration communale aurait craint de leur donner ainsi un moyen d’acquérir le domicile de secours. On n’aurait pas inscrit, et les difficultés arriveraient quand un individu aurait besoin de secours. Cette disposition sans sanction serait sans effet. M. Simons, il est vrai, en propose une.

L’administration doit inscrire d’office, et si elle n’a pas inscrit, elle sera obligée de prouver ultérieurement que cet individu n’a pas acquis le domicile de secours chez elle, c’est-à-dire que la commune devra faire une preuve négative. Ainsi, un individu qui serait veut s’établir à Bruxelles, et réussirait pendant un an seulement à échapper aux regards de la police, aurait acquis le domicile de secours à Bruxelles ! Une pareille sanction introduira un principe et donnerait lieu à de graves abus. La chambre ne doit pas l’admettre.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je demande la parole pour répondre à l’interpellation de l’honorable M. de Man d’Attenrode. Cet honorable membre dit qu’un bourgmestre zélé pourra toujours empêcher un individu d’acquérir domicile de secours dans sa commune, qu’il n’aurait, à cette fin, qu’à lui donner quelques secours ; la loi disant que le secours donné à domicile interrompt le temps exigé pour acquérir un nouveau domicile de secours. La réponse est facile : il s’agit ici de secours reconnu nécessaire. C’est une appréciation en fait laissée à la décision de l’autorité compétente ; elle jugera si les secours étaient ou non nécessaires, et si la nécessité n’en est pas établie, quand la commune qui les a fournis en demandera le remboursement, il lui sera refusé. Il est évident que, si le secours n’avait été donné que pour éluder la loi, l’interruption n’aurait pas lieu et le secours ne serait pas remboursé.

M. de Man demande combien de temps durera l’interruption quand le secours aura été donné à domicile ; l’honorable membre ajoute qu’on sait bien le temps qu’un individu est resté dans un hospice, mais qu’on ne sait pas quand et combien de temps un individu est secouru à domicile. C’est encore là une question à décider en fait. On aura à examiner combien de temps l’individu aura été réellement secouru, et pendant combien de temps les secours étaient nécessaires.

Il est impossible d’établir des règles fixes à cet égard ; le temps d’interruption dépendra de la position de l’individu à qui des secours auront été donnés ; il faudra vérifier combien de temps a duré l’état d’indigence, combien de temps a duré l’état de maladie. L’autorité compétente décidera ces questions ; et je crois qu’il n’en résultera aucun inconvénient, ni aucune difficulté sérieuse.

M. Simons – J’ai demandé la parole pour répondre un mot à l’honorable rapporteur. Il dit que mon amendement augmentera les difficultés que les administrations communales négligeront d’inscrire les individus arrivant dans la commune. Je crois que la prescription, si elle était sans sanction, pourrait susciter des difficultés ; qu’on la négligerait, mais j’y mets une sanction. Quand une administration aura négliger d’inscrire un individu étranger, ce sera une simple présomption que l’individu a acquis le droit au secours public dans la commune, qui pourra être détruite par la preuve contraire. Mais, dit-on, c’est une preuve négative que vous exigez ; j’ai prévu l’objection : bien que la preuve soit en quelque sorte négative, elle est facile à administrer. En effet, supposons le défaut d’inscription, la commune qui aura négligé d’inscrire un individu arrivé dans son sein, devra prouver que cet individu n’a pas droit au secours.

Cette preuve ne sera pas si difficile, car la commune possède tous les éléments pour administrer la preuve que l’individu non inscrit n’est arrivé que vers telle époque, qu’avant cela il habitait telle ou telle commune. En prouvant ces deux faits, ce qui est extrêmement facile quand on se trouve sur les lieux, on établit suffisamment qu’il n’a pas acquis le domicile de secours. Quand un individu est conduit dans un hôpital, il y subi un interrogatoire qui porte sur son séjour antérieur. La commune se trouve donc en position d’administrer une preuve non plus négative, mais positive ; cela lui est plus facile qu’à la commune d’habitation pour s’enquérir des faits. Il n’y a pas grande difficulté pour une commune de prouver qu’un individu n’a pas demeuré chez elle le temps suffisant pour y acquérir le domicile de secours. Entre les inconvénients qu’on trouve à mon amendement et ceux auxquels il remédie, je crois qu’il n’y a pas à balancer.

M. de Saegher – J’ai demandé la parole pour appuyer les observations de l’honorable M. de Man d’Attenrode. Je me suis opposé, dans les séances précédentes, à une partie du § 1er de l’art. 3 et au § 2 de l’art. 13, et je crois que l’observation de l’honorable M. de Man vient confirmer ce que j’ai dit alors. Cet honorable membre a objecté qu’avec le § 2 de l’art. 3, il serait facile à une administration communale d’empêcher indéfiniment qu’un domicile de secours soit acquis dans la commune, en donnant des secours à des individus qui n’en auraient pas besoin.

M. le ministre de la justice a fait observer que la question serait résolue par l’autorité compétente ; que, si une administration veut donner des secours à des individus qui n’en auraient pas besoin, il ne lui sera pas possible de commettre cette espèce de fraude. Mais je crois que M. le ministre de la justice a perdu de vue les articles 12 et 13 qui ont été adoptés. Ces dispositions sont ainsi conçues :

« « Art. 12. Tout indigent, en cas de nécessité, sera secouru provisoirement par la commune où il se trouve. »

« Art. 13. Si la commune où des secours provisoires sont accordés n’est pas le domicile de secours de l’indigent, le recouvrement des faits pourra être poursuivi et obtenu conformément aux articles suivants.

Le remboursement ne pourra être refusé, sous le prétexte que l’individu (page 61) secouru n’était pas indigent, sauf le recours que pourra exercer contre celui-ci la commune qui aura effectué le remboursement. »

Ainsi, quand à la commune où se trouve l’indigent et qui a fourni des secours provisoires, il n’y a pas possibilité d’objecter que l’individu n’est pas indigent ; il faut commencer par payer. La seule ressource de la commune du domicile de secours sera d’attaquer celui à qui les secours auraient été fournis.

Je crois donc qu’à raison de ce paragraphe même il serait facile à une administration communale d’empêcher un indigent d’acquérir un nouveau domicile de secours.

M. Desmet – Si j’ai bien compris l’amendement de l’honorable M. Simons, il me paraît être la conséquence de ce principe que huit années de résidence fixe font acquérir le domicile de secours.Ce qui a préoccupé la chambre, a été de savoir à quelle commune incombe la charge de secourir l’indigent ; mais elle a négligé l’indigent lui-même. C’est ce que l’honorable M. Simons a voulu prévoir ; il a voulu, dès qu’un indigent réside dans une commune étrangère, que l’on sût à quelle commune incombe la charge de le secourir.

Voilà le cas qui peut se présenter : Une famille vient s’établir dans une commune ; les parents meurent ; on ne sait à quelle commune appartiennent les enfants. On le saura si l’amendement de l’honorable M. Simons est adopté.

La principale objection que l’on fait contre cet amendement, c’est qu’il peut arriver qu’on ignore dans une commune qu’une famille s’y est établie ; or c’est impossible, même dans une ville comme Bruxelles, et, à plus forte raison, dans une commune rurale.

Je pense que, dans l’intérêt des indigents, nous devons adopter l’amendement de l’honorable M. Simons.

M. de Man d’Attenrode – Messieurs, dès que nous soumettons une difficulté à M. le ministre de la justice, il en renvoie la solution à l’appréciation de l’administration supérieure. Je suis convaincu, moi, que la finale du 3e § est de nature à mettre l’administration dans les plus grands embarras.

Un individu a reçu un secours de 25 fr., la députation provinciale appréciera, dit-il, combien il faudra défalquer de temps à cause de ce secours de 25 fr.

Je suis convaincu que toutes ces appréciations sont impraticables pour l’administration supérieure, et les explications du ministre ne m’ont nullement satisfait. Je me crois donc fondé à demander la suppression des mots qui terminent le 3e § et qui sont d’un vague incompatible avec une disposition légale.

Je demande la suppression des mots : « ou secourus à domicile par la charité publique ».

- Les amendements de MM. de Man d’Attenrode et Simons sont successivement mis aux voix ; ils ne sont pas adoptés.

L’art. 3 est mis aux voix et adopté paragraphe par paragraphe et dans son ensemble.

Articles 4 à 26

La chambre adopte définitivement, sans discussion, les autres amendements introduits dans le projet de loi.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet de loi ; voici le résultat du vote.

53 membres sont présents

1 (M. Huveners) s’abstient, parce qu’il n’a pas assisté à la discussion.

Nombre de votants, 52.

43 votent pour l’adoption.

9 votent contre.

La chambre adopte.

Ont vote pour l’adoption : MM. Lys, Maertens, Nothomb, Orts, Dubus (aîné), Pirmez, Pirson, Rodenbach, Savart-Martel, Sigart, Thyrion, Can Cutsem, Verhaegen, Verwilghen, Vilain XIII, Coghen, d’Anethan, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, Dedecker, de Florisone, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Meester, de Nef, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny, Goblet, Jadot, Henot, Lange, Lesoinne, Liedts.

Ont voté contre : MM. Simons, Thienpont, Vanden Eynde, Zoude, de Man d’Attenrode, de Naeyer, de Saegher, Desmet et Kervyn.

Projet de loi prescrivant un nouveau mode de sanction, de promulgation et de publication des lois et arrêtés

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) présente un projet de loi ayant pour but de régler d’une manière nouvelle la sanction, la promulgation et la publication des lois

Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; il sera imprimé et distribué.

La chambre le renvoie à l’examen des sections.

Projet de loi augmentant le traitement des membres de l'ordre judiciaire

Discussion générale

M. le président – La discussion générale continue.

M. Rodenbach – Messieurs, lorsque j’ai demandé la parole dans la séance de jeudi, ce n’était que pour prier M. le ministre de la justice de bien vouloir me dire à combien s’élèverait l’augmentation de dépenses résultant de celle qu’il propose sur les traitements de l’ordre judiciaire.

D’après la loi du mois d’août 1832, la dépense pour l’ordre judiciaire se montait à 1,773,000 fr. Depuis jeudi, j’ai examiné les amendements proposés par M. le ministre, et j’ai reconnu, sauf erreur, que l’augmentation qu’il demande est d’au-delà d’un demi-million. Elle est de 544,000 fr. Quant à la section centrale, elle va plus loin ; elle propose des augmentations qui s’élèveraient à 585,000 fr.

Je conviens, messieurs, que plusieurs membres de l’ordre judiciaire doivent obtenir une augmentation de traitement. Voilà plusieurs années qu’on la réclame ; et moi-même, je partage cet avis, bien que j’aie fait quelque opposition lorsque nos finances étaient dans un état moins favorable qu’aujourd’hui. Toutefois je crains bien que plus tard on ne vienne nous dire que l’excédant de nos recettes n’est pas aussi considérable qu’on l’a supposé, et que notre réserve se réduise à zéro.

Néanmoins, je pense, comme je viens de le dire, que certains traitements doivent être augmentés. Mais je crois aussi qu’il est des membres de l’ordre judiciaire qui sont suffisamment rétribués. Ainsi, pour la cour de cassation, j’ai questionné une foule de personnes et toutes m’ont dit que ses membres étaient généreusement rétribués. Des membres même de cette chambre m’ont témoigné la même opinion.

Un grand nombre de membres ont aussi émis l’opinion qu’il fallait augmenter les traitement des juges de paix. Je suis d’avis que les juges de paix des cantons ruraux doivent obtenir une augmentation de traitement ; mais, selon moi, ceux des grandes villes sont assez rétribués. Ainsi, si j’ai bien calculé et si les renseignements qu’on m’a donnés sont exacts, il y a à Gand des juges de paix qui, avec leur casuel et leur traitement, se font un revenu de 5 à 6,000 fr. ; à Bruxelles il en est qui ont 6 à 7,000 fr. Je le demande, ces appointements ne sont-ils pas suffisants, alors qu’un conseiller de cours d’appel, magistrat d’un ordre si élevé, n’a reçu jusqu’aujourd’hui que 5,000 fr.

Messieurs, j’attendrai la suite des débats pour énoncer ultérieurement mon opinion. J’ajouterai cependant encore un mot relativement à la suppression de la 4e classe de tribunaux dont on a parlé. D’après mes calculs, cette suppression coûterait une cinquantaine de mille fr. à l’Etat, et voici pourquoi : ceux qui sont aujourd’hui dans la 3e classe demanderaient à être élevés à la seconde. Déjà un honorable député de Louvain nous a parlé de l’injustice qu’il y aurait à ne pas porter les tribunaux de Louvain dans la 2e classe. Certes, messieurs, il y aurait beaucoup plus de justice à porter dans la deuxième classe le tribunal de l’arrondissement où je réside, celui de Courtray, qui étend sa juridiction sur une population d’un quart de million d’âmes. Je vous le demande, est-il juste de mettre ce tribunal sur la même ligne que celui de Furnes, par exemple, qui n’étend sa juridiction que sur une population de 70,000 âmes.

Messieurs, je ne suis pas saint-simonien (On rit.), cependant je suis aussi d’avis que chacun doit être payé selon ses œuvres.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, la section centrale avait posé en principe la nécessité d’une nouvelle classification. Elle disait, en effet, qu’il fallait supprimer la quatrième classe et que les magistrats de cette classe passeraient dans la troisième jusqu’à la nouvelle loi sur la classification. Il m’avait paru, messieurs, que, si une nouvelle loi devait être faite pour classer ultérieurement d’une manière générale et définitive tous les tribunaux il était prématuré de supprimer dès à présent la quatrième classe et qu’il fallait attendre qu’on eût rassemblé tous les éléments nécessaires pour s’assurer si elle devait, oui ou non, être supprimée. La nécessité de cette suppression ne m’était pas démontrée ; l’expérience du passé me semblait prouver qu’il avait en Belgique des éléments suffisants pour composer quatre classes de tribunaux.

Certes, messieurs, si les conséquences de la classification actuelle et du maintien de la 4e classe devaient avoir les résultats que vous a signalés l’honorable M. Pirson, je n’aurais pas appuyé ce maintien.

L’honorable M. Pirson vous disait, avec beaucoup de raison, que les justiciables où se trouvaient les tribunaux de 4e classe, avaient les mêmes droits que les justiciables des tribunaux plus importants à posséder des juges capables et indépendants ; mais ai-je soutenu le contraire ? Non, sans doute, j’ai formellement reconnu ce droit et cette nécessité. Mais, comme je vous le disais dans une précédent séance, le maintien des quatre classes n’est pas fait pour établir l’inégalité, il est, au contraire, destiné à établir l’égalité.

Un juge d’un tribunal de quatrième classe, avec le traitement dont il jouit, doit pouvoir satisfaire aux besoins de la vie et aux nécessités sociales, de la même manière qu’un juge de la troisième classe avec un traitement supérieur ; leurs appointements doivent être relativement égaux. En d’autres termes le juge de la troisième classe ne doit pas être mieux traité que celui de la quatrième, et ainsi l’avantage du traitement n’engagera pas les hommes capables à solliciter une place dans un tribunal plutôt que dans un autre ; la différence de traitement rétablira l’égalité entre les magistrats appartenant à des tribunaux de classes différentes.

Il s’agit donc uniquement d’examiner en fait si les arrondissements, si les villes où les tribunaux où les tribunaux sont situés, présentent des différences assez notables pour pouvoir ranger dans quatre classes ces divers arrondissements. Voilà, me parait-il, la seule question qu’il s’agit d’examiner.

Messieurs, en France, il y a des classes différentes non-seulement pour les tribunaux, mais même pour les cours. Il y a quatre classes de cours et six classes de tribunaux.

Il n’y a qu’une seule cour dans la première classe et une seule dans la troisième, c’est la cour de Toulouse ; ce qui n’empêche pas d’avoir une classe différente pour ces deux cours seules.

(page 62) Des tribunaux de première instance, un seul se trouve aussi placé dans la 1er classe, c’est celui de Paris.

De manière que la circonstance qu’il n’y avait qu’un seul tribunal à placer dans une classe, n’a pas été trouvée un motif pour supprimer la classe à laquelle ce tribunal devait appartenir. Je conçois pourtant qu’on ne créât pas une classe, s’il n’y avait qu’un seul tribunal à y placer ; mais lorsque cette classe existe, je crois qu’il serait convenable de la maintenir et de faire passer successivement dans les classes supérieures les tribunaux de cette dernière classe qui auraient droit à être placés dans une classe plus élevé.

Je reconnais, du reste, qu’il est fort difficile de vérifier l’exactitude des éléments, d’après lesquels ont lieu les classifications basées sur la cherté de la vie, sur l’importance de la ville, et le travail des magistrats ; il faut s’attacher à de nombreuses considérations appréciées d’une manière diverse, et sur lesquelles il est difficile de se mettre d’accord.

La classification en trois catégories serait plus simple, je le reconnais ; elle offrirait des éléments plus positifs, si je puis m’exprimer ainsi, pour établir les différentes classes. S’il s’agissait de faire une classification définitive, je ferais connaître les bases que, dans ce système, l’on pourrait adopter ; mais si une classification ultérieure et générale doit être présentée, cet examen devient inutile.

M. Delehaye, rapporteur – Si M. le ministre le permet, je donnerais une explication.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Bien volontiers.

M. Delehaye – Messieurs, la section centrale s’est trouvée en présence de plusieurs réclamations émanées de différents tribunaux ; la plus grande parie de ces tribunaux demandent des augmentations de traitement ; quelques-uns demandent à passer dans une classe supérieure. La section centrale n’avait pas les éléments nécessaires pour apprécier le plus ou moins de fondement de chacune des réclamations de cette dernière catégorie ; mais elle a pensé que, eu égard à ce qui existe en France, où il y a 361 tribunaux, divisés en six classes, on pourrait satisfaire à toutes les exigences en ne conservant que trois classes pour la Belgique, où il n’existe que 28 tribunaux. Elle a donc proposé à la chambre de supprimer la quatrième classe, et de faire passer les tribunaux de cette classe dans la troisième. Quant à la question de savoir quels seraient les tribunaux de la troisième classe qu’il conviendrait de faire passer dans la deuxième, la section centrale n’a pris aucune résolution à cet égard, si ce n’est de prier le gouvernement de remettre le plus tôt possible à la chambre tous les renseignements nécessaires pour éclaircir cette question. La section centrale est persuadée qu’il existe des motifs pour faire passer plusieurs tribunaux, celui de Louvain, par exemple, dans une classe supérieure ; mais elle n’avait pas les éléments nécessaires pour faire une proposition à cet égard ; elle s’est donc bornée à insister pour que le gouvernement fournit ces éléments à la chambre.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – D’après les explications données par M. le rapporteur, il devient évident que, dans la pensée de la section centrale, la suppression de la 4e classe de tribunaux ne doit pas nécessiter la présentation d’un projet de loi de classification nouvelle et générale, il en résulte seulement que les réclamations des tribunaux qui demandent à passer dans une classe supérieure, devront être examinées et faire l’objet de propositions spéciales relatives à chacun de ces tribunaux.

L’opinion de la section centrale est donc contraire à celle qu’émettait, dans la dernière séance, l’honorable M. de La Coste ; cet honorable membre voulait, disait-il, faire du définitif ; il voulait, dans une loi où il s’agit de fixer d’une manière générale les traitements, introduire une disposition spéciale en faveur du tribunal dont il vous a entretenus. L’adoption de cette opinion, messieurs, serait l’ajournement de la loi ; car, dans l’état actuel des choses, il est absolument impossible de proposer à la chambre une classification définitive dont elle n’a pas les éléments. L’honorable M. de La Coste dit, à la vérité, qu’il a formé un dossier relatif au tribunal de Louvain, et qu’il peut, à l’aide de documents qu’il possède, établir, de la manière la plus évidente, le droit de ce tribunal à passer dans une classe supérieure, et même à obtenir une augmentation de personnel ; je dirai à l’honorable membre que le dossier qu’il a formé n’est pas tout à fait complet, attendu que l’instruction commencée il y a quelques mois n’est pas encore terminée, ou du moins que les rapports ne me sont pas encore parvenus.

Ainsi, messieurs, dans ce moment il est complètement impossible d’aborder la discussion que soulève l’honorable M. de La Coste. Les éléments nécessaires manquent pour pouvoir apprécier jusqu’à quel point les réclamations faites sont fondées. Nous ne pouvons pas maintenant, et à l’occasion d’une loi générale sur les traitements, examiner spécialement s’il convient de faire passer tel ou tel tribunal dans telle ou telle classe ; la discussion de ces questions doit être renvoyée jusqu’à la présentation des lois spéciales, s’il est reconnu nécessaire de vous en présenter, pour changer la classification quant à certains tribunaux.

L’honorable M. de La Coste a lu un passage d’un rapport de M. Ernst ; mais ce passage, messieurs, réfute l’opinion que voudrait faire prévaloir l’honorable membre ; en effet, M. Ernst disait : « Mais il est juste que l’on pèse aussi les titres des tribunaux qui n’ont pas réclamé, et qu’un examen comparatif général précède l’admission des demandes particulières. »

Eh bien, messieurs, cet examen comparatif général qui, ainsi que le disait l’honorable M. Ernst, est indispensable, cet examen est impossible dans le moment actuel ; nous n’en avons pas, je le répète, les éléments et il ne s’agit pas en ce moment de les recueillir à l’occasion d’une loi générale qui fixe les traitements.

L’honorable M. de la Coste a dit que la loi relative aux traitements et la loi de classification forment un tout indivisible, que vous ne pouvez pas procéder à l’examen de l’une sans examiner en même temps l’autre.

Il en serait sans doute ainsi qu’il n’y avait pas de classification existante, mais nous ne sommes plus dans cette position ; une classification a été établie en 1832, et dès lors nous avons une base pour appliquer aux différentes classes de tribunaux les augmentations de traitement que la chambre pourra voter. Il n’est donc pas exact de dire que la loi actuelle sur les traitements ne peut être discutée sans s’occuper en même temps d’une loi sur la classification.

Voici, messieurs, d’après le système proposé par la section centrale, quelle serait la classification : il y aurait d’abord les tribunaux qui se trouvent dans les villes où siègent les cours d’appel ; ce serait la première classe ; la deuxième classe serait composée des tribunaux siégeant dans les chefs-lieux des provinces, à l’exception de Liége, Gand et Bruxelles, et à l’exception d’Anvers, dont je parlerai tout à l’heure ; la troisième classe comprendrait tous les autres tribunaux. Cette classification peut se justifier. On conçoit, en effet, que les tribunaux siégeant dans les villes où il y a une cour d’appel, doivent être placés au premier rang ; la ville où ils siègent, les rapports qu’ils ont avec des magistrats supérieurs justifient cette position.

Quant à la deuxième classe, on conçoit également pour quels motifs on donne un rang plus élevé aux tribunaux qui siègent dans les chefs-lieux de province ; ces tribunaux ont, en effet, des attributions plus étendues ; ils forment les cours d’assises et jugent de plus en appel les affaires de police correctionnelle. Quant à tous les autres tribunaux, ils seraient confondus dans une seule classe, sans égard aux différentes considérations, à la cherté de la vie et autres circonstances qui ont fait placer ces tribunaux dans deux catégories lors de la première classification.

J’ai cité tout à l’heure le tribunal d’Anvers, qui se trouve dans la première classe ; cela provient de ce qu’il a été fait en faveur de ce tribunal une exception fondée sur des considérations particulières à la ville d’Anvers, et qu’il ne s’agit plus d’apprécier ; sans cela d’après la règle générale, ce tribunal aurait dû se trouver dans la deuxième classe. Une exception analogue a été faite par des lois spéciales pour deux autres tribunaux qui, par des raisons particulières, ont été portées de la troisième catégorie dans la deuxième ; ce sont les tribunaux de Verviers et de Tournay.

Voilà donc, messieurs, une classification générale avec trois exceptions. Si plus tard on reconnaît que d’autres tribunaux se trouvent dans une position spéciale semblable à celle où se trouvent les tribunaux de Tournay et de Verviers, alors il sera pris, à l’égard de ces autres tribunaux, une mesure analogue à celle qui a été prise à l’égard de ceux de Tournay et de Verviers, mais ce ne sera que par exception et lorsque la nécessité en aura été bien démontrée ; la règle générale sera que tous les tribunaux qui ne siègent pas dans un chef-lieu de province appartiendront à la troisième classe.

Cette règle générale produira quelques anomalies ; dans une même classe se trouveront des tribunaux d’une importance bien différente ; mais, si ces différences sont trop considérables et si les circonstances l’exigent, il pourra être fait des exceptions par des lois spéciales, de manière à établir une classification équitable.

Je le dis encore, messieurs, je préfère la classification en quatre catégories ; néanmoins, la division en trois classes me paraît admissible dès l’instant qu’il est bien entendu, comme vient de le dire l’honorable rapporteur de la section centrale, qu’il ne s’agit plus de faire une classification générale nouvelle, que l’on maintient la classification actuelle, sauf la réunion de la 4e classe à la 3e classe, et sauf à adopter ultérieurement des mesures spéciales et exceptionnelles pour faire passer tel ou tel tribunal dans une classe supérieure.

M. Rodenbach – C’est une dépense de plus.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Voici, messieurs, quelques explications sur l’augmentation de dépenses qui pourrait résulter de la division en 3 classes. Si vous supprimez la 3e classe en admettant les chiffres que je propose dans mes amendements, il y aura une augmentation de 14,600 fr. résultant de ce qu’on donnerait aux membres des tribunaux actuellement compris dans la quatrième classe, de même qu’à ceux de la troisième classe, les traitements que je propose pour cette dernière ; mais, si en même temps vous faisiez droit à toutes les réclamations des tribunaux qui demandent à passer, soit de la deuxième à la première, soit de la troisième à la deuxième classe, il en résulterait une nouvelle augmentation de 51,700 fr., ce qui ferait un accroissement total de dépenses de 66,300 fr. Si, au lieu d’adopter mes propositions, vous admettiez les chiffres de la section centrale, l’augmentation serait de 62,850 fr. sur le chiffre de 219,625 fr., auquel montent ses propositions actuelles.

Voilà, messieurs, les résultats auxquels vous arriveriez par la suppression de la quatrième classe : résultat nécessaire, augmentation de 14,600 fr. ; résultat possible, si l’on doit faire droit aux différentes réclamations : augmentation, 66,300 francs.

Tels sont les renseignements que j’ai cru devoir donner maintenant. Je me réserve de prendre ultérieurement la parole pour justifier les chiffres que j’ai eu l’honneur de proposer.

M. de Man d’Attenrode – Quand la législature fixa les traitements des membres de l’ordre judiciaire en 1832, on était encore pénétré du désir de doter le pays d’un gouvernement à bon marché ; on voulait avant tout ménager les intérêts des contribuables. Le système des traitements modérés fut donc celui qui prévalut ; et tous les traitements fixés par les lois de cette époque s’en ressentirent.

(page 63) Depuis lors ce système reçut, j’en conviens, de rudes atteintes, par le fait de l’administration.

Les traitements qui ne furent pas réglés par la loi, et dont la fixation du chiffre fut abandonnée à la responsabilité ministérielle, furent portés à un taux qui eut pour effet de soulever les réclamations de fonctionnaires dont les traitements étaient immobilisés par les lois qui avaient organisé leur service. Ces réclamations parurent d’autant plus fondées, qu’on vit la bureaucratie des ministères, le service des chemins de fer et autres, mieux rétribués que l’ordre administratif, que l’ordre judiciaire.

La législature réclama souvent contre cette progression incessante dans les traitements ; mais elle réclama en vain, et je pense qu’il ne lui reste, pour couper court à cette progression, que de fixer par la loi et le nombre des employés et leurs traitements, après avoir procédé à une enquête sur les besoins des services ; la proposition en a été faite en France, et elle sera probablement suivie d’un acte législatif.

Cependant le pouvoir exécutif ne s’est jamais prononcé sur la convention, sur l’utilité d’en revenir du système adopté dans les premières années de notre existence politique.

Nous pouvons peut-être préjuger son opinion par ses actes, mais elle n’a jamais été développée ici.

Quelques membres de cette chambre ont insisté vivement pour qu’on en revînt en faveur de l’ordre judiciaire. Le gouvernement a fini par céder à leurs instances ; il a déposé un projet tendant à majorer ses traitements. La présentation de ce projet, combiné avec la progression des traitements fixés par arrêtés du gouvernement, constitue une large brèche au système d’un gouvernement à bon marché.

Il s’agit de savoir si l’on veut en revenir.

Le gouvernement devrait s’expliquer sur le système qu’il veut adopter. S’il nous prouve que le bien du pays, que le service public exige un système de traitements plus élevés, nous l’adopterons. Mais il faut alors que ce système soit appliqué à tous les fonctionnaires, tant de l’ordre administratif que de l’ordre judiciaire.

C’est donc avec surprise que j’ai vu le gouvernement demander l’ordre du jour de la discussion concernant la majoration des traitements judiciaires ; et M. le ministre de l'intérieur, qui est le tuteur-né des fonctionnaires de l’ordre administratif, ne présente aucun projet de loi en leur faveur.

Car s’il faut revenir des traitements peu élevés, je suis fondé à demander que tous les fonctionnaires profitent de ce nouveau système.

On va me répondre peut-être que le budget de l’intérieur prouve qu’on y a songé.

Eh bien, que voit-on à ce budget ? M. le ministre de l'intérieur nous propose une majoration de 17,000 fr., destinée aux commissaires d’arrondissement.

Tandis qu’on nous propose de sanctionner, par une loi solennelle, la disposition de plusieurs cent mille francs en faveur de l’ordre judiciaire, on nous propose de voter un crédit de 17,000 fr. en faveur de quelques fonctionnaires de l’ordre administratif, à l’ordre de M. le ministre de l'intérieur, dont il disposera comme il l’entendra. L’honorable M. Rodenbach m’interrompt en disant que ce n’est que pour six mois ; eh bien, soit 34,000 fr., pour l’ordre administratif, ce n’est pas ce qu’on peut appeler de la justice distributive.

Si l’on trouve nécessaire d’élever les traitements de la haute magistrature, il y a alors aussi convenance d’élever ceux de l’administration supérieure.

Rien ne serait plus facile d’établir qu’un ministre, qu’un gouverneur, qu’un membre d’une députation provinciale, qu’un commissaire d’arrondissement, qu’un bourgmestre, qu’un garde-champêtre ne reçoivent pas un traitement suffisant, si on cherche des comparaisons dans les pays voisins.

Personne n’ignore avec quelle rigueur le système des traitements peu élevés a été appliqué. Je me hasarderai à dire un mot des commissaires d’arrondissement. Ces fonctionnaires, avec une besogne triple de celle des sous-préfets de l’empire, ont des traitements, toute proportion gardée, inférieurs à ceux de cette époque ; il en est qui ont 1,800 fr. de traitement.

Le parallèle suivant entre la position d’un président de première instance ou un procureur du Roi avec un commissaire d’arrondissement vous fera juger si l’ordre judiciaire a plus à se plaindre que l’ordre administratif.

Les traitements des présidents de première instance et procureurs du Roi varient pour le présent, d’après leur classe de 4,800 fr. à 3,050 fr ; les traitements des commissaires d’arrondissement varient de 4,000 à 1,700 fr. environ, non compris les frais de bureaux.

Un magistrat de l’ordre judiciaire se loge comme il l’entend, personne n’a le droit de trouver y redire.

La demeure d’un commissaire d’arrondissement, qui veut satisfaire aux exigences de sa position, doit être honorable, des meilleures dans une petite ville.

Un magistrat de l’ordre judiciaire n’est obligé à aucune représentation ; un fonctionnaire administratif ne fait plus que de la bureaucratie, s’il ne se soumet pas à quelques exigences sociales ; son influence est à ce prix, et sans influence il pourra peu de chose pour le gouvernement qu’il représente.

Enfin, un magistrat voit se dérouler devant lui une carrière brillante ; s’il fait son devoir, il peut aspirer aux positions les plus belles ; et le commissaire d’arrondissement peut se dire qu’il est dans une impasse infranchissable, qu’il a son bâton de maréchal ; en effet, la position qui s’offre devant lui est livrée aux chances des combinaisons politiques, elle sert de récompense à ceux qui ont aidé à renverser un cabinet, et de fiche de consolation à ceux qui ont succombé, qui sont restés sur le carreau.

Le parallèle, vous le voyez, messieurs, n’est pas en faveur du fonctionnaire administratif ; il se plaint peu cependant, et pourquoi ? c’est que les bonnes traditions administratives de l’empire subsistent encore en Belgique.

Ces traditions leur enseignent la soumission ; elles leur disent d’agir beaucoup, de peu parler, de prévenir une foule de complications, de conflits pour le gouvernement central, d’instruire sans relâche des affaires compliquées, et de présenter des conclusions claires et précises pour qu’il soit statué à leur égard.

Quant à leurs chefs de bureau, les commissaires d’arrondissement ne peuvent obtenir pour eux la moindre récompense, le plus mince emploi, quand, après 12 à 15 ans de services assidus, ils se trouvent déplacés brusquement et souvent sans motifs par suite de quelque remaniement du personnel.

Mais est-ce à dire qu’il n’y a rien à faire pour l’ordre judiciaire ? Oui, sans doute ; je pense que l’intérêt des justiciables exige de nous que nous fassions quelque chose ; car c’est leur intérêt que M. le ministre de la justice a le plus vivement invoqué. Je pense d’autant plus que nous avons à faire, que c’est parce qu’on n’a rien fait que nous avons à discuter le vaste projet qui nous occupe.

Oui, je n’en doute pas, si on avait amélioré plus tôt le sort des juges de paix, si on avait révisé le classement des tribunaux de première instance, nous n’aurions pas à décider aujourd’hui la question de savoir si notre budget des dépenses sera surchargé d’un crédit de quelque cent mille francs. En révisant le classement des tribunaux de première instance, on eût fait droit à des plaintes fondées, on eût fait tomber des réclamations qui le sont moins. Il eût suffi de monter de classe quelques tribunaux et d’augmenter leur personnel ; car ce dont les justiciables se plaignent, eux, c’est de ne pouvoir obtenir justice, c’est de voir le corps qui est chargé de la leur rendre tellement surchargé de besogne, qu’il ne peut statuer qu’au bout d’un an, et plus encore.

La loi qu’on nous propose ne fera pas disparaître ce mal ; c’est surtout à celui-là que je voudrais m’attaquer.

Cette loi ne fera pas disparaître les plaintes sur la modicité des traitements, car elle n’élève que peu sensiblement ceux des juges de première instance.

J’adopterai toutes les propositions qui tendront à classer, d’une manière plus normale, certains tribunaux d’instance ; j’adopterai celles qui amélioreront ce degré de la hiérarchie judiciaire ; je désire que certains tribunaux obtiennent une augmentation de personnel, ne fût-ce que provisoire, qui leur permette de vider leur arriéré et de rendre prompte et bonne justice.

Je voterai les traitements nécessaires aux juges de paix. Quant aux autres propositions, je ne les adopterai que pour autant qu’il me soit prouvé qu’il est nécessaire d’en revenir au système des traitements peu élevés adopté autrefois. Et quand cela me sera démontré, je serai fondé à mettre pour condition de mon vote en faveur des hautes positions de l’ordre judiciaire, que ce système soit étendu à tous les fonctionnaires de l’Etat.

Je viens de dire que j’attribuais à la disproportion qui existe entre les traitements fixés par la loi et ceux abandonnés à la responsabilité ministérielle, les réclamations qui s’élèvent généralement en faveur de leur majoration.

Ces réclamations ont encore une autre cause ; les fonctions publiques, on ne peut se le dissimuler, ont perdu de ce prestige, de cette considération, si nécessaire à ceux qui en sont revêtus pour les biens remplir, et qui constituaient, il n’y a pas longtemps encore, une indemnité réelle pour les services rendus. Eh bien, que demande-t-on comme compensation de cette considération si affaiblie ? On demande une indemnité pécuniaire, destinés à récompenser exclusivement tous les services. Les traitements ne sont plus considérés comme une indemnité, ils tendent à devenir de vrais salaires, et j’envisage cette tendance comme une chose fâcheuse pour les intérêts du pays.

L’administration de la justice, y compris 680,000 fr. pour frais de justice, et non compris l’entretien des bâtiments, est portée pour 2,684,453 fr. au budget de 1845.

Ce chiffre est considérable pour un pays aussi resserré que le nôtre.

Il semble que, moyennant une somme aussi forte, il serait possible de faire un beau sort à la magistrature. Mais un personnel immense s’y oppose.

En Angleterre, la justice est rendue avec promptitude ; le corps de la magistrature est moins nombreux, mais il est largement rétribué. L’organisation judiciaire ne pourrait-elle pas subir en Belgique des réductions qui permettraient d’élever les traitements sans gêner les contribuables ?

Le passage suivant, extrait d’un journal judiciaire belge, rédigé sans doute par des magistrats, vient à l’appel de cette pensée, le voici :

« Le personnel, le nombre même des tribunaux dépassent évidemment en Belgique les besoins du service. La rapidité, l’économie du système admirable de communications dont nous jouissons, permettraient sous ce rapport des réductions, des suppressions même, qu’il nous serait facile d’indiquer, les statistiques judiciaires à la main. »

Je terminerai par une observation sur les moyens qui sont à notre disposions pour faire face aux dépenses qu’on nous propose.

M. le ministre des finances, au début de son discours qui précède les projets de loi de crédits pour 1845, établit ainsi la balance des budgets :

Recettes présumées, 111,198,170 fr

Dépenses, 109,961,790 fr.

L’excédant des recettes présumées est de 1,236,380 fr.

Je ferai toutefois remarquer qu’il serait convenable d’en défalquer quelque cent mille francs, qui ne sont pas des recettes ordinaires, mais des (page 64) capitaux résultant de la vente des domaines et de remboursements, qui devraient être employer à amortir notre dette.

Ensuite, parmi les dépenses, qu’on peut dire certaines, ne sont pas comprises les augmentations des traitements de l’ordre judiciaire, et autres dépenses prévues par le gouvernement, et parmi ces dépenses, que je ne puis indiquer pour le moment, mais qui ne nous manqueront pas, j’en suis sûr, le gouvernement nous apprend qu’il est questions des intérêts d’un nouvel emprunt pour les chemins de fer.

Si toutes ces dépenses non comprises au budget sont adoptées, je ne doute pas que l’excédant de recettes qu’on nous annonce ne se transforme en un excédant de dépenses, et la prudence exige de nous de ne voter des dépenses qu’avec les moyens d’y faire face ; c’est un principe dont je ne me départirai jamais.

M. d’Hoffschmidt – Messieurs, je ne me propose pas, en prenant la parole, de chercher à démontrer la nécessité d’augmenter les traitements des membres de l’ordre judiciaire ; cette tâche a été parfaitement remplie et par M. le ministre de la justice et par la plupart des orateurs qui m’ont précédé. D’ailleurs, cette nécessité est depuis longtemps reconnue dans cette enceinte. Dès 1837, un honorable membre de cette chambre, usant de son droit d’initiative, avait proposé un projet de loi à ce sujet. Depuis, dans presque tous les discours du Trône et dans les adresses en réponse à ces discours, on n’a pas oublié d’en faire mention. Enfin, le projet de loi qui est présenté n’a pas soulevé d’opposition sérieuse dans les sections, ni dans la section centrale, en ce qui concerne le principe de l’augmentation. Je crois donc que ce principe peut être considéré comme acquis à la discussion. Mais si nous sommes à peu près d’accord à cet égard, bien des divergences d’opinion peuvent exister, quant à l’application de ce principe.

L’augmentation portera-t-elle sur tous les membres de l’ordre judiciaire, ou seulement sur certaines classes d’entre eux ? Dans quelle proportion cette augmentation sera-t-elle accordée ? Quels sont les éléments qui devront nous guider dans cette appréciation ? Telles sont les questions que nous avons à résoudre.

Si nous ne devions écouter que nos sympathies pour l’ordre judiciaire, certes, notre tâche serait facile ; nous serions larges, généreux dans les majorations, mais à côté de ce sentiment qui nous anime se trouve celui puisé dans la nécessité de veiller aux deniers de l’Etat.

Pendant plusieurs années, nous avons dû ajourner la discussion du projet de loi, parce que nous étions en présence de préoccupations financières, parce qu’un déficit existait entre les recettes et les dépenses de l’Etat. Depuis l’année dernière, grâce aux mesures qui ont été proposées par M. le ministre des finances, et adoptées par la chambre, la situation financière s’offre sous un meilleur aspect : pour l’exercice prochain, on nous annonce un excédant de plus de 1,200,000 francs. Nous sommes donc libres, à la vérité, de nous occuper de dépenses nouvelles, de nous occuper maintenant de la dette que nous avons contractée envers l’ordre judiciaire, pour me servir de l’expression d’un honorable préopinant ; mais ce n’est pas une raison pour que les principes d’économie soient bannis, pour que nous soyons en quelque sorte trop larges, trop faciles dans les augmentations.

Je dois le dire cependant tout d’abord : ni le projet de la section centrale, ni les propositions nouvelles de M. le ministre de la justice ne me paraissent empreints d’exagération ; je trouve que les chiffres de M. le ministre de la justice, pris dans leur ensemble, peuvent être adoptés. Je ne veux pas m’exprimer maintenant sur tous les détails de ces chiffres, je crois qu’une discussion semblable sera plus opportune lorsque nous en serons venus aux articles ; mais je veux dire qu’en général ces chiffres ne présentent pas d’exagération.

Je diffère cependant avec M. le ministre de la justice sur un point fort essentiel, je veux parler de la suppression des tribunaux de la 4e classe. La section centrale propose cette suppression ; M. le ministre de la justice demande lui, que l’état actuel des choses soit maintenu à cet égard.

J’ai écouté attentivement les raisons qui ont été avancées de part et d’autre et je reste avec la conviction que cette 4e classe de tribunaux est tout à fait inutile dans un petit pays comme le nôtre, où il y a si peu de différence entre les chefs-lieux de 3e et de 4e classe, et où il n’existe que 26 tribunaux.

M. le ministre de la justice nous a cité la France. Il nous a dit que la classification des tribunaux en quatre classes existe depuis l’an VIII. Il est vrai que, sous l’empire, on avait d’abord divisé les tribunaux en quatre classes ; mais sous l’empire, il existait 400 tribunaux de première instance. On conçoit dès lors qu’il fallût une division un peu large entre une quantité aussi considérable d’arrondissements. En France, il existe encore maintenant, comme l’a dit tout à l’heure l’honorable M. Delehaye, 361 arrondissements judiciaires. On a divisé ce nombre en six classes, qui sont substituées ainsi qu’il suit :

La première comprend un seul tribunal.

La deuxième comprend 5 tribunaux.

La troisième comprend 4 tribunaux.

La quatrième comprend 14 tribunaux.

La cinquième comprend 124 tribunaux.

Et la sixième en comprend 213.

Or, c’est l’inverse qui se présenterait ici en quelque sorte, en conservant nos quatre classes. Nous n’avons aujourd’hui dans la 4e classe que sept tribunaux de première instance, et dans l’avenir, lorsque vous vous occuperez sérieusement de la classification, vous serez obligés de reporter quelques tribunaux de la quatrième classe dans la troisième, de sorte que la quatrième classe ne comprendrait plus, en définitive, que trois ou quatre tribunaux.

M. le ministre de la justice a dit que, lorsqu’il n’y aurait qu’un seul tribunal dans une classe, ce ne serait pas une raison pour ne pas maintenir ce qui existe actuellement, parce que la première classe des tribunaux en France ne contient qu’un seul tribunal, celui de Paris. Mais remarquez, messieurs, que la sixième classe en France, qui correspond à notre quatrième classe, comprend 213 tribunaux, tandis que notre dernière classe, à nous, arriverait bientôt à n’en comprendre que trois ou quatre.

J’ai peine à m’expliquer, par exemple, la différence que l’on trouve entre certains chefs-lieux de tribunaux de troisième classe et certains chefs-lieux de tribunaux de quatrième classe.Quel est le motif de cette classification ? c’est que la vie est plus chère dans certaines localités que dans d’autres. Or quelle différence trouvez-vous, par exemple, entre Audenarde, chef-lieu d’un tribunal de 3e classe et qui a 5,670 habitants, et Dinant qui a 5,654 habitants ?

Entre Charleroy, dont la population est de 6,200 habitants, et Huy qui a 7,966 habitants ? Le tribunal de Charleroy appartient à la troisième classe, et celui de Huy à la quatrième. Quelle différence enfin y a-t-il entre Termonde, ayant une population de 7,872 âmes, et Nivelles qui en a 7,844 ? Comment comprendre que la vie serait plus chère dans les premières de ces villes que dans les secondes ?

D’un autre côté, remarquez aussi que, dans l’ordre judiciaire même et surtout dans l’ordre administratif, on a été fort avare de classifications en Belgique. Dans l’ordre administratif, nous n’avons que des cours d’appel d’une seule classe. Les juges de paix étaient divisés en trois classes, mais par suite des propositions qui nous sont faites et sur lesquelles M. le ministre de la justice est d’accord avec la section centrale, on va supprimer cette classification. Restera donc seulement la classification pour les tribunaux de première instance.

Dans l’ordre administratif, on ne trouve aucune classification de ce genre. Nous n’avons que des gouverneurs d’une seule classe. Il en est de même pour les commissaires d’arrondissement, ainsi que pour les députations permanentes des conseils provinciaux qui sont mises sur la même ligne, quoique cependant il y ait entre ces députations une très-grande différence, et quant au nombre d’affaires dont elles sont saisies, et quant à l’étendue de leur administration, et quant aux chefs-lieux qu’elles habitent.

On a fait valoir la raison d’économie, et c’est le motif le plus fort qu’on pût, selon moi, avancer en faveur du maintien de la 4e classe ; mais, d’après ce que nous a dit tout à l’heure M. le ministre de la justice, cette raison d’économie ne doit pas avoir une grande influence ici, car il ne s’agit que d’un accroissement de dépenses de 14,600 fr. ! Il me semble donc qu’alors que nous nous occupons d’améliorer la position des magistrats, cette considération d’économie ne doit pas nous empêcher de supprimer une classe qui est évidemment inutile.

Je crois, du reste, que nous ne devons pas nous occuper maintenant des réclamations particulières qui peuvent avoir été faites en faveur de tel ou de tel tribunal. Je pense que tout ce que nous avons à décider, c’est de savoir si l’on maintiendra la quatrième classe ou si l’on n’aura plus que trois classes en laissant les questions particulières à trancher par la loi sur la classification.

Une différence essentielle se montre encore entre les projets présentés, et en ce qui concerne la cour de cassation. Le projet primitif proposait une majoration de traitements pour tous les membres de la cour de cassation ; le projet de la section centrale n’en admet aucune, et M. le ministre de la justice propose d’augmenter quelques traitements jusqu’à concurrence d’une somme totale de 6,000 francs pour toute la cour de cassation.

Je suis assez porté pour l’opinion de la section centrale : la nécessité d’une augmentation pour la cour de cassation ne m’est pas aussi bien démontrée que pour d’autres classes de magistrats ; cette nécessité est bien plus évidente pour moi, en ce qui concerne les juges appartenant aux tribunaux inférieurs les juges de paix et leurs greffiers ; bien plus évidente, dis-je, qu’en ce qui concerne les magistrats qui appartiennent au premier rang, et surtout les magistrats de la cour de cassation. Cependant la majoration proposée par M. le ministre de la justice pour la cour de cassation n’étant que de 6,000 fr., je ne me prononcerai pas dès maintenant contre cette augmentation, et j’attendrai des explications ultérieures.

Mais il y aurait peut-être autre chose à faire en ce qui concerne la cour de cassation. C’est une idée que je veux seulement soumettre à la chambre sans en faire l’objet d’une proposition. Vous savez, messieurs, que la loi d’organisation judiciaire a prononcé l’incompatibilité des fonctions de membre de la cour de cassation et celles des membres des chambres législatives. Je crois que l’expérience n’a pas démontré l’utilité d’une pareille disposition. Cette incompatibilité, qui n’existe qu’en Belgique et ne se retrouve dans aucun autre pays constitutionnel, a été fondée sur ce que la cour de cassation peut être appelée à juger les ministres. Mais, messieurs, un pareil jugement avec nos mœurs constitutionnelles, qui sont assez pacifiques, ne se présentera pas une fois peut-être dans un siècle.

Et c’est pour une pareille éventualité qu’on écarte des chambres législatives des hommes qui réunissent toutes les qualités pour y figurer avec éclat ; connaissance des affaires, expérience profonde, indépendance de position ! Je crois qu’une pareille question pourrait être utilement examinée si pas actuellement, du moins quand nous en viendrons à la discussion du projet de loi qui vous a été présenté naguère et qui a pour but de modifier plusieurs articles de la loi concernant l’organisation judiciaire.

Messieurs, j’ai dit tout à l’heure que les classes de la magistrature pour lesquelles le projet de loi en discussion présentait un caractère de nécessité et d’urgence étaient les classes inférieures. En effet, pour les juges de paix (page 65) je crois qu’on est unanime pour reconnaître que 900 fr. attribués aux juges de paix de troisième classe sont un traitement en quelque sorte dérisoire. Il est possible que quelques-uns jouissent d’émoluments considérables, comme l’a prétendu un honorable préopinant. Mais, dans les communes rurales et particulièrement dans celles du Luxembourg, je sais que ces émoluments dépassent rarement 200 fr.

Ainsi, dans ces communes, un juge de paix jouit du revenu total de 1,100 fr., y compris les émoluments. Ces magistrats qui sont appelés surtout à tâcher d’amener la conciliation entre les parties, ont besoin d’exercer de l’influence, d’être entourés de considération ; comment voulez-vous qu’ils accomplissent leur mission si on ne leur fait pas une position convenable ? Il est donc urgent de leur donner un traitement plus en rapport avec leurs fonctions.

Je n’en dirai pas davantage sur cette classe de magistrats. Les orateurs qui m’ont précédé ont démontré que le chiffre de 1,800 fr. n’était nullement exagéré, et peut-être sera-t-il même convenable de le porter à 2,000 fr., comme l’ont proposé plusieurs sections. C’est ce que nous aurons à examiner quand nous serons arrivés à l’article qui les concerne.

Messieurs, en résumé, l’augmentation que nous allons voter sera d’environ 5 à 600 mille francs sur le budget. Je crois que, d’une part, lorsque tout le monde reconnaît la nécessité d’améliorer la position de la magistrature, nous devons voter une augmentation suffisante ; mais d’autre part, nous ne devons pas oublier que c’est une charge lourde que nous allons imposer aux contribuables, charge surtout qui doit se reproduire chaque année et que nous ne devons pas l’accroître facilement. Quant à moi, je suis donc disposé à ne point dépasser en général les propositions de M. le ministre de la justice, qui me paraissent suffisantes.

- La séance est levée à 4 ½ heures.