Accueil Séances
plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note
d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du mercredi 14
décembre 1842
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative au niveau élevé des
impôts (Delehaye)
2)
Explication sur la visite domiciliaire faite au château de Desmanet de Biesme à
Golzinne (conspiration des paniers percés) (Van Volxem)
3)
Projet de loi portant le budget du département de la marine pour l’exercice
1843. Second vote des articles. (A : chiffre global du budget et service
de pilotage dans l’Escaut ; B : navigation transatlantique et
British-Queen) (A (de Briey, Osy, de Briey, de
Man d’Attenrode, Osy, de Briey),
B (Mast de Vries, de Briey), (A,
B) (de La Coste, Lebeau, de Briey, Desmet, Rodenbach), A (Nothomb, Osy, Nothomb, de
Briey, (+B) Demonceau, de
La Coste, de Briey), (A, B) (Rogier,
de Briey), de Theux)
4)
Projet de loi portant le budget du département de l’intérieur pour l’exercice
1843. Discussion générale. Cens et fraudes électorales (Mercier,
Nothomb, Lebeau, Nothomb, de Theux, Smits, (+rétablissement de la dîme) Verhaegen,
Nothomb, Mercier, Nothomb, (+élections de Ath) de
Mérode, de La Coste, Lejeune,
Demonceau, Nothomb,
(+rétablissement de la dîme) Verhaegen, Nothomb, (+élections de Ath) Van
Volxem et Savart-Martel, (+rétablissement de la
dîme) de Theux, Fleussu, de Man d’Attenrode, de Garcia,
(+rétablissement de la dîme) de Foere)
(Moniteur belge n°349, du 15 décembre 1842)
(Présidence
de M. Raikem)
M. de Renesse fait
l’appel nominal à 1 heure.
M. Scheyven donne lecture du
procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse
des pièces adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Christophe Schmitz,
propriétaire à Steenbach, né à Stieidscheidt
(Prusse), demande la naturalisation. »
- Renvoi
au ministre de la justice.
_________________________
« Les bourgmestre
et échevins de la ville de Louvain transmettent : 1°, 110 exemplaires d’une
pétition de la chambre de commerce de cette ville contre le projet de loi sur
le sel, suivie d’une adhésion du conseil communal ; 2°, quelques exemplaires
d’une pétition adressée le 20 mars 1838 à la chambre des représentants, par le
conseil communal de Louvain, contre un projet de loi relatif à l’accise sur le
sel. »
- Renvoi
à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur le sel ;
distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
_________________________
« L’administration
communale de Moll présente des observations concernant le projet de loi sur le
canal de la Campine. »
- Renvoi
à la section centrale chargée de l’examen du projet.
_________________________
« Plusieurs habitants hameaux Paelings-Huyzen et Kerkestraete, faubourg
de la ville de Louvain, se plaignent de devoir payer des contributions
personnelle, foncière et mobilière aussi élevées que les habitants de cette
ville. »
- Renvoi
à la commission des pétitions.
M. Delehaye. - Cette pétition
ayant un caractère d’urgence, je demande que la commission des pétitions soit
invitée à faire un prompt rapport.
- Cette
proposition est adoptée.
M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) - Dans
une séance précédente, j’ai répondu à l’honorable M. Osy, qui m’avait adressé
une interpellation au sujet d’une visite opérée au château de Golzinne, que le gouvernement était entièrement étranger à
cette mesure et que je donnerais quelques détails sur cette affaire, aussitôt
que les renseignements que j’allais faire recueillir, me seraient parvenus.
Aujourd’hui,
je me trouve en mesure de donner à l’honorable M. Osy et à la chambre les
explications promises.
Le 7
novembre dernier, dans l’après-midi, le bruit commença à se répandre dans
Bruxelles que l’ex-général Vandersmissen, détenu aux Petits-Carmes, s’était
évadé. Un agent de la police locale se transporta dans les bureaux des
messageries, signala l’évasion et demanda que l’on voulût bien recommander aux
conducteurs de porter leur attention sur les voyageurs qui pourraient prendre
place en route, afin que si Vandersmissen se présentait, déclaration en fût
faite à la première brigade de gendarmerie.
Le
contrôleur des messageries Van Gend et compagnie donna des instructions dans ce
sens au conducteur de la diligence de Bruxelles à Namur, qui, à son arrivée
dans cette dernière ville, le 8, à sept heures du matin, en fit part au
directeur du bureau. Celui-ci sachant que Vandersmissen était détenu aux
Petits-Carmes, tandis que l’ex-général Vandermeeren
avait obtenu l’autorisation de séjourner dans son hôtel, fit observer au
conducteur que cette nouvelle n’avait nulle vraisemblance, que probablement il
avait confondu Vandersmissen avec Vandermeeren.
Ce bruit
parvint, dans la soirée, au maréchal-des-logis de la gendarmerie, remplissant
alors les fonctions de lieutenant, qui lui trouva assez de consistance pour
ordonner à un brigadier, de se rendre la nuit même, avec sept gendarmes à Golzinne, et de surveiller les abords du château, pour y
faire, le cas échéant, l’arrestation de l’ex-général Vandermeeren.
Cet ordre
fut exécuté, et le lendemain, à sept heures du matin, le brigadier, d’après les
instructions du maréchal-des-logis, alla trouver le bourgmestre, lui apprit
l’évasion de Vandermeeren, et le pria de
l’accompagner dans une visite au château. A 7 heures et demie, le bourgmestre
et le brigadier, seuls, laissant les gendarmes dans les avenues, demandèrent
l’autorisation de faire une perquisition.
Cette
autorisation leur fut accordée sans aucune difficulté.
Après
avoir parcouru quelques appartements, le brigadier, dont la réserve et les bons
procédés sont attestés par tous les témoins, déclara qu’il voyait bien à la
physionomie des habitants que l’individu qu’il cherchait n’était point là, sa
visite ne fut point achevée.
Tels sont
les faits que constate l’instruction judiciaire.
Celle-ci
établit qu’il n’y a eu de la part des agents de la force publique ni
illégalité, ni même simple manque d’égards.
Second vote des
articles
Chapitre II
Article premier
M. le président. - Il y a eu au
premier vote deux amendements adoptés au chapitre II, bâtiments de guerre
Le
gouvernement avait demandé à l’art. 1er, personnel, 330,534 francs.
La
chambre, sur la proposition de M. Osy, a
adopté le chiffre de 297,471 fr. 60 c.
M. le
ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Messieurs,
mon but, depuis que j’ai la marine dans mes attributions, a été de réaliser
dans ce département les économies qui avaient été désirées par la législature
et promises par mes prédécesseurs, sans nuire toutefois aux services anciens,
reconnus indispensables, et aux services nouveaux imposés par des nécessités
nouvelles.
C’est
ainsi que, l’an passé, plus de cent mille francs sont restés dans la caisse de
l’Etat. C’est ainsi que sans vous proposer de loi nouvelle j’ai pu, sur les
économies de l’année, faire face à la construction d’un bateau à vapeur dont
vous avez compris l’indispensable nécessité, remettre en activité un autre
bateau à vapeur, subvenir au service de la navigation transatlantique avec un
personnel nombreux, et assurer récemment au commerce, en lui fournissant deux
équipages de la marine royale, des frets réduits de moitié pour transporter les
produits de notre industrie vers les parages de l’Inde et de la Chine. Deux
autres services nouveaux eussent pu être établis cette année vers Syngapore.
Ainsi,
messieurs, se serait opérée graduellement, sans secousse et sans nouvelles
dépenses, une transformation de notre marine militaire, que de nouvelles et
pacifiques relations avec nos voisins du Nord rendront moins nécessaire en une
marine aidant au commerce, sachant l’encourager par des réductions de fret,
dans ses envois sur les marchés lointains, et le protégeant partout où le
besoin s’en ferait sentir. La pêche nationale eût reçu tous les secours que
réclame la loi que vous avez votée, et l’on eût facilement pu monter, sans de
nouvelles lois de dépenses, et sur un pied respectable, le pilotage aux bouches
de l’Escaut que j’ai établi provisoirement depuis quelques mois, et dont le
service offrira le double avantage de rapporter à l’Etat, bien au-delà de
l’intérêt des frais d’établissement et de nous assurer les droits que les
traités de 1839 nous ont reconnus sur la navigation de l’Escaut.
Par son
premier vote d’avant-hier, la chambre a paru désirer changer cet état de
choses, et exercer, dès à présent, sur le budget de la marine, des réductions
effectives, au lieu d’économies qui n’en étaient pas moins profitables au pays
et aux caisses de l’Etat, bien qu’elles ne se traduisissent pas, chaque année,
en diminution de chiffre au budget.
Je ne sais
si elle croira aujourd’hui devoir persister dans sa détermination, ou si elle
attendra, pour opérer ses économies, que les services exigés par les nécessités
nouvelles soient complètement établis ; mais il est de mon devoir de lui
représenter, avant qu’il soit procédé à ce vote définitif, qu’en prenant dès à
présent les bénéfices de ce nouvel état de choses, elle devra également prendre
la responsabilité des nouvelles charges que cet état de choses impose et
couvrir les dépenses qui en résulteront.
Ainsi,
pour cette année, en répondant à la section centrale, au sujet de nouvelles
constructions navales, j’avais soin de faire toutes réserves pour le service du
pilotage, et je disais qu’il avait pris une si grande extension dans les
bouches de l’Escaut, que l’on sentirait probablement la nécessité d’une
augmentation de quelques bateaux-pilotes. J’ajouterai que cette dépense, loin
d’être improductive est un capital dont l’intérêt et l’amortissement sont
largement restitués au trésor par les droits de pilotage dont ces bâtiments
permettraient la perception.
Avec le
budget, tel que je l’avais présenté à la chambre, les bateaux-pilotes qu’il est
nécessaire de construire, ou de remettre à neuf, auraient pu l’être sur les
économies du budget. Mais si la chambre croit devoir persister dans son vote
d’avant-hier, force me sera de lui présenter, probablement bientôt, un projet
de demande de crédit tendant à faire face à cette dépense, que les intérêts
d’Anvers et d’Ostende, nos droits sur l’Escaut, l’avantage du commerce
et celui du trésor nous commandent impérieusement de faire. Je dois ajouter que
cette dépense pour trois bateaux-pilotes ne s’élèverait pas, d’après les
anciennes adjudications faites, à moins de 25,000 francs par bateau.
M. Osy. - M. le ministre, au lieu de consentir aux
économies que j’ai proposées, vous annonce la proposition de nouvelles
dépenses. Il a dit avant-hier qu’on avait vendu deux chaloupes canonnières, et
que, depuis trois ans, cinq étaient hors de service. Au moyen du produit des
deux chaloupes vendues et des trois qui restent à vendre, M. le ministre
pourrait construire quelques bateaux pilotes, ce qui n’entraîne pas une grande
dépense.
Vous avez
dans la rivière des brigantins, des canonnières, dont l’utilité est incontestable,
Je citerai l’exemple de la Prusse, qui a des côtes plus étendues que les
nôtres, qui, indépendamment de ses côtes sur la mer Baltique, a à défendre ses
droits sur le passage du Sund, car le Danemarck pourrait vouloir y établir des droits plus élevés
que ceux qui résultent des conventions de commerce ; mais la Prusse a d’autres
moyens que des forces maritimes pour se faire rendre justice.
Si vous
aviez des différends avec la Hollande, une flotte vous serait encore inutile.
Vous aurez à lui payer annuellement 400 mille florins ; si elle apporte des
difficultés à la navigation de l’Escaut, vous cesseriez de payer ; c’est là un
moyen suffisant. Je voudrais donc supprimer notre marine militaire et nous
borner à avoir un service de pilotage. Ce service coûtait autrefois 180 mille
francs, alors qu’il était dans les attributions du conseil de régence et
administré gratis par des négociants. On a donné ce service à la marine, et il
en est résulté une augmentation de dépense.
On
prétend que la marine est nécessaire pour surveiller nos côtes ; il suffit pour
cela d’avoir prés de Lillo et le long de la rivière quelques bateaux montés par
quelques douaniers et quelques marins, et avec de la bonne volonté ce n’est pas
une économie de 77 mille francs, mais de 300 mille francs qu’on pourrait faire.
Quelques
marins de l’Etat ont été mis à bord d’un bâtiment marchand se rendant à Syngapore. Je ne désapprouve pas ce concours de l’Etat pour
un premier voyage, mais si ce voyage est productif plusieurs négociants pourront
entreprendre des voyages semblables.
Pourrez-vous
donner des marins de l’Etat à tout le monde ? S vous ne le faites pas, si vous
en donnez à l’un et que vous n’en donniez pas à l’autre, vous commettez une
grande injustice, car la concurrence serait alors impossible.
Tout en
approuvant ce qui a été fait, comme vous ne pouvez pas continuer, le retour du
navire dont il s’agit vous permettra encore de faire de ce chef une économie.
Quant à
la British-Queen, la question reste entière ; son
service exige une cinquantaine de marins, la réduction de 10 p.c., que j’ai
proposée sur le personnel de la marine, n’en rendra pas l’exploitation
impossible, si tant est que la chambre soit d’avis de la continuer.
Sur le
matériel j’ai proposé une réduction de 15 p. c. Vous savez que cinq canonnières
sont hors de service. Ainsi là encore la réduction n’est pas exagérée.
Je désiré que M. le ministre prenne mes observations en considération.
S’il n’introduisait pas des économies dans le budget de la marine, je me
verrais obligé, l’année prochaine, de prendre l’initiative d’en proposer.
M. le
ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Je
regrette de n’avoir pas été compris par l’honorable préopinant ; je n’ai
nullement en vue, ainsi qu’il semble le croire, d’augmenter la marine
militaire, au moyen de nouvelles constructions. J’ai prévenu la chambre que je
pourrais être dans la nécessité de lui demander incessamment un crédit, pour
faire face à l’achat des bateaux-pilotes reconnus nécessaires ; or, ces
bateaux-pilotes, ainsi que doit le savoir l’honorable préopinant, sont tout
autre chose que des bâtiments de guerre. L’honorable M. Osy
pense qu’on pourra faire face à cette dépense avec le produit de la vente des
brigantins hors de service. Je lui répondrai que ces brigantins ou plutôt ces
chaloupes canonnières sont dans un tel état de vétusté que leur produit serait
insuffisant non seulement pour construire trois bateaux-pilotes, mais même pour
en payer un seul.
M. de Man d’Attenrode. -
Messieurs, je suis de ceux qui pensent que le pays a besoin de quelques navires
de guerre, pour lui assurer la position que les traités lui ont faite sur
l’Escaut ; je demanderai donc à M. le ministre qu’il nous dise formellement
si l’adoption de l’amendement de M. Osy ne compromet pas l’existence de cette
marine armée ? Il me semble avoir compris dans les paroles que M. le ministre
vient de prononcer, que l’adoption de cet amendement compromettait notre
position sur l’Escaut.
M. le
ministre nous a dit l’autre jour que ce qui occasionnait le maintien des
dépenses, malgré la suppression de quelques bâtiments, c’était le personnel
employé sur des navires destinés à rendre la vie à la marine marchande.
Je pense
que le gouvernement fait bien de chercher à indiquer le chemin au commerce
maritime, cela me semble d’une importance immense, car c’est le commerce
maritime seul qui puisse déblayer nos marchés d’une production manufacturière
qu’on surexcite peut-être trop ; si, en protégeant la
production, nous ne prenons pas des moyens pour nous débarrasser de ces
produits, nous finirons par étouffer par le sur-excès de la production ; je
pensé donc que la chambre ne doit pas adopter légèrement l’amendement de M.
Osy, et, quant à moi, je lui refuserai mon approbation.
M. Osy. - J’ai très bien compris M. le ministre des
affaires étrangères. J’ai très bien compris qu’il se proposait de demander un
crédit non pour la construction de nouveaux bâtiments militaires, mais seulement
pour la construction de quelques bateaux-pilotes. Je ferai observer que c’est
une très petite dépense que la construction de bateaux-pilotes, car quand
l’administration du pilotage était dirigée par le conseil communal, on avait
également besoin de bateaux-pilotes, et le produit du pilotage non seulement
suffisait à toutes ces dépenses, mais permettait de mettre de côté des sommes
assez fortes pour donner des pensions aux vieux marins, aux veuves et aux
orphelins. Cette dépense ne m’effraye pas ; quand nous serons saisis du projet
de M. le ministre, nous verrons si nous devons l’adopter ou non.
Nous
avons maintenant dix navires en service dans la rivière ; ils restent devant la
ville et ne font rien. Je voudrais qu’on se bornât à avoir de légères embarcations
près de Lillo et Doel pour surveiller les côtes et
empêcher la contrebande. La suppression de ces navires serait une grande
économie.
En terminant, je répète que je n’ai aucune crainte que mon amendement
que vous avez adopté au premier voté puisse nuire au service
M. le
ministre des affaires étrangères (M. de Briey) -
L’honorable préopinant se fait illusion sur le coût d’un bateau-pilote. Je puis
affirmer qu’en prenant pour base les dernières adjudications qui ont été faites,
un seul de ces bateaux coûte 24 mille et quelques cents francs. il en faut
trois ; ainsi c’est une somme de 75 mille fr. environ que nécessitera cette
construction ; deux sont réclamés à Ostende ; un est indispensable aux bouches
de l’Escaut, pour renforcer le service belge. Ce service est tellement faible
qu’il peut à peine suffire au service courant et fournir de pilotes les navires
qui en demandent.
Pendant
que le pilotage hollandais entretient constamment huit bateaux-pilotes devant FIessingue, le pilotage belge ne peut jusqu’à présent en
mettre que cinq à cette station.
Il est donc indispensable, pour pouvoir soutenir la concurrence, d’en
avoir au moins un de plus, sans compter le bateau destiné à l’instruction des
élèves-pilotes.
M. Mast de Vries. - Je
n’ai pas le moins du monde envie de m’opposer aux améliorations que M. le
ministre se propose d’introduire dans la marine, et notamment dans le service
du pilotage. Si j’ai voté pour l’amendement de l’honorable M. Osy, c’est que je
n’entends pas que le gouvernement continue l’exploitation de la British-Queen. La discussion ne me paraît pas franche. Pour moi, je
ne vois dans cette exploitation qu’une perte immense pour l’Etat.
Qu’arrivera-t-il s’il y a un malheur, ce sera au gouvernement et aux chambres
qu’on pourra l’imputer. Nous ne savons pas à quoi nous nous engageons, nous ne
savons pas où nous marchons. Voilà les motifs de mon vote en faveur de
l’amendement.
En
réduisant d’un dixième la somme demandée pour le personnel, c’est l’équipage de
la British-Queen que j’ai
voulu retrancher. C’est là le but que j’ai voulu atteindre, car, je le répète,
je n’ai nulle envie de m’opposer aux améliorations que se propose
M. le ministre ; mais je ne veux en aucune façon de l’exploitation de la
British-Queen, et je voterai encore pour l’amendement
de M. Osy si le gouvernement ne nous dit pas qu’il ne la continuera pas.
M. le
ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Je
ferai remarquer à l’honorable préopinant qu’il est impossible de songer à
continuer l’exploitation de la British-Queen sans le
crédit de 250 mille francs que la chambre a accordé une première fois. Une
somme pareille serait au moins nécessaire pour le service de l’année prochaine.
Il serait donc injuste et en même temps inutile de faire supporter au budget de
la marine une réduction quelconque, dans la vue d’atteindre ce but. Si le
gouvernement se décide à continuer l’exploitation de ce navire, il formulera
une demande à ce sujet, et ce sera le moment de répondre par un refus, si cette
demande ne paraît pas suffisamment justifiée. Au reste, l’opinion du
gouvernement, je dois l’avouer à la chambre, est encore loin d’être arrêtée sur
ce point, et il serait très possible que l’exploitation de la British-Queen ne fût pas continuée.
J’ai eu
l’honneur de dire que je présenterais un compte-rendu des voyages effectués. La
chambre pourra alors juger et décider en connaissance de cause.
M. de La Coste, rapporteur. - Je
crois qu’il est bien entendu que la question de la British-Queen
reste ouverte ; nous ne la préjugeons en aucune façon en votant le budget de la
marine, puisqu’en réponse aux questions faites par différentes sections, M. le
ministre a annoncé qu’il en ferait l’objet d’une proposition spéciale. Jusqu’à
ce que la question soit résolue, il est logique de maintenir au budget les
dépenses du personnel qui est employé sur la British-Queen,
non comme devant nécessairement avoir lieu, mais comme éventuelles.
Ainsi la
section centrale, sans rien préjuger, a cru devoir admettre l’explication du
ministre, que l’emploi à faire du personnel comprenait également le personnel
de la British-Queen.
Si
néanmoins la chambre plus tard n’admettait pas les propositions qui lui seront
faites, s’il y a lieu, au sujet de la British-Queen,
et qui feront l’objet d’un vote spécial, ce qui aurait été alloué pour le
personnel destiné à ce navire resterait comme économie. Je pense donc qu’il n’y
a pas lieu de se préoccuper ici de la manière dont sera résolue la question de
l’exploitation de la British-Queen.
On se
fait, je pense, une idée exagérée des dépenses de notre marine. On suppose
qu’elles absorbent près d’un million, tandis qu’un quart au moins du montant du
budget est employé pour le pilotage.
Or, quant
au pilotage, on se tromperait si l’on croyait que le trésor est grevé de ce
chef. Je ferai observer sur ce point à l’honorable M. Osy qu’une somme de
250,000 fr., qui sera probablement dépassée, figure de ce chef au budget des
voies et moyens et qu’on ne porte en dépense que 246,000 fr. Ainsi, sous ce
rapport, il n’y aura pas de charge pour le trésor.
Je ferai
observer encore que les mots personnel
et matériel, au chapitre des
bâtiments de guerre, paraissent avoir occasionné quelque malentendu ; on semble
croire que les dépenses du matériel se rapportent exclusivement à l’entretien
des vaisseaux ; il n’en est rien ; avec le crédit personnel ou paie la solde ;
avec le crédit matériel on paie les vivres. C’est là du moins l’objet principal
du crédit.
M. le
ministre des affaires étrangères a expliqué à la section centrale (il n’est pas
toutefois entré dans des détails) que sur l’exercice précédent il y avait en
des économies considérables, quant à la solde et aux vivres, parce qu’on avait
cédé une partie du personnel à des armateurs qui demeuraient chargés des
dépenses de cette nature ; mais que cette économie n’aurait plus lieu, attendu
qu’outre le service de la British-Queen on a placé
les équipages sur le Macassar et le Comte de Flandre, bâtiments à bord desquels
il est pourvu à ces dépenses aux frais de l’Etat, à raison de l’importance
qu’on a attachée à leur emploi pour le commerce et l’industrie. Je conviens avec
M. le baron Osy que s’il s’agissait d’un service permanent, cela pourrait
donner lieu à des objections ; on pourrait convenir qu’il faut plus attendre de
la concurrence que de l’intervention du gouvernement, dans ce qui a rapport au
commerce, lorsqu’une fois il a pris son essor et bien établi ses relations ;
mais il s’agit d’encourager des services nouveaux ; cela rentre dans la
catégorie des fonds alloués au budget de l’intérieur pour certaines lignes de
navigation. Ce sont des encouragements d’une autre nature, mais qui ont le même
objet.
Il paraît
cependant maintenant que, malgré ces dépenses nouvelles, il y a lieu d’attendre
des économies sur la solde et sur les vivres. Ceci ne semblait pas résulter des
renseignements qui nous avaient été communiqués ; on devait, ce me semble, en
conclure que les crédits seraient absorbes ; et c’est dans cette hypothèse que
nous en avons propose l’adoption.
Il paraît
cependant, dis-je, qu’on s’attend à des économies et qu’on leur assigne une
destination, non pas seulement utile, mais même nécessaire, la construction de
trois embarcations pour le pilotage ; on nous assure que ce serait une dépense
productive, et qui rapporterait au-delà de l’intérêt du capital.
Nous
n’avons pas eu à délibérer sur une proposition semblable à la section centrale.
On a posé à M. le ministre la question de savoir si le gouvernement se
proposait de faire des constructions nouvelles ; il a résolu cette question
négativement, en ajoutant seulement qu’il serait désirable de construire de
nouvelles barques de pilotage.
Cette
dépense ne nous était donc pas présentée alors comme le ministre la présente
maintenant.
Les choses ne sont donc plus les mêmes que quand nous nous en sommes
occupés. Je ne sais s’il ne serait pas plus régulier d’admettre la réduction
déjà votée sur les vivres et la solde, sauf à présenter un crédit spécial de
75,000 fr.,, ou de telle autre somme qui serait jugée nécessaire pour les
dépenses extraordinaires relatives au pilotage.
M. Lebeau. - Je prends acte
de la déclaration de M. le ministre des affaires étrangères, que la réduction
qu’il a pu opérer sur le budget que j’ai défendu au sénat s’élève à près de
200,000 fr. J’ai combattu une réduction de 77,000 fr. J’ai demandé qu’on me
laissât le soin d’opérer des réductions. Je vois que l’on a pu les réaliser
dans une proportion considérable, puisqu’elles ont été triples de celle que
j’avais combattue.
C’est
toujours avec regret que je combats des propositions faites dans un but
d’amélioration administrative. Ce qu’a dit M. le ministre des affaires
étrangères des améliorations à introduire dans le pilotage m’aurait frappé,
s’il avait conformé ses conclusions à ses prémisses. Je prie la chambre de
remarquer que l’on n’a pas touché au chiffre proposé par M. le ministre des
affaires étrangères pour les dépenses du pilotage. M. le ministre a reçu pour
le service du pilotage, tant en matériel qu’en personnel, le chiffre intégral
porté dans son budget. S’il y a insuffisance dans le chiffre du pilotage, tel
que les besoins en ont été appréciés par M. le ministre, il ne lui servira de
rien de demander que la chambre annule, au chap. Il, Bâtiments de guerre
(personnel et matériel), la réduction qu’elle a fait subir au chiffre de ce
chapitre ; car n’ayant pas le droit de transfert, il ne pourrait faire usage de
la somme dont il s’agit au profit du service du pilotage. Je ne suis donc pas
frappé de l’argumentation de M. le ministre ; elle a un peu l’air d’un
raisonnement trouvé après coup, et employé en désespoir de cause.
Je ne
dirai plus qu’un mot pour justifier mon vote, ou plutôt l’abstention dans
laquelle je crois devoir persister. Je ne crois pas que l’on puisse traiter
incidemment une question aussi importante que celle de l’exploitation de la
British-Queen. Je ne crois pas que ce soit
incidemment qu’on puisse venir voter la continuation ou l’interruption d’un
service qui a été l’objet d’une discussion solennelle et approfondie et d’une
loi spéciale. Je ne me refuse pas à ce qu’on examine bientôt la question de savoir
s’il y a lieu à continuer l’exploitation de la British-Queen
; mais je ne crois pas, je le répète, qu’une discussion aussi importante puisse
venir incidemment à propos de la discussion d’un amendement au budget du
département de la marine. Je crois donc devoir protester contre
l’interprétation que l’on croirait pouvoir donner au vote affirmatif ou négatif
sur l’amendement de M. Osy.
L’argument
que tire M. le ministre de la nécessité de conserver un personnel considérable
pour le service de la British-Queen me paraît aussi
empreint d’une certaine exagération. Le personnel de la marine est d’environ
600 hommes, tant officiers que soldats ; et, si je ne me trompe, la British-Queen n’emploie que 30 a 40 personnes, tant officiers que
soldats, en supposant que tout le service soit fait entièrement par des
indigènes, ce qui, je pense, n’a pas encore lieu. Ainsi il ne s’agirait pas
même du dixième du personnel de la marine. Ce dixième du personnel, vous pouvez
très bien le prendre, sans augmenter la dépenses dans le personnel devenu
disponible par la mise hors de service des bâtiments en état de vétusté. Ce
personnel est votre disposition. Vous pouvez aussi changer les positions, mais
avec tous les ménagements convenables ; car la réduction, de ce chef, est très minime.
Quant au pilotage, je le répète, on n’y touche pas. S’il y a, à cet
égard, de nouveaux besoins, il faut que le ministre demande que ce crédit soit
augmenté. Mais il ne peut trouver là un moyen pour combattre l’amendement
présenté par l’honorable M. Osy.
M. le
ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Ce que
j’ai voulu faire en prenant le premier la parole dans cette discussion, ç’a été d’appeler l’attention de la chambre sur les charges
auxquelles elle serait probablement appelée à pourvoir en persévérant dans la
voie ouverte par le vote d’avant-hier. Mais je ne crois pas avoir dit que le
service serait arrêté si cet amendement venait à prévaloir. Je dois reconnaître
que le service pourra se faire, y compris celui de la British-Queen, et que la réduction n’entraînera pas pour le
ministre l’impossibilité de mettre le nombre de marins nécessaire à bord de la
British-Queen.
Je
saisirai cette occasion d’apprendre à l’honorable préopinant que le service
intérieur de la British-Queen est fait maintenant
exclusivement par des marins nationaux. Il n’y a d’étrangers que les
ingénieurs, chauffeurs et mécaniciens.
Ce que je voulais dire et ce que je répète, c’est que si la chambre
admet cette réduction, je fais toutes réserves, quant à la construction des
bateaux-pilotes dont j’aurai besoin pour assurer le service du pilotage.
M. Desmet. - Je ne sais si
j’ai bien compris l’honorable rapporteur ; mais il me semble qu’il a dit que le
service de la British-Queen ferait l’objet d’une
discussion particulière, après que nous aurions reçu le rapport du gouvernement
sur ce service. Cependant quand j’entends M. le ministre des affaires
étrangères et d’autres membres, il me semble que le crédit en discussion comprend
la somme nécessaire pour l’exploitation de la British-Queen,
quant au personnel, sauf que si ce personnel n’est pas employé ainsi, on pourra
l’employer à bord d’autres bâtiments.
Dans ce
cas, messieurs, je voterai pour le crédit pétitionné par le gouvernement,
puisque ce crédit doit aussi être employé pour le pilotage et pour la garde de
nos côtes. Je ne voudrais pas refuser les sommes nécessaires à cet objet, parce
que le commerce a réellement besoin que le pilotage soit bien organisé, et que
nos côtes, tant celles de l’Escaut que de la mer, soient bien gardées. Car
c’est sur les longues côtes depuis Anvers jusqu’à la mer que la fraude se fait
surtout. Si vous renforcez vos mesures de douane, il faut aussi renforcer la
garde de vos côtes.
Je dis
donc que si la somme pétitionnée avait été demandée pour l’exploitation de la
British-Queen, bien qu’une loi
existe sur cette exploitation, alors encore je me serais abstenu, parce qu’il
me semble qu’avant de continuer le service de ce navire, il faut savoir à quoi
s’en tenir, si le résultat a été heureux pour notre commerce et s’il n’a pas au
contraire été dangereux pour ceux qui montaient ce grand steamer.
M.
Rodenbach. - Je répondrai à l’honorable membre que la
somme réclamée ne peut l’être pour l’exploitation de la British-Queen, car il faudrait des fonds bien plus considérables si
l’on voulait continuer le service de ce navire. Mais, messieurs, les Hollandais
ont huit bateaux pilotes sur l’Escaut. Or, il me semble que nous faisons plus
d’usage de l’Escaut que les Hollandais ; l’Escaut est plutôt un fleuve belge
que hollandais, surtout depuis que l’on a proclamé la liberté de l’Escaut. Je
ne vois donc pas pourquoi nous n’aurions pas, comme nos voisins, huit bateaux
pilotes. Remarquez, d’ailleurs, que depuis le traité avec la Hollande nous
avons une station à Flessingue.
On ne
peut vouloir que sur ce fleuve, le plus important pour notre commerce, les
Hollandais aient huit bateaux pilotes, et que nous n’en ayons que cinq. Il me
semble donc que la somme nécessaire pour que nous ayons huit bateaux pilotes
doit être votée. Je suppose que, si l’amendement de M. Osy n’est pas accepté,
M. le ministre des affaires étrangères nous demandera un transfert. Car ce qu’a
dit l’honorable M. Lebeau est très rationnel : le crédit que nous allons voter
ne pourrait servir à la construction de bateaux-pilotes sans qu’il vous soit
demandé un transfert. li vaudrait peut-être mieux que M.
le ministre nous demandât un crédit spécial, et je déclare, quant à moi, que je
voterai les 75 mille fr. nécessaires aux constructions dont il a été parlé. Car
je veux que nous ayons sur l’Escaut autant de bateaux pilotes que les
Hollandais ; cela est nécessaire dans l’intérêt de notre commerce.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Messieurs, l’honorable M. Osy a reproduit, à plusieurs reprises, une
observation à laquelle je tiens à répondre un mot.
Il a
demandé pourquoi il faut aujourd’hui au gouvernement belge qui exploite le
pilotage, des moyens que n’avait pas la ville d’Anvers lorsqu’elle exploitait
ce service. La raison est très simple, lorsque la ville d’Anvers exploitait le
service du pilotage, nous n’avions pas le droit d’avoir des pilotes à
l’embouchure du fleuve ; nous n’avions pas de stations à terre ; c’était un
service extrêmement restreint ; c’était une espèce de succursale, fort
incomplète encore, de Flessingue.
Il s’agit
aujourd’hui de constituer un service de pilotage d’après les principes du
traité de 1839 et du traité nouveau. Il faut un contrôle qui alors n’était pas
nécessaire.
Je crois
donc, avec M. le ministre des affaires étrangères, qu’il faudra augmenter le
nombre des bateaux-pilotes que nous avons déjà.
La
chambre doit se rappeler qu’en 1839, peu de temps après le vote du traité, elle
a autorisé le gouvernement à construire trois bateaux pilotes. J’étais alors
ministre des travaux publics et de la marine. Mais ce nombre est très
insuffisant, il faudra l’augmenter.
Je tenais à faire ressortir la différence qu’il y a entre l’ancienne
position, lorsque la ville d’Anvers exploitait le service du pilotage, et la
position nouvelle où ce service se trouve exploité par le gouvernement belge.
M. Osy. - Je ne veux pas préjuger la question de la
British-Queen ; je n’en ai pas parlé ; j’ai seulement
dit que si l’on se décide à l’exploiter encore, il vous suffira d’y employer
cinquante marins, et, que cela ne nuira nullement au service de nos canonnières
et de nos brigantins.
Je n’ai demande
aucune économie sur le pilotage, et je ne veux pas en demander. Je sais qu’il
est très nécessaire que ce service soit bien organisé. Mais nous avons déjà
huit bateaux-pilotes ; si l’on croit qu’il en faut davantage, M. le ministre
pourrait nous demander pour cet objet un crédit au chapitre IV ; mes économies
ne portent que sur le chapitre II. M. le ministre ne peut faire des dépenses au
chapitre IV, au moyen des économies qu’il fera au chapitre II.
Maintenant
vous dites que le pilotage ne grève pas le trésor. Je prétends moi qu’il le
grève, car anciennement l’administration, qui était composée de 3 négociants
d’Anvers, était gratuite ; et le pilotage se faisait extrêmement bien. Je sais
que nous n’avions pas alors des stations à Flessingue, à Terneuse
et en mer ; mais cela n’empêcherait pas que le service fût exploité par nos
négociants.
Je dois
faire remarquer que d’ailleurs le pilotage n’était pas un revenu pour la ville
; car il était dit que l’excédant de la recette serait employé à payer des pensions
; et que si les revenus augmentaient, ils seraient employés à favoriser la
navigation.
Messieurs,
je le répète, je ne demande pas une réduction sur le pilotage ; mais je demande
que l’on désarme une partie des navires qui sont devant la ville et qui ne
rendent absolument aucun service.
L’honorable M. Desmet prétend qu’il faut des navires pour garder nos
côtes. Mais si les navires dont je parle restent toute l’année en rade, ils ne
nous rendent aucun service sur ce point. Ayez, messieurs, des navires confiés à
l’administration de la douane, ceux-là surveilleront la fraude, et vous pourrez
faire une économie d’au moins 300,000 fr., sans nuire nullement à notre
pilotage.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Messieurs, l’honorable membre demande pourquoi le pilotage n’est plus
administré gratuitement. Mais il aurait fallu, dans tous les cas, un inspecteur
pour l’Escaut ; et aujourd’hui c’est le même homme qui est à la tête de
l’administration du pilotage et qui est inspecteur pour l’Escaut.
M. Osy. Et les commissaires ?
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Il fallait des commissaires pour l’Escaut,
en suite du traité ; et il n’y a pas à cet égard de dépenses nouvelles. Si le
gouvernement n’avait pas repris le pilotage, encore, je le répète, faudrait-il
des commissaires pour l’Escaut.
M. le
ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - J’ai
deux mots à ajouter aux éclaircissements qui viennent de vous être donnés.
On ne
peut comparer le service du pilotage, tel qu’il était établi il y a trois ans,
avec le service actuel. Car alors il ne s’étendait que d’Anvers à Flessingue,
tandis qu’aujourd’hui il va jusqu’aux embouchures de l’Escaut et à la mer.
Vous remarquerez en outre, messieurs, qu’aux bouches de l’Escaut, le
pilotage est facultatif, qu’il y a des stations belges et des stations
hollandaises, et que si les navires, ne pouvant avoir des pilotes belges, sont
obligés de se servir de pilotes néerlandais, le bénéfice pour le trésor est
perdu sans retour et sans compensation.
M. Demonceau. - Messieurs, j’ai
voté le chiffre demandé par le gouvernement, et je ne m’en repens pas. Car je
m’aperçois que la question n’a pas été bien comprise.
A
entendre quelques-uns de mes adversaires, le vote de l’amendement de
l’honorable M. Osy ne préjuge pas la question de l’exploitation de la British-Queen. Eh bien ! je réponds que si, en présence des
explications données, dans l’avant-dernière séance, par M. le ministre des
affaires étrangères en réponse à l’honorable M. Osy, vous retranchez la somme
nécessaire pour payer le personnel qui doit nécessairement servir à la British-Queen, vous préjugez indirectement la question coutre
l’exploitation de ce navire. Et quant à moi, je n’aime pas de trancher aussi
légèrement des questions de celte manière, c’est pourquoi j’ai préféré voter le
chiffre tel qu’il avait été proposé.
Cependant,
messieurs, je dois m’expliquer maintenant sur les observations que vient de
vous donner M. le ministre des affaires étrangères. Je pense qu’il fera, dans
tous les cas, des économies telles qu’elles seront suffisantes pour de
nouvelles constructions, et il nous parle maintenant de bateaux-pilotes.
Avait-il dans ce cas l’intention de nous demander un transfert, comme il l’a
fait l’année dernière, quand il a voulu appliquer les économies du budget de la
marine à l’achat d’un bateau destiné, je crois, au passage d’eau de la
Tête-de-Flandres ? Si telle était son intention, il me
paraît qu’il ferait parfaitement bien de consentir à une réduction sur le
chiffre que nous discutons, et de demander un crédit spécial pour les
constructions qu’il projette. Ce serait plus régulier, tandis que, dans la
manière dont il paraît vouloir procéder, il y a, je ne puis le cacher,
irrégularité. . .
M. de La Coste, rapporteur. - Je
désirerais que M. le ministre des affaites étrangères voulût
bien nous dire s’il abandonne ses propositions primitives et s’il se réserve de
faire une proposition spéciale pour le pilotage. Quant à moi, je préférerais
que l’on réduisit sur le crédit demandé pour les bâtiments de guerre ce que
l’on croit pouvoir épargner, et que l’on fît un article spécial de dépenses
extraordinaires pour le pilotage.
M. le
ministre des affaires étrangères (M. de Briey) -
L’honorable M. Lebeau doit savoir aussi bien que personne que jusqu’à présent
la chambre a laissé une certaine latitude au ministre de la marine, quant à la
construction des navires reconnus nécessaires et aux articles du budget sur
lesquels l’imputation peut avoir lieu. J’étais donc fondé à partir de cette
base.
C’est
ainsi qu’il y a trois ou quatre ans, on a pu construire une corvette avec les
économies opérées sur plusieurs articles du budget, sans qu’il y ait eu
réclamation de ce fait. Le passé pouvait donc bien servir
de garantie pour l’avenir, et devant un pareil précédent je ne puis que
représenter le chiffre du gouvernement, me réservant de demander un crédit
spécial si ce chiffre n’était pas agréé par la chambre.
M. Rogier. - Messieurs,
depuis l’avant-dernière séance la question a entièrement changé de face.
L’honorable ministre des affaires étrangères, revenant sur une opinion qu’il
avait professée dans le sein du sénat, avait insisté auprès de nous pour
obtenir l’allocation tout entière demandée au profit de la marine. Mais il ne
nous avait pas dit que cette somme était aussi applicable aux besoins du
pilotage, et il ne pouvait pas le dire, attendu que le pilotage figure à son
budget sous un titre spécial. Il ne pouvait donc pas être question des besoins
du pilotage, alors que nous votions sur les besoins de la marine militaire.
Depuis
lors, M. le ministre, mieux éclairé, est venu nous dire que l’excédant
disponible serait appliqué à la construction de bateaux-pilotes. Ici, j’ai
raison de dire que la question change entièrement de face. Car moi, j’ai voté
pour la réduction proposée par l’honorable M. Osy ; mais si ce vote devait
entraver le service du pilotage, je voterais contre la réduction. Je veux que
le service du pilotage soit parfaitement organisé, surtout aux bouches de
l’Escaut. Si ce service exige la construction de nouveaux bateaux pilotes, que
M. le ministre nous fasse une proposition spéciale. Si les exigences de la
discussion ne permettent pas que ce soit aujourd’hui, qu’on nous demande plus
tard un crédit spécial pour les besoins du pilotage. A cet égard, je me réserve
mon vote, et il est probable qu’il sera approbatif.
Mais
aujourd’hui, pas plus que dans l’avant-dernière séance, M. le ministre ne nous
a dit un mot pour défendre l’allocation en ce qui concerne les besoins de la
marine militaire. Je dois le dire, je regrette sous ce rapport le silence de M.
le ministre. Je ne puis être plus ministériel que le ministère lui-même ; si le
ministère avait apporté de bonnes raisons à l’appui de l’allocation qu’il a
demandée, je me serais fait un plaisir de voter avec lui dans cette
circonstance, comme dans beaucoup d’autres où il s’est agi de questions
administratives ; la question politique étant toujours réservée.
Messieurs,
je le répète, absolument rien de concluant n’a été dit en faveur de
l’allocation, et M. le ministre avait contre lui son opinion d’il y a deux ans,
il avait en outre contre lui l’opinion de son prédécesseur qui avait dit que
des économies lui semblaient possibles.
Je suis,
messieurs, grand partisan des dépenses utiles, mais je suis aussi partisan des
économies ; je voterai toujours avec empressement toutes les économies qui me
sembleront compatibles avec la marche des services publics.
Eh bien,
mon vote je dois le dire, ne me laisse pas entièrement tranquille sur ce point
; je ne sais pas si l’adoption de l’amendement de M. Osy n’a pas nui, par
hasard, à la marine de l’Etat, et je pense qu’un pays comme le nôtre doit
posséder une marine, bien entendu dans la mesure de ses forces. Déjà,
messieurs, l’esprit maritime n’est pas très développé en Belgique, et si vous
abandonnez la marine aux efforts des particuliers, je pense, contrairement à
l’opinion qui vient d’être émise, que
ces efforts seront très souvent insuffisants.
Il y a,
messieurs, une grande utilité à entretenir sur un bon pied une sorte de
pépinière de marins, non pas seulement pour défendre nos côtes, mais surtout
pour fournir au besoin à la marine marchande des hommes d’équipage, espèce de
subside personnel, qui peut remplacer, suivant l’occurrence, les subsides d’argent.
Dans
l’état actuel des choses, messieurs, je maintiens mon vote pour la réduction
proposée par M. Osy, attendu que rien n’a été dit en faveur du chiffre du
gouvernement. Mais lorsqu’on viendra nous demander un crédit pour la
construction de nouveaux bateaux-pilotes, si l’on nous démontre la nécessité de
ces nouveaux bateaux, je voterai en faveur de l’allocation.
J’ai été
surpris, messieurs, des explications qui ont été données par quelques
honorables préopinants, relativement au vote qu’ils ont émis sur l’amendement
de M. Osy. Dans la dernière discussion, il n’avait pas été question de la
British-Queen. L’honorable M. Osy, dont l’opinion à
cet égard est bien connue, n’en avait pas parlé ; c’était une question
réservée, et l’honorable membre vient encore de dire qu’il ne voulait pas
trancher cette question d’une manière incidente. Cependant un honorable
préopinant a dit qu’il fallait agir franchement et qu’on ne devait pas se
dissimuler que l’adoption de l’amendement de M. Osy entraînait la cessation de
l’exploitation de la British-Queen. Je crois,
messieurs, que, dans l’opinion de la majorité de la chambre, il ne s’est
aucunement agi de préjuger cette question ; la British-Queen
n’est absolument pour rien dans le vote de notre avant-dernière séance.
En effet,
messieurs, je suppose que les 40 ou 60 hommes qui ont été prêtés à la British-Queen, ne servent plus à l’exploitation de ce navire ; eh
bien alors ils pourront trouver emploi sur des navires à voiles, car je ne
suppose pas que l’intention du gouvernement et de la chambre soit de supprimer
toute espèce d’encouragement à la navigation transatlantique ; or la marine
militaire prête des équipages non seulement à la British-Queen,
mais à plusieurs autres navires à voiles. Ainsi au point de vue de l’exploitation
de la British-Queen, il ne faudrait pas voter la
réduction, car si cette exploitation n’est pas continuée, le personnel qui y a
servi pourra être très utilement employé ailleurs.
Je le
répète, messieurs, la question de la British-Queen
n’est en aucune manière décidée ; elle reste entière, et c’est sous cette
réserve que j’ai voté en faveur de la réduction.
Messieurs,
il a été dit de divers côtés que la marine belge était revenue un peu effrayée
du dernier voyage sur la British-Queen ; c’est avec
une bien grande peine que, quant à moi, j’ai vu donner de la publicité à une
semblable nouvelle. Je ne comprends pas ces sortes de frayeurs qu’éprouveraient
nos marins à l’idée d’une mer furieuse ; je pense que nos marins savent
s’exposer aux dangers que courent tous les marins du monde ; je n’ai jamais ouï
dire que le capitaine anglais, que l’équipage anglais ait éprouvé des craintes
telles, dans les voyages de la British-Queen et
qu’ils se soient refusés à en faire le service. J’aime à croire que les marins
belges ont autant de courage que les marins anglais. Il est possible qu’à la
suite d’une tempête extraordinaire, le lendemain de leur arrivée et encore
fatigués et affaiblis par le voyage, quelques-uns de ces marins se soient
livrés à une espèce de découragement, mais je suis persuadé qu’aujourd’hui ils
envisagent les choses avec plus de sang-froid, et que si le gouvernement
continue à exploiter la British-Queen, ils se
disputeront l’honneur de monter de nouveau ce navire.
S’il en devait être autrement, si les services de notre marine ne
devaient pas s’étendre au delà d’un stationnement dans l’Escaut, je
commencerais à douter de son utilité et n’hésiterais pas à voter de nouvelles
réductions.
M. le
ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Je
crois devoir protester, au nom de la marine, contre les bruits outrageants qui
ont pu se faire jour en dehors de cette enceinte et qui n’étaient point encore
parvenus jusqu’à moi. La marine a donné assez de preuves que de semblables
sentiments n’avaient point de prise sur elle, et sans aller plus loin elle l’a
prouvé encore à l’occasion de la British-Queen,
lorsqu’après le premier voyage pendant lequel ce navire avait couru les plus
grands dangers auxquels il ait encore été expose, les marins de l’Etat ont
regardé comme un honneur d’être choisis pour remplacer l’équipage anglais que
l’on s’était décidé a congédier ; en s’arrêtant à ce parti, on savait d’avance
que ce service nouveau serait accepté comme un poste honorable par ceux qui
auraient été choisis, et effectivement pas un seul n’a réclame une autre
destination, pas un seul n’a méconnu, pendant les dures traversées, les devoirs
que ce choix lui imposait.
On est
revenu plusieurs fois sur l’opinion que j’ai émise au sénat, et je dois, avant
de finir, m’expliquer franchement sur ce point. Mon honorable prédécesseur
demandait alors au sénat le chiffre porté encore à présent au budget, et il
faisait en même temps connaître qu’il se proposait de vendre trois ou quatre chaloupes
canonnières ; en présence de cette réduction du matériel, l’honorable M. de Pelichy crut qu’il était rationnel de réduire, dans une
proportion en rapport avec les réductions que l’on se proposait d’introduire,
le chiffre du personnel et du matériel ; c’est dans ce sens qu’il proposa son
amendement, et c’est dans ce sens que je l’appuyais. Mais je dois dire à la
chambre que si l’honorable ministre de la marine d’alors, à côté de la
réduction dont il annonçait la réalisation prochaine, nous eût présenté des
projets d’augmentation, soit, comme je le fais, pour venir en aide au commerce
et l’industrie, au moyen d’équipages accordés pour des entreprises lointaines,
soit pour des constructions résultant de nécessités nouvelles, assurément
alors, bien loin de soutenir l’amendement, j’eusse défendu le projet
ministériel, de même que je l’ai fait dans cette enceinte.
M. le président. - Si personne ne
demande plus la parole, je vais mettre aux voix le chiffre du gouvernement.
Plusieurs membres. -
L’appel nominal !
M. le ministre des affaires étrangères (M. de
Briey) - D’après ce que je viens de dire, je crois, pour
épargner les instants de la chambre, ne devoir plus insister sur le chiffre du
gouvernement, d’autant plus que les différents orateurs qui se sont succédé,
ont semblé reconnaître la nécessité du crédit que je me propose de demander
pour les bateaux-pilotes, et qu’en ce cas le résultat matériel serait à peu
près le même pour le budget de la marine.
M. le président - Il faut toujours
que le chiffre adopté au premier vote soit mis aux voix.
M. de Theux. -
D’après les dernières paroles de M. le ministre des affaires étrangères, il est
clair qu’il renonce à son chiffre, se réservant de présenter un projet de loi
spécial. Je crois donc que nous pouvons voter par assis et levé, puisque par
suite de la déclaration de M. le ministre, nous serons nécessairement unanimes.
- Les
amendements introduits dans le budget au premier vote sont successivement mis
aux voix et définitivement adoptés.
Vote sur les
articles et sur l’ensemble du projet de loi
L’art.
1er du projet de loi, qui fixe le chiffre du budget de la marine pour
l’exercice de 1843 à 883,716 fr. 05 c., et l’art. 2, qui rend la loi
obligatoire à dater du 1er janvier prochain, sont ensuite adoptés sans
discussion.
Il est
passé au vote par appel nominal sur l’ensemble du budget de la marine.
Il est
adopté à l’unanimité des 81 membres présents. Il sera transmis au sénat.
PROJET DE LOI
PORTANT LE BUDGET DU DÉPARTEMENT DE L’INTÉRIEUR POUR L’EXERCICE 1843
Discussion générale
M. le président. - Je demanderai
d’abord à M. le ministre de l’intérieur s’il se rallie aux propositions de la
section centrale,
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a
quelques modifications partielles que je pourrai accepter, je les indiquerai
dans le courant de la discussion. Je maintiens donc les propositions du
gouvernement.
M. le président. - La
discussion s’établit en conséquence sur le projet du gouvernement.
La
discussion générale est ouverte. La parole est à M. Mercier.
M. Mercier. - Un fait de la
nature la plus grave nous est révélé par des informations qui nous parviennent
de toutes les parties du royaume, et surtout des provinces dans lesquelles des
élections générales doivent avoir lieu au mois de juin prochain. Des personnes
n’acquittant pas le cens requis pour être investies de la qualité d’électeurs,
déclarent, soit une profession qu’elles n’exercent pas, soit des bases qu’elles
ne possèdent pas pour parfaire la somme de contribution requise pour avoir le
droit de faire partie du corps électoral, comme si ce droit pouvait s’acheter,
comme si le cens électoral était autre chose, dans l’esprit de la loi, que
l’indice d’un intérêt d’ordre et de conservation de la part de celui qui peut le
justifier sans avoir fait usage de moyens frauduleux. Jusqu’ici messieurs, les
abus de cette nature ont parfois été signalés, mais ils étaient partiels, peu
nombreux, et exerçaient sans doute une influence trop faible et trop peu
constatée sur les résultats des élections, pour attirer la très sérieuse
attention du gouvernement. Aujourd’hui, ils semblent avoir pris un tel
caractère de généralité qu’ils présentent des dangers auxquels il importe de
soustraire le pays ; les tolérer, ce serait substituer la fraude à la vérité,
le fait au droit, ce se serait saper par sa base tout notre régime
constitutionnel, ce serait se rendre complice de calamités publiques, dont il
est impossible de prévoir toute l’étendue. Je n’attribue, messieurs, ces
fraudes spécialement à aucune opinion ; je les signale à tous mes honorables
collègues, je les signale à tous les amis de la tranquillité publique, à tous
les amis des institutions nationales ; je les considère comme constituant dans
leur ensemble l’événement le plus grave et le plus dangereux qui se soit
produit depuis notre émancipation politique. Confiant dans la moralité de la
nation, le législateur a fixé à un taux très faible le cens électoral en
Belgique ; ne permettons pas que quelques ambitieux égarés portent atteinte au
caractère national et traînent à leur suite des hommes faibles ou ignorants ;
chacun comprendra la portée de pareilles manœuvres ; en supposant qu’une
moyenne de 10 fr. soit nécessaire pour compléter le cens électorat pendant 2
ans, une somme de 10,000 fr,, suffirait pour créer 200 faux électeurs ; nous
avons vu très souvent que dans nos luttes électorales les majorités ne
l’emportent que d’un petit nombre de voix. Ainsi, au moyen de quelques
sacrifices pécuniaires, on acquerrait par la fraude le droit de siéger dans
cette enceinte ; et, messieurs, il n’y aurait plus de véritable représentation
nationale en Belgique.
Je demande si ces faits, aujourd’hui de notoriété publique, ont été
dénoncés, soit officiellement, soit officieusement à M. le ministre de
l’intérieur, quelles mesures il a prises, quelles instructions il a données
pour en prévenir les funestes conséquences ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Messieurs, je me joins à l’honorable préopinant, pour flétrir les mauvais
moyens, de quelque côté qu’ils viennent. Les faits que l’honorable préopinant a
signalés ne sont pas parvenus officiellement à la connaissance du gouvernement.
Je dois dire cependant que M. le ministre des finances a été instruit d’un fait
de ce genre, il y a quelques jours, par un directeur de province ; il s’en
expliquera probablement tout à l’heure. Quant à moi, je n’ai reçu aucune
information officielle, mais je crois que le gouvernement doit faire une
enquête sévère sur ce qui se passe. Nous savions par les journaux que depuis
longtemps, dans différentes circonstances, on avait supposé qu’à la veille des
élections on avait augmenté le nombre des électeurs, entre autres, au moyen des
patentes. Ce fait a été signalé non pas officiellement, mais par la rumeur
publique, aux différents ministres qui se sont succédé.
La
question est de savoir comment on peut légalement empêcher un fait de ce genre.
Je ne sais jusqu’à quel point les lois en offrent en ce moment le moyen ; mais
je n’hésite pas à dire que si des faits de ce genre se généralisaient, et que
la législation fût impuissante, il faudrait que le gouvernement s’adressât à la
législature, pour trouver le moyen de repousser celui qui, à l’aide d’une
déclaration fictive, veut devenir électeur. Il faudrait que M. le ministre des
finances pût prendre une attitude nouvelle, qu’il pût dire aux contribuables :
« Je refuse l’argent que vous m’offrez, par exemple, à raison d’un cheval
que vous n’avez pas, d’un domestique que vous n’avez pas ; d’une profession que
vous n’exercez pas. »
Si la législation n’est pas suffisante, il faudrait, je le répète, que
M. le ministre fût mis à même de tenir ce langage. Il faut que les électeurs
soient sincères ; et si ces faits se généralisent, ils prendraient, comme l’a
dit l’honorable préopinant, un caractère de gravité extrême ; ils amèneraient
une véritable démoralisation.
M. Lebeau. - Messieurs, je
prends acte des paroles de M. le ministre de l’intérieur. Je dirai que je n’en
suis pas surpris ; il ne s’agit pas, en effet, ici d’une question de ministère
et d’opposition, ni d’une question de partis ; il s’agit d’une question de
probité politique ; il s’agit d’une question de paix publique, d’une question
d’ordre intérieur, d’une question qui intéresse tous les partis.
Les faits
qui ont été signalés par un de nos honorables collègues et qui n’ont pas été
niés par le gouvernement, me sont aussi connus, en partie, par le séjour que
j’ai fait dernièrement dans le chef-lieu d’un arrondissement, où la clameur
publique signale de nombreuses fraudes électorales et indique les auteurs de
ces manœuvres, employées sur une large échelle.
Je suis
grand partisan du régime représentatif, je suis grand partisan du principe de
l’élection qui en fait la base ; mais c’est à condition que le gouvernement
représentatif soit une vérité ; c’est à condition que le principe de l’élection
ne soit pas un scandaleux mensonge. Mieux vaudrait pour l’ordre public, pour la
tranquillité intérieure, pour la moralité nationale, un gouvernement absolu,
qu’un gouvernement représentatif qui ne serait qu’une odieuse contre-vérité.
Messieurs,
les faits existent. C’est un devoir pour chacun de nous d’apporter au
gouvernement et à cette chambre, à chaque occasion qui s’en présentera, tous
les éclaircissements qui peuvent faire apprécier l’étendue et la gravité du
mal, l’étendue et la gravité du danger. Oui, messieurs, le gouvernement
représentatif vit surtout de sincérité. L’ordre chez nous, en présence
d’institutions aussi démocratiques que celles sous lesquelles nous vivons,
l’ordre chez nous ne peut subsister, à côté d’une telle liberté, que par le
profond sentiment de la légalité ; la légalité doit être le culte de toutes les
opinions.
Si un
jour il pouvait s’accréditer dans les esprits l’opinion que la représentation
nationale n’est plus le produit d’un loyal usage du droit électoral, de
l’opinion sincère, légale, du pays, d’un vœu national dont la sincérité a été
constatée par tous les moyens que la loi a crées, alors, messieurs, comme l’a
dit tout à l’heure un honorable député, aux yeux du pays on aurait substitué la
fraude à la vérité, le fait au droit. Si une telle conviction pouvait pénétrer
dans les esprits, on appellerait sur le pays les chances les plus effrayantes
pour tous les amis de l’ordre public, pour tous les amis de nos institutions.
J’insiste
donc fortement pour que M. le ministre de l’intérieur continue les
investigations auxquelles il paraît déjà s’être livré pas suite de quelques
informations partielles. Si de ces investigations il
résulte, comme je le crois, qu’en effet la fraude se pratique sur une large
échelle, n’importe dans l’intérêt de quelle opinion, car toutes les opinions
doivent la condamner, que M. le ministre de l’intérieur vienne demander à la
législature les moyens de faire respecter la loi, de protéger, d’assurer la
sincérité de nos institutions, et il trouvera sans doute de l’appui sur tous
les bancs de cette chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Messieurs, je n’ai pas nié les faits, mais je ne les ai pas non plus reconnus ;
il ne m’appartient pas encore de les apprécier. Je suis décidé, je le répète, à en faire l’objet d’une enquête ; mais je dois dire,
pour être juste, que d’après les bruits tels qu’ils sont parvenus au ministère,
l’accusation pèserait sur toutes les opinions, sur tous les partis. On accuse
les uns et les autres d’avoir recours à ce moyen. Voilà ce que je tiens à
déclarer, pour qu’on ne donne pas à mes paroles une portée qu’elles n’ont pas.
M. de Theux. -
Messieurs, la question qu’on vient de signaler n’est pas nouvelle, mais cela
n’empêche pas qu’elle ne soit extrêmement grave, comme l’a dit l’honorable M.
Mercier. Déjà nous avons appris que quant aux élections communales, on avait,
dans quelques communes, tellement augmenté le nombre des électeurs, que le sort
de l’élection était décidé à l’avance. C’est ce qui expliqué l’élimination de
quelques bourgmestres dont la réélection eût été certaine.
Des faits
semblables se sont même présentés antérieurement, en ce qui concerne les
élections aux chambres ; mais jusqu’ici j’ai cru devoir garder le silence,
parce qu’il semblait qu’en pareil cas on usait du droit qui avait été reconnu
sans contradiction lors de la discussion de la loi communale, du droit
d’augmenter les bases de l’impôt dans les déclarations.
Mais
aujourd’hui qu’il semble, d’après ce qui vient d’être dit, que ces faits ont
pris un caractère plus grave, ont pris plus d’extension…
M. le ministre des finances (M. Smits), M. Mercier et M. Verhaegen demandent
simultanément la parole.
M. de Theux. - Je
pense que le gouvernement doit d’abord constater les faits, examiner ensuite
quels sont ses droits en cette matière et en troisième lieu quels sont les
moyens de porter remède à l’abus qu’on a signalé ; car ces
faits, fussent-ils même les conséquences de l’exercice d’un droit légal, il en
résulterait un abus réel pour les élections. C’est un point sur lequel
j’appelle également l’attention du gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Smits) -
Messieurs, ainsi que vient de le dire l’honorable M. de Theux, l’abus qu’on a
signalé n’est pas nouveau. Son existence a été souvent révélée à
l’administration, lors des élections antérieures, et je dois dire à la chambre
qu’on aurait tort de le croire aujourd’hui plus grand qu’il ne l’était
autrefois, puisque je n’ai reçu que d’un seul directeur de province un rapport
qui me le signale. Ce fonctionnaire me fait connaître que des personnes
augmentent la valeur de leur mobilier, que d’autres déclarent des chevaux et
des domestiques qu’ils n’ont pas ; enfin qu’il en est qui prennent des patentes
pour des professions qu’on n’exerce pas.
Maintenant,
je dirai à la chambre que les lois n’obligent pas les contribuables à justifier
de la possession d’un cheval ou d’un domestique, et qu’elles ne leur
prescrivent pas non plus de justifier de la valeur de leur mobilier.
Que
devais-je faire dans cette circonstance ? Je crois que je devais faire ce que
j’ai fait. J’ai écrit au directeur des contributions de la province, qui m’a
signalé les faits dont je viens de parler, que pour la contribution
personnelle, il n’y avait aucun moyen coercitif dans le moment actuel pour
empêcher les abus qu’il me dénonçait, mais que, quant aux patentes, il ne
pouvait les admettre pour une année entière alors qu’un semestre serait écoulé.
Qu’au surplus j’examinerais la question d’une manière plus spéciale encore et
que je lui ferais connaître la décision qui serait prise ultérieurement.
Mais, je le répète, je n’ai reçu qu’un seul et unique rapport.
M. Verhaegen. - Messieurs, c’est
moi qui le premier ai signalé dans cette enceinte l’abus grave dont vient de
vous parler l’honorable M. Mercier. Je l’ai signalé il y a à peu près 45 jours,
alors que l’honorable comte de Mérode, cédant a ses habitudes, m’avait attiré de
nouveau sur le terrain électoral. J’ai fait messieurs, un appel à tous les
organes de la presse, quelle que fût leur couleur, à tous les amis de la
constitution et de la nationalité, aux catholiques comme aux libéraux, pour
qu’ils dénonçassent les fraudes qu’ils viendraient à découvrir. Cet appel, je
ne l’ai pas fait en vain.
Déjà des
renseignements nombreux me sont parvenus, et quand le moment sera arrivé, je
m’empresserai de les communiquer à la chambre et au pays. Comme on vous l’a
dit, messieurs, les faits qui forment l’objet de la dénonciation sont
aujourd’hui de notoriété publique, et, ce qui est très significatif, ils ne
sont perpétrés que dans les provinces où des élections doivent avoir lieu au
mois de juin prochain !
M. le ministre des finances (M. Smits) - Je n’ai reçu qu’un seul rapport.
M. Verhaegen. - M. le ministre
voudra-t-il nous dire pour quelle province, ou du moins nous faire connaître si
c’est une province où des élections doivent avoir lieu ?
M. le ministre des finances (M. Smits) - C’est
une province où des élections doivent avoir lieu.
M. Verhaegen. - Ainsi, c’est une
province où doivent avoir lieu des élections au mois de juin prochain.
Il y aura
donc des rapprochements curieux à faire entre ces provinces et les autres
provinces où il n’y aura pas d’élections ; et puis encore des rapprochements
entre les listes d’électeurs de l’année précédente et celles de l’année
actuelle.
Messieurs,
comme je vous le disais, il n’y a qu’un instant, le premier j’ai signalé
l’abus, et je revendique l’honneur de l’initiative, vous ne serez donc pas
étonnés que je condamne la fraude, de quelque part qu’elle vienne.
En
m’exprimant ainsi, je n’ai qu’un but, qui, j’espère, sera commun à tous, c’est
de rester dans la légalité, de prendre le rôle de conservateurs et d’éviter que
le fait ne prenne la place du droit, car ne nous y trompons pas, si un jour le
fait venait à être substitué au droit, ceux qui auraient à se plaindre du fait
répondraient aussi par des faits, et vous comprenez tous les conséquences d’un
pareil régime ; c’est le commencement de la fin, c’est l’émeute, c’est la
révolution !!
En
signalant l’abus, nous voulons en arrêter les progrès et les conséquences, et
on ne suspectera certes pas nos intentions, car si nous avons pris l’initiative
dans une question si grave, c’est que nous avions une conviction profonde,
c’est que le danger nous paraissait imminent.
L’abus
n’est pas nouveau, vous a dit M. le ministre des finances, et un honorable
préopinant l’a dit après lui ; oui, messieurs, il. peut y avoir eu des abus, et
il y en a eu dans tous les temps ; mais si des abus ont existé, ils ont été
bien rares ; ils n’ont pas éveillé l’attention du gouvernement, ils n’ont pas
éveillé surtout l’attention publique. Mais aujourd’hui, ces abus ont lieu sur
une énorme échelle ; ils doivent avoir pour résultat de fausser la
représentation nationale, de faire une chambre qui ne serait que le résultat de
manœuvres frauduleuses et, dans tous les cas, qui ne serait plus l’expression
de la volonté du pays ; l’on comprend toutes les conséquences d’un pareil état
de choses.
On
prétend, messieurs, que les moyens de parer à ces abus sont difficiles, si pas
impossibles ; mais M. le ministre de l’intérieur qui reconnaît la gravité des
faits dénoncés trouvera sans doute un remède au mal, d’accord avec ses
collègues, car c’est au gouvernement à tenir le pouvoir, à le diriger de
manière à faire prévaloir le droit sur le fait, et à prendre des mesures
énergiques, et si le gouvernement venait nous avouer son impuissance, j’espère
qu’il se trouverait parmi nous des membres assez attachés à leur pays pour
prendre l’initiative et assurer le repos public.
Qu’il me
soit permis, messieurs, en terminant ces observations de vous faire remarquer
et surtout de faire remarquer au gouvernement qu’il y a urgence. En effet,
c’est dans le moment actuel que la fraude se commet, et elle continuera à se
commettre jusqu’au 31 décembre. Qu’on se hâte donc de
prendre les mesures nécessaires, qu’on n’attende pas qu’il n’en soit plus
temps, car alors nous, qui avons dénoncé la fraude en temps utile, nous aurions
le droit de rendre le ministère responsable de son inaction ou de sa
négligence, nous aurions le droit de lui reprocher toutes les conséquences d’un
régime de fait.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Messieurs, l’Angleterre a des bills contre les fraudes électorales. Peut-être
la Belgique aura-t-elle un jour des lois de ce genre ? Mais c’est un malheur
quand un pays a besoin de précautions semblables. Des précautions de ce genre
annoncent de fâcheux symptômes !
Je ne
pense pas, messieurs, qu’une opinion quelconque ait ici le droit de s’attribuer
le monopole de la moralité publique. Je crois que tous nous sommes d’accord
qu’il faut que les élections soient sincères, qu’elles soient vraies, qu’elles
ne soient influencées par aucun mauvais moyen.
Nous
avons vu, il y a un an, annoncer en Angleterre qu’on présenterait un bill
nouveau contre les fraudes électorales ; lord Stanley s’est joint à sir R. Peel
pour l’appuyer. Nous verrons sans doute de la même manière des députés
appartenant à des opinions opposées se rencontrer le jour où une loi de ce
genre serait présentée en Belgique. Il faut que tous les mauvais moyens soient
écartés, et s’il était permis de revenir sur le passé, nous pourrions dire que
de mauvais moyens ont été employés qui ont ébranlé la morale publique. C’est
ainsi que, pour ma part, j’ai profondément regretté qu’on ait accrédité la
calomnie de la dîme. C’est un mauvais moyen qui a pu porter ses fruits
momentanément, mais, je le dis avec douleur, ce mauvais moyen a ébranlé la
morale publique, il a porté atteinte à la foi publique, il a fait voir qu’on
peut obtenir le succès par des voies qu’on ne peut hautement avouer.
Les abus
qu’on vous signale aujourd’hui, messieurs, sont anciens, je dois le
reconnaître. La chose s’est remarquée en Belgique aussi bien qu’en France ;
chaque fois que les élections se préparaient, un certain nombre de personnes se
présentaient pour se faire inscrire. Sans doute beaucoup en avaient le droit et
avaient jusque là eu le tort de ne pas user de ce droit. Mais aussi il en est à
qui on aurait pu peut-être contester la qualité d’électeur, si la loi avait
donné le moyen de le faire. Ce moyen, il faut le chercher ; je souhaite qu’on
le trouve, ce n’est pas seulement à l’occasion des élections générales, des
élections qui se font au sujet du renouvellement des deux chambres, que ces
abus out été signalés ; je dois dire qu’ils l’ont été pour les élections
provinciales et communales, et surtout pour les élections communales. Vous
allez en saisir facilement la raison.
Les
électeurs communaux ne sont généralement pas en très grand nombre ; il est
alors très facile de calculer en quelque sorte le nombre de ses partisans, et
de dire tel nombre me manque pour avoir la majorité. C’est un grand
encouragement que de pouvoir se dire : Il ne me manque que 3 ou 4 voix pour
avoir la majorité.
Aussi
a-t-on remarqué qu’au sujet des élections communales, très souvent,
précipitamment, peu avant l’élection, on avait fait inscrire des électeurs plus
ou moins suspects. L’abus est donc ancien. Il a surtout
été signalé pour les élections communales. Je le répète, il faut que tous nous
recherchions les moyens d’y mettre un terme. La représentation nationale serait
faussée dans sa base. Le gouvernement fera une enquête, et, s’il y a lieu, il
présentera un bill sur les fraudes électorales.
M. Mercier. - Les divers
organes du gouvernement me paraissent avoir voulu atténuer en quelque sorte la
gravité du mal, en alléguant que l’abus est ancien. Je ferai observer que
l’abus a existé, mais partiellement, tandis qu’aujourd’hui il se pratique sur
une grande échelle. C’est ce caractère de généralité qui le rend dangereux, et
qui doit provoquer toute l’attention du gouvernement.
M. le
ministre de l’intérieur nous a dit qu’il se proposait de faire sur cet objet
une enquête sévère. Je prends acte de ses paroles, et je l’en remercie ; mais
cette enquête doit être faite immédiatement.
M. le
ministre des finances possède tous les moyens de connaître bien promptement la
vérité ; il suffit de comparer, dans chaque commune, les rôles de la
contribution personnelle et du droit de patente de cet exercice, surtout du
dernier trimestre, avec ceux de l’exercice précédent ; on arrivera facilement
par ces moyens à constater quels sont les faux électeurs.
J’espère
que le gouvernement agira avec une entière loyauté, c’est-à-dire, qu’il donnera
de la publicité aux instructions qu’il tracera aux fonctionnaires publics
chargés de lui adresser des rapports. Il faut que les fonctionnaires sachent
quelle immense responsabilité pèserait sur eux, s’ils manquaient à leur devoir,
s’ils cachaient des abus de cette nature. Il faut que le gouvernement provoque
de tous les receveurs et contrôleurs des contributions des rapports spéciaux
sur les fraudes électorales qui se préparent. En suivant cette marche, peu
d’abus échapperont aux investigations du gouvernement.
Puisque
cette enquête doit avoir lieu dans un délai rapproché, je demande que le
gouvernement présente à la chambre un rapport, dans la première quinzaine de
janvier, sur les mesures qu’il aura prises et sur les
résultats obtenus. Il est très possible au gouvernement de réunir pour cette
époque tous les renseignements nécessaires sur les faits qui, en ce moment,
inquiètent le pays.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable M. Verhaegen a dit, qu’il
avait des renseignements particuliers. Je n’ai pas le droit de les lui
demander. Mais je déclare qu’il me fera grand plaisir s’il me les donne
spontanément.
M. de Mérode. - Dans les
premières élections qui suivirent la révolution, l’on agissait avec simplicité
et bonne foi, on n’employait ni les transports ni les dîners gratuits. Une
nomination de représentant ne coûtait rien à l’élu. Depuis quelque temps ce
mode honorable commence à se modifier. Un candidat est soumis à des frais qui
pourront s’augmenter successivement et transformer une élection en un marché ;
mais ce qui est pis encore, l’emploi de la violence a eu lieu pour effrayer d’honnêtes
électeurs. Il est connu qu’à Ath des personnes ont même couru risque de la vie,
et cependant nous n’avons encore appris le résultat d’aucune poursuite, bien
que les faits ne soient pas douteux.
Messieurs,
selon les termes dont s’est servi l’un des préopinants, je l’aurais mis sur le
terrain qu’il vient d’explorer. Comme je n’ai pas encore eu la parole, le
préopinant a probablement fait allusion à mon discours sur les voies et moyens,
ou plutôt à la manière dont lui-même, en mon absence, présenta ce discours dans
lequel je repoussais, seulement en passant, les reproches adressés au ministère
pour les modifications demandées et obtenues à l’égard de la loi communale.
Je
n’avais donc mis personne sur le terrain où mon contradicteur vient de répéter
encore que je l’ai placé. Je m’y suis posé
accidentellement parce que j’y avais été appelé par des orateurs précédents ;
je traitai spécialement, au contraire, l’objet de la discussion, c’est-à-dire
les voies et moyens, à l’ordre du jour en ce moment. Je réclame ainsi les
souvenirs de la chambre, désirant que l’on ne m’attribue que ce qui
m’appartient.
M. de La Coste. - M. le ministre
de l’intérieur a annoncé une enquête ; j’espère qu’elle sera complète, qu’elle
embrassera non seulement les fraudes qui ont été indiquées, mais d’autres
encore qui m’ont été signalées et sur lesquelles cependant je n’ai pas de
renseignements assez positifs pour en entretenir la chambre. Je dirai seulement
qu’il s’agit de certificats de complaisance qui attesteraient des contributions
non assises sur une base fictive, telles que celles dont on a parlé, mais qui
n’existeraient absolument pas.
L’enquête
que nous appelons s’étendra, j’espère, à toutes les fraudes et aura pour
résultat des mesures qui assureront, sous tous les rapports, la pureté, la
sincérité, la sécurité des élections.
J’appelle
donc l’attention de M. le ministre sur les faux bruits répandus au moment de
l’élection, sans qu’il soit possible d’y répondre, et qui sont une violence
morale faite aux électeurs.
J’appelle
son attention non seulement sur les violences morales, mais sur les violences
de fait, qui ont été récemment signalées. Je n’ai pas assisté aux élections où
l’on assure que ces violences ont eu lieu ; je ne puis rien affirmer à cet
égard. Mais il suffit que de tels faits aient été signalés pour qu’il importe
d’aviser aux moyens de les rendre, s’il se peut, impossibles.
On a dit
que les manœuvres qui vous ont été dénoncées appelaient l’émeute ; mais la
violence dans les élections n’est pas seulement un appel à l’émeute, c’est
l’émeute même ; c’est un régime de terreur, substitué au
règne des lois. Je pense que sur tout cela nous sommes parfaitement d’accord.
Nous sommes tous d’accord qu’il faut empêcher les fraudes et les violences.
J’espère que quand M. le ministre fera des propositions à cet égard, ces
propositions seront complètes.
M. Lejeune. - La question qui
vient d’être soulevée n’est pas, et ne peut être une question de parti, ni une
question d’opinion. Fausser les listes électorales, ou les opérations des
élections, c’est détruire la base de nos institutions, c’est bouleverser tout
notre édifice social. J’applaudis donc d’avance à tous les moyens qui seraient
employés pour empêcher les fraudes électorales.
On n’a
signalé jusqu’ici qu’un seul abus. J’ai lieu de croire qu’il en existe d’autres
qu’il faudrait pouvoir atteindre. Ces abus rentrent dans l’espèce de ceux que
vient d’indiquer l’honorable M. de La Coste : ce ne sont pas seulement des
électeurs qui payent réellement le cens électoral, d’après une fausse base
qu’on trouvera sur la liste ; mais il est très possible (je ne puis prendre sur
moi d’affirmer des faits aussi graves) que dans un grand nombre de communes on
trouve des électeurs qui ne paient pas même le cens.
Puisqu’il
s’agit d’une enquête, j’appelle l’attention du gouvernement sur cette espèce de
fraude que l’on pourrait qualifier très sévèrement. Je voudrais que le
gouvernement recherchât les moyens de contrôler, de vérifier les listes
électorales. Ce n’est pas précisément à l’occasion des listes électorales pour
la chambre que cette espèce de fraude m’est venue à l’esprit ; mais c’est
surtout à l’occasion des listes électorales pour les communes. Je connais des
communes où la liste électorale est tellement changée, qu’en la rapprochant de
la liste antérieure on serait surpris de la comparaison.
Il y a
des communes où un grand nombre d’électeurs (plus du tiers) ont disparu de la
liste électorale. Il y en a d’autres où le nombre des électeurs est augmenté,
en une seule année, dans une proportion incroyable. Est-il possible au
gouvernement d’avoir les yeux ouverts sur cet abus, de trouver un moyen de
contrôle, de vérification, je le désire vivement ; il faut que les listes
électorales pour les chambres, pour la province et pour la commune, soient
pures ; il ne faut pas qu’il y ait un seul électeur qui ne puise dans la loi
même le droit de venir déposer son vote.
C’était uniquement pour appeler l’attention de la chambre et du
gouvernement sur la nécessité de songer aux moyens de vérifier les listes
électorales, que j’ai pris la parole.
M. Demonceau. - La question
soulevée est certainement très délicate. Si l’on voulait citer des faits, on
pourrait en citer beaucoup. Pour mon compte, j’en connais qui certainement ne
font pas honneur à ceux qui en ont fait usage. Mais je me dispenserai d’en rien
dire, parce que je désire que le gouvernement et la chambre sachent quelle est
la véritable position du pays.
Je
pourrais citer telle commune où une personne qui voulait être bourgmestre a eu
soin de créer des électeurs en si grande quantité qu’elle est parvenue à se
faire nommer membre du conseil. Je pourrais citer bien d’autres faits. Mais
comme on a parlé de légalité, c’est sur ce point surtout que j’appellerai
l’attention du gouvernement et de la chambre.
Nous
avons, en Belgique, une cour suprême dont les décisions doivent servir de règle
à toutes les autorités soit judiciaires, soit administratives, Eh bien, je
pourrais citer telle députation permanente qui juge le contraire de ce que juge
la cour de cassation. Vous avez beau revenir devant cette députation, citer
l’arrêt de la cour suprême, elle ne change pas de jurisprudence. Ne croyez pas
que cela s’applique seulement à un faux électeur ; cela peut s’appliquer
également à un véritable électeur ; je pourrais citer des personnes que je
connais particulièrement, qui n’ont pu se faire porter sur la liste électorale
dans leurs communes, où l’on avait adopté le système de la cour de cassation.
Ainsi
telle députation compte, pour former le cens électoral, les centimes
provinciaux et communaux, tandis que la cour de cassation juge le contraire.
Telle députation décide qu’on peut être porté sur la liste des électeurs quand
on a payé, l’année précédente, une contribution quelconque. La cour de
cassation a décidé cependant qu’il fallait avoir payé le cens l’année
précédente. N’allez pas croire cependant que la cour suprême se conforme aux
instructions du gouvernement, car il en existe une contraire émanée du
ministère de l’intérieur.
Je ne dis
pas que la cour suprême doive suivre les instructions du gouvernement,
Je ne dis pas non plus qu’elle ait bien interprété la loi, je pourrais
citer des décisions contraires de la cour de cassation de France ; mais je dis
que ses décisions doivent faire la jurisprudence ; je dis que la cour suprême
est la cour régulatrice et que si les autorités inférieures ne s’y conforment
pas, il faut changer la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il n’y
a pas d’instruction ministérielle postérieure à l’arrêt de la cour de
cassation.
M. Demonceau. - L’instruction
est de 1831, l’on donne le texte de la loi électorale, et cette loi électorale
interprétée par un auteur qui, je crois, a été procureur général à la cour de
cassation, paraît dans son texte contraire à la décision de la cour de
cassation.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai
interrompu l’orateur pour lui dire que la circulaire ministérielle était
antérieure à l’arrêt de la cour de cassation, et qu’il n’y en avait pas eu
postérieurement. Ceci est important.
M. Demonceau. - Ainsi, il est bien
constaté que la circulaire du gouvernement est antérieure à l’arrêt de la cour
de cassation. Je demanderai maintenant à M. le ministre, s’il n’y a pas une
circulaire d’une députation des états qui donne une décision tout à fait
contraire à des arrêts de la cour de cassation sur la même matière.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne
puis rien y faire.
M. Demonceau. - C’est là qu’est
le mal ; c’est lorsque les autorités appelées à expliquer la loi, la faussent,
Et de deux choses l’une : ou la cour de cassation se trompe, ou la députation
des états dont je parle, se trompe. Eh bien, c’est la loi qu’il faut changer.
Car il se trouvera beaucoup de citoyens ayant les capacités voulues par la loi,
et qui ne pourront être électeurs. Si tous les électeurs sont obligés d’aller
en appel ou en cassation pour revendiquer leurs droits, il sera très facile
d’user de ce moyen pour priver momentanément les véritables électeurs de leurs
droits ou en créer d’autres, car les recours en cassation ne sont pas
suspensifs ; et en attendant que justice soit rendue, les faux électeurs
peuvent se trouver sur les listes, et les véritables peuvent ne pas y être
compris.
Messieurs,
cette question doit être examinée sous toutes ses faces. Si vous l’examinez
sous le rapport fiscal, vous ne pouvez guère empêcher l’usage qui en est fait.
Car il est bien difficile au gouvernement, quand je déclare que la maison que
j’occupe est d’une valeur locative de 4,000 fr. de me dire qu’elle n’est que de
500 francs. Je ne sais quel moyen le gouvernement pourrait employer. Je me
souviens même qu’un ministre des finances, tout aussi jaloux qu’aucun de nous
du droit électoral, a déclaré qu’il lui était impossible d’empêcher que l’on ne
déclarât plus que l’on ne devait. La loi punit bien ceux qui déclarent trop peu
; mais je n’ai pas entendu dire jusqu’à présent qu’elle punit ceux qui paient
trop. On devrait même se réjouir de voir ces déclarations exagérées, si ce
n’était un mal moral, et c’en est un ; vous devez vous apercevoir que sur ce
point il y a conviction chez moi. Si ce n’était pas un mal moral, vous qui
recherchez des ressources pour le trésor, vous devriez vous féliciter, je le
répète, d’en trouver aussi facilement.
Messieurs,
c’est précisément parce que le mal est grave, que j’ai cru devoir prendre la
parole. Je ne m’attendais pas à voir soulever cette discussion. Mais si l’on
veut ordonner une enquête, quant à moi, je le désire sincèrement, franchement,
de tout mon cœur, pourvu qu’elle soit sincère aussi.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Et qu’elle porte sur tous les moyens
employés.
M. Verhaegen. - Messieurs, j’ai
vu avec plaisir que sur tous les bancs de cette chambre on condamnait la fraude
et qu’on demandait des mesures pour la réprimer. Comme vous l’a dit l’honorable
M. Lejeune, ce n’est pas ici une question de partis. Il faut faire abstraction
de partis quand il s’agit de fraude. Car la fraude est condamnable, de quelque
côté qu’elle vienne. Aussi, nous le dirons, et tout de suite, les faits
signalés par quelques honorables collègues, dont ordinairement nous ne
partageons pas les opinions, nous les condamnons comme eux ; et s’il est vrai
que dans une province, à laquelle on a fait allusion, un bourgmestre, pour se
faire élire, a créé une masse de faux électeurs, c’est une fraude que je suis
loin de justifier et qu’au contraire je condamne.
Quant aux
violences qui auraient eu lieu à Ath, nous avons été aussi les premiers à les
condamner. M. le ministre de la justice nous avait promis à cet égard un
rapport. Il entrait dans ses attributions de faire exécuter la loi. Si des
voies de fait ont été commises, il fallait poursuivre les auteurs et les faire
condamner. Dès l’origine, nous avons tenu ce langage, et nous le tenons encore
aujourd’hui.
Puisqu’on
a prononcé le nom d’Ath, me sera-t-il permis de faire une réflexion ? Il est
extraordinaire que ce soit toujours le même arrondissement dont il doive être
question dans nos débats ; car ce sera encore dans cet arrondissement que se
découvriront en première ligne les faits auxquels il a été fait allusion.
L’intérêt est la mesure de l’action des hommes !
Messieurs,
nous étions jusqu’ici tous d’accord pour rechercher la vérité et trouver des
moyens de parer aux abus. La question, on vous l’a dit, n’est pas une question
de partis. Mais M. le ministre de l’intérieur, qui aime de se mettre à genoux
devant certaine opinion, et qui en saisit avec avidité toutes les occasions, a
mêlé dans le débat ce qui devait y rester complètement étranger. N’allez pas
croire que je vais vous donner la satisfaction de le suivre sur ce terrain ;
j’ai à cet égard épuisé depuis longtemps tout ce que j’avais à dire.
M. le
ministre de l’intérieur a réveillé l’idée que beaucoup de membres de cette
chambre ont exploitée avec ténacité ; il a formulé une accusation assez
ouverte, et telle que je ne puis pas la laisser sans réponse. C’est encore ce
grand mot de dîme qui a été prononcé
pour insinuer que de mauvais moyens avaient été employés par l’opinion libérale
lors des dernières élections.
La calomnie de la dîme a ébranlé la moralité
publique, a dit M. le ministre de l’intérieur. Mais, messieurs, nous l’avons dit
et répété à satiété, ce n’est pas à nous que l’on doit attribuer tout ce qui a
été dit relativement à la dîme ; on le doit exclusivement aux écrits émanés de
nos adversaires. Quand nous nous sommes permis de parler de la dîme, nous ne
nous sommes pas bornés à des assertions, nous sommes venus, preuves à la main,
et ces preuves étaient irrécusables. Je n’en dirai pas davantage pour ne pas
renouveler un débat inutile.
M. le
ministre de l’intérieur, c’est vous qui osez parler de mauvais moyens employés
lors des dernières élections, de moyens qui ont ébranlé la moralité publique ;
mais c’est à vous que je pourrais adresser ce reproche, et à plus d’un titre :
vous rappelez-vous les moyens qui ont été employés contre nous et nos amis, aux
élections de 1841, et d’où sont-ils partis ? du cabinet actuel. Nous vous avons
signalé, dans le temps, les manœuvres que vous avez employées contre vos
honorables prédécesseurs ; ceux qui naguère avaient soutenu votre candidature à
Arlon, vous les avez combattus à outrance par tous les moyens odieux que le
pouvoir venait de placer entre vos mains ! Et voulez-vous savoir, M. le
ministre, ce qui ébranle la moralité publique ? Ce sont certains journaux
ministériels qui, tous les jours, sapent nos lois et nos institutions. Ce sont
ces journaux qui, à la veille des élections, nous calomniaient sans cesse, nous
présentaient au pays comme des anarchistes, voire même comme des partisans de
la loi agraire, comme des gens sans foi, sans aveu, sans religion, voulant le
massacre des prêtres et la démolition des églises, et ces bruits infâmes
étaient accrédités par mille influences. Nous aurions dû souffrir toutes ces
attaques, sans mot dire ; nous aurions dû, permettez-moi l’expression, être
assez niais pour ne pas répondre et pour ne pas nous défendre.
Les moyens
que nous avons fait valoir, quoi que vous en disiez, étaient marqués au coin de
la légalité et de la loyauté ; lorsque nous avons formulé des accusations, nous
avions en mains des preuves pour les étayer.
L’honorable
M. de Mérode n’a pas pu dire quelques mots sans s’adresser en même temps à moi
; et je lui dois encore une réponse.
J’avais
répondu au discours de l’honorable comte de Mérode sur les voies et moyens, et
personne ne pourra me contester que je ne fusse dans mon droit. Je n’ai pas
tronqué le discours de l’honorable comte, car les paroles que j’ai signalées à
la chambre, je les avais extraites du Moniteur
même. Maintenant M. le comte de Mérode vient nous dire : mais ce n’est pas à
votre opinion que je me suis adressé ; je ne me suis pas plutôt adressé aux
libéraux qu’aux catholiques.
Mais
quels sont donc ces intrigants dont vous avez parlé et qui ont amené les
résultats que vous avez appelés désastreux, dans les dernières élections
communales ? Etaient-ce ceux-là qui avaient porté vos amis ? Etaient-ce aussi
ceux-là qui vous avaient porté dans l’arrondissement de Nivelles ? Car, enfin,
où sont-ils les intrigants ? C’était cependant les termes dont s’était servi
l’honorable comte de Mérode.
Mais,
messieurs, pardon de la digression ; moi-même, je croirais faire tort à notre
cause si je suivais mes adversaires sur le terrain où ils se placent, car je
m’aperçois d’une chose, c’est que l’on veut distraire, par des incidents,
l’attention du pays et de la chambre de l’objet principal du débat.
Il ne s’agit
(permettez-moi de le dire) ni de la cour de cassation, ni de conseils
provinciaux, ni de députations, ni de divergence d’opinion entre ces autorités,
dont a parlé M. Demonceau ; il ne s’agit uniquement que de la fraude en matière
électorale, telle qu’elle a été signalée, et tout le monde, quelle que soit son
opinion, catholique ou libérale, doit être d’accord pour la flétrir.
Mais
tâchons d’en venir à un résultat ; M. le ministre de l’intérieur fera une
enquête ; eh bien, que cette enquête soit faite avec impartialité, avec
activité et qu’elle nous mette à même d’apprécier les faits. Quant à moi, qui
ai fait un appel à tous les journaux, à toutes les opinions, qui ai pris
l’initiative, il y a 15 jours, j’espère que les renseignements me parviendront
de toutes parts, et que je pourrai compléter ceux que j’ai déjà obtenus. Je
pense qu’il sera utile de faire connaître ces renseignements à la chambre
lorsque l’enquête aura eu lieu, pour contrôler ainsi les
opérations du gouvernement sans compromettre en aucune manière les
fonctionnaires qui seront venus à mon aide. Le but que nous voulons atteindre
doit être un but commun ; c’est d’abord de découvrir la fraude et ensuite de
trouver les moyens de la faire cesser.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) -
Messieurs, l’honorable préopinant a demandé compte de ce qu’il appelle les
journaux ministériels ; j’ignore s’il existe des journaux ministériels ; dans
tous les cas, je crois qu’il ne faut pas parler de ces journaux dans la chambre,
et que l’honorable préopinant ne me reconnaîtrait pas le droit de lui demander
compte de ce qu’à mon tour je pourrais appeler ses journaux.
Il
importait, messieurs, que cet incident eût le caractère que j’ai cherché à lui
donner : on nous avait signalé un seul genre de fraude ; j’ai eu l’honneur de
dire que ce genre de fraude n’est pas nouveau, et que d’autres moyens de fraude
ont été employés. L’enquête que je me propose de faire portera sur tous les
faits qui ont été signalés depuis 18 ou 20 mois.
Par
exemple, voici un moyen de fraude d’un autre genre ; il s’agit de la réélection
d’un député, et le jour même de l’élection l’on affiche sur les murs de la
ville où les opérations doivent se faire, que le député est en prison pour
dettes. (On rit.) Je sais, messieurs,
que cela fait rire en ce moment…
M. Verhaegen. - C’est une
calomnie infâme.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est
plus qu’une calomnie, messieurs ; vous allez voir quelle aurait pu être la
conséquence de cette manœuvre. Je suppose que le député dont il s’agissait
n’eût pas été réélu et que l’on eût porté devant vous la question de savoir si
l’élection nouvelle était valide ; voilà, messieurs, une question fort délicate
devant laquelle vous vous seriez trouvés placés ; vous auriez eu à examiner
jusqu’à quel point cette calomnie émanée des adversaires du candidat non élu,
jusqu’à quel point cette calomnie aurait pu profiter à son concurrent ; vous
vous seriez trouvés là devant une question extrêmement grave, celle de savoir
si l’élection était valable ou non.
Voici,
messieurs, un autre fait. Je suppose que, quelques jours avant les élections,
on répande des lettres circulaires portant que tel parti a le projet de
rétablir la dîme, et qu’un homme important, en signant ces lettres, déclare
qu’il a combattu au sein de la chambre la proposition du rétablissement de la
dîme.
Eh bien,
messieurs, voilà encore un fait extrêmement grave ; il faudra constater jusqu’à
quel point un fait de ce genre aura pu égarer les électeurs.
Vous
voyez donc, messieurs, que la loi contre les fraudes électorales, si elle est
présentée, ne peut pas porter sur l’espèce unique de faits très graves, qui a
été signalée aujourd’hui, mais qu’elle doit porter sur tous les genres de
fraude que l’on peut employer non seulement pour créer de faux électeurs, mais
encore pour calomnier les candidats, pour égarer les électeurs.
Tout
ceci, messieurs, est extrêmement délicat, extrêmement difficile ; il y a là
beaucoup de choses insaisissables. Aussi en Angleterre il existe un grand
nombre de bills. Cependant, il semble que les bills existants ne suffisent
plus, et il est question d’en faire un nouveau.
Messieurs, j’ignore si la chambre veut encore prolonger cette
discussion. Si elle continue, je verrai si je dois de nouveau y prendre part.
M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) -
Messieurs, on a parlé des voies de fait commises à Ath le jour de l’élection,
et l’on a demandé si des poursuites avaient été dirigées à cette occasion. J’ai
déjà dit à la chambre que le ministère public avait dirigé des poursuites contre ceux qui étaient réputés auteurs de ces faits ; le
tribunal de police correctionnelle a été saisi de l’affaire, un incident s’est
élevé, et le jugement rendu sur cet incident est actuellement déféré à la
connaissance du tribunal du degré supérieur.
M. Savart-Martel. -
Messieurs, après les observations qui ont été faites, je serai nécessairement
fort court. Je dois cependant faire observer qu’il n’est pas question de savoir
si, quand un citoyen déclare deux chevaux au lieu d’un, un mobilier d’une
valeur double de celle de son mobilier réel, il faudra refuser l’argent de ce
second cheval, du surplus de la valeur de ce mobilier ; je ne serais pas étonné
que M. le ministre des finances eût dit à ses agents dans les instructions
qu’il leur adresse, de recevoir le plus d’argent possible des contribuables. Ce
dont il est question, messieurs, c’est de trouver le moyen de réprimer les
fraudes électorales, et je vois avec plaisir que, de part et d’autre, nous
sommes tous d’accord sur ce principe, qu’il faut employer tous les moyens pour
maintenir la sincérité des élections.
Je pense
que si les lois existantes ne renferment pas des moyens suffisants pour
atteindre ce but, il faut faire une loi nouvelle ; il faut empêcher à tout prix
que, dans les élections, le mensonge prenne la place de la vérité.
Je ne me
permettrai pas, messieurs, de signaler plusieurs de ces fraudes ; je craindrais
d’aller trop loin ; d’ailleurs, tous les journaux en ont parlé, et il y aurait
de quoi faire un gros volume et de quoi prouver de ces choses que l’on serait
peut-être fâché d’entendre.
Ce n’est
point ici, messieurs, une question de parti. La loi électorale laisse déjà
beaucoup à désirer, et il y a souvent beaucoup de questions à l’égard
desquelles on ne sait pas comment la loi doit être entendue ; mais, dans le
moment actuel, il ne s’agit pas des doutes que la loi peut soulever, il s’agit
uniquement de réprimer la fraude électorale.
On nous a
parlé, messieurs, de ce qui s’est passé à Ath, et M. le ministre de la justice
vient de donner des explications à cet égard. Mon intention était de donner la
même réponse qu’il a faite : quatre ou cinq personnes ont été emprisonnées
pendant 2 ou 3 mois ; le tribunal a été saisi de l’affaire relativement à deux
individus, et il y a eu appel sur un incident.
Je crois,
messieurs, que de semblables faits doivent être sévèrement réprimés ; tout le
monde doit les considérer comme fort déplorables. Je conçois que la loi ne
renferme pas des moyens suffisants pour réprimer la ruse et la fraude
électorale,, car, dans les affaires civiles même la ruse et la fraude
présentent tant de nuances différentes, qu’elles sont presque insaisissables ;
mais quand M. le ministre aura fait une enquête que nous devons croire
impartiale, il sera à même de proposer à la chambre des moyens quelconques pour
empêcher tout ce qui pourrait fausser les élections. Toutefois, si l’on veut
atteindre le but, il ne faut pas perdre de temps, car, au 1er avril prochain,
les listes électorales seront révisées, et alors tout le mal aura été fait. Or,
si ce mal n’est pas empêché, il résultera dans l’opinion publique, à tort ou à
raison, que le fait remplace le droit, et vous savez que, lorsque l’on a la
conviction que l’on est non pas sous un régime de droit, mais sous un régime de
fait, il ne se présente plus à l’esprit qu’un seul moyen de sortir d’un
semblable état de choses. Ce moyen, nous ne pouvons,
certes, pas le désirer, et dès lors nous devons faire tous nos efforts pour que
les élections ne soient pas faussées.
M. de Theux. - Je
dois, messieurs, confirmer positivement les faits qui ont été signalés d’une
manière dubitative par l’honorable M. Lejeune. Ces faits consistent dans la
radiation d’électeurs véritables des listes électorales, et dans l’inscription
comme électeurs de personnes qui ne payaient aucun cens ; ces faits ont déjà
été signalés à plusieurs reprises, et ils ont une telle gravité que, dans le
courant de la dernière session, j’ai engagé M. le ministre de l’intérieur à
saisir la chambre d’un projet de loi contenant quelques mesures répressives, et
que je me suis réservé de prendre moi-même l’initiative si le gouvernement ne
s’y déterminait point. Je suis donc satisfait de ce que cette discussion a été
soulevée, et de ce que l’attention du gouvernement a été appelée sur les abus
qui se commettent en matière électorale, et dont les plus grands, selon moi,
sont ceux qui ont lieu dans la confection des listes.
Je pense
aussi, avec l’honorable M. Demonceau, que le gouvernement doit veiller à ce
que, dans certaines communes, on ne comprenne plus dans les contributions
formant le cens électoral les centimes communaux et provinciaux, alors qu’il
est évident, aux termes de la loi électorale et de la constitution, que les
centimes communaux et provinciaux ne peuvent jamais être compris dans le cens
déterminé par la loi provinciale.
J’appuie
aussi ce qui a été dit par d’honorables préopinants, touchant les violences et
les insultes qui précèdent, accompagnent et suivent quelquefois les élections ;
c’est là un point très essentiel, et une fois que nous serons saisis de la
révision de la loi électorale, j’espère que nous trouverons quelque moyen qui
puisse à l’avenir prévenir de semblables abus, abus que je dois déclarer
n’avoir jamais existé dans mon arrondissement électoral.
Un
honorable préopinant a parlé de la dîme et a dit que les bruits qui ont été
répandus à cet égard, au moment des élections, étaient occasionnés par des
écrits émanés du clergé. Eh bien, messieurs, je dois répéter ici que cette
assertion est complètement dénuée de fondement. Il été démontré à satiété que
les écrits auxquels on a fait allusion sont antérieurs à la constitution.
D’ailleurs, il est émané de plusieurs évêques des déclarations formelles à cet
égard, et il est bien à regretter que malgré des déclarations aussi positives,
on ait continué à exploiter, dans un but électoral, le bruit du rétablissement
possible de la dîme, chose complètement impossible, comme je l’ai prouvé dans
une autre occasion, en présence du texte de notre constitution.
Je n’en dirai pas davantage. L’attention du gouvernement est maintenant éveillée
sur divers points, et j’espère qu’il en fera l’objet d’un examen très sérieux.
M. Fleussu. - Messieurs, les
faits qui ont été signalés par l’honorable M. Mercier sont de notoriété publique,
car ils se pratiquent sur tous les points du royaume, du moins dans toutes les
provinces où les élections doivent avoir lieu.
Messieurs,
je ne parlerai pas du district de Liége, car on pourrait croire que je suis
intéressé dans la question ; je ne vous entretiendrai que de ce qui se passe
dans les autres arrondissements de la province de Liége.
Les faits
qui sont à ma connaissance m’ont été révélés depuis longtemps. Pendant que
j’étais à la campagne, quelqu’un est venu me dire : « Il se passe quelque
chose de fort extraordinaire : on veut payer les contributions pour moi ; on
m’a engagé à faire une déclaration pour obtenir un supplément de patente, et
l’on m’a assuré que l’année prochaine cela ne me coûterait pas un sou. » La
personne qui m’a révélé ce fait a consenti à faire la déclaration.
D’autres
faits semblables sont venus à ma connaissance, et, lorsque l’enquête aura lieu,
je pourrai indiquer une commune très populeuse du district de Waremme où l’on a
créé 25 électeurs, je pourrai également citer deux communes de l’arrondissement
de Huy où l’on a créé 50 électeurs.
Je suis
étonné qu’on dise que ces faits ne sont pas nouveaux, car si on a commis
quelque fraude dans les élections précédentes, jamais ces abus n’ont eu lieu
sur une aussi large échelle que maintenant.
Mais,
messieurs, une loi est-elle nécessaire pour porter remède à ces abus, contre
lesquels on s’est élevé sur tous les bancs de cette chambre ? C’est une
question très grave, que celle de savoir si, par cela seul qu’on verse au
trésor la somme fixée par la loi électorale, on a qualité pour être électeur ;
je crois que si l’on contestait au mois d’avril cette qualité à ces électeurs
de fabrique, on pourrait très bien prouver qu’ils ne sont pas véritablement
électeurs ; que la loi a voulu autre chose qu’un paiement. Il faut une cause au
paiement. Or, s’il est évident que la cause n’existe pas, que c’est un impôt
fictif, les députations permanentes qui rejetteraient de tels électeurs se
conformeraient à la loi. Telle est mon opinion, opinion que j’émets peut-être
un peu à la légère, puisque je ne m’attendais pas à cette discussion ; mais il
me semble que, dans cette circonstance, les députations se conformeraient tout
au moins au vœu de la loi. Il est manifeste qu’avec le cens minime qui est fixé
pour les campagnes, si l’on a encore recours à la fraude, on arriverait dans
peu au suffrage universel.
J’indique
donc ce moyen, que les députations ont qualité pour examiner si la cause de
l’impôt existe ; et si cette cause n’existe pas, comme pour le cas de chevaux
qu’un contribuable déclare et qu’il n’a pas, il est clair que ce contribuable
ne peut pas être électeur.
Quand
j’ai demandé la parole, ce n’était pas pour soumettre à la chambre ces
observations que d’autres membres ont présentées en partie, c’était pour
répondre à l’honorable M. Demonceau, qui, à propos de la discussion d’une
question générale déjà fort grave par elle-même, est venu impliquer dans le
débat la députation permanente de certaine province.
Mais,
messieurs, si la question était aussi claire que l’honorable M. Demonceau et
même l’honorable M. de Theux le disent, il est probable que cette députation ne
serait pas seule de son avis, et que, quand la cour de cassation a annulé et
renvoyé à une autre députation, il y aurait des avis contraires.
Messieurs,
j’ai aussi examiné dans le temps la question des centimes additionnels. Je dois
dire que je suis d’un avis contraire à celui des honorables MM. de Theux et
Demonceau. Si la question se présente un jour dans cette enceinte, nous la discuterons
et nous verrons dans quel sens nous devons nous prononcer.
Maintenant
on nous dit qu’il y a une cour régulatrice et que des députations ne se
conforment pas aux décisions de la cour régulatrice. De là du désordre.
Mais je
demanderai à l’honorable M. Demonceau, qui est président d’un tribunal, s’il se
conforme toujours aux décisions de la cour de cassation ; si, quand il a une
conviction contraire, il soumet cette conviction à celle de la cour de
cassation, la cour de cassation ne décide jamais le fond ; la cour de
cassation, après qu’elle a annulé une décision, renvoie à une autre cour pour
décider le fond. Il arrive très souvent, ce qui fait honneur à la cour de
cassation, qu’elle se déjuge. Pourquoi, dès lors, les membres des députations
ne pourraient-ils pas avoir une opinion, et chercher à la faire triompher,
quand l’occasion s’en présente ?
Le
pourvoi en cassation en cette matière, nous a dit l’honorable M. Demonceau,
n’est pas suspensif, et les décisions des députations permanentes confèrent la
qualité d’électeur à des personnes qui, d’après la jurisprudence de la cour de
cassation, n’auraient pas dû en être revêtues ; je ne me permettrai point de
décider jusqu’à quel point le pourvoi en cassation est ou non suspensif ; je
lui ferai seulement observer que si le pourvoi eût été suspensif, tel membre
qui siège au conseil provincial de Liége n’en aurait point fait partie,
puisqu’il n’avait été élu qu’à la majorité d’une voix et que la contestation
élevée sur la qualité d’un des électeurs a été résolue ensuite par la cour
suprême contre les prétentions de cet électeur.
Je me bornerai à ces observations. Si j’ai présenté des vues nouvelles,
je m’en félicite, car j’avoue que, dans le cas que j’ai cité, je ne balancerais
pas, à la place des députations, à rejeter les électeurs de l’espèce que j’ai
signalée.
M. de Man d’Attenrode. -
Messieurs, l’honorable M. Lejeune vient de nous dire qu’il faudrait que le
gouvernement contrôlât les listes électorales des communes, mais je ferai
remarquer à la chambre que le contrôle du gouvernement est entièrement nul ; ce
contrôle est nul parce qu’il résulte des articles 15 et 16 de la loi communale,
que l’administration ne peut entamer une enquête sur les vices d’une liste
électorale, que sur la plainte d’un habitant ayant des droits politiques ; une
instruction introduite par un administrateur communal, même par un bourgmestre,
ne suffit pas. Il faut, je le répète, une plainte d’un habitant ayant des
droits politiques, c’est ce dont j’ai vu l’expérience comme administrateur ;
c’est ainsi que le juge la cour de cassation. L’intervention de
l’administration, quant au contrôle des listes électorales communales, est donc
insignifiant, et j’ai pris la parole pour signaler ce vice de la loi communale,
d’où il résulte que, quand tous les habitants d’une commune veulent s’entendre,
il n’est pas d’autorité en Belgique qui puisse redresser un vice patent dans
les listes communales.
(Erratum, Moniteur belge n°350 du 16 décembre
1842 :) Messieurs, l’honorable M. Verhaegen est venu nous signaler des
abus, quant à la formation des listes électorales, il les qualifie même
d’infâmes. Ce sont là des abus, j’en conviens, mais qu’ils soient infâmes, je
ne puis les qualifier ainsi, et la chambre ne les a pas jugés tels, il y a
quelques années ; car je me rappelle que les mêmes abus furent signalés sous le
ministère de M. d’Huart, qui répondit, si je ne me trompe, qu’il ne pouvait
envisager cette question qu’au point de vue fiscal ; et alors la chambre ne
s’émut pas extrêmement à la vue de cette infamie, elle ne vit là qu’un abus,
sur lequel elle passa à l’ordre du jour.
M.
Verhaegen semble trouver mauvais qu’à propos de l’abus qu’il signale, on ait
parlé d’autres abus beaucoup plus graves, et qui consistent à égarer l’opinion
publique par des faits inexacts, par de mauvais moyens, pour ne pas dire, des
calomnies.
Je regrette qu’il ne se soit pas adjoint à M. le ministre pour demander
que l’enquête porte sur ce point, comme sur tous les autres. Quant à moi,
j’engage le gouvernement à comprendre tous les abus, toutes les fraudes
possibles, et je suis persuadé d’avoir l’assentiment de tous les hommes de mon
opinion.
M. de Garcia. -
Messieurs, les abus qu’on a signalés sont graves et méritent toute l’attention
du pays. Je suis également charmé de voir que, sur tous les bancs de la
chambre, on blâme ce qui se passe de honteux et d’immoral à propos des
opérations électorales.
Messieurs,
les abus sont de deux espèces ; les uns tiennent à l’imperfection de la loi,
les autres tiennent à la fraude. Quant à ceux qui tiennent à la loi, je crois
facile d’y porter remède ; mais il est, selon moi, fort difficile de réprimer
ceux qui tiennent à la fraude ; cette fraude et ce dol tiennent à des faits et
à des actes licites en général, comment tracer le cercle où commence l’abus ?
Voilà où gît la difficulté, et cette difficulté est grande. Il est pénible de
voir en Belgique, dont les habitants ont tant de moralité, la fraude se produire
au grand jour dans les élections. Tous les orateurs ont signalé le mal ; mais,
jusqu’à présent, personne n’a indiqué le moyen de le réprimer, au point de vue
des fraudes.
L’honorable
M. Fleussu vous a dit : Ce n’est pas le cens qui fait la qualité de l’électeur,
c’est la cause du cens. D’après ses observations, si je les ai bien comprises,
la magistrature, appelée à connaître de la validité des élections, pourrait
apprécier la valeur des causes qui donnent lieu aux contributions nécessaires
pour être électeur. D’après ces considérations, au point de vue d’un cens
supposé, nulle loi ne serait nécessaire ; les tribunaux sont là et devront
apprécier la fraude dans toute la portée que lui donne M. Fleussu. Je ne puis
point partager cette opinion, et je pense que si la cour de cassation était
appelée à connaître de tous ces cas particuliers de fraude, la cour de
cassation devrait peut-être siéger en permanence, immédiatement après les
élections, pour juger les cas qui lui seraient, à tort et à travers, signalés comme
frauduleux.
L’honorable
M. Fleussu a dit que, pour être électeur, il faut autre chose que verser une
somme au trésor public, il faut, dit-il, une cause au paiement. Mais la cause
immédiate, selon moi, c’est la patente, la déclaration du contribuable. Adopter
un autre système, sera établir une véritable inquisition sur les intentions, et
donner lieu à des investigations qui pourront dégénérer en vexations
flagrantes. Je ne pense pas qu’en thèse générale il soit possible de rechercher
ces causes. Je paie, par exemple, pour des chevaux, ma déclaration est la cause
de mon cens ; on découvre pourtant que je n’en ai pas dans le moment ; mais je
puis dire que mon intention est de m’en procurer ; ma déclaration sera-t-elle
considérée comme frauduleuse ? A combien de vexations ne pourrait pas donner
lieu cette doctrine ?
Je
citerai un cas qui m’est personnel. J’ai payé cette année le droit pour deux
chevaux, cependant la plupart du temps je n’en ai possédé qu’un seul ;
direz-vous que par là je suis en état de fraude ? Ce serait absurde.
Pour ma
part, je pense qu’un grand nombre de cas de fraude nous échappent ; je désire
vivement qu’on prévienne tous les abus, mais j’aurais souhaité que quelque
membre de cette chambre nous eût présenté un moyen praticable de les tarir. Ce
moyen n’a encore été indiqué par personne, et je doute que le gouvernement soit
plus ingénieux que les membres de cette assemblée.
D’autres
cas de fraudes ou d’abus ont été signalées par l’honorable M. Demonceau, et
j’ai lieu de m’étonner qu’on ait cherché à en écarter l’examen comme
inopportun, tandis que, selon moi, ces abus sont manifestes et que ce sont
peut-être les seuls auxquels il soit possible de porter un remède efficace.
Je sais
gré à l’honorable M. Demonceau d’avoir signalé les abus qui se pratiquent.
N’est-il pas scandaleux et contraire à tout principe politique, que, tandis que
la cour de cassation ne maintient pas sur les listes électorales tels ou tels
électeurs, les députations permanentes persistent à vouloir les y maintenir, et
à donner des circulaires à leurs administrés pour atteindre ce résultat ; il
faut nécessairement et impérieusement aviser à prendre des mesures pour faire cesser un ordre de choses semblables. Que la
cour de cassation remplisse son but, c’est-à-dire qu’elle serve de cour
régulatrice, et qu’elle soit la sauvegarde non seulement de nos intérêts
civils, mais surtout de nos intérêts politiques.
M. de Foere. - Messieurs, avant
de présenter mes observations sur ce débat, je dois commencer par déclarer que
j’ignorais les faits électoraux que l’on vient de signaler. Je déclare, en
outre, que je désire, comme mes honorables collègues, que les fraudes
électorales proprement dites soient énergiquement réprimées par l’autorité.
Mais j’ai pris la parole pour protester contre une assertion que M. Verhaegen
et M. Fleussu viennent d’énoncer. Ils ont dit que, sur tous les bancs, nous
sommes d’accord sur la nécessité de faire cesser des pratiques électorales
qu’ils ont dénoncées comme fraudes électorales, même dans le sens de la
légalité. C’est à cette assertion que je m’oppose. Je ne puis la laisser
subsister comme un précédent que l’on ne manquerait pas d’invoquer plus tard
comme une vérité reconnue aujourd’hui sur tous les bancs de la chambre. Quant à
moi, et je pense que c’est aussi l’opinion de beaucoup de membres de la
chambre, je ne puis admettre, dans le sens légal et parlementaire, comme
fraudes électorales, plusieurs faits qui ont été signalés comme tels. Nous ne
sommes pas d’accord sur la qualification de ces faits ; dès lors nous ne sommes
pas d’accord sur le fond même de la question.
J’ai une
conviction contraire à cet égard. Je pense que, légalement et parlementairement
parlant, plusieurs pratiques que l’on a fait connaître ne sont pas des fraudes
électorales. Tout à l’heure j’exprimerai mes doutes sur la moralité même de la
question. Il faut d’abord convenir sur la définition des termes que l’on
emploie, avant que l’on puisse dire que l’on est d’accord sur la question. Dans
mon opinion, il ne peut exister, dans le sens légal et parlementaire, d’autres
fraudes électorales proprement dites que celles qui sont prévues par les termes
mêmes de la loi électorale. Telle serait l’inscription sur la liste des
électeurs d’un individu qui ne paie pas le cens requis par la loi. Telle serait
encore l’accumulation de certaines taxes communales et provinciales qui
seraient indûment entrées dans un cens électoral. Tels seraient tous les faits
qui détruisent les conditions essentielles requises par la loi électorale et
exprimées par elle. Mais dès que vous allez plus loin, vous entrez dans des
votes arbitraires ; vous n’avez plus de règles d’interprétation.
Chacun
taxera de fraudes électorales des faits qui lui paraissent contraires à ses
intérêts électoraux. On les envisagera sous le point de vue du parti auquel on
est attaché. Vous jetez ainsi la confusion dans l’application de la loi.
Au
surplus, ce débat soulève des questions d’une nature fort délicate et très
difficiles dans leur application. Il est évident, messieurs, que, sous quelques
rapports sous lesquels ce débat s’est présenté, on entre directement dans la
question intentionnelle des contribuables. Or scruter dans les intentions, pénétrer
dans les consciences de ceux qui paient le cens électoral, ce serait là une
odieuse inquisition. Le devoir du pouvoir exécutif se borne à faire observer le
texte de la loi électorale. Vous voulez que le ministre des finances aille
au-delà, qu’il entre dans les intentions de ceux qui se conforment aux
prescriptions de la loi, et qu’il réprime des actes électoraux auxquels vous
donnez arbitrairement la qualification de fraudes électorales.
Ce serait
là, messieurs, un excès de pouvoir intolérable. D’ailleurs, les coups que
frapperait le ministre seraient tantôt justes, tantôt faux. Le gouvernement n’a
pas d’autre pouvoir que celui de réprimer les abus qui sont textuellement
prévus par la loi électorale même. Le parlement anglais s’est épuisé inutilement
en mesures légales pour réprimer les fraudes électorales ; toujours les deux
partis qui se disputent le pouvoir dans ce pays se sont rendus coupables
d’infractions à la loi électorale ; mais jamais il n’est passé par l’esprit ni
du parlement, ni du gouvernement anglais de taxer de fraudes électorales des
actes qui sont posés conformément à la lettre de la loi. Jamais dans ce pays on
ne s’attaque ni aux intentions, ni au but de ceux qui paient le cens électoral.
Le paiement de ce cens suffit pour être admis au droit d’élire, alors même que
ce cens est assis sur des propriétés fictives.
Maintenant
j’envisagerai la question dans son sens moral ou intentionnel, dans lequel il
ne tombe, en aucune manière, sous les attributions du pouvoir exécutif. A cet
égard j’exprimerai mes doutes. Je considère l’élection comme une faveur ou
comme un droit légal. Les conditions de la jouissance de cette faveur, ou de
l’exercice de ce droit sont déterminées par la loi électorale.
La loi
vous dit : Vous serez électeur, si vous payez telle quotité dans les
contributions. La loi vous laisse en même temps le droit d’évaluer la valeur de
vos meubles ; je vous demande si le contribuable n’a pas en même temps le droit
de surévaluer son mobilier, dans le but même d’atteindre le cens électoral que
jusqu’alors il ne paie pas. Un autre, dans le même but, prend momentanément un
domestique ou un cheval pour lequel il paie les contributions imposées par la
loi. J’irai plus loin ; il déclare même un cheval qu’il ne possède pas ; mais
il paie ; il remplit les conditions requises par la loi, attendu que la loi
l’autorise même à faire ses propres déclarations. Ajoutez à cela que la loi ne
prescrit que l’accomplissement des actes extérieurs. Je vous l’ai dit,
j’exprime à cet égard mes doutes,
M. Verhaegen
persiste à maintenir que l’autorité ecclésiastique se proposait de faire
rétablir l’institution de la dîme. Je ne comprends pas cette étrange
persistance. J’étais membre du congrès lorsque l’article 117 de la constitution
a été discuté et voté. Je ne sache pas qu’aucune autorité ecclésiastique
supérieure ou inférieure ait directement ou indirectement élevé aucune
réclamation dans le but de rétribuer le clergé autrement que par la voie
prescrite par ledit article. Il y a plus, messieurs, si le parti Verhaegen, ou
tout autre, voulait rétablir la dîme en faveur du clergé, dans ma conviction
intimé, le clergé du pays se lèverait tout entier pour s’y opposer ; et, dans
mon opinion, il agirait sagement. Cependant M. Verhaegen maintient son
assertion ! J’ai dit.
Un grand nombre de voix. - A
demain ! A demain !
- La
séance est levée à 4 1/2 heures.