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d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du mardi 26 mars 1844
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre
2)
Projets de loi relatifs à des demandes en grande naturalisation (Chazal,
Chapelié, Colins)
3)
Projet de loi établissant un mode définitif de nomination du jury universitaire
(de Haerne, Delehaye, Thyrion, (+complexité des matières et organisation de
concours dans l’enseignement moyen) Dumortier et Nothomb, Donny)
4)
Décès d’un parlementaire (Peeters)
(Moniteur belge, n°87, du 27 mars 1844)
(Présidence
de M. Liedts.)
M.
Huveners procède à
l’appel nominal à 1 heure. La séance est ouverte.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en
est approuvée.
M.
Huveners communique
les pièces de la correspondance :
PIECE ADRESSEE A LA CHAMBRE
« Plusieurs
ouvriers typographes de Bruxelles demandent l’organisation du travail et la reforme
électorale. »
- Renvoi à
la commission des pétitions.
DEMANDES EN
NATURALISATION
M.
Henot. - J’ai
l’honneur de déposer plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation.
M.
le président. -
Ces rapports seront imprimés et distribués. La mise à l’ordre du jour sera
ultérieurement fixée.
PROJETS DE LOI
RELATIFS A DES DEMANDES EN GRANDE NATURALISATION (CAZAL, CHAPELIE, COLINS)
M.
Lejeune. - J’ai
l’honneur de déposer les rapports sur les projets de loi de grande
naturalisation concernant le général Chazal, le colonel Chapelié et le major
Colins.
M.
le président. - Ces
rapports seront imprimés et distribués. Je propose de les mettre à l’ordre du
jour.
- Cette
proposition est adoptée.
Discussion générale
M.
le président. - La
parole est continuée à M. de Haerne.
M. de Haerne. - Messieurs, à la fin de la séance
d’hier, j’ai eu l’honneur de vous faire voir que, dans mon opinion, tous les
établissements doivent être placés sur la même ligne, je vous ai dit que,
constitutionnellement parlant, nous ne devons avoir de préférence ni pour une
université, ni pour une autre, pas plus pour les universités de l’Etat que pour
les universités libres.
Je vous ai
fait voir les influences diverses qui s’exercent réciproquement de la part des
universités et je vous ai démontré que ces influences, loin de devoir être
funestes, doivent être considérées comme favorables, comme avantageuses à tous
les établissements. Je vous ai fait voir les avantages qui résultent en
particulier pour l’université catholique, de la concurrence qui est faite par
des établissements rivaux. Je pourrais prouver de la même manière que ces
derniers établissements gagnent aussi à la concurrence, et cela non seulement
sous le rapport du progrès de la science, mais je dirai même sous le rapport des
saines doctrines, car personne ne me contestera que la concurrence ne tende à
maintenir les divers établissements dans les bornes de la modération.
Messieurs,
c’est à ce sujet que j’ai fait hier un appel à l’union, principe que j’envisage
comme fondamental et que j’ai cru devoir appliquer à la matière qui nous
occupe. Je vous ai entretenu assez longtemps de ce sujet. Mais la raison en est
que le système universitaire, que j’aurai l’honneur de vous exposer, en découle
comme un corollaire ; dans mon système le jury est composé de telle manière que
les établissements n’ont rien à craindre de la part d’un établissement rival ;
je les mets au-dessus des diverses influences, au-dessus des influences
ministérielles aussi bien qu’au-dessus des influences parlementaires. Il y a
dons égalité absolue pour tous ces établissements, ce qui est conforme à
l’union.
La section
centrale, messieurs, s’est attachée à suivre le ministère dans ses
développements, en acceptant du projet ministériel tout ce qui lui paraissait
acceptable, sauf à corriger le projet dans le sens de la liberté, et dans ce
sens, je suis d’accord avec la section centrale, quant au principe. Mais pour
ce qui regarde la partie que je puis appeler, en quelque sorte, matérielle, ou
la partie organique de la question, l’organisation du jury universitaire, j’ai
cru devoir, messieurs, vous exposer un système que j’ai conçu depuis longtemps
et qui diffère de celui de la section centrale et de celui du gouvernement. Mon
système est conçu dans la pensée d’écarter toute lutte de parti, c’est là
l’idée dominante, le point culminant de la question pour moi.
Ensuite
j’ai eu pour but de favoriser le développement, le progrès des sciences, et
surtout de placer les récipiendaires dans une position telle qu’ils puissent
s’attacher entièrement à leurs professeurs, à leurs universités respectives, ne
s’inquiéter d’aucun autre système, d’aucune autre doctrine. J’ai eu
particulièrement en vue les jeunes gens. Ni le projet ministériel, ni celui de
la section centrale ne me satisfont pleinement à cet égard. D’un côté, on
s’occupe de la nécessité de conserver la prérogative parlementaire ; d’un autre
côté, on tâche de fortifier l’action du gouvernement ; ou du moins on croit
devoir lui attribuer la nomination du jury universitaire. Mais il me semble
qu’on ne s’est pas assez occupé de la position des jeunes gens, car il est bien
à remarquer que, dans tous les systèmes exposés jusqu’ici, les récipiendaires
se présentent devant des jurys mixtes, devant des jurys composés de membres appartenant
aux diverses universités professant des opinions contraires. Dans aucun de ces
systèmes rien n’est stipulé, afin de ne pas exposer les jeunes gens à la
fluctuation des doctrines. Je trouve que c’est là un grand inconvénient, un
inconvénient sous le rapport scientifique, parce que ce système doit engendrer
le doute, l’incertitude, et éteint la conviction qui doit accompagner toute
étude sérieuse sous le rapport des doctrines, de la liberté des opinions et de
la liberté de conscience même ; il se présente dans un jury mixte un
inconvénient qui n’est pas moins grave, car un élève rationaliste aura à se
présenter devant un juré catholique et un élève d’une école catholique aura à
se présenter devant un juré rationaliste. Quelle que soit la modération, l’impartialité
qu’on puisse supposer aux jurés, il est impossible qu’ils se dépouillent de
leur opinion, que, dans un certain cas, les récipiendaires ne soient pas
victimes des opinions, des préjugés de leurs juges.
Messieurs,
dans mon opinion, il devrait y avoir un jury particulier pour chaque
université, et ce jury serait composé de telle manière qu’il y entrerait deux
éléments essentiels ; l’élément universitaire nommé directement par chaque
université ; l’élément législatif nommé d’un côté par les chambres, de l’autre
par le ministère.
Voici
comment j’ai rédigé mon projet :
Organisation du jury d’examen
Il y a un
jury spécial pour chaque université. II est composé de 7 membres d’après les
conditions suivantes :
1° Chaque
université nomme directement pour les récipiendaires qui lui appartiennent,
quatre jurés dans son sein ou en dehors pour chaque faculté ;
2° Le
sénat, la chambre des représentants et le ministère nomment annuellement
en-dehors des universités chacun deux membres et deux suppléants, qui siègent à
trois pour toutes les universités, un comme représentant chaque branche du
pouvoir législatif, et qui subissent un roulement dans l’ordre suivant :
Immédiatement
avant chaque session de jury, chacune des trois branches du pouvoir législatif
procède à un tirage au sort pour désigner les membres titulaires qui doivent
siéger. Celui qui siège le dernier n’est rééligible qu’après un an
d’intervalle.
3° Les sept
membres ont chacun son vote pour l’adoption du système et de la méthode à
suivre dans les examens ;
4° Les
trois membres législatifs unis aux quatre membres universitaires posent les
questions. Ce derniers n’ont en ceci que voix consultative ;
5° Tous le
jurés discutent et votent à suffrage équivalents sur les titres et admissions
des récipiendaires ainsi que sur les distinctions ;
6° L’examen
oral est remplacé par un second examen écrit, qui est spécial pour chaque
candidat ;
7° A la
demande d’un membre du jury, l’admission du récipiendaire sera suspendue. Dans
ce cas, les deux examens du récipiendaire seront soumis à la sanction d’un des
autres jurys de la manière suivante :
Pour
Bruxelles et Louvain on se référera au jury d’une des universités de l’Etat à
désigner par le sort ; pour les universités de l’Etat on en référera à un des
jurys des universités libres. Ce jury statuera en dernier ressort.
Il y aura
ainsi un jury de première instance et un jury d’appel ;
8° Dans le
jury d’appel ou de la deuxième épreuve, les quatre membres universitaires
n’auront que voix consultative pour la fixation du système et de la méthode à
suivre ;
9° A la
demande d’un membre du jury d’appel, les examens seront publics :
Les
universités nommeraient, comme vous le voyez, d’après cet exposé, quatre
membres, et les chambres avec le gouvernement en nommeraient trois. Les
universités nommeraient soit dans les universités mêmes, soit en-dehors, et les
chambres ainsi que le gouvernement seraient obligés de prendre leurs membres
respectifs en dehors des universités.
Messieurs,
dans mon système, la rotation ou le roulement ne serait pas également nécessaire.
Vous allez comprendre tout de suite quelle en est la raison.
Pourquoi,
en effet, a-t-on tant insisté et dans l’exposé des motifs du gouvernement et
dans le rapport de la section centrale, sur la nécessité d’introduire un
roulement parmi les membres du jury ? Parce qu’il faut que l’élève se présente
devant l’inconnu, car s’il connaissait d’avance le membre du jury qui siégera,
quand il se présentera devant ce tribunal, il s’attacherait à étudier le
système du jury plutôt que celui qui est enseigné dans son université. Les
professeurs de cette université deviennent des répétiteurs, les répétiteurs des
jurés. C’est une vérité ; personne ne le sait mieux que moi ; je le sais par
expérience ; je sais ce qui s’est passé, de qui se passe encore, je sais comment
les élèves des diverses universités se passent leurs cahiers, étudient les
cahiers des professeurs qui doivent siéger au jury. Mais s’il y a un jury
spécial pour chaque université, l’élève n’aura plus à craindre de se présenter
devant un jury qui lui présentera un autre système que celui qu’il a étudié, il
n’aura plus besoin d’étudier un système différent de celui de son université.
Cependant,
messieurs, quoique le roulement ne soit pas absolument nécessaire dans mon
système, j’ai voulu l’admettre comme vous l’avez entendu d’après l’exposé que
je vous ai donné. On pourrait peut-être me dire qu’avec la composition de ce
jury, l’admission sera trop facile. L’admission était plus facile encore avant
1830 ; il y a eu des abus, il est vrai, mais on s’est trop appesanti sur les
abus résultant de la facilité de l’admission aux grades, car nous ne pouvons
pas nous plaindre de n’avoir pas assez de bons avocats ou de bons médecins.
J’ai tâché cependant de prévenir les abus possibles par un deuxième jury, une
espèce de jury d’appel dont je parlerai encore tout à l’heure.
Les sept
membres du jury nommés comme je viens de le dire voteraient à parité de
suffrages sur la méthode à suivre. Je vous prie de faire bien attention à cette
disposition.
Je dis que
les membres du jury nommés, quatre par les universités, trois par le
gouvernement et les chambres, procéderaient à la question de savoir d’après
quelle méthode on doit interroger les récipiendaires.
Ici,
messieurs, comme il y aurait quatre membres de chaque université particulière
et trois membres dont la nomination n’émanerait pas de l’université, il est
évident que la majorité de chaque jury devrait imposer le système, la méthode
de l’université à laquelle il appartient.
Lorsqu’il
s’agit de s’entendre sur la position des questions particulières, alors je ne
donne plus aux quatre membres universitaires que voix consultative ; et les
trois membres législatifs ont alors voix délibérative.
De cette
manière on éviterait un autre inconvénient, celui de la collusion qu’on pourrait
supposer entre les professeurs de l’université et les élèves qui lui
appartiennent ; car, dans la position des questions, s’il y avait collusion
entre les professeurs et les élèves, l’admission ne serait plus qu’une simple
formalité.
Il est
essentiel, d’un côté, que le système de chaque université prévale. D’un autre
côté, il est essentiel que les élèves ne sachent pas quelles seront les
questions qui seront posées.
Il est un
autre point que j’envisage comme essentiel dans l’organisation du jury, c’est la
suppression de l’examen oral. C’est une innovation qui est en dehors des deux
projets, du projet ministériel, aussi bien que de celui de la section centrale.
Je crois que l’examen oral est souvent la cause du rejet de certains sujets qui
mériteraient d’être admis ; en effet, c’est une prime offerte à la hardiesse, à
l’assurance, à celui qui a le plus de front ; tandis que celui qui possède ses
matières, qui est capable, mais timide, se trouble, et ne peut répondre. C’est
donc un piège tendu à la timidité, une prime offerte à l’assurance, à la
hardiesse. C’est un grave inconvénient.
Je vous le
demande, quel est, je ne dirai pas l’élève, le jeune homme, mais le
mathématicien consommé, qui devant travailler en public, sous les yeux de
supérieurs, de juges, à des opérations quelconques de mathématiques, depuis
l’addition jusqu’aux théorèmes de Mac-Laurin ou de Taylor, depuis
l’arithmétique, jusqu’au calcul différentiel et intégral, pourra être sûr
d’avance de ne pas se troubler ? Voilà ce qui arrive tous les jours devant les
jurys. Voilà ce qui fait échouer bien des élèves qui mériteraient de passer
avec distinction !
Il est une
autre raison pour laquelle je voudrais supprimer l’examen oral. C’est une
raison à laquelle a fait allusion M. le ministre de l’intérieur. Il vous a dit,
et avec raison, dans l’exposé des motifs, que les opérations du jury durent
trop longtemps, qu’il en résulte un grand inconvénient en ce que les jurés qui
appartiennent aux universités, devant se rendre à leur poste, ne peuvent donner
des leçons, quand les cours académiques sont déjà ouverts. Si l’examen oral est
remplacé par un second examen écrit, comme je l’ai exposé, vous abrégerez la
besogne de plus de moitié ; cela est incontestable.
Le deuxième
examen écrit doit se faire, dans mon opinion, d’une manière spéciale pour
chaque récipiendaire ; il doit être calculé sur le résultat du premier examen
écrit ; car le but de l’examen oral actuel ne peut être, ce me semble, que de
s’assurer si l’élève a réellement les connaissances qu’il annonce dans son
premier examen ; ce doit être le contrôle de la première épreuve ; or, ce
contrôle peut avoir lieu au moyen d’un deuxième examen écrit. Cet examen serait
fait d’après les réponses données dans le premier examen.
C’est ainsi
qu’on obtiendrait un deuxième avantage ; celui de donner plus de temps aux
professeurs des universités.
Je vous ai
dit tout à l’heure que, pour prévenir l’inconvénient de la trop grande
facilité, en fait d’admission, il faudrait qu’il y eût un deuxième jury, de manière
que le premier jury, celui dont je viens de vous expliquer la composition,
serait en quelque sorte un jury de première instance, le deuxième, un jury
d’appel.
Voici
d’abord dans quel cas on devrait recourir au jury d’appel, toujours pour
prévenir les admissions trop faciles. Je voudrais que, dans le jury de première
instance, un seul membre (nommé par le ministère, le sénat ou la chambre) eût
la faculté de pouvoir, par son vote, suspendre l’admission du récipiendaire,
et, dans en cas, voici à quelle nouvelle épreuve il serait soumis : son premier
examen écrit serait renvoyé à un jury d’une autre université. Ainsi, par
exemple, pour les deux universités de l’Etat, l’examen de l’élève qui ne serait
pas admis en première instance serait renvoyé devant le jury d’une université
libre désigné par le sort ; et les élèves appartenant à une université libre
devraient renvoyer leurs examens à un jury d’une université de l’Etat à
designer par le sort.
Dans cette
deuxième épreuve, ce deuxième jury, considéré comme jury d’appel, examinerait
de nouveau les pièces, porterait de nouveau un jugement sur les premiers
examens, et statuerait, en dernier ressort, sur l’admission du récipiendaire.
Dans ces
divers jurys, le jury pour la première épreuve, que j’appelle jury de première
instance, et le jury pour la deuxième épreuve, que j’appelle jury d appel, vous
aurez les trois membres nommés par les trois branches du pouvoir législatif,
toujours les mêmes à côté des quatre membres nommés par les universités
respectives ; vous voyez comment vous éviterez l’inconvénient des admissions
trop faciles, car, je vous prie d’y faire attention, il se fera de cette
manière entre le jury de première instance et le jury d’appel une espèce de
balance d’intérêt, d’espoir et de crainte.
Un jury de
première instance ne se montrera pas trop facile, dans la crainte de voir
réformer son jugement, par le jury d’appel.
Et celui-ci
se gardera de se montrer trop sévère, dans la crainte de provoquer plus tard,
pour ses propres sujets, la même sévérité, de la part d’un jury rival. Cette
crainte réciproque sera une garantie d impartialité.
M.
le président. -
L’honorable membre a-t-il l’intention de déposer un amendement ?
M. de Haerne. - J’ai déclaré hier que mon
intention n’était pas de présenter un amendement formel. J’attendrai le cours
de la discussion. Je verrai jusqu’à quel point mes idées mériteront l’attention
de la chambre.
M.
le président. - Je
crains que la chambre, sachant qu’elle ne sera pas saisie d’un amendement, ne
prête que peu d’attention au système que développe l’honorable membre.
M. de Haerne. - Je n’ai qu’un mot à ajouter sur
ce point. Si l’on voulait avoir une garantie de plus contre la trop grande
facilité des admissions, on pourrait recourir à la publicité, comme je l’ai
stipulé, on pourrait accorder au deuxième jury la faculté de publier les
examens. Ce serait une grande garantie.
Examinons
maintenant les inconvénients qui ont été signalés dans la composition du jury,
tel qu’il existe actuellement ; ces inconvénients sont aux yeux du gouvernement
: 1° la permanence ; 2° la longue durée des réunions des jurys ; 3° le nombre
indéfini des universités. Voilà les inconvénients dont il a été fait mention
dans l’exposé des motifs. D’après ce que j’ai eu l’honneur de dire, ces
inconvénients ne se présentent pas dans mon système.
Je vais
encore plus loin en fait d’inconvénients, je trouve que M. le ministre de
l’intérieur aurait pu encore renforcer ses idées par rapport à l’inconvénient
qui résulte de la permanence, et je crois même que la nomination, dût-elle être
annuelle, comme le propose le gouvernement, il n’atteindrait pas son but, en ce
sens qu’il ne pourrait empêcher que les professeurs des universités ne fussent,
en quelque sorte, les répétiteurs du jury. Car, messieurs, il faut savoir
comment les jeunes gens des universités se préparent aux examens. Il ne faut
pas croire qu’il leur faut deux ans d’avance pour étudier les cahiers des
professeurs qui vont siéger au jury. D’abord, je vous dirai que toutes les
sciences n’exigent pas les mêmes précautions ; les mathématiques, par exemple,
les sciences naturelles, la chimie, sont des sciences positives, qui ne
demandent pas cet ordre, cette méthode particulière qui caractérise chaque
professeur particulier. Les matières sont tracées, sont classées d’elles-mêmes
et ne diffèrent guère d’un professeur à un autre. Dans d’autres branches, il
suffit de quelques mois pour se mettre au courant du système, du cahier d’un
professeur. Il est à ma connaissance, messieurs, que des jeunes gens se sont
préparés ainsi à l’examen quelques semaines avant de se présenter au jury et
qu’ils se sont fort bien tirés d’affaires. Cela dépend quelquefois de la
clarté, de la facilité de la méthode d’un professeur qui siège comme juré.
Ainsi donc,
par une nomination annuelle, vous n’évitez aucunement l’inconvénient, parce que
l’élève saura toujours assez tôt devant qui il doit se présenter, pour pouvoir
se préparer. Il résulte aussi de là, messieurs, une inégalité entre l’élève qui
se présente dans la première session et celui qui se présente à la seconde
session du jury. Celui qui se présente à Pâques n’a pas les mêmes facilités
pour se préparer d’après la méthode d’un professeur connu que celui qui se
présente au mois d’août.
Messieurs,
à cet égard permettez-moi de faire une comparaison entre le projet de la
section centrale et le projet du ministère. Je dois vous dire franchement,
messieurs, que, je crois que, pour éviter l’inconvénient de la permanence
signalée à juste titre par M. le ministre de l’intérieur, je crois et je suis
convaincu qu’un tirage au sort établi à deux fois et immédiatement avant chaque
session du jury, serait bien préférable à une nomination annuelle.
Et,
remarquez-le bien, messieurs, il ne suffirait pas que le gouvernement nommât
les membres du jury immédiatement avant la session ; en suivant le mode de
nomination sans tirage au sort, le gouvernement ne pourrait pas nommer
immédiatement avant la session, parce que alors vous tomberiez dans un autre
inconvénient qui, n’est pas moins grave, celui de mettre les jurés eux-mêmes
dans l’impossibilité de se préparer aux examens. Car il ne faut pas croire que
ces messieurs se présentent aux examens sans être préparés ; il y aurait
négligence de leur part à en agir autrement.
Il faut
donc que, d’une part, le jury ne soit connu de l’élève que peu de temps avant
la session du jury, et, d’un autre côté, il faut que les jurés aient au moins
le temps de se préparer à l’exercice de leurs fonctions. Je ne vois donc pas
d’autre moyen que de faire une nomination annuelle et un tirage au sort
immédiatement avant chaque session du jury.
Messieurs,
vous voyez que, d’après le système que je viens d’avoir l’honneur de vous
développer, les divers établissements ne peuvent plus prendre ombrage l’un de
l’autre ; car le jury est placé tout à fait au-dessus de l’action des chambres
et au-dessus de l’action gouvernementale ; la question politique n’existe donc
plus ; la lutte des partis devient donc impossible ; et c’est là, comme j’ai eu
l’honneur de vous le dire, le point essentiel, le point culminant de la
question. De cette manière, messieurs, on ferait renaître la paix, on ferait
renaître la concorde et l’union parmi les établissements rivaux.
Ce serait
là sans doute le triomphe de la cause nationale, et c’est pour cela, messieurs,
que j’ai pris hier la liberté d’appeler votre attention sur ce point important,
qui tient d’une manière si intime à notre existence nationale.
Tons les
principes de liberté, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, se tiennent et
s’enchaînent ; on ne peut toucher à une seule sans les ébranler toutes. La
liberté de l’enseignement, messieurs, la liberté de l’enseignement oral d’un
côté, la liberté de l’enseignement écrit de l’autre, ou la presse, sont deux
libertés qui se résument dans la liberté d’opinion ou dans la liberté de la
manifestation des opinions, et cette liberté, messieurs, c’est la clef de voûte
de la constitution.
Sans cela vous ne pouvez maintenir l’état constitutionnel, vous ne
pouvez espérer de maintenir la nationalité. Sans cela il n’y a plus pour
Serait-ce
le chemin de fer dont on parle tant à l’étranger ? C’est là une belle
entreprise, une conception glorieuse pour
Messieurs,
la France a plus d’égalités que l’Angleterre ; l’Angleterre a plus de liberté
que la France, et nous avons tout à la fois et plus d’égalité et plus de
liberté que ces deux nations. Sachons maintenir nos droits, nos libertés en
consacrant par un vote solennel dans cette circonstance, l’union dont ils
dépendent. Serrons-nous autour de ce drapeau. L’union, messieurs, jettera,
j’ose le dire, un nouvel éclat sur la couronne belge, dont elle est la plus
belle perle, elle fera l’honneur de la législature et affermira notre
nationalité !
M.
Delehaye. - Comme
plusieurs de mes honorables collègues, je regrette que le gouvernement nous ait
présenté ce projet, au moment où nous allions nous occuper de la discussion des
questions soulevées par la commission d’enquête. (Erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars
1844 :) Je
crains aussi que les dissentiments politiques que fera naître cette discussion
ne pèsent de tout leur poids sur les débats auxquels nous devions nous livrer
après les vacances de Pâques et qui sont vivement réclamés par le commerce et
par l’industrie.
Messieurs,
je ne prétends pas que cette fois-ci, le gouvernement ait obéi à quelque
injonction étrangère ; mais il doit paraître étrange que M. le ministre de
l’intérieur, jusqu’ici si soucieux de la conservation de la majorité, soit venu
tout à coup présenter un projet qui change en sentiment d’hostilité la
bienveillance qu’elle lui avait témoignée. Le temps nous apprendra quel peut
avoir été le motif qui a engagé M. le ministre de l’intérieur à rompre tout à
coup en visière à ce parti. Messieurs, qu’il me suffise de dire à la chambre
que, dans mon opinion, la prudence dont M. le ministre de l’intérieur a fait
preuve jusqu’ici, le soin qu’il avait mis constamment à ménager la majorité me
paraissent devoir éloigner cette opinion que la présentation de ce projet ait
été le résultat de son libre arbitre. Je suis porté à croire involontairement
qu’il doit y avoir là un secret que le temps nous fera bientôt connaître.
J’aborde la
matière.
En 1835,
les chambres ont adopté la loi qui nous régit aujourd’hui. Le législateur se
trouvait placé sous l’empire d’une situation toute nouvelle, qui lui imposait
la plus grande prudence dans les mesures qu’il prendrait ; il a voulu, en
effet, remettre au temps le soin de proclamer les vices ou les perfections de
son œuvre.
Nous
sommes, messieurs, en présence d’une expérience de huit années ; tous les
renseignements, tous les résultats de l’expérience à laquelle a donné lieu la
formation des jurys d’examen, vous ont été communiqués. Qu’en est-il résulté ?
Mais avant
de répondre à cette question, qu’il me soit permis de vous dire que, dans mon
opinion, dès 1835, le législateur a manqué au grand principe de la liberté
d’enseignement. Selon moi, il ne fallait pas de jury pour la collation des
grades académiques ; la société ayant proclamé ce grand principe à tort ou à
raison, elle devait en subir les conséquences. Qu’importait-il à la société que
les universités conférassent les grades scientifiques ; qu’importait-il à la
société que des grades de docteurs en philosophie et lettres, de docteurs en
science fussent accordés par les universités elles-mêmes ? Ce qu’il lui
importait, c’était que le gouvernement exerçât une surveillance sur la
collation des grades auxquels la loi attache certaines prérogatives. Je
comprends que le gouvernement ait voulu surveiller d’une manière rigoureuse si
ceux qui se présentaient pour suivre la carrière de la médecine ou du droit
offraient assez de garantie sous le rapport des connaissances, pour qu’on pût
leur confier les intérêts importants qui leur seraient confiés ; mais je ne
comprends pas comment il se fait que, pour des grades auxquels on n’attache
aucune importance, on n’ait pas reculé devant le principe de la liberté
d’enseignement.
Messieurs,
après avoir émis cette opinion, vous direz peut-être que j’aurais dû proposer
une mesure conforme à ces principes et qu’il y a une espèce d’inconséquence de
ma part à vous présenter un amendement qui les détruit en partie. Mais,
messieurs, on n’est pas libre de faire tout ce qu’on désire ; je n’aurais pu
venir vous proposer mon système en présence de l’accueil qui avait été fait à
la proposition de supprimer la collation d’une partie des grades académiques
par le jury. Il y avait nécessité pour moi à ne pas me présenter devant vous
avec un projet qui avait été repoussé.
La suppression
de la collation de ces grades ou du jury central avait été proposée par une
université qui appartient à la même localité que moi. Eh bien, cette université
qui, selon moi, avait bien agi, est venue retirer l’opinion qu’elle avait émise
auparavant. C’était donc pour moi un devoir de ne plus revenir sur cette
proposition ; je devais dès lors prendre celle du gouvernement en la modifiant
de manière que je pusse lui donner mon assentiment.
Messieurs,
depuis huit ans la chambre a été appelée à coopérer à la nomination des membres
du jury d’examen. A-t-elle pu faire des choix qui répondissent à toutes les
exigences d’une bonne organisation du jury d’examen ? Répondons à cette
question avec une entière franchise ; nous savons tous ce qui s’est passé chaque
année ; chacun de nous avait un candidat de préférence ; il le recommandait à
son voisin avec promesse de voter aussi pour le sien.
Quant à
moi, je vous avoue que le seul désir que j’aie eu, c’est de faire entrer dans
le jury autant de professeurs de l’université de Gand que possible, et je crois
que chacun de nous en a agi de même. Aussi, de tous les membres du jury nommés
par la chambre, il en est peu qui fussent connus, je ne dirai pas de la
majorité, mais du tiers de l’assemblée.
Messieurs,
il est fâcheux que la chambre doive en agir ainsi dans l’usage qu’elle fait
d’une prérogative aussi belle. Je n’adresse d’injure à personne, mais tout le
monde doit convenir que nous sommes dans une ignorance complète, quant à la
formation du jury, que nous ne connaissons pas assez le personnel scientifique.
Je
comprendrais, messieurs, la formation du jury par la chambre seule, car alors
nous pourrions consulter quelques-uns de nos amis, nous mettre au courant du
personnel scientifique et arriver à une combinaison quelconque. Mais lorsque
trois pouvoirs concourent à la formation du jury, et cela sans se mettre en
rapport, sans s’entendre sur les choix des candidats, comment voulez-vous que
le jury réponde à toutes les exigences, quelle coordination peut-il y avoir entre
nos choix ?
Et quelles
sont les exigences dans un pays où la liberté d’enseignement a été proclamée ?
C’est d’abord que tous les établissements soient représentés dans le jury. Il
est une autre condition, c’est que toutes les sciences qui font partie de
l’examen y soient représentées également. Eh bien, je dis que cela est
impossible, tant que trois pouvoirs concourent à la formation du jury, alors
qu’il n’y a entre eux aucun rapport. Ce n’est point l’esprit de parti qui a
rendu permanentes les listes présentées par les chambres, c’est le défaut de
notions sur le personnel scientifique, nous ignorons quelles sont les sciences
à représenter. Les deux chambres ne sont point d’accord sur les choix à faire.
De là cette étrange disparate contre laquelle on s’est tant récrié.
La section
centrale maintient ce défaut dans son projet, elle conserve aux chambres des
prérogatives pour l’exercice desquelles elles ne possèdent point des notions
suffisantes, elle abandonne aux majorités une nomination qui, quoique faite
avec conscience, peut porter atteinte à la représentation fidèle de tous les
établissements scientifiques.
Par cela
seul que les majorités des chambres ne peuvent pas se soustraire à toute
considération politique, que leurs actes doivent essentiellement s’en
ressentir, je dois refuser mon vote au projet de la section centrale.
(Erratum
Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) Comme l’a dit M. le ministre de l’intérieur, de
ce défaut de rotation, de cette permanence des listes, il résulte ce grave
inconvénient, que nous favorisons, sans le vouloir, l’empire exclusif d’une
doctrine alors même qu’elle ne serait pas la meilleure ; l’élève qui ne cherche
qu’à réussir dans les examens, ne songe guère à la science ; les professeurs
eux-mêmes connaissant les principes dominants des examinateurs, satisfont à ces
exigences sans tenir aucun compte des progrès de la science ; les opinions bien
connues des membres des jurys, s’imposent aux professeurs qui n’en font point
partie, et qui, dès lors, dans l’intérêt des élèves, doivent puiser les
matières de leur enseignement dans un système peut-être vicieux, mais sur
lequel ils savent que porteront les questions des examinateurs.
Cette
permanence met obstacle aux progrès des sciences, elle accorde un avantage à
l’établissement représenté et la doctrine que l’on y professe est forcément
imposée aux autres établissements. Elle engage les élèves à ne s’occuper que
des questions que l’on sait être familières aux membres du jury, et, à cette
fin, (erratum
Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) ils se passent mutuellement le cahier contenant
les questions, certains d’avance que l’on ne produira guère que ce qui a été
présenté les années précédentes. C’est encore à cette permanence, qu’il faut
attribuer le défaut d’auditeurs que l’on remarque dans les cours non
représentés au jury.
Je viens
actuellement au projet du gouvernement.
Le
gouvernement est-il plus en mesure de faire un bon choix, de composer un jury
qui réponde à toutes les exigences ? Je n’hésite pas à dire que si le gouvernement
était libre, s’il pouvait se soustraire à toutes les exigences, à toutes les
influences étrangères, il remplirait toutes les conditions nécessaires pour
composer un bon jury ; car il a des notions suffisantes sur le personnel, et il
connaît toutes les parties de la science qui doivent être représentées dans le
jury. Ce que je conteste au gouvernement, c’est cette liberté d’action, qui ne
se ressente d’aucune considération étrangère.
M. le
ministre veut que chaque établissement, ainsi que les sciences, objets de
l’examen, soient représentés au jury.
Ces
dispositions ne sont pas seulement sages, elles sont rigoureusement nécessaires
à la formation d’un bon jury mais tout en remplissant rigoureusement ces
conditions, la partialité, le mauvais vouloir, ne peuvent-ils pas favoriser
considérablement l’un ou l’autre établissement aux dépens de ses concurrents ?
Qui pourra empêcher le gouvernement de faire représenter au jury une université
qui n’aura pas ses sympathies par un examinateur indifférent aux élèves ou en
qui ils n’ont pas confiance, enseignant une partie de la science peu
importante, dont les capacités mêmes sont problématiques, alors que d’autres
universités seraient représentées par des hommes d’un mérite transcendant,
enseignant les parties dominantes de l’examen.
D’autres
fois, pour se donner les apparences de l’impartialité, il représentera une
université dont la chute lui paraitrait utile, par un professeur de capacités
reconnues, haut placé dans le monde scientifique ; mais alors seulement que le
nombre de candidats appartenant à cet établissement sera peu considérable.
Enfin, messieurs, combien de moyens le ministre de l’intérieur ne possède-t-il
pas pour éluder l’espoir que le parti libéral aurait dans ses promesses ? Quand
la majorité doit s’entendre sur le choix de plusieurs personnes, il peut y
avoir désaccord, quelques voix récalcitrantes ; mais quand un seul homme peut
présider aux affaires d’un parti qu’il veut favoriser, n’y a-t-il pas dans ses
actes un ensemble qui confond ses adversaires et devant lesquels sa
responsabilité est à l’abri de toute attaque.
Cette
responsabilité, dira-t-on, impose au gouvernement l’impartialité la plus
grande. Messieurs, c’est là bien peu connaître ce qui se passe chez nous depuis
la révolution. La responsabilité doit être un mot vide de sens, ou l’opposition
bien exagérée, même injuste dans ses attaques.
La
responsabilité, en effet, n’est qu’un vain mot, alors surtout qu’il s’agit de
personnes. Et, messieurs, viendrez-vous dire à M. le ministre, les nominations
connues que tel professeur n’a pas assez de savoir, qu’il défend mal les
intérêts de ses élèves ? (Erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) Direz-vous que telle science plus
importante a été mal représentée, mais comme je vous l’ai déjà dit : Sous les
apparences mêmes de la plus grande impartialité, il pourra, par la nomination
des membres du jury, faire déserter, au bout de quelque temps, l’établissement
dont il a décrète la ruine. Et, messieurs, pour nous surtout, députés des
Flandres qui tenons à la conservation de l’université de Gand, si jamais le
gouvernement venait à partager l’opinion d’hommes haut placés, opinion qui ne
se cache pas d’ailleurs, qu’il suffit d’une seule université salariée par
l’Etat, que l’économie autant que la solidité des études exige la suppression
de l’une des deux universités, sommes-nous bien certains que ce ne sera pas la
nôtre qui tombera sous l’influence de nominations d’examinateurs habilement
combinées, de manière à détruire la confiance des élèves dans celui qui doit
les représenter au jury ? Qu’on y songe bien ; pour nous, ce qu’il nous faut,
c’est l’impossibilité pour le gouvernement, de s’écarter de la voie de
l’impartialité et de la justice. La responsabilité ministérielle ne nous
garantira pas contre le mauvais vouloir. D’ailleurs, messieurs, à qui le
ministère rendra-t-il compte de sa responsabilité ? N’est-ce pas à la majorité
? Le ministère fera donc ce que ferait cette majorité. Soucieux, avant tout, de
la conservation de son portefeuille, il ne consultera que les exigences de
cette majorité.
Dans un
gouvernement représentatif, la responsabilité n’atteint que le ministre, qui
s’écarte des vœux, de la volonté de la majorité.
Permettez-moi
de le dire, avec pleine franchise, il a fallu une conviction bien profonde pour
que je ne me range pas à l’avis de M. le ministre de l’intérieur. J’ai été en
butte, à ce sujet, à des insinuations assez malveillantes ; je n’en ai tenu
compte pour ne céder qu’à ma conviction ; et j’avoue que je ne conçois pas
comment les universités, qui, elles aussi, agissent avec une conviction que je
respecte, (erratum
Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) ont pu nous engager à adopter le projet du
gouvernement. Est-ce que nous, habitants de Gand, avons donc tant de sujet
d’avoir confiance dans le ministère ? Souvent nous avons élevé la voix pour
réclamer les droits qui nous étaient dus ; constamment nous avons été
repoussés.
Ne
devons-nous pas avoir une grande méfiance dans un projet de loi qui donnerait
au gouvernement le droit de composer les jurys universitaires, alors que ce
droit peut donner lieu a de si grands abus ?
(Erratum
Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) La responsabilité ne saurait nous soustraire à
l’emploi qu’on pourrait faire contre nous de cette prérogative. Rappelez-vous,
messieurs, qu’on l’a invoquée chaque fois qu’on est venu vous demander un
accroissement de pouvoir. C’est le cheval de bataille qu’on met en avant en
toute occasion. Lorsque vous avez modifié la loi communale, lorsque vous avez
organisé l’enseignement primaire, le gouvernement a demandé, dans la première
de ces lois, le droit de nommer les bourgmestres hors du conseil, et dans la
deuxième le droit de nommer les inspecteurs provinciaux et cantonaux. A ceux
qui ont témoigné quelque méfiance, on a répondu que le gouvernement était plus
à même d’apprécier les exigences des localités et les capacités des individus,
qu’il tiendrait compte, dans ses choix, du dévouement et de la position
sociale, que jamais il ne céderait à des considérations politiques.
Eh bien,
vous avez tous vu les nominations des bourgmestres et des inspecteurs cantonaux
et provinciaux. Qui d’entre vous oserait dire qu’aucune de ces nominations n’a
été faite sous l’influence de considérations politiques. Qui oserait dire que
tous les inspecteurs cantonaux nommés jusqu’à présent l’ont été par des
considérations étrangères à la politique ? J’en connais qui ont été nommés pour
des services rendus, non au gouvernement ou à l’Etat, mais à tel ou tel
individu à l’influence duquel le gouvernement ne pouvait se soustraire.
Il en
serait de même si le gouvernement était investi des pouvoirs qu’il demande par
son projet de loi. La responsabilité du gouvernement ne le lie que devait la
chambre. Ne serait-ce pas vainement que nous, minorité, nous invoquerions la
responsabilité ministérielle devant la majorité, qui aura imposé au
gouvernement les choix qu’il aurait faits ?
J’ai fait
connaître les motifs qui me portent à refuser mon assentiment au projet de la
section centrale. Je vous ai fait connaître mon opinion sur le projet du
gouvernement. Il ne me reste plus qu’à développer l’amendement que j’ai déposé
sur le bureau. Cet amendement répond à toutes les exigences, il soustrait les
jurys d’examen à toutes les influences autres que celle que nous pouvons
admettre.
Il ne
s’agit plus de l’intervention du gouvernement, non plus que de celles des
chambres. Les établissements qui ont un grand intérêt à se faire représenter,
les études libres elles-mêmes, ont un représentant.
Le jury est
composé de 5 membres. J’admets ce chiffre, parce que je pense que toutes les
branches de la science peuvent être divisées en cinq classes. (Erratum Moniteur belge n°90, du
30 mars 1844 :) De
ces cinq membres, quatre sont nommés par les quatre universités.
Les études
privées y seront représentées par des corps assez haut placés dans l’estime du
pays, pour que leur impartialité ne puisse être mise en doute. Je sais que les
études privées pourraient avoir de plus grandes exigences.
Mais il est
impossible de les faire représenter par un corps qui inspire plus de confiance.
D’ailleurs,
je suis plus heureux sur ce point que la section centrale et le gouvernement ;
car, ni l’un ni l’autre n’ont respecté les droits des études privées.
La cour de cassation
connaît toutes les parties de l’examen de droit pour lesquelles l’examinateur
doit être nommé.
Elle
possède toutes les notions nécessaires, elle sait d’avance quelles sont les
connaissances qu’on doit exiger chez l’examinateur.
S’agit-il
de la médecine ? J’ai recours à l’académie royale de médecine. Cette académie
est composée de toutes les notabilités médicales du pays ; ce sont des hommes
qui sont placés en dehors de la sphère politique, ils n’ont aucun intérêt à
favoriser un établissement aux dépens d’un autre ; ils donnent la garantie la
plus complète aux études privées.
S’agit-il
du doctorat en sciences ? le cinquième examinateur sera nomme par l’Académie
des sciences et belles-lettres de Bruxelles. Ce corps représente toutes les
sciences. Les membres appartiennent à toutes les localités du pays ; ils
pourront apprécier quelles sont les connaissances que devra posséder
l’examinateur pour faire partie du jury des sciences.
C’est donc
à ces trois corps, la cour de cassation, l’académie royale de médecine et
l’académie royale des sciences, que je veux attribuer la nomination du
cinquième juré dans chaque section du jury.
Les élèves
peuvent compter sur l’impartialité d’un jury. (Erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars
1844 :) Ils se
présenteront devant lui avec confiance, certains, d’ailleurs, que leurs droits
y seront défendus par un homme qui obtiendra sa part dans leurs succès.
La seconde
condition, de la formation d’un bon jury, c’est la représentation des parties
de l’enseignement qui font l’objet de l’examen. Ne voulant rien accorder à
l’arbitraire, après avoir admis la représentation des établissements par
l’homme de leur choix, et la représentation des études privées par l’homme
choisi par ces corps indépendants, (erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars 1844 :) il a fallu remettre au sort le soin
d’indiquer pour quelle partie de la science se feront les nominations.
Les
différentes parties de l’examen, pour toutes les branches de l’enseignement,
peuvent se partager en cinq groupes différents. Cette classification se fera
par le gouvernement, d’accord avec des délégués de chaque université ; un
arrêté fera connaître cette classification, un tirage au sort fait en présence
des délégués des universités indiquera la partie de la science pour laquelle
chaque corps sera appelé à faire sa présentation.
Par là,
messieurs, vous aurez satisfait aux deux conditions essentielles de la
formation d’un bon jury : représentation des établissements et des études
privées, et représentation des sciences ; vous aurez écarté tout arbitraire.
Formé de cette manière, le jury donne la garantie la plus complète de son
indépendance et de son impartialité. Pris dans le corps enseignant, les
examinateurs ont suivi les progrès des sciences, (erratum Moniteur belge n°90, du 30 mars
1844 :) et
représentent en outre toutes les parties de l’enseignement qui fait l’objet de
cet examen, celui-ci portera nécessairement sur toutes les conditions de
garantie que peut réclamer la société.
Il ne me reste,
plus, messieurs, qu’à vous faire connaître la dernière disposition de la
proposition qui vous est soumise.
Pour mieux atteindre la rotation dans le personnel du jury, condition
reconnue si nécessaire et par le ministère et par la section centrale et
vivement réclamée dans l’intérêt de la science, je n’admets pas que la même
personne siège deux années consécutives au jury.
Par cette
disposition nous atteignons le but que se sont proposé, d’un côté, le
gouvernement qui ne croit pas que les chambres aient des notions suffisantes
sur les exigences scientifiques de la composition d’un bon jury, et, d’autre
part, la section centrale qui suppose au pouvoir, et avec raison, des vues
politiques qui pourraient réagir sur les nominations.
Le
ministre, d’après elle, harcelé par les partis qui lui demanderont des gages
éclatants, ne pourra se maintenir dans la ligne d’impartialité qu’il se sera
tracée.
A ces
motifs avoués par la section centrale, nous ajouterons que si, ce qui peut se
réaliser prochainement, la majorité actuelle devait céder la place à une
nouvelle, la cause qu’elle défend aujourd’hui pourrait se trouver exposée à un
grand danger. Ce danger nous l’écartons pour toujours. Notre projet plane
au-dessus de l’esprit de parti, il n’en subit aucune atteinte. Quelle que soit
l’opinion qui domine, les établissements libres n’ont rien à craindre, leur
intervention ne sera plus menacée.
A ceux qui
ne veulent pas que des changements ministériels ou des fluctuations des
majorités puissent compromettre leurs droits, notre projet apparaîtra toujours
comme étant le seul qui, soustrayant à tout arbitraire l’une de nos plus
précieuses institutions, consacre dans toute son étendue le principe le plus
large et le plus impartial.
M. Thyrion. - Messieurs, la liberté de
l’enseignement est une des plus belles et des plus précieuses conquêtes de
notre révolution.
Elle est
belle, parce qu’elle est une cause perpétuelle d’émulation et de progrès.
Elle est
précieuse, parce qu’elle garantit au père de famille le libre exercice d’un
droit naturel, celui de faire donner à ses enfants l’éducation qui lui convient
le mieux, et de les faire élever dans toute la pureté de ses croyances
religieuses.
On peut
dire, messieurs, que la liberté de l’enseignement est au bonheur des familles,
ce que la liberté de la presse est au maintien de nos libertés
constitutionnelles.
C’est à ces
titres que l’une et l’autre doivent trouver dans cette enceinte de zélés
défenseurs, parce que l’une et l’autre contribuent puissamment au bonheur de la
nation, but unique de toutes les lois.
Si donc le
projet de loi proposé par le gouvernement met en péril la liberté de
l’enseignement, il faut le repousser ; il faut le repousser avec énergie, comme
il faudrait repousser avec énergie toute mesure qui tendrait à mettre en péril
la liberté de la presse.
Mais en
est-il ainsi, messieurs ? est-il vrai que la proposition du gouvernement soit
menaçante pour cette liberté d’enseignement qui fut notre gloire, et que nous
voulons maintenir intacte ? N’est-il pas vrai plutôt qu’elle tend évidemment à
la consolider ?
La première
et la principale chose que la liberté d’enseignement doit désirer dans le
personnel du jury universitaire, c’est l’impartialité.
C’est donc
à obtenir cette impartialité que tous nos efforts doivent tendre. Ne
l’obtiendra-t-on point en remettant les nominations au gouvernement ?
Qu’il me
soit d’abord permis de dire que c’est tout au moins par une déviation des
règles gouvernementales que les chambras législatives ont été appelées,
momentanément, à participer à la nomination des membres du jury d’examen.
Il faut se
demander d’abord si cette déviation a été heureuse.
Non,
messieurs, elle ne l’a pas été. Elle ne l’a pas été, parce qu’elle a donne lieu
à des choix politiques ; parce que les opinions politiques ont été des causes
de nomination et des causes d’exclusion.
Les
opinions politiques ont été introduites dans le jury universitaire, la où l’on
ne devait introduire que l’impartialité et la science.
Je ne dis
pas que les chambres n’y ont pas aussi introduit l’impartialité, mais je dis
qu’elles y ont introduit la politique, qui n’est pas toujours la sœur de la
première, et que, si jusqu’à présent la deuxième y a accompagné l’autre, elle
pourrait bien finir un jour par y demeurer seule, ce qui détruirait
complètement cette liberté que nous voulons conserver.
L’honorable
rapporteur de la section centrale reconnaît que les choix de la chambre ont été
politiques. Je n’ai donc rien hasardé en le disant. J’ai été, sur ce point, de l’avis
de la majorité de la section centrale, et on peut, à ce sujet, s’en rapporter à
elle.
Mais si la
majorité de la section centrale a bien fait de constater ce fait important,
n’est-elle pas allée beaucoup trop loin en cherchant, non pas à l’excuser, mais
à le justifier.
Voici
comment elle s’exprime à la page 6 de son rapport :
« Pourquoi
n’en conviendrait-on pas ? vos choix sont des choix politiques, c’est-à-dire
qu’ainsi que l’a voulu le législateur de 1835, ils expriment les sentiments,
les vœux de la nation, relativement à ses intérêts de l’ordre le plus
élevé. »
La section
centrale représente donc les majorités parlementaires comme exprimant les
sentiments et les vœux de la nation, et elle le fait de manière à autoriser
cette conséquence.
Qu’une majorité
catholique exprime les vœux et les sentiments de la nation en composant le jury
d’examen d’hommes appartenant à sa couleur politique, comme une majorité
libérale exprimerait aussi les vœux et les sentiments de la nation en composant
le même jury d’hommes politiques de son opinion.
Messieurs,
personne ne peut contester sérieusement le principe que les majorités
représentent les vœux de la nation. C’est une fiction, il est vrai, mais enfin
c’est une fiction nécessaire.
Mais ce que
je conteste formellement, c’est l’application abusive, selon moi, que la
majorité de la section centrale fait de ce principe.
Je suppose
qu’une disposition écrite dans la constitution ne plaise pas à une majorité
parlementaire, cette majorité, en se fondant sur le principe qu’elle représente
les vœux de la nation, pourra-t-elle donc supprimer cette disposition, ou, ce
qui est à peu près la même chose, en paralyser ou en fausser l’exécution ?
Non,
messieurs ; quand la nation nous envoie ici, ses premiers sentiments, ses
premiers vœux sont que nous maintenions la constitution, comme notre premier
acte est de jurer de l’observer.
Il ne peut
donc être permis à personne, pas même à une majorité, de supposer à la nation
des vœux contraires au pacte fondamental, et j’ajouterai que si ces vœux
étaient bien constatés, ils ne donneraient pas encore aux majorités le droit de
fausser la constitution ; elles ne pourraient, en pareil cas, que recourir à la
mesure autorisée par l’article 131 de la loi constitutionnelle.
La
constitution consacrant le principe de la liberté de l’enseignement, je ferai
maintenant cette question : La composition du jury universitaire peut-elle
avoir une influence sur cette liberté ?
Je pense
que personne, dans cette enceinte, ni en dehors, ne répondra non à cette question.
Je crois que tout le monde sera d’avis qu’un jury, composé de certaine manière,
pourrait porter une très forte atteinte à cette liberté, qui n’a pas été érigée
en principe constitutionnel dans l’intérêt d’une seule opinion, mais dans
l’intérêt de toute les opinions.
Puisqu’il
en est ainsi, messieurs, comment donc expliquer cette pensée de la section
centrale, qu’il serait permis aux majorités de faire des choix
politiques ?
N’est-il
pas évident que si cela leur était permis, il leur serait également permis de
porter atteinte à la constitution, puisque, composer le jury dans l’intérêt
d’une opinion, ce serait évidemment le composer contre l’intérêt des autres
opinions. Ce serait, en un mot, faire servir contre la liberté de
l’enseignement une mesure instituée tout exprès pour assurer cette liberté.
Non,
messieurs, il n’est pas permis aux majorités parlementaires de faire des choix
politiques, parce que ces choix tendent évidemment à faire prédominer un
enseignement sur l’autre, et à détruire par le fait une liberté à laquelle le
pays attache une grande importance.
Aussi,
suis-je disposé à croire que si la section centrale a été amenée à justifier de
tels choix, ç’a été parce qu’elle a senti que des choix faits en pareille
matière par des corps politiques ne pouvaient jamais être que des choix
politiques.
Voilà,
messieurs, il ne faut pas le perdre de vue, voilà le défaut de la position. En
matière d’instruction surtout, dans notre pays surtout, les choix des corps
politiques seront toujours, quoi qu’on fasse et quoi qu’on promette, des choix
politiques. Espérer autre chose, ce serait espérer que ces corps manqueraient à
ce qui est de leur essence, la domination de leur opinion.
Les
chambres nous donneront donc toujours des choix politiques, et, par suite, leur
intervention tendra toujours à fausser le principe de la liberté de
l’enseignement.
Voilà,
messieurs, pourquoi je repousse cette intervention, et pourquoi j’engage les
hommes qui veulent sincèrement cette liberté, à la repousser avec moi.
Je n’ai pas
besoin de rechercher quelle est aujourd’hui la majorité de cette chambre, mais
je dirai que cette majorité pourrait très bien devenir la minorité dans un
temps plus ou moins long, plus ou moins rapproché, et qu’elle deviendrait ainsi
la victime d’une mesure qu’elle aurait elle-même posée.
Voyons,
maintenant, messieurs, si le gouvernement nous présente plus de garanties
d’impartialité.
Les
gouvernements, dit-on, sont le produit des majorités politiques ; ils ne
peuvent vivre que par elles, ils sont placés dans leur domination et, par
conséquent, leurs choix ne peuvent être aussi que des choix politiques.
Voilà
l’objection.
Je
répondrai que si les gouvernements sont le produit des majorités politiques,
l’expérience démontre, qu’en Belgique surtout, un ministère ne peut vivre que
très peu de temps s’il se fait l’esclave d’une opinion. Il n y a pour lui
d’existence durable qu’en marchant entre les deux opinions, et en donnant à
chacune d’elles, sinon des gages de sympathie, au moins des gages
d’impartialité.
Personne de
vous ne croira, messieurs, que les ministères n’aiment pas vivre et nous
pouvons d’autant mieux nous reposer sur eux du soin de remplir cette condition
nécessaire à leur existence, que son accomplissement sera toujours pour eux un
véritable titre de gloire.
Nous avons
donc déjà en faveur de l’impartialité du gouvernement l’intérêt du gouvernement
lui-même, et c’est beaucoup.
Nous avons
ensuite sa responsabilité.
Je sais
tout ce qu’on peut dire là-dessus. Je sais que cette responsabilité est
aujourd’hui considérée, à tort sans doute, comme un mot sans grande portée.
Mais pourquoi ?
Je dirai,
messieurs, toute ma pensée. Je crois qu’il y a dans la chambre une trop forte
tendance à s’emparer des questions administratives. Je pense que la chambre
assume trop, et ne laisse pas assez à l’action gouvernementale. Il n’est pas
difficile de concevoir que si les chambres veulent poser tous les actes
importants, décider toutes les questions majeures, la responsabilité
ministérielle ne portant plus alors que sur des petites choses, deviendra
complètement illusoire.
Quoi qu’il
en soit, je pense que si la nomination des membres du jury universitaire est
abandonnée au gouvernement, la responsabilité ne serait pas pour lui un vain
mot s’il venait à se montrer partial dans ses choix. Je crois, au contraire,
que le pays, blessé dans l’une de ses libertés les plus chères, ne tarderait
pas à régler avec lui.
Nous avons
donc, en faveur du gouvernement, son intérêt d’abord, et, en second lieu, sa
responsabilité.
Trouverions-nous
donc ces garanties dans les chambres législatives, où les choix se font au
scrutin secret, et ou, par conséquent, personne n’est responsable, parce que
personne n’est connu ?
Mais pourquoi,
dit la section centrale, quitter une voie suivie sans inconvénients depuis 8
ans, pour marcher vers l’inconnu ?
Les
inconvénients de la voie suivie depuis 8 ans sont suffisamment constatés, et
si, jusqu’à présent, ils n’ont point produit de fâcheux résultats, rien ne nous
garantit qu’ils n en produiraient pas à l’avenir. Je ne crois pas qu’il soit
sage de prolonger indéfiniment une loi dont l’expérience a prouvé les
inconvénients sous le prétexte que jusqu’à présent elle n’a produit aucun mal
réel. N’est-il pas vrai que le premier devoir du législateur est de prévenir le
mal, et qu’il manque à sa vocation s’il attend que le mal existe pour le
réparer ?
Mais est-il
vrai que confier aujourd’hui au gouvernement la nomination de tous les membres
du jury universitaire, ce serait marcher vers l’inconnu ?
Je crois,
messieurs, que les faits sont là pour repousser cette assertion.
Les
ministères qui se sont succédé depuis huit ans n’ont pas toujours eu le même
drapeau, et cependant voyez ce qu’ils ont fait. Ont-ils fait des choix
politiques ? Ont-ils cherché à faire prédominer un enseignement sur l’autre ?
Ont-ils exclu tel établissement libre et favorisé tel autre ?
Non,
messieurs, tous les ministères ont pris à tâche de rétablir l’équilibre que les
choix de la chambre tendaient constamment à rompre. Ils ont compris que leur
responsabilité serait trop fortement engagée, s’ils ne donnaient pas au pays
cette preuve d’impartialité.
Qu’on ne
dise donc point que ce serait marcher vers l’inconnu. Les ministères de toutes
les couleurs ont fait leurs preuves, la chambre a aussi fait les siennes. D’un
côté la politique, de l’autre côté l’impartialité et le respect pour le grand
principe de la liberté d’enseignement, voilà le résultat de l’expérience ; et
ce n’est point marcher vers l’inconnu. Que de prendre l’expérience pour guide
de nos décisions.
C’est donc
bien inutilement que la section centrale dit que tout ministère chargé
d’exécuter la loi aura des vues politiques qui réagiront sur cette exécution.
C’est bien inutilement qu’elle manifeste la crainte que, placé au milieu des
partis, soutenus d’ordinaire par des partis, soutenu d’ordinaire par l’un
d’eux, qu’il faudra satisfaire, harcelé par l’autre qu’il faudra, désarmer et
qui lui demandera des gages éclatant, le ministère ne se maintienne pas
toujours dans la ligne d’impartialité qu’il se serait tracée, car c’est trouver
des motifs de crainte, dans des circonstances qui doivent être, au contraire,
pour nous des motifs de sécurité.
N’est-il
pas évident, en effet, que c’est justement parce que les ministères sont placés
entre les exigences des partis, et parce qu’ils sont obligés de satisfaire les
uns et les autres, ou tout au moins de n’en
blesser aucun, qu’ils devront, sous peine de mourir, se maintenir dans
cette voie d’impartialité, dont on pourrait craindre qu’ils ne s’écartent ?
Mais
pourquoi, et c’est, ici le grand moyen, pourquoi changer le mode de nomination,
puisque le gouvernement reconnait, que jusqu’ici, le jury s’est toujours montré
impartial ?
Je ne conteste
pas l’assertion du gouvernement, mais en vérité, messieurs, la question n’est
pas là. La véritable question est celle-ci : Les choix de la chambre ont-ils
été faits avec impartialité ?
Voilà la
vraie question.
Sans doute
que le jury a été impartial ; mais est-ce par un fait de la chambre ? N’est-ce
pas, au contraire, par le fait du gouvernement, qui, comme je le disais tantôt,
a constamment pris à tâche d’établir l’équilibre ? Cette impartialité que nous
réclamons aurait-elle été obtenue, si le gouvernement avait suivi l’exemple qui
lui était donné ? Peu importe donc, pour résoudre la grande question qui nous
occupe, que le jury ait été impartial jusqu’à présent ; ce qu’il faut voir, ce
qu’il faut rechercher, c’est si la chambre n’a pas mis de la politique,
c’est-à-dire, de la partialité dans ses choix, et si elle n’a pas ainsi montré
une tendance contraire à la conservation du principe de la liberté
d’enseignement.
Il est donc
évident, messieurs, qu’on ne peut argumenter, en faveur de la chambre, d’une
circonstance qu’elle n’a pas favorisée, et qu’il n’a pas dépendu d’elle
d’empêcher.
Je bornerai
là mes observations.
Messieurs,
je ne suis pas un homme politique dans le sens étendu que l’on attache
ordinairement à ce mot, et je ne veux pas l’être.
J’apprécie
en elles-mêmes, et sans préoccupation de parti, les questions qui nous sont,
soumises, et j’entends rester toujours le maître de les décider d’après les
faibles lumières de ma raison. Ce que je veux surtout et avant tout, c’est que
nos libertés constitutionnelles restent intactes, et qu’elles soient exécutées
franchement, loyalement et sans arrière-pensée. Je le veux ainsi, parce que
j’ai l’intime conviction que c’est le seul moyen de maintenir et de faire
renaître dans le pays cette union si nécessaire à son bonheur et à sa
prospérité.
C’est avec ces sentiments que j’ai examiné la question qui nous occupe.
Ne me
reconnaissant pas le droit de mettre en question un principe constitutionnel,
je ne me suis pas demandé si l’enseignement devait être libre ; je ne me suis
pas demandé non plus si les chambres sont des corps politiques ; c’eût été
mettre en doute ce qui est de leur essence.
Mais je me
suis demandé si, en confiant aux chambres, corps éminemment politiques, une
participation dans la nomination des membres du jury universitaire, on ne
donnerait pas à ce jury une couleur politique, et si cette couleur originelle
ne compromettrait pas le principe de la liberté d’enseignement.
Jetant
ensuite un coup d’œil sur les partis en
Belgique, il ne m’a pas été difficile de reconnaître que l’instruction publique
n’est pas la moindre cause de l’existence de ces partis, qui, se trouvant dans
la nation, ne peuvent manquer de se retrouver dans des chambres électives.
L’état des
choses ainsi reconnu, il est devenu évident, pour moi, que non seulement les
choix des chambres seraient toujours des choix politiques, mais qu’ils seraient
toujours des choix politiques au point de vue de la suprématie d’un
enseignement sur l’autre, et que, par suite, ils pourraient porter une atteinte
très grave à la liberté que nous voulons conserver.
C’est pour
éviter cette atteinte, c’est parce que je veux une exécution large et
impartiale du principe constitutionnel, c’est parce que je ne puis espérer
d’obtenir cette exécution d’hommes politiques chez lesquels la matière de
l’enseignement est un sujet de profondes divisions, que, placé entre deux
projets, dont l’un consacre l’intervention des chambres et dont l’autre
attribue toutes les nominations au gouvernement, je me suis déterminé à donner
à ce dernier l’appui de mon vote.
M.
Dumortier. -
Messieurs, je viens vous parler au nom de la science et de la liberté, c’est
vous dire assez que je ne puis appuyer le projet présenté par le gouvernement,
qui doit à mon avis, s’il était adopté, porter une atteinte funeste à l’une et
à l’autre.
Toute
science exclut le monopole, le monopole y est absolument opposé ; or, le projet
du gouvernement n’a qu’un but, n’aura qu’un résultat, c’est d’établir au sommet
de l’échelle de l’instruction le monopole entre les mains, du gouvernement, dès
lors le projet est directement contraire au progrès des sciences.
Le jury,
tel que nous l’avons organisé, empêche la science d’être stationnaire ; par les
nominations successives, faites en dehors des corps universitaires, il force
les universités elles-mêmes à se tenir au niveau du progrès que les sciences
causent dans les autres pays.
Mais si le
projet du gouvernement est adopté, lorsque le jury sera pris exclusivement dans
les universités, alors vous verrez nécessairement la science rester
stationnaire, vous verrez de toute nécessité les mêmes abus qui existaient dans
le passé, se produire de nouveau.
Je conteste
complètement ces assertions, et je puis établir le contraire d’une manière
victorieuse, car un fait notoire, c’est qu’à aucun époque, les études n’ont été
plus fortes, plus avancées en Belgique qu’elles ne le sont aujourd’hui. C’est
un fait que tous ceux d’entre vous qui ont fait leurs études dans les anciennes
universités peuvent affirmer mieux que moi ; mais je dois le dire, je n’ai pas
vu une seule personne qui ait fait ses études sous le gouvernement précédent,
et qui ne se soit empressé de reconnaître que le régime actuel a été infiniment
favorable aux études, et a aidé puissamment au développement des sciences.
Ainsi, il
faut bien le reconnaître, et c’est le régime actuel qui a amené cet immense
développement de la science ; c’est grâce à lui, que des hommes qui avaient
passé leurs examens dans les pays voisins, en France, et en Allemagne même,
n’ont pu qu’à grand’peine subir la même épreuve devant le jury belge, que
plusieurs docteurs étrangers n’ont pu être admis en Belgique. Tant il est vrai
que l’organisation actuelle des études a pris un tel développement, un tel
ascendant en Belgique, qu’elles sont
devenues plus fortes que dans aucun des pays qui nous avoisinent : fait bien
honorable pour la Belgique qui prouve ce que peut la liberté, ct qui est attesté
par quelques-uns des principaux écrivains de la France et de l’Allemagne.
Je ne puis
cependant méconnaître qu’il nous reste encore beaucoup à faire, et, à mes yeux,
s’il est vrai, que le régime actuel a contribué puissamment. Au développement
des sciences, je dois dire qu’on a eu le tort grave de multiplier outre mesures
les matières d’examen. Voulez-vous faire progresser de plus en plus les
sciences en Belgique ? Simplifiez les matières d’examen. Ce n’est pas en
formant 20 ans des têtes encyclopédiques qu’on travaillera au développement des
sciences ; mais réduisez, divisez, coordonnez mieux les matières d’examen, et
vous aurez des hommes forts dans chaque partie de la science.
Oui,
messieurs, la multiplicité des matières d’examen est le reproche que j’adresse
au système actuel. Il n’est plus un élève qui, s’il était admis à. votre barre,
ne vînt vous dire que les admissions seraient impossibles si le jury voulait
être rigoureux sur toutes les branches de l’examen. Je vais plus loin, je dis
que si les élèves avaient à examiner leurs examinateurs, pas un de ceux-ci ne
pourrait répondre sur toutes les matières d’examen. (On rit.)
Voilà, donc où est le vice réel, le
vice unique du système qui nous régit ; ce vice résulte dans la multiplicité
des matières d’examen, et ce n’est que lorsqu’on aura porté un remède à un
aussi grand mal que vous obtiendrez plus de force encore dans les études ;
alors vous aurez des spécialités d’autant plus éminentes, que les élèves
n’auront plus à s’occuper de matières qui leur sont complètement inutiles et
que vous pourrez être d’autant plus exigeant dans les sciences auxquelles ils
se destinent.
On me dira que par-là les cours de
tel ou tel professeur seront négligés ; mais que nous importe à nous cette
considération ? ce n’est pas l’intérêt du professeur, mais l’intérêt de la
science que nous avons à examiner.
Ainsi donc, c’est dans la
simplification des matières d’examen qu’on doit trouver le remède au régime
actuel. Je dis que les études ont fait en Belgique, par la liberté, des progrès
plus grands que dans aucun des pays qui nous avoisinent ; mais j’ajoute qu’en
simplifiant les matières d’examen, et en maintenant en même temps le mode de
nomination du jury, nos fortifierons puissamment les études.
Voilà ce que nous devons faire dans
l’intérêt des sciences ; si nous ne réalisons pas cette amélioration, nous
compromettrons chaque jour davantage le sort des études.
Loin de moi la pensée que par le
système que j’indique, je veuille me borner à créer des hommes purement
pratiques ou, comme on l’a dit, des praticiens, Je repousse une telle pensée,
et je me hâte de le répéter, crainte d’une interprétation fâcheuse ; je ne veux
pas des hommes pratiques, mais je veux des spécialités savantes ; je veux des
hommes d’autant plus forts qu’ils n’auront à répondre qu’aux branches qui leur
sont nécessaires. Que sert par exemple, l’avocat, d’être interrogé sur les
hautes mathématiques, sur la statistique, sur le grec même ? Que sert au
médecin, d’être interrogé sur une foule de sciences qui lui seront désormais
étrangères ? Exigez du médecin et de l’avocat qu’ils approfondissent davantage
les sciences auxquelles se rapporte plus particulièrement la carrière qu’ils
ont embrassée, vous rendrez service à la science et à la société.
Je sais qu’il n’est pas impossible
d’acquérir des connaissances dans plusieurs branches de la science et d’y
arriver à un degré quelque peu éminent, mais j’ai la conviction profonde que,
pour arriver à ce résultat, il faut s’abstraire ; qu’il faut commencer par
posséder parfaitement une science avant d’en aborder une seconde ; je dis qu’il
faut s’abstraire beaucoup pour posséder une science. Or, cela est-il possible
pour des jeunes gens qui, quand ils se livrent à l’étude d’une science, doivent
en étudier beaucoup d’autres. Etrange contradiction ! Vous prêchez la division
du travail manuel et vous voulez la multiplicité du travail de l’intelligence.
Si l’utilité de la division est
vraie, quant au travail matériel, l’est-elle moins quant au travail
intellectuel ? On a reproché au jury la permanence, et on présente comme
une chose dangereuse que l’inconnu n’existait pas.
Je vais rencontrer ces deux
observations Quant à ce qui est de l’inconnu, dans l’état actuel de nos
matières, l’inconnu, dans son sens le plus absolu, serait une chose fâcheuse,
pernicieuse même ; un élève qui devrait se présenter à un examen ne saurait de
quel côté tourner la tête, il lui serait impossible d’arriver à des grades.
Sans doute il ne faut pas que les
élèves puissent arriver aux examens en consultant les cahiers des professeurs,
par là il n’y aurait pas d’inconnu, ce serait une véritable calamité, et l’on
ne pourrait espérer aucun progrès dans les sciences ; mais vouloir arriver à
l’inconnu d’une manière rigoureuse, ce serait, avec la multitude des matières
d’examen, un danger plus grand encore. Quant à la permanence, je ne suis pas de
ceux qui croient que ce soit un si grand mal. Ainsi que l’a dit hier mon
honorable ami 1e vicomte Vilain XIIII, la permanence des examinateurs existe
dans tous les pays qui nous avoisinent, sans qu’on en ait vu d’inconvénients
et, chez nous, elle existe pour l’école militaire et pour l’école des mines. Ne
sont-ce pas aussi des examinateurs permanents qui sont attachés aux
conservatoires de musique ? Où a-t-on trouvé que ce soit un si grand mal ? S’il
y avait à opter entre la permanence et la non-permanence des jurys, je me
prononcerais pour la permanence ; car il faut qu’il y ait des traditions dans
les examens.
Le jury du lendemain ne doit pas
faire le contraire du jury de la veille, les jugements du jury doivent pouvoir
être comparatifs, ce qui ne peut avoir lieu sans un élément de permanence qui
transmette les traditions.
Nous avons, dans le projet de la
section centrale, cherché à concilier les nécessites de la permanence et du
roulement. Sous ce rapport, le projet de la section centrale est inattaquable.
Le jury, tel qu’il est constitué en Belgique, est un corps régulateur de
l’enseignement ; placé au-dessus de toutes les universités,, il fait voir le
progrès de l’enseignement en Belgique. En serait-il de même si le gouvernement
en avait la nomination ? Non, messieurs, si le système qu’il propose était
admis, il aurait pour résultat la perte des études en Belgique.
On trouvera, peut-être cela
paradoxal, mais j’en appellerai aux précédents, et je pourrai démontrer que le
gouvernement a désorganisé toutes les branches d’instruction sur lesquelles il
a porté la main.
Messieurs, il y a quelques années, un
jury fut formé, dans l’intérêt des études humanitaires. Ce fut l’honorable M.
Rogier qui donna l’exemple de ce jury. Sans examiner la question
constitutionnelle, je dirai que les bases primitivement adoptées devaient avoir
pour résultat de stimuler considérablement le développement des études
humanitaires et de les améliorer. L’honorable M. Rogier avait pris pour bases
de son concours les matières les plus élevées de l’enseignement ; en second
lieu il n’avait exigé qu’un examen écrit.
Enfin, il, avait fixé l’époque des
examens à la fin des cours humanitaires. Eh bien, ces trois bases, qui étaient
les seules sur lesquelles le développement des études et la justice du concours
pouvaient reposer ont été successivement renversées. Le gouvernement a fait des
règlements pour favoriser tel établissement au préjudice de tel autre. Je
m’explique.
En 1841, quel fut le premier acte du
gouvernement ? Ce fut de proscrire de l’examen humanitaire les mathématiques
supérieures, c’est-à-dire, la géométrie analytique. Un seul établissement en
Belgique avait brillé au concours d’une manière tellement remarquable, que
l’honorable. M. Rogier avait cru devoir attacher lui-même en public le signe de
l’honneur sur la poitrine du professeur éminent qui avait conquis de si beaux
lauriers.
Un seul établissement avait répondu
aux vues du gouvernement et aux besoins de la science ; dans cet état de choses
; il y avait deux choses à faire : ou bien, exciter l’émulation des autres
établissements pour les pousser au niveau de celui qui venait de remporter de
si magnifiques succès, ou bien abaisser les études au niveau de la médiocrité.
Le croirait-on ? c’est à ce dernier système que M. le ministre a donné la
préférence. Il a commencé par retrancher du concours les mathématiques
supérieures ; par conséquent, il a abaissé les études, lui qui veut se donner
comme le protecteur des hautes études. Ce n’est pas tout ; au lieu de fixer le
concours après les études humanitaires, on l’a fixé au 19 juillet et, de proche
en proche, au mois de juin, quand il restait encore deux mois d’études
humanitaires. En 1842 c’est plus encore, on organise le tirage au sort des classes
qui devront concourir ; la rhétorique est le résumé de toutes les études
humanitaires ; par la rhétorique vous pouvez juger les établissements. C’est ce
qu’avait compris le prédécesseur de M. le ministre. Que fait-il ? Il institue
un tirage au sort, de manière à donner le grand prix du pays à des élèves de
septième, à poser la couronne sur de jeunes têtes dans lesquelles il n’est pas
nécessaire de jeter des idées d’ambition, tandis que cela sied très bien à un
élève qui a fini ses études. Car il est convenable qu’une noble ambition
fermente dans son cœur.
On tire donc au sort les classes qui
doivent concourir ; mais en retranchant la rhétorique, on va même plus loin, on
retranche les équations du 2ème degré et la géométrie des trois dimensions.
Voilà donc comment on procède, en abaissant les études élevées au niveau des
parties les plus infimes de l’enseignement secondaire. Au lieu de pousser les
études dans les hautes régions, on les abaisse dans les régions infimes. Et
vous viendrez dire ensuite que le gouvernement est le promoteur de la science,
qu’il faut lui confier le sort de notre avenir scientifique. Les faits que je
viens d’exposer sont en opposition avec cette prétention,
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je
répondrai.
M.
Dumortier. - J’aurai beaucoup de plaisir à entendre voire
réponse.
Mais le ministre ne s’arrête pas en
si beau chemin. A quelle époque indique-t-il les programmes du concours ?
Veuillez-le remarquer, il le fait paraître le 12 mai et par le même contexte il
fixe le concours au 27 juin, de sorte qu’on donne sept semaines aux élèves pour
se préparer sur des matières qui ne sont enseignées dans presque aucun athénée.
Vous croyez peut-être que le concours va porter sur les matières qu’il faut
connaître pour entrer à l’école militaire, soit pour passer les examens de
sciences et lettres, soit pour entrer à l’école du génie civil ou à l’école des
mines ? Pas du tout ; on demande, quoi ? on demande de faire un thème grec !
Mais les thèmes grecs ne s’enseignent dans presque aucun athénée ou collège,
non seulement de Belgique, mais d’aucun pays de l’Europe. Voilà comment on
arrange les choses.
La véritable science, la haute
littérature latine et française se trouvent bannies, pour être remplacées par
un thème grec, et on ne donne que six semaines aux élèves pour se préparer sur
une pareille matière ; la mesure était d’autant plus insolite que, si dans tous
les établissements l’on enseigne les versions grecques, non seulement on n’y
enseigne pas le thème, mais que même nulle part on n’y trouve de dictionnaire
français-grec. Et c’est le sort, le funeste sort qui vient designer de pareils
concours ; mais le sort s’est fait en partie lié ; nous savons comment il s’est
fait.
Quant aux mathématiques des branches
supérieures, on admet encore la trigonométrie, mais on dit qu’on n’admettra
plus à concourir que les élèves qui suivent en même temps la rhétorique.
Pourquoi en agissait-on ainsi, parce
qu’on savait que dans l’établissement qui avait remporté de si belles couronnes
la trigonométrie s’enseignait, non en rhétorique, mais en seconde et qu’on
voulait en éliminer les élèves. Le ministre ne l’ignorait pas ; car il avait
fait demander deux mois avant le programme des cours de l’établissement. Voila
pour l’impartialité. J’ai fait tout à l’heure la part de la science ; on vient
de voir celle de l’impartialité.
On a voulu écarter du concours un
établissement qu’un ministre de la guerre avait présenté comme modèle aux
autres, un établissement qui deux fois avait obtenu les plus brillants succès.
Après avoir, deux mois avant, on fait chercher le programme de l’établissement,
on a mis d’abord à l’écart du concours les hautes mathématiques ; puis, comme
on savait que la trigonométrie s’y enseignait en seconde, on a dit que, pour
concourir sur cette matière, il faudrait être en rhétorique. De cette manière,
le gouvernement a éliminé des établissements qui avaient été présentés pour
modèle aux autres.
Si on voulait le progrès des sciences,
on ne donnerait pas six semaines pour étudier des matières inconnues et dix
jours pour repasser des mathématiques. Vous jugez ce que peut avoir amené un
pareil système. Ou est arrivé à ses fins, à ce qu’on voulait faire. Ce n’est
pas tout, déjà l’honorable M. Devaux vous a entretenus de ces sujets de
composition éminemment ridicules, et, en quelque sorte, apocalyptiques, de ces
textes grecs et français remplis de fautes ; il vous a montré ce sujet de thème
où l’on représentait Crésus comme membre du conseil d’Etat de Cirus. Est-ce là
favoriser l’enseignement ? Est-ce là vouloir le progrès des sciences comme on
le proclame ? Que voulez-vous donc attendre du gouvernement, si vous lui
confiez à l’avenir l’enseignement quand vous avez devant vous des faits aussi
criants d’obscurantisme et de scandaleuse partialité.
Je viens de vous expliquer la marche
du gouvernement dans les opérations du jury relatif à l’enseignement
humanitaire. Voyons maintenant si le jury, en lui-même, nommé par le pouvoir,
nous offre les garanties d’impartialité que nous sommes en droit d’en attendre.
Voyons si, dans ses opérations, il ne mérite pas le reproche de partialité, ou
du moins de faiblesse ? Voyons si la partialité n’est pas souvent en jeu, sinon
pour le jury, au moins pour le ministre de l’intérieur.
En 1841, après que ce jury fut
dissous, que ses opérations furent complètement terminées, son procès-verbal
clos, qu’il fut functus officio, M. le ministre de l'intérieur se ravise tout à
coup et, foulant aux pieds les règles du concours qu’il avait institué, il se
constitue jury et, à son tour, donne les prix les plus importants. En l’absence
du jury, qui avait terminé toutes ses opérations, il constitue dans son cabinet
un concours supérieur, en opposition directe avec le programme qui avait été
publié précédemment ; car le programme de 1841 portait qu’un prix serait
décerné pour chaque branche d’instruction différente et établissait ainsi la
dissolution du concours.
A la fin du programme, je lis un
extrait d’un arrêté portant qu’un prix spécial sera décerné à chacune des trois
branches qui seront jugées séparément. Le programme établissait donc la
disjonction ; le jury avait jugé en conséquence. Les élèves qui croyaient et
qui étaient autorisés à croire à la disjonction avaient concouru sur des
branches spéciales. Que fait M. le ministre de l’intérieur ? Il forme un
nouveau programme, qui a pour résultat de donner le prix d’excellence à des
établissements qui n’avaient pas même de prix dans le premier concours. Quelle
garantie après cela aurions-nous, si nous remettions entre les mains du
gouvernement le sort, l’avenir de la jeunesse, en Belgique ? l’impartialité des
examens !
Mais le ministre ne s’arrête pas là ;
il institue un examen oral qui doit contrebalancer les effets de l’examen
écrit. Que fait-il à cet égard ? Il catégorise les élèves non par le sort, mais
à la main ; on divise les élèves par séries, de manière à pouvoir favoriser
ceux qu’il désire ; vous concevez combien la partialité peut jouer un grand
rôle, lorsque les établissements sont placés dans des catégories différentes ;
car on peut ne poser les mêmes questions aux diverses séries ; l’on sera
interrogé d’une manière plus facile dans une série et plus difficile dans une
autre. Dès lors il n’y a plus de garantie d’impartialité. Cette garantie que
l’honorable M. Rogier a voulu donner à l’enseignement humanitaire n’existe
plus, et pour comble d’iniquité, on compte pour 800 points le travail écrit,
pour lequel les élèves sont tenus en loge pendant 8 heures, et pour l’examen
oral, qui prête à tous les inconvénients possibles, qui n’est, comme l’a fort
bien dit un honorable préopinant, qu’une prime offerte à l’assurance, on compte
1,200 points ! Ainsi, on anéantit la base du système, pour livrer à
l’arbitraire le système tout entier.
Voilà, messieurs, des faits qui me
paraissent extrêmement significatifs. Aussi de Gand, de Tournai, de toutes
parts, il est arrivé des protestations contre ce système de désorganisation et
de partialité. Ces établissements ont protesté, et avec raison ; s’ils n’ont
pas publié leurs protestations, c’était pour donner au ministre de l’intérieur
le moyen de revenir sur sa décision, il n’en est pas revenu ; il a persisté
dans son système, qui consiste non pas à décerner les palmes, mais à les donner
à sa fantaisie.
Voilà quelle a été la marche du
gouvernement, depuis trois ans, dans l’enseignement humanitaire. Voilà ce que
les jurys des établissements secondaires et des collèges ont vu faire et ce qui
prouve combien les jurys nommés par le gouvernement offrent peu d’impartialité
; ils ont déploré ces misérables roueries et n’ont pas eu la force de protester
contre de tels actes.
En résumé, dans le système de
l’action unique du gouvernement, que trouvons-nous ? Abaissement des études par
la suppression des branches les plus essentielles ; bouleversement continuel
des matières de concours et ainsi de l’enseignement ; désorganisation des
études en publiant en avril et mai des programmes qui introduisent des matières
nouvelles, et nécessitent l’abandon de toutes les branches les plus
essentielles de l’enseignement ; désorganisation des études, par le choix de
l’époque des concours, en suspendant les études, deux mois avant la fin de
l’année scolaire ; désorganisation par le choix ridicule des questions, et par
les fautes plus ridicules encore ; d’un autre côté, découragement parmi les
professeurs qui trouvent, au lieu de la justice, la plus révoltante partialité,
qui au lieu de la palme à laquelle ils ont droit, viennent recevoir un affront
du ministre, le, succès ou le revers, l’humiliation, au lieu de la gloire.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
C’est faux.
M.
Dumortier. - C’est vrai.
Justifiez votre système, si vous
pouvez, et par-dessus cela, justifiez la violation des règles du concours,, la
substitution de l’examen oral à l’examen écrit, la distribution des grands prix
en l’absence du jury !
Messieurs, si nous en jugeons par les
précédents, nous devons nous faire une idée de ce que nous avons à attendre de
l’action du gouvernement, quand nous aurons fait de lui l’arbitre suprême de
l’enseignement supérieur.
Voulez-vous encore un exemple de
l’action du gouvernement ? Je le puiserai dans le concours universitaire. Le
gouvernement, non content d’avoir, par son système de concours, bouleversé,
l’enseignement humanitaire, a voulu ensuite établir le concours universitaire.
Remarque, messieurs, que le système
établi par M. le ministre de l’intérieur pour le concours universitaire est
précisément le même qu’il veut introduire pour les examens. (Dénégations de la part de M. le ministre de
l’intérieur.) C’est le même sans aucune différence.
Dans ces jurys, le gouvernement a
réduit le nombre des examinateurs de 7 à 5. C’est contraire à l’intérêt de la
science ; car 7 membres ne sont pas de trop pour représenter les diverses
branches de la science. Dans ce jury, comme dans le projet de loi, vous mettez
un membre de chaque université…
M.
le président. - J’engage l’honorable membre à
parler, soit à la chambre, soit au président.
M.
Dumortier. - Je parle à qui de droit.
M.
le président.
- Le règlement, qui est au-dessus de votre volonté et de la mienne,
prescrit à l’orateur de s’adresser à la chambre ou au président.
M.
Dumortier. - Eh bien, je parlerai au président !
Qu’a donc été, entre les mains du
gouvernement, ce jury de concours universitaire dont on a tant parle ? A-t-il
servi à faire marcher les études ? a-t-il été favorable au développement des
sciences, et des lettres ? Entre les mains du gouvernement, le jury du concours
universitaire a été réduit à n’être rien pour les études, à n’être qu’un
concours entre les professeurs.
Plusieurs membres. - Cela est vrai.
M.
Dumortier. - C’est une vérité que chacun sait aussi bien
que moi. Je l’ai entendu dire à plusieurs professeurs des universités libres et
de l’Etat. J’ai entendu dire à des professeurs : « C’est mon élève qui
remportera le prix ; c’est moi qui ferai son mémoire. » Ce jury n’a donc
été qu’un germe de discorde et de zizanie entre les établissements
d’instruction publique ; il n’a amené aucun avantage ; il a empêche les élèves
de se livrer à la carrière à laquelle ils se destinaient, en les conviant à des
travaux où ils étaient puissamment aidés par leurs professeurs.
Ce n’est pas tout. Qu’est-il arrivé
dans le concours universitaire ? Vous le savez comme moi, messieurs, c’est
qu’on a cherché à faire prévaloir un enseignement sur un autre. C’est un grief
immense qui plane sur le gouvernement, et que je ne veux pas faire revivre dans
la loi sur la collation des grades universitaires. Si le jury est institué pour
faire prévaloir un enseignement sur un autre, c’est une véritable calamité pour
le pays et nous ne pouvons nous prêter à ce qu’un tel système soit étendu à
tous les élèves. Oui, le jury a cherché à faire prévaloir un enseignement sur
un autre ; car, vous le savez comme moi, messieurs, il est tel mémoire couronné
qu’on n’a osé faire imprimer, qu’après l’avoir fait corriger. Or, quand on est
obligé de faire corriger ce qu’on a couronné, cela ne dénote-t-il pas une
partialité, une injustice révoltante ! Un tel système, je le répète, n’a qu’un
but, c’est de faire prévaloir un enseignement sur un autre, et, par conséquent,
de s’opposer au progrès des sciences, de détruire tout germe, toute apparence
d’impartialité.
Voilà, messieurs, ce qui arriverait
au pays si nous admettions le système du gouvernement, système qui pèche en ce
que les choix sont faits presque exclusivement dans les universités, choix qui
manquent de garantie, et en ce que les tierces-personnes étrangères à ces
universités n’y sont pas en assez grand nombre et ne peuvent pas s’interposer
dans ces querelles des établissements entre eux.
En effet, si l’on pouvait compter sur
un jury exclusivement de personnes étrangères aux universités, vous auriez là
une puissante garantie pour le développement de la science et un gage
d’impartialité, parce que ces personnes n’auraient pas un intérêt personnel,
direct à faire valoir, en ce qu’ils ne seraient pas préoccupés de faire venir
les élèves à leurs leçons.
Mais lorsque, dans un jury, ce sont
les professeurs qui prédominent, lorsqu’on voit le gouvernement lui- même
donner les mains la prédominance d’un enseignement sur un autre, je le demande,
où y a-t-il une garantie pour la science et la liberté ?
Messieurs, la liberté d’enseignement
est celle qui est la plus chère à tous les Belges. L’honorable préopinant a
dit, avec infiniment de raison, que la liberté d’enseignement était la plus
belle de toutes, que cette liberté était au père de famille ce qu’est la
liberté de la presse à la société tout entière. Nous ne pouvons donc consentir
à sacrifier cette liberté aux exigences du gouvernement.
Je dis qu’adopter le projet du
gouvernement, c’est tuer la liberté d’enseignement, car le jury universitaire,
c’est la clé de voûte de l’édifice élevé à cette liberté ; mettre cette clé de
voûte entre les mains du gouvernement, c’est lui donner la faculté de détruire
à son gré l’édifice tout entier.
Donnez au gouvernement le choix du
jury, ce ne sera pas un jury ; ce sera une commission gouvernementale ; on ne
sera jugé et condamné non par des juges, mais par des commissaires. Que
diriez-vous si le gouvernement venait vous demander de lui confier la formation
du jury de la presse ; je dis qu’il n’y aurait pas assez de rires en Belgique
pour accueillir une telle proposition.
Messieurs, voilà 8 ans que le jury
d’instruction existe, et c’est une chose digne de remarque, depuis huit ans
aucun reproche de partialité ne lui a été adressé. Je conviens qu’une
université n’a pas été suffisamment représentée, et à mon grand regret. Je l’ai
déploré, et je ne me suis pas toujours associé au vote de la majorité.
Mais l’établissement qui n’était pas
assez représenté a toujours trouve le jury impartial, je dirai même indulgent.
Prenez tous les chiffres de la statistique ; ils prouveront hautement la vérité
de ce que je viens de dire. Il sera établi par des faits que le nombre des
élèves rejetés de cette université est moins grand que celui de toutes les
autres.
Si l’établissement au nom duquel on
se plaint est celui qui a été le plus favorisé par le jury, c’est bien la
meilleure preuve d’impartialité.
Ainsi donc, messieurs, il est
démontré qu’aucun reproche de partialité ne peut être adressé jusqu’aujourd’hui
au jury ; et, remarquez-le bien, les examens sont publics ; la presse était là
pour signaler les abus, s il y en avait eu, et elle n’aurait pas manque de le
faire, et les élèves eux-mêmes se seraient empressés de réclamer contre les
décisions du jury, et ces réclamations, nous sommes encore à les attendre.
On veut, messieurs, transformer les
choses ; on veut mettre le jury entre les mains du gouvernement. Je dis que le
jury entre les mains du gouvernement ne présentera pas assez d’indépendance,
qu’il n’offrira aucune garantie d’impartialité.
Que deviendra le jury entre les mains
du pouvoir ? Il deviendra d’abord un moyen pour frapper les élèves qui
montreront trop d’indépendance, qui ne lui seront pas assez asservis.
Voulez-vous des précédents ? Rappelez-vous ce qui s’est passé sous le
gouvernement des Pays-Bas ; alors on a vu un homme dont le talent brille
aujourd’hui au barreau de la capitale, rejeté pour le fait de ses opinions pour
les doctrines politiques. C’est qu’alors les universités étaient sous la férule
du gouvernement ; pareille chose ne pourrait plus arriver aujourd’hui, à moins
qu’on ne donne au pouvoir la nomination du jury.
D’un autre côte, messieurs, dans le
système du gouvernement, que devient la liberté d’enseignement ? Que deviennent
les études privées ? Ouvrez encore la statistique des élèves qui se sont
présentés devant le jury d’examen ; vous verrez qu’environ un cinquième de ces
élèves ont fait des études privées. Or, dans le système du gouvernement, ces
études ne sont plus représentées, et dès lors il y a monopole au profit des
établissements d’instruction publique.
Messieurs, la liberté d’enseignement
ne signifie pas seulement qu’il est loisible à chacun d’ouvrir une université,
elle signifie avant tout qu’il y a liberté pour le père de famille, qu’il peut
faire étudier son fils comme il l’entend ; qu’il peut l’envoyer à telle
université qui lui convient, qu’il peut l’envoyer à l’étranger, l’instruire par
des maîtres particuliers, lui faire donner en un mot, telle instruction qu’il
désire. Voilà la véritable base de la liberté d’instruction, telle qu’elle est
écrite dans notre pacte fondamental.
Eh bien, par le système que présente
le gouvernement, par le système des commissions, le gouvernement nomme, pour
examiner les élèves, des commissions prises exclusivement dans les universités.
Je dis que de cette manière les études privées, que la partie la plus
respectable de l’instruction supérieure, sont mises à néant, qu’elles sont
frappées de mort.
D’un autre côté, on ne peut
méconnaître que le gouvernement agira toujours dans l’intérêt de ses propres
établissements. Le gouvernement a une affection particulière pour les
universités de l’Etat ; et cela se conçoit : ce sont ses administrateurs qui
dirigent les universités ; les professeurs sont nommés par lui ; les faveurs
c’est lui qui les accorde ; les traitements, c’est lui qui les paie. Dès lors,
il est assez naturel que les professeurs soient à son bon vouloir ; et il va de
soi que, dans un pareil état de choses, un ministre puisse faire prévaloir ses
établissements.
Le gouvernement agira donc beaucoup
trop en faveur des universités de l’Etat. En voulez-vous une preuve ?
rappelez-vous ce qui s’est fait en d’autres matières, et vous verrez ce qu’il y
a à attendre pour les établissements libres, si vous accordez au gouvernement
les pouvoirs qu’il demande.
Il existe en Belgique un jury
différent de ceux que je viens de nommer, c’est un jury pour l’art vétérinaire.
Il y a quelques années, il y avait deux écoles vétérinaires, l’une à Bruxelles,
l’autre à Liége. Pour conférer les grades, pour donner le droit d’exercer l’art
vétérinaire, le gouvernement a nommé, sans loi et en violation de la
constitution, un jury d’examen. Et comment a-t-il formé ce jury ? ici,
messieurs, j’appelle toute votre attention, cet exemple du passé va encore vous
éclairer sur l’avenir. Le gouvernement a presque toujours nommé les
examinateurs exclusivement dans les professeurs de l’école qui lui appartenait
; et c’est à peine si quelquefois un élève de l’école de Liége a pu être admis
devant ce jury. Aussi, qu’est-il arrivé ? C’est que l’école de Liége est
bientôt tombée, parce que le gouvernement voulait le monopole, et qu’il y est
parvenu.
Voilà, messieurs, ce que nous devons
attendre du gouvernement en matière de jury ; c’est de le voir faire tomber les
écoles libres, en faveur de ses propres écoles.
On invoque, messieurs, la
responsabilité des actes du gouvernement. Mais cette responsabilité, il faut la
réduire à ce qu’elle est. Messieurs, la responsabilité ministérielle est écrite
dans notre loi fondamentale, mais jusqu’ici nous n’avons vu dans cet article
qu’une lettre morte ; et en réalité la responsabilité, n’étant pas organisée
par la loi, est une véritable chimère. Je sais qu’on me dira que les chambres
sont investies de tout pouvoir jusqu’à ce que cette loi soit votée. Mais c’est
précisément parce que les chambres sont investies de tout pouvoir, c’est parce
que les cas de responsabilité ne sont pas déterminés, c’est parce que nous
n’avons pas, comme en Suède, une loi qui punisse d’amende les ministres qui
s’écartent de la légalité, que la responsabilité est une véritable chimère.
C’est, passez-moi l’expression, un pont-aux-ânes parlementaire, c’est un moyen
de faire passer beaucoup de choses et de jeter de la poudrer aux yeux des
simples.
La responsabilité ministérielle chez
nous n’est qu’un vain mot. En voulez-vous des preuves ? Prenez les faits
que je viens de vous signaler. Vous avez vu les actes du gouvernement dans la
formation du jury vétérinaire, actes qui ont eu pour effet de faire tomber une
école. A-t-on adressé des reproches au gouvernement ? L’a-t-on mis en
accusation ? Vous avez vu ses actes dans l’enseignement secondaire, actes qui
ont eu pour résultat de désorganiser les études, d’anéantir l’étude des hautes
sciences en Belgique. Car le gouvernement, en supprimant les examens sur ces
hautes études, a engagé par là les établissements d’instruction à ne plus s’en
occuper. Avez-vous mis pour cela le ministère en accusation ? Il en sera de
même lorsque vous aurez autorisé le gouvernement à composer le jury
universitaire comme il l’entendra.
Je dis que la responsabilité
ministérielle, invoquée en présence de pareils faits, invoquée en présence
d’une pareille loi, n’est autre chose qu’une chimère. Il ne faut pas s’y
méprendre ; lorsque le gouvernement voudra faire tomber un établissement, s’il
est armé d’un pareil droit, il aura bientôt fait, il s’y prendra comme pour
l’école vétérinaire de Liége.
Messieurs, en 1835, lorsque nous
fûmes appelés à nous prononcer sur la loi qui nous régit, on représentait la
chambre comme incapable de former un jury, comme incapable de faire de bons
choix. Et cependant, qu’est-il arrivé ? C’est que tous les bons choix, c’est
que toutes les sommités qui ont figuré dans le jury, à l’exception de
quelques-uns peut-être, sont partis de l’initiative des chambres. Tous les
hommes haut placés dans la science, soit dans la carrière universitaire, soit
en dehors de la carrière universitaire, tous les hommes éminents qui se sont
fait connaître par des écrits, qui se sont fait un nom non seulement en
Belgique, mais encore à l’étranger, doivent leur nomination dans le jury à
l’initiative des chambres. Je ne citerai pas des noms, parce que je n’aime pas
à nommer les personnes, mais je puis vous prouver à l’évidence que tous les
grands noms qui sont entrés dans le jury sont dus à l’initiative parlementaire.
Et pourquoi en a-t-il été ainsi ?
C’est que dans les chambres, une médiocrité ne pourrait l’emporter ; c’est
qu’il faut qu’un homme soit connu du pays tout entier, pour obtenir les votes
des députés de la nation. Les chambres doivent choisir les sommités de la
science parce que nous devons atteindre, par la grandeur du jury, l’élévation
des études.
Dans le système qui nous régit
aujourd’hui, messieurs, ce que j’ai toujours trouvé de plus important, c’est le
gage d’impartialité. J’irai même plus loin, je dirai que l’impartialité est la
première de toutes les garanties, non seulement pour les élèves, mais encore
pour la science ; car à quoi sert la science, si vous avez un jury partial qui
écarte les personnes qui la possèdent ?
L’impartialité est donc la première
chose à obtenir. Or, il est incontestable que le jury actuel n’a pu être accusé
de partialité ; les membres qui soutiennent le projet du gouvernement ont été
d’accord pour dire qu’on ne pouvait taxer de partialité les décisions du jury.
Pour arriver à l’impartialité, que
faut-il faire ? Là est sans doute la difficulté de la situation. Eh bien, à mes
yeux, il n’est aucun gage d’impartialité qui puisse être comparable à celui de
la triple intervention actuelle par les trois branches du pouvoir législatif.
C’est cette triple intervention qui assure l’impartialité du jury, parce que,
par son moyen, il est impossible que la formation du jury soit le résultat d’un
fait de colère. Il est impossible que la chambre, le sénat et le gouvernement
s’entendent entre eux pour composer un jury partial ou violent ; s’il pouvait
en être ainsi, il faudrait désespérer de l’avenir des études, de l’avenir de la
patrie.
Mais voyons comment les choses se
passent. Les trois pouvoirs font leurs nominations à distance ; dès lors, si la
chambre s’est montrée dans ses choix trop favorable à quelque établissement, le
sénat, le gouvernement peuvent rétablir l’équilibre, et c’est ce qui est
toujours arrivé. Examinons donc le jury dans son ensemble, et nous devrons
convenir que, formé ainsi au moyen de la triple intervention, il a donné au
pays tous les gages d’impartialité. Jamais un jury nommé par une seule
personne, en un seul jour, ne pourra offrir les mêmes garanties. Un jury ainsi
nommé peut être le résultat d’un fait de colère ; ce sera tantôt une
université, tantôt une autre qu’on pourra ainsi renverser. Je vous prie donc,
messieurs, de bien vous pénétrer de cette pensée ; c’est que les plus grandes
garanties d’impartialité se résument dans cette triple intervention, et
qu’ailleurs vous ne pouvez les trouver.
Messieurs, tout en admettant que le
système de la triple intervention des trois branches du pouvoir législatif dans
la formation du jury, est celui qui peut offrir le plus de certitude d’impartialité,
j’ai toujours désiré que l’on pût donner à l’opinion qui croit avoir droit de
se plaindre, toutes les garanties possibles, et je vous le déclare, j’ai donné
le plus grand soin à l’examen de la loi actuelle ; j’ai recherché avec la plus
sérieuse attention les moyens de donner aussi satisfaction à cette opinion. Eh
bien, messieurs y sommes-nous parvenus ? Je crois que oui. En limitant le
nombre des examinateurs qui peuvent être pris dans chaque université, en
défendant qu’aucune université puisse avoir plus de deux examinateurs sur sept,
nous avons donné à toutes les opinions les plus grandes garanties pour
l’avenir.
D’un autre côté, nous admettons aussi
un système de roulement mais nous admettons ce système avec cette restriction
exigée par la prudence, qu’il restera toujours dans chaque jury un certain
nombre d’anciens membres pour transmettre les traditions de manière à ce que
l’on puisse donner des grades comparatifs.
De plus, au moyen du tirage au
sort, nous sommes arrivés jusqu’à permettre ce que désire tant M. le ministre
de l’intérieur, l’inconnu dans les matières de l’examen. A mon avis, sous ce
rapport, on a été trop loin ; aussi longtemps que les matières de l’examen ne
seront pas moins nombreuses, cette disposition empêchera l’admission de beaucoup
d’élèves. Du reste, nous pouvons adopter la mesure, puisqu’il devra
incessamment nous être soumis une loi qui nous fournira l’occasion de réviser
ces matières et de faire ainsi droit non seulement aux plaintes des élèves,
mais aussi à celles des corps enseignants eux-mêmes.
Mais, dit-on, en laissant aux
chambres le droit de nommer les membres du jury d’examen, on dénature le
pouvoir législatif. Voilà, messieurs, une objection entièrement nouvelle, à mes
yeux ; ainsi le pouvoir législatif ne serait plus investi que du droit de faire
des lois
Mais c’est là combattre la
constitution tout entière. Lisez la constitution, messieurs, vous y verrez à
chaque page que le congrès n’a pas voulu restreindre la représentation
nationale à d’aussi mesquines proportions, qu’il lui a donné une action
quotidienne sur le gouvernement, sur la gestion tout entière des affaires du
pays. Qui est-ce, par exemple, qui nomme les membres de la cour des comptes ?
N’est-ce point la chambre des représentants, et dira-t-on qu’elle fait là un
acte politique ? Qui est-ce qui présente les membres de la cour de cassation ?
N’est-ce point le sénat ? et dira-t-on que le sénat fait des choix politiques ?
Qui est-ce qui présente les candidats pour les cours d’appel ? Ne sont-ce pas
les conseils provinciaux, et ces corps font-ils là des nominations politiques ?
Enfin qui est-ce qui confère la naturalisation ? N’est-ce pas encore le pouvoir
législatif ? La constitution a donc attribué aux chambres d’autres droits que
celui de concourir à la confection des lois ; elle leur a donné une action, une
grande, une action incessante sur toute l’administration du pays.
Devons-nous chercher, nous qui sommes
les représentants de la nation, devons-nous chercher à amoindrir les
prérogatives parlementaires ? Habitants passagers de ce noble édifice, nous
devons transmettre les prérogatives parlementaires à nos successeurs, telles
que nous les avons reçues de ceux qui nous ont précédés. Il ne nous est point
permis de porter atteinte aux libertés du peuple, à la dignité de la
représentation nationale. Nous devons maintenir intactes la constitution et les
prérogatives parlementaires, qui ne sont pas déjà trop grandes. Y porter
atteinte, serait manquer à notre devoir, et ce ne serait certes pas travailler
au progrès des sciences ni au progrès de la liberté. (Très bien, très bien).
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Je dois reconnaître que l’honorable préopinant a un merveilleux talent pour
dénaturer les faits. (Interruption.)
La responsabilité ministérielle n’est rien selon lui, et cependant, pour
prouver qu’elle est quelque chose, il suffira de citer l’acte d’accusation
qu’il vient de dresser contre moi. (Nouvelle
interruption.) La responsabilité ministérielle est avant tout une
responsabilité morale, et certes l’honorable préopinant vient de l’exercer
assez largement.
« N’augmentez pas, dit-il
l’intervention du gouvernement dans l’instruction publique, car tout ce qu’il a
touché, il l’a gâté. » Je dois avouer encore que l’honorable préopinant a
procédé avec une certaine adresse en me séparant, en ce qui concerne le
concours de l’enseignement moyen, en me séparant de mon honorable prédécesseur.
Il a trouvé bien fait ce qu’avait
tenté mon honorable prédécesseur quant à l’instruction moyenne ; il a trouvé
très mal fait ce que moi j’ai essayé depuis ; vous avez, dit-il, faussé le
concours de l’instruction moyenne. Je vous dirai, messieurs, le secret de toute
cette accusation. L’honorable M. Rogier, en 1840, improvisant en quelque sorte
le concours de l’instruction moyenne, a appelé au concours la rhétorique, et
selon moi, il a très bien fait ; le temps lui manquait pour établir le concours
sur une autre base ; mais faut-il, messieurs, en conclure que chaque année il
faille invariablement appeler la rhétorique au concours de l’instruction
moyenne ? C’est là une question très controversée.
Quant à moi, je suis d’avis qu’il ne
faut pas, chaque année, appeler invariablement la rhétorique au concours ; c
est mon opinion, et elle est partagée par la grande majorité, je dirai
l’unanimité des professeurs, en exceptant les professeurs de rhétorique. (On rit.)
Je dis, messieurs, que pour que le
concours de l’instruction moyenne soit un véritable concours, il faut d’abord
que les élèves des divers établissements restent le plus longtemps possible
devant l’inconnu, qu’ils ne sachent pas trop longtemps à l’avance que telle
classe sera nécessairement appelée.
Je dis qu’il faut, en second lieu,
pour cette raison même, que ce ne soit pas nécessairement invariablement la
même classe et la classe la plus élevée. Est-il vrai, comme le dit l’honorable
préopinant, que la rhétorique soit en quelque sorte le résumé de tout
l’enseignement moyen, et que pour juger de la bonté d’un établissement, il
suffit d’examiner la classe de rhétorique ? Mais rien, messieurs, n’est moins
fondé que cette assertion ; il faut, qu’il me soit permis de le dire, être
complètement étranger à l’enseignement moyen pour trouver la seule règle
d’appréciation de l’enseignement dans la rhétorique.
Mon honorable prédécesseur,
improvisant en quelque sorte le concours de l’enseignement moyen (et je le prie
de croire qu’en me servant de ses expressions mon intention n’est nullement de
le blesser), mon honorable prédécesseur a appelé au concours la rhétorique.
C’était en 1840. Il n’a appelé que les établissements subventionnés par l’Etat.
(Interruption.) Mon intention,
messieurs, n’est pas d’entrer dans tous les détails, je veux seulement vous
indiquer quelques traits généraux pour vous montrer ce que le concours de
l’enseignement moyen est devenu entre mes mains.
En 1841, j’ai appelé au concours non
seulement les établissements subventionnés, pour lesquels le concours continue
à être obligatoire, mais j’ai déclaré le concours facultatif pour les
établissements libres. Cette année encore, j’ai désigné la rhétorique. Cette
désignation a été l’objet de beaucoup de réclamations ; c’est cette désignation
ainsi renouvelée qui a jeté le découragement dans les établissements
d’instruction moyenne. (Interruption.)
Vous vous êtes servi du mot de découragement ; eh bien, cette désignation
uniforme de la classe supérieure a jeté le découragement parmi les professeurs
des cours autres que la rhétorique. On est venu me dire : Notre cours n’est-il
donc rien ?...
M.
Dumortier. - C’est l’intérêt des professeurs, mais ce
n’est pas celui de la science.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Je prouverai que c’est l’intérêt de la science, et je montrerai de plus tout à
l’heure quel est l’intérêt spécial, local, que vous avez en vue.
J’avais donc, en 1841, appelé la
rhétorique, comme l’avait fait en 1840 l’honorable M. Rogier ; cette
désignation longtemps présumée d’avance et considérée comme devant se reproduire
indéfiniment à l’avenir, cette désignation a jeté le découragement non
seulement parmi les professeurs, mais aussi et surtout parmi les élèves de tous
les autres cours.
En 1842, voici ce que j’ai fait :
J’ai déclaré qu’on tirerait au sort la classe qui serait appelée au concours ;
la classe a été tirée au sort et le sort a désigné une classe inférieure. En
1843, un autre essai a été fait ; on a trouvé que c’était trop s’en remettre au
sort ; et l’on a décidé que deux des sept classes formant l’enseignement moyen
seraient annuellement appelées au concours, que le sort désignerait l’une, et
le gouvernement l’autre. D’abord on fait le tirage au sort et si le sort
désigne une classe inférieure, par exemple, le ministre désigne une des classes
supérieures, et vice-versa. C’est là, messieurs, le dernier état du concours de
l’enseignement moyen, c’est ainsi que le concours a été fait en 1843 et
maintenu en 1844 ; j’ose dire que cette combinaison du sort et de la
désignation ministérielle a été généralement approuvée.
M.
Donny. - C’est vrai.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Ainsi, messieurs, à quoi se réduit l’accusation de l’honorable préopinant,
quant au concours d’enseignement moyen et aux différents essais qui ont été
faits ?
En accordant à mon honorable
prédécesseur des éloges pour lesquels je me joins à lui, il prétend qu’il
aurait fallu invariablement désigner la rhétorique comme classe appelée au
concours. Je dis, au contraire, que c’eût été fausser complètement le concours,
il eût valu autant y renoncer.
En me résumant, messieurs, sur ce
premier chef d’accusation, je crois qu’il ne faut pas invariablement appeler au
concours de l’enseignement moyen une seule classe, la classe de rhétorique
connue d’avance ; je dis que cela conduirait à la plus fausse appréciation des
établissements.
A mes yeux, un établissement
d’instruction moyenne ne consiste pas seulement dans la classe de rhétorique,
il consiste dans l’ensemble des classes. Pour qu’un établissement soit bon il
ne faut pas seulement pouvoir dire qu’il possède un bon professeur de
rhétorique qui met peut-être en serre chaude quelques élèves doués de facultés
particulières, mais il faut pouvoir dire que cet établissement offre la réunion
de cours bien donnés, à partir de la septième jusqu’à la rhétorique.
Un membre. - C’est juste.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
C’est d’après ce principe que j’ai fait successivement des essais, et je
regarde, jusqu’à preuve du contraire, le dernier essai comme assez heureux, je
veux parler de celui qui combine le sort avec la désignation ministérielle.
Maintenant, messieurs, voulez-vous
savoir quel est le motif des grands regrets de l’honorable préopinant ?
Il existe dans une ville du pays un
athénée, très remarquable, d’ailleurs, près duquel se trouve instituée, par
exception, une faculté de philosophie et lettres.
Dans cette faculté, on donne des
cours qui n’appartiennent pas à l’enseignement moyen, à moins qu’on ne
soutienne que les branches d’enseignement d’une faculté de philosophie et
lettres, font partie de l’instruction moyenne.
Auriez-vous un véritable concours de
l’enseignement moyen, si vous appeliez à y participer des cours qui rentrent
dans le cercle des études d’une faculté de philosophie et lettres ? Non,
messieurs ; aussi, je n’appelle plus au concours les hautes mathématiques parce
que cette branche d’enseignement appartient à la faculté de philosophie et
lettres, et s’il existe dans le pays un établissement d’instruction moyenne qui
possède une semblable faculté, je l’en félicite, mais de cette exception je ne
puis faire dériver le droit de fausser l’enseignement moyen au profit de
l’établissement privilégié et de déclarer qu’à l’avenir les études de la
faculté de philosophie et lettres doivent rentrer dans l’enseignement moyen.
M.
Dumortier. - Je proteste contre la pensée que vous me
prêtez.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
J’énonce des faits.
Je dis, messieurs, que c’est là le
véritable motif pour lequel les hautes mathématiques n’ont plus été appelées au
concours.
Les langues anciennes ont été
appelées au concours. Je voudrais bien savoir si les langues anciennes ont
cessé de faire partie de l’enseignement moyen. Est-ce que le grec ne fait pas
partie de l’enseignement moyen ? Ne doit-il plus être appelé au concours de
l’enseignement moyen ? Autant vaudrait déclarer que le grec sera banni de
l’enseignement moyen ce que, pour ma part, je ne ferai pas. L’honorable
préopinant a beaucoup parlé de science ; je regarderais cette idée, de bannir
le grec de l’enseignement moyen, comme une idée très anti-scientifique.
Je maintiens donc l’enseignement
moyen dans la sphère qui lui est assignée, c’est-à-dire que toutes les branches
qui constituent véritablement l’enseignement moyen, doivent avoir des chances
égales à être appelées au concours. Je ne concentre pas le concours de
l’enseignement moyen dans la seule classe de rhétorique, invariablement
désignée à l’avance. J’admets au concours, soit par la désignation du sort,
soit par la désignation ministérielle, les différentes matières qui font partie
de l’enseignement moyen ; je ne puis y admettre les objets qui sortent du
cercle de l’enseignement moyen.
Passons maintenant au deuxième chef
d’accusation. Vous avez été malheureux, m’a-t-on dit, dans l’institution du
concours universitaire.
Le concours universitaire est une
institution dont la légalité est incontestable, l’institution est autorisée par
l’art. 32 de la loi du 27 septembre 1835.
Le jury que vous avez institué, a dit
l’honorable préopinant, est précisément le jury que vous voulez instituer pour
les examens universitaires.
C’est là une erreur ; d’après le
projet de loi, c’est le gouvernement qui nommerait les cinq membres de chaque
jury, en prenant un membre dans chaque université et en consultant seulement
les chefs des établissements ; c’est bien là le projet de toi ; eh bien, je
vais vous dire quel est le jury du concours universitaire.
Le jury du concours universitaire a
beaucoup d’analogie avec le jury tel que le veut instituer l’honorable M.
Delehaye. Voici comment les choses se passent : des questions destinées à être
mises au concours sont envoyées par chaque faculté au ministre de l’intérieur ;
le ministre de l’intérieur réunit chez lui les quatre recteurs ; on fait un
triage des questions, et le sort désigne celles qui doivent être traitées dans
chaque faculté : Remarquez l’analogie qui existe entre cette combinaison et
celle que propose l’honorable M. Delehaye ; l’honorable membre groupe par jury
les sciences qui doivent être représentées, un tirage au sort se fait, et à
chaque université se trouve assignée la matière que l’université est appelée à
représenter. De même ici, les questions sont tirées au sort, on sait donc que
telle question sera traitée ; si un mémoire en réponse à la question est
adressée au ministre de l’intérieur, le ministre de l’intérieur le fait savoir
aux universités, et chaque université envoie au jury celui de ses professeurs
qui, par sa spécialité, est le plus capable d’apprécier le mémoire. Je
m’explique d’une manière plus claire encore : Je suppose une question de chimie
: le ministre de l’intérieur reçoit des mémoires en réponse à la question de
chimie, il en informe chacune des universités, qui envoie au jury un professeur
en état de juger des questions de chimie. Nous avons donc exactement le jury
tel que le propose l’honorable M. Delehaye. Voici comment est conçu l’art. 17
de l’arrêté royal du 13 octobre 1841 :
« Art. 17. Les mémoires et la
défense publique sont jugés par autant de jurys qu’il y a de facultés prenant
part au concours.
« Les jurés sont désignés, ainsi
qu’il suit :
« Chaque université désigne un
juré par faculté ; le gouvernement en désigne un en dehors du corps enseignant
des universités. »
Le jury du concours universitaire est
le même que celui que désire l’honorable M. Delehaye pour les examens
universitaires, mais ce n’est pas le jury que je propose. Vous voyez donc,
messieurs, que l’honorable préopinant est complètement dans l’erreur, quand il
soutient que les deux institutions seraient les mêmes.
Et ici je dois exprimer la peine que
j’ai éprouvée, lorsque j’ai vu l’honorable préopinant jeter du blâme sur le
concours universitaire. D’après lui, le concours universitaire a abaissé les
hautes études, ce ne serait qu’un concours entre les professeurs.
Je dis, messieurs, que jamais on n’a
pris plus de précautions pour instituer un concours ; je vais le démontrer en
peu de mots. (Exclamations.) Je
regrette de devoir m’éloigner encore de la question, il le faut bien, puisque
je dois justifier des précédents qu’on a invoqués pour établir en quelque sorte
l’incapacité du gouvernement en matière d’enseignement.
Le concours universitaire, dit-on,
n’est, au fond, qu’un concours entre les professeurs qui font les mémoires ; on
sait même à l’avance que tel professeur se propose de faire couronner tel
élève.
Voyons quelles sont les épreuves
qu’on exige. La question est tirée au sort. Il y est répondu par l’élève.
J’avoue que, comme tout autre auteur, l’élève peut ne pas consulter seulement
des ouvrages, mais qu’il peut consulter aussi n’importe quel savant, sans
excepter son professeur ; vous ne pouvez pas éviter cela. Mais les épreuves
ultérieures auxquelles le concurrent est soumis, sont les suivantes :
L’élève doit soutenir publiquement
son mémoire, c’est-à-dire qu’il doit être tellement maître de son sujet, qu’il
puisse défendre publiquement toutes les propositions qui se trouvent dans son
mémoire écrit. Il faut donc qu’il ait fait lui-même le travail, ou qu’il se le
soit tellement approprié, qu’il se soit tellement identifié avec son sujet,
qu’il soit en état de le traiter, comme s’il avait fait le mémoire, N’est-ce
rien ? C’est exiger de lui ce qu’on n’exige pas d’un auteur : quiconque a envie
d’écrire, peut consulter les auteurs morts ou vivants, et faire un ouvrage.
Mais ici on va plus loin : il faut que l’auteur du mémoire le défende
publiquement. Ce n’est pas tout : avant cette défense publique, une question
est tirée au sort ; l’élève est mis en loge ; là, abandonné à lui-même, il doit
traiter ce nouveau sujet. Voilà certes une garantie extrêmement forte. Cette
garantie précède l’épreuve de la défense orale du mémoire.
Je dis qu’il faut renoncer à tout
concours universitaire, ou qu’il est impossible d’entourer un concours de plus
de garanties. Cependant, comme nous n’avons pas la prétention de réussir en
tout, et surtout de prime abord, nous avons ajouté une nouvelle précaution. On
nous a fait cette objection-ci : « Est-il bien vrai que l’élève subisse
une grande épreuve, en défendant publiquement son mémoire écrit ; mais personne
n’est en état de l’interroger ; ce mémoire n’est pas imprimé, il n’est connu
que des cinq membres du jury. » Eh bien, d’après une disposition prise l’année
derrière, l’élève qui traite une des questions mises au concours, est tenu de
faire suivre son mémoire d’un certain nombre de propositions sur lesquelles
repose sa réponse. Ces propositions, qui forment en quelque sorte l’analyse du
mémoire, seront imprimées, et envoyées aux universités ; elles pourront même
être publiées dans le Moniteur ; de
manière qu’il y aura un public en état d’interroger l’élève sur le mémoire
écrit qu’il aura envoyé au concours.
Je le répète, il faut recourir à tout
concours universitaire, ou déclarer qu’il est impossible d’entourer le concours
de plus de garanties. Les cinq membres du jury qui ont examiné le mémoire,
pourront forcer l’auteur à le défendre publiquement ; ses condisciples et
d’autres professeurs pourront aussi venir l’interroger, puisqu’une liste des
propositions que contient le mémoire sera imprimée, et même si l’on veut
affichée.
Un autre reproche de l’honorable
préopinant, que je ne dois pas laisser inaperçu, est celui-ci : il est connu
qu’un de ces mémoires a dû être entièrement refait. Il est arrivé là ce qui
arrive souvent pour les mémoires couronnés ; les auteurs ayant rapidement
travaillé refont ensuite leur travail. Après avoir remporte un prix, ils
demandent à revoir leur mémoire avant qu’on l’imprime ; mécontents alors de
leur premier travail, ils désirent qu’il ne soit imprimé qu’avec les
changements qu’ils ont cru devoir y faire, avec les développements qu’ils ont
cru devoir donner à certaines parties.
Une voix. - Cela ne doit pas être.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Il est arrivé là ce qui arrive dans toutes les académies. L’élève dont on veut
parler a envoyé son mémoire. Ce mémoire, après avoir été couronné, lui a été
rendu pour qu’il pût le revoir. Quand le travail refait m’a été restitué, j’ai
dit à l’élève : Votre premier mémoire peut seul être inséré dans les annales
des universités ; si vous aimez mieux qu’on imprime votre travail refait, ce
sera l’objet d’une publication spéciale.
Quelque jugement qu’on puisse porter
sur ce mémoire, il est de fait qu’il dénote une intelligence très remarquable
de la part de son auteur, et j’engage l’honorable préopinant à lire ce mémoire.
Toutefois on n’a eu l’intention de ne tromper personne ; car il est dit en tête
de la publication que c’est un travail refait. Quand on avoue une chose aussi
franchement, on doit rendre justice à la bonne foi de celui qui a autorisé la
publication et de l’élève qui reconnaît qu’il a refait son travail.
Une voix. - Il n’a pas osé publier son
premier travail.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
On dit à côté de moi : Il n’a pas osé publier son premier travail ; je l’ignore
; mais encore il y aurait là quelque chose d’honorable, si, en revoyant son
travail, il avait trouvé qu’il avait avancé des choses trop hardies et les
avait atténuées.
Il ne faudrait pas voir là un acte
d’accusation, il faudrait au contraire savoir gré au lauréat d’avoir bien voulu
renoncer à publier des choses qu’on aurait pu trouver trop hardies.
Enfin, messieurs, le troisième
précédent qu’on a critiqué, c’est celui du jury vétérinaire qu’on prétend avoir
été institué de manière à faire tomber l’école libre de Liége. Ce fait m’est
inconnu, il faut qu’il se soit passé sous l’administration de M. Rogier ou
plutôt de M. de Theux. Je ne sais comment on s’y est pris. Tout ce que je sais,
c’est qu’elle est morte d’elle-même et que mon honorable prédécesseur n’a pas
composé un jury exprès pour tuer cette école libre.
L’honorable M. de Theux a prouvé par
les trois choix qu’il a faits, pendant cinq ans, des membres du jury
universitaire, qu’il entrait dans ses intentions de laisser vivre tous ceux qui
ont le droit de vivre. Par conséquent il aurait laissé vivre l’école vétérinaire
de Liège, si elle se fût trouvée vivante ou viable.
Ainsi, si cette école n’existe plus,
c’est qu’elle est morte d’elle-même.
Vous voyez à quoi se réduisent les
faits que l’honorable préopinant a allégués non pas contre moi précisément,
mais contre le gouvernement, dans l’intention de prouver l’incapacité, ou, si
l’on veut, d’établir l’incompétence du gouvernement en matière d’instruction
publique.
L’honorable membre attache une grande
importance à la question de la révision des matières, c’est-à-dire à la
réduction des matières. Je crois que cette question a besoin d’être examinée de
très près et très mûrement. Deux opinions se sont trouvées en présence quand on
a, en 1835, organise le haut enseignement. On s’est demandé s’il ne fallait pas
créer des écoles spéciales d’où serait banni tout luxe scientifique, les
superfluités telles que le grec, le droit romain, pour ne former que des
praticiens (interruption), ce qu’on
appelle autrement des spécialités (il paraît que le mot praticien ne plaît pas
; ces spécialités ne seront au fond que des praticiens), ou bien, s’il fallait
avoir de grands établissements scientifiques, où l’on ne forme pas seulement
des spécialités, mais où l’on rend un culte à la science, où l’on forme des
hommes de sciences.
Voilà les deux opinions qui se sont
trouvées en présence. La chambre fort heureusement a donné la préférence à la
dernière opinion ; elle a voulu de grands établissements scientifiques. Je
crois que si on n’avait pas établi sur de si grandes bases nos universités, la
civilisation du pays aurait eu à en souffrir. Il eût été facile alors de créer
des universités libres autant qu’on aurait voulu. Tel établissement même qui se
résigne modestement à n’être qu’un athénée aurait pu monter d’un cran et
devenir université.
Je crois que cette question de la
réduction des matières est extrêmement grave, c’est une question fondamentale.
Je me rappelle tous les efforts qu’on a faits lors de la discussion de 1835
pour écarter cette idée d’écoles spéciales et pour avoir de grands
établissements scientifiques où il ne s’agit pas seulement de former des
praticiens, mais où il s’agit de maintenir et de faire avancer la civilisation
du pays. Dans nos universités, nous ne formons pas seulement des hommes
destinés à devenir avocats, juges ou médecins, mais des hommes qui doivent
venir prendre rang dans cette chambre et y apporter des notions politiques,
historiques et philosophiques. Le gouvernement représentatif exige autre chose
que des spécialités ; elles peuvent suffire dans les gouvernements absolus,
mais non dans les gouvernements représentatifs où la grande carrière politique
est ouverte à tout le monde. Cette carrière exige des notions scientifiques,
politiques, des connaissances générales.
La chambre me permettra, c’est par là
que je terminerai, de revenir et d’insister sur l’idée fondamentale que j’ai
développée dans la première partie de l’exposé des motifs.
J’ai dit que, depuis 1835, le jury
avait été, de fait, permanent ; et que cette permanence présentait les plus
grands inconvénients scientifiques. Le fait, on ne peut pas le nier. Mais
l’honorable préopinant et hier un autre honorable orateur ont cherché à
atténuer sinon à nier les inconvénients scientifiques de la permanence. Les élèves
ne se sont pas plaints de la permanence, ils n’y ont pas vu une partialité
contre eux. L’absence de plaintes de la part des élèves ne me touche pas. Ils
se trouvent très bien d’avoir un jury scientifique faible, ils sont très
contents de savoir que l’examinateur pour la logique sera tel professeur ;
connaissant leurs examinateurs, ils étudient au point de vue de l’examinateur,
Ils s’en sont très bien trouvés.
Quant aux professeurs membres du jury
qui se sont trouvés examinateurs d’une manière immuable, ils n’ont pas eu non
plus raison de se plaindre. Il faut placer la question ailleurs et plus haut et
se demander si, dans l’intérêt de la science, la permanence du jury n’est pas
un mal.
On cite la France, où les commissions
d’examen sont toujours composées des mêmes professeurs. Mais je ferai observer
que là il n’y pas de concurrence entre les établissements de l’Etat et des
établissements libres. Les jurés sont d’ailleurs très peu connus. Les
professeurs dont les élèves se présentent à l’examen n’ont pas voix
délibérative. Ils ne peuvent qu’interroger.
Du reste, je ne puis assez le dire,
la situation est tout à fait différente. Ce qui rend notre situation toute
particulière, c’est l’existence de quatre établissements dont deux se trouvent
être des établissements libres. Il est évident que si, sur les quarante-deux
jurés, trente professeurs se sont trouvés depuis huit ans constamment nommés,
sauf les démissions et les décès, ces trente professeurs ont eu de fait le
gouvernement de l’instruction publique sous le rapport scientifique, ils ont
formé le conseil de perfectionnement avec cette différence qu’il n’y a pas eu
perfectionnement, il y a eu un véritable monopole scientifique pour eux, et
immobilité.
Ceci existe depuis huit ans. Cet
inconvénient avait frappé les hommes qui se sont occupés de l’instruction
supérieure dès les premières années ; il ne se présentait pas alors avec le
caractère de gravité qu’il a aujourd’hui.
Je vous demanderai la permission de
vous donner lecture de deux écrits.
M. de Mérode. - On peut faire un livre.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Mais nous faisons un livre, M. le comte : le recueil de nos discours formera un
livre, et je l’espère un bon livre ; c’est une question qu’il faut discuter. On
ne peut pas assez discuter cette question. On a contesté encore hier les
inconvénients de la permanence ; on m’a même ridiculisé. Si j’ai osé aborder
cette question dangereuse, c’est que je suis frappé de l’écueil qui se présentait
pour les hautes études en Belgique.
Une voix. - Pourquoi cette question est-elle
dangereuse ?
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
On a même qualifié aujourd’hui d’imprudente ma conduite. Quand je remplis un
devoir, je ne me crois pas imprudent.
Je me suis dit : La liberté
d’enseignement fait partie du droit public des Belges. Il ne faut pas que par
la permanence du jury et la création d’un monopole en faveur de quelques
professeurs, les hautes études soient immobilisées. Je ne l’ai pas voulu, dans
l’intérêt de la liberté d’enseignement que je défends aussi sincèrement que
ceux qui sont en ce moment mes contradicteurs,
Voici comment s’exprime l’évêque de
Liége dans son ouvrage sur l’instruction publique. Il écrivait en 1839,
c’est-à-dire, alors que le jury n’était institué que depuis 4 ans. La
permanence n’existait pas alors depuis 8 ans :
« On a agité la question de savoir si
la composition du jury ne devait pas être soumise à une modification
périodique, et si tous ses membres pouvaient être réélus indéfiniment. Nous
croyons que cette dernière combinaison pourrait présenter quelqu’inconvénient,
en donnant à un professeur, chargé exclusivement dans le jury de l’examen sur
telle ou telle branche de nos connaissances, une prépondérance marquée sur
d’autres professeurs qui enseignent la même partie. Ne vaudrait-il pas mieux
que le jury d’examen fût renouvelé tous les ans par moitié, et qu’aucun
professeur d’université ne pût faire partie de la même section du jury pendant
plus de 2 années consécutives ? Nous ne visons qu’au plus des garanties pour
l’impartialité des décisions. »
Vous voyez donc que dès 1839, ou
1840, les inconvénients de la permanence avaient déjà frappé l’auteur de
l’exposé des vrais principes de l’instruction publique. Il va même plus loin ;
il est également frappé de l’idée que le même établissement pourrait ne pas
être suffisamment représenté, soit par une exclusion véritable, soit parce que
cet établissement n’aurait que des professeurs représentant des branches
secondaires.
Voici comment il s’exprime :
« Tout ce que l’on pourrait
désirer c’est qu’il fût stipulé dans la loi que chaque section du jury devrait
comprendre au moins un professeur des diverses universités du pays. »
Il ajoute en note :
« Jusqu’ici cela s’est pratiqué
; il y a presque toujours eu dans chaque jury un nombre à peu près égal de
professeurs de chaque université. »
Un membre. - Cela n’est pas exact.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Il nous suffit de voir que l’évêque croyait qu’il en était ainsi. Sa croyance
prouve qu’il avait le sentiment de la justice de ce fait, qu’il désirait que
cela fût.
Je reprends la lecture du texte :
« Ce serait le meilleur moyen de combiner avec le caractère essentiel du
jury, qui est la garantie de la liberté d’enseignement, une représentation de
toutes les universités. »
Vous voyez que le danger de la
permanence frappait déjà l’évêque de Liège en 1839 ou 1840.
En avait 1837, un homme que beaucoup
d’entre nous ont connu comme membre de cette chambre, qui est aujourd’hui
sénateur et administrateur-inspecteur d’une université de l’Etat, et dont le
dévouement à la science a pu être apprécié par tout le monde, M. d’Hane, a
publié un écrit sur le jury universitaire ; je le relisais ce matin ; malgré
tout ce que j’ai écrit moi-même depuis et tout ce que j’ai entendu, cet écrit
m’a vivement frappé.
Je demanderai à la chambre la
permission de lui en lire un extrait un peu long peut-être.
Plusieurs voix. - Lisez, lisez.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
« Pour qu’un jury pareil puisse remplir sa mission, il doit, dans le
triple intérêt de l’Etat, de l’instruction et des écoles libres, offrir des
garanties de lumières et d’indépendance. Il est le pivot sur lequel repose tout
le système du haut enseignement, car à sa composition bonne ou mauvaise est
attachée à la prospérité ou l’anéantissement des fortes études ; ce sujet
mérite donc l’attention la plus sérieuse ; et comme l’organisation actuelle,
adoptée provisoirement, doit être soumise à une nouvelle discussion législative
après trois ans d’expérience, le montent est venu de la soumettre à un examen
attentif et impartial. Pour notre part, appelé par la nature même de nos
fonctions à considérer les choses de plus près, nous allons consigner ici
quelques réflexions sur la nature de cette institution et les moyens d’en
assurer le succès, sans néanmoins prétendre épuiser le sujet, ni l’embrasser
dans toute son étendue.
« La haute prérogative que la
loi donne au jury de prononcer sans appel sur l’aptitude et l’instruction de
tous ceux qui doivent comparaître devant son tribunal, le constitue par ses
décisions l’arbitre suprême du haut enseignement. C’est une espèce de
souveraineté intellectuelle qu’il est appelé à exercer : ce fait important
domine toute autre considération et suffit pour prouver combien est grande la
mission dont il est investi. Plus ce pouvoir est élevé, plus on doit se tenir
en garde contre les écarts qu’il pourrait commettre.
« Quel est le droit du jury ?
C’est en général de juger de la capacité des élèves, et en particulier de les
examiner sur les connaissances positives déterminées par la loi. Tel est son
droit, et là aussi est la limite de son devoir. Supposons maintenant qu’au lieu
de faire rouler les questions sur la science même, le jury s’attachât à un
système de doctrines soit politiques soit religieuses, n’est-il pas évident
qu’il substituerait, contre le but de son institution, au simple rôle
d’examinateur, celui de propagateur de telle opinion qu’il voudrait faire
prévaloir, et l’autorité dont-il est revêtu serait trop décisive pour que
bientôt sa tendance ne s’imposât arbitrairement à la génération universitaire ?
Rien ne garantit que telle ne serait pas en effet sa conduite, si au lieu
d’être annuelle, sa mission devait avoir une existence plus prolongée.
« Le nom que la loi donne à
cette institution est significatif ; il désigne des fonctions temporaires,
d’une durée même restreinte, et exclut toute idée d’une commission permanente.
« Toutefois elle revêtirait
infailliblement cette dernière forme, si les élections annuelles, arrêtées par
la loi, amenaient au jury les mêmes hommes, ou si elles les maintenaient presque
tous dans leurs fonctions. Le jury serait ainsi dépouillé de ce caractère de
mobilité, qu’il est dans son essence d’avoir, et qu’il ne peut perdre sans
détruire les espérances qu’on a placées en lui.
« Ce que nous avons dit plus
haut d’un ensemble de doctrines qui pourrait s’établir dans son sein, si le
même jury était conservé pendant plusieurs années, doit s’appliquer avec plus
de motifs encore à chacun de ses membres, par rapport à un système scientifique
particulier qu’il parviendrait à faire prévaloir. Car l’on conçoit que si tout
un jury montait une tendance exclusive et particulière vers un système
politique ou religieux quelconque, cette tendance ne tarderait pas à être
connue et le remède se trouverait naturellement dans la réaction de l’opinion
publique. Mais il n’en est pas de même d’un système scientifique ; un moins
grand nombre de personnes seraient compétentes pour en juger, il échapperait
peut être à nos regards et aurait ainsi une plus longue chance de durée.
Choisissons pour exemple le jury de philosophie et lettres ; que le juré qui
doit interroger sur la philosophie appartienne au système sensualiste, il
interrogera dans le sens de ce système. Que l’on nous accorde qu’il continue à
faire partie du jury pendant un certain nombre d’années, n’est-il pas certain
que le père de cette philosophie, que Locke deviendra le vade mecum de tous les
élèves qui se prépareront aux examens, qu’ils l’étudieront, lui et son école,
de préférence à tout autre système philosophique !
« Dans l’intérêt de l’enseignement,
il faut que le jury soit composé d’hommes qui se maintiennent à la hauteur des
progrès des sciences ; car il entre dans sa mission de servir de véhicule aux
études universitaires et d’empêcher qu’elles ne restent stationnaires. Son
influence ne s’étendra pas seulement sur les élèves qui comparaissent devant
lui, elle ira atteindre les professeurs dans leurs chaires ; par conséquent
plus le jury se montrera familier avec les découvertes nouvelles, plus les uns
et les autres s’efforceront de les connaître. Le jury réagira particulièrement
sur l’esprit des jeunes gens ; ils le considéreront comme la boussole qui doit
les diriger dans leurs travaux, les études seront toujours réglées sur le plus
ou le moins de sévérité qu’il mettra dans ses jugements. Cependant on ne doit
pas souhaiter trop de sévérité ; si on voulait trouver des savants accomplis
dans les élèves, loin de les exciter au travail, on jetterait le découragement
dans leur esprit. Trop ou trop peu de sévérité, sont deux écueils que le jury
doit éviter avec soin. Mais il reste toujours vrai, qu’une pensée unique domine
en général les élèves, celle d’être en état de subir leurs épreuves ; ils
s’inquiètent assez médiocrement si leurs connaissances sont ou non au niveau de
la science : car le grand nombre n’étudient point par un goût désintéressé,
mais dans le seul but d’obtenir le diplôme qui doit couronner leurs études
académiques.
« Afin de suppléer à ce défaut
d’amour de la science pour elle-même, il convient, selon nous, que la moitié au
moins du jury soit renouvelée tous les ans, afin que les élèves ne pouvant
préjuger le système qui y sera représenté dans chaque branche, se préparent à
toutes les questions qui pourront leur être faites ; leur études deviendront
plus fortes, plus larges, et ils feront par nécessité ce que l’ardeur seule de
la science aurait dû leur inspirer.
« Si pour conserver cette
tradition si nécessaire à tout corps qui se renouvelle, quelques membres
peuvent être continués dans leurs fonctions, aucun ne doit pouvoir siéger
au-delà de la deuxième session.
« Nous trouverions d’ailleurs un
autre avantage à voir ce mouvement de rotation s’établir dans le mécanisme de
l’institution du jury ; chaque système scientifique, n’étant ainsi représenté
que temporairement, serait par là-même disposé à l’indulgence pour les systèmes
contraires par la crainte des représailles, et de cette manière l’institution
du jury serait conservée dans la pureté de sa destination primitive, qui est de
juger non pas les opinions des élèves, mais leur capacité et leurs
connaissances.
« C’est donc ici dans l’intérêt
des études, dans l’intérêt des élèves et dans l’intérêt de la liberté
d’enseignement que nous élevons la voix, lorsque nous désirons que tous les
hommes distingués dans une branche quelconque, à quelque établissement qu’ils
appartiennent, soient appelés successivement, s’il est possible, à entrer dans
ce tribunal suprême, sans que, dans aucun cas, le même membre puise en faire
partie dans trois sessions consécutives. »
Vous voyez que, dès 1837, on
prévoyait le danger de la permanence du jury ; on était loin de croire que
cette permanence se présenterait ensuite avec tant de ténacité, si je puis
parler ainsi. Il a fallu peut-être la forte secousse que nous éprouvons en ce
moment pour qu’on reconnût la nécessité de sortir de l’ornière.
Ce sont ces inconvénients prévus par
l’évêque de Liége, en 1839, par M. d’Hane, dès 1837, qui m’ont frappés.
Je dois rendre justice à la section
centrale ; elle a reconnu avec moi que la permanence est un mal, qu’il faut y
remédier, elle a indiqué un remède dont l’efficacité ne m’est pas démontrée.
Permettez-moi de revenir sur la
réflexion que je faisais tout à l’heure ; on ne peut nier les inconvénients
scientifiques de la permanence du jury ; dans l’intérêt même de la liberté
d’enseignement, il faut faire en sorte que ces inconvénients viennent à cesser.
Le principe de la liberté d’enseignement même serait compromis, parce qu’on
s’en prendrait à la loi, et on accuserait d’avoir amené un état stationnaire
dans les hautes études.
M.
Donny. - Si nous sommes tous d’accord sur ce point,
que nos efforts doivent tendre à procurer au pays la plus grande somme de
prospérité, nous ne le sommes plus, quand il s’agit des moyens d’atteindre ce
but.
Les jurys pensent qu’il faut, avant
tout, se préoccuper du côté politique que présentent les questions que nous
avons à débattre. Je respecte cette opinion ; mais je ne puis la partager.
D’autres rangent en première ligne
les intérêts matériels du pays, et si leurs vœux étaient exaucés, le caractère
politique qu’affectent quelques-unes de nos discussions deviendrait de plus en
plus rare.
C’est parmi ces derniers que je me
suis toujours rangé, parce que je me crois envoyé dans cette enceinte, non pour
lutter contre telle ou telle opinion politique, mais pour travailler, autant
qu’il est en moi, à perfectionner notre législation, à développer notre
commerce, à protéger notre industrie. C’est, messieurs, en prenant cette
manière de voir pour règle que je vais m’expliquer sur le projet de loi qui
nous est soumis.
A mes yeux, ce projet renferme deux
choses bien distinctes. J’y ai trouvé, d’une part, des améliorations notables
apportées aux études ; j’y vois, d’autre part, des changements aux attributions
actuelles des grands pouvoirs de l’Etat. Les premières dispositions sont ce que
j’appellerai le côté scientifique de la question ; les autres en forment le
côté politique.
Pour ceux d’entre nous qui attachent
un grand prix à la politique, la question du changement des attributions doit
être la partie principale de la loi ; mais pour moi, la loi presque tout
entière se trouve dans les améliorations que nous promet le projet.
La principale de ces améliorations,
c’est ce que l’honorable rapporteur de la section centrale a nommé l’imprévu
pour les élèves. Dans le projet du gouvernement, cet imprévu se présente avec
un caractère absolu ; il est impossible à l’élève, dans ce système, de calculer
d’avance devant quels examinateurs il devra se présenter. Dès lors, il est
obligé d’étudier la science, non pas pour en savoir assez afin de satisfaire
tel ou tel examinateur connu d’avance, mais dans le but d’en savoir assez pour
répondre aux exigences raisonnables d’un examinateur quelconque. C’est là,
messieurs, un grand bien pour la science, un véritable bienfait pour la
société.
Je sais que l’honorable M. Dumortier
n’est pas de mon avis ; l’honorable membre vient de nous le dire, il y a un
instant, à ses yeux, l’imprévu absolu, c’est un système pernicieux, un système
qu’il faut écarter. Messieurs, il faut s’entendre dans la discussion. L’imprévu
dont l’honorable membre vous a parlé, ce n’est pas l’imprévu des examinateurs,
c’est l’imprévu des matières : or, ce n’est pas de cet imprévu-là dont
j’entends parler. Je suis d’accord avec l’honorable membre qu’il ne faut pas
trop d’imprévu, qu’il n’en faut même pas du tout, en ce qui concerne les
matières. Mais l’imprévu, quant aux examinateurs, est tout autre chose ; il ne
saurait nuire en aucune manière ni aux études solides, ni aux bons élèves, ni
au mérite des examens. Je suis, au reste, d’accord avec l’honorable membre que
les matières d’examen sont aujourd’hui trop multipliées ; je crois que l’élève
est chargé d’approfondir trop de sciences à la fois, mais je dirai à
l’honorable membre que le remède à ce mal ne se trouve pas dans une disposition
dont le but serait d’écarter l’imprévu quant aux personnes ; que ce remède ne
peut consister que dans des dispositions nouvelles qui restreindraient, non pas
les matières d’enseignement (idée que M. le ministre de l’intérieur a paru nous
prêter et qui n’est pas la nôtre), mais qui restreindraient les matières de
l’examen en conservant à l’enseignement la haute position qu’on lui a donnée.
Je dirai encore à l’honorable M.
Dumortier que le remède à l’état de choses dont il se plaint peut se trouver
dans un programme déterminé, qui serait arrêté comme règle pour chacun des
jurys, pour chacun des examinateurs. Et ici, je dois le dire, j’indique une
idée qui ne vient pas de moi ; elle tient à un autre membre qui, je pense, la
présentera en temps et lieu.
Une seconde amélioration que nous
présente le projet du gouvernement, c’est le roulement introduit dans le
personnel du jury, ce roulement qui doit détruire la permanence dont
aujourd’hui, je pense, personne ne veut plus, excepté peut-être l’honorable M.
Dumortier, car ici encore nous ne sommes pas parfaitement d’accord.
Pour démonter que la permanence ne
produit pas des effets trop nuisibles, l’honorable membre vous a cité ce qui se
passe pour les examens de l’école militaire, de l’école du génie civil et de
l’école des mines. Pour tous ces examens, vous a-t-il dit, il y a permanence du
jury et permanence utile. Mais, messieurs, les positions ne sont pas les mêmes.
Lorsqu’il s’agit d’examens pour l’école militaire, pour l’école du génie civil,
pour l’école des mines, il ne se trouve jamais en présence que des
établissements de même nature, des établissements du gouvernement, et dès lors
il est rationnel que les élèves de ces établissements soient examinés par des
hommes nommés par le pouvoir.
Mais quant aux examens devant le
jury, c’est autre chose. Là il y a quatre établissements rivaux en présence. Il
faut donc que l’on suive dans la nomination des examinateurs pour enseignement
universitaires une marche tout autre que celle qu’on peut suivre pour le choix
des examinateurs des élèves provenant des seuls établissements de l’Etat.
Les deux améliorations dont je viens
de parler, l’imprévu absolu pour les élèves, l’établissement d’un roulement
sérieux dans le personnel du jury, sont des changements auxquels j’attache tant
de prix que je dirais volontiers et au gouvernement et aux chambres :
Garantissez-moi cette double amélioration, et je me déclare dès aujourd’hui
satisfait de la loi, quel que soit le parti que vous puissiez prendre à l’égard
de nos attributions respectives, à l’égard de ces attributions sur lesquelles
la chambre a été divisée par moitié en 1835, sur lesquelles peut-être encore
aujourd’hui, elle restera divisée à peu près dans la même proportion.
Ce n’est pas, messieurs, que je sois
complètement indifférent à la question des attributions ; loin de là, toutes
autres choses égales d’ailleurs, je préfère maintenir ce qui est, je préfère
conserver aux trois pouvoirs de l’Etat les attributions dont ils sont en
possession aujourd’hui. Mais cette préférence ne va pas jusqu’à me faire
abandonner des améliorations que je veux, moi, obtenir à tout prix, des
améliorations qui me feront voter pour le projet du gouvernement, si je ne puis
les obtenir.
J’ai donc à me poser la question de
savoir s’il peut exister quelque combinaison réalisable et pratique, au moyen
de laquelle on puisse faire marcher de front et l’imprévu absolu pour deux
élèves (en ce qui concerne les examinateurs et non les matières) et un roulement
sérieux, quant au personnel du jury, et enfin le concours des trois grands
pouvoirs de l’Etat à la nomination de ses membres.
Quand j’examine cette question, j’ai
à m’occuper en premier lieu du projet de la section centrale. Ce projet remplit
une de mes trois conditions, il consacre le concours des trois grands pouvoirs
de l’Etat. Mais c’est là précisément, j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire,
la condition à laquelle j’attache ici moins d’importance. Quant à la condition
de l’imprévu pour les élèves, quant à la condition d’un roulement sérieux dans
le personnel du jury, je suis fâché de devoir le dire à la section centrale,
son projet ne me les donne pas.
Je ne trouve pas dans le projet de la
section centrale un imprévu satisfaisant. Et, en effet, messieurs,
qu’arrivera-t-il si ce projet est adopté par la législature ? Au bout de
deux nominations, tout au plus de trois, la marche des chambres sera connue ;
les élèves sauront, par exemple, que pour un jury déterminé, la chambre des
représentants portera toujours ses choix sur Pierre, Jean et Paul ; ils sauront
qu’ils trouveront dans ce jury, comme examinateurs de la part de la chambre, ou
bien Pierre et Jean, ou bien Pierre et Paul, ou bien Jean et Paul, suivant les
caprices du sort. Ils feront le même raisonnement quant aux nominations faites
par le sénat ; et comme le gouvernement est obligé de régler plus ou moins les
choix d’après les nominations faites par les deux chambres, ils pourront
encore, avec un peu de perspicacité et en tenant compte de l’expérience, savoir
à peu près quels seront les nominations que le gouvernement fera. Dès lors ils
suivront les cours de quelques-uns des examinateurs futurs, ils se procureront
les cahiers des autres, et il n’existera plus pour eux d’imprévu, ou, s’il en existe
un, il sera à peu près de même valeur que celui qui existe aujourd’hui. Cet
imprévu-là ne me convient pas.
J’ai dit que le projet de la section
centrale ne me présentait pas non plus de roulement sérieux dans le personnel
du jury, et pour justifier cette opinion, messieurs, je n’ai qu’à vous rappeler
ce qui s’est passé depuis huit ans.
Depuis huit ans, les nominations
faites, et par la chambre et par le sénat, ont été tellement fixes, tellement
invariables, qu’on aurait pu, sans le moindre inconvénient, stéréotyper
d’avance la liste des nominations à faire par ces deux corps. Ce qui s’est fait
dans le passé se fera encore dans le futur ; il n’y a pas le moindre doute à
former sur ce point. C’est là, en effet, la marche naturelle de tous les corps
nombreux quand ils ont des nominations à faire ; toujours ils tendent vers la
stabilité ; s’il en est ainsi, on pourra, sans le moindre inconvénient,
stéréotyper pour l’avenir la liste des nominations, comme on aurait pu le faire
pour le passé, avec cette seule différence qu’au lieu de mettre sur la liste
deux noms par jury et par chambre, il faudra en mettre trois, en se rappelant
que le sort est appelé à éliminer une des trois personnes qui se trouvent sur
cette liste. Ce n’est pas là un roulement désireux, un roulement qui puisse me
contenter.
Après avoir parlé d’un projet de la
section centrale, j’ai maintenant à dire un mot de l’amendement déposé par
l’honorable M. Delahaye. Cet amendement me prouve l’imprévu absolu pour les
élèves ; il m’assure aussi un roulement des membres du jury ; mais il s’écarte
tellement de ce qui s’est fait jusqu’aujourd’hui que j’hésiterais à y donner
mon approbation. S’il fallait choisir entre cet amendement et le projet de la
section centrale, j’adopterais le projet de l’honorable M. Delehaye, mais mon
choix ne sera pas restreint de cette manière.
« Mais, dira-t-on, si vous
désirez le concours des trois grands pouvoirs de l’Etat dans la nomination du
jury d’examen, concours inconciliable, d’un côté, avec le projet du
gouvernement, de l’autre côté, avec la proposition de l’honorable M. Delehaye ;
si de plus vous repoussez 1e projet de la section centrale, qu’est-ce dont que
vous voulez ? » Je vais m’expliquer à cet égard.
J’ai déjà dit ce que je voulais en
principe ; l’imprévu absolu pour les élèves, un roulement sérieux pour le jury,
et le concours des trois pouvoirs, ce principe peut-il recevoir une application
pratique, par la réalisation des trois conditions qui en forment la base ? Oui,
dans mon opinion cela est possible, je vais vous le démontrer en vous indiquant
quelques combinaisons qui réunissent les trois conditions dont il s’agit.
Je commence pur poser deux règles
applicables à tous les systèmes.
Je pose pour première règle qu’il ne
peut y avoir dans chaque jury plus de deux membres d’un même établissement
d’instruction publique.
Je pose pour deuxième règle qu’aucun
membre du jury ne peut rester en fonctions pendant plus de deux anodes.
Ces règles ne seront contestées par
personne, car elles se trouvent, en grande partie du moins, dans tous les
systèmes dont nous sommes saisis.
Je vais maintenant vous indiquer les
combinaisons dont je viens de parler.
Première combinaison : Le jury est
composé de 7 ou de 5 membres, comme on veut ; la nomination des membres du jury
est le résultat d’un concert entre le gouvernement représenté par le ministre
de l’intérieur, la chambre et le sénat, représenté soit par leurs présidents,
soit par des commissions nommée ad hoc. Cette combinaison, messieurs, n’est pas
une idée qui vient de moi, elle a été, si je ne me trompe, déjà proposée
antérieurement ; aussi, je ne fais que l’indiquer.
Deuxième combinaison : Le jury est
composé de 7 membres ; 6 de ces membres sont nommés comme suit : 2 par la
chambre, 2 par le sénat, 2 par le gouvernement après la nomination de ces six
premiers membres, le gouvernement en nomme un septième pour compléter le jury.
Les nominations des six premiers membres ne se font pas invariablement dans le
même ordre, comme elles se font aujourd’hui ; d’abord 2 membres par la chambre,
ensuite 2 membres par le sénat, enfin 2 membres par le gouvernement ; elles se
font d’après un ordre indiqué annuellement par un tirage au sort, fait lui-même
alternativement au sein de la chambre et au sein du sénat.
Troisième combinaison : Le jury
est composé de 7 membres. 4 membres sont nommés en premier lieu par les deux
chambres, 3 membres sont nommés en dernier lieu par le gouvernement. Les
nominations des chambres se font dans un ordre à fixer annuellement par un
tirage au sort. Dans cette combinaison chaque chambre nomme d’abord pour chaque
jury 4 membres, mais aussi la nomination faite, ces 4 membres sont réduits à 2
par la voie du sort.
Vous concevez, messieurs, qu’il
serait possible d’augmenter encore le nombre de pareilles combinaisons ; mais
je m’arrête, il me suffit d’avoir démontré qu’il est possible de faire marcher
de front et l’imprévu absolu pour les élèves et un roulement sérieux du
personnel du jury, et le concours des trois pouvoirs de l’Etat. Si le projet de
la section centrale, convenablement amendé peut me donner un résultat sensible,
je le voterai de préférence ; sinon je voterai le projet du ministre.
Il me reste, messieurs, un devoir à
remplir ; d’après ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, vous pouvez juger
qu’il m’était impossible de me faire inscrire pour parler en faveur du projet
du gouvernement, puisque, éventuellement, je puis être amené à voter contre ce
projet ; vous voyez encore qu’il m’était impossible de me faire inscrire pour
parler contre le projet du gouvernement, puisque, éventuellement, je peux être
amené à l’appuyer de mon vote ; il ne me restait donc qu’à me faire inscrire
sur le projet, mais le règlement impose à ceux qui se font inscrire pour parler
sur une proposition, l’obligation de déposer un amendement. Eh bien, messieurs,
cette obligation, je viens la remplir et la remplir sérieusement ; en déposant
un amendement qui n’est que la reproduction de la troisième des combinaisons
que je vous ai indiquées. Sans la disposition expresse du règlement, je
n’aurais peut-être pas présenté mon amendement en ce moment-ci : toutefois,
cette présentation n’est pas sans utilité ; elle est même dans l’intérêt de la
discussion ; car on pourra l’imprimer et la distribuer pour que chacun puisse
en étudier la portée.
Au reste, messieurs, ce n’est point,
je vous prie de le croire, pour avoir la parole un peu plus tôt que j’ai
présenté mon amendement ; cet amendement est sérieux, puisqu’il est la
reproduction d’une des trois combinaisons que je vous ai indiquées. Seulement,
si j avais pu parler sans le présenter immédiatement, j’aurais pu rechercher
des combinaisons nouvelles et vous présenter peut-être une proposition plus
digne encore de votre attention.
Voici, messieurs, mon amendement.
(Nous donnerons cet amendement.)
M. Dedecker, secrétaire, donne lecture d’une lettre par laquelle il est donné connaissance à la
chambre que M. Pierre Peeters, représentant, est décédé aujourd’hui, 4 heures
du matin, à Bruxelles.
- La chambre charge le bureau de
faire connaître à la famille de M. Peeters toute la part qu’elle prend à sa
douleur. Elle décide ensuite, qu’une députation, désignée par le sort, sera
chargée d’assister aux obsèques.
M. le président procède au tirage au
sort de cette députation ; elle se compose de MM. Rodenbach, Mat de Vries, de
Chimay, Osy, Orts, de Renesse, Rogier, Kervyn, de
La séance est levée à 4 h. et 1/2.