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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 22 décembre 1843

(Moniteur belge n°357, du 23 décembre 1843)

(Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Jean-Baptiste-Théodore Bourgeois, domicilié à Séloignes, né à Landouzy-la-Ville (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les hôteliers et aubergistes de diverses villes réclament contre l’application qui leur est faite, de la contribution personnelle. »

M. Cogels. - Comme vous venez de l’entendre, messieurs, les hôteliers se plaignent de l’application qui leur est faite de la loi sur la contribution personnelle. Cette loi, la même que celle qui est encore en vigueur en Hollande, est appliquée en Belgique d’une manière tout à fait différente.

Un projet de loi qui nous a été présenté, mais qui semble retiré, faisait droit aux griefs des hôteliers. Je propose de renvoyer la requête à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport, afin que M. le ministre des finances puisse examiner la réclamation et y faire droit avant que les rôles de la contribution personnelle soient mis en recouvrement.

M. Verhaegen. - J’avais en quelque sorte prévenu le désir des pétitionnaires en parlant de leurs justes griefs dans la discussion du budget des voies et moyens. J’appuie donc et fortement la proposition de l’honorable M. Cogels. L’affaire est d’autant plus urgente que les pétitionnaires se plaignent d’une véritable injustice. Voici en deux mots, messieurs, ce dont il s’agit : Les hôteliers et aubergistes sont frappés d’un droit de patente à raison du nombre de leurs chambres garnies ; ils paient en outre la contribution personnelle à raison de ces mêmes chambres, de sorte qu’il y a réellement double emploi.

- La proposition de M. Cogels est mise aux voix et adoptée.


« Le sieur Notte, conseiller communal à Gembloux, soumet des observations relatives au projet de loi sur les successions. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les potiers de Bouffioulx présentent des observations concernant l’impôt sur le sel. »

M. Pirmez. - Je demanderai que cette pétition soit communiquée aujourd’hui à M. le ministre des finances et qu’elle reste ensuite déposée sur le bureau pendant la discussion relative au second vote du projet de loi sur le sel, qui doit avoir lieu demain. Il est possible que M. le ministre change la détermination qu’il avait prise précédemment en ce qui concerne l’exemption du droit dont jouissaient différentes industries.

M. le président. - Le but de M. Pirmez serait atteint si le bureau communiquait officieusement la pétition à M. le ministre des finances.

M. Pirmez. - Oui, M. le président.

- Le dépôt sur le bureau est mis aux voix et adopté.


« M. Wodon fait hommage à la chambre d’un exemplaire de son ouvrage, intitulé Des moyens de fertiliser les Ardennes, le Condroz et la Campine.»

- Dépôt à la bibliothèque.


Par dépêche en date du 20 décembre, M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) transmet à la chambre 106 exemplaires du rapport de la commission qui a été nommée par le gouvernement, à l’effet d’examiner la question relative à la remonte de la cavalerie au moyen des chevaux indigènes.

- Dépôt à la bibliothèque et distribution à MM. les membres de la chambre.

Projet de loi sur les céréales

Rapport de la section centrale

M. Mast de Vries fait le rapport suivant. - Messieurs, la loi temporaire du 25 décembre 1842, modifiant celle des céréales du 31 juillet 1834, se trouve de plein droit abrogée au 31 décembre 1843. Le peu de temps qui nous sépare de cette époque ne permettra point de discuter la nouvelle loi des céréales proposée par le gouvernement, et les motifs qui ont déterminé la chambre à voter la loi du 25 décembre 1842 continuant d’exister, les sections chargées de l’examen de la loi des céréales ont disjoint de ce projet les dispositions concernant les droits d’entrée sur l’orge, pour en faire l’objet d’une loi séparée.

La section centrale, après avoir pris connaissance de ce projet, admettant les motifs qui ont déterminés les sections, vous propose, à l’unanimité, de proroger la loi du 25 décembre 1842 jusqu’au 31 décembre 1844, et en conséquence elle a l’honneur de vous proposer le projet de loi suivant :

« Léopold, etc.

« Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :

« Art. 1er. Par dérogation à la loi du 31 juillet 1834, l’entrée de l’orge sera soumise au droit de quatre francs (4 fr.) par 1000 kilog. et ce jusqu’au 31 décembre 1844 inclus, à moins que le gouvernement ne juge utile de modifier ce droit avant cette époque.

« Art. 2. Lorsqu’aux termes de la loi du 31 juillet 1834, le froment sera exempt de droits à l’entrée, le gouvernement pourra soumettre le seigle au même régime.

« Les pouvoirs résultant de la disposition qui précède, cesseront au 31 décembre 1844, s’ils ne sont renouvelés avant cette époque. »

« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le troisième jour après sa promulgation. »

M. le président. - A quel jour la chambre veut-elle fixer la discussion de ce projet ?

M. Mast de Vries, rapporteur, et M. Desmet. - On pourrait voter de suite.

D’autres membres. - Demain.

M. Simons. - Je ne pense pas que l’adoption de ce projet rencontre la moindre opposition et, comme il est urgent, je crois qu’il conviendrait de le voter immédiatement.

- La chambre décide qu’elle s’occupera immédiatement du projet.

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) déclare se rallier à la proposition de la section centrale.

- Personne ne demandant la parole sur l’ensemble du projet, la chambre passe aux articles.

Les trois articles dont le projet se compose, sont successivement mis aux voix et adoptés sans discussion, Conformément à une décision prise hier par la chambre, M. le président tire au sort le nom du membre par lequel on commencera l’appel nominai. Le sort désigne M. Duvivier.


Il est ensuite procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet qui est adopté à l’unanimité par les 62 membres présents.

Ce sont : MM. Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lebeau, Lesoinne, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirson, Rodenbach. Rogier, Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Van Cutsem, Vandensteen, Van Volxem, Verhaegen, Verwilghen, Vilain XIIII, Zoude, Angillis, Brabant, Castiau, Cogels, David, de Baillet, de Brouckere, de Chimay, de Corswarem, de la Coste, Delehaye, Delfosse , d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Roo, de Sécus Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt, Donny, Dumont et Liedts.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1848

Discussion générale

M. le président. - L’ordre du jour appelle maintenant la discussion du budget de la justice. La discussion générale est ouverte.

La parole est à M. Savart.

M. Savart-Martel. - Messieurs, ce n’est pas comme rapporteur de la section centrale, c’est comme membre de la chambre que je vais avoir l’honneur de vous soumettre quelques observations.

Messieurs, dans tous les pays constitutionnels, le budget est l’occasion des remarques et observations qui tendent à améliorer la position du pays.

Aussi, quoique les plaintes et doléances dont je vais occuper l’assemblée ne soient guère de nature à influer sur le chiffre du budget, c’est le moment, je crois, de vous les soumettre.

Vous le savez, messieurs, la justice est le premier besoin des peuples ; c’est pour obtenir justice qu’ont été créé les rois.

En vain rendrez-vous l’Etat puissant au-dehors par d’heureuses conceptions diplomatiques, par la force, l’attitude et le génie militaire ; en vain déploierez-vous toutes les ressources de l’imagination pour encourager le commerce, l’agriculture, les arts et l’industrie : si la justice n’est d’un accès facile aux concitoyens ; si les vices de la législation ne sont corrigés à temps, vos soins seront superflus, car le travail et le génie veulent la certitude de conserver ce qu’ils auront acquis.

Le congrès national, qui a si bien mérité de la patrie, était pénétré de cette vérité, lorsqu’il déclara l’urgence, la nécessité de la révision des codes qui constituent notre législation. Douze années se sont écoulées, et il n’a été satisfait que très imparfaitement à cette nécessité.

Cependant, la science du droit est aujourd’hui très avancées ; les monuments de la jurisprudence sont multipliés, toutes les controverses sont connues ; évidemment cette révision serait des plus faciles.

Il ne s’agit point ici, messieurs, de formuler un vaste code, ni de refondre la législation , on n’exige pas même de conceptions nouvelles dans la plupart des cas, il suffirait de mettre fin à des doutes sérieux, en érigeant en loi l’une ou l’autre des opinions admises en jurisprudence.

Sauf le système hypothécaire, éminemment vicieux, personne ne pense à attaquer le code qui nous régit.

Les lacunes sont presque imperceptibles, et il ne présente pas vingt questions vraiment controversées. Un peu de zèle, un peu de bonne volonté (et certes l’un et l’autre existent dans le pays) rendrait parfaite, autant que possible, notre législation civile ; surtout si l’on retouche aussi prudemment les lois relatives à la contrainte par corps en matière civile et commerciale.

Le code de procédure ne vaut rien, absolument rien. Presque toutes ses dispositions sont en haine des créanciers au profil des débiteurs, et trop souvent au profit du dol, de la fraude et de la mauvaise foi.

Quant à moi, dont le devoir fut de l’observer depuis sa naissance, donc pendant une pratique de trente-sept ans, j’assisterai de bon cœur à ses funérailles. Non seulement ce déplorable système fourmille de formalités inutiles, gênantes et dispendieuses ; mais il porte l’iniquité jusqu’à l’absurdité, témoin le titre des enquêtes et celui des saisies immobilières.

Soit, messieurs ! qu’on ne refonde pas en entier ce code malencontreux ; car je conçois combien cela serait difficile avec nos discussions par amendements et sous-amendements.

Mais il y a loin de la révision à la refonte totale. Pourquoi maintenir cent dispositions inutiles ? pourquoi ce luxe de nullités ? pourquoi ces délais entassés les uns sur les autres, sans la plus légère garantie pour celui qui se trouve dans la nécessité d’exercer ses droits.

Sans doute, il faut des formes pour l’administration de la justice : parfois, elles protègent le droit. Je sais que le mieux est souvent l’ennemi du bien ; aussi, loin de moi l’idée de passer d’un extrême à un autre ; mais toute nullité sans grief paraît injustice et devrait être supprimée.

Où en sommes-nous, messieurs, avec cette déplorable disposition qui, en matière de commerce comme en matière civile, oblige d’exécuter dans le court délai de six mois , les jugements obtenus par défaut ?

Il en résulte, en pratique, les inconvénients les plus graves. Souvent elle force à exécuter un débiteur qu’il faudrait au contraire ménager dans l’intérêt du créancier même.

Notre pays est une vaste frontière. Quand il plaît au condamné de dépasser la borne qui nous sépare des Etats limitrophes, le jugement tombe en péremption, car tout le monde sait que la force exécutoire expire à la frontière.

Le motif de pareille péremption nous est donné rondement par le tribunal dans les termes que voici : « il est inutile de prendre un défaut qu’on ne veut point exécuter de suite.» (Voir le discours du tribun présentant la loi.) Comme s’il n’arrive point souvent qu’un créancier ait intérêt d’avoir sentence, soit pour obtenir hypothèque générale sur les biens venus et à venir de son débiteur, soit pour éviter la prescription, soit pour faire valoir ses droits à l’époque où le débiteur viendrait à meilleure fortune, soit même pour en justifier vis-à-vis des tiers.

D’ailleurs, le débiteur peut être, ou paraître solvable ; et quoiqu’il soit vrai que le code de procédure laisse toute facilite à la partie condamnée, de soustraire son actif à l’exécution de la sentence, l’orateur aurait dû se dire aussi que le créancier a pu raisonnablement ne pas compter sur cet événement frauduleux. Il aurait pu se dire qu’il y aura toujours plus de mauvais débiteurs, que de mauvais créanciers.

Passerai-je au code de commerce ? Il force des juges, souvent étrangers à la science du droit, de suivre avec la procédure des formes hérissées de nullités et de déchéances.

Dans la pratique, l’on a singulièrement étendu la compétence consulaire, à tel point que, sur une véritable question de commerce qui se présente accidentellement, on place ces magistrats dans la nécessité de se prononcer sur vingt ou trente questions de droit ou de pratique.

Honneur ! honneur à ces magistrats qui se dévouent gratuitement à vider les différends qu’amènent presque nécessairement les opérations commerciales ! c’est une raison pour que la législation leur rende plus facile l’exercice de leurs pénibles fonctions.

La révision de la législation des faillites et sursis, spécialement ordonnée par le congrès, n’a rien produit encore qu’une modification interprétative que le sénat nous a retournée.

Le jury a été rétabli, il est vrai, mais les accusés étant jugés dans les chefs-lieux de province seulement, et l’exécution des condamnations se faisant presque toujours loin des localités où les crimes ont été commis, ces condamnations ne remplissent pas leur but, car en exécutant les criminels, la société n’exerce pas un acte de vengeance, mais une mesure préventive d’autres crames.

Qu’il me soit permis d’ajouter que de grands coupables osent compter souvent sur la clémence royale.

En Belgique, les peines des travaux forcés n’existent que de nom. Par la force des choses, il n’y a guère de différence entre la peine des travaux forcés et celle de la réclusion. Notre système pénitentiaire n’est, d’ailleurs, pas très rigoureux, en sorte que la plupart des condamnés (gens qui d’ordinaire sont pousses au crime par la débauche et la misère) trouvent dans les prisons de l’Etat une vie animale meilleure que beaucoup de nos ouvriers qui, en travaillant nuit et jour pour nourrir leur famille, ne sont point encore assurés du pain quotidien.

Je ne connais point assez le régime des prisons pour louer ou blâmer, mais je fais les vœux les plus sincères pour qu’une partie des sommes énormes que coûtent les prisons, puisse un jour être appliquée à l’amélioration de la classe ouvrière, de cette classe la plus nombreuse et aussi la plus intéressante, car de la philanthropie pour les criminels, c’est presque de la duperie.

Je n’entrerai point ici dans l’examen du code pénal ; je me bornerai à appeler l’attention sur une spécialité de délits heureusement inconnus dans une grande partie de nos provinces, mais qui s’accroît singulièrement dans quelques parties de l’arrondissement judiciaire de Tournai.

Je veux parler de la « haine de cense », véritable vendetta dont les effets ne sont pas moins déplorables que les crimes qui désolent la Corse.

Déjà la presse, sentinelle avancée, qui veille sur tous les droits et avertit même le pouvoir, vous a informés, messieurs, de ce qu’on entend chez nous par « haine de cense ».

C’est la vengeance qu’exerce ou fait exercer celui qui occupant des terres à titre de location, s’en voit privé a la fin du bail, soit parce que le propriétaire veut les cultiver lui-même, soit parce qu’il veut les concéder à un tiers.

Le détenteur qui occupe à titre locatif dans la localité de mauvais gré, se regarde tellement comme possesseur incommutable, qu’il n’est pas rare de lui voir traiter de la jouissance et la partager entre ses enfants, soit par contrat de mariage, soit par donations entre vifs et testamentaires. D’autres fois, il la cède à des tiers argent comptant, nonobstant telle défense que contienne le bail ; et si, dans un temps plus ou moins éloigné, le propriétaire veut disposer de son bien, il est soumis à la « haine de cense » dont les effets vont aujourd’hui jusqu’aux plus grands excès.

Déjà, sous le règne de Marie-Thérèse de glorieuse mémoire, la « haine de cense » désolait certaine partie de la Belgique.

Cette auguste princesse voulut y pourvoir par un édit qui ne fut que faiblement exécuté. Cet édit cessa d’ailleurs comme bien d’autres, par le droit nouveau.

Sous le régime français, la « haine de cense » s’exerçait ordinairement par des menaces et blessures, et surtout par la destruction des instruments aratoires, genre de délit qui nécessita une loi de l’an VIII, dérogeant au code de brumaire an IV ; mais la « haine de cense » a fait aujourd’hui de tels progrès qu’elle procède à la destruction des bâtiments de ferme et des bestiaux, par l’empoisonnement de écuries et des animaux, par l’incendie et l’assassinat. Ce tableau, messieurs, n’a rien d’exagéré.

Et quoique l’opinion publique ne se trompe presque jamais, la conviction des coupables est d’autant plus difficile, que d’ordinaire le crime ne se commet point directement par l’occupeur évincé, mais par un tiers qui obtiendra le même service éventuellement dans son intérêt.

En vain les magistrats se hâtent-ils de constater le crime ; en vain emploient-ils pour sa répression tout ce que peuvent suggérer le zèle et l’aptitude, il est presque sans exemple qu’ils obtiennent, directement au moins, le moindre témoignage sur sa culpabilité.

Il faut savoir attendre pour saisir le coupable, et cette attente même est désolante.

Pourquoi ce silence ? c’est que les honnêtes gens redoutent pour eux-mêmes, pour leur famille, pour leurs maisons et leurs propriétés, la vengeance des accusés.

C’est que, d’autre part la « haine de cense » semble chose juste, raisonnable et toute naturelle à plusieurs habitants du plat pays.

Récemment, un magistrat, informé d’un meurtre, se rend dans un village très sujet à la « haine de cense », et s’informe au bourgmestre du logis de tel individu que la rumeur publique signalait comme auteur du fait. Le bourgmestre, qui exerce l’état de brasseur, répond ne connaître personne de ce nom. Une demi-heure était à peine écoulée qu’un gendarme arrêtait l’individu cheminant vers la France à pas précipités. Ramené près du cadavre où se faisait l’autopsie, il avouait le fait, et l’on apprit avec étonnement qu’il était le tonnelier du brasseur-bourgmestre.

Hâtons-nous de dire que l’homicide avait eu lieu malheureusement, mais non criminellement.

Ce fait, que je prends au hasard entre plusieurs, vous donnera l’idée de la manière dont sont reçus parfois les officiers du parquet lors de la recherche ou la poursuite des crimes et délits, et vous concevrez facilement qu’avec les idées qui dominent dans quelques localités, quant à la « haine de cense », les coupables sont assez portés à croire à l’impunité.

Les gardes-champêtres sont d’ailleurs d’une institution déplorable ; leur position n’est pas heureuse, ils n’ont en expectatif aucun avancement, et il leur faudrait beaucoup de caractère pour résister à leurs besoins. La plupart sont sous l’influence et à la merci de leurs voisins, compères et amis ; et parfois on en rencontre qui partagent, quant à la « haine de cense » , une opinion transmise de père en fils.

S’il était possible d’augmenter le corps de la gendarmerie, cette institution si utile au pays, et si bien administrée, et de les répartir plus abondamment dans les communes rurales, dans celles surtout où règne ce qu’on nomme le mauvais gré, les crimes seraient moins faciles, les coupables compteraient moins sur l’impunité.

Messieurs, je n’ai pas la prétention d’improviser ce qui serait à faire pour la sécurité du plat-pays ; mais l’ordonnance de Marie-Thérèse est un document à consulter. D’autre part, l’instruction solennelle, le jugement des accusés dans la ville rapprochée des lieux où domine la « haine de cense », et l’exécution dans la commune qui a éprouvé les effets de ce crime, seraient peut-être au nombre des moyens ; mais on doit se hâter, car ce crime, la terreur des honnêtes gens, marche actuellement tête levée, il gagne du terrain.

Qu’il me soit aussi permis, messieurs, à l’occasion du mauvais gré, d’appeler l’attention sur l’insuffisance des art. 305, 306 et 307 du code pénal, concernant les menaces.

Les menaces, dans le plat-pays surtout, sont une véritable oppression. Elles constituent une position d’autant plus insupportable, que c’est le danger de chaque jour, de chaque heure, de chaque moment. C’est l’épée de Damoclès constamment suspendue sur la tête du menacé. Chaque instant peut être le moment fatal amenant la ruine ou la mort.

Sous l’empire du droit actuel, la peine criminelle n’est applicable que dans le concours de deux circonstances, savoir, qu’il y ait eu menace par écrit, avec ordre ou condition.

Sans le concours de ces deux circonstances, la peine est simplement correctionnelle.

Tout le monde sent combien il est facile au crime d’échapper à la vindicte publique, tout en portant dans nos campagnes le trouble, l’inquiétude et la désolation.

Les menaces ne se font point ordinairement par écrit, car cette pièce serait le premier élément de l’instruction criminelle. Elles se font souvent par une croix ou une boîte d’allumettes apposée sur la maison menacée.

Lors des menaces verbales, qui sont parfois publiques, car on ne se gêne point dans les localité du mauvais gré, on se garde bien de préciser l’ordre ou la condition ; cela serait inutile ; l’ordre ou la condition ne sont compris que trop facilement.

La « haine de cense » connaît le point où sa menace donnerait action à la police judiciaire ; comme nos grands coupables, les habitués des bagnes surtout, savent jusqu’où ils peuvent pousser leurs crimes, avec assurance de ne point subir le dernier supplice.

Au surplus, ne croyez pas, messieurs, que la « haine de cense » soit le crime des localités ou les terres seraient louées à chers deniers. -

C’est souvent le contraire ; ce crime existe là surtout où les terres n’ont guère subi d’augmentation depuis plusieurs années, là où les locations sont en-dessous de la valeur fixée par le cadastre ; là où le propriétaire obtient à peine 1 1/2 à 2 p. c. de ses capitaux immobilisés.

Un mot, un seul mot, messieurs, sur les bois et forêts. Ce genre de propriété n’a d’autre protection que l’ordonnance de 1669, faite pour un temps où les bois n’avaient pas la dixième partie de la valeur actuelle, et comme les pénalités sont fixées à raison de l’ancienne valeur, il en résulte qu’un adroit délinquant peut voler, payer l’amende et y gagner encore. Est-il raisonnable de maintenir une législation qui laisse parfois une prime au condamné ?

Messieurs, en appelant votre attention sur la nécessité de réviser notre législation, je n’ai fait qu’indiquer quelques-uns des points les plus saillants ; vous concevrez facilement que ce serait là un ouvrage de cabinet, dont les détails ne pourraient guère appartenir à la tribune parlementaire.

Mais, permettez-moi de le dire, ce n’est point par des lois isolées, sur chaque question, que nous satisferons aux devoirs imposés par le congrès, quant à la révision des codes. De nombreuses années s’écouleraient avant que nous ayons atteint ce but, c’est en amendant et améliorant chaque code dans un seul corps de lois, dans un travail à peu près semblable à l’édit perpétuel de 1611, décrété pour nos provinces par les archiducs Albert et Isabelle.

Une commission peu nombreuse, présidée par le ministre de la justice, dont le zèle ne nous fera point défaut, sans doute, une commission travaillant avec activité pendant un mois ou deux, serait à même de présenter à la législature un projet complet. Elle rendrait ainsi un important service au pays.

Mon devoir, messieurs, serait peut-être de terminer en vous rappelant la nécessité d’améliorer la position de la magistrature judiciaire, mais l’assemblée étant saisie d’un projet à cet égard, c’est lors de la discussion que mes réflexions pourront être plus utilement soumises à la chambre.

Organe de la section centrale, je me bornerai à faire observer pour le moment que plusieurs sections, et notamment la section centrale, ont émis le vœu que nous puissions nous occuper de ce projet durant cette session. Tel fut également le vœu du sénat l’an dernier et tel est le désir qu’a récemment encore exprimé le discours du trône.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, l’honorable M. Savart vous a parlé avec beaucoup de raison des vices de la législation. Il vous a indiqué différents titres de nos codes qui devraient recevoir de nombreuses et d’utiles améliorations.

Je tiens à faire connaître à la chambre l’état dans lequel j’ai trouvé ces questions, au moment de mon arrivée au ministère ; je tiens également à exposer à l’assemblée ce que je suis dans l’intention de faire pour atteindre le but que l’honorable M. Savart a en vue.

Mon honorable prédécesseur avait proposé au Roi, le 24 décembre 1841, la nomination de deux commissions ; l’une de ces commissions devait s’occuper de la révision des différents objets de législation suivants : des faillites, des sociétés civiles et commerciales, des assurances, de la contrainte par corps ; l’autre commission avait pour mission d’examiner les questions relatives à la vente, aux hypothèques, à la saisie immobilière, aux frais de justice en matière civile et criminelle, au contrat de mariage et à la séparation de biens.

Ces commissions étaient composées de plusieurs magistrats, elles se sont rassemblées plusieurs fois, mais aucun travail n’a été fait. Je me suis adressé aux présidents de ces commissions, et l’un et l’autre m’ont répondu que le gouvernement devait considérer ces commissions comme dissoutes, qu’il était impossible d’en réunir les membres , et que ces membres, remplissant d’autres fonctions, n’avaient pu se livrer à aucun travail.

Je me propose de recomposer ces commissions, et je les chargerai d’un travail moins long que celui qui leur avait été primitivement demandé, et qui, je pense, les a un peu effrayées.

Je partage entièrement l’opinion de l’honorable M. Savart, que nous ne pouvons pas nous occuper de faire entièrement de nouveaux codes, et que nous devons nous borner à combler les lacunes qui existent, et à tâcher de fixer par des lois les points sur lesquels la jurisprudence s’est diversement prononcée.

L’honorable M. Savart a signalé notamment comme très défectueuse l’ordonnance de l669 sur les eaux et forêts. Je me suis occupé de cet objet, et une commission sera incessamment nommée pour la révision de cette législation, révision pour laquelle j’ai déjà rassemblé les éléments au département de la justice, et pour laquelle encore nous pourrons nous aider de ce qui a été fait dans un pays voisin.

Tous les codes ont été passés en revue par l’honorable M. Savart. Il vous a parlé des vices qui se trouvent dans chacun d’eux, notamment dans le code de procédure civile, code qu’il a présenté comme défectueux sous tous les rapports, principalement à cause des nullités nombreuses qu’il prononce et à cause des formalités inutiles qu’il prescrit. Ce code est sans doute susceptible de recevoir d’importantes améliorations. Les commissions dont j’ai parlé tout à l’heure s’occuperont aussi d’un travail relatif à cet objet.

Passant ensuite au code pénal, l’honorable M. Savart a critiqué le système des pénalités ; il a prétendu qu’il n’existe pas assez de différence entre les peines, et il a dit que l’individu condamné aux travaux forcés n’était pas condamné à une peine plus sévère que celui qui est condamné à la réclusion.

Je reconnais que les observations de l’honorable M. Savart sont parfaitement fondées. Je reconnais que, d’après le système actuel des prisons, il n’y pas de différence notable dans les peines, car la différence ne consiste que dans la différence du salaire attribué à chaque détenu pour le travail qu’il fait. Cela me paraît un véritable vice, qui appelle une prompte réforme. Je ne suis pas encore bien fixé sur la réforme qu’il sera possible d’introduire. Un système pénal doit avoir pour but l’intimidation et la moralisation. Le principe de moralisation ne comporte pas de différence ; il est difficile de graduer celui d’intimidation en restant dans les limites que l’humanité commande.

Je ne sais encore à quel système il faudra s’arrêter ; j’étudie cette question, et jusqu’à présent je n’ai trouvé de solution que dans la longueur même de la peine. Il sera peut-être possible de trouver un autre système qui permettra d’établir la différence dans la peine même, abstraction faite de sa durée ; je m’occupe spécialement de cette question.

L’honorable M. Savart, en parlant des crimes et délits, s’est principalement occupé de la répression d’un crime très fréquent dans l’arrondissement de Tournay, d’un crime qui, je dois le dire, déshonore réellement un pays civilisé.

Il est très vrai que les propriétaires des terres dans l’arrondissement de Tournay ne peuvent pas librement disposer de leurs propriétés, majorer les baux, en changer les locataires. Mes honorables prédécesseurs, et notamment M. Ernst, se sont occupés de cette question. Des instructions ont été envoyées par lui au parquet de Tournay, il a indiqué la marche qui, d’après lui, devrait être suivie pour extirper ce crime. J’ai également, depuis mon entrée aux affaires, envoyé des instructions dans le même sens, et j’en attends un heureux résultat. Le procureur du roi de l’arrondissement de Tournay et le juge d’instruction, magistrats pleins de zèle et de fermeté, réuniront leurs efforts pour atteindre ce but, et parviendront, j’ai lieu de l’espérer, à déraciner un crime qui déshonore, je le répète, une nation civilisée..

L’honorable M. Savart a indiqué comme un moyen de parvenir au but que, comme lui, je désire atteindre, l’augmentation de la gendarmerie. La gendarmerie rend les plus grands services, cela est vrai. Je verrai si, d’après le personnel de l’arme, il y a moyen de l’augmenter dans l’arrondissement de Tournay, et je m’entendrai, à cet égard, avec M. le ministre de la guerre.

L’honorable M. Savart a indiqué encore un autre moyen, l’exécution des arrêts qui devrait avoir lieu dans les communes où le crime a été commis. Cela regarde les cours qui prononcent les arrêts, et qui ont la faculté d’ordonner que l’exécution aura lieu dans telle ou telle localité.

En terminant, l’honorable M. Savart a parlé de l’augmentation des traitements de l’ordre judiciaire. Je ne dois pas dire que je m’associe de tout cœur au vœu exprimé par l’honorable M. Savart ; je regarde comme un devoir d’engager la chambre à s’occuper de la loi proposée, et je considérerai comme un véritable bonheur pour moi, de pouvoir parvenir à la faire voter.

M. de Brouckere. - Messieurs, l’honorable M. Savart vient d’entretenir la chambre de notre système d’exécution des peines prononcées par les tribunaux et les cours d’assises, et il vous a dit que ce système était déplorable. M. le ministre de la justice a reconnu l’exactitude de ses observations. Permettez-moi de vous en présenter, à mon tour, quelques-unes sur le même sujet :

J’ai plus d’une fois signalé, messieurs, combien ce système était vicieux. Plusieurs fois aussi l’on m’a promis de s’occuper des moyens de le modifier : jusqu’ici cependant l’on n’en a rien fait, ou si l’on a fait quelque chose, les mesures que l’on a prises n’ont en aucune manière atteint le but auquel il fallait tendre.

Selon moi, messieurs, et je vais tâcher de vous le démontrer, le système général d’exécution des peines prononcées par les tribunaux et les cours est illégal, injuste, immoral ; il est dangereux pour la société ; il engage au crime, et, s’il y a eu augmentation dans le nombre des crimes, si, depuis quelques années nos cours d’assises ont retenti de faits tels qu’ils font frémir, non moins par les circonstances horribles dont ils étaient accompagnés, que par l’insouciance, je dirai l’impudeur des coupables ; c’est à ce déplorable système qu’il faut en attribuer la première cause.

Une semblable matière prêterait à de très longs développements. Pour ne point vous arrêter trop longtemps, je ne ferai qu’indiquer brièvement les principaux vices du système, me réservant d’en parler plus longuement lorsque le moment en sera venu.

D’après nos lois pénales, il existe trois sortes de détentions pour peines. (Je laisse de côté ce qui concerne le système pénal militaire qui réclame aussi une prompte réforme.) Il existe donc trois sortes de détentions, lesquelles résultent de la condamnation aux travaux forcés, de la condamnation à la réclusion, de la condamnation à l’emprisonnement.

A ces trois sortes de détentions, il faut en ajouter une quatrième, celle qui est la suite d’une condamnation pour mendicité ou d’une condamnation portant que celui contre qui elle est prononcée demeurera, après avoir subi sa peine, à la disposition du gouvernement. J’aurai tantôt l’occasion de dire aussi quelques mots de cette quatrième sorte de détention.

Les trois premières sont prononcées par la loi pour des faits différents et selon le degré de criminalité de ces faits ; aussi la loi a-t-elle eu soin d’établir une différence entre ces détentions, et il en devait être ainsi, car la peine prononcée pour un crime emportant les travaux forcés et celle qui est la suite d’un simple délit correctionnel doivent différer non seulement par le temps de la détention, mais aussi par sa nature. Aujourd’hui, les condamnés aux travaux forcés sont enfermés dans la maison de force de Gand ; les condamnés à la réclusion dans celle de Vilvorde ; les condamnés à un simple emprisonnement correctionnel dans la maison de correction de St.-Bernard. Quant aux femmes et aux enfants, les premières sont toutes envoyées dans la prison de Namur, les autres sont enfermés dans un quartier de celle de St.-Bernard.

Ceux d’entre vous qui ne se sont pas occupés spécialement de l’administration des prisons croient sans doute, et ils doivent le croire, que conformément à la loi et comme le réclament la justice, la raison, la moralité, la sûreté publique, le régime de Gand est plus sévère que celui de Vilvorde, celui de Vilvorde plus sévère que celui de St.-Bernard. Qu’ils se détrompent ; il n’existe point de différence entre le régime de ces trois maisons, ou, s il en existe une, elle est tout à l’avantage des grands criminels. Je sais très bien que l’on alloue à ces derniers une moindre part dans le produit de leur travail ; mais, en résultat, cette moindre part est souvent plus élevée que la part plus forte attribuée aux condamnés correctionnels. J’ai comparé, messieurs, des listes de paiement, et je me suis convaincu qu’en général les condamnés criminels touchent plus d’argent que les condamnés correctionnels.

La cause en est facile à comprendre : dans une prison correctionnelle, la plupart des détenus ne résident qu’un temps assez court ; ils n’ont guère le loisir d’apprendre un métier lucratif ou de devenir de bons ouvriers ; les condamnés criminels, au contraire, ayant au moins une détention de cinq ans à subir, ont tout le temps de se former et finissent par gagner d’assez bonnes journées. Du reste, la maison de Gand est la plus belle, la mieux entretenue, de manière que, de tous les condamnés, ce sont ceux ayant les travaux forcés à subir qui sont le mieux logés ; la nourriture est la même, mais, si j’en crois certains rapports, les condamnés correctionnels la reçoivent dans des gamelles en bois, la mangent avec des cuillers en bois , accroupis sur le pavé, s’ils ne préfèrent rester debout ; les condamnés aux travaux forcés ont des gamelles et des cuillers en métal et mangent commodément assis à des tables.

Ainsi donc, messieurs, une condamnation aux travaux forcés, prononcée pour un crime, dont les circonstances auront révolté la société tout entière, cette condamnation sera la même que celle prononcée pour un simple délit correctionnel ; il n’y aura de différence que quant au terme de la détention, et cinq ans de travaux forcés ne seront pas plus durs à supporter que cinq années d’emprisonnement correctionnel.

On comprend tout d’abord quelles doivent être les conséquences de ce monstrueux système. Quelques faits cependant les feront mieux saisir. De ceux qui sont à ma connaissance personnelle, je ne citerai que les plus concluants. J’en puise d’ailleurs les circonstances à des sources certaines.

En 1841 plusieurs condamnés, détenus à Saint-Bernard, mais qui l’avaient été précédemment à Vilvorde et à Gand, trouvant la vie plus agréable dans ces deux dernières prisons, demandèrent à retourner dans l’une d’elles. Comme de raison, on n’eut aucun égard à leurs réclamation ; ils les renouvelèrent en les accompagnant de menaces ; leur mécontentement à Saint-Bernard était tel, disaient-ils, que dans un moment d’exaspération, ils ne pourraient s’empêcher de faire un malheur. Ce que ces gens appellent un malheur, c’est un coup de couteau donné à la première victime qui se présente à leurs coups, et ce malheur qu’ils annonçaient comme inévitable, devait avoir pour but de faire changer leur condamnation correctionnelle en une condamnation criminelle, car aujourd’hui une condamnation aux travaux forcés est, dans certains cas, une faveur, comparativement à une condamnation à l’emprisonnement.

M. le ministre, on le conçoit facilement, n’eut pas plus d’égard à ces nouvelles démarches qu’aux premières qui avaient été faites ; l’on se contenta de punir disciplinairement leurs auteurs. Mais à l’expiration de leur peine disciplinaire, ils frappèrent cinq on six détenus de coups de couteau. Malheureusement pour eux, ils ne frappèrent pas assez fort et le résultat de leur combinaison ne fut qu’une nouvelle condamnation à 10 ans d’emprisonnement, de manière que leur but était manqué. Aussi n’hésitèrent-ils point à présenter une nouvelle requête, qui fut rejetée comme les précédentes ; l’un d’eux, alors, le nommé Vanderdonck, instruit par cette expérience et déterminé à atteindre la fin qu’il s’était proposée, à peine rentré à Saint-Bernard, enfonça son couteau jusqu’à la garde dans le dos de l’adjoint commandant, qui faillit en mourir, et cela, pendant que ce fonctionnaire recevait le transport et lisait à haute voix le règlement à ceux qui le composaient. Son premier coup de couteau ne lui ayant pas réussi, il en avait donc porté un second, mais cette fois il avait frappé plus fort et avait choisi pour victime, au lieu d’un détenu, un employé supérieur qui ne lui avait rien fait, contre lequel il n’avait aucune vengeance à exercer.

Eh bien, messieurs, au moyen d’un double crime, Vanderdonck a atteint son but ; il voulait être transféré à Gand ; ayant à subir la peine des travaux forcés à perpétuité ; il a obtenu la récompense qu’il attendait de sa combinaison ; selon ses désirs, il est détenu à Gand, et son sort n’est pas empiré quant au terme de la détention, car il avait plus d’années d’emprisonnement à subir qu’il n’en a probablement à vivre.

Un autre fait.

En 1842, trois détenus, les nommés De Cleyn, De Coninck et Lepaige, détenus à Saint-Bernard, avaient sollicité leur transfert à la maison de force de Gand, dont le régime, selon eux, était bien préférable à celui de la maison de correction de St.-Bernard. Sur le refus qu’ils éprouvèrent, ces détenus commirent presque simultanément trois tentatives d’assassinat sur leurs codétenus, Condamnés pour ces crimes, à dix ans d’emprisonnement et étant allés en appel à Bruxelles, ils adressèrent à M. le ministre de la justice, de la prison de cette ville, une requête dans laquelle ils se plaignaient de la sévérité avec laquelle on les traitait à St.-Bernard et demandaient à subir leur peine à la maison de force de Gand. Si on les contraignait à retournera St. Bernard, ils craignaient, disaient-ils aussi, que leur exaspération ne leur fît commettre un nouveau crime.

M. le ministre consulta, sur cette demande, la commission administrative, qui répondit que, loin de pouvoir être accueillie, une demande présentée sous une semblable forme méritait un châtiment exemplaire, et que, dans ce but autant que par mesure de prudence, les détenus De Kleyn, De Coninck et Lepaige seraient, à leur arrivée à St-Bernard, séquestrés dans une cellule isolée, jusqu’à ce qu’on fût fondé à croire qu’ils étaient venus résipiscence.

Cet avis ayant obtenu l’approbation de M. le ministre, on signifia aux détenus en question qu’ils seraient reconduits à St.-Bernard. Dès ce moment, ils concertèrent un nouvel assassinat. Le ministère public fut probablement instruit de leur dessein, car il donna l’ordre de les surveiller particulièrement, et de les séparer dans les prisons où ils feraient étape. Nonobstant ces précautions, De Kleyn, sans doute averti, exécuta le coup tout seul : au moment où un gardien de la prison de Malines le renfermait dans une cellule particulière, il se précipita sur lui et lui porta trois coups de couteau. Une visite minutieuse faite postérieurement sur Lepaige et De Coninck fit découvrir qu’ils étaient également parvenus à soustraire un couteau à la surveillance de la gendarmerie.

De Kleyn déclara devant la cour d assises qu’il regrettait d’avoir dû se porter à cette extrémité ; qu’il ne connaissait aucunement le gardien qu’il avait frappé, et ne pouvait par conséquent avoir contre lui de motif de vengeance, mais qu’il ne voulait à aucun prix retourner à St-Bernard.

Condamné pour ce fait, il se félicite sans doute en ce moment dans la maison de force de Gand, où il est détenu, du succès de sa criminelle action.

Peu après on fut forcé de placer dans des cachots isolés six ou huit individus détenus à St.-Bernard qui avaient proféré des menaces de mort, si on ne les transférait pas dans la maison de Gand. De ce nombre étaient De Coninck et Lepaige, et un nomme Stanleyn, qui environ un an avant avait adressé à M. le ministre une pétition dans le style de celle rapportée plus haut.

Enfin, il y a peu de mois qu’est rentré à St.-Bernard un détenu qui, sous prétexte de remords de conscience, s’était accuse d’avoir assassiné un homme, et qui, lorsque l’instruction eut prouvé qu’il ne pouvait être l’auteur de ce crime (tout faisait même présumer qu’il y avait eu suicide), reconnut qu’il avait induit la justice en erreur, et qu’il l’avait fait parce qu’il espérait par ce moyen être condamne aux travaux forcés et quitter St.-Bernard, dont le séjour lui était devenu insupportable.

Cet homme a renouvelé cette déclaration devant les fonctionnaires administratifs ; il a tout au plus 22 ans. Il avait commencé sa carrière par être détenu dans un dépôt de mendicité ; là il déclara avoir volé pour échanger le régime de cet établissement contre celui de la prison, et plus tard, il s’accusait d’un assassinat, parce que, selon lui, on est beaucoup mieux encore dans une maison de force que dans une maison de correction.

Je pourrais multiplier ces exemples qui, vous le voyez, s’étendent jusqu’aux dépôts de mendicité, que j’ai indiqués tout à l’heure : je pourrais vous démontrer qu’il est arrivé plusieurs fois encore que des individus détenus dans ces dépôts commettaient des délits, ou bien s’accusaient de délits qu’ils n’avaient point commis, dans le but d’être transférés à St.-Bernard.

Je vous ai dit, en commençant, que le système actuel était illégal, et en effet, messieurs, il est le résultat d’arrêtés, de simples instructions ministérielles, qui ont abrogé la loi. Je sais bien que les boulets et les chaînes ne sont plus de notre temps, pas plus que n’en sont la marque et l’exposition publique, qu’une loi devrait supprimer ; mais toujours est-il qu’il résulte des articles 15, 21 et du code pénal que la loi a voulu qu’il y ait une différence marquée dans les régimes imposés des coupables, selon qu’ils sont condamnés aux travaux forcés, à la réclusion, ou au simple emprisonnement.

J’ai dit qu’il était injuste, parce qu’en effet la raison et l’équité sont d’accord avec la loi, pour vouloir que la peine soit proportionnée à la gravité du fait pour lequel elle a été prononcée.

Jai dit qu’il était immoral, dangereux pour la société, qu’il engageait au crime, qu’il était la cause première des attentats extraordinaires commis depuis quelques années ; et, en effet, du moment où il est établi, reconnu que le régime de la maison de force de Gand n’est pas plus effrayant que celui de la maison de force de Vilvorde, celui de cette maison pas plus que celui de la maison de détention de Saint-Bernard, et celui de cette dernière maison pas plus que celui d’un dépôt de mendicité, voici les raisonnements auxquels doivent nécessairement se livrer, après quelque expérience, ces hommes abrutis par la débauche, endurcis dans le crime, parvenus à étouffer toute conscience, ces hommes qui ont l’ordre et la prévoyance en horreur, et qui veulent vivre à l’aventure et au jour le jour, ou acheter une existence assurée au prix de leur liberté.

S’ils mendient, ils sont condamnés à quelques jours de prison et sont ensuite détenus pendant une couple d’années dans un dépôt de mendicité ; autant vaut-il voler que mendier ou faire les deux choses en même temps ; car il est rare qu’un simple vol soit puni de plus de deux années d’emprisonnement, et deux années passées à St-Bernard ne sont pas plus dures que deux années passées au dépôt ; fléau de nos cultivateurs, ils parcourent donc nos campagnes par bandes, faisant profession de mendier, menaçant ceux qui osent leur refuser, volant si on ne leur donne pas assez, et dès qu’ils en trouvent l’occasion.

Mais, si le simple vol correctionnel ne leur suffit point, s’il n’est pas pour eux d’un assez bon produit, pourquoi reculeraient-ils devant un vol avec effraction, avec escalade, devant un vol commis sur chemin public, avec violence, sur les personnes ; pourquoi s’effraieraient-ils même à l’idée d’un meurtre, si c’est pour eux un moyen plus sûr de perpétuer le vol, d’en rendre la preuve difficile ? Ce qui peut leur arriver de pire, c’est d’être envoyés pour un temps plus ou moins long, à perpétuité même, dans la maison de force de Gand. Mais on n’est pas plus mal à Gand qu’à Vilvorde, à St.-Bernard, ou bien à un dépôt de mendicité. Et quant au terme de la détention, les mots à perpétuité même n’ont rien d’effrayant. Une fois entré dans la prison, où d’ailleurs on n’est pas mal, où l’on est bien nourri, bien logé, où l’on gagne assez pour avoir journellement quelque argent de poche et se former un pécule pour le moment où l’on sortira, où l’on est continuellement en société avec ses pareils, une fois entré dans la prison, dis-je, on se montre obéissant, souple, on cherche à rendre quelques services dans l’intérieur de la maison et l’on obtient successivement des réductions de peine qui amènent, au bout de quelque temps, la mise en liberté. On commence alors par dépenser en débauches le pécule amassé pendant le temps de la détention, sauf à reprendre, quand on n’a plus rien, la vie que l’on menait auparavant.

Voilà, messieurs, le point de dégradation auquel est arrivée une partie de la société ; aussi les récidives se sont-elles accrues dans une progression effrayante, et si l’on ne se hâte de substituer au système dont je viens de signaler les abus, un système plus juste et plus moral, je ne crains pas de dire que cette démoralisation ira toujours croissant et qu’elle finira par être menaçante pour la société.

En effet, messieurs, aux considérations que j’ai fait valoir, ajoutez encore cette dernière, qui n’est pas moins frappante, qui m’a préoccupé depuis longtemps, et que j’ai trouvée énergiquement exposée dans un travail officiel, c’est que, s’il est vrai que nos prisons ne laissent rien à désirer sous le rapport de l’ordre matériel, s’il est vrai que les prisonniers sont convenablement logés, nourris, habillés, qu’ils sont bien soignés en cas de maladie, qu’on les encourage au travail, et qu’au besoin on leur enseigne un métier, il est vrai aussi, d’un autre côté, que sous le rapport moral, bien autrement important, tout y est désordre, misère et corruption. Le crime y est presque en honneur ; il y est enseigné par les plus experts à ceux qui sont moins avancés dans cette horrible carrière. C’est un titre à la considération parmi les détenus que d’être plus astucieux, plus pervers, plus corrompu que les autres. Sans cesse en réunion, on ne s’occupe que de moyens d’évasion et de crimes à commettre lorsqu’on sera libre, et pour démoraliser un homme, il serait difficile d’employer un meilleur moyen que de l’envoyer pendant quelque temps dans une de nos prisons. C’est là que se combinent et se préparent la plupart des grands crimes ; et si parfois, ramènes par les exhortations de l’aumônier, par les bons conseils de quelques employés, par les remords d’une conscience qui n’est pas entièrement étouffée, certains détenus sortent repentants de leurs crimes, et faisant de bonnes résolutions pour l’avenir, il n’arrive que trop souvent, l’expérience est là pour le prouver, que rencontrant sur leur chemin un de leurs anciens camarades, ils sont débauchés par lui et entraînés par toutes sortes de moyens, voire même par la menace, à l’aider dans l’exécution de ses nouveaux projets à lui donner ce que, dans le langage de ces gens, on appelle un coup de main.

Mais, dira-t-on, tout d abord, vous nous avez signalé le mal, faites-nous connaître le remède. Au système dont vous venez de dévoiler les abus, quel système voulez-vous donc substituer ?

Ce système, messieurs, résulte des considérations mêmes dans lesquelles je suis entré. J’indiquerai, du reste, en très peu de mots, ce qu’il y a à faire, selon moi, pour remédier aux vices que j’ai signalés, pour arrêter les progrès d’un mal qui devient alarmant.

D’abord, la base du système de détention devrait être l’isolement et le silence ; non point si l’on veut l’isolement absolu, mais l’isolement avec certains ménagements, certaines restrictions graduées d’après la nature de la peine.

Il faut, en second lieu, non seulement adopter un principe, mais faire effectuer la séparation des détenus d’une même prison en différentes catégories, séparation absolue, séparation telle que les détenus d’une catégorie différente, n’auraient jamais la moindre relation ensemble, qu’ils ignoreraient même la présence l’un de l’autre dans la même prison

En troisième lieu, on doit introduire une différence sensible, non seulement quant au degré d’isolement, mais quant au régime de couchage et de nourriture, quant au travail auquel ils seraient astreints, entre les condamnés d’espèces différentes ; une différence sensible aussi entre les salaires qui leur sont alloués, et arrêter même qu’aucun argent de poche, aucune douceur, ne seraient accordés aux condamnés aux travaux forcés à perpétuité, si ce n’est comme récompense, en cas de bonne conduite.

Enfin, une chose non moins indispensable, c’est le nombre de ces grâces, de ces commutations de peines périodiques, sur lesquelles les détenus comptent trop, et qu’on prenne la résolution de ne solliciter du roi de semblables faveurs pour les récidifs que dans des cas extraordinaires et tout à fait exceptionnels. Les détenus comptent tellement sur une réduction de peine au bout du temps, qu’ils se plaignent, quand ils ne l’obtiennent pas, comme on se plaint d’une injustice, d’un passe-droit.

Voilà, messieurs, les principes qui devraient, selon moi, servir de base au système d’exécution des peines. Je n’ai fait que les indiquer, et je ne veux ni les développer, ni entrer dans les questions de détail, d’abord parce que cela m’entraînerait trop loin, en second lieu parce que j’aime peu à traiter ici des questions d’administration, que je préfère abandonner à la sagacité du gouvernement.

Si j’avais voulu m’occuper de l’administration, j’aurais eu à révéler bien des fautes, bien des abus, j’ai la confiance que M. le ministre de la justice y mettra un terme, en reformant l’organisation actuelle. Je le conjure de s’occuper sans délai de cet important objet ; qu’il appelle pour l’éclairer, s’il le veut, une commission composée d’hommes dont la longe expérience puisse lui être utile ; qu’il arrête, en attendant, quelques mesures, dont la première devrait être, selon moi, la suppression de la cantine pour les condamnés aux travaux forcés à perpétuité, mais qu’il comprenne bien que s’il parvient à réformer convenablement notre système pénitentiaire, à diminuer ainsi le nombre des crimes, à moraliser plus ou moins cette classe d’hommes, heureusement peu nombreuse encore, qui est aujourd’hui le rebut et la terreur de la société, il aura rendu à son pays le plus grand service que celui-ci puisse attendre de lui.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, l’honorable M. de Brouckere a commencé par dire que le système suivi jusqu’à présent pour les prisons est un système illégal. Je ne puis admettre cette assertion. Il suffit d’examiner les articles du code pénal qui parlent des prisons pour se convaincre que tout ce qui concerne le régime des prisons est abandonné aux soins du gouvernement.

En effet, messieurs, le code pénal se borne à dire que les condamnés à la réclusion seront enfermés dans une maison de force, ceux à l’emprisonnement dans une maison de correction. Le régime de ces maisons n’est pas réglé par la loi, c’est donc au gouvernement qu’est remis ce soin, de même qu’il est chargé de régler et de déterminer les salaires. Les règlements que le gouvernement a faits à cet égard ne peuvent donc pas être qualifiés d’illégaux.

Il y a plus, messieurs, quand les bagnes ont été supprimés, ils l’ont été par un arrête du roi Guillaume, antérieur, je pense, à la promulgation de la loi fondamentale, et cet arrêté les a remplacés par ce qui existe maintenant. L’arrêté dont il s’agit ayant été pris par le roi Guillaume, à une époque où il était investi du pouvoir législatif, il n’y a encore là rien que l’on puisse taxer d’illégalité.

C’est donc à tort que l’honorable M. de Brouckere a considéré le régime actuel des prisons comme illégal.

L’honorable membre a parlé de l’augmentation des crimes et délits et des récidives. Je suis heureux de pouvoir dire que cette augmentation n’existe pas, au moins depuis quelques années. J’ai ici un tableau des crimes et délits commis depuis 1840, et voici les résultats que j’y trouve :

En 1840,il y a eu 328 accusations ;

En 1841, il y en a eu 325 ;

Et en 1842, dernière année dont on puisse avoir le relevé, en ce moment, il y en a eu 333.

Vous voyez donc, messieurs, que les crimes et délits n’ont pas augmenté, et je suis heureux d’avoir à faire une semblable déclaration.

Voici maintenant, messieurs, le tableau des récidives, depuis 1836 :

En 1836, sur 543 accusés 149 en état de récidive ;

En 1837, sur 504 accusés, il y en avait 155 en état de récidive ;

En 1838, il y en a eu sur 449 accusés 137 en état de récidive ;

Et enfin, en 1842 (pour passer quelques années), nous comptons 415 accusés, dont seulement 119 en état de récidive.

Je ne vois donc pas qu’on puisse dire que le nombre de récidives soit augmenté, au moins depuis un certain nombre d’années.

En répondant tout à l’heure à l’honorable M. Savart j’ai reconnu les vices du système actuel des prisons, en ce sens qu’il n’y a pas de différence, quant à la peine ou plutôt quant à la manière de la subir ; j’ai reconnu qu’à Vilvorde, à Gand et St-Bernard, le régime était le même, qu’il n’y avait pas de gradation ; j’ai reconnu que c’était un abus qui appelait une réforme immédiate.

J’aurais désiré que l’honorable M. de Brouckere, qui a également signalé ces abus, eût bien voulu nous indiquer les remèdes pour les détruire, mais toutes les améliorations qu’il nous a signalées existent déjà maintenant ou du moins sont en voie d’exécution, et je vais avoir l’honneur de le prouver à l’instant

L’honorable M. de Brouckere vous a présenté une prison comme un lieu où le crime serait en honneur, où chaque individu se vanterait du crime qu’il a commis et engagerait son voisin à en commettre de semblables. Il vous a dit qu’il était temps de chercher à moraliser cette classe de malheureux et d’empêcher que les prisons ne soient de véritables foyers d’immoralité.

L’honorable M. de Brouckere. n’ignore pas sans doute que tous nos efforts tendent à ce but, que pour l’atteindre nous cherchons, autant que possible, à introduire dans les prisons les bienfaits de l’élément religieux, que des aumôniers sont attachés à toutes les prisons, que les religieux sont également admis, que des instructions morales et religieuses sont très régulièrement données aux détenus, et que ceux-ci sont, jusqu’à l’âge de 40 ans, obligés de fréquenter l’école. Ainsi, religion, morale, instruction, rien n’est négligé, on fournit même aux détenus des livres de morale, et l’on autorise dans les prisons la lecture à haute voix. Je pense, messieurs, qu’il est impossible d’employer des moyens plus efficaces que ceux auxquels on a eu recours jusqu’ici pour parvenir à moraliser les détenus. Je pense que tout ce que l’honorable M. de Brouckere a indiqué comme devant être fait, se fait maintenant, ou est sur le point de se faire.

L’honorable M. de Brouckere a parlé du système d’isolement comme étant également un moyen de moralisation. Je partage entièrement son avis à cet égard. Je dois faire connaître à la chambre, ce que cet honorable membre n’ignore pas sans doute, que ce système est adopté par le gouvernement. Les travaux, pour le mettre à exécution, sont poussés à Vilvorde avec la plus grande activité et sont presque terminés à Gand. Le système adopté est un système mixte, il existe deux systèmes d’isolement : le système d’isolement complet, où le condamné reste dans sa cellule seul, jour et nuit, y travaille et n’en sort qu’un moment pour se promener seul dans un préau, et le système mixte d’isolement qui consiste dans l’isolement du détenu pendant la nuit, et le travail en commun et en silence dans des ateliers. C’est ce dernier système que nous avons provisoirement adopté. Nous avons pensé que le système d’isolement complet n’avait pas encore pour lui l’expérience et que nous ne devions pas entraîner le pays dans des frais considérables, en vous proposant des mesures législatives pour établir un système appuyé par les uns, combattu par les autres, et dont les avantages sont encore incertains.

Le silence est établi dans les ateliers où l’on travaille en commun ; le silence doit également régner dans les cours, où les détenus devront se promener en rang, un jour à côté de l’un, le lendemain à côté d’un autre, de manière à empêcher que des liens d’amitié ou d’autres rapports ne s’établissent entre les détenus. Nous pensons par ces moyens atteindre un des buts qu’on doit se proposer, celui de moraliser les détenus, d’empêcher qu’il ne s’établisse entre eux de liens criminels et que l’un ne pervertisse l’autre.

L’honorable M. de Brouckere a signalé encore comme un des moyens qu’on peut employer, celui consistant à priver le détenu d’argent de poche, à ôter dans certains cas le salaire et à ne l’accorder uniquement que comme une récompense. Je lui dirai que, par un arrêté contresigné par M. Ernst les salaires ont été supprimés, et il a été établi qu’on ne donnerait aux détenus que des gratifications quand ils les auraient méritées par leur conduite et par un travail assidu. Par cet arrêté, il est réservé au ministre de majorer ces gratifications quand les détenus se rendraient dignes de cette faveur, de manière que si dans les prisons des individus m’étaient signalés comme ne remplissant pas les devoirs qui leur sont imposés, j’aurais le droit de les priver de toute rémunération.

Enfin l’honorable M. de Brouckere vous a parlé des commutations de peines périodiques, il a dit que les condamnés comptaient sur ces commutations et considéraient comme une espèce d’injustice le refus d’une grâce, alors qu’ils l’attendaient. L’honorable membre sait que les commutations sont proposées par les commissions des prisons : Un arrêté du régent fixe les époques auxquelles ces commutations seront proposées. Il ne dépend pas du ministre d’empêcher ces propositions de commutations. Au reste, depuis que je suis au ministère, je ne pense pas qu’on puisse m’accuser de n’avoir pas été assez sévère à l’égard des commutations. Les demandes ont été presque toutes rejetées parce qu’elles ne me semblaient pas motivées sur des faits de nature à mériter la moindre faveur.

Je trouve que cet arrêté du régent présente de grands inconvénients, en ce que les détenus comptent sur des commutations à époques fixes. Je proposerai le retrait de cet arrêté pour ôter aux condamnés l’idée qu’ils peuvent espérer, à certaines époques, des commutations de peine. A cet égard, je suis d’accord avec l’honorable membre, ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai l’intention de proposer le retrait de cet arrêté qui ne s’applique, au reste, déjà plus dans plusieurs prisons.

Je pense que notamment dans la prison de Gand, on ne fait des propositions que quand la commission pense qu’il y a réellement des sujets qui méritent une commutation, mais qu’elle ne se croit plus astreinte, en vertu de l’arrêté de 1831, à faire des propositions à époques fixes.

M. de Brouckere. - A St-Bernard et à Mons, cela se fait encore.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - C’est possible, mais je suis certain que cela ne se fait plus à Gand.

L’honorable M. de Brouckere a, en outre, engagé le gouvernement à supprimer les cantines pour les condamnés aux travaux forcés à perpétuité.

Déjà de grandes modifications ont été faites au régime des cantines, déjà l’on y a défendu la vente de plusieurs objets qui s’y débitaient jadis, de manière que les cantines dans les prisons sont loin de pouvoir répondre aux désirs des détenus. D’autres suppressions d’objets jadis tolérés dans les prisons ont eu lieu et ont amené des conflits. A Alost et à Gand, la suppression du tabac a produit une émeute qu’il a fallu réprimer par la force ; cette résistance ne nous arrêtera pas, nous irons peut-être plus loin encore, mais il faut prévoir les conflits qui pourront résulter des mesures à prendre et être en position de les comprimer. On devra peut-être attendre, pour supprimer les cantines que toutes les cellules soient faites, et qu’on soit ainsi entièrement maître des nombreux détenus qui se trouvent dans les prisons.

J’ai dit qu’il y avait égalité dans la manière de subir les peines à Saint-Bernard, à Vilvorde et à Gand. D’après ce qu’à dit l’honorable M. de Brouckere, il semblerait que le régime de Saint-Bernard est plus sévère que celui des autres prisons.

Cependant le régime alimentaire est absolument le même partout, il n y a de différence que quant au salaire qui est plus élevé à Saint-Bernard que dans les autres prisons. Il est possible qu’à cause des localités, les détenus se trouvent mieux à Gand. Nous tâcherons d améliorer la maison de St-Bernard. Mais, je le répète, la différence entre cette maison et celle de Gand ne peut consister que dans les locaux et non dans le régime. La maison de Gand a été construite pour la destination à laquelle elle sert, elle est parfaitement bien tenue. Celle de St-Bernard l’est également, mais les locaux n’y sont pas aussi bien disposés. Cette différence, signalée par l’honorable M. de Brouckere, est un mal, je m’efforcerai de le faire disparaître, et je compte, pour atteindre ce but, sur le concours et l’expérience de l’honorable membre.

M. Rodenbach. - Dans une précédente séance, l’honorable M. de Muelenaere a signalé une imperfection de la loi sur le domicile de secours ; et M. le ministre, sur l’interpellation du député de Courtray, a promis de présenter un nouveau projet de loi. Je me permets de remémorer cette promesse à M. le ministre, parce que cette loi est très urgente. Je crois devoir lui signaler en même temps une autre imperfection. Je veux parler des dépôts de mendicité. Vous savez que, d’après l’art 1er de la loi du 13 août 1833, toutes les personnes qui se présentent aux dépôts de mendicité, on est tenu de les recevoir aux frais de la commune. S’il ne s’agissait que de vieillards d’infirmes, d’aveugles, on concevrait que cet asile dût leur être ouvert, mais les faux mendiants, les vagabonds, des hommes de 25 à 30 ans, ont le droit de se faire admettre dans ces dépôts de mendicité, cela me paraît une iniquité, c’est enlever leur bien aux malheureux. Ces frais sont tellement exorbitants dans nos communes, que nos administrations ne peuvent plus y suffire. La ville de Bruxelles paie au dépôt de mendicité de la Cambre 250,000 fr. par an. Nos communes, qui ont peu de ressources, se trouvent frappées par cette mauvaise loi. On finira, si on n’y porte remède, par ruiner nos bureaux de bienfaisance. Je prie M. le ministre de nous présenter le plus tôt possible un projet de loi pour modifier l’art. 1er de la loi de 1833, qui est une véritable protection accordée à la paresse, au vagabondage. Cette disposition est vicieuse et immorale. Je prie M. le ministre de nous dire s’il se propose de s’occuper prochainement de porter remède à cet abus.

M. Van Cutsem. - Messieurs, ce n’est pas pour combattre le chiffre global d’environ onze millions demandé au budget de 1843 à 1844, par M. le ministre, pour l’administration de la justice, ce n’est pas pour blâmer la direction qu’il a donnée aux affaires depuis qu’il est à la tête de son département que je prends la parole, c’est pour rappeler à M. le ministre que telles et telles parties de notre législation civile, commerciale et pénale ont besoin de modifications. C’est pour vous soumettre quelques réflexions sur des sommes demandées pour satisfaire à certains besoins du service, c’est pour vous faire part d’une idée qui devrait, d’après moi, si elle est susceptible d’exécution, augmenter la considération dont la magistrature jouit, et donner des garanties nouvelles aux justiciables, que je réclame quelques instants votre bienveillante attention.

Je demanderai à M. le ministre, à quelle époque il croira pouvoir saisir la chambre d’un projet de loi tendant à modifier notre système légal actuel en matière d’expropriation forcée, de particulier contre particulier, à quelle époque il nous soumettra ses vues sur un nouveau régime hypothécaire, quand il nous proposera la révision de nos lois commerciales en matière de faillite, lois qui donnent chaque jour lieu à de nouveaux abus et par suite à de nouvelles plaintes, quand il mettra nos lois pénales en harmonie avec l’Etat actuel de notre société, car enfin ce code pénal qui n’est plus de nos jours, qui était fait pour un gouvernement despotique et non pour un gouvernement constitutionnel, est trop prodigue de la peine de mort, et par cela même qu’on lit à chaque page, que tels et tels faits sont punis de mort, on acquiert la conviction que cette sévérité draconienne est souvent la cause de l’impunité de certains crimes, que la société a le plus grand intérêt à voir punir ; et pour ne parler que d’un seul de ces crimes qui presque toujours échappe à la vindicte publique, je ne vous dirai un mot que de l’infanticide, que la société a cependant le plus grand intérêt à voir punir ; je demanderai encore à M. le ministre, s’il ne croit pas, comme moi, que notre tarif judiciaire en matière civile est à revoir pour le mettre en harmonie avec la valeur actuelle de l’argent et les besoins des officiers ministériels dont il fixe le salaire ; je prierai aussi M. le ministre de me dire s’il ne pense pas encore que le tarif des frais de justice criminelle doive être changé pour les mêmes raisons, et encore parce que les personnes qui devaient, avant la construction des chemins de fer, à passer trois jours hors de chez elles pour satisfaire à un mandat de justice, peuvent faire aujourd’hui tous les trajets d’aller et de retour en Belgique en un seul jour, ne doivent plus se voir allouer les indemnités qui leur étaient accordées lorsque les moyens de transport n’étaient pas aussi accélérés ; enfin, M. le ministre ne songe-t-il pas à doter le pays d’une nouvelle loi sur l’exercice de la profession de notaire, d’une loi telle que des hommes qui sont obligés d’avoir les mêmes connaissances, aient les mêmes moyens d’existence, d’une loi telle que les notaires des chefs-lieux des cours d’appel ne puissent plus venir instrumenter dans les plus petites communes du pays, pour y enlever aux notaires de campagne leurs moyens d’existence.

Les réformes que je demande ont déjà eu lieu en France, en matière de faillite et de banqueroute par la loi du 28 mai 1838, en matière de saisie immobilière par celle du 2 juin 1841, d’autres au code pénal par une révision de ce corps judiciaire ; il n’y a qu’en Belgique où, depuis 1830, nous n’avons pas vu soumettre à la chambre, par les ministres qui se sont succédé au département de la justice, des projets de loi qu’on a le droit d’attendre de ce département ; j’ose espérer que le ministre actuel fera mieux que ses prédécesseurs et qu’il dotera le pays de quelques-unes de ces lois dont nous avons un si grand besoin.

Un chiffre dans le budget de la justice m’a frappé cette année comme les années précédentes, c’est celui qui est pétitionné pour les frais d’exécution et d’instruction criminelle ; ce chiffre est de 679,000 fr. pour une population de quatre millions d’âmes, lorsqu’en France on ne demande qu’environ 500,000 fr. pour une destination semblable et pour une population égale à celle de la Belgique, puisque pour toute la population qui est de 34,000,000 on ne porte au budget pour frais de justice et d’exécution, que 4,000,000.

Est-ce que le peuple belge serait moins moral que le peuple français, est-ce que le peuple belge ne mériterait plus aujourd’hui, depuis notre régénération politique, son ancienne réputation de moralité, puisque c’est depuis douze ans seulement que les frais de justice ont si considérablement accru ; ou y a-t il d’autres causes qui portent nos populations au crime ?

Pour moi, je pense, à en juger d’après ce qui se passe dans l’arrondissement qui m’a envoyé dans cette enceinte et où le nombre de crimes et délits a doublé depuis une douzaine d’années, que c’est la misère qui est cause de cette grande augmentation dans les frais de justice criminelle. Arrivé à un certain degré de dénouement, l’homme cesse tout à coup de lutter contre le malheur, sa volonté éteinte ou fatiguée n’est plus capable d’un seul effort et il se laisse entraîner sans résistance jusqu’au dernier abîme du paupérisme ; c’est cette misère qui est la suite de la déplorable position de notre industrie linière dans les Flandres et non pas du juste châtiment d’une vie d’imprévoyance et de désordre qui pousse l’homme au crime en détruisant en lui tons ses instincts généreux.

Ce qui prouve mieux que tout ce que je pourrais dire pour vous le démontrer, que la misère en Belgique doit être attribuée à l’absence de travail, et non aux vices des malheureux, ce sont les efforts que le gouvernement, le clergé et tous les hommes de bien font pour donner aux classes laborieuses du travail qui commence à manquer dans toutes les parties du pays.

Si la misère n’est pas coupable en Belgique, si c’est cette misère qui porte l’homme au crime, ne sommes-nous pas forcés de dire que le criminel est plus à plaindre qu’à blâmer ; ne devons-nous pas consacrer alors tous nos moments à soustraire le prolétaire à la fâcheuse nécessité qui l’attend, en lui donnant de l’ouvrage, seule ressource qui puisse le faire rester dans le chemin de la vertu, parce que l’aumône dégrade l’homme du peuple, tandis que le travail l’élève à ses propres yeux ; oui, messieurs, l’homme qui a le sentiment de sa propre dignité n’est jamais vicieux, n’est jamais criminel, il n’y a de pervers dans l’humanité que celui qui oublie ce qu’il se doit à lui-même.

Après vous avoir dit quelques paroles des malheureux qui occupent la justice, qu’il me soit permis de vous dire un mot de la magistrature, non pas pour vous parler de cette position que le souverain désire lui voir donner par vous, quoique je pourrais bien vous dire, en vous parlant de ceux qui occupent les derniers échelons de la hiérarchie judiciaire. tels que les juges de paix et leurs greffiers, que leur position est insupportable, qu’il est injuste de donner aux garçons de bureaux dans l’administration du chemin de fer un traitement aussi fort que celui alloué aux juges de paix, et trois fois aussi élevé que celui que reçoivent leurs greffiers ; mais à quoi bon vous entretenir de ces faits, vous les connaissez comme moi, et vous savez comme moi que les enfants de certains juges de paix, qui n’ont pas de fortune personnelle, deviennent domestiques pour vivre, que les enfants de certains greffiers, qui n’ont que les ressources de leur place, reçoivent des aliments de leurs voisins pour ne pas mourir de faim, vous savez tout cela comme moi, pourquoi donc vous parlerais-je de ces fonctionnaires pour vous apitoyer sur leur sort et vous porter à l’améliorer. Je ne vous entretiendrai donc pas de la magistrature dans ce but, je ne vous en dirai quelques mots qu’avec la pensée d’augmenter la considération dont elle doit jouir pour atteindre le but de son institution.

L’intérêt de la société a toujours demandé, et il demande à présent plus que jamais, que la magistrature soit forte et honorée ; mais le respect qui doit l’entourer ne serait ni sérieux ni durable s’il ne tirait son origine que des attributions que la loi lui confère, et s’il ne résidait surtout dans la conviction de chacun, que le magistrat est un homme de savoir ; or, on n’aura de véritables garanties de science qu’en exigeant de lui des études et des examens plus sévères que ceux qui sont nécessaires pour la profession d’avocat, qu’en ouvrant dans les universités de l’Etat des chaires principalement destinées aux jeunes gens qui veulent entrer dans la magistrature.

Quand ces jeunes gens auront fait les études que je viens d’indiquer, on devrait leur faire subir un surnumérariat judiciaire et les admettre, seulement après cette épreuve, à faire partie d’un corps qui dispose de l’honneur et de la vie de tous.

Dans le siècle qui a précédé celui où nous vivons, cette épreuve pouvait ne pas être nécessaire, parce qu’alors la magistrature avait les traditions de famille, l’éducation de famille qu’elle n’a plus aujourd’hui et qui pouvaient remplacer l’institution du surnumérariat judiciaire. Napoléon, ce grand génie de l’organisation gouvernementale, n’a-t-il pas été convaincu qu’il fallait remplacer, dans l’éducation du magistrat, les traditions de famille par quelque chose qui pût atteindre le même but ? N’a-t-il pas créé des auditeurs près les tribunaux de première instance, près les cours d’appel, pour que ces jeunes gens, élevés, pour ainsi dire, au sein de la magistrature, vivant au milieu d’elle, entourés de l’exemple de ses vertus, remplaçassent dignement leurs devanciers ; en agissant ainsi, il a substitué, pour eux, à l’éducation de famille, l’éducation de la compagnie dont ils devaient faire un jour partie. Ce que Napoléon a fait pour la France dans les premières années de ce siècle, pourquoi notre gouvernement ne le ferait-il pas pour la Belgique, pourquoi ne le ferions-nous pas, lorsque nous avons vu la France supprimer en 1830 son auditorat judiciaire et son administration proposer en 1842 de le rétablir ? En 1842 la chambre des députés a voté une loi qui instituait de nouveau l’auditorat près les tribunaux et les cours, et la chambre des pairs a décrété la même mesure en l’amendant, il est vrai, mais en déclarant le surnumérariat judiciaire éminemment utile à la magistrature.

Si la Belgique possède un jour une pareille loi, le public sachant que le magistrat a passé par des épreuves sérieuses pour constater ses connaissances, n’aura plus que du respect pour lui.

L’idée que j’énonce n’a pas encore été bien approfondie par moi, elle m’est venue, elle m’a souri, je la méditerai, et, en attendant, je la communique à M. le ministre de la justice et à toutes les personnes qui veulent bien penser à donner à leur pays des institutions qui puissent augmenter la somme de son bien-être.

Si le gouvernement croyait pouvoir donner suite à mon idée, la magistrature aurait pour école spéciale l’auditorat, comme l’armée a ses écoles militaires, comme j’espère que l’administration aura un jour la sienne dans un conseil d’Etat ; si un jour il y a un auditorat, le pays aura une succession de magistrats qui réuniront en eux l’instruction, l’intégrité, l’indépendance et la dignité.

M. Castiau. - Si le ministère de la justice est en ce moment sans signification politique, puisque le chef de ce département a été pris en dehors des combinaisons parlementaires, il n’en est pas moins l’un des plus importants par l’étendue, la variété et la multiplicité de ses attributions.

Ainsi cette administration touche à la fois aux intérêts les plus élevés et aux intérêts en apparence les plus intimes de notre société.

Elle touche aux intérêts les plus élevés, car elle embrasse les intérêts législatifs, les intérêts du culte même, par les traitements des ministres des cultes. Elle touche aux intérêts les plus douloureux, aux intérêts qu’on a l’habitude de considérer comme les plus infimes, puisque cette administration s’étend aux bureaux de bienfaisance, aux hospices, et à cette question du système pénitentiaire qui vient d’être agitée dans cette enceinte. C’est là, il faut le reconnaître, un rude fardeau pour celui qui accepte une telle tâche.

Avant donc de donner à M. le ministre de la justice ma confiance et mon vote, je désire l’interpeller sur quelques-unes des questions et des améliorations qui se rattachent à son administration. Je tiens, avant tout, à connaître le programme des réformes qu’il veut réaliser dans la vaste et difficile administration qui lui est confiée.

Et d’abord, si je reviens sur une question déjà agitée au début de cette séance, celle de la révision des codes, c’est parce que je ne puis m’associer à cette pensée exprimée par mon collègue M. Savart, et appuyée et développée par M. le ministre de la justice, que la révision des codes devrait se borner à trancher quelques points douteux de la jurisprudence. Je crois que la révision qu’a voulue la constitution doit embrasser un cadre plus vaste, qu’elle ne doit pas se renfermer dans des questions de jurisprudence et de procédure, qu’elle doit porter sur des titres entiers, et surtout sur les principes mêmes et les bases de la législation impériale.

Il ne faut pas se le dissimuler, et il faut avoir le courage de l’avouer : le code civil lui-même porte, dans de nombreuses dispositions, l’empreinte de la pensée réactionnaire de l’empire. On y trouve la pensée intime de ses projets ambitieux et rétrogrades, de ses retours au passé ; c’est là qu’il avait déposé, dans les dispositions relatives aux majorats et aux substitutions, le germe de toutes les institutions aristocratiques qu’il voulait restaurer. Il y a donc lieu d’attaquer et d’extirper de nos institutions civiles le principe et les conséquences de toutes ces pensées réactionnaires et de réviser l’ensemble de cette législation. C’est là le travail et l’œuvre, ce que notre constitution toute démocratique a eu en vue, lorsqu’elle a mis à l’ordre du jour la révision, non de quelques articles des codes, mais de la législation impériale tout entière.

Cependant, je ne pousserai pas l’exigence jusqu’à demander la révision immédiate et instantanée de tous nos codes. Evidemment, c’est là une œuvre difficile, une œuvre de patience et de réflexions, une œuvre qui exige de lentes et nombreuses méditations. Mais j’aurais voulu qu’indépendamment de la nomination des commissions dont on vient de vous parler, on préparât le grand travail de révision en consultant les cours d’appel et les tribunaux de première instance, les parquets, les jurisconsultes et les barreaux des principales villes du pays. C’est ainsi qu’on procédait sous le régime impérial. Je crois que cette tradition, du moins, devrait être suivie en cette circonstance.

Si je pense que la révision des codes doit être une œuvre lente, mûrie par l’expérience, les méditations et les lumières de tous ceux qui s’occupent d’études et des travaux législatifs, je n’en crois pas moins qu’il y a dans nos codes des dispositions tellement vicieuses qu’elles devraient disparaître à l’instant même, Ainsi, l’honorable M. Savart (et sous ce rapport je suis de son avis) a signalé les vices de la législation hypothécaire. Ce système est déplorable, il est dénonce à l’Europe, depuis 20 ans, comme l’un des systèmes les plus arriérés qui existent. Il est démontré que le système de semi-publicité qu’il consacre, est menaçant pour la propriété autant que pour le crédit public et le crédit agricole. Il suffirait de quelque dispositions qui fissent disparaître les charges occultes et qui complétassent le système de publicité si timidement essayé, pour faire disparaître les principaux inconvénients du régime actuel, déjà l’on vous a parlé de nos lois de procédure et de la nécessité de leur révision ; on nous a signalé surtout les abus et les vices des lois sur l’expropriation forcée. Ces lois sont, en effet, combinées de telle sorte que par la complication des actes, la multiplicité des formes et l’énormité des frais, elles frappent les créanciers et ruinent, en même temps, le débiteur. Parfois les frais de poursuite excèdent la valeur de l’immeuble exproprié, et c’est là un immense scandale.

Les mêmes critiques peuvent s’adresser, dans le code de commerce, au titre des faillites dans les dispositions de ce titre et la complication des formes et des actes qu’il consacre, tout semble calculé pour écraser le débiteur ; et j’ai été étrangement surpris d’entendre dire, au commencement de la séance, que toutes nos institutions législatives, que nos lois de procédure et de commerce avaient été rédigées en haine du créancier, pour favoriser la fraude et la mauvaise foi du débiteur.

Je dis, au contraire, que nos institutions de procédure, que nos institutions commerciales, que nos lois sur l’expropriation forcée et les faillites semblent destinées à écraser, à ruiner le débiteur malheureux souvent et de bonne foi. Et voyez l’inconséquence : en même temps qu’on vous disait que nos institutions commerciales étaient rédigées en haine des créanciers, on vous citait la loi sur la contrainte par corps. Peut-on cependant dire raisonnablement que cette loi soit faite en haine du créancier ? Mais cette loi sur la contrainte par corps, en cas d’insolvabilité du débiteur, abandonne au créancier le droit effrayant, le droit terrible d’attenter à sa liberté et de confisquer en quelque sorte sa personne, quelle que soit l’importance de la créance.

C’est ainsi que pour une misérable créance de 150 francs on voit un créancier emprisonner son débiteur pendant cinq ans, c’est-à-dire que vous punissez l’insolvabilité, le malheur des mêmes peines que le vol, que l’escroquerie, des mêmes peines que les actes les plus odieux, les plus infâmes qu’ait prévus la législation pénale.

Et c’est bien autre chose encore quand il s’agit de la contrainte par corps pour condamnation à des dommages-intérêts.

Cette peine se change alors en une peine d’emprisonnement perpétuel. Il n’y a pas moyen de mettre un terme à cette odieuse mesure. Ainsi, dans ce cas vous punissez l’insolvabilité de la même peine que celui qui a commis le crime le plus grave après l’assassinat, le meurtre. Le débiteur malheureux et le meurtrier sont mis presque sur la même ligne ! Et c’est en présence de ces dispositions impitoyables, jusqu’à la cruauté, qu’on vient dire que les créanciers sont sans recours et sans droits, que nos institutions sont dirigées contre eux, et qu’elles ont pour but de favoriser en quelque sorte la fraude et la mauvaise foi du débiteur.

Je ne puis, messieurs, abandonner ce qui est relatif aux intérêts législatifs, je dirai aussi un mot sur une question qui a été également soulevée par mon collègue, M. Savart ; c’est la question relative à ce qu’il appelle la « haine de cense ». Je regrette de me trouver encore sur ce point en contradiction avec l’honorable M. Savart, non pas que je ne déclare comme lui et comme vient de le faire M. le ministre de la justice, que ce crime déshonore la civilisation, mais je suis en désaccord avec lui, quand, pour frapper ce crime, il vient faire appel à je ne sais quelle ordonnance de Marie-Thérèse, lorsqu’il vient nous parler d’exécutions et de supplices. Toutes ces impitoyables rigueurs, les supplices et ces exécutions sanglantes, ont été essayées. Qu’ont-elles produit ? Rien ; car vous reconnaissez vous-même que ce crime est plus commun, plus enraciné, plus effrayant que jamais.

Qu’y a-t-il donc à faire ? Car finalement ce n’est pas avec vos exécutions et vos échafauds que vous en finirez avec ce préjugé.

Ce préjugé, messieurs, il est le résultat de l’ignorance. Eh bien ! combattez-le donc par le moyens qui atteignent l’ignorance ; combattez-le par l’instruction publique ; combattez-le en vous adressant à l’intelligence, à la raison, à la conscience des populations rurales. Développez dans les campagnes les sentiments du droit et du devoir, le respect de la propriété, le respect de la dignité humaine. Adressez-vous, je le répète, à l’intelligence et non à ces formes sanglantes renouvelées de l’ancien régime, et dont l’inutilité a été démontrée à la dernière évidence par l’impuissance d’étouffer le préjugé dont vous vous plaignez.

J’abandonne enfin, messieurs, ce qui est relatif aux intérêts législatifs pour arriver à d’autres intérêts qui n’ont pas encore été signalés dans cette enceinte et qui sont bien dignes cependant de fixer votre attention, les intérêts de la bienfaisance publique. M. le ministre de la justice ne doit pas oublier que ses attributions s’étendent également sur tout ce qui est relatif à la bienfaisance publique, et spécialement sur l’organisation des bureaux de bienfaisance.

Les bureaux de bienfaisance ! c’est, il faut bien le reconnaître, la taxe des pauvres sous un autre nom ; les bureaux de bienfaisance c’est la question du paupérisme, c’est cette question grosse de difficultés, grosse de dangers, peut-être ; c’est cette question qui dans l’avenir agitera les sociétés européennes plus violemment peut-être que les luttes des patriciens, des plébéiens et des esclaves n’agitèrent jadis la société romaine.

En effet, ce fait du paupérisme est un fait qui éclate maintenant partout et qui frappe de toutes parts les regards attristés ; et ce n’est pas seulement l’existence, mais le développement de ce fait malheureux que nous voyons signaler chaque jour. Cette incontestable progression existe en effet dans la plupart des Etats de l’Europe ; elle est constatée en Angleterre, la terre classique du paupérisme ; elle est constatée en France, elle est constatée en Hollande, elle l’est en Belgique ; car s’il faut en croire les renseignements et les statistiques, il y aurait certaines provinces où le cinquième, le quart peut-être de la population, serait inscrit sur les listes de la bienfaisance publique.

Qui donc pourra sonder la profondeur de cette plaie sociale, qui pourra indiquer et faire toucher du doigt, en quelque sorte, les causes de son existence et de son développement ?

Divers systèmes ont été essayés pour y parvenir. Les uns, pour faire preuve d’érudition, sans doute, et comme pour calomnier la cause de la liberté humaine, ont prétendu que le paupérisme se rattachait à l’esclavage, que le paupérisme était apparu au monde le jour même de l’abolition de l’esclavage ; et comparant la position de l’esclavage de Rome à celle de nos pauvres, ils ont prétendu que la position du premier était moins malheureuse que celles de nos pauvres, et même de nos ouvriers.

Les autres ont rattaché l’existence du paupérisme au développement de la population, et en sont arrivés aux plus impitoyables théories pour arrêter ce développement de la population.

D’autres encore ont voulu faire retomber le paupérisme et ses conséquences sur l’industrie, sur les machines, sur ces inventions merveilleuses, qui sont cependant, il faut le reconnaître, l’honneur et la gloire de la civilisation.

Il en est qui sont allés plus loin et qui ont accusé de l’existence et des malheurs du paupérisme, la vieille organisation aristocratique des sociétés européennes, cette organisation qui, dans certains pays qu’on vous a déjà cités, en Angleterre, par exemple, met en présence l’extrême richesse et l’extrême pauvreté, cette organisation qui nous montre des fortunes colossales, fabuleuses, pour me servir d’une expression déjà produite dans cette enceinte, et qui, à côté de ces fortunes fabuleuses, nous montre la misère poussée à ses dernières conséquences ; cette organisation qui, à côte d’une minorité jouissant dans l’oisiveté et le plaisir de tous les avantages de l’opulence, nous fait voir des milliers, des millions de prolétaires exténués de besoins et de travaux et succombant mourant, de faim, parfois de misère et de faim, au milieu de toutes les richesses qu’ils ont créées.

Si l’on n’est pas d’accord sur les causes du paupérisme, on l’est bien moins encore sur les remèdes à y apporter. C’est ici que nous nous trouvons en présence d’opinions divergentes, et que nous sommes lancés dans un véritable chaos d’opinions contradictoires.

Les uns, en effet, pensent en finir avec le paupérisme, par l’établissement des caisses d’épargne et des caisses de prévoyance.

Les autres vont plus loin ; ils croient qu’il est temps de s’occuper d’un classement plus régulier de la population ; il pense qu’il faut enfin ramener vers les champs et les travaux agricoles ces parties flottantes de la population qui, livrées à l’industrie, en subissent tous les contrecoups et toutes les crises, et qui souvent est jetée du jour au lendemain, sans travail et sans pain sur le pavé des rues.

D’autres ne s’arrêtent pas à ces palliatifs. Ils pensent que le moment est venu pour la vieille Europe de se débarrasser d’une partie de l’excédant de sa population, de l’exporter vers les contrées lointaines et désertes. Le mot de colonisation est prononcé, et déjà il a été répété dans cette enceinte, à l’une de nos dernières séances.

Il en est ensuite qui pensent en finir avec le paupérisme par une nouvelle organisation du travail et par de nouveaux règlements fixant les droits et les deniers des maîtres et des ouvriers.

D’autres enfin désespérant de la société, en quelque sorte, et lui jetant le cri d’anathème et de mort, sont allés à la recherche de nouvelles formules, de nouvelles combinaisons sociales. Ils ont dans leur aspiration vers l’avenir dans leurs rêves, si l’on veut évoquer de nouvelles synthèses humanitaires, un nouvel ordre social, au sein duquel disparaîtraient toutes les iniquités des temps présents pour laisser régner enfin les lois de la justice et d’égalité, ces lois, en vertu desquelles il n’y aurait plus d’autres distinctions parmi les hommes que celles résultant de l’intelligence, de l’activité, de la capacité, du mérite et du dévouement.

Comme vous le comprenez, messieurs, je ne viens pas aborder devant vous toutes ces questions, et transformer cette tribune en une chaire de philosophie et de sciences sociales.

Laissons donc aux penseurs et aux méditations du cabinet, laissons tous les esprits d’élite le soin de résoudre, d’approfondir, du moins, tous ces problèmes. Seulement soyons justes pour ceux qui se consacrent à l’examen de hautes et difficiles questions, disons que ceux qui, tourmentés par les douleurs de la société, cherchent à améliorer sa triste position, et le font, non pas pour exciter les passions et les colères de la multitude, mais en s’adressant aux intelligences et aux convictions, en exprimant gravement leurs vues et en demandant qu’on les éclaire, disons qu’ils remplissent une mission sociale ; ne les poursuivons donc pas de nos sarcasmes et de nos ironies ; alors même qu’on ne partagerait pas leurs convictions, rendons du moins hommage à leur dévouement et à leur bonne foi.

Je me hâte maintenant, messieurs, d’abandonner ces questions qui touchent cependant de tous les côtés à la réforme du paupérisme, pour me renfermer dans les limites de ce qui est possible et immédiatement applicable. J’en reviens aux bureaux de bienfaisance et à leur organisation actuelle.

A quoi servent maintenant les bureaux de bienfaisance ? Quel est leur but ? que font-ils ? Ce que font les bureaux de bienfaisance, messieurs, ils font l’aumône. L’aumône ! c’est le dernier mot des bureaux de bienfaisance actuels ! C’est quelque chose, sans doute, mais ce n’est pas tout. L’aumône, en effet, a quelque chose d’humiliant, je dirai même de flétrissant pour les classes qui sont obligées d’en subir la honte. Et la preuve, c’est qu’en-dehors de vos classes si nombreuses inscrites hautement sur les listes de la bienfaisance publique, vous avez cette classe intéressante de malheureux qui reculent devant la flétrissure de l’aumône, qui préféreraient mourir de faim plutôt que de tendre la main au pain de la pitié et de s’exposer à de durs refus.

Eh bien, voilà cette classe si intéressante de la société qui, dans l’état actuel de nos institutions de bienfaisance, est sans secours et sans patronage. Il y a donc ici un grand vice dans le système actuel de la bienfaisance publique, et ce vice ne peut disparaître que par la transformation de l’aumône. Oui, il faut que l’aumône s’efface et se transforme ; il faut que la loi moralisante du travail remplace la loi humiliante de l’aumône ; il faut que les classes ouvrières et ces pauvres intéressants, qu’on appelle les pauvres honteux, puissent enfin jouir des avantages de la bienfaisance sociale.

Cette nécessité de la substitution du travail à l’aumône a déjà été reconnue par le gouvernement, je m’empresse de le déclarer ! Des comités de bienfaisance ont été institués. Mais ces comités sont peu nombreux et n’existent que dans deux provinces, je crois. Je voudrais savoir si M. le ministre de la justice s’associe, pour tout ce qui appartient aux bureaux de bienfaisance, à cette pensée d’amélioration populaire ; je voudrais savoir s’il entend pousser les bureaux de bienfaisance dans cette voie nouvelle ; s’il entend user de toute son influence administrative pour les engager, pour les contraindre, s’il est nécessaire, à substituer, autant que possible, le travail au pain qu’ils ont l’habitude de jeter aux malheureux.

La question des bureaux de bienfaisance, messieurs, se rattache à celle des hospices, et ici également. il y a beaucoup à faire. Il est fâcheux d’abord que l’administration des hospices ne soit pas centralisée et réunie dans les mêmes mains que l’administration des bureaux de bienfaisance. Ces deux administrations tendent au même but ; elles ont toutes deux pour but le soulagement de l’humanité souffrante. Il est donc malheureux, je le répète, qu’on ne puisse réunir et confondre ces deux administrations qui devraient s’entraider mutuellement, et qui, dans l’état actuel des choses, arrivent souvent à se contrarier et à paralyser mutuellement leurs communs efforts vers le but qu’elles veulent atteindre.

Il y aurait du reste pour les hospices la même question à résoudre que pour les bureaux de bienfaisance. L’hôpital, en effet, a quelque chose d’humiliant aussi, quelque chose qui répugne vivement à cette partie de la population pauvre qui a conservé le sentiment de sa dignité. Eh bien ! il faut également rendre hommage à ce scrupule, qui a quelque chose de moral et de juste ; il faut l’encourager et le développer ; il faut que l’individu puisse trouver, sans sortir de sa famille, ces secours qu’il lui répugne de venir demander à la porte d’un hôpital.

En attendant ces réformes, parcourons quelques-uns des hospices, dont la situation réclame le plus vivement l’attention du gouvernement et des chambres ; les hospices des enfants trouvés d’abord, de ces enfants qui n’ont jamais connu les caresses d’une mère et les joies de la famille.

Ces enfants, messieurs, devraient être les enfants d’adoption de la société. Pense-t-on cependant que la prévoyance sociale veille avec assez de sollicitude sur ces malheureux enfants ? Ne sait-on pas qu’ils sont pour la plupart abandonnés dans les campagnes, et que quand arrive l’âge de l’émancipation, ils sont livrés à eux-mêmes sans guides et sans protection ? Ne devrait-on pas faire cesser cet abandon et prouver à ces malheureux, qu’à défaut de famille, la société veille sur eux et les environne de sa sollicitude et de sa pitié ?

A l’occasion des hospices des enfants trouvés, je ne puis passer sous silence une question importante, celle de la suppression ou de la conservation des tours. Cette question est restée jusqu’ici indécise, elle a été abandonnée à l’arbitraire des administrations provinciales. Qu’en est-il résulté ? C’est que dans certaines provinces les administrations provinciales, obéissant à des considérations d’économie plutôt qu’à des sentiments d’humanité et d’ordre public, ont ordonné la suppression des tours. C’est que dans d’autres provinces on s’est arrêté devant les conséquences désastreuses que pouvait entraîner cette suppression.

Dans le Hainaut, par exemple, nous avons conservé le tour existant au chef-lieu de la province ; mais nous l’avons conservé, parce que l’administration provinciale a été effrayée par l’horrible catastrophe et les crimes qui avaient suivi la suppression du tour établi à Tournay. Qu’en est-il résulté ? C’est que le Hainaut est maintenant, en quelque sorte, le rendez-vous général des enfants trouvés.

La plupart des autres provinces se débarrassent de cette charge en la faisant retomber sur notre province. Est-ce là, messieurs, de l’équité ? Est-ce là de la justice ? Le gouvernement et la loi devraient-ils se prêter à un tel arbitraire, quand il s’agit de questions qui peuvent devenir des questions de vie et de mort ?

Ce n’est pas tout encore, messieurs, nous avons à nous occuper d’autres misères encore. Une autre classe d’infortunés réclame nos sympathies non moins vivement que celle en faveur de laquelle je viens de faire entendre ma voix. Je veux parler des aliénés. Ces malheureux ont été considérés longtemps au sein de la société comme de véritables parias ; on les traitait souvent comme des bêtes enragées, si je puis m’exprimer ainsi, qu’on se croyait le droit de maltraiter, de battre et d’enchaîner. Depuis lors, sans doute, quelques sentiments de pitié, quelques sentiments d’humanité ont prévalu ; de faibles tentatives de réforme ont été essayées, mais dans le plus grand nombre d’établissements leur position est restée, à peu près, ce qu’elle était anciennement ; tout concourt à y rendre leur position intolérable ; leur état s’y aggrave et devient incurable.

Ce ne sont pas ici, messieurs, je vous prie de le croire, des peintures d’imagination, des misères créées en quelque sorte à plaisir ; ce sont des faits constatés, et constatés non seulement par l’expérience, mais par les hommes mêmes que le gouvernement avait chargés de la mission spéciale de visiter les établissements d’aliénés, et d’en rendre compte.

Cette commission, messieurs, a rempli scrupuleusement, consciencieusement sa mission. Eh bien, dans le rapport qu’elle a soumis au gouvernement, il y a des passages à faire saigner le cœur, tant, messieurs, ils sont déchirants, tant le sort de ces malheureux est digne de pitié. Cependant, messieurs, jusqu’à présent rien n’a été fait encore dans l’intérêt de l’amélioration du régime des aliénés.

Pour vous prouver toute l’urgence de cette réforme que le gouvernement paraît abandonner en ce moment, je vous demanderai la permission, messieurs, de vous lire quelques-unes des lignes qui terminaient ce rapport. Vous pourrez juger alors, messieurs, combien, dans cette circonstance, l’incurie du gouvernement est coupable.

Voici, messieurs, ces quelques lignes :

« Lorsque le mal est latent, lorsque l’abus se perpétue à l’ombre, ignoré, pour ainsi dire, loin de tous les regards, il peut être jusqu’à un certain point excusable de n’y pas porter remède, mais lorsque la victime est là sous nos yeux, lorsque le sang jaillit de ses blessures, lorsqu’elle se traîne à nos pieds pour demander protection, ne serait-ce pas le comble de la cruauté que de la repousser froidement et de refuser tout soulagement à ses souffrances ? Il est reconnu maintenant que l’état déplorable dans lequel se trouvent les insensés en Belgique entraîne chaque année l‘incurabilité et occasionne la mort d’un grand nombre de ces infortunés. Ce que l’on dirait de l’homme qui laisserait périr sous ses yeux le faible enfant qu’il pourrait sauver sans effort, ne pourrait-on pas le dire à plus forte raison de la société qui, par son indifférence ou son incurie, condamnerait à une mort certaine des centaines de pauvres insensés dont, à l’aide de quelques faibles sacrifices, elle pourrait conserver l’existence et restaurer la santé ? Et que l’on ne vienne pas entremêler à cette question de vie ou de mort, la question d’argent ; nul sacrifice ne doit coûter lorsqu’il est reconnu indispensable ; que l’on diffère certains travaux, que l’on réduise certaines dépenses, en raison de la pénurie des ressources, rien de mieux ; mais la raison d’économie doit céder, suivant nous, à la raison d’humanité ; et la société qui se refuserait à alléger les maux de ses aliénés, sous prétexte de charges que lui imposent ses routes, ses canaux, son armée, serait tout aussi coupable, nous paraît-il, qu’un individu qui laisserait mourir de faim ses vieux parents plutôt que de leur donner une petite partie de la somme qu’il destine à la construction d’une maison. La conscience sociale n’a pas d’autres règles que la conscience individuelle : ce qu’ordonne ou défend celle-ci doit également être ordonné ou défendu par celle-là. S’il en était autrement, la justice aurait deux poids et deux mesures, l’humanité une double nature ; l’individu serait en perpétuelle contradiction avec l’être collectif qui embrasserait toutes les individualités, l’anarchie succéderait à l’ordre, et le monde n’offrirait plus que l’image du chaos.

« Si nos convictions étaient moins vives, moins profondes, M. le ministre, nous n’aurions pas recours à ce langage qui pourra paraître exagéré. Mais notre position, nos devoirs, nos attributions nous mettent chaque jour en présence des infortunes en faveur desquelles nous élevons la voix, nous touchons, nous, presque journellement ces plaies hideuses que d’autres nient parce qu’elles sont soustraites à leurs regards : est-il étonnant dès lors que nous élevions la voix avec énergie, et que nous invoquions comme un droit ce que d’autres avant nous n’ont peut-être demande qu’à titre de bienfait ?

« Et notre voix sera écoutée, nous en avons l’intime conviction, ce ne sera pas en vain, M. le ministre que vous aurez pris l’initiative en nous appelant autour de vous pour seconder vos généreux efforts. Les chambres ne pourront rester indifférentes au tableau que vous mettrez sous leurs yeux, et vis-à-vis de la grande infortune à laquelle il s’agit de porter remède, les rivalités, les dissentiments locaux feront place ; il faut l’espérer, à un concours sincère et persévérant.»

Voilà, messieurs, la question d’humanité.

A côté de cette question d’humanité se présente une question assez grave de légalité. La détention des aliénés, dans l’état actuel de nos institutions législatives, n’est entourée d’aucune garantie. La plupart des aliénés sont détenus et détenus à perpétuité sans même qu’on ait rempli à leur égard la formalité de l’interdiction ; ils pourront être détenus à perpétuité par le caprice et l’arbitraire des familles, il n’existe non plus aucune garantie que leur captivité cessera avec leur démence.

Vous voyez donc, messieurs, qu’il y va ici des droits les plus précieux de la liberté individuelle et d’une question qui est presque une question de constitutionalité.

Voilà déjà bien des misères passées en revue, messieurs, et cependant je n’ai pas tout dit encore et je ne suis pas arrivé au terme de la pénible carrière que j’ai cru devoir parcourir aujourd’hui devant vous.

Il faut que je vous dise, à mon tour, quelques mot de cette question pénitentiaire, quoique déjà elle ait été touchée avec un talent supérieur, par mon honorable ami M. de Brouckere, J’adhère de toutes mes forces à ce que nous disait, il n’y a qu’un instant, cet honorable collègue sur l’état et les vices de nos maisons centrales et de nos prisons. Vainement M. le ministre a-t-il opposé à cet énergique tableau ses dénégations officielles ; les faits parlent plus haut que les prétentions ministérielles. Oui, nos prisons sont des foyers de démoralisation et d’infamie ; oui, le crime y est en honneur, ainsi que vous l’a dit M. de Brouckere ; les détenus s’y dépravent et s’y corrompent ; c’est l’enseignement mutuel du crime. Tous ceux qui y entrent sont perdus à jamais et on ne sort de vos prisons qu’avec de nouvelles pensées de perversité, de vengeance et de projets criminels.

Ces abus effrayants, qu’il niait d’abord, M. le ministre ne les a-t-il pas reconnus dans la suite, en proclamant lui-même la nécessité d’une réforme pénitentiaire ? Il a même trouvé cette matière tellement importante, qu’il a demandé du temps pour l’étudier, pour consulter les théories et les faits et interroger tout ce qui a été dit et tenté sur ce difficile sujet. Et dans le moment même où il prétendait ne pas avoir suffisamment étudié la question pour la résoudre, il est venu nous parler du système auquel le gouvernement se serait définitivement arrêté : le travail en commun et en silence pendant le jour et la séparation seulement des détenus pendant la nuit.

Si c’est ce système que le gouvernement est arrivé après toutes ses études, je n’ai pas à l’en applaudir, car c’est, de tous les systèmes, le plus mauvais et le plus détestable. Ce système perpétuerait tous les abus, tous les excès du régime actuel de nos prisons. Vos aggravations et vos rigueurs, sachez-le bien, seraient inutiles. Vainement vous imposeriez à des détenus vivant et travaillant en commun, la loi d’un silence absolu ; la nature et la conscience se révolteraient contre vos prescriptions et seraient plus fortes que vos règlements. Une langue de convention, une langue de signes remplacerait bientôt ces communications et les rapports que vous auriez voulu interdire.

Et puis ne voyez-vous pas que le système objet de vos prédilections, laisse subsister le principal inconvénient, la principale objection que nous élevons contre le régime actuel des prisons, la possibilité, pour les détenus vivant en commun, de s’unir par tous les liens du crime et de se retrouver, à leur sortie de prison, pour marcher ensemble à de nouveaux forfaits ? Vous n’aurez donc rien fait en réalité et votre prétendue réforme sera aussi détestable que le régime actuel.

Il n’y a pas de milieu : il faut empêcher les détenus de communiquer entre eux, non seulement par la parole, mais par le geste, mais par la pensée et l’intelligence. Il faut, il faut surtout les empêcher de se connaître, car une fois unis par la solidarité du crime et de la peine, il n’y a à attendre d’eux que de nouveaux excès et de nouveaux méfaits.

Il n’y a donc, messieurs, qu’un seul moyen d’en finir avec les abus du régime actuel des prisons, ce moyen a été indiqué par M. de Brouckere, c’est la réclusion solitaire, non pas telle que l’a définie M. le ministre de la justice, et qu’elle avait d’abord été organisée dans le système américain, car on a reconnu que la réclusion solitaire, telle qu’elle a été organisée d’abord dans les prisons de Philadelphie, par exemple, allait au-delà du but ; elle était cent fois trop rigoureuse ; cette réclusion, c’était le secret, le secret avec toutes ses tortures et ses angoisses. L’individu enfermé dans la fatale cellule était séparé, en quelque sorte, des vivants ; aucune figure humaine n’apparaissait devant lui ; on lui refusait même la consolation du travail. Qu’en est-il résulté ? c’est qu’on a prétendu que l’homme ainsi livré perpétuellement aux horreurs du secret et de ses remords, n’avait devant lui d’autre alternative que la démence et le suicide.

Aussi l’on a senti la nécessité de modifier la rigueur extrême des premiers essais de l’emprisonnement solitaire. On a conservé l’emprisonnement individuel, on a continué à empêcher toute espèce de rapport entre les détenus, mais on ne leur a plus ôté jusqu’à la distraction du travail. En séparant les détenus les uns des autres, on a senti le besoin de les mettre en rapport avec tous ceux qui pourraient leur apporter des paroles morales et des bons exemples. On a joint au travail l’enseignement moral et religieux ; on a même autorisé les visites des parents et des amis, et, avec tous ces tempéraments, on a reconnu que le système pénitentiaire combiné avec la réduction de la durée des peines, peut seul réaliser tous les avantages de la réforme pénale.

J’ai donc lieu de m’étonner que M. le ministre de la justice vienne déclarer que cette question, la reforme pénitentiaire, n’a pas été étudiée encore en Belgique, lorsque dans les autres pays on ne s’est pas contenté de l’étudier et qu’en s’est empressée de la réaliser.

Ce système, messieurs, n’est plus en question aujourd’hui chez les autres peuples. En Angleterre le système des prisons cellulaires est établi et définitivement jugé. Il y existe déjà des prisons modèles ; douze pénitenciers nouveaux y sont en construction en ce moment. La France va suivre l’exemple de l’Angleterre ; la Hollande aussi s’y rallie ; tous les autres pays, les pays absolutistes eux-mêmes, la Prusse, l’Italie, la Sardaigne, la Pologne, tous enfin s’ébranlent et marchent à l’adoption de ce nouveau régime. La Belgique seule s’arrête et s’endort dans l’immobilité !

Je me trompe ; un essai y a été fait, un essai en miniature en quelque sorte, dans la prison de Tongres et pour 40 détenus seulement.

Je croyais, messieurs, que cet essai allait être renouvelé sur une plus grande échelle, dans les prisons de Liége et de Verviers, prisons pour lesquelles on nous demande des fonds en ce moment. Les paroles de M. le ministre de la justice ont fait évanouir cet espoir, puisque maintenant il se déclare le partisan de la captivité en commun pendant le jour et de la séparation pendant les nuits seulement. Que M. le ministre veuille donc s’expliquer de nouveau : Quel système entend-il suivre à Liége et à Verviers ? Si le gouvernement entend persister dans les voies de la routine, je combattrai de toutes mes forces sa déplorable persistance.

L’opinion publique, je l’espère, triomphera dans cette circonstance des tendances vraiment rétrogrades du gouvernement. En attendant j’adjurerai la chambre de repousser le crédit qui lui serait demandé pour perpétuer un système détestable et qui ne tarderai pas à être abandonne.

Voilà, messieurs, les principales améliorations que nous attendions de M. le ministre de la justice. La section centrale, déjà, avait cru devoir l’interpeller sur quelques-unes de ces améliorations, et notamment sur la réforme du régime des aliénés. Eh bien, M. le ministre de la justice s’est contenté d’exprimer un vœu stérile de sympathie. Il a déclaré que la solution de toutes ces questions se liait à des nécessités d’économie, et que le gouvernement était arrêté en cette circonstance par une question d’argent.

Cette réponse n’en est pas une, elle n’est pas digne de la position qu’occupe M. le ministre de la justice. Quand on tient le pouvoir, c’est à la condition de gouverner, c’est-à-dire de se mettre à la tête des améliorations, de prendre l’initiative, de combattre les difficultés et les résistances, et de trouver les moyens et les ressources nécessaires pour assurer le succès de tous les projets utiles et salutaires.

Il s’agit d’une question d’argent !...Eh ! mon Dieu ! l’on n’est pas retenu par cette considération, quand on vient demander plus d’un million pour la diplomatie, quand on vient demander 28 millions pour l’armée, quand on vient demander un demi-million pour le palais de justice de Gand, quand on vient vous demander plus d’un million peut-être pour les tours de Malines et d’Anvers, quand on vient vous demander je ne sais quelle somme pour l’amélioration de la race chevaline, à laquelle on s’intéresse souvent plus qu’à l’amélioration de la race humaine. Oh ! alors, on n’invoque pas les considérations d’économie ; on n’est pas retenu par des questions d’argent ! On prodigue, on jette des millions ; mais quand il s’agit d’intérêts sacrés, des intérêts de l’humanité et du malheur, on se livre à des scrupules d’économie, et on vient dire : Nous ne pouvons rien ; nous sommes arrêtés par une question d’argent.

Messieurs, l’obstacle devant lequel on se retranche pour se refuser à toute amélioration, n’est qu’une preuve de mauvais vouloir, et rien de plus. Si l’on voulait réduire quelque peu notre luxe diplomatique (ce qui malheureusement n’est plus possible pour cette année), réduire aussi notre luxe militaire ; si l’on voulait réduire encore notre luxe artistique, qui me paraît aussi quelque peu exagéré, si l’on voulait supprimer ou du moins suspendre tant de dépenses inutiles et stériles qui figurent dans nos budgets, on parviendrait à trouver les sommes nécessaires pour réaliser la plupart des réformes que j’ai eu l’honneur d’indiquer.

Du reste, s’il fallait, pour combler le vide du trésor et entamer ces réformes, recourir à une taxe spéciale, si cette taxe était réservée à l’amélioration du régime de nos prisons, de nos hospices, de nos bureaux de bienfaisance et au soulagement de toutes les misères humaines, si cette taxe était équitablement répartie, si elle pesait sur le superflu de l’opulence, je crois qu’elle serait accueillie avec faveur, et que le pays tout entier applaudirait à l’emploi qu’on en ferait.

Les réformes dont j’ai l’honneur d’entretenir la chambre ne sont sans doute pas des réformes bruyantes et pompeuses qu’environne l’éclat d’une éphémère popularité ; mais ce sont des réformes morales, des réformes humaines qui témoigneront, autrement que par vos paroles, de votre sympathie envers les classes souffrantes. Ces reformes, croyez-le bien, messieurs, ont aussi leur récompense ; elles ont leur récompense dans la satisfaction que procurent l’accomplissement d’un devoir et la certitude d’avoir fait le bien ; elles ont leur récompense, car si vous les réalisez, elles feront inscrire vos noms parmi ceux des bienfaiteurs de l’humanité.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - Messieurs, l’honorable M. Castiau a parlé d’abord de ma position dans cette chambre. Il a annoncé qu’il ne pouvait pas dès maintenant m’accorder sa confiance, attendu que j’avais été choisi en-dehors du parlement.

Messieurs, je n’ai certes pas la prétention de conquérir d’emblée la confiance de l’honorable M. Castiau ; je ne lui demande, quant à présent, qu’une bienveillante réserve, et j’espère que cette réserve pourra plus tard se changer en confiance, si, comme j’en suis convaincu, il reconnaît que tous mes actes sont marqués au coin de la justice et de l’impartialité.

Messieurs, je vais tâcher de répondre au discours que vous venez d’entendre. Je suis d’accord avec l’honorable M. Castiau sur plusieurs points ; quant à plusieurs autres points, je diffère d’opinion avec lui, parce qu’il me semble que quelques-unes des réformes qu’il a demandées ne sont pas des réformes actuellement réalisables.

L’honorable M. Castiau a d’abord exprimé ses regrets de ce que je n’ai pas annoncé une réformé générale des codes ; il a pensé que je voulais me borner à faire décider par une loi des points douteux de jurisprudence et que je ne voulais pas attaquer les principes mêmes. Si je me suis exprimé de manière à faire naître cette opinion chez l’honorable M. Castiau, je me suis mal énoncé.

J’ai dit, et je répète, qu’il ne peut être question de présenter maintenant des projets de nouveaux codes ; mais je pense qu’il y a des modifications importantes à introduire dans les codes qui existent. Mon intention a donc été de dire qu’il faut maintenir le système général du code qui nous régit actuellement, en en modifiant seulement quelques principes, et en y apportant les améliorations que la jurisprudence a indiquées.

Passant au chapitre de la bienfaisance, M. Castiau s’est occupé des bureaux de bienfaisance. L’honorable membre a dit que ces bureaux accomplissaient imparfaitement leur mission, en se bornant à faire l’aumône, qu’il fallait venir au secours des pauvres honteux et leur fournir du travail.

Je suis en cela parfaitement d’accord avec l’honorable M. Castiau. J’ai déjà agi en conséquence. Une circulaire récente, que j’ai adressée à tous les bureaux de bienfaisance, témoigne de mes intentions qui sont d’accord avec celles de l’honorable M. Castiau.

Je ne me suis pas seulement adressé aux bureaux de bienfaisance, mais j’ai encore fait un appel au clergé. Tous les évêques se sont empressés de donner des instructions nécessaires aux curés faisant partie de bureaux de bienfaisance, pour les inviter à seconder les intentions du gouvernement et à s’efforcer de fournir du travail aux ouvriers qui n’en auraient pas.

Des comités industriels, qui seront secondés par les bureaux de bienfaisance, ont été formés dans deux provinces.

L’honorable M. Castiau a parlé ensuite des enfants trouvés. Leur entretien est une charge communale et provinciale, et le gouvernement attendra à cet égard les propositions qui pourront lui être faites par les députations permanentes. La question soulevée par l’honorable membre est une question excessivement grave, de même que celle des tours dont il a également parlé.

Il n’existe plus en Belgique que six tours, l’un dans le Hainaut, et cinq dans d’autres provinces. La question de savoir s’il est utile de maintenir ou de supprimer les tours, divise les personnes les plus éclairées qui se sont occupées de cet objet. Je n’ai certes pas la prétention de trancher, quant à présent, une question d’une telle gravité à laquelle je n’étais pas préparé et qui doit faire de ma part l’objet de longues et sérieuses méditations.

L’honorable M. Castiau s’est ensuite occupé des aliénés.

Le gouvernement n’a pas perdu de vue cette importante question. Une commission a été nommée par le gouvernement pour proposer des moyens d’améliorer le sort des aliénés. Cette commission a présenté un rapport des plus remarquables, et tous les établissements de la Belgique ont été visités par les membres de cette commission, qui a porté sur la plupart de ces établissements un jugement sévère. Quelques-uns pourtant ont été reconnus par elle comme présentant des éléments de succès et de durée.

Il existe en Belgique 37 établissements, 14 seulement appartiennent à des administrations publiques, les autres échappent à tout contrôle, quant au régime intérieur. La commission a formulé un système tout nouveau. Elle veut changer tout ce qui existe, et d’une charge provinciale et communale, elle propose de faire une charge gouvernementale. Elle veut qu’il soit établi des hospices gouvernementaux, des hospices au nombre de quatre qui seraient destinés à renfermer tous les aliénés du pays.

Il s’agissait de calculer la somme nécessaire à la réalisation de ce projet. Or, d’après les renseignements qui nous ont été fournis, et notamment par la députation permanente du conseil provincial du Hainaut, chacun de ces quatre hospices coûterait un million ; ce qui ferait, pour mettre le nouveau plan à exécution, une somme de 4 millions. Eh bien, je pense n’avoir rien dit d’indigne de ma position, en avançant que dans l’état actuel de nos finances, j’étais arrêté par la question d’argent, et je ne crois pas que je puisse, avec quelque chance de succès, venir présenter un projet de loi ayant pour objet de demander un crédit de 4 millions pour la création des quatre hospices d’aliénés.

De plus, quand ces hospices pourraient-ils être établis ? De longues années s’écouleraient encore ; et pendant tout le temps qui serait consacré à l’érection de ces hospice, les établissements actuellement existants seraient négligés, et aucun subside ne pourrait leur être accordé par le gouvernement qui devrait consacrer tous ses fonds à la construction des quatre hospices, de manière que, pendant de nombreuses années, le régime des aliénés serait singulièrement empiré.

De plus, ce système exigerait un changement relativement aux obligations des communes et des provinces ; il faudrait pouvoir contraindre les communes à envoyer leurs aliénés dans les nouveaux hospices, ce qui augmenterait considérablement les charges communales en privant les communes de la faculté d’entretenir les aliénés dans leur domicile ou dans des hospices dont le prix serait moins élevé. Non seulement il faudrait pouvoir obliger les communes à y envoyer leurs aliénés, mais, pour que ces hospices pussent subsister, il faudrait pouvoir obliger également les particuliers à y envoyer leurs pareils aliénés. Il serait difficile de consacrer cette obligation, car comment concilier une pareille mesure avec les principes de liberté qui nous régissent ?

J’ai suivi jusqu’à présent le système qui était suivi depuis plusieurs années, notamment depuis le ministère de M. Leclercq. On a donne des subsides aux établissements existants, quand ils en ont demandé, et ces subsides ont toujours été accordes à certaines conditions. Quand un subside est sollicité pour un établissement, je demande quel est le plan d’organisation, quels sont les moyens qu’on emploie, quelle est la disposition du local. J’envoie ensuite les renseignements que j’ai recueillis à un professeur distingué qui s’occupe de cet objet, et je le prie d’indiquer les améliorations qu’il croit utile de faire ; j’en informe le chef de l’établissement, et je lui déclare que le subside ne sera accordé qu’autant que les améliorations indiquées seront exécutées. C’est ainsi que j’ai agi. Je crois qu’en accordant des subsides de cette manière, on peut plus facilement améliorer le sort des aliénés qu’en créant des établissements qu’on ne pourrait exécuter qu’avec beaucoup de temps, si toutefois je pouvais obtenir les fonds nécessaires de la législature.

On a parlé aussi de la détention même des aliénés. Ils ne sont pas retenus d’une manière arbitraire dans les hospices ; ils y sont ou par suite d’une déclaration du conseil de famille ou par suite d’ordre du bourgmestre qui a compétence à cet effet, aux termes de la loi communale. Ces établissements sont d’ailleurs visités, à certaines époques, par le procureur du roi. Dès que ce magistrat acquiert la conviction que des personnes détenues ne sont plus atteintes d’aliénation mentale, il donne à l’instant l’ordre de les mettre en liberté.

Passant aux prisons, l’honorable membre a pensé que j’étais en contradiction avec moi-même, en disant que la question du système des prisons n’était pas étudiée, qu’il fallait attendre qu’on ait eu le temps de le faire, et en déclarant ensuite que le gouvernement avait adopté le système d’isolement mixte, d’isolement pendant la nuit et de travail en commun, mais en silence, pendant le jour.

Je ne crois pas m’être mis en contradiction avec moi-même. J’ai dit que le système n’était pas encore jugé ; je n’ai pas dit qu’il n’était pas étudié, j’ai dit que les résultats du système ne sont pas encore connus. J’ai dit que les personnes qui s’occupent de cet objet ne sont pas d’accord entre elles, qu’en France, notamment, on est loin d’être unanime à cet égard. Je connais le rapport de M. de Tocqueville qui est favorable à l’isolement complet. D’autres philanthropes qui s’occupent de cette question, sont d’un avis opposé ; ils prétendent que ce système d’isolement complet a tous les inconvénients qu’a signalés l’honorable préopinant, qu’on reproche au système américain quant à l’effet qu’il produit sur l’intelligence des détenus. Je dis que ce système n’est pas encore jugé, par conséquent je ne puis pas me prononcer sur la bonté de ce système. Je ne dis pas qu’il n’obtiendra pas à la fin la préférence : l’expérience se fait, nous verrons si cette expérience sera concluante. Jusqu’à présent, nous avons adopté l’isolement de nuit et le travail en commun le jour. C’est déjà une amélioration, nous verrons plus tard s’il y a lieu d’en introduire d’autres, l’expérience, je le répète, sera notre guide. En France, le système d’isolement complet est établi dans une seule prison, la prison de la Roquette. Cette prison a été visitée dernièrement par un fonctionnaire supérieur du département de la justice, et d’après le rapport qu’il m’a fait, je reste encore dans le doute sur les effets salutaires que l’on espère obtenir.

Ce système n’est pas établi depuis assez longtemps pour qu’on puisse savoir si les individus soumis à ce régime reviennent à la vertu ou persistent dans leur perversité. Le système d’isolement complet est dit-on, jugé en France et en Angleterre. En France, comme je viens de le dire, on n’en a commencé l’expérience qu’à la prison de la Roquette.

En Angleterre je le sais, le système américain est adopté. Mais il y a ici une remarque à faire, c’est qu’en Angleterre les condamnés à perpétuité sont envoyés à Botany-Bay, les peines perpétuelles ne sont pas subies dans les prisons où ce régime est établi, ce ne sont là que des lieux de passage où l’on épure, en quelque sorte, les condamnés à perpétuité pour les envoyer ensuite a Botany-Bay. L’exemple est donc mal choisi, il n’est pas concluant, car il ne s’applique pas à des peines de même durée que celles pour lesquelles il s’agirait d’établir ce nouveau système en Belgique.

L’honorable membre a terminé en me demandant ce que je comptais faire de la prison de Liége. Mon intention est de la faire sur le modèle de celle de Tongres dont a parlé l’honorable M. Castiau, prison qui n’est pas encore occupée mais qui va l’être. Dans cette prison est établi le système d’isolement complet. C’est une maison d’arrêt, une maison de justice où les peines subies seront d’une durée de six mois au plus. Pour une prison de cette espèce, on doit convenir que c’est le seul système qu’on puisse établir. Car on ne peut pas craindre les inconvénients qu’on reproche au régime d’isolement pour les peines de longue durée. Je suis convaincu d’ailleurs que c’est un immense avantage pour le prévenu qui, pouvant être reconnu innocent, n’aura pas été confondu avec des individus déjà souillés par le crime. Ce système doit prévaloir pour les maisons d’arrêt et de justice, autant dans l’intérêt des prévenus que de la vindicte publique.

Je suis décidé à approuver les plans qui m’ont été proposés pour la prison de Liége et qui consacrent le système adopté pour la prison de Tongres.

Comme je le disais en commençant, je suis d’accord avec l’honorable M. Castiau sur plusieurs points, je diffère sur quelques autres principalement sur le rapport pratique et la possibilité de réaliser ses vues.

M. de Brouckere. - Messieurs, j’avais terminé le discours que j’ai prononcé à l’ouverture de cette discussion, en déclarant que j’avais la plus grande confiance dans M. le ministre de la justice, mais je vous avoue que si je devais en juger par la réponse qu’il ma faite, ma confiance serait considérablement diminuée, car cette réponse me prouve qu’il n’a pas sondé la plaie jusqu’au fond, qu’il ne connaît pas toute l’étendue du mal ; mais je ne veux pas le juger sur cette réponse, je fais un appel à son zèle pour qu’il aille par lui-même examiner l’état des choses ; j’ai la conviction intime qu’après qu’il aura suivi ce conseil, il reconnaîtra que je n’ai été exagéré en aucun point de mon discours.

Quant aux récidives, M. le ministre a pris, pour me répondre, quelques chiffres, je ne sais de quelle année. Je veux en citer deux qui parleront davantage. Il résulte du travail officiel, que j’ai entre les mains que la récidive à la prison de St.-Bernard était de 50 p. c. en 1840, et qu’elle est aujourd’hui de 75 p. c. Sur quatre détenus, il y a trois récidives, et on dira après cela que les récidives diminuent. Je dis, moi, que depuis une certaine période elles augmentent d’une manière effrayante et que c’est le résultat du système suivi. A Philadelphie, on a adopté le système de l’isolement complet, et le nombre des récidives est tombé à 5 p. c. Comparez le système de Belgique du travail en commun avec le système américain de l’isolement complet ; la Belgique a 75 récidives sur cent détenus, en Amérique il y eu a cinq !

Je le répète, pour ma responsabilité, j’ai puisé ces chiffres dans un rapport officiel que j’ai sous les yeux.

On a prétendu que je m’étais trompé en disant que le système qu’on suit était illégal. Je soutiens mon dire. Je vais le prouver en vous citant les différents articles du code pénal.

L’article 15 porte :

« Les hommes condamnés aux travaux forcés seront employés aux travaux les plus pénibles. »

Je m’arrête ici ; on a supprimé les chaînes et les boulets qui ne sont plus de notre époque ; mais il reste ceci : les hommes condamnés aux travaux forcés seront employés aux travaux les plus pénibles.

Voyons l’article 21, relatif à la réclusion :

« Tout individu de l’un ou de l’autre sexe, condamné à la peine de la réclusion sera renfermé dans une maison de force et employé à des travaux dont le produit pourra être en partie appliqué à son profit. »

Ainsi pour les condamnés aux travaux forcés, ce sont les travaux les plus pénibles.

Un membre. - C’est le bagne.

M. de Brouckere. - Le bagne, ce sont les chaînes et les boulets dont je ne veux pas plus que vous.

Qu’est-ce que font les cours d’assises qui tous les jours prononcent la peine des travaux forcés ? Un de mes voisins me dit que cette peine n’existe plus !

Pour les condamnés à la réclusion, ce sont les travaux établis dans la prison où ils sont détenus, avec la faculté de leur donner une part des bénéfices.

Voici maintenant pour les peines correctionnelles ; voyez quelle différence dans la rédaction :

« Quiconque aura été condamné à la peine d’emprisonnement sera renfermé dans une maison de correction, il y sera employé à l’un des travaux établis dans cette maison, selon son choix »

Et ici on ne vous dit plus que les détenus auront une petite part de leur solde ; on semble établir un tout autre régime.

Mais je n’ai qu’une chose à prouver, c’est que dans le système des codes, comme le prescrivent d’ailleurs la justice, l’équité, la raison, il faut qu’il y ait une différence entre le régime auquel sont astreints les condamnés à perpétuité, les condamnés à la réclusion et les condamnés à l’emprisonnement : la loi le veut.

J’ai entendu avec un étonnement extrême M. le ministre de la justice dire à la chambre que j’avais parfaitement fait connaître les vices du système actuel (car il reconnaît en partie l’existence de ces vices), mais que je n’avais pas fait connaître le remède à y apporter. Ne vous ai-je pas cependant exposé tout mon système pénitentiaire, sans entrer dans des détails, il est vrai ; mais n’en ai-je pas indiqué toutes les bases ? Et comme si M. le ministre de la justice s’appliquait à se contredire, un instant après il a dit qu’une partie des remèdes que j’ai indiqués avait été introduite dans le régime des prisons, qu’on avait fait droit en partie à mes réclamations. Oui, j’en conviens, on a cherché des demi-remèdes. Ce sont des remèdes efficaces que je veux. Les remèdes que j’ai indiqués seront efficaces.

Ainsi j’ai indiqué comme base du système pénitentiaire l’isolement et le silence. Mais, dit M. le ministre, on a appliqué dans plusieurs prisons le système de l’isolement pendant la nuit. C’est ne rien faire. C’est faire une dépense inutile que d’adopter le régime de l’isolement, et laisser subsister le régime de la communauté pendant le jour. Il faut l’isolement comme base ; ce sera l’isolement absolu pour les condamnés qui méritent cette peine ; et l’isolement sera modifié, selon que la culpabilité sera moins grande. Quand je parle d’isolement absolu, ce n’est pas en ce sens qu’un homme serait enfermé dans un cachot et ne verrait jamais figure humaine. Je veux dire qu’il faudra une séparation entière avec les codétenus. Mais il faut que plusieurs fois dans la journée, le détenu soit visité par différentes personnes : par l’aumônier, par quelques-uns des employés de la prison, par les religieux et les religieuses qui sont attachés aux grands prisons, et qui y rendent de grands services, par les membres de la commission administrative et enfin par des personnes charitables qui ne demanderont pas mieux que de faire une œuvre de charité, et qui feront plus pour le bien de l’humanité que tous les systèmes qu’on veut introduire.

J’ai dit qu’il fallait séparer les détenus par catégories ; mais on comprend que l’indication que j’ai faite de ce second moyen doit coïncider avec le premier. Ainsi la peine la plus élevée sera l’isolement absolu, entendu comme je viens de l’expliquer.

Viendrait ensuite l’isolement moins sévère, c’est-à-dire, qu’à certaines heures du jour les détenus pourraient se voir ; mais on les séparerait d’une manière absolue par catégories. Il faudrait que ces catégories fussent abandonnées à la commission administrative ; car si vous faites des catégories, en disant que la première comprendra les condamnés de 20 à 10 ans ; la seconde, les condamnés de 10 à 5 ans, vous n’atteindrez pas le but. Ce n’est pas d’après la durée de la peine, c’est d’après le plus ou moins d’immoralité des détenus, qu’il faut établir les catégories ; et c’est à la commission administrative à les fixer.

J’ai dit qu’il faut établir, en troisième lieu, des catégories différentes quant au régime de couchage et de nourriture, et quant à la solde des détenus, et partir de ce point que les condamnés aux travaux forcés à perpétuité ne doivent avoir aucun argent de poche. M. le ministre de la justice dit : Sur ce point, je suis d’accord avec vous ; un arrêté a décidé qu’on pourrait supprimer l’argent de poche. Mais nous ne sommes pas d’accord ; il ne faut pas que ce soit l’exception, il faut que ce soit l’exception pour les condamnés aux travaux forcés à perpétuité.

Enfin, j’ai indiqué comme quatrième moyen auquel il faut absolument avoir recours, la suppression des grâces et des commutations de peine périodiques. Cette suppression, a dit M. le ministre de la justice, a eu lieu dans une ou deux prisons. Je l’ignore. Ce que je puis affirmer c’est qu’elle n’a pas eu lieu dans plusieurs établissements. Je dis que c’est très fâcheux, parce que les détenus, calculant qu’à telle époque des grâces seront accordées, cherchent à se bien conduire pendant quelques semaines, pendant quelques mois qui précèdent une présentation. Au bout de quelques années, ceux qui sont adroits peuvent obtenir plusieurs commutations, et être mis en liberté. Il faut que ce système cesse.

A Dieu ne plaise que j’attaque jamais la prérogative qu’a le Roi de faire grâce, quand une condamnation est trop sévère, ou quand le condamné donne des preuves évidentes de repentir. Mais il faudrait, selon moi, un rapport spécial sur chaque demande en grâce ; il faudrait que le ministre de la justice soumît à la clémence royale un arrêté spécial pour chaque individu ; il faudrait que l’on fit cesser ces commutations de peine en masse, ces grâces accordées souvent à l’adresse, à la fourbe, à l’astuce.

Je ne crains pas de dire que quand vous aurez introduit les quatre améliorations que j’ai signalées, le nombre des condamnations et particulièrement des récidives diminuera singulièrement. Quand les gens pour qui la prison n’a rien d’effrayant aujourd’hui, sauront qu’après une première condamnation, ils seront, la seconde, traités fort sévèrement, quand ils sauront que la condamnation aux travaux forcés à perpétuité est très sérieuse, et que, sauf des cas extraordinaires et rares, la condamnation sortira ses effets, je le répète, le nombre des condamnations et des récidives diminuera singulièrement.

Je parle de cela à la chambre, en homme qui, depuis 20 ans, n’a jamais cessé de faire partie de l’administration des prisons, et que le hasard a attaché à l’administration des prisons de catégories différentes.

Je dois ajouter une dernière considération.

M. le ministre de la justice dit : Je suis d’accord avec l’honorable M. Castiau en un sens : j’admets l’isolement absolu pour les personnes détenues préventivement. Mais je lui dirai : Vous faites les choses à rebours ; c’est précisément pour les prévenus que je ne veux pas d’isolement absolu. Comment, vous appliquez le maximum de la peine à des hommes qui ne sont pas condamnés.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) - C’est un adoucissement.

M. de Brouckere. - C’est au contraire une aggravation telle que, dans mon opinion, la peine la plus sévère serait l’isolement absolu. Vous faites les choses à rebours, en appliquant l’isolement absolu à des prévenus, qui sont présumés non coupables. On doit à ceux-ci le plus d’égards possible ; ne les isolez-pas ; séparez-les par catégories ; faites une catégorie spéciale des détenus pour dettes, qui sont ceux qui méritent le plus d’égards. Faites une catégorie des prévenus de délits, une autre des prévenus de crimes ; et vous aurez parfaitement divisé les individus détenus dans les maisons de justice. Mais n’appliquez pas l’isolement aux prévenus ; car c’est appliquer la peine la plus sévère ceux qui méritent le plus d’égards.

- La discussion générale est continuée à demain.

Formation du comité secret

- La chambre se forme en comité secret à 3 heures trois quarts.

(Remarque du webmaster : l’objet de ce comité secret n’est pas mentionné dans le Moniteur.)

- A cinq heures moins quelques minutes, la séance publique est reprise.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je demande que l’on fixe demain en premier lieu à l’ordre du jour, le vote définitif du projet de loi sur le sel. Le sénat, à cause de cette discussion a renvoyé à mardi la discussion du budget des voies et moyens.

- Cette proposition est adoptée.

Sur la proposition de M. Delfosse, la chambre fixe la séance de demain à 11 heures.

La séance est levée à 5 heures.