Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 10 février 1843

(Moniteur belge n°42, du 11 février 1843)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn procède à l’appel nominal à midi et 1/2.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l’analyse des pétitions adressées à la chambre.

« La veuve Peerman demande que son fils Nicolas soit exempté du service militaire. »

« L’administration communale d’Oeleghem réclame le remboursement de ses avances pour l’entretien du mobilier de la caserne de la gendarmerie. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Houyet, directeur gérant de la société des moulins à vapeur de Bruxelles, prie la chambre d’adopter au plus tôt les propositions qui ont pour but de majorer les droits d’entrée sur les orges perlées et mondées. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet dé loi sur les droits d’entrée.

Motion d'ordre

Fait personnel

M. de Garcia. - Dans une séance précédente, celle du 8 de ce mois, j’ai prononcé les paroles suivantes (c’était à propos du subside demandé par le département de la guerre) :

« Je ne puis, messieurs, laisser passer cette discussion sans exprimer l’improbation la plus formelle des irrégularités qui ont été commises dans les dépenses de 1838 et 1839 pour lesquelles le gouvernement nous demande un crédit supplémentaire. C’est là une affaire finie, mais je déclare au gouvernement que si de tels abus se représentaient à l’avenir, je voterais contre toute demande de crédit qui serait faite de ce chef. Jetons un coup d’œil rapide sur les causes de ces dépenses.

« Après avoir fait les devis des réparations nécessaires aux hôtels qu’on venait d’acquérir pour le département de la guerre, on s’est permis de faire, je ne sais comment, une foule d’autres dépenses, dépenses qui semblaient être comprises dans les devis pour l’appropriation de l’hôtel, dépenses qui dépassent du double et du triple la valeur des devis. Un tel ordre des choses est intolérable. Comme l’honorable M. Osy nous l’a fait remarquer, les travaux étaient dirigés par un capitaine du génie militaire ; ce capitaine faisait travailler ; il ordonnançait ou présentait les états. Ces états étaient signés et approuvés par le premier venu. C’est le payement de dépenses semblables qu’on vous demande aujourd’hui. Consacrer des actes d’administration aussi irréguliers, ce serait ouvrir la porte à des dilapidations de toute espèce, ce serait supprimer tout contrôle, ce serait poser un principe qui pourrait amener la ruine de nos finances en introduisant le désordre dans la comptabilité et dans toutes les administrations en général.

« Je voterai encore cette dépense, mais j’engage le gouvernement à ne plus suivre dorénavant une marche aussi contraire à tous les principes, et qui n’est propre qu’à ouvrir la porte aux abus et aux dilapidation de toute espèce. »

Messieurs, ces paroles ont été dites (et je pense que c’est ainsi qu’elles ont été comprises par toute la chambre) pour attaquer des principes. Je ne crois pas que qui que ce soit dans cette enceinte, y ait vu une question de personne. Cependant le capitaine du génie Roland, que je connais personnellement, m’a manifesté quelques craintes que ces paroles ne portent atteinte sa probité. Telle n’ a pu être mon intention, et je ne puis croire que mes paroles puissent faire naître cette pensée. On connaît assez ma manière de voir et d’agir. Jamais je ne me permets des attaques personnelles, et surtout lorsqu’il s’agit de personnes qui ne sont pas présentes pour se défendre. Pourtant, l’honneur est un point trop délicat pour que je ne m’empresse de dissiper tout doute à cet égard. La loyauté comme la franchise de mon caractère me font un devoir de déclarer, pour le cas où il pourrait y avoir du doute sur le sens de mes expressions, que je n’ai pas voulu élever le moindre soupçon sur la probité de M. le capitaine Roland. Je le répète, messieurs, je ne crois pas qu’aucun membre de la chambre ait supposé que j’avais voulu attaquer cet officier que je connais personnellement, ni que j’eusse voulu lui imputer la moindre dilapidation. J’ai dit seulement que, par le système suivi dans l’espèce pour les dépenses, on ouvrait la porte aux dilapidations de toute espèce. Je persiste dans cette pensée.

Rapport sur une pétition

M. Zoude, au nom de la commission de pétitions, présente le rapport sur la pétition des officiers belges qui ont été au service, aux Indes orientales, pendant la réunion de la Belgique et de la Hollande, et qui réclament une pension.

M. Mercier. - Je crois que le renvoi de la pétition ne devrait pas être pur et simple, mais avec demande d’explications.

Si M. le ministre de l’intérieur ne trouvait pas la réclamation fondée, je demande qu’un rapport motivée soit fait à la chambre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois qu’il ne faut pas statuer aujourd’hui sur cette pétition. Je proposerai l’impression du rapport avec la note que j’ai transmise, ainsi que je l’avais promis, à la commission des pétitions. L’affaire est assez importante pour cela. Des considérations d’équité doivent nous guider. Je pense qu’il convient d’ordonner l’impression des pièces que je viens d’indiquer, comme documents de la chambre.

Je demande en outre le renvoi de la discussion à la prochaine séance, où l’on s’occupera de rapports de pétitions.

M. de Garcia. - Je propose que l’on imprime en outre à la suite du rapport les pièces produites à l’appui de la pétition. Je les crois nécessaires pour que la chambre puisse bien apprécier la question.

M. Mercier. - Je ne me suis occupé d’abord que des conclusions du rapport ; mais ainsi que le fait observer M. le ministre de l’intérieur, la chambre sera plus à même de prendre une décision après l’impression des pièces. Je me rallie donc à cette proposition.

- La chambre adopte la proposition de M. le ministre de l’intérieur ; en conséquence, elle ordonne l’impression du rapport et de la note sur cette réclamation, qu’il a adressée à la commission des pétitions, et renvoie la discussion à la prochaine séance où les rapports de pétitions seront à l’ordre du jour.

M. le président. - Quant aux pièces à l’appui de la pétition on pourrait en ordonner le dépôt sur le bureau, pendant la discussion. Cependant si M. de Garcia insiste sur sa proposition, je consulterai la chambre.

M. de Garcia. - Je persiste dans ma proposition, parce que les pièces sont très importantes, et que la chambre ne les connaîtra pas aussi bien par le dépôt sur le bureau que par l’impression. Il y a notamment des états des réclamations dresses par chaque département, qu’il serait utile d’imprimer.

M. le président. - On pourrait laisser à la commission des pétitions à décider quelles pièces il conviendra de faire imprimer et de joindre au rapport. (Adhésion.)

M. de Garcia. - Fort bien !

Projet de loi sur la répression de la fraude en matière de douane

Discussion des articles

Section II. Transport intérieur

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, dans une précédente séance, il a été beaucoup question de moi, à l’occasion de la discussion du projet de loi relatif à la répression de la fraude en matière de douanes. Je n’ai pas pu répondre, parce que j’étais occupé, dans l’autre chambre, à la défense de mon budget. Je tiens à donner maintenant des explications à la chambre.

Beaucoup de membres de la chambre se rappellent comment le gouvernement est arrivé à présenter un projet de loi sur la répression de la fraude, actuellement en discussion. Cependant il ne sera pas inutile que je le rappelle à ceux d’entre vous, messieurs, qui ne faisaient pas alors partie de la chambre.

Vers 1833, l’industrie cotonnière, se trouvant dans la détresse, s’adressa à la chambre pour obtenir une meilleur protection que celle que lui accordaient les lois existantes. Alors je me trouvai à peu près seul avec mes collègues de Gand pour élever la voix en faveur de cette grande industrie, dans cette enceinte. Il y avait alors peu de membres qui connaissaient les besoins de cette industrie, à laquelle les événements politiques avaient enlevé ses principaux débouchés. Ces besoins m’étaient particulièrement connus ; j’ai donc dû les défendre. Je réussis à obtenir qu’au moins on accordât des secours par l’institution d’une société d’exportation qui malheureusement n’a pas produit les résultats qu’on en attendait. Mais bientôt les efforts que je fis alors de mon propre mouvement eurent pour effet que la question de l’industrie cotonnière fut mieux comprise. Vingt-trois honorables membres et moi, nous crûmes que le moment était arrivé d’user de notre droit d’initiative en présentant un projet de loi de nouvelle tarification en faveur de l’industrie cotonnière. Ce projet fut examiné par les sections et la section centrale. Je faisais partie de la section centrale. Nous crûmes que, malgré toute la répugnance qu’on montrait alors à admettre des mesures sévères pour la répression de la fraude, notre devoir nous obligeait à proposer à la chambre le droit de recherche à l’intérieur.

Je ne parle pas de l’estampille, qui n’est qu’un mode d’exécution, C’est le droit de recherche qui est véritablement le moyen ; c’est en lui que réside réellement le principe de la protection de l’industrie par une bonne répression de la fraude.

La chambre paraissait vouloir accueillir le projet de la section centrale, mais quand on vint au moment de voter sur le droit de recherche, le ministre des finances d’alors déclara qu’il avait le projet de présenter à la chambre une loi générale sur la répression de la fraude, qui donnerait des moyens moins onéreux, moins vexatoires que le droit de recherche à l’intérieur, sans être pour cela moins efficaces.

Dès lors, la chambre crut devoir rejeter une très grande majorité (car nous ne restâmes que 10 ou 12 pour le voter) le droit de recherche à l’intérieur. Dans ces circonstances, la section centrale, après en avoir conféré avec plusieurs des ministres de l’époque, crut devoir proposer à la chambre l’ajournement du projet de loi, jusqu’à ce que des moyens plus efficaces de la répression de la fraude fussent adoptés, parce que nous ne voulions pas d’une nouvelle tarification, qui aurait été complètement illusoire du moment qu’on n’aurait pas accordé des moyens suffisants de répression de la fraude.

Plus tard le Roi m’appela à la direction du département des finances, et vous avez pu voir, par le rapport de votre section centrale, qu’après avoir recueilli une infinité de documents sur la matière, je ne tardais pas à instituer une commission composée de membres de la législature et de hauts fonctionnaires du département des finances pour rechercher quels étaient les moyens les plus propres à réprimer la fraude. Le projet de loi en discussion n’est, à proprement parler, que le résultat du travail de cette commission.

Quant à moi, je pensais alors, comme je pense encore aujourd’hui, que la fraude des tissus ne peut bien se réprimer que par le droit de recherche à l’intérieur ; et la chambre me permettra de lire un passage de mon exposé de motifs qui lui en donnera la conviction. Voici ce que je disais, messieurs, à la page 2 de l’exposé des motifs :

« A défaut de l’estampille et de la recherche l’intérieur, mesures que la chambre des représentants a rejetées dans sa séance du 11 septembre 1835 (Moniteur, n° 256), les dispositions qui précèdent ont paru les plus propres à prévenir et réprimer la fraude. »

Vous voyez bien que je disais qu’à défaut de la recherche à l’intérieur, c’étaient les mesures que je croyais les plus propres à réprimer la fraude ; et en vous disant cela, je vous faisais bien voir que mon opinion était que la recherche à l’intérieur était le seul moyen propre à arriver à réprimer la fraude. Mais en présence de la grande majorité qui avait rejeté ce moyen à la chambre des représentants, je ne pouvais pas venir le proposer de nouveau ; d’autant plus qu’il avait été convenu en quelque que la nouvelle loi ne serait qu’un essai.

Messieurs, je persiste à croire qu’il faudra en venir à la recherche à l’intérieur ; c’est pour moi le seul moyen de réprimer bien la fraude, et surtout dans un pays comme le nôtre ; mais puisque la législature a voulu l’essai d’autres moyens, je crois qu’il y a urgence de mettre ces moyens en pratique, et de s’assurer par l’expérience s’il faut, oui ou non, en venir à la recherche à l’intérieur.

En ce qui concerne le double rayon, que proposait mon projet de loi, pour les tissus de coton, de laine, de lin et de soie, je ne suis encore aucunement en désaccord avec moi-même, parce que ce double rayon se trouve abandonné par le gouvernement. Car l’établissement du double rayon, ou plutôt l’extension du rayon pour les tissus (il n’était pas question d’étendre le rayon à d’autres objets) n’était encore une fois proposé que comme un moyen d’essai. Maintenant votre section centrale, dont fait partie, en qualité de rapporteur, l’ancien haut fonctionnaire du département des finances qui remplissait les fonctions de vice-président de la commission que j’avais instituée et dont je m’étais réservé la présidence, vient vous proposer d’autres moyens, qu’elle prétend meilleurs, et demande à les substituer à cet établissement du double rayon qui excite une grande opposition dans cette chambre ; et cette opposition devait, à la vérité, se prévoir, parce que toutes les localités, qui se trouveraient comprises dans le double rayon, s’il était décrété, cherchent naturellement à s’y soustraire. Eh bien ! messieurs, ce n’est qu’un essai qu’on vous propose de substituer à un autre essai, Mes collègues peuvent donc adopter ces nouvelles propositions de la section centrale, sans qu’il y ait contradiction chez aucun des membres du cabinet. Encore une fois, messieurs, la chambre a voulu une loi d’essai ; mon opinion est, quant à moi restée la même. Il n’y a pas de répression de la fraude possible pour les tissus, sans la recherche à l’intérieur. Mais on a voulu que l’expérience vînt le démontrer. Je ne puis que faire tous mes efforts pour que cette expérience ait lieu le plus promptement possible.

Motion d'ordre

Jury d'examen universitaire

M. Verhaegen. - Messieurs, à mon grand étonnement, j’ai appris, par la lecture du procès-verbal, que l’on s’était occupé hier, à l’ouverture de la séance d’un rapport et de l’adoption de ce rapport, sans qu’aucune mention en ait été faite dans l’ordre du jour. J’entends parler de la loi sur les jurys d’examen.

Voilà, messieurs, deux ou trois fois que nous nous trouvons dans une pareille position. Je me proposais de venir combattre ce projet de loi, et j’avais de bonnes raisons pour cela.

Un membre. - Il est trop tard.

M. Verhaegen. - Il est trop tard, me dit-on. Mais si les choses marchent de cette manière, on fera passer tous les projets que l’on voudra. J’entends l’honorable comte de Mérode s’écrier qu’on n’en fait pas passer assez. Moi, je répète que c’est là un bon moyen de faire adopter tout ce qu’on a intérêt de faire passer.

Messieurs, je voulais m’opposer an projet de loi. Le moyen m’en a été enlevé. C’est là un fait accompli, j’en conviens, mais je tiens à protester contre ce qui s’est fait, pour que pareille chose ne se renouvelle plus.

L’année dernière, on est encore venu proposer un projet de prorogation, et on l’a fait passer sans que nous ayons été mis à même de le discuter. Il est temps, messieurs, d’en finir avec l’instruction supérieure et de mettre un terme à toutes ces incertitudes qui nuisent à la bonne direction des études.

M. de Garcia. - Je conçois très bien les raisons qui doivent faire regretter à l’honorable M. Verhaegen de ne pas s’être trouvé à la séance d’hier, où la chambre a voté la loi sur l’instruction supérieure ; mais ce que je ne puis concevoir, c’est le reproche fait à cette assemblée.

La chambre était maîtresse de prendre la décision qu’elle a adoptée. Toute protestation contre un acte que la chambre a le droit de poser, est un manque d’égards envers elle.

Quant à moi, si je m’étais absenté et si pendant mon absence une discussion à laquelle je désirais prendre part, avait eu lieu, parce que la chambre l’aurait ainsi décidé, je croirais manquer à l’assemblée si je venais protester. Dès l’instant que la chambre use de son droit, on ne peut venir protester contre ce qui s’est fait.

M. Devaux. - Le droit de chacun des membres de cette chambre, c’est d’être averti à temps, aux termes du règlement, des objets qui seront mis en discussion. Le projet dont il s’agit avait été présenté à la fin de la séance d’avant-hier. Hier déjà, tout au commencement de la séance, le rapport est fait et en un clin d’œil, le projet est voté, sans que personne ait été averti que ce projet, présenté la veille, serait mis à l’ordre du jour.

Quant à moi, je demande également que l’on observe le règlement. Le règlement veut trois jours d’intervalle entre le rapport et la mise à l’ordre du jour ; mais tout au moins faut-il que les membres soient avertis de ce qui se discutera dans la séance. Sans cela qu’arriverait-il ? On ne pourrait plus sortir pendant un quart d’heure de cette enceinte, sans s’exposer qu’à son retour on ne trouvât décidé le sort de l’un ou l’autre projet de loi sur lequel on voulait parler, sur lequel peut-être on était à se préparer.

Messieurs, il y a une fatalité singulière qui s’attache à toutes les lois d’instruction publique. Voyez la loi sur le jury d’examen ; la loi ancienne devait, d’après ses propres termes, être révisée trois ans après qu’elle avait été adoptée. C’est en 1835 ou 1836 qu’elle avait été adoptée. En 1839, elle devait être révisée ; nous sommes en 1843, elle ne l’est pas encore. Pendant quatre ans on a retardé le rapport, tantôt sous tel prétexte, tantôt sous tel autre. L’année dernière, après quatre ans d’entraves, nous étions au moment de discuter la loi. Le rapport avait été fait ; contre ce rapport s’étaient élevées les réclamations de deux ou trois universités ; cela n’arrêtait pas, on mit le projet de loi à l’ordre du jour. La veille ou l’avant-veille du jour de la discussion, arrive une réclamation de l’université de Louvain. Dès ce moment, tout est changé, il faut retarder la discussion ; M. le ministre de l’intérieur réclame la priorité pour la loi d’instruction primaire et le renouvellement de l’ordre du jour tel qu’il avait été établi.

Maintenant que fait-on ? Nous avons encore quatre mois de session ; nous sommes encore à quatre mois du mois de juin et déjà on tranche la question, que cette loi ne pourra pas être discutée. On soutient qu’il y a urgence de discuter un projet de loi présenté la veille, qu’il faut qu’il passe au sénat, que l’on ne peut attendre que les membres qui veulent prendre part à la discussion soient avertis. Et cependant la veille, lorsqu’il s’agissait du projet de loi sur les fraudes électorales, on vous disait qu’elle ne pressait pas, qu’on avait tout le temps, qu’il ne fallait pas la présenter dans la semaine pour que le sénat la votât avant le 1er avril. La loi sur les jurys d’examen au contraire, qui ne peut avoir d’effet qu’après Pâques, car les jurys d’examen ne s’assemblent qu’après Pâques, il faut la discuter d’urgence ; il faut qu’au moment où l’honorable M. Dubus fait son rapport, il soit passé au vote.

Messieurs, je demande qu’une pareille marche ne soit plus suivie, et chaque fois qu’elle le sera, nous aurons le droit de réclamer.

M. Dubus (aîné). - Messieurs, ce qui s’est passé hier est la chose la plus simple du monde et parfaitement conforme à tous les précédents de la chambre. Je citerai l’exemple le plus récent. Avant-hier, vous avez voté de la même manière un crédit provisoire pour le département de la guerre. L’honorable M. Lys vous a fait son rapport et a énoncé l’opinion qu’il pouvait être discuté immédiatement. La discussion immédiate a eu lieu, et le vote a suivi cette discussion. Cependant je n’entends personne protester contre ce qui s’est passé avant-hier, mais on se borne à protester contre ce qui s’est passé hier. Eh bien ! ce qui s’est passé hier, s’est passé en 1839, en 1840, en 1841, en 1842. Voilà plus d’un précédent, en voilà quatre précisément pour une loi de la même nature que celle qui a été votée hier. Il ne faut donc pas jeter les hauts cris sur ce qui s’est passé hier et qui est conforme à tous les précédents de la chambre. Il n’y a personne qui puisse prétendre que lorsqu’une loi est urgente et qu’on prévoit qu’elle ne doit pas rencontrer d’opposition, il ne soit dans le pouvoir de la chambre de passer, vu l’urgence, à la discussion immédiate. La chambre use alors de son pouvoir ; et elle fait bien quand elle use d’un pouvoir qu’elle a. Or il s’agit précisément d’un projet de loi de cette nature et la preuve en est qu’elle a été accueillie à l’unanimité.

Mais, dit-on, c’est une fatalité attachée aux lois sur l’enseignement supérieur, qu’il y ait toujours eu de l’irrégularité dans le vote de ces lois, et à cette occasion on vous dit que la loi sur l’instruction supérieure a été en quelque sorte retenue en charte privée pendant 4 ans. C’est encore là, messieurs, une allégation de la plus grande inexactitude. La chambre se rappelle parfaitement quelles sont les circonstances qui ont, chaque année, en quelque sorte, jusqu’à l’année dernière, arrêté le travail de la section centrale. La première année, cette section avait à peine commencé ses délibérations que la question du traité avec la Hollande est intervenue et a obtenu la priorité sur tous les autres travaux de la chambre. Les deux années suivantes, ce sont des changements de ministère qui sont venus entraver nos travaux. Quant à ce qui s’est passé l’année dernière, on reproche à la chambre d’avoir modifié son ordre du jour et fait discuter le projet de loi sur l’enseignement primaire, qui était prêt, avant le projet relatif à l’enseignement supérieur, qui paraissait ne plus l’être, parce qu’une foule de réclamations avaient surgi de diverses parts et que les membres de la chambre désiraient examiner ces réclamations, Ainsi, c’est à la chambre que l’on fait le procès, et il me semble que les circonstances dans lesquelles elle a pris cette résolution la justifient complètement.

« Mais, dit-on, quelle urgence y avait-il à s’occuper de ce projet, alors qu’il s’écoulera encore 4 mois d’ici au mois de juin. » Il semble, à entendre l’honorable préopinant, que ce n’est qu’au mois de juin que le jury se réunit ; mai c’est là une erreur, c’est à Pâques et non pas au mois de juin que s’ouvre la première session du jury.

On n’a pas dit que la loi ne pourrait pas être discutée avant le mois de juin, mais on a dit que d’après les travaux déjà mis à l’ordre du jour, il n’y avait aucune probabilité que le projet pût être converti en loi avant Pâques, et que dès lors il y avait nécessité de fixer dès à présent le mode de nomination des membres du jury, puisque les nominations doivent être faites un certain temps d’avance, que la chambre doit faire d’abord les siennes, que le sénat doit procéder ensuite à celles qui lui sont attribuées, que le gouvernement doit ensuite faire également les siennes, et que tout cela devait être précédé de la loi transitoire qui devait être votée en premier lieu par la chambre, ensuite par le sénat et en dernier lieu sanctionnée par le gouvernement.

M. le ministre, lorsqu’il a présenté avant-hier ce projet, nous a fait remarquer combien il était urgent et a demandé pour ce motif qu’il fût renvoyé à une commission spéciale, pour que cette commission s’en occupât immédiatement. Je crois que tout le monde a pu comprendre, dès lors, que dès le lendemain la commission spéciale ferait son rapport ; cela pouvait d’autant mieux se prévoir que depuis plusieurs années on a fait la même chose.

M. Dumortier. - Je demande que la chambre passe à l’ordre du jour sur cette discussion qui ne peut mener absolument à rien. Ceux qui voulaient protester ont protesté ; je crois qu’ils doivent être satisfaits ; je demande donc que nous passions à la discussion de l’objet qui est à l’ordre du jour et qui est beaucoup plus important.

M. de Mérode. - Je voulais faire une observation ; mais du moment où l’on propose la clôture de la discussion, je ne demande pas mieux car je pense, comme l’honorable M. Dumortier, que cela ne peut nous mener à rien ; si nous perdons ainsi notre temps, nous n’arriverons jamais à la discussion de la loi que M. Verhaegen désire voir voter. C’est par suite de toutes ces motions que tant de lois importantes se trouvent encore dans l’arriéré de la chambre.

M. Verhaegen. - Il est fort commode, messieurs, de venir ici demander l’ordre du jour, quand d’un côté on nous reproche d’avoir manqué à la chambre en protestant, et que, d’un autre côté, on nous met dans l’impossibilité d’attaquer ce qui a été fait.

L’honorable M. de Garcia vient en quelque sorte demander que la chambre me rappelle à l’ordre, parce que j’ai pris la liberté grande de protester contre une décision qui est, selon moi, tout à fait irrégulière. Si la chambre a usé d’un droit, ce que moi je conteste, j’use aussi d’un droit en réclamant et en protestant contre ce qui s’est fait.

On vous a dit qu’il y a plus d’un exemple de ce qui a été fait hier, et l’on vient vous rappeler le vote du crédit provisoire demandé pour le département de la guerre ; mais messieurs, c’était là un objet tout à fait autre ; là il y avait réellement urgence, et d’ailleurs personne n’a fait d’objection contre le vote immédiat. Hier, au contraire, lorsqu’on a présenté d’une manière tout à fait subite le rapport sur le projet relatif au jury d’examen, mon honorable ami M. Delfosse a fait de vives réclamations, il à dit que le vote immédiat serait insolite et extraordinaire ; il a demandé qu’on me laissât au moins le temps d’arriver parce que je lui avais fait connaître que j’avais des observations à faire contre le projet. On répond à cela que quant nous arrivons trop tard, nous devons subir les conséquences de notre négligence. Messieurs, je crois avoir le droit de dire que je suis toujours à mon poste. Il est vrai que, sur la foi de mon billet de convocation, je suis arrivé hier un quart d’heure après l’ouverture de la séance, mais, pouvais-je m’attendre à un vote d’une loi de la plus haute importance, et qui n’avait pas été mise à l’ordre du jour ; et il me semble que je suis fondé à réclamer contre une pareille manière de procéder.

Quand M. le ministre du l’intérieur nous a présenté, avant-hier, son projet de loi, j’ai cru que, l’un ou l’autre jour, on nous aurait fait rapport sur le projet, qu’on l’aurait mis à l’ordre du jour et qu’on nous aurait donné le temps de nous préparer à la discussion. Au lieu d’agir ainsi, on a adopté le projet sans que personne ait pu prendre connaissance du rapport, qui n’a pas encore été imprimé, et cela malgré les vives réclamations de l’honorable M. Delfosse. Je ne qualifierai pas cette conduite, et pour cause, mais j’ai cru devoir protester, et je proteste de nouveau contre ce qui a eu lieu.

Maintenant M. Dubus vient de dire que ce qui s’est passé hier n’est que la répétition de ce qui a été fait en 1838, 1839 et années suivantes.

Eh bien, on a eu tort en 1838,on a eu tort en 1839, on a eu tort chaque fois que l’on a voté une loi importante sans qu’elle eût été mise à l’ordre du jour. Ce qui prouve que l’on a eu tort, c’est que tout le monde est d’accord pour reconnaître que le système qui régit l’enseignement supérieur est vicieux ; on diffère seulement sur la question de savoir quel système on substituera au système actuel ; M. de Theux l’a reconnu en 1838, M. le ministre de l’intérieur l’a reconnu l’année dernière, la section centrale l’a dit eu termes explicites, toutes les universités enfin l’ont déclaré dans les mémoires qu’elles ont adressés.

Pour faire adopter immédiatement le projet provisoire qui a été voté hier, on est venu invoquer l’impossibilité, où la chambre se trouverait, de discuter en temps utile la loi sur l’enseignement supérieur. Mais, messieurs, ce sont là les raisons que l’on fait valoir tous les ans ; pour mon compte, j’avais déjà déclaré précédemment que je combattrais tout projet qui serait présenté à l’avenir pour proroger la législation actuelle sur l’enseignement supérieur. Il faut, messieurs, que cette législation soit enfin reformée d’une manière définitive ; il faut une bonne fois que les étudiants sachent à quoi s’en tenir ; il faut aussi que la science puisse marcher avec les progrès du siècle ; il faut, en un mot, que tout le monde satisfasse au besoins de sa position.

Ce que j’ai dit, j’avais le droit de le dire ; je le maintiens sans en retrancher un mot.

M. Devaux. - Je ne m’oppose pas à l’ordre du jour et ne chercherai pas, messieurs, à retarder la fin de cette discussion. je conviens qu’il serait inutile de la prolonger davantage ; l’honorable membre qui vient de parler a atteint son but ; il voulait se plaindre de ce qui est arrivé, et je crois que nous avons le droit de faire de semblables plaintes, ne fût-ce que pour empêcher que ce qui s’est fait hier ne se renouvelle l’année prochaine. On a cité les antécédents ; il y a eu une année où il y avait réellement urgence ; mais l’année dernière, à l’époque où on a voté la loi, il n’y en avait pas plus que cette année. Ces réclamations plus vives s’étaient élevées ; peut-être cette année aurait-on eu au moins quelque égard au règlement et aux convenances, qui exigent que l’on prévienne d’une manière régulière les membres de la chambre des objets qui doivent être discutés.

Je répète, messieurs, qu’il n’y avait pas urgence. Le sénat doit se réunir pour examiner avant le 1er avril la loi sur les fraudes électorales et le budget de la guerre, il pouvait par conséquent discuter en même temps la loi sur le jury d’examen.

On dit qu’il n’y a pas eu de réclamation ; que tout le monde était d’avis de passer immédiatement à la discussion ; c’est là une inexactitude : l’honorable M. Delfosse a réclamé, il a fait voir les inconvénients de la discussion immédiate.

On dit que ce n’est pas au mois de juin, mais à Pâques, que la loi doit être exécutée ; cela est vrai, mais la loi pouvait très bien être discutée par les deux chambres et sanctionnée par le gouvernement avant Pâques, quand même la discussion eût été retardée de deux jours.

Si l’on ne voulait pas dès aujourd’hui décider que la loi définitive de révision ne sera pas discutée dans les quatre mois de session qui nous restent, bien qu’elle soit dans les cartons depuis cinq ans, fallait-il décider que le jury provisoire serait nommé pour l’année entière ; ne pouvait-on se borner à prolonger la législation actuelle pour une session du jury ?

Je n’admets pas les excuses de la commission chargée de faire rapport sur la loi de révision ; quand une commission reste pendant cinq ans sans faire son rapport, c’est qu’elle ne veut pas le faire.

Je le répète, je ne demande pas, quant à moi, que la discussion ait une autre suite. J’espère que les réclamations que nous avons faites porteront leurs fruits, et qu’à l’avenir, lorsque des objets aussi importants que l’institution du jury d’examen, seront mis en délibération, les membres de la chambre en seront prévenus d’une manière régulière, conformément aux prescriptions du règlement.

M. de Theux. - Je nie, messieurs, qu’il y ait eu de la part de la chambre surprise ou intention de surprendre. Il est bien évident que l’on ne peut pas discuter en temps opportun le projet de révision de la loi sur l’enseignement supérieur. Cela résulte de l’ordre du jour qui a déjà été fixé et qui l’a été sans que qui que ce soit ait fait aucune mention de la loi relative à l’enseignement supérieur.

On dit : « Mais cette loi pourrait être faite pour la deuxième session du jury. » Eh bien, messieurs, si la loi est faite pour la deuxième session du jury, la loi que nous avons votée hier n’aura pas d’effet pour cette deuxième session.

Du reste, messieurs, la loi a été votée hier à l’unanimité moins un membre, et cette seule circonstance prouve suffisamment qu’il n’y a eu aucune espèce de surprise.

M. Dubus (aîné). - Je suis obligé d’insister sur un fait personnel. L’honorable M. Devaux vient de répéter que le projet relatif à l’enseignement supérieur avait été retenu pendant cinq ans. Il a ajouté que quand une section centrale reste cinq ans sans faire son rapport, c’est qu’elle ne veut pas le faire. J’invite de nouveau l’honorable membre à l’exactitude. En matière de faits, l’exactitude est essentielle, et je crois que l’honorable membre fera bien de mieux compter, avant de proclamer que la section centrale a différé son rapport pendant cinq ans ; je lui rappellerai que le projet de loi a été présenté à la fin de 1838 ; et si la section centrale, qui n’était pas encore constituée, devait être considérée comme une demeure dès la fin de 1838, il se serait écoulé non pas cinq ans, mais trois ans avant qu’elle déposât son rapport. Mais il y a plus ; c’était non la section centrale, mais la chambre qui était saisie du projet de loi à la fin de 1838. Ce projet fut alors imprimé, distribué et renvoyé à l’examen des sections ; la section centrale n’a pu se constituer qu’après que les sections eurent terminé leur travail.

Je rappellerai maintenant que dans la même session la chambre a eu à s’occuper de la question extérieure, qui est venue arrêter tous les travaux et absorber toute son attention ; je vous demande si c’est dans cette première session que la section centrale a pu s’occuper de son travail ; elle n’a pu que l’aborder en quelque sorte, mais il a été manifestement impossible qu’elle le terminât. Voilà pour la première année.

Il ne s’agit plus maintenant que des sessions de 1839 à 1840, 1840 à 1841, où avant que le vote des budgets fût terminé, il y a eu pareillement une entrave apportée aux travaux de la chambre par les changements de cabinet. Enfin la section centrale qui a travaillé toutes les fois que la possibilité lui a été donnée de le faire, a été obligée de recommencer en quelque sorte son travail par suite des amendements très importants qui lui ont été présentés par M. le ministre de l’intérieur et qui ont fait l’objet du rapport que j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre.

Ainsi, messieurs, vous voyez que les faits justifient complètement la conduite de la section centrale, et que dans tous les cas c’est à tort qu’on a dit que le rapport avait été retenu pendant cinq ans, puisqu’il y a à peine quatre ans que la chambre est saisie du projet de loi, et qu’il y a un an que le rapport lui a été présenté.

M. Dumortier. - Messieurs, je n’ai pas pris part hier à la résolution par laquelle la chambre à mis à l’ordre du jour le projet de loi relatif à la nomination des membres du jury d’examen ; mais j’ai pris part au vote de ce projet, et je ne puis accepter sous aucun point de vue le reproche que ce vote aurait été le résultat d’un subterfuge, de l’escamotage. J’ai demandé la parole pour protester de la manière la plus vive contre tout ce qui tendrait à faire planer sur nous un semblable reproche.

Hier, la chambre a été de la meilleure foi du monde : il a été fait un rapport sur un projet qui a un caractère d’urgence, et il est arrivé ce qui arrive fréquemment, c’est-à-dire qu’on a demandé la discussion immédiate du projet qui n’est que la reproduction littérale de celui que la chambre a voté annuellement, depuis plusieurs années, sur la même matière.

Alors que nous avons été de la meilleure foi du monde, il est très déplaisant pour nous de voir des membres qui n’étaient pas à leur poste hier au début de la séance, venir insinuer que nous sommes des escamoteurs. J’avais demandé la parole pour faire cesser la motion d’ordre ; mais si l’on persistait à articuler un semblable reproche je me joindrais à l’honorable M. de Garcia pour demander le rappel à l’ordre de ceux qui l’articulent.

Messieurs, on fait un grief à la section centrale d’avoir tardé longtemps à faire son rapport, et l’honorable M. Devaux, s’érigeant en censeur, a dit : « Je n’admets pas les excuses de la section centrale. » C’est parler de très haut.

Je pourrais faire remarquer a mon honorable collègue, qu’il ne sied pas à des membres dont j’admire le talent, mais qui généralement ne prennent pas part aux travaux préparatoires des sections centrales et des commissions, qu’il ne leur sied pas de ne pas admettre les excuses de ceux qui sont à la tâche du matin au soir ; si ceux qui font des reproches aux travailleurs, prenaient part aux travaux préparatoires, les rapports qui présentent des difficultés pourraient être présentés plus tôt.

- La chambre passe à l’ordre du jour.

Projet de loi sur la répression de la fraude en matière de douane

Discussion des articles

Section II. Transport intérieur

Article additionnel

M. le président. - La discussion continue sur l’amendement de M. Delehaye. La parole est à M. Verhaegen.

M. Verhaegen. - Messieurs, lorsque j’ai pris la première fois la parole, j’ai dit que j’appuierais l’amendement de MM. Lys, Demonceau et David ; j’ai donné les raisons qui m’engageaient à l’appuyer ; et l’honorable M. Peeters, qui a parlé dans une séance précédente, doit ne m’avoir pas compris ou n’avoir pas voulu me comprendre, lorsqu’il a dit que je voulais rejeter sur d’autres localités les inconvénients et la gêne dont je ne voudrais pas pour Bruxelles. L’honorable membre ne se serait pas expliqué de cette manière, s’il avait écouté attentivement mon discours.

J’ai adopté tout d’abord l’amendement de MM. Lys, David et Demonceau qui présentait les mêmes inconvénients pour toutes les localités, car si la marchandise doit être accompagnée de documents il y aura autant de gêne pour Bruxelles et ses environs, par exemple, que pour la Campine. Certes, le double rayon présenterait pour certaines localités des désavantages que nous ne rencontrerons pas ici ; mais je n’ai pas dit que je voulais du double rayon, j’ai dit que ceux qui ne voudraient pas de l’amendement de MM. Lys, Demonceau et David, ne pourraient échapper à l’établissement du double rayon ; j’ai ajouté que, si j’en étais réduit là, je me rallierai en désespoir de cause, à cette mesure, quelque entrave qu’elle pût apporter, parce qu’avant tout je voulais protéger d’une manière efficace notre industrie souffrante.

Messieurs, sur une question aussi grave, il était important de connaître les opinions des membres du cabinet. L’honorable M. Desmaisières, que j’avais provoqué à s’expliquer, s’est prononcé tout à l’heure ; mais je crains fort que son explication n’amène en définitive aucun résultat ; car ce que l’honorable ministre vous a dit n’est qu’une réclame électorale, et rien de plus.

L’honorable M. Desmaisières vous a dit en substance : « Je ne partageais pas autrefois et je ne partage pas encore l’opinion de l’honorable M. Smits ; avant d’être ministre des finances, j’étais d’avis qu’il fallait admettre la recherche à l’intérieur ; j’avais même fait une proposition dans ce sens avec quelques-uns de mes collègues de la chambre, mais nous n’avons pas réussi ; ministre des finances, je me suis hâté de présenter un projet de loi qui vous fait connaître mon opinion d’alors ; cette opinion est restée la même. »

D’après cela, je croyais que l’honorable M. Desmaisières aurait appuyé de son vote, non seulement l’amendement de MM. Demonceau, David et Lys, mais encore celui de M. Delehaye.

Je me suis trompé.

Voici comment l’honorable M. Desmaisières tâche de se tirer d’affaires : « Mon collègue du département des finances, dit-il, en abandonnant ce que j’ai proposé en 1839, a tort : je ne suis pas de son avis, je n’ai jamais été de son avis ; mais comme il y a urgence à adopter quelque chose, adoptons aujourd’hui le quelque chose que propose la section centrale d’accord avec M. Smits ; plus tard nous chercherons à faire adopter et la recherche à l’intérieur et même le double rayon. »

Ce ne sont là que des promesses nouvelles commandées par une position électorale, et rien de plus.

Qu’il me soit permis de dire non seulement pour l’honorable M. Desmaisières, au vote duquel les partisans de son opinion attachaient de l’importance, mais pour tous ceux qui, au fond, partagent son avis, que, s’il y a urgence, il ne faut pas qu’ils tardent ; qu’il faut immédiatement proclamer la recherche à l’intérieur et le double rayon comme mesure répressive. Je leur dirai qu’ils viendront trop tard avec leurs mesures, si on ne les adopte pas sans délai.

Quel inconvénient l’honorable M. Desmaisières trouve-t-il à appuyer les deux amendements ? Selon moi il ne doit y en voir aucun ; en usant de l’influence qu’il peut avoir dans cette enceinte, l’honorable membre devrait engager tous ses amis à voter dans ce sens alors seulement il satisferait aux besoins de l’urgence.

Voilà cependant que deux membres du cabinet sont en désaccord formel sur une question importante, qui touche de si près à l’industrie du pays. L’honorable M. Desmaisières disait (je tiens à remettre ses paroles sous les yeux de la chambre), dans l’exposé des motifs de la loi de 1839, « qu’il était urgent et indispensable de créer un deuxième rayon de douane. » Il le dit encore aujourd’hui, il reconnaît de plus qu’il est urgent, qu’il est indispensable d’établir la recherche à l’intérieur, et après avoir dit tout cela, il ne votera pas. Il nous a dit cependant, avant de retourner au sénat, que tout en conservant son opinion, il n’adopterait pour le moment que ce qui a été proposé par la section centrale.

Je n’en dirai pas davantage sur ce point, car les observations que j’ai faites précédemment sont restées entières.

Je tiens plus que jamais à l’amendement de MM. Demonceau, Lys et David ; je ne sois aucun inconvénient, pour aucune opinion, à l’adopter. Les inconvénients qui pourraient exister dans l’amendement de M. Delehaye n’existent pas dans celui de MM. David, Lys et Demonceau. Les vexations que l’on pourrait redouter, d’après l’amendement de M. Delehaye, ne sont pas à craindre avec l’amendement de nos trois autres collègues, et cet amendement, s’il n’atteint pas entièrement le but qu’on se propose, fera du moins beaucoup plus que les mesures proposées par la section centrale.

L’honorable M. Delehaye vous a cité, dans un de ses premiers discours, un arrêté du roi Guillaume qui s’exécute dans le Luxembourg ; il vous en a cité les principales dispositions ; et c’est sur ces dispositions qu’il a calqué son amendement. Eh bien, si l’exécution de ces dispositions a lieu dans le Luxembourg, et dans l’ordre de l’amendement de M. Delehaye, elle sera plus facile encore dans l’ordre de l’amendement de MM. Lys, Demonceau et David.

On est d’accord, a dit un honorable préopinant, pour ne pas admettre le double rayon. Mais si vous adoptez l’amendement de MM. Lys, Demonceau et David, vous adoptez indirectement le double rayon ; la Belgique entière sera constituée en rayon de douane. Il faudra que le propriétaire de marchandises belges qui voyagent, prouve leur origine belge. Et si la marchandise est étrangère, il faudra qu’elle soit couverte par des documents constatant le paiement du droit.

Cette preuve d’origine, ajoute-t-on, sera souvent très difficile. Je ne sais pas si j’ai bien compris l’amendement de MM. Lys, David et Demonceau, mais je trouve entre cet amendement et le projet de loi une grande différence. Je ne serais pas fâché que ces honorables membres voulussent dire si je le comprends comme eux.

D’après l’art. 8, quand des marchandises se trouvent dans le rayon de douanes, il faut que celui qui les transporte prouve qu’elles sont d’origine belge, ou, si elles sont d’origine étrangère, qu’elles ont acquitté le droit. La présomption est pour la fraude ; c’est au propriétaire de la marchandise à détruire cette présomption par la preuve contraire.

Dans l’amendement, au moins d’après les termes dans lesquels il est conçu, je ne rencontre pas la même présomption de fraude, et des explications sont indispensables.

M. de Foere. - Messieurs, je rencontrerai quelques objections qui ont été soulevées par d’honorables membres ; en cherchant à les réfuter, j’entrerai en même temps, dans le fond de la question.

L’honorable M. Cogels, qui a, nous a-t-il dit, voyagé en Angleterre, nous a dit que dans ce pays, le droit de saisie ne s’étendait nullement aux marchandises dont l’importation était permise moyennant certains droits. Messieurs, cette assertion est complètement erronée. Le droit de recherche s’exerce dans tous les coins d’Angleterre, aussi bien à l’égard des marchandises imposées qu’a l’égard des marchandises prohibées.

M. Cogels. - J’ai exprimé un doute.

M. de Foere. - M. Cogels nous dit qu’il a exprimé un doute ; mais alors qu’il serait vrai qu’il a exprimé un doute, c’est au moyen de ces doutes et de semblables modifications, que souvent on vient dans cette chambre, on vient ébranler des convictions légitimement acquises.

En Angleterre, le droit de visite, le droit de recherche est autorisé dans tous les coins du pays, soit que la marchandise soit prohibée, soit que la marchandise soit sujette aux droits.

Les honorables collègues qui ont défendu cet amendement, ont invoqué l’exercice de ce droit à l’intérieur en Angleterre, et soutenu, pour fortifier leur argumentation, que cet exercice n’était nullement vexatoire. Je demanderai à l’honorable M. Cogels qui a, dit-il, voyagé en Angleterre, si ce droit, qu’on y exerce donne lieu aux moindres vexations.

Mes honorables collègues ont établi, et je suis de cette opinion, que le droit de recherche à l’intérieur ne donne lieu à aucune vexation, parce que dans les pays où ce droit existe, on n’en use que quand on a des soupçons légitimes que dans telle maison ou tel lieu se trouvent des marchandises fraudées.

L’honorable M. Delfosse n’a pas contesté ce droit de recherche en Angleterre, mais il a eu recours à un autre moyen pour détruire cette objection. Il a dit : Mais en Angleterre n’a-t-on pas le droit d’aînesse, n’y a-t-il pas une foule d’autres abus que nous ne voudrions pas importer chez nous. En premier lieu, je demanderai : quelle connexité le droit d’aînesse a-t-il avec le droit de recherche à l’intérieur, avec un moyen de protéger l’industrie du pays ?

M. Delfosse. - Il y a connexité entre tous les abus, par cela seul qu’ils sont abus.

M. de Foere. - L’honorable M. Delfosse dit qu’il y a connexité entre les abus. C’est aux Anglais seuls à examiner si le droit d’aînesse est un abus. Le droit d’aînesse est intimement lié avec toutes les institutions de l’Angleterre ; il est la base de la chambre des lords.

L’honorable membre nous a dit qu’il existe en Angleterre une foule d’autres abus que nous ne voudrions pas supporter. Je vous demanderai si en Angleterre, pays qui est appelé, à juste titre, la terre classique de la liberté, on ne souffre pas toutes les gênes pourvu que ce soient des moyens d’assurer la liberté, les droits, les intérêts du pays. C’est là une raison pour laquelle l’Angleterre a une nationalité.

L’Angleterre se protège ; elle protège ses intérêts commerciaux et industriels et, quelles que soient les vexations auxquelles on doive se soumettre, pourvu que ces mesures aient pour but la protection de l’industrie et du commerce des Anglais, on s’y soumet avec beaucoup de facilité, parce que, quand on veut être une nation et avoir un commerce et une industrie, il faut vouloir les moyens qui tendent à établir et à protéger ce commerce et cette industrie.

L’honorable M. de la Coste nous a dit, pour nous engager à voter la loi telle qu’elle est présentée, que c’est une loi d’essai. Il est vrai qu’il a ajouté que c’était le ministre qui l’avait présentée comme telle. Or, certes, l’opinion même d’un ministre ne doit pas lier la chambre. Plusieurs membres de la chambre ne sont disposés à voter encore des lois d’essai. Nous avons été traînés pendant 12 ans dans les lois d’essai, surtout pour ce qui regarde le commerce et l’industrie. Les essais tuent l’industrie et le commerce. Si vous voulez ce que tout le monde veut, la répression de la fraude, sans quoi il n’y a pas d’industrie possible, il faut recourir à des moyens efficaces pour réprimer la fraude douanière.

Quant à moi, je vois aussi dans cette loi une loi d’essai. Mais c’est parce je ne veux plus d’essai, c’est parce que je veux des moyens efficaces, que je désire que l’amendement de l’honorable M. Delehaye soit adopté. S’il ne l’est pas, je désire que la chambre adopte au moins l’amendement présenté par les honorables MM. Lys, David et Demonceau.

Les honorables MM. Mercier et Dubus (aîné) ont objecté à d’autres membres pour les faire tomber en contradiction avec eux-mêmes : Vous ne voulez pas du second rayon de douane ; cependant, par votre amendement, tout le pays devient rayon de douane. Mais l’honorable M. Dubus (aîné) vient tout à l’heure de faire observer à l’honorable M. Devaux que, quand on énonce un fait, il faut au moins se donner la peine de le constater et de le prouver. Or nous n’avons pas renoncé au deuxième rayon de douane. Mais puisque le ministère et la section centrale y renoncent, nous avons dû recourir à d’autres moyens pour fortifier le côté faible de la loi : c’est pour cela que nous avons eu recours à cet amendement. Si cet amendement est rejeté, nous vous proposerons le deuxième rayon de douane. Ainsi la contradiction que vous avez voulu tirer de l’argumentation de mes honorables amis n’existe pas.

Vous savez que vous avez voté dernièrement une loi qui favorise considérablement le transport des marchandises étrangères. Si j’ai bien compris le ministère, il vient de présenter une autre loi pour faciliter encore ce transport pour le commerce. Eh bien, ce transport, quelles que soient vos précautions pour qu’il ne dégénère pas en fraude, augmentera considérablement la fraude à l’intérieur du pays, si vous ne prenez pas des mesures répressives efficaces.

Voici ce qui arrive ; voici des faits qui sont à ma connaissance. Des marchandises déclarées en transit sont expédiées vers les points les plus vulnérables du pays. Quand elles sont conduites hors du pays, le lendemain elles y rentrent, parce qu’on a la facilité de les diriger vers le point qui offre le plus de facilité pour les faire rentrer dans le pays.

Si donc vous n’autorisez pas la recherche à l’intérieur, si vous vous contentez d’un simple rayon de douane, tel qu’il existe maintenant, il sera facilement dépassé ; et une fois qu’il est dépassé, l’administration n’a plus d’action sur les marchandises introduites dans le pays. Si donc vous n’établissez pas un rayon, si vous n’admettez pas la recherche à l’intérieur, les moyens que vous emploierez échoueront, et votre industrie restera toujours dans la position malheureuse où elle est maintenant.

Je me proposais de faire quelques réflexions sur les amendements qui ont été présentés, et de combiner ces amendements avec l’article 10. L’honorable M. Verhaegen vous a présenté ces considérations, et je m’y réfère.

Si ces amendements ne sont pas adoptés, je voterai contre la loi, par la raison que je ne veux que des mesures efficaces, mesures nécessaires dans l’intérêt de l’industrie du pays et même de l’existence du pays, de notre nationalité ; car si presque personne n’attache d’importance à sa nationalité, c’est parce que ni le gouvernement ni les chambres ne prennent jamais les mesures de protection nécessaires, parce qu’on nous traîne d’essai en essai, et que dans une telle position il n’y a pour le pays ni force, ni nationalité assurée.

M. Cogels. - Pour mieux me combattre, l’honorable préopinant a prête à mes paroles un sens qu’elles n’ont pas. Heureusement, le Moniteur est là, il a reproduit exactement ce que j’ai dit ; j’espère qu’il reproduira demain aussi fidèlement les paroles de mon honorable contradicteur. Je n’ai pas dit que le droit de recherche, en Angleterre, s’appliquât aux marchandises non prohibées. J’ai parlé du droit de saisie. En effet, lorsque j’ai été en Angleterre, le droit de saisie s’appliquait aux marchandises prohibées. Un employé de la douane avait le droit de vous saisir un foulard des Indes, non pas seulement dans un magasin, mais dans vos mains, au moment même où vous alliez vous en servir. J’ai dit que depuis lors la prohibition a été remplacée par des droits modérés et que probablement le droit de saisie est plus restreint, que, dans tous les cas, quand l’administration exerce le droit de saisie, c’est à elle à faire la preuve de la fraude, et non à celui chez qui sont les marchandises, à fournir la preuve négative du délit ; car cela est subversif de toute législation. Il en est de même en France. J’ai dit encore qu’en Angleterre et en France les marchandises étrangères peuvent circuler sans être accompagnées de documents ; que, par conséquent, le système des amendements proposés est sous quelques rapports plus sévère que le système suivi en France et en Angleterre.

M. de Foere. - Messieurs, l’honorable M. Cogels me reproche que je n’ai pas fidèlement traduit sa pensée ; or, messieurs, le Moniteur en mains, je n’ai fait que citer textuellement ses propres paroles. Les voici, je les lirai encore dans le Moniteur même : « Le droit de saisie ne s’étendait nullement aux marchandises dont l’importation était permise moyennant certains droits. » L’honorable M. Cogels se justifie en disant qu’il n’a parlé que du droit de saisie et non du droit de recherche ; mais j’ai dû inférer que, dans un pays où existe le droit de saisie, le droit de recherche existe nécessairement. L’un droit ne peut s’exercer sans l’autre.

M. Dumortier. - J’avais demandé hier la parole pour répondre quelques mots à l’honorable M. Demonceau, lorsque, par une apostrophe assez vive, il a dit qu’il y avait parti pris de repousser toute amélioration.

Avant de répondre, je désirerais beaucoup connaître la portée de l’amendement des honorables MM. Lys, David et Demonceau. Je désirerais que l’un de ces honorables membres s’expliquât sur l’interpellation de l’honorable M. Verhaegen, et dît comment l’amendement doit être entendu. Je parlerai seulement quand j’aurai reçu cette explication.

M. Lys. - Pour donner l’explication demandée par mon honorable ami M. Verhaegen, je lui dirai que notre intention a été clairement développée hier par mon honorable collègue M. Demonceau. Il a dit que nous entendions que l’exception fût en faveur de l’administration, c’est-à-dire qu’il y eût présomption de fraude contre ceux qui feraient circuler dans le royaume des marchandises telles que nous les indiquons et qui ne seraient pas accompagnées de document.

Pour qu’il n’y ait pas de doute à cet égard, je proposerai un changement dans la réduction de l’amendement.

M. Dumortier. - Je remercie l’honorable préopinant de son explication. Elle était essentielle.

Ainsi, les honorables membres demandent que les tissus de coton et de laine, non pas introduits (car nous sommes d’accord que les tissus doivent être munis des documents au moment de l’introduction), mais circulant dans le royaume, seront présumés d’origine étrangère, et devront justifier de leur origine belge ou du payement des droits d’entrée, toutes les fois qu’ils seront rencontrés à l’intérieur et que, faute de cette justification,, ils seront saisis.

Pour moi, messieurs, je prétends que, sans vouloir repousser par parti pris toute amélioration contre la fraude, ou ne doit pas admettre cet amendement. Mon opinion est qu’il faut employer tous les moyens possibles pour réprimer la fraude, mais sans employer de mesures vexatoires contre les citoyens. Mais je crois que l’amendement est une des mesures des plus vexatoires, non pas seulement pour le commerce, mais encore pour les fabricants.

M. Demonceau. - C’est la chambre de commerce de Tournay même qui le demande.

M. Dumortier. - Nous allons voir tout à l’heure si les fabricants continuent de le demander. J’ignore si la chambre de commerce de Tournay demande ou non ce que proposent MM. Demonceau et Lys. Mais s’ils le demandent, ils sont bien mal avisés car cette mesure, si elle était exécutée, retomberait perpendiculairement sur eux.

En effet, en quoi consiste l’industrie de notre district ? Principalement dans la fabrication de la bonneterie. Comment cette fabrication a-t-elle lieu ? Les tricoteurs et les tricoteuses des villages vont à jour déterminé chez les fabricants chercher le fil qu’ils doivent employer, et quand leur ouvrage est terminé, ils viennent rapporter les tissus chez le fabricant.

Eh bien ! voyons l’application de la loi, si le principe qui vous est proposé était admis. Toutes les fois que l’ouvrier viendra du village chercher du fil pour faire son tricot ou son tissu, ce fil avec lequel il s’en retournera, sera présumé fraudé, sera présumé d’origine étrangère. Il faudra donc que tous les fabricants aillent chercher des passavants pour faire accompagner le fil jusqu’au domicile de l’ouvrier. Mais, messieurs, chez nous il n’y a pas toujours des bureaux à passavants. Je citerai la ville de Leuze, par exemple, qui est sans bureau de douane, et qui a une grande fabrication de tricots de laine. Eh bien ! où les ouvriers iront-ils chercher le document prouvant que leur fil n’est pas fraudé ? Le fabricant le donnera, me dira-t-on. Mais si vous vous contentez d’une déclaration du fabricant, vous n’avez plus aucune espèce de garantie, car il pourra donner ce document pour un fil étranger comme pour un fil indigène. Si au contraire vous exigez un document d’un receveur, manifestement c’est une vexation continuelle contre l’industrie, il n’est plus possible à un fabricant d’avoir des ouvriers hors de son établissement, il n’est plus possible de continuer la fabrication sur le pied ou elle est en Belgique.

Pour les tissus de coton, c’est la même chose. A Gand, l’ouvrier villageois va chercher sa trame, son fil à la fabrique, et revient tisser le calicot chez lui. Eh bien ! il faudra que l’ouvrier soit muni d’un document constatant que le fil qu’il a, est du fil indigène, ou du fil qui a payé les droits. S’il revient en ville avec sa toile il devra encore avoir un document. Mais alors cela lui sera impossible, car il n’y a pas un bureau de douane dans la chaque commune de la Flandre. Ainsi le pauvre ouvrier qui viendra reporter à la fabrique le fruit de son travail, sera exposé à être saisi, parce que sa marchandise sera présumée d’origine étrangère. Voilà les conséquences de la proposition qui vous est faite.

Mais ce n’est pas tout. Cette proposition s’applique également aux fils et tissus de lin. Eh bien ! tout ouvrier tisserand qui viendra au marché vendre sa toile, devra se munir d’un passavant, faute de quoi sa marchandise sera de bonne saisie, attendu qu’elle sera présumée d’origine étrangère. Voilà la disposition que l’on vous propose et qu’on vous présente comme devant sauver l’industrie. Messieurs, il ne suffit pas de faire ainsi des lois en théorie ; il faut les voir dans la pratique. Eh bien ! il est évident que l’amendement que l’on vous propose est inexécutable dans la pratique.

Messieurs, nous voulons aussi faire tout ce qui est possible pour empêcher la fraude, mais nous voulons que les mesures qui seront adoptées soient exécutables ; or, je le répète, la proposition qui vous est faite peut être bonne en théorie, mais elle est inexécutable dans la pratique. Si elle était adoptée, il n’y aurait pas un seul industriel qui ne vînt avant un mois réclamer contre son application ; car ce serait les industriels qui seraient les premiers frappés par cette mesure.

Je regrette donc que lorsqu’on vous présente des dispositions aussi mal digérées que celle-là, on vienne dire que nous avons un parti pris de n’accepter aucune amélioration. Messieurs, nous avons un parti pris, c’est celui de ne pas accepter de mauvaises dispositions dans la loi, et la disposition qu’on vous propose est manifestement mauvaise.

Messieurs, les fabricants de Verviers seraient également frappés par une pareille mesure ; car ils font aussi faire des tissus dans nos villages. Or, si tous les ouvriers tisserands qui habitent les villages des environs de Verviers devaient justifier que la marchandise qu’ils rapportent au fabricant est indigène, tous seraient saisis. Lorsqu’un ouvrier se rendrait chez le fabricant avec sa pièce de drap de Verviers, on pourrait dire qu’il vient d’Aix-la-Chapelle.

Mais à ces objections que répond l’honorable M. Demonceau ? « Si vous pouvez reconnaître le fabricat indigène dans le rayon, vous pouvez le reconnaître dans tout le royaume. » Ou en d’autres termes, les mesures que vous prenez dans le rayon de douane, vous pouvez les prendre à l’intérieur du royaume. Eh bien ! cet argument pêche encore par sa base. Dans le rayon on ne peut établir de fabrique, si ce n’est avec l’autorisation du gouvernement, et en se soumettant à une surveillance très dure. Dans le rayon, il y a dans tous les villages des bureaux de douane, de manière que celui qui veut y circuler avec des produits quelconques peut se munir d’un certificat. Mais ce qui existe dans le rayon n’existe pas dans l’intérieur du pays. Vous n’avez pas dans l’intérieur du pays de bureaux de douane où l’on puisse se munir du document nécessaire pour circuler. C’est ce qui prouve que le moyen que vous proposez est inexécutable quand on l’applique à tout le pays.

On vient vous dire, messieurs, que le gouvernement prendra toutes les mesures d’exécution qui sont nécessaires. Je réponds que nous ne pouvons nous en rapporter au gouvernement en pareille matière. Je ne pense pas qu’on puisse abandonner à l’arbitraire des intérêts aussi graves que ceux dont il est question, il faut qu’ils soient réglés par une loi.

Ainsi, vous le voyez, la proposition qui vous est soumise, a été faite, dans des intentions très bonnes, très louables, je le reconnais, mais elle est inconsidérée et inexécutable dans la pratique.

Je le répète donc, nous devons faire tout notre possible pour réprimer la fraude, mais nous ne devons prendre que des mesures pratiques et qui ne vexent pas les citoyens. S’il vient à être démontré dans l’avenir que des mesures plus sévères sont impérieusement nécessaires pour sauver l’industrie, la chambre sera encore ici et elle examinera ce qu’il y a à faire. Mais jusque-là nous devons nous borner aux mesures qui frappent sur les fraudeurs et non sur les citoyens honnêtes. Ces mesures sont les pénalités ; c’est par des pénalités bien organisées, fortes, efficaces, et surtout par l’emprisonnement préventif des fraudeurs, bien mieux que par toute autre mesure, que vous parviendrez à réprimer la fraude, et c’est ce qui a engagé la section centrale à vous proposer ces mesures.

M. Mercier. - Messieurs, l’honorable M. de Foere, vous a entretenus tout à l’heure de la recherche et de la visite autorisées en Angleterre, dans toute l’étendue du royaume. Messieurs, si mes informations sont exactes, il en est à cet égard en Angleterre comme en France, c’est-à-dire que ce droit de recherche est tombé en quelque sorte en désuétude. Les documents qui nous ont été fournis par le gouvernement prouvent suffisamment qu’en France il n’est en quelque sorte plus fait application de ce droit. D’ailleurs, s’il en était autrement, je dirais que chaque pays a son esprit public, ses mœurs, ses habitudes, et que la législation doit se ressentir de ces circonstances, qu’il y aurait imprudence, témérité même, à ne pas y avoir égard.

Messieurs, les honorables auteurs des deux amendements qui ont été proposés se placent toujours sur un terrain autre que celui où la question doit réellement être portée. D’abord, en nous répliquant, ils prétendent que nous soutenons qu’il y a impossibilité d’exécuter leur amendement. Or, déjà plusieurs fois j’ai fait observer que si l’on voulait appliquer à tout le territoire du royaume les mesures qui sont employées dans le rayon de la douane, alors la disposition qu’ils proposent pouvait recevoir son exécution. Mais c’est là précisément que gît la difficulté. C’est que nous ne voulons pas assujettir tout le pays aux formalités, aux vexations que l’on doit malheureusement subir dans le rayon de la douane.

Ces honorables membres ont compris maintenant que leur proposition est tout à fait incomplète ; ils viennent de l’étendre dans ce sens, qu’au lieu de n’exiger de documents que pour les produits réputés étrangers, il faudra un document pour accompagner toute espèce de tissus circulant dans le royaume, même ceux qui sont d’origine indigène.

L’honorable M. Dumortier vous a déjà très bien signalé les nombreux inconvénients qu’entraîne une pareille disposition. J’ajouterai qu’elle serait inefficace, qu’elle ne pourrait recevoir d’exécution sans la renforcer encore par une quantité d’autres mesures prescrites par la loi générale dans le rayon des douanes.

Ainsi, comment le receveur à qui on demandera un document pourra-t-il constater que la marchandise n’a pas été fraudée, que la marchandise que l’on prétend être d’origine indigène, par exemple, l’est réellement ? Il faudrait, messieurs, qu’il y eût pour cela dans l’intérieur du pays, comme dans le rayon de douane, une foule de mesures restrictives. Il faudrait qu’on apposât un cachet, une estampille sur chaque pièce de drap ou de coton qui serait sur le métier. Alors seulement le receveur, lorsqu’il aurait un document à délivrer, pourrait avoir un indice que la marchandise est d’origine indigène. Voilà une des formalités qui sont usitées dans le rayon de la douane et qu’il faudrait également introduire dans l’intérieur du pays, si l’on voulait que la disposition qui vous est proposée eût quelque efficacité.

Mais ce n’est pas tout il faudrait aussi défendre dans l’intérieur du pays les dépôts de marchandises, ainsi que cela se fait dans le rayon de douane. Voilà encore une mesure indispensable pour l’exécution des amendements qui sont en discussion.

Et là ne s’arrêterait pas le système des restrictions, des vexations à imposer à tout le pays. Il faudrait aussi accorder un droit de visite, un droit de recherche dans les magasins. Car enfin vous me demandez un document, à moi agent de l’administration ; mais avant de le délivrer, que je puisse au moins venir m’assurer dans vos magasins si n’avez pas de marchandise fraudée. Vous voyez, messieurs, à quelles entraves, à quelles mesures vexatoires pour le négociant il faudrait avoir recours pour que les dispositions des amendements ne soient pas complètement illusoires ; il faudrait en outre que dans, l’intérieur du pays comme dans le rayon de douane, aucune fabrique ne put être établie sans le bon vouloir de l’administration.

Messieurs, toutes ces mesures ont été jugées indispensables pour la surveillance de la fraude dans le rayon des douanes ; elles le seraient aussi dans l’intérieur du pays pour donner de l’efficacité aux dispositions dont nous nous occupons.

Messieurs, je ne répondrai que quelques mots à l’observation qui vous à été faite hier par un honorable membre, en ce qui concerne l’extension du rayon de douane. Comme cette observation m’était en quelque sorte personnelle, je répondrai : que je ne craindrais pas d’avouer que, mieux éclairé par suite des réclamations qui furent adressées à la chambre, ou par les délibérations de la section centrale, sur les nombreux inconvénients qu’entraînerait cette mesure, je serais revenu sur ma première opinion.

Toutefois, messieurs, quoique j’aie été vice-président de la commission dont on a parlé, et qu’en cette qualité je l’aie quelquefois présidée, je dois déclarer que je ne suis pas l’auteur de la proposition relative à l’extension du rayon ; comme cela arrive dans toutes les assemblées délibérantes, on s’est fait des concessions réciproques ; j’ai accepté cette mesure, mais plus tard j’ai été heureux de pouvoir substituer à des dispositions si gênantes et qui excitaient de si vives réclamations, de pouvoir, dis-je, y substituer d’autres dispositions qui ne se trouvaient pas dans le projet du gouvernement, et que je considère comme devant être tout au moins aussi efficaces que l’extension du rayon ; j’entends parler de l’arrestation préventive des fraudeurs. Je ne reviendrai plus sur 1’utilité d’une semblable mesure, je me réfère, à cet égard, aux explications que j’ai données dans les séances précédentes.

- La clôture est demandée

M. Delehaye (contre la clôture). - Je demande à dire deux mots pour rectifier des faits qui ont été présentés d’une manière inexacte. (Parlez ! parlez !)

L’honorable M. Cogels vient de dire qu’en Angleterre c’est l’administration qui doit fournir la preuve que la marchandise dont elle veut opérer la saisie, est une marchandise fraudée. C’est là, messieurs, une grave erreur ; il suffit que l’administration arrête un individu quelconque transportant des marchandises, pour que cet individu soit tenu de prouver que sa marchandise a acquitté les droits.

Je dois aussi répondre un mot à l’honorable M. Dumortier. Cet honorable membre a dit qu’à Gand et à Tournay, par exemple, les ouvriers reçoivent une certaine quantité de fil qu’ils emportent chez eux pour le travailler.

Cela est vrai, messieurs ; mais ce cas est prévu par ma proposition. C’est pour ce motif que je propose d’accorder aux ouvriers la faculté de transporter jusqu’à 120 mètres de tissus sans être munis de documents. En Angleterre et dans le grand duché de Luxembourg, la même mesure existe, mais on exige que les ouvriers qui se trouvent dans ce cas soient munis de leur livret, et c’est ce livret qui constate la nationalité de la marchandise. Eh bien, messieurs, je propose la même chose, et cela n’aggravera en aucune manière la position de ces ouvriers, puisque dès aujourd’hui aucun ouvrier ne peut circuler en Belgique sans être muni d’un livret.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l’art. 14 proposé par M. Delehaye. (L’appel nominal ! l’appel nominal !)

- L’art. 14 proposé par M. Delehaye est mis aux voix par appel nominal.

64 membres prennent part au vote.

12 adoptent ;

52 rejettent ;

En conséquence la proposition n’est pas adoptée ;

Ont voté l’adoption : MM. de Foere, Delehaye, de Mérode, Demonceau, de Potter, Desmet, Hye-Hoys, Kervyn, Lys, Manilius, Vandenbossche, Zoude.

Ont voté le rejet : MM. Cogels, Cools, David, de Baillet, de Behr, de Florisone, de Garda de la Vega, de La Coste, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Nef, de Renesse, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de Villegas, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Malou, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Peeters, Pirmez, Pirson, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Scheyven, Savart, Sigart, Simons, Smits, Trentesaux, Troye, van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, van Volxem, Verhaegen, Vilain XIIII.

M. le président. - Les autres articles de la proposition de M. Delehaye tombent, je pense, par suite du vote qui vient d’être émis.

M. Delehaye. - Oui, M. le président.

M. le président. - Je vais donc mettre aux voix l’amendement de MM. Lys, Demonceau et David. (L’appel nominal ! l’appel nominal !)

- Il est procédé à l’appel nominal.

En voici le résultat :

63 membres y prennent part.

15 répondent oui.

48 répondent non.

En conséquence l’amendement n’est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. David, de Garcia de la Vega, Delehaye, de Meer de Moorsel de Mérode, Demonceau, de Potter, Desmet, Hye-Hoys, Kervyn, Lys, Manilius, Vandenbossche, Verhaegen et Zoude.

Ont répondu non : MM. Cogels, Cools, de Baillet, de Behr. de Florisone, de La Coste, Delfosse, de Nef, de Renesse, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de Villegas, Dubus (ainé), Dumont, Dumortier, Eloi de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Malou, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Peeters, Pirmez, Pirson, Raymaeckers, Rodenbach, Scheyven, Savart, Sigart, Simons, Smits, Trentesaux, Troye, van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, van Volxem, Vilain XIIII, Raikem

M. Delehaye déclare faire sien l’art. 14 du projet du gouvernement dont la section centrale propose la suppression. Cet article est ainsi conçu :

« Création d’un second rayon de douanes.

« Art, 14. Indépendamment du rayon établi par la loi du 7 juin 1832, il est créé un second rayon d’un demi-myriamètre de profondeur, à partir des limites intérieures du premier.

« Le pouvoir exécutif tracera le cours des deux rayons de distance au plus, le premier d’un myriamètre ou d’un demi-myriamètre vers la frontière de mer, et le second d’un demi-myriamètre en deçà du premier, à moins que les accidents du terrain ne justifient un faible agrandissement des rayons, auquel cas cependant la profondeur de l’un ou de l’autre ne pourra être augmentée que de 200 mètres au plus.

« Les tissus de coton, de laine, de lin et de soie seront seuls soumis au régime des douanes dans le second rayon. »

M. le président. - Personne ne demandant la parole sur cet article, je vais le mettre aux voix.

Des membres. - L’appel nominal !

- Il est procédé à l’appel nominal.

64 membres y prennent part.

11 répondent oui.

53 répondent non.

En conséquence, l’article n’est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. David, Delehaye, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Potter, Desmet, Hye-Hoys, Kervyn, Manilius, Vandenbossche et Zoude.

Ont répondu non : MM. Cogels, Cools, de Baillet, de Behr, de Florisone, de Garcia, de La Coste, Delfosse, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de Villegas, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Lys, Matou, Mast de Vries, Mercier ; Mord Danheel, Nothomb, Osy, Peeters, Pirmez, Pirson, Raymaeckers, Rodenbach, Scheyven, Savart, Sigart, Simons, Suais, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Volxem, Verhaegen, Vilain XIIII et Raikem.

M. le président. - Nous passons au chapitre : Territoires réservés

Section III. Territoires réservés. Dépôts

Article 13

« Art. 13 (16 du projet du gouvernement). La distance de 1,000 aunes, déterminée par l’art. 178 de la loi générale pour l’établissement des magasins ou dépôts, est portée à 2,500 mètres des frontières de terre. »

- Adopté.

Article 14

« Art. 14 (remplaçant l’art. 18 du projet du gouvernement). Les tribunaux, si l’administration le requiert prononceront la suppression des fabriques et débits de toutes marchandises établis avant la mise à exécution de la loi générale du 26 août 1822, mais seulement lorsqu’une contravention aura été constatée.

« La suppression sera prononcée par le même jugement qui prononcera la peine encourue du chef de cette contravention. »

M. Demonceau demande une explication sur la différence que fait cet article entre les fabriques établies antérieurement à la loi générale du 26 août 1822 et celles dont l’établissement est postérieure à cette loi.

M. Savart-Martel. - Messieurs, l’art. 13 est rédigé de manière à forcer les tribunaux, chaque fois que l’administration le demandera et qu’il y aura matière à contravention, de prononcer la suppression des fabriques et débits de toutes marchandises établies avant la mise à exécution de la loi générale du 26 août 1822. D’abord, je m’étais fait la même demande que vient de présenter l’honorable M. Demonceau, c’est de savoir pourquoi on fait une différence entre les fabriques établies antérieurement à la loi de 1822 et celles dont l’établissement lui est postérieur. Je pense, sans en être certain, car cette loi-monstre est très étendue, que la loi de 1822 permet la suppression dans certains cas.

J’ai une observation plus importante à faire. Je crois, messieurs, qu’il est très grave de forcer les tribunaux de prononcer la suppression d’établissements qui peuvent être considérables, uniquement parce qu’une contravention quelconque aurait été commise, soit chez des débitants, soit chez des fabricants. Je pense qu’il faudrait d’abord distinguer entre la fraude et les contraventions, car vous savez qu’il arrive souvent des contraventions qui, à proprement parler, ne sont pas des fraudes ; je voudrais qu’en cas de contravention, ce fussent des contraventions graves. D’un autre côté, il faudrait aussi que la fraude pût être imputée à ceux qui possèdent les établissements. Car il est des genres de fraude qui peuvent se commettre à l’insu du débitant ; il faudrait donc que la fraude pût lui être imputée pour prononcer la clôture de l’établissement.

Alors, dès qu’il s’agit d’un fait dont il doit répondre, la peine serait juste. C’est une peine grave, que la fermeture d’un établissement. Je crois devoir présenter un amendement qui serait ainsi conçu :

« Les tribunaux, si l’administration le requiert, pourront prononcer la suppression des fabriques et débits de toutes marchandises établies avant la mise à exécution de la loi du 26 août 1822, mais seulement lorsqu’une fraude ou contravention grave aura été constatée à charge des fabricants ou des débitants, ou de ceux dont ils doivent répondre, à l’aide de leur fabrique ou débit. La suppression sera prononcée par le même jugement qui prononcera la peine encourue du chef de fraude ou de contravention à charge du fabricant ou débitant. »

Voilà l’amendement que je prends la confiance soumettre à la chambre.

M. Malou. - Messieurs, la section centrale a substitué une autre disposition à celle du gouvernement, par les motifs que je vais avoir l’honneur d’indiquer très brièvement. Sous l’empire de la loi de 1822, aucune fabrique ne peut être établie dans le rayon de douane sans l’autorisation de l’administration, et l’autorisation peut être révoquée. Il était donc inutile de disposer, quant aux fabriques établies postérieurement à la mise à exécution de la loi de 1822 ; mais pour les fabriques antérieurement établies, la loi ne contenait aucune disposition. On s’est plaint de ce que ces anciennes fabriques donnaient lieu à beaucoup d’abus. La section centrale a cru qu’il était nécessaire d’en autoriser la suppression ; mais en présence des principes qui régissent la propriété, l’on a n’a pas cru pouvoir laisser à l’administration le droit de prononcer la suppression. L’on a pensé que, comme il s’agissait d’une espèce d’expropriation à titre de pénalité, les tribunaux devaient intervenir pour la garantie de la propriété.

On a également agité dans le sein de la section centrale la question de savoir si les tribunaux auraient seulement la faculté de prononcer ou de ne pas prononcer la suppression ; la section centrale avait devancé ainsi la pensée de l’honorable M. Savart ; mais elle a pensé que l’administration était le meilleur juge de la nécessité de la suppression des fabriques.

Quant à la deuxième partie de l’amendement proposé par l’honorable membre, je crois qu’il y est fait droit par la rédaction de la section centrale. Pour qu’il y ait lieu à suppression, il faut que le locataire ou le propriétaire soit coupable ou complice de la fraude ; car on ne peut pas être puni pour le fait d’autrui. C’est un principe élémentaire. La rédaction que la section centrale propose ne paraît laisser aucun doute à cet égard.

M. Mercier. - Je ne peux que confirmer les observations présentées par l’honorable M. Malou, quant aux intentions de la section centrale. On remarquera que la disposition de la section centrale ne fait que maintenir l’état de choses actuel, en le régularisant. Maintenant l’administration peut supprimer la fabrique dont elle a autorisé l’établissement. Le même droit existera à l’égard de ces mêmes fabriques ; mais elle devra faire prononcer par le juge celles qui existaient avant la loi de 1822. Il y avait doute sur la question de savoir si les fabriques établies avant la mise à exécution de la loi de 1822 pouvaient être supprimées, en cas d’abus. La disposition de la section centrale a eu pour but de lever toute incertitude. Elle donne à l’administration le droit de supprimer ces fabriques, avec le concours de l’autorité judiciaire.

Comme l’a dit M. Malou, c’est l’administration qui seule peut juger de la gravité des abus, et s’il y a lieu ou non d’interdire une fabrique.

Maintenant que nous faisons une loi sur la fraude, ce n’est certes pas pour ôter au gouvernement une partie de son action, mais pour lui en donner une plus forte ; on ne peut donc modifier une disposition qui rendrait l’action du gouvernement moins puissante qu’elle ne l’est aujourd’hui.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je pense, avec l’honorable M. Savart, qu’il vaut mieux maintenir la rédaction du gouvernement que d’adopter celle de la section centrale. Le gouvernement a peut-être aujourd’hui, en droit administratif, la faculté de supprimer, dans le rayon de douane, les fabriques établies postérieurement à la loi de 1822 ; mais cette faculté, il ne la possède certainement pas pour les établissements autorisés avant 1822 ; supprimer ceux-ci, c’est, comme l’a dit M. Malou, une espèce d’expropriation. Mais ces fabriques ne pouvaient pas continuer à jouir d’une espèce d’impunité. Nous avons pensé qu’il valait mieux laisser à l’administration la faculté de supprimer toutes les fabriques quand la fraude s’y fait, que de déférer ce droit aux tribunaux. Il ne faut donc pas lui prescrire d’en requérir judiciairement la suppression quand elle ne connaît pas encore la valeur morale de l’action dénoncée. Cette valeur morale, elle ne la connaît que par les plaidoiries, par l’issue du procès.

Si vous décidez que l’administration pourra requérir l’interdiction de la fabrique, force sera aux tribunaux de la prononcer. Veuillez remarquer, messieurs, que l’administration devra la requérir dès le début du procès, d’où il suit qu’elle sera obligée de supprimer quelquefois des fabriques appartenant peut-être à des personnes innocentes ou peu coupables. Il faut donc mieux laisser au gouvernement, juge de la contravention, la faculté de prononcer la suppression des fabriques, faculté dont il n’usera que quand il y aura fraude réelle.

D’ailleurs, la suppression d’une fabrique est un acte plutôt administratif que judiciaire, et cette observation corrobore encore les remarques que je viens de présenter,

M. Delfosse. - M. le ministre des finances est dans l’erreur lorsqu’il croit que l’amendement de l’honorable M. Savart tend à substituer la disposition primitive du gouvernement à celle de la section centrale. D’après la disposition primitive du gouvernement, la suppression des fabriques ou débits pourrait être prononcée par le gouvernement seul, sans l’intervention des tribunaux ; d’après la disposition de la section centrale, cette intervention serait nécessaire. L’honorable M. Savart admet aussi l’intervention des tribunaux, mais il y a, entre sa proposition et celle de la section centrale, cette différence que, dans le système de la section centrale, l’intervention des tribunaux est passive, les tribunaux doivent prononcer la suppression, aussitôt que l’administration le requiert, ils ne peuvent se dispenser de déférer à la réquisition de l’administration ; l’honorable M. Savart veut, au contraire, laisser les tribunaux juges de la question de savoir si la contravention est assez grave pour que la suppression soit prononcée. J’avoue que je préfère l’opinion qui laisse aux tribunaux une certaine liberté d’action, à celle qui en ferait des instruments passifs de l’administration. Cette dernière opinion me paraît porter quelqu’atteinte à la dignité des tribunaux.

Je préfère donc l’amendement de M. Savart à la disposition de la section centrale, je préférerais même à cette dernière disposition la rédaction primitive du gouvernement, que M. le ministre des finances a déclaré maintenir. A quoi bon faire intervenir les tribunaux, si leur décision est dictée d’avance ; autant vaut laisser le gouvernement agir seul, et s’il agit seul, on aura du moins cet avantage qu’il ne se prononcera sur la question de suppression qu’après que l’affaire aura été portée devant les tribunaux ; il connaîtra alors toutes les circonstances de l’affaire, il pourra en apprécier le plus ou moins de gravité et se décider en conséquence ; sous ce rapport, la proposition du gouvernement se rapproche de l’amendement de M. Savart, dans l’un comme dans l’autre système, on peut apprécier la gravité de la contravention, dans le premier l’appréciation est laissée au gouvernement, dans l’autre elle appartient aux tribunaux. Dans le système de la section centrale, aussitôt que l’administration a requis, et elle doit requérir avant le jugement, il y a nécessité de prononcer la suppression en même temps que la peine encourue pour la contravention, alors même que cette contravention serait fort légère, c’est là ce que je ne puis admettre ; je voterai donc d’abord pour l’amendement de M. Savart ; puis, si cet amendement est rejeté, pour la rédaction primitive du gouvernement.

M. Savart-Martel. - Je crois devoir insister sur ce point, que les tribunaux pourront prononcer la suppression en cas de fraude ou de contravention grave. Je suis frappé d’une idée, c’est qu’il faut faire une différence entre la fraude et la contravention proprement dite ; la fraude est toujours criminelle, tandis que la contravention est souvent excusable. Remarquez cette autre différence. Quand un procès-verbal est entre les mains de l’administration, l’administration ne connaît que le contenu du procès-verbal. Elle n’y voit que la fraude dénoncée, mais elle n’est pas pénétrée des circonstances du fait dénoncé, circonstances qui, présentées en justice, changeraient la manière de voir de l’administration elle-même. Quand un procès-verbal est dressé par un employé subalterne, et qu’il arrive par la voie hiérarchique au plus haut supérieur de cet employé, au ministre, qu’y voit le ministre ? Purement et simplement ce que l’employé le plus subalterne peut avoir dit ; tandis qu’en justice on entend le pour et le contre, on apprécie la gravité des faits et de toutes les circonstances ; et si ces circonstances avaient été connues préalablement par l’administration, elle se serait bien gardée de demander une peine sévère qui ne serait pas en rapport avec la contravention commise.

On me répondra peut-être à cela : mais après avoir ordonné la suppression, l’administration aura le droit de ne pas la faire faire. Je crois qu’il ne faut pas mettre l’administration dans cette position. Il faut éviter, autant que possible, que le pouvoir ait tort. Si l’administration décide la suppression, elle ne peut que très difficilement revenir sur sa première opinion.

Je vous le demande, y a-t-il rien de plus sage, de plus raisonnable que de dire : Le tribunal saisi de la contravention, décidera s’il y a lieu à prononcer la suppression de la fabrique, mais seulement quand la demande en aura été faite par l’administration. Voilà le sens de ma proposition.

Il ne faut pas perdre de vue qu’en matière de fisc les. tribunaux sont souvent liés par les dispositions de la loi. Dans quelle position mettriez-vous le tribunal si, lorsqu’il serait saisi non pas d’une fraude, mais d’une contravention, vous le forciez à fermer une fabrique quelquefois considérable, quelquefois la seule fortune d’un père de famille.

Je pense que mon amendement doit être adopté, comme conciliant l’intérêt du fisc et celui du contribuable.

M. Desmet. - Un fait incontestable, c’est qu’un grand moyen de fraude, ce sont les fabriques existant dans le rayon de la douane. C’est là ce qui fait tort aux fabriques de l’intérieur. Le rayon de la douane doit être sous un régime tout à fait spécial. Si maintenant vous laissez à l’ordre judiciaire à décider s’il y a lieu de prononcer la suppression d’une fabrique qui est un moyen de fraude, vous paralysez beaucoup la loi. Il est évident que cela est du domaine de l’administration, qui seule peut être juge en cette matière. Sous ce rapport, j’espère qu’on adoptera la proposition du gouvernement.

M. Mercier. - J’avais demandé la parole, lorsque M. le ministre des finances a exprimé l’opinion qu’il était d’accord avec l’honorable M. Savart. Mais il a reconnu qu’à cet égard il s’était trompé.

Je ferai maintenant observer que l’amendement de l’honorable M. Savart tend à restreindre les droits actuels de l’administration ; il irait donc en sens inverse du but que nous nous proposons, qui est de renforcer l’action de l’administration. Jusqu’à présent elle n’a pas abusé de la faculté qui lui est accordée ; l’expérience n’a pas révélé les inconvénients signalés par l’honorable M. Savart.

Entre le projet du gouvernement et celui de la section centrale il y a peu de différence, Aujourd’hui d’abord, en ce qui concerne les fabriques autorisées depuis l’introduction de la loi de 1822, la section centrale est d’accord avec le gouvernement. S’il y avait du doute sur les droits de l’administration de les interdire en cas d’abus, je ne m’opposerais pas à ce qu’à leur égard la disposition fût adoptée telle qu’elle est rédigée dans le projet du gouvernement.

La seconde disposition n’a aucune importance au fond. L’honorable M. Desmet semble croire qu’avec la proposition de la section centrale la fraude sera moins réprimée qu’avec celle du gouvernement ; c’est une erreur ; remarquez que, dans le système de la section centrale, c’est le gouvernement qui demande la suppression des fabriques qui existaient dans le rayon avant la loi de 1822 et que le tribunal ne peut la refuser.

C’est donc seulement dans l’intérêt des principes que la section centrale a cru devoir, pour l’application de cette peine, substituer les tribunaux au gouvernement. Mais au fond, la mesure a la même portée que si l’administration prononçait elle-même la suppression des fabriques. Aussi je n’insiste pas fortement pour l’adoption d’une rédaction plutôt que d’une autre. S’il y a une différence, elle est dans la forme et non dans le fond.

Je m’oppose seulement à l’amendement de l’honorable M. Savart qui tend à restreindre la répression de la fraude. Quant au choix entre la rédaction du projet du gouvernement et celle du projet de la section centrale, je le laisse à la chambre ; car, je le répète, au fond il n’y a aucune différence.

M. Demonceau. - Je trouve une grande différence entre la proposition du gouvernement et celle de la section centrale. Si j’ai bien compris l’honorable membre qui a examiné la proposition de la section centrale, ce n’est pas à titre de peine qu’on prononcerait la suppression de la fabrique. Si vous reconnaissez, au contraire, que c’est à titre de peine, vous ne pouvez vous dispenser de déclarer que cette peine sera appliquée par les tribunaux . Mais au lieu de « prononceront,» vous pourriez peut-être dire : « pourront prononcer. »

M. le ministre des finances (M. Smits) - J’avais en effet mal compris l’honorable M. Savart ; je croyais qu’il donnait la préférence à la proposition du gouvernement sur celle de la section centrale.

Maintenant que j’ai mieux apprécié son amendement, il me semble qu’il résulterait une espèce de confusion de pouvoir ; car comme c’est l’administration publique qui autorise l’établissement des fabriques, il paraît naturel que celui qui autorise ait le droit de supprimer, lorsqu’il y a une contravention constatée. La grande différence qu’il y a entre la proposition de l’honorable M. Savart et la proposition primitive du gouvernement, c’est que, quand le juge aura ordonné la suppression de l’établissement, on ne pourra plus revenir sur cette proposition, tandis qu’il sera possible de revenir sur une suppression prononcée par l’administration.

D’après ces considérations et celles que j’ai déjà présentées, je crois qu’il vaut mieux maintenir la rédaction primitive, qui donne au gouvernement plus de garanties pour la répression de la fraude ; car en matière d’accise et de douane, l’administration peut mieux apprécier la gravité d’un délit que les tribunaux, l’application des lois de douane et d’accise devant, en effet, être le résultat d’études toutes spéciales.

M. de Muelenaere. - Il me semble qu’on est à peu près d’accord que l’amendement de l’honorable M. Savart-Martel s’écarte essentiellement et de la proposition du gouvernement et de celle de la section centrale.

D’abord, d’après cet amendement la suppression de la fabrique où la fraude ou la contravention aurait été commise, ne serait plus obligatoire. Elle deviendrait seulement facultative pour le tribunal. Une autre difficulté, c’est que M. Savart-Martel veut que, pour que la suppression puisse avoir lieu, une fraude ou une contravention grave ait été constatée. D’après cela il faut que le tribunal recherche si le fait imputé au propriétaire de la fabrique, ou au fabricant (car je pense qu’il est bien entendu qu’il ne s’agit pas ici des fraudes ou contraventions commises par des tiers) constitue une fraude ou une contravention grave. Ainsi, au lieu de renforcer l’action du gouvernement, au lieu de faire une loi répressive de la fraude, vous ouvririez nécessairement la porte à de nouvelles difficultés, et l’action du gouvernement serait plutôt énervée que fortifiée.

Quant aux deux autres rédactions, je n’y vois pas, pour ma part une très grande différence. D’après la rédaction du gouvernement, c’est le gouvernement lui-même, lorsque la contravention aurait été punie par le juge, qui prononcerait la suppression de la fabrique. D’après la rédaction de la section centrale, c’est le tribunal qui la prononce sur la réquisition du gouvernement. Mais la suppression est obligatoire pour le tribunal, dès que la contravention est constatée et la suppression requise par le gouvernement. Ainsi, en définitive, le résultat est exactement le même dans les deux cas. Mais je comprends très bien les motifs qui peuvent avoir guidé la section centrale ; elle a été arrêtée pas le respect pour les principes, par un scrupule de légalité. Si la suppression de la fabrique est envisagée comme une peine, je ne comprends pas comment le tribunal la prononcerait. Il me semble qu’il serait plus conforme aux principes constitutionnels que la suppression de la fabrique, si c’est une peine, fût prononcée par le tribunal, mais sur la réquisition du gouvernement.

Quoi qu’il en soit la différence entre les deux rédactions me paraît peu importante. La distinction que l’on fait est assez subtile ; car on arrive au même but avec l’une et l’autre rédaction.

Mais il n’en serait pas de même si l’on adoptait l’amendement de l’honorable M. Savart. Cet amendement consacre un système différent ; 1° en ce qu’il rend facultative la suppression de la fabrique ; 2° en ce que la suppression ne peut être prononcée que quand il y a eu fraude ou contravention grave ; ce qui donnerait lieu à beaucoup de difficultés.

M. de Garcia. - La plupart des observations que je voulais avoir l’honneur de vous présenter vous ont été soumises par l’honorable M. de Muelenaere.

Quelle différence y a-t-il entre la proposition du gouvernement et celle de la section centrale ? Au fond, aucune. Seulement la section centrale réserve le principe constitutionnel, et la proposition du gouvernement blesse ce principe. C’est-à-dire que, comme l’honorable M. de Muelenaere, je ne crois pas que le gouvernement puisse infliger une peine. Si vous ne considérez pas la suppression de la fabrique comme une peine, il faut accorder une indemnité au puni. Si c’est une peine, au contraire, vous ne devez aucune indemnité à celui qui la subit. La seule différence est donc dans la forme ; le but est le même. Cependant, M. le ministre des finances a fait observer que, si on laissait au gouvernement à prononcer la suppression, le gouvernement pourrait revenir sur sa décision, et avoir des ménagements pour les propriétaires des fabriques dont la suppression aurait été ordonnée. Mais il me semble que la proposition de la section centrale laisse aussi cette faculté ; car il y a le droit de grâce. (Réclamations.)

Mais, messieurs, cela n’est pas douteux. Tous les jours, l’on remet une partie de la peine, surtout quand on reconnaît que la loi a été trop loin ; cela arrive tous les jours.

Je crois donc que, dans l’intérêt des principes, le gouvernement ne doit pas hésiter à se rallier à la proposition de la section centrale.

Je ne puis admettre l’amendement de l’honorable M. Savart, par plusieurs motifs ; d’abord parce que les tribunaux, qui ne connaissent que le délit en lui-même, ne peuvent apprécier la nécessité de supprimer une fabrique qui facilite la fraude.

Je ne crains pas que la dignité de tribunaux soit compromise parce que la loi leur fera un devoir de prononcer cette suppression, lorsque le gouvernement le requerra. Mais nos lois sont remplies de dispositions semblables, elles nous lient tous les jours. Il y a à la vérité le système de grâce qui vient tempérer la rigueur de la loi ; mais très souvent nous sommes obligés de prononcer la confiscation en vertu de la loi. La dignité du magistrat ne peut être compromise à prononcer les peine établies par la loi. Il est même reconnu en principe de droit que la loi la plus sage est celle qui laisse le moins à l’arbitraire du juge.

Je crois, d’après ces considérations, qu’il faut adopter la proposition de la section centrale, qui est celle qui remplit le mieux le but qu’on se propose, celui d’empêcher la fraude.

M. Verhaegen. - Messieurs, je veux une loi efficace, mais je ne puis admettre que les mesures à y introduire soient contraires aux premiers principes de liberté et même de constitutionalité.

Nous voulons que, dans certains cas, les fabriques pour lesquelles il y a en autrefois des autorisations, puissent être formées. Mais, messieurs, les conséquences ou l’accessoire doivent être prononcés par les tribunaux comme la peine même. Nous devons avoir assez de confiance dans les tribunaux pour croire que, lorsque les circonstances seront graves, ils feront droit à la réquisition du gouvernement et prononceront la suppression.

L’honorable M. de Muelenaere vous disait tantôt qu’il y avait peu de différence entre la proposition du gouvernement et celle de la section centrale ; que la section centrale semblait n’avoir été arrêtée que par un scrupule de légalité ou par un respect pour les principes.

Mais, messieurs, je ne comprends rien à cette observation. Il me semble que les scrupules de légalité et le respect pour les principes doivent faire rejeter la proposition de la section centrale comme la proposition du gouvernement. Car c’est un singulier respect pour les principes que de forcer les tribunaux à prononcer, bon gré mal gré, et quelles que soient les circonstances, la suppression. Ainsi, un tribunal sera convaincu que le fait qu’on impute à un individu n’est pas grave, que ce fait peut avoir pris sa source dans une négligence, car une contravention peut être le résultat d’une négligence qu’il peut comporter une peine, mais non la suppression de la fabrique, et le tribunal sera obligé, par une obéissance passive envers le gouvernement, de supprimer la fabrique ! Savez-vous ce qui résulterait, messieurs, d’un pareil état de choses ? C’est que les tribunaux placés dans cette alternative, ne prononceraient aucune peine et déclareraient que le fait n’est pas constaté, plutôt que d’être forcés à détruire une position, à détruire une industrie. il ne faut pas, messieurs, mettre les tribunaux dans cette position, il ne faut pas les rendre esclaves du gouvernement, l’un et l’autre pouvoir doit conserver son indépendance.

Les tribunaux ne sont plus entourés d’aucune considération, si vous les forcez à prononcer une suppression de fabriques, lorsque le gouvernement le requiert. L’honorable M. de Garda vous le disait lui-même tout à l’heure, ce sont les tribunaux qui doivent prononcer la peine. Eh bien, les tribunaux devant prononcer la peine apprécient les circonstances, et les apprécient pour la peine proprement dite comme pour ce qui est l’accessoire de la peine.

Vous voulez que les tribunaux examinent les circonstances, alors qu’il s’agit de savoir s’il y a ou non contravention, et appliquent la peine. Eh bien, pourquoi ne voulez-vous pas que les tribunaux examinent aussi s’il y a des circonstances suffisantes pour prononcer comme conséquence de la peine, la suppression de la fabrique ?

Je ne puis admettre avec M. le ministre des finances que le gouvernement qui peut accorder, peut retirer. Ce principe, qu’il invoque, n’est pas applicable : L’honorable M. Malou lui a déjà répondu en partie. Pour les fabriques établies avant 1822, il y a des droits acquis ; vous ne pouvez appliquer votre principe à ces fabriques, mais seulement à celles établies postérieurement.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Pardonnez-moi.

M. Verhaegen. - M. le ministre veut appliquer son principe aux uns et aux autres. Ainsi, pour les fabriques établies avant 1822, il ne fallait pas d’autorisation ; pour celles établies postérieurement, il fallait une autorisation, et vous voulez appliquer votre principe aux unes comme aux autres en disant que le gouvernement a le droit de retirer l’autorisation. Mais voyez où vous allez arriver. Je ne sais pas même si votre principe est applicable aux fabriques qui ont dû avoir une autorisation. Car s’il est applicable, vous n’avez pas besoin de la disposition du projet, vous n’avez pas même besoin de faire constater qu’il y a contravention pour retirer l’autorisation. Dans votre système vous êtes juge de tout.

Mais il m’est impossible d’admettre que celui qui accorde une permission dans un cas semblable, peut la retirer. Comment ! un individu vous demande la permission d’élever une fabrique, vous lui accordez cette permission, et quand il a construit cette fabrique à grands frais, vous pourriez lui retirer la permission !

M. le ministre des finances (M. Smits) - Quand il y a des motifs suffisants.

M. Verhaegen. - Quand il a des motifs suffisants ? Vous voyez donc que votre argument ne vaut rien, vous voyez que celui qui accorde une autorisation ne peut pas toujours la retirer. Il faut des motifs. Et par qui ces motifs doivent-ils être constatés ? Par ceux qui jugent de la contravention.

Il faut donc, messieurs, s’en rapporter aux tribunaux ; il faut avoir confiance dans leurs lumières, dans leur justice. Les tribunaux, suivant les circonstances, appliqueront telle ou telle peine plus ou moins élevée, et ne refuseront pas, lorsqu’il y aura lieu, de faire droit à la réquisition du gouvernement et de prononcer la suppression de la fabrique.

Toutefois, pour parer aux inconvénients qu’on paraît trouver dans l’amendement de l’honorable M. Savart, je crois qu’on pourrait dire : « Les tribunaux pourront, suivant la gravité des circonstances, et sur la réquisition de l’administration, prononcer la suppression... » (Le reste comme au projet du gouvernement.)

On me dit que les tribunaux ne sont pas à même d’apprécier la gravité des circonstances. Mais je ne puis admettre une pareille supposition. L’administration a ses avocats près des tribunaux ; les avocats viendront démontrer les raisons, les motifs graves pour lesquels le gouvernement demande la suppression.

Messieurs, ne perdez pas de vue que vous touchez au droit de propriété, droit extrêmement important. Je ne veux pas refuser au gouvernement ce moyen qui est, j’en conviens, un moyen puissant, mais je veux qu’on ait au moins la garantie des tribunaux dans une question aussi importante.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Nous demandons l’intervention des tribunaux.

M. Verhaegen. - M. le ministre nous dit : Nous demandons l’intervention des tribunaux. Mais pourquoi ? Pour que les tribunaux soient obligés de supprimer.

Ce n’est plus qu’une formalité ; le tribunat serait l’instrument passif du gouvernement, et c’est ce que je ne veux pas.

M. le ministre convient qu’il est dans l’ordre, dans les principes que les tribunaux interviennent ; mais cette intervention ne doit pas être illusoire ; elle doit produire des effets, elle doit être sérieuse. Vous ne pouvez pas mettre les tribunaux à la remorque du gouvernement ; vous ne pouvez exiger que quand le gouvernement demandera la suppression, les tribunaux lui disent : Eh bien j’obéis à votre injonction et je prononce la suppression ; il faut que les tribunaux puissent examiner si la suppression doit être la conséquence de la condamnation. Voilà ce que je demande, et pour qu’il en soit ainsi, je propose de dire :

« Les tribunaux pourront, suivant les circonstances et sur la réquisition de l’administration, prononcer la suppression. » (Le reste comme au projet.)

M. Savart-Martel. - Je me rallie à cette rédaction.

M. Malou. - Permettez-moi, messieurs, de relire le texte de l’article du gouvernement et de celui de la section centrale Voici d’abord l’article du gouvernement :

« Art. 18. Le gouvernement pourra supprimer, dans les deux rayons, les fabriques et débits de toutes marchandises antérieurement autorisés, ou qui auraient été établis avant la mise à exécution de la loi générale du 26 août 1822, mais seulement lorsqu’un abus aura été constaté par un procès-verbal de contravention, ayant donné lieu à une condamnation judiciaire. »

L’on dispose donc par ce projet sur deux catégories d’établissements ; les premiers autorisés antérieurement à la présente loi, et les autres autorisés antérieurement à la loi de 1822.

L’article de la section centrale est ainsi conçu :

« Art. 14. Les tribunaux, si l’administration le requiert, prononceront la suppression des fabriques et débits de toutes marchandises établis avant la mise à exécution de la loi générale du 26 août 1822, mais seulement lorsqu’une contravention aura été constatée.

« La suppression sera prononcée par le même jugement qui prononcera la peine encourue du chef de cette contravention. »

La section centrale n’a donc cru devoir disposer que relativement à l’une des deux catégories auxquelles s’applique le projet du gouvernement. Le motif en est que, de droit, les fabriques établies depuis 1822 sont soumises à l’autorisation du gouvernement, et qu’en fait le gouvernement n’a jamais donné une autorisation sans se réserver la faculté de révoquer cette autorisation. En présence de ce fait, l’une des objections présentées par l’honorable M. Verhaegen vient à disparaître ; si le gouvernement n’a accordé l’autorisation qu’en se réservant la faculté de la retirer, il est évident qu’il peut user de ce droit.

M. Verhaegen. - Il ne faut pas de loi pour cela.

M. Malou. - C’est précisément parce qu’il ne faut pas de loi que la section centrale a proposé de ne pas parler de cette deuxième catégorie.

Quant aux fabriques établies antérieurement à la loi de 1822, on nous a dit que plusieurs donnaient lieu à de très grands abus, précisément parce que la loi de 1822 n’a rien stipulé de semblable à ce qu’il s’agit de décider. Il a donc fallu en venir à donner, sous ce rapport, une sorte de rétroactivité à la loi.

Le gouvernement a demandé qu’on lui donnât la faculté de supprimer ces fabriques sans l’intervention des tribunaux ; nous avons cru qu’il fallait d’abord que la contravention fût constatée, ensuite qu’elle fût jugée assez grave par l’administration, pour pouvoir motiver la suppression ; mais nous avons aussi pensé que lorsque l’administration, qui peut le mieux apprécier la nécessité de cette mesure, en réclamait l’application, il ne devait pas être facultatif aux tribunaux de la prononcer, ou de s’abstenir de la prononcer.

Cette disposition, messieurs, est-elle plus rigoureuse que celle du gouvernement ? Je ne le pense pas. Les exceptions faites sous ce rapport par M. le ministre des finances me semblent peu fondées. « Le gouvernement, dit-on, ne pourra pas connaître d’avance la gravité et la moralité des faits. » Mais, messieurs, en matière de douanes, l’administration est maîtresse de l’action, elle peut poursuivre ou arrêter les poursuites à son gré, elle peut transiger même après une décision en première instance, et il suffit qu’elle transige pour que le tribunal soit dans l’impossibilité de prononcer une condamnation ; et d’ailleurs, si la suppression a été prononcée, le gouvernement pourra toujours, quand il le jugera convenable, en faire cesser les effets en autorisant de nouveau l’établissement de la fabrique en vertu des pouvoirs que la loi lui donne.

Je crois, messieurs, par ces différentes considérations, avoir justifié la proposition de la section centrale. (Aux voix ! aux voix !)

M. de Theux. - Messieurs, je n’ai que peu de mots à dire. Il me semble que la différence entre la proposition du gouvernement et celle de la section centrale n’est pas grande ; cependant je donnerai la préférence à la proposition du gouvernement, dans laquelle je ne vois absolument rien de contraire à la constitution. D’abord, suivant la proposition du gouvernement c’est le tribunal qui doit avant tout constater la contravention et prononcer l’amende établie par la loi. La loi peut-elle attacher à ce jugement une conséquence facultative ? Je pense que oui ; je pense que la loi peut dire que lorsqu’il existe une condamnation, cette condamnation entraînera pour conséquence que le gouvernement pourra supprimer la fabrique ; je ne vois en cela rien d’inconstitutionnel.

Le motif pour lequel je préfère la proposition du gouvernement, c’est, messieurs, parce qu’elle sera plus douce dans l’application ; si la proposition de la section centrale est adoptée, le gouvernement sera dans le cas de devoir, pour toute sécurité, requérir des tribunaux la suppression de la fabrique, chaque fois qu’une contravention aura été constatée, sauf ensuite, comme on l’a dit, à accorder grâce et à permettre la réouverture de rétablissement. Je préfère, moi, laisser au gouvernement, lorsque la condamnation aura été prononcée, la faculté de supprimer ou de ne pas supprimer l’établissement, d’accorder même un délai convenable au propriétaire, de le surveiller de plus près, et de laisser subsister son établissement dans le cas où il se conduirait bien, où il donnerait des garanties pour l’avenir.

De cette manière, messieurs, il ne serait porté aucune atteinte au crédit de l’établissement ; car remarquez bien que le seul fait de la suppression prononcé par un tribunal porterait une atteinte grave au crédit de l’établissement qui serait l’objet d’un semblable jugement.

Par ces divers motifs, messieurs, je préfère la disposition proposé par le gouvernement.

- La clôture est demandée.

M. Savart-Martel (contre la clôture). - Messieurs, je désire appeler l’attention de la chambre sur un seul point. C’est qu’il s’agit ici, non pas de savoir si le gouvernement est meilleur juge que les tribunaux de ce qui peut concerner les intérêts, mais de savoir si l’on peut autoriser le gouvernement à prononcer une peine. Or, la suppression d’une fabrique est bien évidemment une peine.

M. Vanden Eynde. - J’aurais voulu appeler l’attention de la chambre sur la question de savoir comment on doit envisager la suppression d’une fabrique, de savoir si c’est une peine ou une expropriation ; eh bien, je dis que dans l’un et dans l’autre cas, la proposition de la section centrale, bien plutôt encore que celle du gouvernement, est contraire à la constitution.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

L’amendement de M. Verhaegen est d’abord mis aux voix ; il n’est pas adopté.

M. le président - Je vais maintenant mettre aux voix la proposition du gouvernement ; mais je dois faire remarquer qu’on ne peut plus conserver maintenant ces mots : « dans les deux rayons ».

M. le ministre des finances (M. Smits) - Il faut dire : « dans le rayon ».

- L’article du gouvernement, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

Article 15

M. le président. - Nous passons à l’art, 15 du projet de la section centrale. (A demain ! à demain !)

- La chambre remet la suite de la discussion à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.