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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 16 novembre 1843

(Moniteur belge n°321, du 17 novembre 1843)

(Présidence de M. Duvivier, doyen d’âge)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dedecker, secrétaire provisoire, procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. Vandensteen, autre secrétaire provisoire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.

- M. Delehaye, admis dans la séance d’hier comme membre de chambre, prête serment.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Mons

M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la vérification des pouvoirs.

M. Lejeune demande la parole pour faire rapport sur les élections de Mons.

M. de Brouckere. - Je crois, messieurs, qu’il faut commencer par discuter l’élection det M. d'Elhoungne. Il peut s’élever une discussion sur le rapport de M. Lejeune, et de cette manière on différerait l’admission d’un membre qui doit être admis immédiatement si son élection est valable. Je demande donc que l’on s’occupe avant tout de l’élection dont la discussion a été fixée à l’ouverture de cette séance.

M. de Garcia. - Je crois, messieurs, que ce mode de procéder ne serait pas régulier, car les rapports doivent se faire successivement. Des que la chambre est saisie des rapports, elle peut les discuter dans l’ordre où ils ont été présentés, mais il peut y avoir aussi, dans quelques-uns de ces rapports, des questions qui présentent une analogie telle que la chambre juge convenable de discuter ces rapports en même temps. Je crois que ce cas se présentera pour l’un des rapports que je suis chargé de présenter. Je crois donc qu’il conviendrait de laisser déposer d’abord tous les rapports, sauf à régler ensuite l’ordre dans lequel ils seront discutés.

M. de Brouckere. - Je ferai observer que la chambre n’a jamais suivi cette marche. Si vous adoptiez, messieurs, l’opinion que vient d’émettre l’honorable M. de Garcia, il faudrait faire faire tous les rapports et commencer ensuite à voter successivement sur chacun de ces rapports. Or, telle n’est pas la marche que la chambre est habituée à suivre ; d’après les usages constants, quand un rapport est fait, on le discute immédiatement et l’on vote immédiatement. Eh bien, le rapport sur l’élection de Gand est fait ; on a décidé que la discussion aurait lieu aujourd’hui parce que hier l’heure était trop avancée, car c’est là le principal motif que l’on a fait valoir en faveur de la remise de cette discussion. Il me semble donc que nous devons commencer par discuter l’élection de Gand. Si vous suivez une autre marche, l’un ou l’autre rapport peut donner lieu à une longue discussion, et alors l’admission det M. d'Elhoungne se trouverait retardée, tandis qu’elle doit avoir lieu immédiatement si son élection est valide. La décision à prendre sur cette admission doit avoir la priorité, attendu que le rapport a été fait et que la discussion en a été fixée à aujourd’hui.

M. de Garcia. - Puisqu’il ne s’agit, en définitive, que d’une question de forme, je ne veux pas faire perdre de temps à la chambre et je retire ma proposition.

M. le président. - Je vais donc ouvrir la discussion sur l’élection det M. d'Elhoungne. Les pièces qui lui avaient été demandées ont été fournies et remises par l’honorable M. de Brouckere, sur le bureau.

M. de Brouckere. - Messieurs, aux pièces que j’ai déposées sur le bureau, je dois en joindre une qui vient de m’être remise ; c’est une déclaration des bourgmestre et échevins de la ville de Gand, constatant quet M. d'Elhoungne est domicilié dans cette ville.

M. de Man d’Attenrode. - Les dernières opérations électorales de l’arrondissement de Gand, qui nous occupent aujourd’hui, ont offert un spectacle étrange.

Ces opérations, qui ont, je suppose, commencé à 9 heures, puisque la loi l’exige ainsi, se sont prolongées jusqu’à 6 heures du soir. Neuf heures ont été employées pour recueillir, dans les sections ou bureaux, les votes de sections, dont le nombre d’électeurs dans chaque section n’a pu dépasser le chiffre de 400, pour en dresser procès-verbal, et pour rédiger enfin, au moyen des éléments des procès-verbaux sectionnaires, un procès-verbal résumant tous les autres.

Qu’un collège électorat se compose de 5 ou de 10 sections, ce qui est le double, ses opérations ne peuvent se prolonger au-delà de 4 ou 5 heures au plus, quand on y procède avec ordre, c’est ce que tout le monde doit reconnaître.

Je ne puis donc m’expliquer la cause d’un temps aussi long employé à des opérations qui n’en demandaient que la moitié ; et je dirai franchement ici, que je ne puis m’empêcher de croire, que cette lenteur a été préméditée par des motifs suggérés par l’esprit de parti.

Les opérations terminées à 6 heures, on reconnut la nécessité d’un ballottage, et l’on arrêta que l’heure était trop avancée pour y procéder immédiatement, et cela, notez-le bien, messieurs, tandis qu’on en était à l’époque de l’année où les jours sont les plus longs, tandis que le chemin de fer abrège toutes les distances, tandis que les électeurs, en faveur de qui on semblait prendre cette mesure, à cause de l’éloignement de leur demeure, étaient ceux qui réclamaient le plus vivement la continuation des opérations. Il est à remarquer d’ailleurs que les électeurs pouvaient se retirer dès qu’ils avaient rempli leur mandat électoral, et n’avaient plus à attendre la fin des opérations pour retourner chez eux.

Que veut la loi ? Son esprit est d’abréger, autant que possible, les opérations électorales, afin qu’elles puissent se terminer dans la journée. C’est à cet effet que le collège électoral est partagé en sections ; c’est dans ce but que la simultanéité de l’élection des sénateurs et des représentants sur le même bulletin a été portée dans la loi que nous avons votée il y a quelques mois ; c’est dans ce but que nous avons cru même devoir entrer dans un détail qui paraît minutieux, celui de prescrire l’heure même où les opérations doivent commencer.

Toutes les opérations sont soigneusement décrites dans la loi, sans qu’il soit en quelque sorte possible, sans qu’il soit permis, je pense, de les interrompre.

L’art. 30 porte que le résultat de chaque section sera immédiatement porté au bureau principal.

L’art. 36 dit que si tous les députés à élire ne l’ont pas été au premier scrutin, on procède au ballottage.

Enfin le bureau principal rédige le procès-verbal séance tenante. Toutes ces opérations se suivent sans interruption, et je ne vois nulle part que le bureau ait le droit de les interrompre, et encore moins de convoquer les électeurs à un autre jour pour les terminer.

Comment a-t-on procédé aux dernières élections à Gand ? On les fait d’abord traîner en longueur pendant 9 heures, tandis que ces opérations n’auraient dû en durer que 4 ou 5. A 6 heures du soir, quand au mois de juin on a devant soi 3 heures de jour encore, on renvoie le ballottage, le complément des opérations au lendemain, et cela malgré les protestations des électeurs qui, par leur résidence hors du chef-lieu, semblaient le plus devoir souffrir de cette prolongation inusitée.

Le bureau principal se croit autorisé à prendre jour pour procéder au ballottage, tandis qu’aucune disposition légale ne l’y autorise, tandis que la loi s’est chargée de fixer elle-même le jour des élections générales, et qu’elle charge le gouvernement de convoquer les électeurs dans le mois lors d’un décès ou d’une démission pour une élection partielle.

Le bureau du collège électoral de Gand se croit autorisé à convoquer les électeurs, tandis que l’art. 3 de la loi du 3 juin 1839, prévoyant une situation qui a de l’analogie avec celle qui nous occupe, statue que les électeurs seront convoqués de nouveau dans le délai déterminé par l’art. 10 de la loi électorale, dans le cas où il y aurait ballottage à la suite d’une élection par plusieurs arrondissements.

Il me semble que ratifier les résultats de cette élection, à moins qu’il ne nous soit bien prouvé que le bureau du collège électoral de Gand n’a pu agir autrement qu’il ne l’a fait, et cela ne m’a pas été prouvé jusqu’à présent, ce serait tolérer que les bureaux électoraux prolongeassent immodérément leurs opérations ; ce serait en quelque sorte leur reconnaître le droit de convoquer les électeurs, ce serait reconnaître au bureau d’un collège électoral une existence qui ne s’étend pas, ce me semble, au-delà de la limite du jour pour lequel il a été convoqué de par la loi ; ce serait, en un mot, autoriser des manœuvres inspirées par l’esprit de parti, et que nous ne pouvons tolérer.

J’attendrai donc de la suite de la discussion les éclaircissements dont j’ai besoin pour arrêter mon vote.

M. Savart-Martel. - Le discours du préopinant repose sur cette prémisse, que le bureau serait en présomption de fraude, sauf à cette autorité la preuve contraire, mais cette présomption ne peut être admise. La raison veut qu’on présume la bonne foi et la loyauté de ceux qui exercent les fonctions publiques. Cette opinion n’a pas besoin de démonstration ; c’est donc à tort qu’on vient dire ou insinuer au moins que le bureau de Gand aurait agi par esprit de parti.

Le bureau était investi d’un pouvoir discrétionnaire que nous devons respecter. Si au lieu de fixer le ballottage au lendemain, il l’eût fixé aux approches de la nuit, en ce cas aussi il est probable qu’il y aurait eu critique. Il y a donc lieu à valider les opérations du collège électoral de Gand.

M. Delehaye. - Messieurs, encore affaibli par une maladie récente, je dois prier la chambre de m’accorder un peu d’indulgence dans la réponse que j’ai à faire à l’honorable préopinant. Ce n’est pas la première fois que les opérations électorales de Gand, que les actes émanés des autorités de Gand, sont l’objet d’accusations dans cette chambre. Nous avons, nous Gantois, l’habitude de nous voir traiter très cavalièrement et par des membres du gouvernement et par quelques membres de la chambre.

Je le regrette vivement, messieurs, car si vous connaissiez l’importance de la ville de Gand, si vous saviez surtout quel est le respect que l’on y montre constamment pour les lois, vous éloigneriez de la discussion ces accusations qui sont des brandons de discorde qui empêchent l’union dont tous les jours vous invoquez les bienfaits.

Je dois cependant remercier l’honorable député de Louvain d’avoir placé la question sur son véritable terrain. Je dis qu’il a placé la question sur son véritable terrain, parce qu’il résulte de son discours que l’élection est valable s’il est prouvé qu’il n’y a point eu manœuvre frauduleuse dans la remise du ballottage au lendemain.

Nulle part les élections n’ont été faites avec plus de régularité, plus de modération qu’à Gand, quoique, après la révolution, on ait prétendu que là les partis sont restés en présence, pas la moindre plainte n’a constaté quelque manque de respect dû soit aux personnes, soit aux opinions, et cependant plus de 2,300 électeurs étaient en présence.

On dit qu’on ne conçoit pas qu’il ait fallu tant de temps pour faire les élections. L’honorable membre qui a fait cette observation, compare les élections de Gand aux élections de Louvain ; mais il ne tient pas compte qu’à Gand il fallait élire six représentants et trois sénateurs. Or, cela demande certainement beaucoup plus de temps qu’il n’en fallait pour terminer les élections du district de Louvain.

Mais, messieurs, il est une autre considération sur laquelle j’appelle votre attention : il est de notoriété publique, et tous les fonctionnaires qui ont assisté à l’élection pourraient attester que dans les bureaux de la ville les opérations électorales étaient terminées beaucoup plus tôt que dans les bureaux des campagnes, et cela se conçoit, puisque dans les bureaux des campagnes bien des obstacles s’opposent à la rapidité des opérations, obstacles que l’on ne rencontre pas dans les bureaux de la ville.

Une autre considération encore, c’est qu’à Gand plus que partout ailleurs, il importait que les élections ne fussent pas entachées de la moindre irrégularité ; il importait que, quelle que fût l’opinion politique des élus, ces élections ne pussent être l’objet du moindre reproche. En effet, messieurs, il s’agissait à Gand de l’élection d’un homme qui jouit dans cette ville d’une popularité immense, il s’agissait de l’élection d’un homme qui commande à plusieurs centaines d’ouvriers, il s’agissait enfin de l’élection d’un sénateur qui, s’il l’avait voulu, aurait pu, ce soir-là, mettre la ville dans un désordre complet, et ce candidat était repoussé par les campagnes.

Vous comprenez, messieurs, que si le bureau avait été animé de mauvaises intentions, il n’avait qu’à procéder immédiatement au ballottage ; ce ballottage aurait commencé à 8 heures du soir, précisément au moment où les ouvriers quittaient leurs ateliers, où ils avaient été retenus toute la journée. Si le bureau avait agi de cette manière, n’aurait-il pas pu faire naître un conflit entre les électeurs campagnards et les ouvriers ? Eh bien, cette considération seule justifie complètement la décision prise par le bureau principal.

J’ai fait remarquer tout à l’heure que le bureau principal est précisément celui où les opérations étaient terminées les premières ; ainsi, pour soutenir que les opérations ont été traînées en longueur dans le but de nécessiter une remise au lendemain, il faudrait supposer qu’il y a eu concert entre le bureau principal et les bureaux des campagnes.

Encore une fois, messieurs, les élections ont été faites avec une modération extraordinaire. Toutes les opinions ont été complètement respectées ; lorsque le résultat a été proclamé, il n’y a eu aucune espèce de manifestation, tout s’est passé dans l’ordre le plus parfait.

Du reste, messieurs, si je tiens à répondre ici aux accusations qui ont été lancées contre le bureau principal, n’allez pas croire que j’attache une grande importance à l’issue de ce débat. Pour moi, le résultat n’est pas douteux : quelque chose que vous fassiez la chambre ne sera pas privée du beau talent que la ville de Gand nous a envoyé une première fois.

Je finirai, messieurs, par une dernière considération, c’est que la chambre prendrait une singulière décision, en annulant l’élection det M. d'Elhoungne, en présence du vote que le sénat a émis hier et par lequel il a validé l’élection de M. Claes de Coek. Il y aurait là une anomalie choquante qui ne saurait manquer de produire un singulier effet, quoique je n’ignore pas que la chambre n’est point liée par la décision du sénat.

M. Malou. - Messieurs, lorsqu’à la fin de la séance d’hier, j ai demandé la remise de cette discussion, j’étais surtout préoccupe des conséquences que pouvait avoir une décision prise par la chambre, sans qu’aucune réserve n’eût été faite pour l’avenir...

M. de Brouckere, rapporteur. - Je demande la parole.

M. Malou. - Je reconnais qu’une réserve a été faite par la commission ; je modifierai donc mon observation, et je dirai : sans qu’une réserve suffisante eût été faite, non seulement par la commission, mais aussi par d’autres membres de la chambre.

Un droit qui me paraît incontestable, c’est, dans certains cas, de renvoyer au lendemain ou à une autre époque la suite des opérations électorales ; je pense qu’il ne peut pas y avoir deux opinions sur ce point. Mais la difficulté réelle, la difficulté qui se présente à chaque vérification de pouvoirs , c’est de savoir si l’on se trouvait dans des circonstances telles que l’exercice de ce droit fût légitime, nécessaire.

En était-il ainsi à Gand ?

Je rappellerai d’abord un fait qui s’est passé à Gand dans une autre circonstance, si je suis bien informé.

Un premier scrutin avait duré très longtemps ; l’on n’a pas remis au lendemain le second scrutin tout entier, mais seulement le dépouillement de ce scrutin ; l’on a recueilli les suffrages des électeurs, l’on a ensuite scellé les boîtes électorales du sceau du tribunal, et le lendemain l’on a procédé au dépouillement du scrutin.

Rien n’empêchait de suivre ce précédent lors de l’élection du mois de juin dernier. Il restait trois heures du jour. D’après la loi du 1er avril 1843, l’on devait commencer par l’appel des électeurs appartenant aux communes les plus éloignées. La ville de Gand est le centre de deux lignes du chemin de fer. Je me suis assuré ce matin, en parcourant les procès-verbaux des bureaux des sections, que presque partout l’on avait averti les électeurs de rester, parce que très probablement un scrutin de ballottage devait avoir lieu immédiatement.

En fait, tout était terminé à cinq heures et demie ou à six heures. Au mois de juin, cinq heures et demie ou six heures, n’était pas une heure tellement avancée qu’il fût impossible de faite l’appel nominal des électeurs.

J’ai, du reste, inutilement recherché dans les procès-verbaux, soit du bureau principal, soit des sections, quelles ont pu être les causes, inexplicables pour moi, de cette longue durée des opérations électorales.

Dans ces circonstances, et pour faire toute réserve pour l’avenir, je m’abstiendrai quant au vote à émettre sur l’élection de Gand.

M. de Brouckere, rapporteur. - Messieurs, la commission qui a été chargée de vérifier les pouvoirs des représentants élus par l’arrondissement de Gand, a été unanime pour vous proposer l’admission, comme membre de cette chambre de l’honorablet M. d'Elhoungne. Je ne pense pas que ces conclusions périclitent le moins du monde. Toutefois, comme elles ont été attaquées par un membre de cette chambre, je crois devoir comme rapporteur répondre en quelques mots.

Le discours de l’honorable M. de Man se divise en deux parties, l’une concernant la question de droit, l’autre concernant la question de fait.

En droit, selon l’honorable orateur, la loi ayant fixé les élections au deuxième mardi du mois de juin, l’on ne pourrait jamais, et sous aucun prétexte, les faire durer jusqu’au mercredi.

Je demanderai à l’honorable préopinant ce qu’on ferait dans les cas où l’opération ne pourrait être terminée à minuit : il faudrait bien de force, à moins que nous n’eussions aussi la vertu d’arrêter le soleil, il faudrait, dis-je, proroger les élections au moins au mercredi.

C’est au bureau qu’appartient nécessairement le droit de déterminer de combien doit être l’interruption nécessaire entre la première opération et celle qui a pour objet le scrutin de ballottage ; entendre la loi, comme l’entend l’honorable M. de Man, c’est la rendre inexécutable dans certains cas. Ainsi, la loi dit que les élections commencent à 9 heures du matin, mais elle s’est bien gardée de dire à quelle heure on commencera les opérations ayant pour objet le scrutin de ballottage.

Il faut pour ces choses-là s’en rapporter au bon sens du bureau, et si le bureau agissait de telle manière que nous pussions soupçonner sa bonne foi, alors la chambre userait de son droit, en annulant les élections. Mais dans les élections de Gand, il ne s’est présenté rien de semblable. Du reste l’honorable M. Malou a déjà fait bonne justice des difficultés soulevées par l’honorable M. de Man, quant à la manière dont doit être entendu l’art. 18 de la loi électorale, et je crois en vérité que toute discussion ultérieure sur ce point serait faire perdre du temps à la chambre.

Messieurs, quant à ce qui regarde la question de fait, l’honorable M. de Man a mis dans un état de suspicion très grave les membres du bureau principal de Gand. Je ne connais aucun de ces messieurs, je n’étais pas sur les lieux, je n’ai donc ici mission ni de défendre les membres du bureau, ni d’expliquer comment les choses se sont passées ; mais ce que je puis dire à la chambre, c’est que dans la commission désignée par le sort, se trouvaient précisément trois membres appartenant a la province de la Flandre orientale ; entre autres, l’honorable M. Desmaisières, gouverneur de la Flandre orientale : l’honorable M. Desmaisières qui s’est trouvé sur les lieux, s’est réuni sans difficulté à ses six collègues pour trouver que les opérations du collège électoral de Gand avaient été régulières.

Messieurs, selon l’honorable M. de Man, le bureau principal de Gand aurait remis les élections au lendemain, malgré les protestations des personnes qui avaient le plus d’intérêt à ce que ces élections continuassent immédiatement.

Messieurs, d’après le rapport que j’ai eu l’honneur de vous faire hier, il n’y a qu’une seule personne qui ait proteste le premier jour ; cette protestation, il est vrai, a été renouvelée le lendemain.

L’honorable M. Malou regrette qu’on n’ait pas fait à Gand ce qu’on a pratiqué ailleurs, c’est-à-dire qu’on n’ait pas fait déposer les bulletins dans la journée du 13, sauf remettre le dépouillement du scrutin au lendemain.

Selon moi, cette manière de procéder est singulièrement irrégulière, et si, dans un bureau où j’aurais le droit de voter, on proposait un semblable procède, je m’y opposerais de toutes mes forces.

Lorsque je vote comme électeur, je prétends être présent au dépouillement du scrutin. D’ailleurs, l’on a beau mettre les scellés sur les boîtes, vous ne pourrez pas empêcher que quelques esprits méfiants ne viennent jeter des soupçons sur l’élection, par ce seul fait que les boîtes renfermant les bulletins auraient été déposées entre les mains de l’un ou de l’autre membre du bureau.

En résumé donc, je ne puis que répéter ce que j’ai dit hier au nom de la commission, c’est que les élections de Gand me paraissent avoir eu lieu régulièrement ; je m’empresse de répéter aussi que je suis d’accord avec l’honorable membre auquel je réponds sur ce point-ci, qu’il est du devoir des membres du bureau de terminer, autant que possible, toutes les opérations électorales en un jour ; mais je crois que dans le cas particulier qui nous occupe, il était convenable de remettre les élections au lendemain.

- La chambre ferme la discussion.

M. Simons, qui a été admis dans la séance d’hier, prête serment.

Arrondissement de Mons

M. Lejeune. - Messieurs, votre troisième commission a été chargée de vérifier les pouvoirs des députés élus par l’arrondissement de Mons.

Le collège était divisé en six sections, le nombre des votants était de 1,387.

La majorité de 694.

M. Dolez a obtenu 1,262 suffrages.

M. Lange en a obtenu 948

M. Sigart 846

Votre commission s’est assurée de la régularité des opérations électorales et de la sincérité de leur résultat ; en conséquence, elle a l’honneur de vous proposer l’admission de MM. Dolez, Lange et Sigart.

- Ces conclusions sont adoptées.

M. Lange et M. Sigart prêtent serment.

M. Dolez n’est pas présent.

Arrondissement de Tournay

M. de Garcia, rapporteur. - Messieurs, la quatrième commission chargée de l’examen des opérations électorales faites à Tournay en juin dernier, m’a chargée de vous présenter son rapport.

Les opérations de ce collège se sont faites avec régularité et suivant les dispositions de la loi.

Elles constatent que 1427 électeurs ont pris part à l’élection pour la chambre des représentants, d’où résulte que la majorité absolue des suffrages est de 714.

Elles constatent que M. Dumortier-Ruteau a obtenu 748 voix.

Que M. Adelson Castiau a obtenu 737 voix.

Que M. Savant-Martel n obtenu 734 voix.

Que M. le général Albert Goblet a obtenu 725 voix.

Ces quatre honorables membres ayant réuni la majorité légale des suffrages, ont été proclamés élus à la chambre par le président du bureau principal.

Au point de vue des qualités d’éligibilité des quatre élus par le collège électoral de Tournay, un seul d’entre eux pouvait donner lieu à un examen : trois des élus ayant fait antérieurement partie de la représentation nationale ; c’était l’honorable M. Castiau. Votre commission a constaté qu’il réunissait toutes les qualités de l’éligibilité.

Des actes de naissance de l’élu et de son aïeul, appuyés d’un acte de notoriété régulier, il résulte que l’honorable M. Castiau est né en Belgique de père et mère belges.

D’après ces considérations la quatrième commission conclut à l’unanimité à ce que MM Dumortier, Castiau, Savart-Martel et le général Albert Goblet soient reçus comme membres de la chambre des représentants.

Les conclusions de la commission sont adoptées.

En conséquence M. Dumortier, M. Savart, M. Castiau et M. Goblet prêtent serment.

Arrondissement de Thuin

M. de Garcia, rapporteur. - La 4ème commission chargée de l’examen des opérations électorales de Thuin, m’a chargé de vous présenter son rapport sur cet objet. Les opérations de ce collège se sont faites avec régularité et suivant toutes les formalités prescrites par les lois. Elles constatent que 758 électeurs ont pris part à l’élection pour la chambre des représentants, d’où résulte que la majorité absolue des suffrages était de 380.

Elles constatent que MM. Troye et le prince de Chimay ont obtenu, le premier 673 voix, le second 415 voix. Ces deux honorables membres ayant obtenu la majorité légale des suffrages ont été proclamés élus à la chambre des représentants par le président du bureau principal.

Le premier des élus ayant antérieurement fait partie de la législature, votre commission n’a pas eu a examiner s’il réunissait les qualités de l’éligibilité, elle a considéré ce fait comme constant. Il n’en a pas été de même du second élu, le prince de Chimay.

A cet égard il s’est élevé dans le sein de la quatrième section des doutes sur le point de savoir si ce dernier jouissait de la qualité de citoyen belge.

Pour écarter toute discussion superflue, nous établirons avec la plus grande exactitude possible les faits relatifs à cette qualité.

Le prince de Chimay, élu à Thuin, comme représentant, est né à Paris, le 20 août 1808.

Son père, Joseph-Philippe-Riquet de Caraman, était Français à cette époque.

Par acte royal du 6 décembre 1818 le roi des Pays-Bas accorda au prince de Chimay, père de l’élu et a ses enfants, les droits d’indigénat et l’admissibilité à tous emplois quelconques.

A cette date les enfants du prince de Chimay étaient mineurs.

L’acte royal précité a été pris en vertu de l’art. 10 de la constitution du royaume des Pays-Bas.

Voici dans quels termes était conçu cet article et l’acte royal qui conféra l’indigénat :

Art. 10 du pacte fondamental de 1815 :

« Pendant une année après la promulgation de la présente loi fondamentale, le Roi pourra accorder à des personnes nées à l’étranger et domiciliées dans le royaume, les droits d’indigénat et d’admission à tous les emplois quelconques. »

Cette disposition est donné dans les termes les plus absolus et les plus généraux.

Le roi Guillaume, en vertu de cette disposition, a pris l’acte royal suivant (Nous le rapporterons demain).

Le prince de Chimay produit aussi à l’appui de son élection, un certificat de la régence de la ville de Chimay, qui établit que depuis le 1er décembre 1816, il a, sans interruption, eu son domicile à Chimay. En présence de ces faits et de ces actes, les questions suivantes ont été soulevées dans le sein de la 4ème commission :

1° Le prince de Chimay, élu à la chambre, étant mineur lors de l’indigénat accordé à son père et à ses enfants, n’était-il pas soumis à faire acte d’acceptation à sa majorité ?

2° En supposant la solution négative de la première question, on s’est demandé si le prince de Chimay était domicilié en Belgique au 30 décembre 1830 ?

Sur la première question, la majorité de la commission a été l’avis que le roi Guillaume avait le droit de conférer l’indigénat au prince de Chimay et à ses enfants mineurs parce que l’art. 10 du pacte fondamental de 1815 avait pour objet de conserver dans le pays les familles riches qui voulaient s’y domicilier. Cette mesure toute politique avait pour objet d’amener dans le pays toute personne qui, par ses talents, sa richesse ou son industrie, pouvait concourir à la prospérité nationale.

Les adversaires de cette opinion qui ne se sont pas prononcés d’une manière positive, mais qui se sont abstenus, n’ont produit aucune disposition de la loi qui soumît celui qui recevait des lettres d’indigénat, qu’il fût majeur ou mineur à l’obligation de faire une déclaration quelconque. La Commission a reconnu qu’il ne fallait établir qu’une chose, le domicile en Belgique. Ce domicile est une question de fait ; et le fait est incontestable en présente de la déclaration de la régence de Chimay, qui porte que depuis 1816 le prince de Chimay a eu son domicile à Chimay sans interruption.

D’après ces considérations la quatrième commission vous propose l’admission, comme représentants, de MM. Troye et le prince de Chimay.

M. Verhaegen. - Je demanderai l’impression du rapport.

Hier, j’avais demandé la remise de la discussion concernant l’élection de M. Eloy de Burdinne, on a passé outre. Immédiatement après, d’honorables collègues, qui s’étaient opposés à la remise ont demandé l’ajournement de l’admission det M. d'Elhoungne, sous prétexte de questions graves qui avaient surgi au sujet de son élection, et je me suis empressé d’accéder à cette demande. A mon tour, comptant sur une juste réciprocité, je viens demander la remise à demain, en ce qui concerne le prince de Chimay, parce que la question que soulève le rapport est beaucoup plus grave encore que celle dont il s’agissait hier. En effet, il ne s’agit ni plus ni moins que de l’état civil du prince de Chimay, il s’agit de savoir s’il est Belge ou Français. Vouloir discuter cette question immédiatement serait rendre toute discussion impossible.

Le rapport qui vient d’être fait et dont plusieurs parties ne sont pas parvenues jusqu’à moi, a besoin d’être examiné. Les questions de nationalité sont les plus importantes qui puissent se présenter dans cette enceinte. Je ne demande qu’une chose, c’est de pouvoir examiner les raisons données par le rapporteur à l’appui de ces conclusions. Je ne dis pas que je combattrai l’admission de M. de Chimay, je n’ai aucune opinion formée à cet égard. Je désire ce que désiraient mes honorables collègues à propos de l’élection det M. d'Elhoungne. J’espère qu’ils seront justes envers nous comme nous l’avons été envers eux ?

M. de Garcia, rapporteur. - On a argumenté de ce qui s’est passé à la séance d’hier ; on a argumenté de ce qui s’est fait relativement à l’élection de M. Eloy de Burdinne et relativement à celle det M. d'Elhoungne. Si on a prononcé la remise de la discussion en ce qui concernet M. d'Elhoungne, c’est qu’il y avait eu protestation insérée au procès-verbal. Dans le cas actuel, comme dans celui de M. Eloy de Burdinne, il n’y a eu aucune protestation. La question dont il s’agissait hier pouvait soulever une question de bonne foi. Ici il s’agit d’actes ; j’ai donné lecture d’un acte d’indigénat et d’un certificat de la régence de Chimay qui établit que depuis 1816 jusqu’à ce jour M. le prince de Chimay a toujours habité Chimay.

Messieurs, je n’aime pas à étrangler les discussions plus que mon honorable collègue. C’est avec peine que je l’ai entendu m’accuser de vouloir étrangler la discussion ; je ne demande qu’à m’éclairer.

Je ne dis jamais à mes collègues qu’ils se laissent diriger par l’esprit de parti, je les engage à avoir le même égard pour moi et de croire que quand je fais des observations, c’est consciencieusement de bonne foi.

Si je demande qu’on discute maintenant, c’est parce que la question me paraît tellement claire que chacun doit avoir son opinion faite. Cependant si on veut remettre la discussion à demain, je ne m’y opposerai pas, parce que je ne veux pas étouffer de discussion. Je désire seulement ne pas perdre de temps.

M. de La Coste. - Puisque M. le rapporteur appuie l’ajournement, ce que j’ai à dire se réduira à très peu de chose. Quant à moi, je pensais qu’il n’y avait pas de terme à l’ajournement dans l’état actuel du débat ; si le débat avait continué, peut-être aurais-je été d’avis de cet ajournement.

Je pense que lorsque la chambre a cru devoir passer outre à la discussion de l’affaire de M. Eloy de Burdinne, c’est que la première impression était que, quoiqu’il y eût eu une irrégularité, cette irrégularité était tellement indépendante de la volonté du récipiendaire, et avait été d’une influence si nulle sur le résultat de l’élection, qu’il y aurait eu injustice flagrante à renvoyer devant un tribunal moins complet celui qui avait été admis par un tribunal beaucoup plus complet, car dans une élection partielle, le nombre des électeurs est toujours beaucoup moindre. D’ailleurs, l’admission n’a pas été prononcée seulement par une partie de la chambre ; à la fin du débat, presque personne ne s’est levé contre, preuve que la discussion avait suffisamment éclairé l’assemblée.

L’admission det M. d'Elhoungne, pour laquelle j’ai voté, présentait des questions plus graves. Il s’agissait d’un cas où l’esprit de la loi pouvait avoir été violé ; le résultat de l’élection était aussi bien différent ; le nombre des suffrages obtenus était comparativement beaucoup moindre. Il y avait une foule de questions à examiner ; elles l’ont été, et le résultat a été plus avantageux pourt M. d'Elhoungne, que si on avait restreint l’examen des questions.

Je ne puis admettre avec l’honorable préopinant qu’il y ait ici une question plus importante parce qu’il s’agit de l’état de la personne de M. de Chimay ; c’est une chose fort importante, sans doute, mais qui, dans l’acception ordinaire du mot, regarde les tribunaux, Il est plus vrai de dire que c’est la question de nationalité qui est importante. Néanmoins, il faut remarquer qu’il s’agit ici d’un cas individuel, et que, par conséquent, un mal jugé ne préjugerait rien. Sans doute, nous devons tâcher de bien juger. Mais la question est cependant moins importante que lorsqu’en posant un précédent on établit un principe.

La chambre a devant elle un récipiendaire qui est en pleine possession de l’indigénat, qui a représenté la nation à l’étranger. On s’était plaint dans les chambres de ce que le poste de ministre plénipotentiaire à Francfort n’était pas rempli. M. le prince de Chimay fut appelé à ces fonctions. Personne alors ne lui a contesté la qualité de Belge. Je dis donc qu’à envisager les choses sous leur premier aspect, il y a toute raison de juger en faveur du prince de Chimay. Pour ajourner la discussion, il faudrait au moins que de graves objections fussent faites. Je m’oppose donc à l’ajournement, à moins que l’honorable rapporteur lui-même ne soutienne que la question a besoin d’être mûrie.

M. de Garcia. - Je n’ai pas demandé l’ajournement. Mais j’ai déclaré que si la chambre veut le prononcer, je ne voterai pas contre.

Puisque j’ai la parole, je dirai un mot sur la question du domicile de M. le prince de Chimay. Quelques-uns de mes collègues de la commission pensaient que M. le prince de Chimay avait accepté en France des fonctions publiques. Le prince de Chimay, à qui j’ai communique cette observation, m’a dit que le fait était complètement faux, qu’il n’avait jamais occupé aucune fonction en France. Si l’on prétend le contraire, il faut fournir les pièces qui le prouvent. Il faudrait que des pièces eussent été produites pour qu’on fût fondé à demander la remise à demain.

M. Devaux. - Je crois qu’on peut demander que la discussion soit remise à demain, dans l’intérêt de la chambre, autant que dans l’intérêt de M. le prince de Chimay lui-même.

Remarquez que la question dont il s’agit n’est pas une question politique, mais du ressort de tribunaux, devant lesquels elle va nécessairement se présenter. Il est extrêmement probable que puisque la question est soulevée, on s’adressera aux tribunaux lors de la formation des listes électorales. Il serait extrêmement fâcheux pour le prince de Chimay et pour la chambre, que celle-ci admît sans examen un de ses membres, et que quelques mois après il fût déclaré par les tribunaux qu’il n’est pas Belge. ll convient dont que M. le prince de Chimay ne soit admis qu’après examen.

J’ajouterai que je ne connais pas d’exemple qu’une question de vérification de pouvoirs ait présenté des difficultés de droit, et qu’on n’ait pas ordonné l’impression du rapport. Je ne sais pas moi-même combien de questions de droit sont soulevées dans le rapport ; je crois déjà en avoir remarqué trois :

1° L’arrêté du roi Guillaume est-il rendu légalement ?

2° Peut-on donner l’indigénat à des mineurs ? (c’est une question qui a déjà été discutée dans cette chambre et qui a été, ni je ne me trompe, résolue négativement) ?

3° La déclaration du bourgmestre de Chimay suffit-elle pour prouver le domicile continu en Belgique, de 1830 à 1835 exigé par la loi de 1835. Cette déclaration prouve qu’il n’est pas à la connaissance du bourgmestre qu’il y ait eu changement de domicile. Mais n’y a-t-il eu en France aucun fait qui prouve ce changement de domicile ? C’est ce que vous aurez à examiner.

Je ne suis animé d’aucun sentiment hostile pour M. le prince de Chimay ; mais il faut examiner les questions. Il serait, je le répète, extrêmement fâcheux pour le prince lui-même et pour la chambre, que la chambre décidât dans un sens et les tribunaux dans un autre. Il n’y a aucun péril en la demeure. Il faut donc donner le temps d’examiner la question.

M. Orts. - J’étais membre de la commission ; c’est à ce titre que je demande la parole, non pour examiner la question à fond, mais pour parler sur la question d’ajournement.

Il y a une véritable question de droit. Je me garde de la résoudre plutôt dans un sens que dans un autre, mais voici le doute qu’a fait naître dans mon esprit la disposition de l’art. 10 de la loi fondamentale. Cette disposition avait accordé au roi Guillaume un pouvoir limité qu’il ne pouvait exercer que pendant une année, à partir de la promulgation de la loi fondamentale ; et cela se conçoit, car le droit d’accorder la naturalisation est exorbitant lorsque c’est le pouvoir exécutif qui l’exerce. Il faut en général une loi pour accorder le bienfait de la naturalisation. Je me demande donc si l’on peut étendre le terme d’une année déterminé par l’art. 10 de la loi fondamentale.

Je me dis ensuite que l’art. 10 de la loi fondamentale est extrêmement rapproché d’un arrêté du 13 août 1815 qui appliquait aux étrangers réunis à la Belgique par le traité de Paris la disposition de l’arrêté-loi du 22 février 1814, que le roi Guillaume avait porté antérieurement, afin de conserver aux Français qui se trouvaient ici à l’entrée des alliés, leur aptitude aux fonctions publiques. Cette disposition concerne les fonctionnaires et non leurs enfants. La loi fondamentale est en termes généraux. M. le rapporteur dit que nous ne citons aucune loi contraire. Mais la disposition a-t-elle la portée qu’on y donne ? Voilà la question.

Pour moi je demande des éclaircissements, et je réserve mon vote.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je concevrais l’ajournement si l’on nous présentait de véritables objections et non pas des doutes très vagues qui viennent à tomber devant la simple énonciation des faits.

La première question indiquée par l’honorable rapporteur est celle de savoir si le roi Guillaume a pu accorder l’indigénat non seulement à un chef de famille, mais encore à ses enfants mineurs. Je dis qu’il est impossible de ne pas répondre affirmativement à cette question. Quel a été le but de cette disposition extraordinaire qui se trouve dans la loi fondamentale de 1815 ? Evidemment on a voulu mettre le chef du gouvernement d’alors en position de conserver ou d’attirer dans le pays des familles entières. Si vous restreignez le bienfait au chef de famille, vous manquez le but, car vous séparez le père de ses enfants.

Un membre. - C’est le fonds.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je réponds à l’honorable M. Orts qui a discuté le fonds. M. Orts n’a pas été interrompu, j’ignore donc pourquoi on m’interrompt.

Je dis que vous manquiez le but ; vous sépariez le chef de la famille de ses enfants, et évidemment, messieurs, telle n’a pu être la pensée de l’auteur de la loi fondamentale de 1815. On a voulu que le roi des Pays-Bas pût attirer et conserver dans le pays des familles tout entières, le chef de la famille avec ses enfants mineurs.

Ainsi il est impossible de prétendre que le bénéfice exorbitant attribué au chef de l’Etat par la loi fondamentale, dût se concentrer sur la tête du chef de la famille seul. Pour moi, il n’y a pas de doute, le roi Guillaume pouvait à la fois naturaliser le père et naturaliser ses enfants.

Y a-t-il maintenant un fait quelconque qui constate que les enfants devenus majeurs aient répudié le bénéfice accordé au chef de la famille et qui leur a été accordé en même temps. Mais ce fait, on ne le cite pas. Au contraire, M. de Chimay, avant 1830, a rempli des fonctions publiques dans le royaume des Pays-Bas ; il a été attaché de légation sous ce gouvernement ; et la circonstance qu’il a accepté des fonctions publiques dans le royaume des Pays-Bas emporte évidemment de sa part acquiescement à l’acceptation de l’indigénat.

Mais, dit-on, depuis 1830, M. de Chimay n’a-t-il pas peut-être posé en France un acte qui emporte de sa part renonciation à la qualité de Belge, et acceptation de la qualité de Français. Messieurs, on peut demander cela pour tout le monde ; et cette supposition est invraisemblable, puisque, je le répète, le prince de Chimay fils, par l’acceptation de fonctions publiques en Belgique, avait accepté l’indigénat ; il était devenu Belge.

Comment maintenant admettre que le même homme aurait posé en France un acte qui emporte acceptation de la France comme patrie ? Mais il était dans l’impossibilité de poser cet acte.

M. Orts. - Je n’ai pas parlé de cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est un doute qui a été soulevé par un orateur et non par vous.

Vous voyez, messieurs, que nous sommes en présence d’actes authentiques, de fais positifs, et que contre ces actes authentiques, contre ces faits positifs on ne produit que des allégations invraisemblables qui ne résistent pas à l’examen.

Enfin, messieurs, le dernier point qui a été complètement éclairci par l’honorable rapporteur, c’est celui qui concerne le domicile.

L’art. 15 de la loi du 27 septembre 1835, sur la naturalisation, renferme une disposition que l’on peut dire jusqu’à un certain point exorbitante, il y a dans cette disposition un certain effet rétroactif ; mais n’importe ; acceptons cette disposition comme elle est ; c’est une précaution que le législateur a voulu prendre.

Art. 15. de la loi du 27 septembre 1835 : Les étrangers qui on obtenu l’indigénat ou la naturalisation sons le gouvernement de Pays-Bas, ne jouiront en Belgique des droits que ces actes leur ont conférés, qu’autant qu’ils y aient été domicilies au 1er décembre 1830 et qu’ils y ont depuis lors conservé leur domicile.

Le prince de Chimay a-t-il conservé son domicile à Chimay, dans le royaume de Belgique ? On vous produit une déclaration du bourgmestre de cette commune et on n’y oppose aucun fait contraire. Je dis qu’encore ici tout rend vraisemblable que le prince de Chimay a conserve son domicile à Chimay. Son intérêt l’exigeait, il est le fils aîné. Il était destiné à hériter de biens en Belgique, à y devenir le chef de la famille. Comment admettre légèrement qu’en 1830 il renonce à sa qualité de Belge pour se trouver sans patrie ? A cette époque il n’y avait plus pour lui d’alternative ; il n’y avait plus à choisir entre deux patries ; il avait opté en faveur de la Belgique pour l’acceptation de fonctions publiques ; il n’y avait plus pour lui qu’à conserver son domicile la où il devait être un jour le chef de la famille.

Vous voyez donc que toute allégation cherchant à établir que le prince de Chimay a renoncé à sa qualité de Belge, est de nouveau invraisemblable. Le prince de Chimay avait intérêt à rester Belge, à conserver dans le nouveau royaume de Belgique son domicile. Il avait cet intérêt et on ne peut alléguer aucun intérêt contraire.

Le prince de Chimay pouvait-il fournir d’autres preuves que celles qu’il a fournies ? Evidemment non ; il n’en avait pas d’autre à fournir. Lui objecte-t-ont un fait constaté par un acte quelconque ? Mais c’est ce qu’on ne fait pas. On soulève seulement des doutes, et l’on pourrait en faire autant à l’égard de tout le monde.

Je crois donc que la chambre ne doit pas ajourner l’admission du prince de Chimay. Si la chambre statuait aujourd’hui, comme cette élection est la dernière à vérifier, nous pourrions immédiatement nous constituer.

M. Verhaegen. - Messieurs, des honorables collègues auxquels je réponds, ont formé leur opinion, et ne trouvent aucun doute sur les diverses questions que soulève le rapport ; soit. Mais que demandons-nous ? Uniquement de pouvoir former aussi notre opinion. Il me semble que ce n’est pas être trop exigeant que de demander jusqu’à demain pour pouvoir faire ce que ces honorables collègues ont eu occasion de faire avant nous.

Nous venons d’entendre le rapport, nous venons d’apprendre de la bouche de M. le rapporteur que trois questions importantes, et non pas deux, comme l’a supposé M. le ministre de l’intérieur, se présentent, et nous demandons à ne pas devoir nous prononcer à la légère.

L’honorable M. de la Coste nous fait remarquer qu’il n’est que deux heures, mais il semble oublier qu’on demande de passer immédiatement à la discussion, de sorte que quelle que soit l’heure, on ne nous laisse pas le temps de nous éclairer.

Je dois dire à l’honorable rapporteur qu’il a eu tort de parler d’esprit de parti. Nous n’avons pas prononcé ce mot ; il ne s’agit nullement ici de question de parti ; je n’ai pas l’honneur de connaître M. le prince de Chimay ; je ne connais pas ses opinions ; je désire examiner une question de principe, rien de plus et je crois que nous avons bien fait de demander la remise de la discussion, même pour l’honneur de la chambre.

M. le ministre de l’intérieur nous a dit que si on présentait quelque objection grave contre l’élection de M. le prince de Chimay, il pourrait comprendre la nécessité de remettre la discussion qu’il trouverait juste alors, que quelques membres de cette assemblée vinssent demander de l’éclairer. Mais il n’y a pas d’objection sérieuse, a-t-il ajouté, la chose est claire, elle est évidente.

Messieurs, puisque nous sommes attirés sur ce terrain, je vais, quant à moi, vous présenter des objections qui sont très graves, et nous verrons ensuite si M. le ministre de l’intérieur tiendra sa parole.

Il y a trois questions, M. le ministre de l’intérieur, et non pas deux, comme vous l’avez dit.

M. Fleussu. - Il y en a plus de trois.

M. Verhaegen. - Je ne parle maintenant que des trois questions soulevées par le rapport ; elles sont assez graves pour que je n’en cherche pas d’autres.

La première question, M. le ministre de l'intérieur, est celle-ci Aux termes de l’art. 10 de la constitution de 1815, la faculté accordée au chef de l’Etat était limitée à un an, or, les lettres de naturalisation ont été données par le roi Guillaume, si mes renseignements sont exacts, longtemps après l’écoulement du délai ; on a prétendu que le canton de Chimay se trouvait dans un cas exceptionnel, mais au moins c’est une question qui mérite examen et qui se présente comme très sérieuse. Il est possible que vous parveniez à établir le fondement de l’exception ; je ne veux rien décider quant à présent, à cet égard ; mais au moins donnez-moi le temps d’examiner la question.

La seconde question est celle-ci : En supposant au roi Guillaume le droit de faire ce qu’il a fait, a-t-il, en donnant des lettres de naturalisation à M. le prince de Chimay père, conféré également la qualité de Néerlandais à ses enfants mineurs ? Car les enfants à cette époque étaient mineurs. M. le ministre de l’intérieur tranche ex cathedra la difficulté ; cela n’est point douteux, dit-il ; l’opinion contraire est dénuée de toute espèce de fondement. Mais nous avons à notre côté un honorable collègue dont la chambre est dans l’habitude de respecter les opinions, et qui n’est pas de l’avis de M. Nothomb ; je vais le faire parler, et je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s’il persiste à dire que ce membre, qui est M. Fallon, a professé une hérésie.

Lorsqu’il s’est agi de la loi de 1835, M. Fallon a été nommé rapporteur de la section centrale, et voici comment il s’exprimait dans son rapport :

« La section centrale n’admet pas que les enfants mineurs puissent être naturalisés par la volonté de leur père ; elle, n’admet pas que la puissance paternelle puisse produire de semblables effets, et elle insiste pour l’adoption de l’amendement du sénat.

« Tels sont les motifs de son opinion. La nationalité ne peut s’acquérir que de deux manières, de plein droit par la naissance, ou d’un libre consentement par la naturalisation ; cette qualité purement personnelle n’est pas dans le commerce ; ce n’est pas là un objet que l’on puisse aliéner comme un immeuble, c’est un droit d’un ordre supérieur qui ne peut être régi par les lois qui gouvernent les droits corporels ou incorporels : la puissance paternelle n’a pas plus d’empire sur cette fiction que sur celle de la filiation. Acquise à l’enfant au berceau, la nationalité ne peut être répudiée que par lui et de son plein gré ; et si, par une mesure d’ordre public qui le protège contre la faiblesse de son âge, il ne peut rien aliéner de ce qui lui appartient, son père ni tout autre ne peut abdiquer à sa place la qualité qu’il a reçue en naissant. A la vérité, un tiers peut toujours rendre meilleure la condition du mineur, mais le point de savoir si la naturalisation, qui entraîne toujours l’abdication de la nationalité primitive, sera avantageuse au mineur, est chose trop incertaine et trop inappréciable pour qu’on puisse en constituer juge tout autre que lui.

« La section centrale conclut de ces considérations que si l’on veut faire produire à la naturalisation du père l’effet de pouvoir profiter à ses enfants mineurs, c’est à la loi et non à la volonté du père qu’il faut demander cet effet, et qu’en conséquence, c’est à l’amendement du sénat qu’il faut donner la préférence. »

En effet, messieurs, il ne faut pas juger par l’événement une mesure qui sera un bienfait dans telle circonstance et qui pourra être préjudiciable dans telle autre. Qu’aurait dit, par exemple, l’enfant mineur à qui son père aurait enlevé la nationalité qu’il avait acquise au berceau, si la perte de cette nationalité le privait d’une succession ouverte dans un pays avec lequel il n’y aurait pas de traité de réciprocité ?

Vous voyez donc, messieurs, que ce qui pouvait être un bienfait dans tel cas, pouvait devenir une calamité dans tel autre.

Cette opinion, messieurs, a été traduite en disposition formelle dans la loi de 1835, et cette loi, conçue dans l’esprit de la législation précédente, lève tout doute, s’il pouvait y en avoir.

Je ne prétends pas, messieurs, qu’il faille d’emblée admettre cette opinion ; je n’ai pas même dit quelle serait ma ligne de conduite alors que l’on discuterait le fond, mais force m’a été, d’après le défi que nous a donné M. le ministre de l’intérieur, de faire voir qu’il y avait des objections très sérieuses à l’admission immédiate.

Maintenant, viendra-t-on dire que le prince de Chimay a ratifié même avant 1830 ce que son père avait fait pour lui pendant sa minorité ; je ne sais pas si avant 1830 le prince n’était pas encore mineur.

Un membre. - Il était majeur en 1829.

M. Verhaegen. - Soit ; mais j’aimerais au moins à vérifier le fait ; je voudrais me convaincre de l’exactitude des dates. Je demande que l’on imprime le rapport afin que nous puissions examiner les choses.

Il est, messieurs, une troisième question et celle-là tranche toute difficulté, nos honorables contradicteurs pussent-ils même avoir raison sur les deux premières. Je n’énoncerai pas, à cet égard, une opinion personnelle, pas plus que je ne l’ai fait relativement aux autres questions. Je ne ferai qu’indiquer la loi de 1835, d’après laquelle l’étranger naturalisé doit être domicilié dans le pays à une époque fixée. Les partisans de l’opinion contraire sont d’accord avec nous sur ce point, mais ils prétendent qu’il est constant que le prince de Chimay était domicilié en Belgique depuis 1816, et qu’il n’a cessé de l’être jusqu’à présent. Pour établir ce point de fait, ils ont invoqué un acte qu’ils appellent authentique, ils ont apporté une déclaration du bourgmestre de Chimay, d’où il résulterait que le prince a été domicilié à Chimay depuis 1816 jusqu’à ce jour. Un de mes honorables amis a fait remarquer que c’est là une question complexe de droit et de fait qui a été décidée à la fois par le bourgmestre de Chimay. Mais quels sont donc les faits dont ce fonctionnaire a tiré la conséquence du domicile en droit ? C’est ce qu’il ne dit point. Eh bien, l’on vient de me remettre un jugement rendu par le tribunal de Paris entre certaine dame Tallien, M. le prince de Chimay, père, et M. le prince Joseph de Chimay, fils, de celui dont il s’agit dans l’espèce. Je lis dans cette pièce :

« Jugement rendu, etc., entre madame Clémence-Isaure-Thérésia prétendant au nom Tallien, etc.

« Et premièrement le prince de Chimay (c’est le père), demeurant au château de Chimay, près de Charleroy en Belgique, résidant actuellement au château de Ménars, près Blois, département de Loir et Cher.

« Deuxièmement M. Joseph prince de Chimay, demeurant en sa terre de Ménars, près Blois. »

Un membre. - Il y demeurait.

M. Verhaegen. - On objecte qu’une demeure n’est pas un domicile. Mais d’après la signification que ce jugement donne au mot demeure, c’est bien réellement du domicile qu’il s’agit. En effet, en ce qui concerne le père on dit « Demeurant à Chimay et résidant actuellement au château de Ménars près Blois ». Ainsi le père du prince de Chimay demeurait à Chimay et résidait chez son fils au château de Ménars, et ce fils demeurait en sa terre de Ménars. Il y a là tout au moins une objection sérieuse ; voulez-vous examiner ou ne point examiner ce jugement, rendu par le tribunat de la Seine en 1835 ? Je le dépose sur le bureau.

Maintenant je ne dis point encore une fois que cela doive trancher la question ; je ne vais pas jusqu’à prétendre, comme le fait M. le ministre de l’intérieur, que tout cela est évident, qu’il n’y a pas lieu à examiner. Je ne demande, au contraire, qu’une chose, c’est qu’on examine.

Quelques-uns de mes honorables collègues ont annoncé qu’ils ont encore d’autres questions à soulever, questions sur lesquelles mon opinion n’est pas fixée. J’espère que mon honorable ami M. Fleussu (qui me fait un signe), voudra bien présenter ses observations.

En résumé, je pense que la chambre ne voudra point que l’on puisse dire qu’une question aussi importante a été décidée sans examen. On a demandé des objections ; des objections ont été présentées ; la question est maintenant de savoir si l’on veut examiner ces objections. Quant à moi, j’ai rempli ma tâche.

M. de Garcia, rapporteur. - Je présenterai, messieurs, quelques observations relativement aux objections produites par l’honorable M. Verhaegen. Je commencerai pardonner lecture du certificat délivré par le bourgmestre de Chimay, qui donne bien clairement les raisons pour lesquelles il considère le prince de Chimay comme domicilié dans la ville de Chimay Voici cette pièce : (Voir le n° de demain.)

Il résulte de cet acte que le prince de Chimay, depuis 1816, et sans interruption, figure sur le tableau des habitants de la ville de Chimay, qu’il a satisfait à la milice nationale dans cette localité.

Voilà, messieurs, la raison la plus forte pour faire connaitre le domicile d’un individu, cette raison est consignée dans la loi civile, qui veut que le domicile résulte de la déclaration même du citoyen.

Cette circonstance n’est pas la seule qui milite en faveur du domicile du prince de Chimay dans la commune de ce nom ; il y a plus : du certificat délivré par le bourgmestre. Il résulte que le prince de Chimay a rempli toutes ses obligations envers sa nouvelle patrie.

Comment peut-on après cela mettre en doute son domicile ?

Pour combattre le domicile à Chimay du nouvel élu, l’honorable M. Verhaegen a argumente des qualités d’un arrêt. Mais, messieurs, qui peut ignorer que ces qualités ne sont jamais que l’ouvrage des hommes de loi, qu’elles ne font pas partie dés que les jugements sont appelés à établir et que dans l’espèce donnée, elles ne peuvent avoir d’influence sur les droits politiques ?

Au surplus, dans le jugement invoqué, il est parlé de demeure et la demeure ne peut pas influer sur le domicile.

Nous avons eu parmi nous le père d’un honorable représentant de Liége, M. Lesoinne ; eh bien, j’en appelle à vos souvenirs, M. Lesoinne a résidé en Espagne pendant bien des années pour affaires commerciales : direz-vous que par là il avait perdu son domicile en Belgique ? Evidemment non. Vous avez encore à Liége M. Hanquet qui, depuis 3 ans, a un établissement au Mexique ; M. Hanquet a aussi été sur les rangs pour la représentation nationale, je crois même qu’il était le concurrent de l’honorable M. Delfosse. Eh bien, si M. Hanquet avait été nommé, serait-on venu soutenir qu’il n’est pas domicilié en Belgique parce qu’il avait un établissement au Mexique ? Evidemment il est impossible d’admettre une doctrine semblable, que l’on met en avant pour demander l’ajournement. Il faut bien le dire, ce serait une chose dérisoire que de prononcer l’ajournement pour examiner une question de cette nature.

On a soutenu que l’indigénat ne pouvait pas être conféré à un mineur et à l’appui de cette opinion l’on a invoqué un extrait du rapport fait par l’honorable M. Fallon, sur la loi nouvelle sur les naturalisations, loi de 1835. Mais cette loi nouvelle, messieurs, ne pouvait pas avoir un effet rétroactif, elle ne pouvait influencer en rien sur une loi antérieure qui ne renfermait aucune espèce d’exception, qui donnerait au Roi une prérogative sans bornes. Que l’honorable M. Fallon ait pensé qu’il fallait baser la législation nouvelle, en matière de naturalisation, sur les principes invoqués par M. Verhaegen, je le crois sans peine, mais cela ne change rien à la législation antérieure et je ne conçois pas qu’en présence du droit absolu, sans bornes conférés au roi Guillaume, on puisse venir créer des exceptions à ce droit, en vertu de la loi de 1835.

M. le ministre de l’intérieur a cité l’article qui tranche la question, c’est l’art. 15.

Art. 15 de la loi du 27 septembre 1855 « Les étrangers qui ont obtenu l’indigénat ou la naturalisation sous le gouvernement des Pays-Bas, ne jouiront en Belgique des droits que ces actes leur ont conférés, qu’autant qu’ils y aient été domiciliés au 1er décembre 1830 et qu’ils y ont depuis lors conservé leur domicile. »

Eh bien, la loi nouvelle se borne à exiger le domicile, et rien de plus.

On a dit qu’on ne peut stipuler pour un mineur.

Qu’est-ce que l’indigénat accordé à un mineur ? C’est un contrat synallagmatique entre le gouvernement et la famille, au profit de laquelle un contrat a été stipulé. Eh bien, ne sait-on pas qu’en principe, le mineur a droit de profiter de tous les contrats avantageux et les doctrines professées par l’honorable M. Fallon, lors de la discussion de la loi de 1835, ne sont pas hostiles à la pensée que j’exprime maintenant.

En effet, il croit que si le prince de Chimay, lors de sa majorité, n’avait pas voulu profiter de l’acte de faveur qui avait été octroyé à sa famille par le roi Guillaume, il pouvait renoncer à sa qualité de Belge, pour prendre la qualité de Français ; mais le gouvernement n’a pas le droit de lui retirer un bénéfice qui lui a été accordé durant sa minorité ; les principes du code civil sont clairs et précis à cet égard. Le mineur a le choix de revendiquer tous les avantages qui ont été stipulés à son profit, et le majeur qui a concédé ces avantages, ne peut pas venir argumenter de l’incapacité du mineur, pour le priver de ces avantages.

Donc, à ce point de vue, les observations de l’honorable M. Verhaegen ne doivent pas empêcher la chambre de prononcer la validité de l’élection de M. le prince de Chimay.

M. de La Coste. - J’ai dit que je consentirais à l’ajournement si des objections graves étaient présentées. L’honorable M. Verhaegen vous en a présenté plusieurs auxquelles il attribue ce caractère. Je vais les examiner sous ce rapport très rapidement, plus rapidement qu’elles n’ont été exposées. Bien que l’honorable M. Verhaegen ait paru supposer que j’avais eu le temps d’étudier la question d’avance, je dois protester qu’avant ce matin, j’ignorais comment elle était posée ; l’honorable membre, au contraire, paraît beaucoup plus avancé que moi dans cette étude, puisqu’il est si bien muni de pièces à l’appui de son opinion. Je suis donc bien moins préparé que lui à donner à la mienne de grands développements.

La première objection présentée par l’honorable membre est celle-ci : La faculté que la loi fondamentale avait attribuée au chef de l’ancien gouvernement était bornée à un an après la promulgation de cette loi ; or, ce délai était expiré à l’époque à laquelle le prince de Chimay père a obtenu la grande naturalisation.

Mais il faut faire attention que la loi fondamentale n’a pas pu être promulguée à Chimay dans le même temps que dans le reste de la Belgique, parce que le canton de Chimay avait été incorporé depuis longtemps dans la France, et n’a été rétrocédé à la Belgique que par le traité de Paris.

Cette question ne semble donc pas exiger un très long temps pour être examinée ; chacun peut former à cet égard son opinion dès à présent, sans prendre pour cela un jour de temps.

Il faut encore remarquer combien la position du prince de Chimay est favorable, par suite des faits postérieurs à l’obtention de ces lettres d’indigénat. N’arrive-t-il pas tous les jours que les tribunaux appelés à prononcer sur l’application des décrets inconstitutionnels portés par l’empereur des Français, admettent cependant que ces décrets doivent être considérés comme ayant force de loi, lorsqu’il n’y avait pas eu de réclamations de la part des corps de l’Etat chargés, pour ainsi dire, de la garde de la constitution ; eh bien, dans ce cas, ces corps n’ont pas réclamé, ils ont formellement ou tacitement reconnu l’indigénat que l’on conteste.

Ce n’est pas d’aujourd’hui, en effet, que la question a été examinée ; elle a été décidée depuis longtemps. En vertu de l’indigénat qui lui a été accordé, le prince de Chimay père a été admis comme membre de la première chambre ; son fils a depuis représenté la Belgique à l’étranger ; et, certes la nation belge avait trop le sentiment de sa dignité, la législature belge veille trop soigneusement sur ce dépôt sacré , pour avoir consenti à ce que le pays fût représenté à l’étranger, pendant plusieurs années, par une personne qui n’aurait pas eu la qualité de Belge.

On a demandé en second lieu si les mineurs pouvaient être naturalisés.

Je pense, avec M. le ministre de l’intérieur, que dans ce cas cela ne fait point de difficultés ; en effet, c’était plus qu’une faculté, (erratum Moniteur belge n°322 du 18 novembre 1843 :) c’était une nécessité, puisqu’il s’agissait d’un pouvoir extraordinaire qui expirait dans un temps limité. Si donc ce pouvoir n’avait pu atteindre les mineurs, la famille aurait été divisée, c’est ce que la loi fondamentale ne pouvait vouloir.

La doctrine soutenue par M. le ministre de l’intérieur est tellement évidente, que beaucoup de jurisconsultes (on vient de me remettre un mémoire dans lequel la question est traitée) sont d’avis que la naturalisation opère de plein droit en faveur des mineurs.

Je dis en faveur des mineurs, car la disposition était entièrement en faveur des mineurs ; en effet, si le prince de Chimay, lors de sa majorité, n’avait pas voulu être Belge, s’il avait voulu choisir la France pour sa patrie, il lui était libre, en vertu de l’art. 10 du code civil, de réclamer la qualité de Français.

On demande enfin si le prince de Chimay a conservé son domicile en Belgique. Eh bien, il produit une pièce authentique qui en fournit la preuve. Mais on veut plus, on veut qu’il prouve quo depuis lors il n’a posé aucun acte contraire à l’acte authentique qu’il produit. C’est une preuve négative que l’on exige. Si nous avions agi ainsi à l’égard des autres membres qui ont été admis, nous aurions dû demander à chacun d’eux la preuve qu’il n’avait posé aucun acte de nature à lui faire perdre sa qualité de Belge.

S’il fallait une nouvelle démonstration du peu de gravité des objections qui ont été présentées, j’avoue que je les puiserais dans le jugement même qui a été cité par l’honorable M. Verhaegen et où il est dit « demeurant à Ménars », pourquoi pas domicilié ? Ce mot demeurant, employé de préférence, semble déjà par lui-même exclure l’idée de domicile, mais d’ailleurs, quelle est la personne qui soit dans le cas de donner une procuration pour suivre une affaire, et à l’on ne donne parfois une qualité qu’elle n’a pas ? Cela arrive tous les jours. Je connais moi-même nombre d’actes où l’on me désigne comme domicilié à Schaerbeek, quoique mon domicile soit dans l’arrondissement de Louvain.

Je me bornerai à ces réflexions. Je crois que chaque membre a son opinion formée et que prononcer l’ajournement ce serait, en quelque sorte, nous réserver du temps pour trouver des difficultés qui, dans l’état présent de la question, ne s’offrent point à notre esprit.

M. Fleussu. - Messieurs, ce n’est pas moi qui demande à gagner du temps pour chercher des objections ; je crois en avoir de très sérieuses, sur lesquelles j’appelle l’attention de l’honorable membre ; je provoque même une réponse de sa part.

La chambre remarquera qu’alors qu’on demande à s’éclairer pour discuter plus utilement demain, on discute dès aujourd’hui, car plusieurs honorables orateurs sont entrés dans le fond : ils avaient sans doute l’avantage sur nous d’avoir pu étudier la question d’avance, tandis que nous ne la connaissons que par le rapport.

Ainsi, messieurs, j’ai appris par le rapport que ce n’est pas seulement le prince de Chimay père qui a été naturalisé, mais que l’indigénat a été accordé à toute sa famille. J’avoue que cette partie du rapport a fait sur moi une vive impression et m’avait disposé en faveur de l’admission de M. le prince de Chimay, bien que la naturalisation lui ait été conférée durant sa minorité, parce qu’il est de principe qu’un mineur peut toujours revendiquer, lors de sa majorité, ce qui a été stipulé pour lui pendant sa minorité. Or, il a été démontré qu’à sa majorité le prince de Chimay a formellement déclaré son intention d’être Belge en acceptant des fonctions publiques en Belgique.

Si la question s’était réduite à ce point seul, je déclare que j’accorderais encore la remise de la discussion à demain, parce que je ne veux pas imposer à des collègues l’opinion que je puis m’être déjà faite sur ce point ; je désire qu’on leur laisse le temps de s’éclairer.

M. le ministre de l’intérieur nous a dit que, s’il y avait des objections sérieuses, il ne s’opposerait pas à la remise à demain,

Messieurs, déjà d’honorables membres, très versés dans les principes du droit, ont fait des objections que je me garderai bien de qualifier de peu sérieuses, quoique je ne les partage pas de tout point : mais il est d’autres objections qui n’ont pas été rencontrées dans le rapport ; je vais avoir l’honneur de vous en soumettre quelques-unes.

Vous savez, messieurs, que la loi fondamentale a été publiée en Belgique le 21 septembre 1815. Par l’art. 10 de cette loi, le roi Guillaume s’était réservé le droit d’accorder pendant une année la grande naturalisation à des étrangers. La principauté de Chimay n’a été réunie à la Belgique que par le deuxième traité de Paris, qui a agrandi notre territoire de quelques cantons du côté de la France. Le roi Guillaume, de son autorité privée, a prétendu que la loi fondamentale n’avait pas pu être mise à exécution dans ces cantons, antérieurement à la réunion ; mais pour procéder régulièrement, le roi Guillaume n’aurait-t-il pas dû faire décréter par les états-généraux que la disposition de la loi fondamentale, relative à l’indigénat, serait prorogée pendant un an dans les cantons réunis à la Belgique ?

Toutefois, je ne m’appesantis point sur cette observation, et je vais plus loin : j’admets qu’à partir du deuxième traité de Paris, cette partie de la loi fondamentale pût encore être mise à exécution pendant un an ; je concède qu’à partir du 20 novembre 1815 jusqu’au 20 novembre 1816, le roi Guillaume a pu accorder l’indigénat. C’est là sans doute une concession bien large, puisque je veux bien supposer que le roi Guillaume a pu, sans l’intervention des états généraux, proroger la disposition de la loi fondamentale, qui n’avait d’effet que pour un an.

Eh bien, malgré cette large concession que je vous fais encore la grande difficulté que voici : c’est que le roi Guillaume n’a pas usé de son droit dans l’année de prorogation ; en effet, ce n’est que le 16 décembre 1816 que l’indigénat a été accordé à la famille du prince de Chimay.

Or, je vous demande s’il pouvait encore, alors que l’année de grâce que j’ai concédée était écoulée depuis près d’un mois, accorder des lettres de naturalisation ? Si vous dites, oui ; je dis qu’il l’a pu toujours, car le délai fixé par l’art. 10 de la loi fondamentale a été promulgué le 21 septembre 1815 ; l’année expirait le 21 septembre 1816 ; admettant que, par suite du traité de Paris du 20 novembre qui a réuni au royaume des Pays-Bas les cantons dont Chimay faisait partie, son pouvoir royal ait été prorogé au 20 novembre suivant, ce pouvoir était expiré quand il a conféré la naturalisation dont il s’agit, car l’arrêté porte la date du 6 décembre. Comment fait le roi Guillaume pour déguiser cet acte d’autorité ? Il a dit que la demande avait été faite avant le 20 novembre. Où en est la preuve ? Ensuite suffit-il que la demande ait été faite avant l’expiration du délai ? Non, il faut que l’exercice du droit accordé à la royauté ait eu lieu avant le terme de ce délai.

Cette question, comme vous le voyez, est hérissée de difficulté. Tout disposé que je sois à voter pour l’admission de M. de Chimay, les observations qui ont été faites dans la discussion et celles que je viens de présenter moi-même, soulèvent des doutes dans mon esprit ; il y aurait déloyauté à ne pas accorder la remise de la discussion afin de nous permettre de les résoudre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Voici la concession que nous fait l’honorable préopinant : la loi fondamentale de 1815 a été publiée le 21 septembre dans tous les pays qui, à cette époque, constituaient le royaume des Pays-Bas. Le royaume a été agrandi par le deuxième traité de Paris du 20 novembre à la suite de la bataille de Waterloo. Le roi avait un an pour accorder l’indigénat. L’honorable membre concède qu’il faut prendre en considération ce fait, et qu’il y a lieu d’admettre une prorogation pour les pays réunis par le deuxième traité de Paris. Je prends acte de cette concession, mais je l’applique d’une tout autre manière. Le délai, selon lui, doit courir du 20 novembre 1815 au 20 novembre 1816, pour les cantons réunis en vertu de ce traité. C’est là faire une concession illusoire : est-ce que le deuxième traité de Paris était obligatoire, exécutoire le 20 novembre 1815 ?

L’honorable membre voudra bien ajouter à la concession qu’il a faite les concessions suivantes : d’abord, il faut qu’il tienne compte du délai d’usage pour les ratifications échangées, on a remis matériellement au royaume des Pays-Bas les dix cantons nouvellement acquis ; après cette remise on y a publié la loi fondamentale.

M. Fleussu. - Quand ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vais vous répondre. Il faut que l’honorable préopinant me fasse la concession d’une manière plus large, pour quelle soit raisonnable ; le délai ne peut pas courir du 20 novembre 1815 au 20 novembre 1816 ; il faut qu’il tienne compte du délai accordé pour l’échange des ratifications, du délai qui s’est écoulé jusqu’à la remise des territoires, enfin de celui qui s’est écoulé jusqu’à ce que les lois nouvelles belges aient été promulguées dans les dix cantons. Cela posé, voyons si nous nous trouvons encore dans le délai de l’article 10.

L’arrêté qui accorde l’indigénat à M. le prince de Chimay est du 6 décembre 1816. Etait-on encore alors dans le délai d’un an ? Oui, car nous ne pouvons pas admettre que du 20 novembre au 6 décembre, tous les actes que j’ai énumérés se soient accomplis. La remise des territoires n’a pas eu lieu avant la fin de 1815, deux mois étaient accordés pour l’échange des ratifications, la mise à exécution du traité la remise des territoires n’a été faite au royaume des Pays-Bas, n’a pu être faite que tout à la fin de 1815. Le délai doit donc courir non du 20 novembre, mais de la fin de 1815. (Interruption.) On me demande de produire des pièces, mais j’ai plus qu’une production de pièces, j’ai pour moi la force des choses, des actes inévitables : l’échange des ratifications, la notification aux habitants des territoires cèdes qui doit avoir eu lieu avant la remise des territoires et la promulgation des lois nouvelles.

M. de Garcia, rapporteur. - M. Fleussu a eu l’air de faire une concession qui n’en est pas une et dont M. le ministre de l’intérieur a fait justice. L’honorable membre a bien voulu concédée que le roi Guillaume a pu user de la prérogative, lui concédée par l’art. 10 de la constitution, dans l’année qui a suivi la réunion du canton de Chimay à la Belgique. M. Fleussu n’a fait cette concession que parce qu’il n’en croyait pas le principe soutenable. Voici ce que porte l’art. 10 de la loi fondamentale :

« Pendant une année après la publication de la présente loi fondamentale, etc. »

Ce n’est qu’après le deuxième traité de Paris que la loi fondamentale a dû être publiée dans les territoires nouvellement acquis. Le texte de la constitution repousse l’idée que M. Fleussu avait commencé à émettre. En présence des expressions de la loi fondamentale, il est incontestable que le pouvoir conféré au roi s’étendait sur tous les territoires où la constitution des Pays-Bas devait recevoir ses effets.

Partant de la concession faite par M. Fleussu, M. le ministre de l’intérieur a soutenu aussi avec raison qu’il était impossible, en faisant la supputation du temps nécessaire pour l’accomplissement des formalités du traité et la remise du territoire, que la loi fondamentale ait été promulguée dans tous les cantons français réunis à la Belgique, avant la fin de l’année 1815. A ce point de vue, l’honorable M. Fleussu a commencé par jeter le gant à M. de La Coste en lui disant, vous me répondrez ; mais M. de la Coste n’a-t-il pas déjà répondu à une partie des objections de l’honorable membre ? Il a dit que M. de Chimay avait siégé sous le roi Guillaume, au sein de la représentation nationale sans qu’on ait songé à lui contester les droits de l’indigénat. S’il y avait eu irrégularité dans l’acte royal de 1816, ne devrait-on pas reconnaître qu’elle a été couverte par les pouvoirs représentatifs que le prince de Chimay a exercés en Belgique, et il faut le reconnaître avec l’honorable M. de la Coste, il y aurait une inconséquence et une anomalie inqualifiables, à voir deux corps de l’Etat, sur le même rang, prendre des résolutions inverses sur le même objet.

Il est d’autres circonstances encore, c’est que le prince de Chimay a occupé des fonctions publiques dans le royaume des Pays-Bas, et des emplois politiques depuis 1830. N’hésitons pas à le dire, ces circonstances sont de nature à couvrir une irrégularité si elle existait. Mais, selon moi, l’irrégularité n’existe pas ; le roi Guillaume était dans les termes de la loi fondamentale pour conférer l’indigénat sans conditions à des majeurs comme à des mineurs, La dernière objection présentée par M. Fleussu n’est donc pas plus fondée que les autres qui ont été présentées dans le cours de cette discussion,

M. Dumortier. - Il ne me paraît pas que la motion d’ajournement puisse venir dans les circonstances actuelles. Depuis deux heures nous discutons le fond de la question. Il faut convenir qu’une remisé de la discussion à demain serait une futilité. J’ajouterai qu’il me paraît qu’on était admirablement préparé pour la discussion, puisqu’on avait fait lever des jugements à Paris et qu’on en fait la base des arguments qu’on présente, et ce sont précisément ceux qui se sont entourés de documents qui prétendent n’être pas préparés et demandent la remise de la discussion !

Quelles sont les objections faites contre l’élection de M. le prince de Chimay ? Elles sont de trois sortes. La première porte sur la date de l’indigénat, la seconde sur la qualité de mineur, la troisième sur le domicile en 1830.

Relativement à la question concernant la date de l’acte d’indigénat, je ferai remarquer que par le traité de Paris les puissances avaient deux mois pour la ratification du traité. Or ce délai est légitimé par les nécessités, car entre qui se passait ce traité ? Entre la France, l’Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie. Il fallait envoyer ce traité à Vienne, à Londres, à Berlin et à Saint-Pétersbourg. Vous comprenez qu’on ne fait pas de pareilles ratifications dans l’intervalle de quelques jours. Aussi le traité avait-il stipulé qu’il y avait un délai de deux mois pour les ratifications. Ajoutez ces deux mois à la date du traité qui est du 20 novembre 1815, vous avez pour l’époque des ratifications le 20 janvier 1816. Or l’acte de naturalisation a été donné le 6 décembre 1816 ; donc il a été donné dans l’année.

L’acte, fût-il postérieur de quelques jours, je dirais que le roi Guillaume avait encore le droit de le faire, parce qu’il a fallu après l’échange des ratifications un certain temps pour la remise des territoires et la publication des lois. Cette disposition de la loi fondamentale était telle que si 8 ans, 15 ans après, quelque adjonction de territoire eût été faite au royaume des Pays-Bas, le roi aurait eu le droit d’accorder l’indigénat aux habitants de ces localités ; c’était un droit à exercer une fois, dans un certain délai, par le pouvoir exécutif en faveur des habitants des territoires réunis.

Remarquez que nous avons nous-mêmes jugé en ce sens, il y a une disposition qui porte que les nominations dans l’ordre judiciaire sont faites par le Roi, sur la présentation de corps constitués. Il y a une autre disposition qui stipule que la première nomination est déférée au Roi. Comment avons-nous procédé ? Lorsque l’on a adjoint de nouvelles chambres aux cours d’appel, on a toujours attribué au Roi la première nomination, quoique les premières nominations eussent eu lieu depuis longtemps. Cependant si les dispositions de la constitution étaient ici applicables, nous ne pouvions nous dispenser de nous y conformer. Il y a ici analogie complète, il y a extension de pouvoirs, dans un cas comme dans l’autre.

Il est incontestable que l’acte de naturalisation a été donné dans le délai légal, puisqu’il y a eu deux mois pour la ratification, que ce délai va jusqu’au 20 janvier 1816 et que l’acte de naturalisation est du 6 décembre 1816, et que par conséquent l’acte n’est postérieur que de 10 mois et demi à l’exécution du traité.

La question relative aux mineurs tient-elle davantage ? Non ; cela est extrêmement simple. La déclaration du mineur dans l’année qui suit sa majorité n’a été prescrite que par la loi de naturalisation de 1835. Or, à cette époque, le prince de Chimay n’était plus mineur, donc il n’avait pas de déclaration à faire. Le système des déclarations avait été d’ailleurs supprimé par la loi fondamentale, cela a été reconnu par la chambre et par la cour de cassation. La loi fondamentale avait sur ce point modifié le code civil français.

Au reste, on a tout à l’heure établi que le prince de Chimay avait exercé, avant la révolution, des fonctions publiques en Belgique. Maintenant vient la question du domicile, question qu’il nous paraît impossible de résoudre contre M. le prince de Chimay. On nous cite un jugement rendu à Paris ; que porte ce jugement ? Que le prince de Chimay demeurait en France dans l’une de ses propriétés.

Si on lui conteste pour cela la qualité de Belge, il faudra la contester aussi à l’honorable M. de Mérode, parce qu’il demeure une grande partie de l’année dans sa propriété de Trélon. Il faudra lui interdire de siéger à la chambre, car pour être représentant il faut être domicilié en Belgique. D’un autre côté, vous savez comment sont posées les qualités dans un jugement, elles sont posées par les avoués. M. le prince de Chimay serait, d’après les qualités d’un jugement, domicilié en France, que ce ne serait pas un motif pour annuler son élection. Mais il n’en est pas ainsi. M. le prince de Chimay a demeuré dans une de ses propriétés en France, comme notre honorable collègue, M. de Mérode, demeure une partie de l’année dans sa propriété de Trélon.

Vous voyez donc qu’aucune des objections présentées contre l’élection de M. le prince de Chimay n’est sérieuse. Quant à la remise à demain, je crois qu’elle est inutile, puisque nous n’avons fait que discuter le fond. Quant au fond, nous ne pouvons nous dispenser d’admettre M. le prince de Chimay, puisqu’il réunit toutes les conditions d’éligibilité.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le second traité de Paris, du 20 novembre 1815, est inséré dans le dernier numéro du Journal officiel de 1815, sous la date du 31 décembre 1815. L’art. 12 de ce traité porte que les ratifications seront échangées dans les deux mois. On trouve au Journal officiel de 1816 un arrêté royal du 14 janvier 1816 qui détermine les cantons et arrondissements dont feront partie, sous le rapport judiciaire, les pays nouvellement incorporés au royaume des Pays-Bas. Aux termes de cet arrêté le canton de Chimay est réuni à l’arrondissement de Charleroi. Dans le préambule de cet arrête est mentionné un arrêté du 13 décembre 1815. Si l’on s’attachait à cette date, on serait encore dans le délai d’un an ; mais nous pensons qu’il faut aller plus loin.

Vous voyez que c’est en janvier 1816 que le gouvernement des Pays-Bas a pris possession des pays incorporés à la Belgique et en a réglé la réunion aux arrondissements dont ils font partie. Il nous est impossible de considérer, avec l’honorable M. Fleussu, cet arrêté comme remontant au 20 novembre 1815. Il ne s’agit pas de la date à laquelle le traité a été conclu, mais de celle à laquelle ont eu lieu l’échange des ratifications, la notification aux populations, la remise du territoire. En effet, l’acte n’est devenu définitif pour les populations mêmes que par l’exécution intérieure.

M. Fleussu. - La discussion, en faisant des progrès, nous apporte de nouveaux éclaircissements. C’est ainsi que l’honorable M. Dumortier nous a appris que les ratifications du traité ont été échangées deux mois après sa date ; c’est ainsi que M. le ministre de l’intérieur vient de faire connaître plusieurs arrêtés relatifs à l’exécution du traité du 20 novembre. Tous ces éclaircissements justifient la demande de la remise de la discussion à demain. M. le ministre de l’intérieur a été pris au dépourvu quand je lui ai demandé quand la réunion a été exécutée dans les pays cédés, il n’a pas pu le dire. Il a dû recourir à la bibliothèque pour prendre des renseignements dans le journal officiel. Vous voyez donc que pour avoir des éclaircissements, pour se préparer à une discussion solide, nous avions raison de demander la remise à demain.

Je n’ai pas émis d’opinion formelle parce que je trouve la question trop ardue. Je n’ai pas dit que la prorogation par le roi Guillaume de la disposition de la loi fondamentale fût illégale, ni que les actes passés en vertu de cette prorogation fussent entachés de nullité ; j’ai dit qu’il pouvait y avoir doute alors que le roi Guillaume n’avait pas fait prononcer par les Etats-Généraux la prorogation d’un droit tout à fait exceptionnel. Car il s’agit d’une disposition dont il ne pouvait user que pendant une année. On conçoit cette limite à propos d’une disposition qui donnait au roi la faculté de conférer à l’étranger la qualité de Belge. La question de savoir si le roi a pu proroger une disposition de cette nature, est digne de toutes vos méditations, il est impossible d’improviser à ce sujet une résolution.

Je demande si, au 6 décembre 1816, on n’avait pas dépassé la limite posée par la disposition de la loi fondamentale. Cette question de droit public n’a point été soulevée par le rapport. C’est l’examen rigide que je viens de faire de l’acte de naturalisation qui l’a fait naître dans mon esprit. Je n’en préjuge pas la solution ; je demande seulement que ceux qui ont des doutes puissent ne prendre une résolution qu’après un mûr examen.

J’ai fait une concession, mais c’est quant à moi et de mon autorité privée. Je ne sais si ceux qui demandent comme moi l’ajournement veulent faire cette concession que je trouve très large. Si j’ai admis que le droit du roi Guillaume était prorogé pour tous les pays incorporés à la Belgique, c’est pour simplifier la discussion que j’avais fait cette concession ; mais si je devais prononcer au fond, je crois que je résoudrais la question autrement ; en effet, il en résulterait que si, par un autre traité, un pays quelconque, de Prusse ou de France, avait été réuni à la Belgique six ou huit ans après la loi fondamentale, le roi Guillaume aurait pu encore accorder l’indigénat. A l’esprit de qui une pareille supposition pourrait-elle venir ? De personne assurément. Vous voyez donc que j’ai été trop loin, quand j’ai fait cette concession.

Une autre réflexion me frappe encore : je vois dans l’acte de naturalisation que la demande avait été adressée au roi à une époque où le prince de Chimay n’était pas domicilié en Belgique. Etait-on, dès lors, dans les termes de la loi fondamentale pour accorder l’indigénat aux personnes composant la famille du prince de Chimay ? D’après la disposition expresse de la loi, il fallait que les personnes fussent domiciliées dans le royaume des Pays Bas ; or, d’après les renseignements qui ont été fournis, le prince de Chimay n’était pas dans ce cas. Le prince de Chimay a pris domicile à Chimay le 1er décembre 1816 ; la naturalisation est du 6 décembre ; mais la demande est antérieure. On n’est donc pas dans les termes de la loi fondamentale.

Vous voyez, messieurs, combien sont nombreuses les difficultés qui se présentent ; avec une perspicacité, que j’admire, vous êtes prêts à les résoudre, fort bien ; mais à nous qui n’avons pas cette promptitude de jugement, donnez au moins le temps d’examiner.

M. de Garcia. - L’honorable M. Fleussu vient de dire que le prince de Chimay père n’était pas domicilié en Belgique à l’époque où il a demandé la naturalisation. Mais les pièces prouvent le contraire.

Lisez ces pièces, vous avez ici le diplôme.

M. Fleussu. - Voulez-vous me permettre une seule observation ?

M. de Garcia, rapporteur. - Volontiers.

M. Fleussu. - Cette observation va vous démontrer le contraire. C’est que dans l’acte d’indigénat, il est dit que la demande avait été faite antérieurement au mois de novembre. Voici maintenant la pièce du bourgmestre de Chimay qui déclare que c’est au 1er décembre que M. le prince de Chimay a fait sa déclaration de domicile. Donc, quand il a demandé la naturalisation, il ne réunissait pas les conditions voulues par la loi fondamentale.

M. de Garcia, rapporteur. - Il résulte des expressions mêmes de l’acte d’indigénat, que le prince de Chimay était domicilié en Belgique, quand on lui a accordé des lettres de naturalisation, et cela suffisait.

Voici comment est conçu l’art. 10 de la loi fondamentale des Pays-Bas :

« Pendant une année après la promulgation de la présente loi fondamentale, le roi pourra accorder à des personnes nées à l’étranger et domiciliées dans le royaume, les droits d’indigénat et d’admission à tous les emplois quelconques. »

Cet article n’exige pas que, lorsque je fais ma demande, je sois domicilié en Belgique ; mais il impose la condition à celui qui demande des lettres d’indigénat, d’habiter la Belgique avant qu’elles lui soient accordées. ll suffit de lire l’article pour être convaincu.

Et que porte le diplôme qui accorde l’indigénat à M. le prince de Chimay : (Voir l’acte d’indigénat qui sera rapporté demain.)

Vous voyez que l’acte de naturalisation prote d’une manière positive que le prince de Chimay habitait la Belgique au moment où il obtint les lettres d’indigénat.

Il est vraiment étrange de voir surgir de pareils incidents qui sont combattus par la simple lecture des pièces et par le texte de la loi.

M. Malou. - Je ne rentrerai pas dans l’examen de la question telle qu’elle a été discutée. Je voulais seulement faire remarquer que l’une des dernières objections soulevées par l’honorable M. Fleussu se trouve résolue par le texte de la loi fondamentale. Nous raisonnons constamment d’après le mot promulgation qui se trouve dans le texte français de cette loi ; mais vous trouverez dans le texte hollandais, qui est aussi officiel, le mot invoering (publication, introduction) ; il en résulte que l’indigénat pouvait être accordé pendant une année, à dater de l’introduction de la loi, c’est-à-dire de son application à un territoire donné.

J’appelle l’attention de la chambre sur ce point, parce qu’il me paraît, d’un autre côté, résulter à l’évidence de l’arrêté dont M. le ministre de l’intérieur vous a donné lecture, que cette publication de la loi fondamentale n’a eu lieu au plus tôt que le 13 décembre 1815. Veuillez remarquer en effet, et tous les précédents sont là pour le démontrer, que les mesures prises par des arrêtés de cette nature suivent, de toute nécessité, immédiatement la prise de possession d’un territoire, parce que l’action de la justice ne peut pas être suspendue.

Quant à la question de domicile, je ferai remarquer encore que l’honorable M. Fleussu me paraît avoir confondu le domicile du père avec celui du fils. Il a argumenté, si j’ai bien compris, du certificat produit par le prince Joseph de Chimay, de la vérification des pouvoirs duquel il s’agit, pour démontrer que son père n’était pas domicilié à Chimay antérieurement à l’arrêté qui lui accorde l’indigénat. Or, l’acte même de naturalisation accordé au père énonce qu’il était domicilié sur le territoire nouvellement réuni au royaume des Pays-Bas. Le certificat produit par M. le prince de Chimay, élu à Thuin, le concerne personnellement, mais n’est nullement relatif au domicile de son père, qui pouvait être antérieur, et qui l’était effectivement d’après la teneur de l’acte de naturalisation qui lui a été accordé.

M. Devaux. - Messieurs, je ne tiendrai pas la chambre bien longtemps ; je ne fais pas de cette question une question de parti. Hier, quand il s’est agi de l’admission de l’honorable M. Eloy de Burdinne, j’ai été de l’avis de ceux qui soutenaient la validité de l’élection. Je serai tout aussi impartial aujourd’hui.

D’ailleurs, je ne crois pas avoir besoin d’impartialité ; je n’ai pas l’honneur de connaître M. le prince de Chimay ; je ne sais quelles sont ses opinions ; peut être se rapprochent-elles plus des miennes que de celles d’honorables membres qui demandent son admission immédiate. Quelles que soient ses opinions, je le verrai avec plaisir siéger dans cette chambre, mais je désire que, comme tout autre, il y entre régulièrement.

Messieurs, je veux seulement vous soumettre un doute que j’ai déjà énoncé une fois et qu’on n’a pas compris.

Je pars de la supposition que M. le prince de Chimay a été valablement naturalisé par l’arrêté du roi Guillaume.

L’art. 15 de la loi sur la naturalisation, faite en 1835, est conçu dans les termes suivants :

« Les étrangers qui ont obtenu l’indigénat ou la naturalisation sous le gouvernement des Pays-Bas, ne jouiront en Belgique des droits que ces actes leur ont conférés, qu’autant qu’ils y aient été domiciliés au 1er décembre 1830 et qu’ils y ont depuis lors conservé leur domicile. »

Vous voyez qu’alors même que M. le prince de Chimay serait naturalisé valablement par le roi des Pays-Bas , encore faut-il, pour que cette naturalisation porte ses effets, qu’il ait eu son domicile en Belgique sans interruption, depuis le 1er décembre 1830, jusqu’aujourd’hui.

Eh bien ! j’ai dit que j’avais un doute à vous soumettre à cet égard. Il est très grave. Il résulte de l’acte que vient de lire l’honorable M. Verhaegen, et auquel, permettez-moi de le dire, on n’a rien répondu.

L’honorable M. Verhaegen vous a lu un jugement du tribunal de la Seine, dans lequel M. le prince de Chimay est qualifié de demeurant à Ménars en France.

L’honorable M. Dumortier vous dit : mais demeurant ne dit rien, cela signifie simplement que M. le prince de Chimay se trouvait à Menars. Mais l’honorable M. Dumortier n’a pas l’habitude des affaires judiciaires, et je demande à ceux qui ont cette habitude, si demeurant n’a pas la même signification que domicilié. Si je m’en rapporte à l’avis d’hommes haut placés dans la magistrature, qui rendent des jugements tous les jours, ces deux mots signifient la même chose ; cela a été jugé vingt ou trente fois.

Ce sont là des doutes qui méritent d’être éclaircis. S’il est vrai qu’en jurisprudence le mot demeure ait la même signification que le mot domicile, et le code emploie indifféremment ces deux mots, il est clair comme le jour que devant un tribunal, en présence de l’article 15 de la loi sur les élections, M. le prince de Chimay serait déclaré étranger et que sa naturalisation ne peut porter de fruit depuis 1835.

C’est là un doute très grave que l’on ne peut résoudre d’emblée, Il faut avoir le temps de consulter la jurisprudence. Ici nous sommes esclaves de la jurisprudence. Si les tribunaux, en employant le mot demeure, ont voulu signifier le domicile, la question est tranchée. Or, en présence de l’opinion de magistrats qui rendent des jugements tous les jours, et que je vous ai déjà citée, il me paraît difficile d’admettre que le mot demeure puisse se trouver dans un jugement s’il ne signifie pas domicile.

Voilà le doute que je désirais vous soumettre, et réellement il mérite d’être approfondi ; car si M. le prince de Chimay n’était pas domicilié en Belgique au moment du jugement du tribunal de la Seine, il est clair qu’en vertu de l’art 15 de la loi sur les naturalisations il ne peut se prévaloir de son indigénat sous le royaume des Pays-Bas, cet indigénat fût-il valable sous tout autre rapport.

M. Dumortier. - Je ne pense pas, messieurs, que les observations de l’honorable M. Devaux soient plus fondées que les précédentes. Et, en effet, je ferai d’abord remarquer à la chambre que les qualités d’un jugement ne sont pas le jugement lui-même. Il ne s’agit pas d’un jugement prononcé contre M. le prince de Chimay contradictoirement ; il s’agit de qualités posées par un avoué. Or, je dis que les qualités posées par un avoué ne pourraient dans aucun cas prévaloir contre un acte de domicile formel donné par l’autorité compétente.

J’ajouterai qu’en supposant même que dans le jugement dont il s’agit, il y eût domicile, cela ne prouverait encore rien ; puisqu’il ne s’agit pas ici d’un acte contradictoire, mais d’un acte posé par un individu, par un avoué ; et vous savez combien d’erreurs arrivent en pareille matière.

Je rencontrerai maintenant l’objection que tire l’honorable M. Devaux de l’art. 15 de la loi de 1835.

Cet article porte :

Art. 15 de la loi du 27 septembre 1835 : « Les étrangers qui ont obtenu l’indigénat ou la naturalisation sous le gouvernement des Pays-Bas, ne jouiront en Belgique des droits que ces actes leur ont conférés, qu’autant qu’ils y aient été domiciliés au 1er décembre 1830 et qu’ils y ont depuis lors conservé leur domicile. »

L’honorable M. Devaux veut appliquer cet article à M. le prince de Chimay. Mais manifestement il ne peut lui être applicable. Est-ce lui qui a été naturalisé ou qui a reçu l’indigénat en 1816. (Oui ! oui !) Mais je vous demande pardon, c’est son père. Il l’a reçu comme fils de son père, mais c’est au père qu’il a été conféré.

Remarquez, d’ailleurs, messieurs, que dans la loi de 1835 il ne s’agit nullement d’une disposition applicable au cas qui nous occupe. Si ceux d’entre vous qui siégeaient dans cette enceinte en 1835, veulent rappeler leurs souvenirs, il leur sera facile de savoir quel a été le but de la législature en présentant cette disposition.

La Belgique venait de se séparer de la Hollande. Nous faisions une loi pour régler les droits des Belges et pour les distinguer des droits des Hollandais.

La question qui s’était présentée était celle-ci : Nous savons ce que c’est qu’un Belge, ce que c’est qu’un Hollandais ; le lien de la naissance est un fait qu’on ne peut contester. Mais quant aux personnes qui ont reçu la naturalisation sous le gouvernement des Pays-Bas, il peut se faire que quelqu’une d’entre elles quitte, dans dix ou vingt ans, la Hollande ct vienne dire : J’ai été naturalisé sous le gouvernement des Pays-Bas, je viens exercer mes droits civils en Belgique.

C’est pour parer à cet inconvénient qu’on a fait l’art. 15 de la loi de 1835 ; ç’a été pour distinguer les personnes qui habitaient dans les provinces septentrionales, et celles qui habitaient dans les provinces méridionales. C’est là le but et l’unique but que nous avons eu. Jamais il n’est entré dans la tête de personne que ceux qui restaient en Belgique dussent faire une déclaration.

J’en appelle à vos souvenirs. Ceux qui se trouvaient alors dans cette enceinte doivent convenir que c’est dans ce sens que l’art 15 a été porté. (Aux voix !)

M. de Garcia, rapporteur. - Si l’on veut aller aux voix, je renoncerai à la parole.

Un grand nombre de membres demandent la clôture.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition faite par M. Verhaegen, de remettre à demain la discussion des conclusions du rapport.

Plusieurs membres. - L’appel nominal.

- M. Dolez, admis comme membre de la chambre au commencement de la séance, prête serment.

M. Troye. - Je désire également prêter serment.

M. de Garcia, rapporteur. - On n’a pas encore prononcé votre admission.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On pourrait procéder par division et voter sur les conclusions de la commission, en ce qui concerne M. Troye.

M. de Garcia, rapporteur. - L’élection de M. Troye n’a soulevé aucune discussion ; je demanderai donc que, procédant par division, la chambre prononce l’admission de M. Troye.

- L’admission de M. Troye est mise aux voix et prononcée.

M. Troye prête serment.

Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition de M. Verhaegen :

82 membres sont présents.

28 adoptent.

54 rejettent.

En conséquence, la proposition n’est pas adoptée.

Ont voté l’adoption : MM. Angillis, Castiau, Coghen, David, Delehaye, Delfosse, de Tornaco, Devaux, de Villegas, Dolez, Dumont, Fleussu, Jadot, Jonet, Lange, Lesoinne, Lys, Manilius, Orts, Osy, Pirmez, Rogier, Sayon, Sigart, Thyrion, Troye et Verhaegen.

Ont voté le rejet : MM. Brabant, Coppieters, Dechamps, Dedecker, de Florisone, de Foere, de Garcia, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Nef, de Naeyer, Deprey, de Renesse, de Sécus, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubus, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn, Lejeune, Liedts, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Simons, Smits, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.

Plusieurs membres. - Aux voix les conclusions de la commission.

Une voix. - Il faut les discuter.

M. Verhaegen. - D’après la décision qui vient d’être prise par la chambre, je déclare, en ce qui me concerne, que je ne prendrai part ni à la discussion ni au vote.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées. En conséquence, M. de Chimay est admis comme membre de la chambre.

M. de Chimay prête serment.

M. le président. - Nous avons maintenant la formation du bureau.

De toutes parts. - A demain.

- La séance est levée à 3 heures 3/4.