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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 25 août 1842

(Moniteur belge n°238, du 26 août 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi un quart.

M. Dedecker lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse donne lecture d’une lettre de M. Scheyven qui s’excuse de ne pouvoir assister à la séance, étant retenu chez lui par une indisposition.

- Pris pour notification.

Projet de loi organique de l'instruction primaire

Discussion des articles

Titre IV. Des écoles primaires supérieures et des écoles normales

Paragraphe 2. Des écoles normales
Article 31

M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi sur l’enseignement primaire. La discussion continue sur l’art 31 et les amendements qui s’y rapportent.

M. de Foere. - Lorsqu’un membre de la chambre a émis une opinion, ou lorsqu’il a proposé un amendement que M. Verhaegen, dans son imagination, croit pouvoir tourner contre ses adversaires, il ne manque jamais de commencer ses discours par exprimer sa joie. Il s’en félicite ; il est charmé ; il remercie ses adversaires ; il va les terrasser avec leurs propres armes ; il nous communique d’avance les sensations d’enivrement triomphal que, du moins en apparence, il éprouve. Ces positions peuvent être excellentes pour la scène, mais l’effet est totalement manqué sur le terrain du raisonnement. Après les combats qui se sont engagés sous des auspices aussi terribles, personne n’est resté sur le champ de bataille parlementaire, sinon M. Verhaegen lui-même et je le prouverai.

Je tirerai du genre d’opposition que M. Verhaegen a constamment faite aux principes du projet de loi des conséquences claires et positives, et quoique ces conséquences soient très avantageuses à l’opinion que mes honorables amis et moi nous soutenons dans cette discussion, cependant je n’exprimerai aucune satisfaction. Je dirai, au contraire, que je déplore sincèrement ces discussions théologiques qui s’attaquent aux principes religieux et moraux et qui toujours affaiblissent les garanties sociales. Mais M. Verhaegen nous a constamment attiré sur ce terrain ; je m’y présente avec répugnance ; ces discussions devraient être bannies du sein de cette chambre ; mais il faut une bonne fois répondre aux provocations incessantes de M. Verhaegen.

En se prévalant de notre silence, il pourrait l’invoquer pour faire triompher ses grossières erreurs. C’est l’insinuation que déjà il a adressée à l’honorable comte de Mérode.

Commençons d’abord par établir les faits.

M. Verhaegen a lancé plus d’une fois contre la religion, que nous tous nous professons, l’odieuse accusation d’enseigner, comme principe de foi, que les hérétiques, par conséquent tous les protestants, sont damnés, parce qu’ils sont exclus de l’Eglise, car, dit-t-il, l’Eglise catholique enseigne que, hors de son sein, il est impossible de se sauver. Voilà, j’espère, l’accusation nettement définie. En outre, M. Verhaegen en tire la conséquence qu’il faut contrôler efficacement l’influence du clergé catholique dans les écoles, car, dit-il, cette doctrine de l’Eglise catholique pourrait un jour embarrasser sérieusement le gouvernement de l’Etat dont le chef est protestant. L’application est fausse comme la doctrine que M. Verhaegen attribue à la religion catholique. Voici où gît son erreur. L’Eglise catholique n’a jamais exclu de son sein les protestants qui professent leur christianisme de bonne foi ; elle les a toujours considérés comme membres de l’Eglise ; par conséquent, selon son enseignement public et constant, ils peuvent se sauver. Les seuls protestants que l’Eglise exclut de son sein sont ceux qui, avec obstination, c’est-à-dire ceux qui, contre leur conscience, contre leurs propres convictions, professent des doctrines religieuses contraires aux principes fondamentaux du christianisme catholique. Ceux-là seuls sont considérés par l’Eglise comme hérétiques dans la véritable acception du terme et d’après la définition qui toujours en a été donnée.

M. Verhaegen nous a dit très souvent que lui il est catholique et qu’il fait pratiquer les principes de la religion catholique dans le sein de sa famille. Cependant, la doctrine de l’Eglise que je viens d’exposer est ouvertement enseignée dans le catéchisme du diocèse de Malines que M. Verhaegen a dû apprendre, puisqu’il a été élevé dans ce diocèse. Le catéchisme de Malines pose le principe qu’en-dehors de l’Eglise catholique, on ne peut se sauver. Afin que le principe soit clair et compris, il pose immédiatement après la question : « qui sont ceux qui sont exclus de l’Eglise ? » Il répond ; « les hérétiques. » Mais, pour être clair et positif, le catéchisme procède méthodiquement, comme dans tous les livres élémentaires, comme dans ceux de jurisprudence que M. Verhaegen a appris ; il définit les hérétiques qui sont exclus de l’église. Il pose cette autre question : Qu’entendez-vous par hérétiques ? Il répond : « ceux qui, avec obstination, professent une fausse doctrine chrétienne, » telle est aussi la définition des hérétiques qui est donnée dans toutes les théologies. Il est étonnant que M. Verhaegen, qui se dit catholique et s’érige en outre ici en théologien, ne sache pas même son catéchisme.

Si M. Verhaegen connaissait l’histoire des lettres de son temps, il aurait pu puiser dans cette histoire la conviction de son erreur. La faculté de théologie de Paris a condamné publiquement un livre de J.-J. Rousseau ; si j’ai bonne mémoire, c’était son Emile. Une des causes qui a provoqué cette censure, était précisément cette doctrine fausse et odieuse que, comme M. Verhaegen, l’auteur de l’Emile attribuait à l’Eglise catholique. La Sorbonne a rétabli dans son acte de censure la vraie doctrine de l’Eglise sur ce point. C’est celle, messieurs, que j’ai eu l’honneur de vous exposer.

Maintenant, messieurs, si l’Eglise exclut de son sein ceux qui, contre leur propre conscience, contre leur propre conviction, professent les opinions contraires aux principes fondamentaux de la religion, à qui appartient l’application de ce principe, aux individus ? à qui appartient-il de décider quels sont ceux qui se trouvent dans cette position d’obstination ? L’Eglise a invariablement décliné cette compétence. Elle enseigne que ce jugement n’appartient qu’à Dieu seul. L’Eglise n’a même aucun moyen sûr de statuer sur le for intérieur ; chaque individu doit savoir s’il se trouve, oui ou non, dans cette position, s’il est de bonne foi ou s’il professe, avec obstination, contre sa propre conscience, contre ses propres convictions des opinions contraires aux principes fondamentaux de la religion chrétienne.

Ainsi, messieurs, voilà la première accusation de M. Verhaegen entièrement détruite. Le danger qu’il a signalé n’existe donc pas. Dans l’enseignement des écoles, le clergé ne pourra jamais faire l’application d’une opinion que l’Eglise elle-même condamne.

Je suis étonné que des faits publics et constants n’aient pas arrêté M. Verhaegen. Je vous le demande, messieurs, lorsqu’avant la révolution nous avions à la tête de l’Etat un prince protestant, une seule objection à laquelle M. Verhaegen a attaché le danger qu’il a signalé, a-t-elle jamais été faite sous ce rapport ? Aujourd’hui encore le chef de l’Etat ne professe pas la religion catholique ; je vous le demande de nouveau, une seule objection semblable a-t-elle jamais été élevée ? Tous les faits sont contraires aux tendances que M. Verhaegen a faussement attribuées an clergé catholique dans le but de faire naître, sous ce rapport, la défiance politique contre l’intervention de ce clergé dans l’enseignement public.

Il était de notre devoir, messieurs, de détruire une opinion qui, si elle pouvait s’accréditer par nos discussions parlementaires, rendrait la religion catholique odieuse et révoltante aux yeux de tout le monde. Comment, se dirait-on, est-il possible d’exclure du salut, des individus, des masses entières qui professent de bonne foi la religion chrétienne, et croient dans leur âme et conscience qu’ils sont dans la bonne voie ? comment concilier une opinion semblable avec la bonté et avec la majesté de Dieu ? Pour mon compte, je le déclare, je n’hésiterais pas à abandonner une religion qui, comme point de foi, enseignerait un principe tel que M. Verhaegen l’a posé.

Il est messieurs, des hommes, des sectes tout entières, qui contre les dénégations continuelles de l’Eglise catholique, ne cessent de lui imputer cette odieuse doctrine (je ne compte pas parmi eux l’orateur que je combats ; je crois qu’il est dans l’erreur) ; ce sont les ennemis déclarés et acharnés de la religion catholique. Leur but a toujours été de la rendre odieuse. Les moyens qu’ils ont employés ont été adoptés, sans examen, par les petits esprits qui n’ont pas assez d’instruction pour approfondir aucune question, ou par d’autres qui croient que c’est faire preuve de talent que de se poser en esprits forts.

« Mais, dira peut-être M. Verhaegen, l’Eglise catholique enseigne au moins que les hérétiques proprement dits, c’est-à-dire ceux qui contre leur conscience professent des erreurs en matière de foi, sont exclus de son sein et qu’ils ne peuvent se sauver. » Oui, messieurs, l’Eglise catholique enseigne ce principe, c’est parce qu’elle l’enseigne qu’elle existe. Sans ce principe, il n’y aurait pas de christianisme possible. Si l’Eglise ne l’enseignait pas, j’y renoncerais. Nous serions même forcés d’y renoncer car personne ne saurait où est l’Eglise catholique, où est le vrai christianisme ; personne ne pourrait le reconnaître pour y adhérer.

Messieurs, le christianisme est pratiqué par la religion catholique, Il est aussi pratiqué, sous quelques rapports religieux et moraux, sous la forme luthérienne, calviniste et anglicane. Chacune de ces dernières sectes chrétiennes professe le même principe d’exclusion à l’égard de ceux qui, avec obstination, rejettent les dogmes fondamentaux sur lesquels elles sont fondées.

Toutes les sociétés doivent avoir nécessairement des principes constitutifs sur lesquels elles sont établies. Sans ces principes, leur existence est impossible. Je demanderai à M. Verhaegen, s’il avait un domestique qui se refusât avec obstination à suivre l’ordre établi dans sa maison, s’il ne le bannirait pas de chez lui. Je lui demanderai encore si, dans les sociétés auxquelles lui-même il appartient, il n’est pas admis d’exclure ceux qui s’obstinent à en détruire les règles fondamentales ? Si ces sociétés n’ont pas leurs censures, leurs suspensions, leurs exclusions.

Voyons maintenant si M. Verhaegen a été plus heureux dans les autres attaques qu’il a dirigées contre le clergé de son pays, dans le but d’exciter des défiances contre son intervention dans l’enseignement public. Il nous a cité textuellement une opinion, écrite dans la théologie de Dens. Elle est relative à la question de savoir si, à juste titre, les hérétiques sont punis de mort. Il faut que notre contradicteur en ait trouvé d’autres encore, car il se demande : « Les étranges doctrines qu’on y expose ne sont-elles pas destructives de la liberté des cultes ? » Cette théologie, poursuit-il, est entre les mains des séminaristes de Malines, et il en conclut que ces opinions sont enseignées dans le séminaire de Malines, J’irai plus loin que lui, cette théologie est, si je ne me trompe, le livre classique dudit séminaire ; du moins je sais que pendant longtemps elle l’a été, et elle est encore aujourd’hui le livre de théologie classique dans d’autres séminaires. M. Verhaegen ignore que ces sortes d’opinions anciennes sont répandues dans cet livres de théologie, non pas comme des principes à soutenir, mais comme des thèses à défendre ou à contredire. Il fait ensuite abstraction du professeur en théologie qui explique ces opinions d’après les principes que l’Eglise a constamment suivis en matière de charité chrétienne. Or, l’Eglise n’a jamais dévié du principe clairement posé, en matière de dissidences religieuses, par saint Augustin : In necessariis, unitas, in dubiis libertas, in omnibus charitas. C’est-à-dire : Unité dans les principes nécessaires, liberté dans les choses douteuses et charité en en tout.

Ces anciennes opinions donnent même l’occasion au professeur en théologie d’inspirer aux élèves des notions contraires à tout fanatisme religieux et à leur inculquer les vrais principes de charité chrétienne conformément à la doctrine et aux exemples du divin fondateur du christianisme.

Ces anciennes opinions sont nées des circonstances des temps. Les nouvelles sectes religieuses n’ont cessé de répandre le désordre et la perturbation dans les Etats. Ceux qui connaissent l’histoire, savent combien de sang il a été répandu en Allemagne, en France, en Angleterre, en Ecosse, en Irlande et dans tous les Etats où, pendant beaucoup de siècles du christianisme, de nouvelles sectes ont cherché à s’établir par la violence. De là est surgi la question de savoir s’il ne valait pas mieux d’opposer la violence à la violence et d’empêcher ainsi que ces sanglants désordres ne s’établissent en permanence contre la tranquillité et le bonheur des Etats. Remarquez que la politique seule a posé cette question tantôt en théorie, tantôt en fait, et que les théologiens l’ont examinée sous le rapport de sa moralité. Le pour et le contre a été soutenu comme il arrive à l’égard de toutes les questions qui présentent deux faces. L’opinion affirmative a été soutenue, je ne dirai pas par un sacristain, car M. Verhaegen ne se contenterait pas de cette autorité, mais par Montesquieu, je ne me rappelle pas du texte de ses paroles ; mais en voici le fonds : si j’étais chef d’un Etat où il n’existe qu’une seule religion, je prendrais toutes les mesures efficaces contre l’établissement d’autres sectes.

D’autres hommes sérieux, des hommes politiques se sont trouvés dans cette alternative. Est-il préférable de permettre aux nouvelles sectes religieuses de jeter constamment la perturbation dans les Etats, ou vaut-il mieux de prévenir les déplorables collisions qui toujours accompagnent leur établissement ?

Je vous demande si dans l’état actuel de la civilisation, si avec les principes de la charité chrétienne qui souffre tout, même en matière d’unité religieuse, il existe aujourd’hui le moindre symptôme de désordre et de perturbation qui pourrait être jeté dans l’Etat ?

Au besoin, vous avez des lois pénales pour les réprimer. Aujourd’hui les catholiques ont consacré, sous le rapport de la charité fraternelle, la liberté des opinions religieuses, et je vous demande si un seul homme dans tout le pays s’aviserait de ne pas traiter fraternellement non seulement les protestants, mais les juifs, les déistes et les athées ? Ce sont donc des appréhensions imaginaires, des dangers que l’honorable membre a mis en avant pour entraver l’influence, bienfaisante que le clergé peut et doit exercer dans les écoles pour moraliser les populations.

M. Verhaegen a encore déterré un autre livre, intitulé ; Théorèmes de politique chrétienne. On se sert, dit-il, dans certains établissements de ce livre qu’on croit très orthodoxe, et la raison pour laquelle on le croit très orthodoxe, c’est parce qu’il est approuvé à Rome et à Malines, et enfin la raison pour laquelle Rome et Malines l’approuvent, c’est parce que sur la première page, il se trouve : Nil obstat, reimprimatur, signé : Fornari, censor theologicus, et nous en permettons l’impression, signé : J .-B. Pauwels, vic. gén.

Il règne dans ce peu de paroles une étrange confusion d’idées. M. Verhaegen ne connaît pas la valeur des termes qu’il emploie. Celui d’orthodoxie ne s’applique qu’aux points de foi et de morale décidées par l’Eglise. Or, les opinions que M. Verhaegen extrait de ce livre, n’appartiennent pas à cet ordre de choses. Les opinions avancées soit dans tel sens, soit dans tel autre, pourvu qu’elles n’attaquent point les principes fondamentaux de la religion, restent constamment dans le domaine de la liberté, selon le principe constamment professé par l’Eglise.

L’honorable M. Verhaegen croit que le livre a été approuvé par l’autorité ecclésiastique uniquement parce que celle-ci en avait permis la réimpression ; mais si cette autorité ne permettait pas de réimprimer un livre qui ne contient rien de contraire aux principes orthodoxes, elle commettrait un véritable abus de pouvoir. Au surplus il ne résulte pas de l’autorisation accordée pour la réimpression d’un livre que l’autorité ecclésiastique approuve ou désapprouve les doctrines que ce livre contient.

Il est même étrange que notre contradicteur, qui à chaque instant invoque les principes de la constitution, voudrait que l’autorité ecclésiastique s’opposât même en matières parfaitement libres à l’exécution de la constitution, ou qu’elle défendît d’imprimer des livres dans lesquels il n’entre que des opinions que vous pouvez discuter dans tel sens comme dans tel autre, sans être pour cela ni plus ni moins catholiques.

Ainsi vous voyez encore que cette nouvelle accusation n’est pas fondée, que l’Eglise n’entend pas approuver, comme elle n’entend pas non plus désapprouver un livre auquel elle accorde seulement la réimpression. En accordant cette autorisation, ce n’est dire autre chose que le livre ne contient rien de contraire aux points fondamentaux de la loi, de la morale ou de la discipline de l’Eglise.

Maintenant entrant au fond de ces théorèmes, contre lesquels M. Verhaegen a dirigé ses accusations, qu’est-ce qu’ils contiennent ? Les opinions qu’il en a citées entrent dans le domaine des opinions libres. Je vous demande encore une fois si M. Verhaegen entend respecter l’article de la constitution qui institue la liberté de la presse, s’il entend exercer le monopole de la presse à telles enseignes, que des opinions ne pourraient pas être réimprimées, alors qu’elles ne seraient pas conformes aux siennes ? C’est cependant à cette conséquence absurde où mènent ses étranges prétentions. Il a été mille fois observé que les libéraux qui n’entendent pas la valeur de la qualité qu’ils assument sont les plus illibéraux. Ils prétendent monopoliser les libertés qu’ils invoquait, et réduire toutes les autres, qui souvent sont plus libéraux qu’eux, à l’esclavage.

Les théorèmes traitent de l’inquisition. L’inquisition est un fait qui appartient au domaine de l’histoire et à la discussion. Il a été examiné par des historiens qui en ont présenté le pour et le contre et qui l’ont dégagé de toutes les exagérations dont il a été l’objet. Ils en ont examiné le principe et le but. Cette institution tombe dans la question dont nous venons de parler et qui a été examinée sous le point de vue de la perturbation que les nouvelles sectes religieuses jettent dans les Etats. C’est une question historique qui présente deux faces. Si M. Verhaegen ne veut pas accepter l’une de ces faces sous laquelle ce fait est présenté, je ne conçois pas qu’il s’oppose à ce que, au moins, en vertu de la liberté de la presse qu’il invoque constamment, d’autres l’examinent sous l’une et l’autre. Je ne m’explique pas son opposition à la réimpression d’un livre qui jette des lumières sur cette grave question historique, alors surtout que cette réimpression n’implique ni l’approbation, ni la désapprobation de ce livre.

L’auteur des Théorèmes énonce aussi son opinion sur la liberté de la presse. Ceci attire encore de la part de M. Verhaegen une grave accusation. Selon lui c’est une inconstitutionnalité. Cette liberté est considérée par tous les hommes sérieux comme une institution forte et violente dont ils considèrent la pratique comme une épreuve sous le rapport du bien-être et de la stabilité des sociétés politiques. M. Verhaegen n’appartient pas à cette catégorie d’hommes graves et sérieux qui ne jugent que sur les résultats d’une institution. Libre à lui d’appartenir à une autre classe d’hommes ; mais de quel droit prétend-il interdire à d’autres la faculté de voir, d’examiner et de juger ?

Je suppose que la liberté de la presse vienne, par des faits nombreux, jeter la perturbation et le désordre dans la société, qu’elle parvienne à menacer sérieusement la société des principes des communistes, je vous demande si, alors, cette liberté de la presse, après avoir produit des effets aussi désastreux, les hommes graves et véritablement politiques ne demanderaient pas des restrictions à cette liberté.

Je demande à M. Verhaegen lui-même si pour sa part, il n’apporterait pas des restrictions à la lecture je ne dirai pas d’un seul livre mais de centaines de livres qui sont répandus aujourd’hui dans la société ? Cependant M. Verhaegen s’oppose à la réimpression d’un livre qui conseille ces restrictions à la lecture de mauvais livres et il conclut de ce sage conseil que c’est attaquer fondamentalement les principes de la constitution !

Il est échappé à M. Verhaegen que la constitution contient un titre intitulé : De la révision de la constitution, dont le premier paragraphe de l’art. 1er dit : Le pouvoir législatif a le droit de déclarer qu’il y a lieu à la révision de telle disposition constitutionnelle qu’il désigne. Voilà M. Verhaegen qui voudrait imposer l’éteignoir à toutes les discussions préalables qui seraient de nature à démontrer l’utilité ou la nécessité de réviser tel ou tel article de la constitution ; il ne veut pas qu’on accorde seulement la réimpression d’un livre où de sages conseils seraient donnés dans l’intérêt même de la société.

Ce livre orthodoxe, dit-il encore improprement attaque le mariage civil. Selon lui c’est encore une attaque contre la constitution. Or, la constitution contient cette disposition : « Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi s’il y a lieu. » Les membres du congrès qui siègent dans cette chambre se rappelleront que j’ai désigné ces exceptions que la constitution a prévues.

J’ai remis à chaque membre du congrès un document dans lequel ces exceptions sont énumérées et remarquez qu’elles rentrent dans l’ordre social, dans le même but dans lequel on a fait précéder le mariage civil au mariage canonique.

M. Verhaegen ne veut pas qu’on réimprime seulement un livre où une question prévue par la constitution même soit mise en discussion.

Pour terminer j’arrive aux conséquences qui résultent du caractère d’opposition que M. Verhaegen a faite aux principes de la loi. Ces conséquences prouvent qu’il n’y a peut-être pas de membre de la chambre dont l’opposition ait été plus utile aux principes déposés dans la loi et auxquels l’honorable M. Verhaegen s’est constamment opposé. L’opposition de M. Verhaegen a été réduite à des accusations fausses, à des appréhensions imaginaires, à des suppositions non seulement improbables, mais dénuées de tout fondement. Il a cherché à faire valoir contre l’intervention du clergé dans l’enseignement des tendances que le clergé lui-même répudie.

Un homme dont l’opposition se réduit à de semblables moyens est pour tout esprit droit, impartial et judicieux, un adversaire impuissant.

Les tendances du clergé sont connues ; elles sont conformes à ses devoirs, à la mission qu’il remplit ; elles sont de plus conformes à l’opinion de tous ceux qui, dans le siècle actuel et le siècle dernier, se sont sérieusement occupé de la réforme de l’instruction et de l’éducation. Ils étaient partis de l’idée qu’en répandant l’instruction dans les masses, ils parviendraient par ce moyen seul à leur moraliser ; tous en France, en Allemagne, en Angleterre avouent aujourd’hui que l’instruction non seulement n’a produit aucun bon effet, mais qu’elle a été un moyen qui a servi à éveiller plus puissamment les passions des masses et à satisfaire leurs besoins d’une manière désordonnée. Ils sont arrivés à cette conséquence qu’il faut recourir, comme seul moyen efficace, à l’éducation religieuse et morale ; c’est là la seule tendance que l’autorité ecclésiastique avoue. Toutes les autres que ses adversaires lui attribuent ne sont que des accusations fausses, dénuées de tout fondement et contraires au but que l’opinion sage et sérieuse du pays désire atteindre.

Je tire une seconde conséquence du genre d’opposition que M. Verhaegen a faite au projet se loi. S’il s’est trouvé dans cette chambre même un député qui a pu apprécier d’une manière aussi fausse et aussi odieuse, les doctrines de la religion, un homme éminent, puisqu’il est élu d’un district, un homme qui peut être censé posséder au moins l’instruction de la profession qu’il exerce, je vous demande si l’on n’est pas en droit de chercher à écarter des écoles des instituteurs qui, au mitoyen de leurs faux préjugés contre les doctrines religieuses, chercheraient à exercer des influences aussi pernicieuses à la religion même. Je vous demande si l’on n’a pas raison de faire en sorte de ne pas avoir des instituteurs dont l’esprit serait calqué sur celui de M. Verhaegen, si l’on n’a pas raison de chercher à donner aux jeunes gens une direction vraie en matière de doctrine religieuse ?

Maintenant, puisque des paroles de réconciliation ont été prononcées je terminerai par suggérer un moyeu d’obtenir cette réconciliation/

Plusieurs membres de cette chambre, qui appartiennent pas à l’opinion de M. Verhaegen, s’opposent à ce qu’aucune influence électorale ne soit exercée par l’autorité ecclésiastique. Or, quel est le but le seul but de cette influence ? C’est principalement l’instruction. L’autorité ecclésiastique craint avec raison, que si l’enseignement était abandonné à des hommes en pouvoir qui, par leurs instituteurs, pourraient dénaturer aussi odieusement que l’a fait M. Verhaegen, les vraies doctrines religieuses, il serait impossible d’inculquer aux masses des principes de religion et de morale et que même ces deux grandes garanties sociales seraient totalement impuissantes dans leur action.

Permettez à l’autorité ecclésiastique de diriger l’enseignement dans un sens véritablement religieux et moral, et elle ne se mêlera d’aucun parti dans les élections.

Nos adversaires veulent eux-mêmes que la religion et la morale président à l’enseignement. Ils n’ont qu’à se montrer conséquents avec eux-mêmes pour faire cesser les déplorables collisions qui existent. Je suis persuadé que l’autorité ecclésiastique, si on lui faisait une part d’influence suffisante dans l’enseignement, remettrait aux différents partis qui divisent l’Etat à arranger leurs affaires comme ils l’entendent, et que jamais elle ne chercherait à exercer aucune influence ni directe, ni indirecte sur les élections.

Qu’y a-t-il au bout des principes que vous voulez établir en matière d’enseignement ? Vous voulez que chaque commune ait une école de l’Etat. Au bout d’un pareil système, il n’y a que désordre et perturbation dans les familles et dans la commune. Vous détruisez ainsi l’un des articles de la constitution, l’article relatif à la liberté d’enseignement ; car, selon moi (je ne puis l’affirmer, mais je le crains), aucune école libre ne pourra se maintenir en présence dune école subventionnée par l’Etat.

M. Verhaegen (pour un fait personnel). - La chambre ne me permettra certes point de passer en revue le discours très remarquable dans son genre de l’honorable M. de Foere. Je l’aurais beaucoup désiré ; mais je dois avouer que la discussion en est venue au point qu’il est nécessaire de la clore, je me bornerai donc à dire quelques mots en réponse à un fait personnel. Si l’honorable M. de Foere ne m’avait pas attribué des attaques contre la religion catholique et contre ce qu’il appelle, lui, l’autorité ecclésiastique, je n’aurais pas pris la parole. Mais ce qu’il a dit à cet égard ne peut rester sans réponse.

Mes discours sont dans le Moniteur. Je défie qui que ce soit d’y trouver la moindre attaque contre le dogme, contre les principes de la religion catholique. La seule objection que puisse me faire l’honorable membre, c’est que je n’ai pas voulu reconnaître une autorité ecclésiastique. Eh bien, je dois répéter à cet égard ce que j’ai dit précédemment. Le clergé, quelque respectable qu’il soit, ne constitue pas un pouvoir dans l’Etat ; d’autorité ecclésiastique, je n’en connais pas, parce que la constitution ne connaît qu’une seule autorité, l’autorité civile.

Si vous admettez une doctrine contraire, qu’il me soit permis de vous dire à mon tour que vous violez le pacte fondamental. Vous me parlez catéchisme, moi je vous parle constitution ; je vous en parlerai toujours ; sans toucher au dogme, car je laisse le dogme tel qu’il est.

Au reste, si la morale de tout le clergé était celle qui vient d’être développée par l’honorable M. de Foere, je n’aurais peut-être pas toutes les craintes que j’ai conçues, je n’aurais pas parlé de ces tendances dont j’ai entretenu la chambre et qui apparaissent de toutes parts.

Il y a dans les observations de l’honorable M. de Foere quelque chose de très hardi. Ses principes théologiques me paraissent à certains égards libéraux. Je ne sais toutefois s’ils recevront l’approbation des princes de l’Eglise ; le temps nous l’apprendra.

M. de Foere. - Je demande la parole.

M. Verhaegen. - L’honorable M. de Foere professe la doctrine que protestants, luthériens, dissidents de toute espèce peuvent se sauver, pourvu qu’ils soient de bonne foi. Je remercie l’honorable membre de ses observations sur ce point ; elles sont consolantes, et je dois le dire, pleines de charité ; elles se résument en définitive dans les principes du christianisme primitif. Les théories de l’abbé de Foere me paraissent belles et larges et je me hâte d’en prendre acte. Puissent-elles être approuvées par tout le clergé catholique ! !

Je me rappelle que naguère un ecclésiastique très instruit, et que je respecte à plus d’un titre, avait, dans une circonstance très importante, développé au prône les mêmes principes ; il fut l’objet de toutes les attaques ; il fut même rappelé à l’ordre par ses supérieurs. Le sermon a été livré à l’impression et je me réserve de le mettre en regard du discours de l’honorable M. de Foere. Ce rapprochement sera digne de l’attention publique.

Quant à moi, je le dis tout de suite, j’adopte sur ce point et le sermon et le discours, je le dis sans crainte de me compromettre, car je suis sûr de rencontrer dans le Moniteur de demain les paroles que vient de prononcer l’honorable M. de Foere ; je m’en rapporte à cet égard à sa loyauté.

L’honorable M. de Foere, après sa profession de foi catholique, a passé en revue les ouvrages dont j’avais cité quelques passages, et je dois un mot de réponse à cet égard pour me défendre contre l’accusation qu’il a fait peser sur moi.

Ce n’est pas sans raison que j’ai cité ces ouvrages alors qu’on voulait attribuer au clergé la censure de tous les livres. Si j’avais parlé d’ouvrages d’ecclésiastiques employés dans certains établissements sans nécessité, l’accusation eût été juste. Mais j’ai été conduit à ces citations par les prétentions mêmes du clergé, et j’ai dû demander après cela s’il convenait de donner au clergé la censure de tous les livres.

L’honorable M. de Foere se met à l’aise, et voici comment il élude la question, comment il tourne l’objection. J’ai cité la théologie de Dens. L’honorable membre condamne lui-même le passage que je vous ai lu ; l’approbation donnée pour la forme est d’après lui insignifiante, et quant à l’emploi qui en est fait dans le séminaire il se borne à dire que le professeur chargé de cette branche s’empressera comme lui de condamner la doctrine.

Quant aux théorèmes de politique chrétienne approuvé à Rome et à Malines, il en défend les principes en se basant sur la liberté de la presse, et il ne voit aucun danger dans la permission de réimpression ; toutefois il reste muet sur l’usage qu’on en fait dans les établissements ecclésiastiques.

En résumé, voici sur ce point le raisonnement de l’honorable M. de Foere. Il est vrai, dit-il, que, dans la théologie de Dens, on trouve de mauvaises doctrines, mais le professeur les condamne ; les théorèmes de politique chrétienne peuvent présenter des dangers réels ; mais on n’en fait aucun usage, quoiqu’ils se trouvent dans les mains des élèves. Quant au catéchisme de Namur, on en a condamné certains passages et les nouvelles éditions ne contiennent plus ces passages.

Enfin l’honorable M. de Foere termine en disant (et ceci est encore fort précieux) : Le parti catholique, j en conviens, s’est posé en parti politique, il s’est mêlé d’élections c’est vrai. Mais faites une chose, donnez-lui tout l’enseignement ; là se bornent ses exigences. Donnez-lui l’enseignement : aujourd’hui l’enseignement primaire, demain l’enseignement moyen, et plus tard l’enseignement supérieur. Donnez-lui tout cela, donnez-lui le monopole de l’instruction et il ne vous inquiétera plus sur le terrain politique. C’est un théorème de plus.

En définitive, ce que vient de dire l’honorable M. de Foere, en prêchant pour la dixième fois la réconciliation, a pour but de nous démontrer qu’il faut adopter le système de l’honorable M. de Mérode, qu’il faut tout accorder au clergé, ne lui laisser aucun regret et qu’alors il se reposera et vous laissera maître du terrain.

Qu’on juge maintenant si nos craintes seraient fondées et si nos défiances étaient légitimes.

(Moniteur belge n°239 du 27 août 1842) M. de Foere. - Messieurs, M. Verhaegen voudrait rencontrer pas à pas le discours que je viens de prononcer, et dans sa réplique il dénature toutes les positions que j’ai prises.

En premier lieu, il a prétendu que je l’avais accusé de s’être attaqué à l’autorité ecclésiastique, taudis que je l’ai seulement accusé d’avoir exposé d’une manière fausse et odieuse les doctrines fondamentales de la religion et de la discipline de l’Eglise.

Il ne reconnaît pas, dit-il, d’autorité ecclésiastique. L’honorable M. Verhaegen est libre d’avoir à cet égard l’opinion qui lui convient ; mais je ferai observer qu’à différentes reprises, dans ses discours, il a reconnu l’indépendance de l’autorité ecclésiastique, et il voulait la lui maintenir, parce quelle était consacrée par la constitution. Or, sur quoi se fonde cette indépendance ? N’est-ce pas entièrement sur les actes de l’autorité ecclésiastique ? La constitution a tracé une ligne de séparation entre les deux autorités qui, toutes deux, agissent dans la sphère qui leur est propre.

M. Verhaegen prétend, dans son imagination théologique, que seul je professe l’opinion que j’ai soutenue à l’égard de la doctrine religieuse qu’après l’avoir dénaturée, il a attribuée à l’église catholique, et il croit que je retourne à je ne sais quel christianisme primitif. Pour soutenir son assertion, il rappelle ce qui s’est passé à l’égard d’un sermon prononcé par M. Verheyleweghen.

M. Verhaegen. - Je n’ai nommé personne.

M. de Foere. - Je nomme M. Verheyleweghen, parce que c’est à son sermon que vous avez fait allusion, et afin qu’il n’y ait aucun doute sur le fait. Si M. Verhaegen connaissait l’histoire de son temps et les faits dont il parle, il saurait que ce n’est pas pour cette opinion que M. Verheyleweghen a encouru la disgrâce de ses supérieurs. Je rédigeais alors le Spectateur Belge. Ce sermon m’a fourni l’occasion d’écrire une dissertation dans laquelle, tout en relevant d’autres erreurs de M. Verheyleweghen, je l’ai justifié sous le rapport du principe de l’Eglise qui enseigne que les protestants de bonne foi ne sont pas exclus de son sein. Eh bien, le Spectateur était entre les mains du clergé tout entier, et aucune réclamation publique ou privée ne m’a été adressée ni de la part de l’autorité ecclésiastique, ni de la part d’aucun membre du clergé. Je ne suis donc pas le seul qui professe cette doctrine, et il y a donc unanimité à cet égard.

M. Verhaegen fait un signe de dénégation ; mais si, après des faits aussi constants et aussi patents, il persiste à soutenir que je reste seul dans mon opinion, la discussion parlementaire n’est plus possible. Je m’abstiendrai de qualifier une semblable opposition.

M. Verhaegen a continué à prétendre que les Théorèmes de politique chrétienne ont été approuvés par l’autorité ecclésiastique. S’ils avaient été approuvés, je ne vois pas sur quel fondement il blâme cette approbation. L’autorité ecclésiastique exercerait sous ce rapport un acte d’indépendance que M. Verhaegen lui-même lui a plusieurs fois reconnue. Mais je le répète, il a été toujours entendu qu’une simple autorisation d’impression ou de réimpression d’un livre n’implique ni son approbation, ni sa désapprobation. Les conséquences qu’il tire de cette autorisation sont donc fausses.

(Moniteur belge n°238, du 26 août 1842) M. de Mérode. - Messieurs, l’amendement que j’ai proposé se fonde sur les raisons que j’ai déjà fait valoir en faveur de la plus large part possible donnée au clergé dans l’école normale primaire subsidiée des deniers publics, raisons qui n’ont été abordées franchement par aucun adversaire. J’ai démontré qu’un gouvernement sans culte obligatoire n’offrait dans sa direction propre aucune garantie morale et religieuse pour l’éducation, une brochure qu’on m’a remise, il y a quelques jours, rappelle à ce sujet un passage très caractérisé d’un discours de M. Nothomb en 1836, le voici :

« Quelle est aujourd’hui la mission du gouvernement ? A-t-il encore la direction intellectuelle, religieuse et morale de la société ? Non, il est chargé de la conserver matériellement. L’ordre public est son domaine : hors de là, vous le frappez d’incompétence. La direction intellectuelle, religieuse et morale, est en dehors de l’état politique ; vous l’avez ainsi voulu à tort ou avec raison, car je cite un fait : la société s’est crue assez forte, assez probe pour se diriger elle-même dans les voies de l’intelligence, de la religion et de la morale. C’est là ce qui distingue spécialement la Belgique : on pourrait résumer par ces mots le chapitre 2 de notre constitution : non-intervention du gouvernement dans la direction intellectuelle, morale et religieuse du pays. »

Ici, messieurs, je trouve que M. Nothomb avait été trop loin, je ne veux pas que le gouvernement soit en dehors de la direction intellectuelle du pays. Car il doit favoriser le développement des hautes sciences et des arts, mais je ne pense pas qu’il puisse, par lui-même et sans intermédiaire, procurer le développement de la morale religieuse du pays et c’est là le principal objet de l’éducation primaire, qui pour le reste n’a qu’une tâche assez facile à remplir, l‘enseignement de choses peu compliquées.

Le tort de M. le ministre de l’intérieur à l’occasion de la loi actuelle est de ne pas dire simplement et comme son intelligence distinguée le comprend : « il faut que l’éducation soit morale et religieuse, afin de produire de bons fruits. Pour cela elle doit être généralement en Belgique catholique, car autrement elle demeurera dans une morale vague dépourvue de la sanction du dogme de la religion et de ses préceptes positifs. Or le gouvernement est un être mobile passant d’une main dans une autre, de la mienne dans une autre quant à son exercice responsable. Il ne peut donc pas, tant à cause de cette instabilité même, que par l’admissibilité aux fonctions publiques de tout citoyen, quelque soit son culte, organiser et diriger, ce qui doit former le cœur des enfants de la presque totalité numérique des habitants du pays. Conçût-on la mobilité, le changement dans une matière aussi sérieuse ? il faut ainsi qu’une autorité purement morale et qui offre les plus grandes garanties possible de durée et de fixité préside à l’éducation populaire. »

Voilà messieurs, je n’hésite pas à le dire, quel devait être le langage de M. le ministre de l’intérieur. Malheureusement les ministres, même bons, s’occupent trop des obstacles qu’ils ont à combattre. En finance ils ruinent l’Etat par des ménagements pour toutes les exigences auxquelles ils accordent la dilapidation des ressources publiques sans oser en même temps demander et vouloir les impôts équivalents aux dépenses que l’importunité leur arrache ; c’est pourquoi nous suivons le pernicieux et lâche système des emprunts multipliés à outrance sans nécessité, En éducation, c’est la même chose, on recule devant les objections qu’on pourrait aborder en face, comme je l’ai fait sans crainte et sans inquiétude d’être battu autrement que par les qualifications données aux idées que je vous ai soumises par conscience et par devoir, croyez-le bien ; car j’aimerais mieux le repos que la lutte continuelle que je soutiens depuis douze ans, tantôt dans l’intérêt de l’armée, tantôt dans l’intérêt du trésor public, tantôt en faveur des institutions gouvernementales nécessaires à la société, puis des institutions morales et religieuses plus nécessaires encore.

M. le chanoine de Hauregard, si connu à Namur par son zèle pour l’amélioration les criminels détenus dans les prisons, vient de publier un nouvel écrit sur cette matière, et voici comment il s’explique : « Tous les individus qui peuples les prisons sont tombés entre les mains de la justice humaine par ignorance, l’oubli et quelquefois par le mépris de la justice divine. Je ne me souviens guère d’y avoir rencontré un homme vraiment instruit de la religion. J’y ai trouvé au contraire une foule d’hommes et même de femmes qui ne savaient pas un mot du catéchisme qu’ils avaient dû apprendre autrefois, J’y ai trouvé des individus qui depuis 15, 20, 30 ans n’avaient plus approché du tribunal de la pénitence et plus généralement des chrétiens qui dès l’âge le plus tendre avaient omis de remplir aucun devoir de religion. »

On me dira : Vous citez un chanoine, c’est une autorité suspecte. Mais ce chanoine administrateur des prisons depuis 26 ans, a été avocat pendant 14 ans, a plaidé devant les tribunaux plus de 2,000 causes tant criminelles que correctionnelles.

Enfin ledit avocat, défenseur des prévenus, aujourd’hui chanoine, conclut que le remède, le préservatif contre les crimes, c’est l’éducation religieuse. Notez bien, l’éducation non pas un enseignement partiel et inefficace, l’éducation, ce mot dit tout. Et en parlant des frères des écoles chrétiennes, il ajoute : On dirait que la Providence, par une marque toute spéciale de ses bontés, a suscité cette institution pour venir en aide au siècle présent, et malheur à nous, si nous négligeons de profiter de ce bienfait.

Il fait néanmoins observer que les frères des écoles chrétiennes, d’après les règles de leur institut, ne peuvent se disséminer dans les communes rurales par la raison qu’ils doivent toujours vivre en communauté.

Cette impossibilité a donné naissance l’école normale de Namur formée par les soins et la charité de M. le chanoine le Montpellier, (encore un chanoine, Triest le père de tous les malheureux était aussi chanoine) école où se forment sous la direction des frères des jeunes gens, qui, sans être religieux, portent ensuite les vertus et la méthode de leurs maîtres dans les campagnes.

Partout ainsi dit M. de Hauregard, peut être obtenue l’éducation religieuse et conséquemment la réforme des mœurs et des actions qui blessent la communauté des hommes, c’est-à-dire M. Verhaegen comme moi je le demanderai maintenant à M. le ministre de l’intérieur, veut-il que les écoles normales du gouvernement contribuent aussi pour leur part à la réforme des mœurs et des actions qui blessent la communauté des hommes ? Veut-il que ces écoles rivalisent ainsi réellement avec les écoles de M. le Montpellier ou autres analogues dont l’excellence a pour garant un homme grave un homme de dévouement, un ancien avocat devenu prêtre, inspecteur des prisons depuis 26 ans. (Qui dans cette chambre, qui dans le pays tout entier, peut présenter sur la matière que nous discutons une autorité semblable à celle-là ?)

Eh bien, que M. le ministre, au lieu d’abandonner dans sa loi absolument à la discrétion de ses successeurs variables, le choix du principal placé à la tête de deux écoles normales du gouvernement leur impose un lien moral en reconnaissant aussi qu’il faut assurer par ce choix non pas simplement l’enseignement de la morale et de la religion, mais l’éducation morale et religieuse des élèves maîtres formés par le gouvernement

M. le ministre de l’intérieur nous dit : « Moi je suis disposé à choisir pour principal des écoles en question un ecclésiastique. Mais je ne veux pas que l’amendement de M. de Mérode entraîne avec lui cette conséquence pour l’avenir. » Ce langage a droit de me surprendre. Ce que vous trouver bon pour le présent serait-il mauvais plus tard ? Mais si c’est mauvais, pourquoi feriez-vous aujourd’hui du mauvais ? Du reste, messieurs, et je vous prie d’y faire bien attention, mon amendement n’entraîne nullement comme l’a dit M. le ministre, l’obligation pour le gouvernement de choisir toujours un ecclésiastique comme principal des deux écoles normales dont il s’agit, il entraîne seulement cette conséquence morale, que le directeur de l’école sera toujours un ami sincère de l’éducation religieuse, et par conséquence toujours d’accord sur ce point distinct, d’ailleurs, de l’enseignement civil, avec le membre du clergé attaché à l’école pour y consacrer soigneusement un système d’éducation morale et religieuse complet. Il est tel directeur laïque qui serait à mes yeux tout aussi bien placé à la tête d’une école normale qu’un prêtre, et qui par sa capacité intellectuelle, pourrait même être préférable, quoi qu’en général un ecclésiastique offre un caractère plus en harmonie avec ce poste qu’un laïque.

Je le répète : un laïque peut être très propre à le remplir et ne doit pas être exclu des écoles gouvernementales. Il est un autre reproche qui m’a été adressé et qui vraiment d’après tous les faits qui se passent dans le pays depuis 12 ans et d’après ma conduite particulière me semble incroyable. C’est que nous allons et voulons traquer en Belgique les protestants, ne pas leur laisser un coin de terre où ils puisent se réfugier. Messieurs, il est évident que des écoles destinées à former non pas des élèves ordinaires, mais des élèves instituteurs, c’est-à-dire des jeunes gens modérés, sous le rapport de la conduite et des mœurs, il est évident, dis-je, que de telles écoles ne pourraient supporter un mélange de maîtres et d’élèves appartenant à divers cultes, si l’on veut y donner une solide éducation morale et religieuse. Je suis certain qu’aucun protestant sérieux ne désire un pareil mélange et pour en être convaincu je n’ai qu’à m’interroger moi-même en faisant une supposition qui se réalise en d’autres pays où les catholiques sont en minorité.

Si nous n’étions en Belgique que dix ou vingt mille catholiques et qu’il existât de grandes écoles normales à l’usage de la masse d’une population luthérienne ou calviniste, voudrions-nous qu’on élevât les instituteurs de nos enfants dans ces écoles, ou bien, nous serait-il plus agréable de recevoir de l’Etat un subside proportionné à notre nombre et donc nous disposerions, afin de nous procurer des maîtres, à notre gré ? Nous n’hésiterions pas, et loin de croire que les protestants, nos compatriotes, voulussent ainsi nous traquer, nous refuser un coin de terre pour y vivre, nous applaudirions à leur sage tolérance si distincte de cette indifférence zélée pour le pot-pourri de tous les cultes, c’est-à-dire pour leur anéantissement.

Et c’est là, messieurs, après tout ce qui fait constamment préconiser aux organes du rationalisme l’intervention active d’un gouvernement sans croyance légale dans l’enseignement primaire, l’enseignement secondaire et à l’égard de l’enseignement supérieur, l’exclusive nomination des jurys d’examen, selon eux, on ne peut trop faire agir en ce qui regarde le développement des esprits. Ce gouvernement sans culte déterminé et par conséquent sans doctrine connue ils savent bien que zéro ne produira jamais que zéro ; l’Etat étant zéro en religion d’après la constitution belge, ce qui a été établi non pour la destruction mais pour le libre exercice du culte, ils comprennent que l’éducation religieuse de l’Etat aboutira à zéro, ce que je comprends parfaitement de mon côté ; aussi lorsque nous disons, ajoutez à cette culture la culture du cœur par la religion, nous voulons la science, la science animée par la foi, c’est autre chose, alors l’Etat n’a plus rien à distribuer ; payer vous-même cette science, nous déclare-t-on, l’Etat payera la nôtre des deniers publics, et après avoir versé dans ses coffre votre tribut vous payerez qui vous voudrez pour vous donner l’enseignement qui vous convient.

Voilà, messieurs, le résumé de toute une discussion dans laquelle les circonvolutions de langage n’ont pas été épargnées. Dans mes discours précédents comme dans celui-ci j’ai cherché à sortir la question du nébuleux où on l’enveloppait trop souvent, j’ai parlé franchement parce que ma cause était belle, facile à défendre sur le terrain pratique où je l’ai posée. Un seul de mes adversaires m’a répondu ceci : « Si vos principes pour l’éducation primaire sont vrais ils s’appliquent à l’éducation secondaire également. » A cet argument ma réplique ne sera pas longue. Assurément je ne suis pas de ceux qui croient l’éducation morale religieuse positive, bonne pour le peuple, je la considère comme non moi utile aux messieurs qu’aux ouvriers. Cependant, comme je ne suis pas seul à régir l’emploi des deniers publics appliqués à l’enseignement, que je ne dispose pas de la volonté du pays, j’accepte ce qu’on adopte ici pour son véritable bien-être, à savoir que l’éducation primaire doit être morale et religieuse, et, jugeant que celui qui veut la fin doit vouloir les moyens, je les appuie dans leur efficacité réelle sans subtilités ni détours, fort de l’autorité d’un homme de pratique et de dévouement pendant un quart de siècle et dont il est inutile que je répète l’honorable nom.

J’ai cité précédemment les paroles de M. l’avocat-général parisien Lafosse concernant la supériorité du siècle actuel sur les temps passées. Eh bien ! je le dis avec conviction, si cette supériorité se trouve plus que douteuse, c’est par l’affaiblissement de la morale, suite de l’affaiblissement de la foi chrétienne connue par l’expérience, base de toute vraie civilisation. Si le sentiment religieux venait à renaître avec nos institutions politiques et judiciaires plus régulières, plus favorables à la multitude que le régime ancien, notre siècle serait vraiment supérieur aux précédents, mais s’il produit seulement plus de richesses matérielles, en nous privant des trésors de l’âme avec l’abandon du vrai principe de vie morale et d’espérance future, la religion, nous subirons malgré nos prétentions et au milieu des plus belles découvertes physiques, la décadence sociale qui, dans sa plus grande prospérité, aurait l’empire des Césars, et la corruption qui l’avilit malgré sa toute-puissance et sa force que nulle n’a égalé depuis.

Messieurs, si M. le ministre de l’intérieur persiste à repousser mon amendement, après avoir entendu les observations que je viens de lui présenter de nouveau, comme à vous tous, je le retirerai pour éviter une lutte nuisible entre une partie de la chambre et le gouvernement. Mais j’en appelle à la droiture du ministre, car il s’agit des plus hauts intérêts de la société.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je remercie et bien sincèrement l’honorable comte de Mérode des dernières paroles qu’il a bien voulu m’adresser. Je remplis un devoir en répétant que je regarde son amendement comme au moins inutile. L’honorable membre ne me paraît pas assez pénétré de l’idée qui nous a dès le commencement dominé dans cette discussion. Cette idée se retrouve aussi dans son discours mais elle y est mêlée à des considérations que je considère comme trop générales, comme trop vagues. Avec des considérations aussi générales, aussi vagues, on ne fait pas une loi.

Parmi ces considérations, il en est plusieurs qui m’ont frappé. Il y en qui n’étaient pas neuves pour moi et qui ont pu frapper tout homme qui s’occupe d’instruction publique ; il y en a qui influeront sur tout ministre qui concourra à l’exécution de la loi.

L’honorable membre, en parlant de son amendement, a dit qu’il n’avait pas pour conséquence d’imposer au gouvernement le choix d’un principal ecclésiastique, qu’il avait seulement pour conséquence d’indiquer qu’il fallait que le principal dans une école normale fût un ami sincère de l’éducation morale et religieuse. Mais c’est ce que nous admettons tous. Si le principal, dans une école normale, n’est pas un ami sincère de l’éducation morale et religieuse, c’est qu’il ne comprendra pas notre loi.

Je ne veux pas entrer dans la discussion générale, Je crois avoir pris la position que comme ministre, je dois prendre dans cette difficile discussion. Je le répète, je crois l’amendement de l’honorable comte de Mérode inutile ; je le crois même dangereux au point de vue de l’honorable M. de Mérode, puisque l’introduction dans cette article, des mots nouveaux : éducation morale et religieuse restreindrait le sens que nous avons donné dès le premier jour de la discussion aux expressions : enseignement moral et religieux.

M. Lebeau. – L’honorable M. de Mérode paraît avoir subordonné le maintien ou le retrait de son amendement, aux explications de M. le ministre de l’intérieur. M. le ministre de l’intérieur s’est exprimé, je désire savoir ce que fait M. de Mérode, car je n’ai demandé la parole que pour combattre son amendement.

M. de Mérode. - Puisque M. le ministre pense que mon amendement ne peut pas être adopté, j’y renonce. J’ai suffisamment expliqué les motifs qui m’auraient forcé à le présenter. J’espère que M. le ministre aura égard aux considérations que j’ai fait valoir.

M. le président. - Je vais mettre l’article aux voix. Il est ainsi conçu :

« Indépendamment de la direction et de la surveillance particulière que le gouvernement exerce sur les écoles primaires supérieures, et sur les écoles normales, ces institutions sont soumises au mode d’inspection établi par l’art. 7 du titre 1er et par le titre II de la présente loi. »

M. le ministre a propose les dispositions additionnelles suivantes :

« Les instituteurs et professeurs des écoles normales et des écoles primaires supérieurs sont nommés et révoqués par le gouvernement.

« Il y aura dans chaque école normale un ministre du culte chargé de l’enseignement de la morale et de la religion. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - M. le président, il y a un changement à faire à la fin du premier paragraphe pour le renvoi aux articles : il faut mettre : « Au mode de direction et d’inspection ecclésiastique résultant des art. 6, §2 ; 7 §2 et 4 ; Set 9 (nouveau) de la présente loi. »

Un membre. - Il ne faut pas direction.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’enseignement de la morale et de la religion doit être donné sous la direction des ministres du culte ou, par un ministre du culte. Nous sommes tous d’accord sur ce point. (Oui, oui.)

- L’art. 31 est adopté avec le changement proposé par M. le ministre de l’intérieur.

Article 32

« Art. 32. Tous les 3 ans, un rapport sur l’état de l’instruction primaire sera présenté par le gouvernement à la législature. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a de plus, d’après l’art. 17, un état annuel annexé au budget. C’est pour cela qu’un rapport triennal a paru suffisant.

M. Devaux. - Messieurs, il est dit dans l’art. 2, si je ne me trompe qu’un rapport sera fait sur les écoles dont l’existence dispense les communes d’en établir une pour leur propre compte. Il faudra sans doute que le rapport embrasse aussi les écoles adoptées par les communes.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est ainsi que je l’entends ; il est dit au dernier article de la lot : « un rapport sur l’état de l’instruction primaire. » Ces expressions sont générales et s’appliquent nécessairement aux écoles dont parle l’honorable membre.

M. Devaux. - Je crois, du reste, qu’il sera nécessaire d’introduire dans la loi une disposition qui précise le régime auquel seront soumises les écoles privées adoptées par les communes.

- L’art. 32 est adopté.

Article additionnel

M. le président. - La chambre passe à la discussion de l’article nouveau proposé par M. le ministre de l'intérieur relativement à la nomination des instituteurs. Cet article est ainsi conçu :

« La nomination des instituteurs communaux a lieu par le conseil communal, conformément à l’art. 84, n°6, de la loi du 30 mars 1836.

« Pendant les deux premières années de la mise à exécution de la présente loi, toutes les nominations seront soumises à l’agréation du gouvernement. Après ce délai, les conseils communaux choisiront leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront d’avoir fréquenté avec fruit, pendant deux ans au moins, les cours normaux d’un établissement soumis au régime de la présente loi ou ayant, quant à la surveillance, accepté ce régime depuis deux ans.

« Toutefois, les conseils communaux pourront, avec l’autorisation du gouvernement, choisir des candidats ne justifiant pas de l’accomplissement de cette condition. »

M. Cogels. - Messieurs, je crois qu’il faudra introduire un changement dans cet article, parce que sans cela l’exécution en serait extrêmement difficile. En effet, cet article porte ce qui suit :

« Pendant les deux premières années de la mise à exécution de la présente loi, toutes les nominations seront soumises à l’agréation du gouvernement. Après ce délai, les conseils communaux choisiront leurs instituteurs parmi les candidats qui justifieront d’avoir fréquenté avec fruit, pendant deux ans au moins, les cours normaux d’un établissement soumis au régime de la présente loi ou ayant, quant à la surveillance, accepté ce régime depuis deux ans. »

Il faudrait donc supposer que l’organisation des écoles normales sera complète au moment même de la mise à exécution de la loi. Si vous exigez que les professeurs aient fréquenté les écoles normales pendant deux ans, il me semble que deux ans après la mise à exécution de la loi il n’y aura pas encore des élèves des écoles normales qui puissent être nommés, car, je le répète, il n’est guère probable que les écoles normales soient organisées au moment même où la loi sera mise à exécution.

Je proposerai donc de dire : « Pendant les trois premières années, etc. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui.

M. Devaux. - Je commence, messieurs, par dire que l’observation de M. Cogels me paraît juste. Ce n’est pas au moment même où le gouvernement ouvrira les écoles normales que ces écoles auront des élèves. Je crois que les écoles normales auront beaucoup de peine à être connues dans le pays ; limitées à deux, situées dans deux de nos provinces, il leur faudra peut-être beaucoup de temps pour être connues dans les campagnes des autres provinces et pour s’y recruter,

Mais j’ai, messieurs, des observations beaucoup plus graves à faire contre l’article en discussion auquel je viens m’opposer formellement et de toutes mes forces.

Vous vous rappellerez, messieurs, ce que le projet de 1834 proposait relativement à la nomination des instituteurs. On a dit souvent dans cette discussion que l’instituteur c’est l’école. On pourrait dire avec presque autant de raison que la nomination c’est l’instituteur. D’après le projet de 1834, messieurs, pour toutes les écoles subsidiées par la province ou par l’Etat, la commission nommée par l’autorité provinciale aurait désigné trois candidats après s’être assurée de leur aptitude intellectuelle et morale ; la commune choisirait l’instituteur parmi eux. Dans la discussion générale on a dit que l’on était converti à des principes que je professais moi-même, et que l’on voulait centraliser plus que ne le faisait le projet de 1834. J’ai dit que je me réjouissais de cette conversion, mais je demandais qu’elle se manifestât par des actes et j’ai proposé moi-même de transférer au pouvoir central le droit que le projet de 1834 donnait à la commission provinciale. Mais le pressentiment que j’avais à cet égard s’est réalisé, j’avais eu soin d’ajouter que je voulais transférer au pouvoir central toute l’autorité donnée à la commission provinciale, que je voulais la transférer dans toute son intégrité et aussi avec toute son indépendance.

Ainsi que je le pressentais, on a adopté une partie de ce que je proposais, et l’on a abandonné l’autre partie : on a donné un certain pouvoir au gouvernement, mais on a ôté à l’autorité civile la partie la plus importante des attributions que le projet de 1834 donnait à la commission provinciale, c’est-à-dire la liberté, l’indépendance dans le choix des candidats.

Vous voyez donc, messieurs, jusqu’à quel point l’on a adopté ma proposition. Quelle est la portée du projet ? Je ne parle pas du régime provisoire établi pour 2 ans, c’est là la partie la moins intéressante, la moins importante. Mais quelle est la partie de la disposition qui doit rester définitive ? Les conseils communaux pourront choisir librement leurs instituteurs lorsqu’ils les prendront parmi les élèves des écoles normales ou des cours normaux dans un établissement soumis au régime de la présente loi, ou ayant, quant à la surveillance accepté ce régime depuis deux ans.

Aussi, messieurs, ce n’est pas un pouvoir supérieur qui présente des candidats aux communes, ou qui contrôle seulement les nominations faites par les communes. Non, les moindres communes agissent librement, pourvu qu’elles choisissent un élève d’une école normale ou d’un cours normal.

Je me demande d’abord quel peut être, dans la pratique, le sens de cet amendement ? Les instituteurs pourront être nommés parmi les candidats qui justifieront d’avoir fréquenté avec fruit, pendant deux ans au moins, les cours normaux d’un établissement soumis au régime de la présente loi ou ayant, quant à la surveillance, accepté ce régime depuis deux ans.

Mais que signifie : « être soumis au régime de la présente loi. » Cela veut-il dire, les établissements où les instituteurs seront nommés d’après le régime que la loi établit ? Comme il semblait y avoir équivoque, on a ajouté : «ou ayant, quant à la surveillance, accepté ce régime depuis deux ans. »

Il suffira donc qu’un établissement ait accepté l’inspection de l’Etat et celle de l’autorité ecclésiastique pour que cet établissement soit dans le cas prévu par l’article qui nous occupe. Tout établissement qui aura ouvert sa porte, qui aura prévenu le gouvernement qu’il peut le faire inspecter, et que l’autorité ecclésiastique peut le faire inspecter, tout établissement qui sera dans ce cas, formera des élèves propres à être nommés par les communes sans contrôle aucun de la part de l’autorité supérieure,

Et que vaut, messieurs, cette inspection que l’on nous vante ? Qu’est ce qu’un établissement que l’on inspecte et auquel on n’a aucun autre droit de toucher ? Qu’est-ce qu’un établissement qui dit : « Inspectez moi, mais vous n’avez pas le droit de toucher rien de ce que je fais, vous n’avez pas le droit de rien changer à mon organisation. » Qu’est-ce qu’un pareil établissement ?

La première école venue qui dira : « Je suis école normale ; j’ai des cours normaux et, par conséquent, je donne à mes élèves un certificat qu’ils ont suivi avec fruit mes cours normaux, ce qui leur confère le droit d’être nommé sans contrôle aucun, instituteurs dans les écoles communales. »

Je ne comprends pas, messieurs, une disposition pareille ; je ne conçois pas que la loi reconnaisse un privilège aux cours normaux établis près d’un établissement quel qu’il soit, alors que personne n’a le droit de juger quels sont ces cours normaux, comment ils sont donnés, par qui ils sont donnés, quelle espèce de résultats ils donnent. La première école venue, dirigée par le premier ignorant venu, peut s’intituler école normale, école ayant des cours normaux. S’il se trouve quelque part dans un village un ignorant dont on veuille faire un instituteur, on n’aura qu’à lui faire suivre pendant quelques années la plus mauvaise école qui se trouvera dans le voisinage ou dans la commune même, et qu’on intitulera école normale, je ne sais pas comment vous pourriez établir que cette école n’est pas une école normale. Votre loi ne définit pas ce que c’est qu’une école normale, et je ne sais comment vous pourriez le définir.

L’article dans le sens large qu’il a en apparence, devient d’une exécution impossible ou ridicule. Il est certain que la prétendue garantie qu’on veut offrir par la préférence qu’on donne aux élèves des écoles normales, devient une niaiserie, si on laisse l’article tel qu’il est. Il est évident que si vous pouvez être nommé instituteur communal, du moment que vous avez fréquenté un cours normal quelconque, l’article ne présente pas une ombre de garantie.

Mais en réalité, que veut-on ? On a espéré que nulle part il ne s’établirait de cours normaux, en dehors des écoles normales du gouvernement et de celles du clergé. Eh bien ! messieurs, dans ce cas c’est donner à des écoles privées, à des écoles particulières un privilège que je ne puis pas reconnaître. J’admets la liberté d’enseignement pour les écoles privées dans toute son étendue, mais je ne puis pas accorder à des écoles libres un véritable privilège.

Messieurs, administrativement, je comprends qu’on donne la préférence aux élèves de tel genre d’établissements, qu’on entre dans les considérations du séjour qu’ils ont fait dans une école normale même privée ; mais on ne peut pas écrire ce privilège dans la loi, il ne peut pas y avoir de privilège dans la loi.

Si, au moins, il y avait une espèce d’égalité entre le gouvernement et l’autorité ecclésiastique ; mais que voyons nous ? que là où le gouvernement produira peut-être 20 ou 40 instituteurs au moyen de ses écoles, l’autorité ecclésiastique pourra en produire un nombre indéfini et qui est déjà très grand aujourd’hui, c’est-à-dire que, lorsque le gouvernement présentera un candidat, l’autorité ecclésiastique pourra en présenter 5 ou 6.

Messieurs, si en disait à l’étranger : « L’organisation de l’instruction primaire en Belgique est telle qu’il y a dans le pays une autorité qui possède déjà 5, 6 et même 8 écoles normales, alors que le gouvernement n’en institue que deux. » On aurait peine à croire que c’est le pouvoir civil lui-même qui se reconnaît si inférieur à une autre autorité ; mais que serait-ce si on disait que la loi fait en sorte que ces écoles normales obtiennent pour leurs élèves des places d’instituteur communal dans la proportion de leur nombre ?

On me dira que le gouvernement n’a pas seulement deux écoles normales, mais qu’il a des cours normaux établis dans chaque province près des écoles-modèles. Mais la discussion nous a appris que ces cours normaux n’existent que pour les instituteurs urbains, et pour des instituteurs déjà nommés, par conséquent pour ceux qui sont déjà nommés, et non pour ceux qui attendent une nomination.

Voyez, messieurs, comme la loi s’est arrangée de manière à ce que la commune doive préférer les candidats présentés par l’autorité religieuse aux candidats sortis des écoles normales du gouvernement ; contact continuel avec l’inspecteur ecclésiastique ; celui qui dirige l’enseignement religieux et moral est incessamment sur les lieux ; contact accidentel, pour ainsi dire, deux fois par an, avec l’autorité civile au moyen de l’inspecteur. Si donc on préfère le candidat de l’école primaire ecclésiastique, on est sûr du concours du clergé, on est sûr de la direction de l’enseignement religieux et moral, tout doit donc concourir pour la tranquillité de l’administration de l’école, à lui faire préférer ce candidat.

Messieurs, je ne puis consentir à écrire dans la loi un privilège pour des écoles privées ; je ne puis non plus écrire dans la loi cette suprématie de l’autorité religieuse dans ce sens que lorsqu’il y aura une place vacante, cette autorité présentera 4, 5, 8 candidats, tandis que le gouvernement ne pourra en présenter qu’un ou deux.

Qu’on ne m’accuse pas de défiance injuste envers les établissements de l’autorité religieuse ; je réponds encore une fois qu’administrativement, on peut faire beaucoup plus qu’on ne peut faire par la loi ; il y a des choses qu’administrativement, c’est-à-dire librement, on peut faire, mais que la loi ne doit pas imposer.

La défiance qu’on nous reproche existe de l’autre côté, et nous en avons des preuves palpables ; si je reviens sur ce fait, ce n’est pas par une vaine récrimination ; mais de l’autre côté, on a retardé pendant 8 ans, l’organisation de l’enseignement primaire, et par conséquent, l’établissement des écoles normales. Qu’a-t-on fait pendant ce temps ? On s’est hâté de créer des écoles normales en grand nombre, quatre fois autant que le gouvernement en aura.

Je dis que, comme législateurs, il est de notre devoir de regarder avec quelque ombrage ces établissements élevés à la hâte, pendant qu’on empêchait la discussion de la loi sur l’instruction primaire, et par conséquent la constitution des écoles normales de l’autorité civile. Je dis que, quelles que soient aujourd’hui les écoles normales du clergé, le législateur ne peut pas prévoir ce qu’elles seront dans d’autres temps ; je laisse à ces établissements une pleine liberté, je ne leur suis nullement hostile, mais comme législateur, je ne puis certainement pas leur accorder un privilège.

Si l’on veut faire sincèrement ce que l’on disait vouloir faite en faveur du pouvoir central, qu’on imite le projet de 1834. Qu’on permette au pouvoir central de présenter les candidats à la nomination des communes, et de juger librement de l’aptitude des élèves, de quelque école qu’ils sortent. Si l’on ne veut pas aller jusque là, qu’on soumette par une règle générale, sans exception, la nomination de tous les instituteurs à l’agréation du gouvernement.

C’est dans ce sens que je voterai ; je repousserai l’article tel qu’il est présenté.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne prends la parole que pour un moment ; j ‘aborderai tout à l’heure la discussion. L’honorable préopinant ne tient pas compte d’un fait extrêmement important, je veux parler de l’art. 84, n°6, de la loi communale.

Nous avons pensé qu’on devait tenir compte de cette disposition, et nous nous sommes demandé jusqu’à quel point il fallait, en maintenant le principe, y apporter certaines restrictions. Nous vous avons proposé un système de restrictions. L’honorable membre pense que ces restrictions ne sont pas encore suffisantes.

M. Lebeau. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est-à-dire qu’il me semble que cette fois il manque entièrement de confiance dans les conseils communaux. Nous sommes au contraire, partis de l’idée qu’il fallait jusqu’à un certain point maintenir la disposition de l’art. 84, n°6 de la loi communale, nous avons pensé que les conseils communaux pouvaient mériter notre confiance dans certaines limites.

Je me suis levé uniquement pour faire cette observation et pour signaler en quelque sorte le point de vue où je me suis placé, en rédigeant cet article. J’ajouterai que je désire que l’honorable membre veuille formuler un autre système, nous l’examinerons.

M. Lebeau. - Je ne puis pas admettre come une fin de non-recevoir présentée sérieusement, la loi communale elle-même. C’est quelque chose, selon la thèse qu’on soutient aujourd’hui ; ce n’était rien selon la thèse qu’on défendait hier.

Il est certain que la loi actuelle, dans quelques-unes de ses dispositions fondamentales, porte atteinte à l’indépendance communale, telle qu’elle est établie par la loi de 1836. En vertu de l’initiative communale puisé dans cette loi organique, plusieurs établissements ont été créés, établissements dont les conditions sont considérablement modifiées par la loi que vous faites ; cela est tellement évident que vous prévoyez dans votre loi la faculté d’interdire à une commune qui ne demanderait pas un sou de subside à l’Etat ni à la province, le droit de subsidier une seule école, droit qui résulterait de la loi que lui accordait la loi de 1836. Ainsi, je ne puis m’arrêter à la fin de non-recevoir invoquée par M. le ministre, parce qu’on fait ce qu’on veut de cette fin de non-recevoir selon l’occurrence.

Du reste, messieurs, je remarque que le projet de 1834, dans la disposition à laquelle l’honorable M. Devaux a fait allusion, respecte la prérogative de la commune, on ne lui impose par l’instituteur ; c’est elle qui le nomme ; seulement on lui présentait des candidats. Je comprends, je fais tout d’abord cette concession, je comprends qu’il y aurait quelque chose d’anormal, quelque chose de peu convenable à voir le pouvoir central arriver devant le conseil communal une liste à la main ; je reconnais qu’il y aurait quelque chose d’anormal à mettre de cette façon le pouvoir central en contact avec l’autorité communale. Cet inconvénient n’existait pas dans le projet de 1834, car là, ce n’était pas même l’autorité provinciale mais une commission qui se trouvait en rapport avec le conseil communal. Pour faire cesser les scrupules de M. le ministre de l'intérieur, que je partage jusqu’à un certain point, je proposerai de rendre permanente l’approbation du gouvernement, que le ministre propose de rendre temporaire.

Voici la disposition par laquelle je proposerai de remplacer les deux paragraphes de l’article :

« Ces nominations seront soumises à l’agréation du gouvernement. »

De cette manière, la liberté communale est complètement sauvegardée, et la sollicitude que M. le ministre vient de témoigner pour cette liberté, sera complètement satisfaite. La liberté communale n’est pas atteinte parce qu’une autorité supérieure vient contrôler les choix de tel et tel fonctionnaire communal. La loi communale elle-même a exigé l’intervention d’une autorité supérieure après que la commune a nommé plusieurs de ses fonctionnaires ; ainsi aucune nomination de receveur communal n’est valable qu’après avoir été conformée par la députation permanente ; aucune nomination de secrétaire n’est considérée comme définitive que quand elle a reçu la sanction de la même autorité ; et on va jusqu’à croire aujourd’hui que l’intervention de l’autorité provinciale dans les actes de l’autorité communale ne suffit pas, puisque par un projet de loi, dont la chambre aura à s’occuper ultérieurement, on propose de transférer ce droit de contrôle au pouvoir central. Nous ferons ici, si vous voulez, la même chose. Puisque vous ne reconnaissez pas à la commune la faculté de nommer un secrétaire ou un receveur, sans le contrôle d’une autorité supérieure, bien qu’il s’agisse ici du ménage de la commune, à plus forte raison, ne devez-vous pas lui reconnaître la faculté de décider souverainement du choix de l’instituteur alors qu’il ne s’agit pas d’une chose purement communale, mais d’un objet qui ressortit à la fois à l’intérêt commun et à l’intérêt général.

On ne peut rien trouver à objecter à mon amendement si on veut un contrôle réel.

Je ne veux pas me livrer à des développements ultérieurs que je pourrais croire superflus, d’après ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, car il me semble que nous sommes d’accord.

- L’amendement de M. Lebeau est appuyé.

M. Dechamps. - Je demanderai d’abord à l’honorable M. Lebeau s’il maintient le système qui circonscrit le choix des communes parmi les candidats des écoles normales.

M. Lebeau. - Nullement.

M. Dechamps. - Je viens défendre le système de l’article du gouvernement. Il y a une chose dans cette discussion qui me frappe considérablement, c’est que ce qu’on considère généralement parmi les hommes qui ont un peu étudié cette matière difficile, ce qu’on considère comme faisant la force de cette législation, sans cette disposition, n’aura aucun effet pratique.

Ainsi la question de nomination, dans le système du gouvernement, se rattache aux écoles normales. Dans beaucoup de pays il n’existe pas d’écoles normales ; il en est de même en Autriche et dans plusieurs pays de l’Allemagne, où l’instruction primaire est très développée ; il existe des cours normaux, des cous de pédagogie, mais d’institutions complètes d’écoles normales, il n’en existe pas. En Autriche, en Hollande, la force des écoles primaires réside non dans la force des écoles normales, mais dans le régime de l’inspectorat. On a cru qu’en donnant au gouvernement cette action permanente, continue, force que l’inspectorat lui donne, on pourrait se passer jusqu’à un certain point de l’institution du régime des écoles normales ; vous conviendrez que dans ces pays on est parvenu à organiser un système très avancé, très développé d’enseignement primaire.

Nous avons admis comme une des colonnes de la loi ce système d’inspectorat d’une manière plus sérieuse, plus efficace, plus positive qu’en Hollande même. Je pourrais soutenir devant la chambre que si nous n’avions pas admis le système des écoles normales, mais seulement des écoles supérieures en y ajoutant des cours de pédagogie, nous aurions fait une loi très forte, une loi qui eût été regardée dans d’autres pays comme une excellente loi d’instruction primaire.

A l’excellence du système de l’Autriche et de la Hollande, nous avons ajouté la force du système de la Prusse. La puissance du système de la Prusse, repose sur les écoles normales. Nous avons admis dans la loi ce qui fait la force de la législation prussienne, l’institution des écoles normales. Mais veuillez faire attention qu’en Prusse on a cru que si vous ne donniez pas à vos écoles normales une sanction positive réelle, ces écoles normales seraient comme si elles n’existaient pas, elles n’amèneraient aucun résultat positif, aucun résultat pratique. C’est le système de nomination qu’on regardé comme essentiel pour donner une base aux écoles normales.

En Prusse, vous le savez, pour la nomination des instituteurs d’après la loi de 1819, il y a toujours une préférence accordée aux élèves sortant des écoles normales du pays. C’est le système généralement adopté. On a aussi admis des exceptions dans certains cas déterminés, et le gouvernement central ne se conserve que la ratification souveraine ; les nominations se font soit par les communes, soit par les administrations ayant fondé des écoles. Ces nominations sont contrôles par les inspecteurs ; au degré supérieur, vous arrivez à la ratification souveraine. Le principe qui fait la force de la loi prussienne, c’est que les écoles normales ont une base et une sanction c’est de donner aux candidats sortants des écoles normales, un droit de préférence. Si vous ne liez pas à ce régime des écoles normales le système de nomination, vous n’aurez pas créé d’écoles normales. Si les élèves surtout de ces écoles n’ont pas le droit de croire qu’une certaine préférence leur sera accordée, vos écoles n’existeront pas, vous aurez créé une lettre morte dans la loi. En France, on a créé un trop grand nombre d’écoles normales, car je crois que le gouvernement français aurait fait chose plus sage, chose plus prudente, d’organiser d’une manière plus sérieuse les écoles normales.

En France, par la loi de 1833 il a voulu qu’en quelques jours chaque département fût pourvu d’une école normale. On a créé des germes ou plutôt des avortons d’écoles normales, on n’a pas fait comme en Prusse des séminaires d’instituteurs. Ce qui manque aux écoles normales en France est signalé par des ouvrages qui vous sont connus, c’est ce que nous voulons faire adopté dans la loi actuelle. En France, on prend beaucoup de soin pour former des instituteurs, mais on n’en prend aucun en ce qui concerne le candidat des écoles normales. A la sortie des écoles, on l’abandonne à son sort, on ne sanctionne en aucune manière la position des élèves sortants des écoles normales.

Je soutiens, moi, que des hommes à l’étranger qui ont compris cette matière, tous seront d’accord sur un point, que la loi que nous discutons est de toutes les législations existant en Europe la plus complète, celle qui donne le plus de force, le plus de garantie pour la bonne et sérieuse instruction primaire. Je répète mon argument, je prie mes adversaires de l’aborder.

Je soutiens que nous aurons, d’après notre loi, la force du système hollandais par l’inspectorat que nous avons fondé sur de meilleures bases, et, d’un autre côté, la force du système prussien par les écoles normales, avec le système de nomination.

Si en Prusse on proposait de rayer de la loi de 1819 ce droit de préférence accordé aux candidats sortants des écoles normales, on répondrait : Vous ôtez à la loi toute sa force, vous ôtez aux écoles normales leur véritable base. Je n’envisage pas la question à un autre point de vue que d’organiser l’enseignement primaire d’ne manière forte, d’une manière sérieuse. L’article que nous discutons est peut-être celui qui donnera le plus de garantie d’une bonne et sérieuse instruction primaire.

Je pense que s’il s’agissait des écoles normales de l’Etat, l’honorable M. Devaux n’hésiterait pas à adopter ce système et à le considérer comme supérieur à celui qu’il voulait y substituer lui-même. Je pense qu’il n’hésiterait pas à reconnaître qu’il offre plus de garanties que ces candidatures qui dans la pratique ne mènent à rien.

L’honorable membre pense que le système du projet de loi consacre un privilège en faveur des écoles libres, fondées en dehors de l’action de l’Etat. D’abord (on vous l’a déjà fait remarquer) c’est la commune qui choisit. Vous n’accordez pas à l’élève sortant de l’école normale le droit d’être placé ; vous circonscrivez le choix des communes ; ce sera toujours à la commune à choisir l’instituteur, à vérifier s’il a toutes les garanties qui lui paraissent nécessaires ; car il doit prouver qu’il a suivi avec soin les cours dans un établissement soumis au régime de la présente loi. Mais lorsque nous avons discuté la loi sur l’enseignement supérieur, serait-il venu à l’idée de quelqu’un de soutenir que les universités de l’Etat auraient seules le droit de fournir des candidats pour les carrières de médecin et d’avocat ? Evidemment non ; vous avez reconnu (et vous avez établi un jury pour cela) que les établissements libres auraient le même droit que les établissements de l’Etat de fournir aux professions libérales. Il s’agit maintenant d’une question analogue ; il s’agit de décider que les établissements libres (vous allez plus loin ; vous ajoutez et soumis au régime de la loi) auront le droit de fournir des candidats aux places d’instituteur. Nous avons inséré dans la loi un véritable droit de contrôle pour le gouvernement. Mais on vous a dit que ce contrôle serait purement nominal. L’inspection à laquelle l’établissement libre voudra bien se soumettre permettra, a-t-on dit, à l’inspecteur de se présenter dans l’école, d’examiner, de prendre des notes et de s’en aller. C’est là une erreur ; lorsque vous accordez au gouvernement le droit d’inspection dans une école, droit qui résulte de ce qu’une école déclare se soumettre au régime de la loi, vous décidez que l’inspecteur a le droit de déclarer que telle école n’est pas une école normale, que les conditions de la loi ne sont pas remplies. L’inspection aura ce résultat. Ainsi le contrôle est réel ; ce ne sera pas un contrôle nominal.

Ainsi, pour me résumer, mon opinion est que si vous ne rattachez pas à l’institution des écoles normales, la question de nomination des instituteurs, vous ôtez toute espèce de base, toute espèce de sanction aux écoles normales. Je pense que le système du projet de gouvernement sera beaucoup plus efficace, donnera des résultats beaucoup meilleurs que tout autre mode de nomination, c’est aussi le système de la législation prussienne. Veuillez faire attention qu’en Prusse les écoles normales sont des écoles privées, fondées par l’un ou l’autre culte et soumise à l’action de l’autorité supérieure. Les écoles catholiques sont dirigées par le clergé catholique, sous la haute surveillance des évêques. Le gouvernement n’a pas d’autre mission que le droit de surveillance et d’inspection. Je ne vois dans la loi de 1819 aucun autre droit. La préférence pour les candidats des écoles normales est également accordée aux écoles normales soumises au régime de la loi de 1819, à la haute surveillance du gouvernement. Ainsi, en fait, le système prussien est précisément celui que nous vous demandons de sanctionner.

M. Delfosse. - L’honorable préopinant vient de vous dire que la loi que vous faites sera la meilleure loi possible sur l’instruction primaire. Je suis d’un avis entièrement opposé au sien. J’ai déjà eu l’honneur de vous dire que cette loi est entachée d’un vice radical, en ce qu’elle concède des droits à un corps tout à fait indépendant à un corps que l’action de la loi ne peut atteindre.

Ce vice radical qui existe dans la loi est encore aggravé par la position qu’elle fait à l’autorité civile, position fort humble, si on la compare à celle que, par un abus de mots, on appelle que dans cette enceinte, l’autorité ecclésiastique.

M. de Theux. - Je demande la parole.

M. Delfosse. - Si l’on voulait à toute force régler par la loi l’intervention du clergé dans l’enseignement primaire, on pouvait, je le reconnais, lui donner la direction de l’enseignement de la religion et une part d’influence dans l’enseignement de la morale, qui, j’ai été le premier à en convenir, doit être jusqu’à un certain point comprise dans l’enseignement religieux. Mais il ne fallait dans aucun cas, et sous aucun prétexte, dépouiller l’autorité civile du droit inaliénable qu’elle a de surveiller et même de diriger toutes les parties de l’enseignement donné dans les écoles créées par elle. Jamais surtout elle n’aurai dû se déclarer incompétence en matière de morale ; car c’est pour elle non seulement un droit, mais un devoir de veiller, dans les limites du pacte fondamental, à ce que la morale se conserve, et se transmette pure de toute altération, à ce que des principes subversifs de l’ordre social ou des institutions existantes ne puissent s’infiltrer dans les masses ; c’est un devoir qu’elle doit accomplir elle-même ; c’est un droit qu’elle ne peut déléguer à personne.

Que l’on n’oublie pas que les impressions reçues dans l’enfance sont celles qui s’enracinent le plus fortement, et que la direction de l’instruction primaire a toujours été considérée avec raison comme un levier politique immense. Qu’on n’oublie pas surtout que le clergé a été plus d’une fois en dissidence avec l’autorité civile, alors même qu’elle était profondément religieuse ; Louis XIV, qui était un prince religieux, un prince dévot, n’a-t-il pas eu plus d’un démêlé avec la cour de Rome.

Il serait difficile, je pense, de trouver un pays où l’autorité civile se montrerait assez faible, assez peu soucieuse de l’avenir, pour livre au clergé le droit exclusif de façonner les masses. Il était réservé à notre gouvernement de donner le triste exemple de cette monstruosité. Cependant s’il y a un pays où l’on devrait prendre des précautions c’est bien le nôtre, où le clergé jouit d’une indépendance absolue, où il peut même être composé de prêtres étrangers, disposés naturellement à préférer les intérêts de leur pays natal aux nôtres.

Le gouvernement, qui s’est fait si petit, en présence du clergé, cherche aujourd’hui à étendre son influence aux dépens des administrations communales. La loi du 30 mars 1836 donnait aux administrations communales le droit illimité de donner, de révoquer et de suspendre les instituteurs communaux. Ce n’était pas là une prérogative excessive. On pouvait fort bien, surtout dans les grandes villes, la confier à ceux qui sont investis des suffrages de leurs concitoyens ; et l’on n’a pas prouvé par des faits qu’ils en auraient abusé.

M. le ministre de l'intérieur nous a dit tantôt qu’il fallait avoir quelque confiance dans les administrations communales. Ce langage dans la bouche de M. le ministre de l'intérieur, a droit de m’étonner. Les administrations communales, les juntes, comme les appelait M. le ministre de l'intérieur, il n’y a pas longtemps encore, portent ombrage au gouvernement, on veut (c’est un parti pris) leur enlever une à une toutes celles de leurs attributions qui ont quelque importance. On a commencé par les bourgmestres qu’on a placés entièrement sous l’action du pouvoir, puis est venu le fractionnement ; puis viendra l’approbation des budgets par le Roi. En attendant que ce dernier coup soit porté aux administrations communales on les harcelle par toutes sortes de petites vexations ; on ne leur a laissé qu’un droit de surveillance illusoire sur les écoles créées par elles et avec leur argent, et bientôt on va restreinte considérablement le droit illimité qui leur est donné par l’art. 84 de la loi du 30 mars 1836, de nommer, de révoquer et de suspendre les instituteurs communaux. On dirait en vérité que le gouvernement, qui craint de faire acte de vie en présence du clergé, est jaloux de ce que les conseils communaux montrent plus de courage et d’indépendance que lui.

Je sais bien qu’on va me répondre que les amendements de M. le ministre de l'intérieur qui tendent à limiter le droit conféré aux conseils communaux par l’art. 84 de la loi du 30 mars 1836 lui ont été suggérés par les observations de l’honorable M. Devaux. Je regrette d’être, sur un point aussi important, en désaccord avec cet honorable collègue au caractère et au talent duquel je rends d’ailleurs tout l’hommage qui lui est dû.

L’honorable membre me paraît avoir été entraîné dans cette circonstance par le vif désir, désir louable et que je partage, d’organiser dans le pays une instruction primaire forte, une instruction à l’abri des obstacles que pourraient faire naître des administrations communales peu éclairées. Les craintes de l’honorable membre peuvent être fondées jusqu’à un certain point pour les petites communes ; mais à coup sûr elles ne peuvent s’étendre aux conseils communaux des grandes villes. La sollicitude active et éclairée que ces conseils ont montrée jusqu’à ce jour pour l’instruction primaire, prouve qu’on peut sans inconvénient avoir quelque confiance en eux, et leur laisser le libre exercice de la prérogative qui leur a été donnée par l’art. 84 de la loi du 30 mars 1836.

Lorsqu’il s’agissait de changer la loi communale, en ce qui concerne la nomination des bourgmestres, l’honorable membre a invoqué, avec son éloquence habituelle, le principe fort sage qu’il ne faut toucher à des lois importantes, à des lois d’organisation, que lorsqu’une longue expérience en a démontré les défectuosités. L’honorable membre voulait des faits et il n’en trouvait pas. Je lui demanderai à mon tour où sont les faits qui constatent les abus de la prérogative conférée aux conseils communaux, en ce qui concerne la nomination et la révocation des instituteurs.

M. le ministre de l'intérieur a eu hâte de s’emparer des observations de l’honorable membre et de les formuler en amendements. On devait s’y attendre ; M. le ministre de l'intérieur a pour but d’anéantir les franchises communales ; il ne néglige rien pour l’atteindre, et il a dû naturellement se trouver heureux d’être aidé dans une partie de cette tâche par un homme qu’il compte au nombre de ses plus redoutables adversaires et qui, sans le vouloir, et guidé, je le répète par les intentions les plus louables, a donné à M. le ministre un grand sujet de satisfaction.

Messieurs, j’ai pris fort peu de part à la discussion actuelle. Je sais qu’elle devait être fort longue, et j’étais sûr que ce que j’aurai à dire, d’honorables collègues le diraient mieux que moi. Mais aujourd’hui qu’il s’agit d’une question importante, d’une question sur laquelle des hommes marquants dans l’opposition professe une autre opinion que la mienne, je n’ai pas cru pouvoir me borner à émettre un vote silencieux.

Pour me résumer, messieurs, je ne consentirai jamais à restreindre, surtout pour les grandes villes, le droit que l’art. 84 de la loi communale donne aux conseils communaux. J’admettrais peut-être une restriction pour les petites communes, mais, dans ce cas, ce n’est pas l’intervention du gouvernement, c’est celle des députations permanentes que je voudrais. C’est vous dire assez que je voterai contre les amendements proposés par M. le ministre de l'intérieur.

Savez-vous, messieurs, ce qui résulterait de l’adoption de ces amendements. Le conseil communal de Liége a créé des écoles à grands frais. Des hommes instruits, trouvant des garanties suffisantes dans la loi et dans le corps électoral, y ont accepté des fonctions d’instituteur ; ils ont renoncé pour les remplir à d’autres carrières qui leur étaient ouvertes. Eh bien ! si les amendements de M. le ministre de l'intérieur étaient adoptés, ces hommes honorables, dont quelques-uns sont pères de famille, seraient à la merci d’un caprice ministériel. Ce que je dis pour Liége on peut le dire pour d’autres villes, jamais je ne consacrerai par mon vote une telle éventualité.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable préopinant veut le maintien pur et simple de l’art. 84 de la loi communale. Il me permettra de considérer pour un moment son opinion comme hors de cause dans la discussion et de me restreindre, pour abréger, l’examen de l’opinion contraire, qui veut que nous admettions des modifications en ce point à la loi communale.

Nous sommes maintenant en présence d’une proposition nouvelle, celle de l’honorable M. Lebeau. La modification qu’il propose, c’est un système permanent d’agréation par le gouvernement. Aucune préférence n’est accordée aux écoles normales soit libres soit de l’Etat : Agréation générale sans distinction.

Voyons jusqu’à quel point cette proposition est plus favorable que la mienne non pas seulement à l’enseignement en général, mais au pouvoir du gouvernement lui-même, terrain sur lequel je n’hésite pas à placer la question et où l’on voudrait bien me suivre s’il était dit dans la proposition que l’on exemptera de l’agréation par le gouvernement des instituteurs sortis des écoles normales de l’Etat et munis de diplômes, certainement que l’on adopterait cette proposition. Faut-il dans certains cas étendre cet affranchissement de toute agréation à d’autres établissements ? Je réponds oui, dans l’intérêt du gouvernement.

Pourquoi, messieurs, vais-je jusqu’à dire dans l’intérêt du gouvernement ? Mais c’est parce que le gouvernement obtient quelque chose en retour. Il obtient des établissements libres qui veulent que les élèves maîtres sortant de leur sein soient affranchis de l’agréation, qu’ils se placent sous l’inspection civile, sous l’inspection gouvernementale. Ce n’est donc pas gratuitement que nous acceptons cette assimilation des écoles normales libres avec les écoles normales de l’Etat. On nous donne quelque chose en retour ; on donne au gouvernement l’inspection sur ces écoles ; inspection sous le rapport civil ; car ici évidemment comme dans les propres établissements de l’Etat, le gouvernement a dû reconnaître son incompétence pour les matières d’enseignement purement religieuses.

Vous obtenez donc, par le système que je propose, ce grand résultat, que vous aurez non seulement une action sur les écoles normales de l’Etat, mais que vous aurez aussi une action par l’inspection civile sur les écoles normales libres, sur les écoles normales ecclésiastiques.

Je sais que, maintenant que ce résultat paraît probable, on le rapetisse ; ce n’est plus rien. Eh bien, moi, je considère ce résultat comme considérable pour l’Etat ; je dis que c’est quelque chose, que c’est beaucoup pour le gouvernement d’avoir l’inspection civile des écoles normales libres, de pouvoir s’enquérir de ce qui s’y passe, de ce qui s’y enseigne.

Rappelez-vous les débats de ces dernières années. Que vous disait-on sans cesse ? On vous disait que l’enseignement se donnait à huis-clos dans les établissements ecclésiastiques, que ces établissements étaient soustraits à toute inspection de la part du gouvernement, à toute surveillance quelconque. Maintenant ces établissements sont conviés à se placer sous l’action du gouvernement par l’inspection civile ; ils y sont conviés en obtenant pour les élèves maîtres qui sortent de leur sein, le privilège de la non agréation, que sans doute vous accorderiez aux écoles normales de l’Etat.

Une voix. - Qu’est-ce que cette inspection ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Par cette inspection le gouvernement s’assurera que les écoles normales libres offrent un enseignement complet, un enseignement convenablement donné, un enseignement qui n’a rien de contraire non plus à nos principes constitutionnels. Vous saurez donc que l’enseignement y est convenable, complet, constitutionnel, vous le saurez par l’inspection.

Je suppose que les écoles normales de l’Etat, seules, jouissent pour leurs élèves-maîtres de l’affranchissement de la non-agréation. Et évidemment dans l’organisation des écoles normales, il faudrait leur accorder cet avantage. Il est certain que d’après l’arrêté organique sur les écoles normales de l’Etat, il faudra que les élèves-maîtres qui en sortent et qui ont reçu le diplôme, puissent être choisis librement par les conseils communaux sans être soumis à une agréation, sinon, vous ne faites rien pour vos écoles normales.

Mais si vous restreignez cet avantage aux écoles normales de l’Etat seules, évidemment les écoles normales libres vous refuseront le droit d’inspection, et vous ne saurez plus ce qui s’y passe ; vous ne pourrez plus vous assurer que dans ces écoles l’enseignement est complet, convenablement donné, constitutionnel.

A ce système, que moi je regarde comme très gouvernemental, à ce système où nous voyons fléchir la liberté de l’enseignement, qu’oppose-t-on ? Celui d’une agréation individuelle de chaque instituteur. Nous allons voir ce que cela vaut.

Remarquons d’abord que, quand je parle d’écoles normales, je parle d’établissements complets. Je n’entends pas parler d’établissements qui se formeraient du jour au lendemain, et qui se prétendraient être des établissements normaux sans offrir aucun des éléments qui constituent ce genre d’institution. Il y aura examen de la part du gouvernement pour savoir si tel établissement, qui se présente comme établissement normal, a véritablement ce caractère.

En cas d’affirmative, il y aura, de ce jour-là, une sorte de contrat entre le gouvernement qui doit inspecter, et l’établissement qui demande, en retour de ce droit d’inspection, l’exemption de l’agréation pour les élèves-maîtres sortant de son sein. Il y aura de ce jour là un contrat, contrat que le gouvernement maintiendra aussi longtemps que l’établissement se trouvera dans les conditions voulues, pour qu’il y ait une école normale. Cela dépendra des circonstances qui seront appréciées de part et d’autre ; c’est une question de fait. Abandonnez au gouvernement ce que vous devez lui abandonner.

Donner au gouvernement le droit d’agréation des individus, il semble que ce soit lui donner un pouvoir très grand. Selon moi ce pouvoir n’est qu’apparent, dans la pratique il n’y a rien de plus illusoire que le droit d’agréation. J’ai demandé le droit d’agréation comme mesure transitoire parce que transitoirement il fallait bien une garantie, et à défaut d’autre j’ai proposé le droit d’agréation, non pas que je le regarde comme très efficace, mais parce qu’il fallait une garantie quelconque. J’ai demandé ce droit pour 2 ans ; on propose de l’établir pour 3 ans, pour 4 ans, cela est peu important, ce n’est pas la durée du droit que nous avons à examiner en ce moment.

A quoi se réduit généralement le droit d’agréation en lui-même ? Le gouvernement se trouve en présence d’une nomination faite par un conseil communal ; une foule de circonstances dont chacune peut se rendre compte, interviendront pour influencer le gouvernement et le plus souvent l’agréation aura lieu. On se contentera de choix très médiocres pour ne pas s’exposer à des luttes incessantes avec les communes ; on se contentera de choix très médiocres pour ne pas non plus froisser et détruire des existences individuelles. Voilà, messieurs, ce qu’il adviendra dans la pratique, de notre droit d’agréation.

Dans un gouvernement absolu, qui se trouve en dehors de toute influence électorale ou autres, je conçois que le droit d’agréation pourrait être exercé avec une grande fermeté par le pouvoir central ; mais je dis que ce droit ne peut pas être exercé avec cette fermeté dans un pays où le gouvernement est constitué comme le nôtre, Ici le plus souvent les choix des communes seraient agréés, et presque forcément agréés.

Remarquez-le bien, messieurs, dans l’amendement de M. Lebeau, il n’est fait aucune distinction, il n’est accordé aucun avantage aux établissements normaux, pas même aux écoles normales de l’Etat. Le conseil communal choisira où il le trouvera convenable, et le gouvernement sera sans cesse en présence de faits consommés, en présence des nominations faites qu’il aura a anéantir ou à maintenir.

Je ne cherche pas, messieurs, les garanties en bas, c’est en haut que je les cherche, et c’est là que je les trouve. Je les trouve dans l’exécution du contrat qui se forme avec les écoles normales libres qui acceptent l’inspection de l’Etat. C’est là que je trouve les garanties, garanties de tous les jours, de tous les instants, garanties qui ne deviendront pas illusoires dans la pratique.

J’ai donc pensé, messieurs, que le droit permanent d’agréation n’était pas en réalité un moyen aussi puissant qu’on le suppose, entre les mains du gouvernement ; je me demande ce qu’il est en, je ne m’arrête pas à un mot.

On pourrait presque dire, messieurs, que vous êtes dans cette alternative : Voulez-vous donner au gouvernement l’agréation des établissements, ou l’agréation de chaque instituteur en particulier ? Eh bien, j’aime mieux que le gouvernement agrée les établissements, car je vois une sorte de droit d’agréation des établissements dans cet arrangement qui intervient avec les écoles normales libres, le jour où elles acceptent la surveillance de l’Etat.

Je dis que cette agréation des établissements vaut mieux, qu’elle s’exercera d’une manière plus efficace par le gouvernement, que l’agréation individuelle de chaque instituteur.

Dans beaucoup de nos lois nous avons cherché a couper en deux le droit de nomination ; je trouve que ce droit ne se scinde pas ; on nomme ou l’on ne nomme pas ; si celui qui doit nommer ne peut le faire que sur une liste qui lui est présentée, n’importe par qui, c’est celui qui présente la liste, qui nomme ; celui qui nomme sur une liste de 2, de 3, de 6 candidats, ne nomme pas ; ces listes sont toujours présentées de telle manière que le choix est pour ainsi dire forcé. Lorsqu’il y a une autorité qui nomme et une autorité autre qui agrée, je dis que là encore, à cause de mille circonstances, l’agréation, dans la plupart des cas, n’est pas librement exercée.

Le gouvernement recule devant les luttes qui se renouvelleraient tous les jours ; il calcule les inconvénients et les avantages et il finit par se dire : « A tout prendre, il vaut mieux agréer l’instituteur que d’avoir une lutte sourde, incessante. »

Il n’y a donc pas de milieu entre nommer et ne pas nommer. Le plus souvent le choix de celui qui nomme, sauf agréation, est maintenu ; celui qui nomme sur présentation ne nomme pas, celui qui présente est en définitive celui qui nomme.

Je laisse donc la nomination à la commune (je ne parle pas ici de l’époque transitoire). Je laisse donc la nomination à la commune, mais j’introduis d’autres garanties que, selon moi, les communes ne peuvent pas légitimement repousser, qui ne les humilient en rien. Leur choix se fait parmi les élèves des établissements normaux de l’Etat ou des établissements normaux privés avec lesquels il est intervenu une sorte d’arrangement pour l’inspection de l’Etat. Les communes peuvent encore choisir en dehors de ces écoles, mais dans ce cas il faut l’autorisation du gouvernement. C’est à dessein que je me suis servi du mot autorisation et non pas de celui d’agréation qui supposait nécessairement une nomination consommée ; je désire qu’il n’y ait point de fait consommé ; je désire que les conseils communaux qui voudront choisir un instituteur en dehors des écoles normales, disent au gouvernement : « Nous désirons choisir un tel, vous convient-il ? » Voilà, messieurs, les motifs qui m’ont porté à faire usage du mot autorisation au lieu de me servir de l’expression agréation. Je pense qu’il résultera de cette rédaction que le plus souvent il interviendra des arrangements convenables entre les communes et le gouvernement, et que vous éviterez les luttes qui ont toujours lieu lorsqu’il s’agit d’annuler une nomination faite.

Pour juger de la portée de cet article, quant au gouvernement, il ne faut pas non plus le considérer isolément, il faut le mettre en rapport avec les deux articles suivants, avec le droit de révocation et de suspension que vous donnez dans tous les cas au gouvernement. Il faut encore le mettre en rapport avec un autre article que nous aurons à examiner, avec l’art. 2l. Je dis ceci pour ceux qui m’accusent de ne rien faire pour le pouvoir central.

Je crois donc, messieurs, en résumé, que le système que j’ai proposé est moins illusoire, plus efficace dans la pratique que le système de l’agréation individuelle permanente que voudrait y substituer l’honorable M. Lebeau, sans distinguer même entre les écoles normales de l’Etat et les autres écoles normales ecclésiastiques qui voudront que les élèves instituteurs sortis de leur sein soient nommés sans recours au gouvernement doivent accepter l’inspection du gouvernement ; c’est là une grande conquête selon moi ; une proposition est plus gouvernementale et plus efficace que la disposition qu’on m’oppose.

M. d’Huart. - Je pourrais me dispenser de prendre la parole après ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur, j’approuve en tout point les considérations par lesquelles il a appuyé la rédaction de l’article actuellement en discussion.

Je dirai avec l’honorable M. Delfosse, qu’il est très important de conserver aux conseils communaux la plus grande part d’influence possible dans la nomination des instituteurs des communes. En général, messieurs, les conseils communaux sont composés de pères de famille, de personnes qui apprécient parfaitement les bienfaits de l’instruction et la manière dont elle est donnée.

Il est très essentiel de leur laisser à cet égard une liberté presque entière. Ne vous dissimulez pas, messieurs, que la liberté d’action que vous laisserez sous ce rapport aux communes, garantira la bonne direction de l’école, l’avenir même de l’école ; car si vous nommez des instituteurs contrairement au vœu des communes, ces instituteurs n’inspireront point de confiance. Les parents ne voudront point leur confier leurs enfants.

Ainsi, messieurs, sous ce rapport je demande avec M. Delfosse que l’on touche le moins possible à l’art. 84 de la loi communale.

C’est au reste, messieurs, ce que fait le projet, car il n’admet que pour des cas graves, exceptionnels, la destitution des instituteurs.

Quand un instituteur aura une mauvaise conduite ou sera incapable, et s’il y a obstination de la part de la commune à ne pas vouloir en nommer un autre, alors le gouvernement usera de la disposition qu’il demande ; car il n’ira point user du droit que lui donne cette disposition sans motifs graves ; cependant, ce droit de révocation donne toutes les garanties que l’on peut raisonnablement exiger.

Je dis donc, messieurs, que le système de la loi est de beaucoup préférable à celui qui est indiqué par l’honorable M. Lebeau. Le système de M. Lebeau ferait entrer le gouvernement dans des questions de minime importance qui lui prendraient une bonne partie d’un temps précieux. Toutes les nominations, la nomination des instituteurs des 2,600 communes de la Belgique, devraient être soumises à l’approbation du gouvernement.

Messieurs, le gouvernement a à s’occuper de choses plus sérieuses. Lorsqu’il s’agira d’une nomination contestée, lorsqu’il s’agira d’une mauvaise nomination, le gouvernement prendra tous les renseignements nécessaires, il instruira la question avec soin, avant de prendre une décision. Mais lorsqu’il s’agira de bonnes nominations, ne soulevant aucune réclamation, il n’est pas du tout nécessaire qu’il intervienne, il n’a rien à y voir.

Mais, messieurs, entre l’amendement présenté par M. Lebeau et le système développe par M. Devaux, il y a une énorme différence ; le système de M. Devaux tend à exclure les élèves des écoles normales autres que celles de l’Etat, des places d’instituteurs communaux.

M. Devaux. - Je n’ai pas dit cela.

M. d’Huart. - C’est ainsi que j’ai compris les développements dans lesquels vous êtes entré.

M. Devaux. - Je n’ai pas demandé de privilège, pour les écoles du gouvernement ; j’ai demandé ce qu’a demandé l’honorable M. Lebeau ; je me suis élevé contre le privilège que la loi donne aux écoles normales du clergé, mais je n’ai pas réclamé de privilège pour les écoles du gouvernement ; j’ai seulement demandé que le gouverneraient eût le droit d’agréation de toutes les nominations d’instituteurs communaux.

M. d’Huart. - Tant mieux, puisque dès lors nous sommes d’accord.

L’honorable M. Devaux avait fait observer qu’une école de village pourrait s’intituler école normale, et que ce qu’on devait entendre par école normale n’en est pas moins exprimé dans la loi.

Je voulais répondre à cette observation qu’on considérera comme des écoles normales uniquement celles qui rempliront toutes les conditions auxquelles seront assujetties les écoles normales du gouvernement. Toute école normale privée qui ne comprendrait pas toutes les branches d’instruction qui s’enseigneront dans les établissements du gouvernement, ne pourra prétendre au titre d’école normale. Voilà comment je comprends une école normale privée.

Je dis maintenant qu’il est indispensable que vous encouragiez les écoles normales privées, d’abord parce que vous n’avez que deux écoles normales de l’Etat et qu’elles seront insuffisantes pour fournir des instituteurs à tout le pays ; ensuite parce qu’il est fort essentiel qu’il y ait concurrence. Si à côté des établissements du gouvernement, vous avez des établissements rivaux, cette concurrence, et j’entends une concurrence loyale, voue procurera indubitablement un bon et solide enseignement.

M. Orts. - Messieurs, nous nous trouvons entre deux systèmes. L’un tend à établir que les instituteurs des écoles primaires qui seront nommés après la promulgation de la loi devront être choisis parmi les candidats qui justifieront d’avoir fréquenté avec fruit une école normale ; l’autre système (c’est celui de l’honorable M. Lebeau) tend à soumettre pour toujours la nomination des instituteur à l’agréation du gouvernement.

Messieurs, la proposition de M. le ministre de l’intérieur comble une lacune qui était remplie, sous l’empire de la législation du gouvernement des Pays-Bas, par une mesure plus salutaire que ne l’est la fréquentation des cours normaux.

Quelles garanties devait alors présenter un instituteur qui devait d’abord avoir un brevet de capacité ? Les instituteurs étaient divisés en quatre classes, et les écoles en trois. Lorsque l’instituteur avait son brevet d’admission, il n’était pas encore dit pour cela qu’il pût aspirer à une place quelconque d’instituteur. Lorsqu’une place d’instituteur communal devenait vacante, on proposait un examen, on appelait les concurrents, et c’était d’après le résultat de cet examen que l’instituteur était nommé.

Nous n’avons plus aujourd’hui ni la nécessité des brevets de capacité, ni la nécessité de rangs différents parmi les instituteurs ; à la place de cela, on vous propose, comme une espèce de garantie, l’obligation de ne prendre les instituteurs communaux que parmi ceux qui auraient fréquenté les cours normaux de l’une ou de l’autre catégorie.

Messieurs, je ne veux pas, pour le moment, me prononcer positivement pour l’un ou l’autre des deux systèmes, mais je dis que si la proposition de l’honorable M. Lebeau pouvait être adoptée, il faudrait y ajouter une garantie ultérieure. Il me semble que la nécessité d’un examen préalable entre tous les instituteurs qui se présentent pour obtenir une place d’instituteur communal, est indispensable.

Messieurs, les conseils communaux n’appartiennent pas tous aux grandes villes où l’on rencontre des hommes éclairés, et ce n’est pas sur les conseils communaux des grandes villes que sous ce rapport, je porte ma sollicitude ; mais les conseils communaux des petites villes et des villages sont composés de citoyens qui désirent sans doute fonder une bonne école, mais qui tous n’ont pas toujours la capacité nécessaire pour juger de l’aptitude d’un instituteur.

Quel remède à cet état de choses ?

Si vous dites que l’on se bornera à soumettre toutes les nominations des instituteurs communaux à l’agréation du gouvernement, il faut que le gouvernement possède un moyen de contrôle.

Si vous n’établissez pas d’examen, comment le gouvernement saura-t-il que l’instituteur dont il doit agréer la nomination est un instituteur capable ? Mais si vous avez recours à l’examen, 4, 5 ou 6 candidats se présenteront à l’examen, on les classera ; on examinera ensuite leurs qualités morales et religieuses, et de tout cela on fera un ensemble qui offrira au gouvernement un point de comparaison, pour juger s’il y a lieu d’agréer l’instituteur qu’on lui présente.

Le projet ministériel offre au moins une garantie, en ce sens qu’un élève sortant d’une école normale est censé avoir acquis toutes les connaissances nécessaires à un instituteur. D’ailleurs, tout élève sortant d’une école normale doit nécessairement être muni d’un certificat qui constate son degré d’instruction.

J’appelle de nouveau toute l’attention de la chambre sur la nécessite du concours, pour le cas où le système de l’honorable M. Lebeau devrait prévaloir. On me dira que chaque commune est libre d’établir un pareil concours. Mais il y a une énorme différence entre la faculté d’établir un concours et l’obligation légale de faire emploi de cette mesure que je regarde comme la seule garantie d’un bon choix.

Je suis loin de vouloir que les communes soient privées du droit de nomination. Elles doivent le conserver, mais le conserver avec discernement. La loi communale a investi les communes d’un droit que je leur verrais enlever avec grande peine, mais j’aurais désiré qu’à côté de ce droit écrit dans la loi communale, on eût mis quelque chose de plus, et ce quelque chose de plus, je vous le propose en ce moment.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je veux dire un mot sur l’incident soulevé entre l’honorable M. d’Huart et l’honorable M. Devaux.

L’honorable M. Devaux s’est récrié lorsque l’honorable M. d’Huart a supposé qu’il avait réclamé un privilège pour les élèves-maîtres sortis des écoles normales de l’Etat. Je veux m’expliquer sur ce point, je dis qu’il leur faut un privilège, et ce privilège est la non-agréation, en cas de nomination par les conseils communaux. S il n’y avait pas de privilège, pourquoi institueriez-vous des écoles normales de l’Etat ?

Il y aura des arrêtés organiques instituant des jurés charges de délivrer des diplômes. Comment ! rien ne serait encore décidé pour l’instituteur qui, ayant été admis, je suppose, avec la plus grande distinction, aura été nommé par un conseil communal ; il faudrait encore pour lui l’agréation d’une autorité supérieure !

Je dis, messieurs, que vous devez faire quelque chose pour les élèves-maîtres sortis des écoles normales de l’Etat : vous devez faire pour eux ce que vous faites, par exemple, pour les élèves formés dans les écoles spéciales de l’Etat. Mais je dis qu’en établissant ce privilège en faveur des élèves sortant des écoles normales de l’Etat, il faut admettre que dans certains cas ce privilège s’étend aux écoles normales libres ; c’est pour cela que je demande le privilège de non-agréation pour les écoles normales libres qui acceptent l’inspection de l’Etat.

Je soumets à l’agréation du gouvernement tous les élèves-maîtres qui se sont formés ailleurs que dans les écoles normales de l’Etat ou dans les écoles normales libres inspectées par l’Etat la nomination de ceux-là n’est pas définitive, il leur fait une autorisation, et en ceci je suis conséquent avec tout le système que nous ayons adopté pour l’enseignement public.

Je répète que si vous ne faites rien pour les élèves-maîtres formés dans les écoles normales de l’Etat ; si ces élèves, munis des meilleurs certificats, n’ont pas la certitude qu’il y a pour eux une carrière ouverte où ils ne rencontreront pas d’obstacle à être placés, je dis que les écoles normales de l’Etat courront risque d’être dépeuplées.

Je ne me récrie donc pas, comme l’honorable M. Devaux, sur cet avantage, que je ne veux pas appeler privilège ; ce mot se présente toujours à l’esprit avec un sens défavorable.

Il s’agit ici d’une forme fort simple, c’est la non-agréation par l’Etat. Vous devez faire cela en faveur des élèves maîtres formés dans vos écoles ; cette faveur je crois que vous devez l’étendre aux élèves maîtres sortant les établissements qui se soumettent au régime de la loi, qui acceptent l’inspection de l’Etat ; il faut leur accorder cet avantage pour obtenir le droit d’inspection.

M. d’Huart. - Je demande la parole pour un fait personnel, parce que prévoyant que l’honorable M. Devaux va rencontrer ce que j’ai dit tantôt, je veux faire remarquer que M. le ministre a mal interprété mes paroles. J’avais compris que l’honorable M. Devaux ne voulait pas d’instituteurs autres que ceux formés dans les écoles du gouvernement, mais quant à ce qui concerne l’espèce de privilège attaché au diplôme pour les instituteurs des écoles du gouvernement, il me paraît de toute justice que ce titre soit suffisant pour les faire admettre sans autre formalité.

M. de Theux. - L’article proposé par M. le ministre de l’intérieur, est parfaitement en harmonie avec les dispositions adoptées. En effet, c’est au gouvernement que vous avez confié principalement le soin de faire progresser l’instruction primaire dans le pays. C’est pour cela que vous avez créé les inspecteurs cantonaux et provinciaux à la nomination du gouvernement ; des réunions cantonales, les concours sous la direction du gouvernement et une commission centrale d’instruction publique. Vous lui avez aussi accordé une large part dans la fixation du traitement des instituteurs ; toutes ces dispositions pourraient être éludées, si le gouvernement n’avait aucune espèce de contrôle sur l’instituteur ou bien vous le mettiez dans l’obligation de faire fréquemment usage de l’article 21 que nous n’avons pas encore voté, de fermer les écoles. C’est une mesure extrême à laquelle le gouvernement ne doit pas être dans l’obligation de recourir fréquemment. Au point de vue administratif et d’une saine politique il vaut mieux qu’il ait une intervention dans la nomination d’un instituteur.

M. le ministre de l’intérieur exige l’accomplissement de l’une de ces deux conditions que l’instituteur soit choisi par le conseil communal parmi les élèves des écoles normales soit du gouvernement, soit libres, pourvu toutefois qu’elles soient inspectées par le gouvernement, comme celles du gouvernement soient inspectées par l’autorité ecclésiastique. C’est cette double inspection qui donne la garantie que ces établissements forment des jeunes gens pouvant répondre aux prescriptions de la loi sur l’instruction morale et religieuse, et sur l’enseignement littéraire. Cette première condition me paraît justifiée.

Mais on aurait constitué un privilège si on ne pouvait pas nommer d’autres instituteurs réunissant les conditions de capacité et de moralité nécessaires à l’accomplissement de leurs devoirs. Ceux-ci sont exclus de la nomination par les conseils communaux, seulement le ministre demande que ces instituteurs formés dans des établissements qui ne sont soumis à aucun contrôle, soient agréés par le gouvernement qui s’assurera s’ils réunissent les conditions désirables pour exercer leur emploi suivant le vœu de la loi. Ce sera pour lui une obligation d’agir avec impartialité. Quand la commune voudra nommer un instituteur capable, le gouvernement devra laisser à l’autorité communale la libre faculté du choix.

Il en est de cette disposition remise à la responsabilité du gouvernement, comme de toutes les dispositions du projet ; car, bien qu’on ait inséré plusieurs dispositions relativement à l’enseignement de la religion et de la morale, nous avons remis l’exécution de cette partie de la loi au gouvernement. Mais nous avons pensé, en remettant l’exécution de cette partie de la loi au gouvernement qu’il exécutera loyalement sous sa responsabilité, la loi telle que nous avons voulu la faire ; si dans l’un ou l’autre cas, le gouvernement s’écartait à dessein du système de la loi, la voie dans laquelle il s’engagerait serait bientôt dévoilée, car de justes réclamations ne manqueraient pas de s’élever.

D’après tout ce qui a été dit, il paraît qu’une crainte occupe principalement quelques orateurs, c’est que le clergé n’exerce une influence politique trop grande au moyen des écoles normales, influence qui consiste principalement en ce qu’il a un plus grand nombre d’écoles que le gouvernement n’est autorisé à en créer. Je ne crains pas d’aborder nettement cette discussion. C’est des explications réciproquement franches que doit jaillir la lumière.

Un honorable membre a dit qu’à une certaine époque on a vu le clergé s’élever contre le pouvoir civil, alors que le pouvoir civil renfermait les conditions de religion qu’on pouvait désirer. Je dirai, sans entrer dans aucun fait historique, qu’à l’époque où il y eu des conflits entre l’autorité civile et l’autorité spirituelle, ces conflits n’ont pas porté sur l’enseignement ; car à cette époque où le gouvernement a cherché à ôter au clergé l’influence politique que la plupart des Etats de l’Europe lui avaient accordée, il ne songeait pas encore à lui ôter la direction de l’enseignement. Elle a été exclusivement dans ses mains par cette circonstance qu’il a commencé par la prédication de la religion à laquelle il appelait les peuples de l’Europe, il était seul instruit dans les lettres, il procuré un grand bienfait aux sociétés européennes en les initiant aux lettres. Les gouvernements y trouvait une garantie politique plutôt qu’un sujet de crainte pour leur stabilité. Il est survenu une autre époque, celle de la révolution française, où le gouvernement se mettant en hostilité avec le clergé, l’a dépouillé de ses biens et de ses privilèges politiques et l’a persécuté à raison même de ses croyances religieuses. S’étant ainsi constitué en hostilité avec le clergé, le gouvernement s’est empressé de lui retirer l’instruction à tous les degrés et de fonder une instruction dite nationale qui n’était rien autre qu’une instruction philosophique et antireligieuse. Ce système a passé avec la lutte.

En Belgique, en 1830, nous avons proclamé la liberté d’enseignement, nous avons admis la participation du clergé, mais nous n’avons pas exclu le gouvernement. Nous avons commencé par laisser agir les autorités électives dans l’enseignement, l’autorité communale et l’autorité provinciale. Mais qu’on se le rappelle, dès 1830 on n’a pas cessé de réclamer une loi organique de l’enseignement, on a trouvé trop grande la part qu’on avait laissée aux administrations électives, l’impulsion n’était pas suffisante, on trouvait que l’enseignement manquait d’ensemble. Aujourd’hui, on a reconnu que, pour donner de l’ensemble à l’enseignement, il fallait le centraliser. Mais nous ne réussirons à centraliser l’enseignement qu’en faisant concourir les deux autorités qui peuvent le mieux faire prospérer l’enseignement, l’autorité civile et l’autorité ecclésiastique. Voilà la véritable situation où nous nous trouvons. Nous cherchons à le faire concourir au but commun, à la bonté de l’enseignement sous les deux rapports, sous le rapport littéraire, et sous le rapport moral. Mais nous n’aurons rien fait, je le répète, si nous nous mettons dans des termes de défiances à l’égard des établissements du clergé, notamment des écoles normales ; remarquez qu’elles renferment d’autant moins de dangers qu’elles n’ont pour objet que de former les instituteurs et que, parmi les premiers préceptes de morale qu’on leur enseigne, on trouve l’obéissance aux lois et le respect envers les autorités constituées. Ces devoirs sont enseignés dans tous ces établissements. Si ces écoles devenaient hostiles au gouvernement, ce ne seraient plus des écoles normales jouissant, quant à leurs élèves, de l’exemption de l’approbation formelle du gouvernement en cas de nomination par un conseil communal. Vous avez donc toute espèce de garantie ; vous ne devez avoir aucune inquiétude sur la domination publique pouvant résulter au profit du clergé, de ces établissements normaux.

Il faut bien en convenir. nous n’avons pas à redouter l’influence politique du clergé ; toutes nos institutions s’y opposent non seulement nos institutions politiques, mais les institutions de toute nature qui existent dans le pays. Ce que nous avons à craindre, c’est l’influence délétère en fait de religion et de morale. C’est cette influence que nous devons chercher à combattre au moyen de la loi sur l’instruction primaire.

D’après les observations que je viens de faire et celles faites hier, je ne trouve aucun inconvénient à ce qu’à côté des deux établissements du gouvernement il y ait plusieurs établissements libres dirigés par le clergé.

On a dit : mais la plupart des instituteurs seront pris dans ces établissements ; une fois nommés, ils seront constamment sous l’influence du clergé, du curé, avec lequel il sera en contact journalier, tandis qu’il n’aura que des rapports rares et éloignés avec l’inspecteur du gouvernement. Mais on a perdu de vue que l’instituteur sera en rapport journalier avec l’autorité communale.

On a semblé perdre de vue que le curé n’aura de contact avec l’école que sous un rapport, l’enseignement de la morale et de la religion ; qu’il ne pourra porter ses investigations sur aucune autre partie de l’enseignement, qu’il n’aura aucune part à l’administration de l’école. Il se gardera de fréquenter journellement l’école, il ne remplira même qu’avec peine la mission d’inspecter l’école de temps en temps pour s’assurer que l’enseignement de la religion et de la morale est donné. Nous pouvons dire que même aujourd’hui cette inspection est facultative, (Erratum, Moniteur belge n°239, du 27 août 1842 :) car il n’y a peu d’écoles qui voudraient s’y refuser et nous ne voyons pas que les curés se soient montrés empressés de faire les inspections. D’ailleurs, l’instituteur sera particulièrement sous l’influence du pouvoir civil qui pourra améliorer son sort, le suspendre, le destituer. Dès lors, y a-t-il un seul motif de crainte ?

Si nous écartions l’amendement de M. le ministre de l’intérieur par les considérations qu’on nous a présentées au sujet des écoles ecclésiastiques, nous aurions pour mobile des défiances injustes qui ne reposent sur rien, et nous causerions la ruine des établissements qui doivent le plus concourir au but que nous nous sommes proposé, c’est-à-dire un bon enseignement primaire.

Je dirai, en terminant, un seul mot sur la proposition de l’honorable M. Lebeau qui a pour objet de laisser nommer l’instituteur librement par la commune sans aucune condition préalable et de faire agréer toutes les nominations d’instituteur par le gouvernement. Ce serait multiplier les occasions de collision entre l’administration communale et le gouvernement, il n’y a aucune comparaison entre la nomination d’un receveur communal dont on a fait mention et la nomination d’un instituteur. On conçoit bien qu’il y a dans cette dernière nomination un tout autre intérêt que dans celle d’un receveur, que dès lors le refus d’approuver cette nomination aura toujours du retentissement. C’est ce que doit éviter un législateur prévoyant.

Plusieurs membres. - La clôture !

M. Devaux. - Je ne suis pas jaloux, vous pouvez le croire de prolonger cette discussion. Nous discutons ici sous une température quasi tropicale dont je souffre autant que qui que ce soit ; nous faisons vraiment des lois à la sueur de nos fronts. Mais vous avez renvoyé à la fin de ce débat trois dispositions principales de la loi, c’est d’une de ces dispositions qu’il s’agit en ce moment. Je demande à pouvoir dire quelques mots encore à l’appui de l’amendement que j’ai indiqué et que mon honorable ami a formulé.

Tout à l’heure j’ai interrompu l’honorable M. d’Huart pour lui dire qu’il m’attribuait une opinion qui n’était pas la mienne ; mon seul but était de l’empêcher de s’engager dans une discussion inutile ce qui n’est pas dans ses habitudes.

Je l’ai interrompu une deuxième fois, parce que, malgré mes dénégations il continuait de m’attribuer cette opinion. Si je l’ai fait avec quelque vivacité, c’est que je croyais avoir quelque droit d’être cru sur parole ; je n’ai jamais renié une opinion que j’ai professée. La chose au reste n’est pas fort importante, et quoique je n’aie pas émis l’opinion que M. d’Huart m’a prêtée, la responsabilité ne m’en effraierait pas.

Quoi qu’il en soit, je rétablis mon opinion telle que je l’ai émise, je n’ai pas réclamé le privilège pour les écoles du gouvernement. J’ai combattu le privilège qu’on voulait accorder aux écoles normales. C’est pour cela que j’ai demandé la suppression de deux paragraphes de l’article.

Vous remarquerez que la disposition dont nous nous occupons est toute nouvelle ; cette mesure n’est pas dans le projet de loi de 1834 ; aucune des sections qui ont examiné celui-ci et n’a réclamé rien de semblable. Huit ans se sont écoulés depuis la présentation de ce projet de loi. Un rapport a été fait ; un nouveau projet a été concerté entre le ministre de l’intérieur et la section centrale et jusque-là encore il n’avait été aucunement question de cette proposition qu’on regarde aujourd’hui comme indispensable. Elle est née par hasard, par amendement, absolument comme certaines propositions sur lesquelles nous avons eu à statuer, concernant l’organisation communale.

Je crois cette disposition si grave que comme membre de la chambre, dépositaire d’une partie de l’autorité civile, je croirais trahir mon devoir envers l’autorité civile, si j’y donnais mon vote. Pour soutenir mon amendement, je regrette d’avoir à combattre ceux qui par leur position sont chargés de défendre l’autorité civile. L’un surtout, M. le ministre de l’intérieur, a paru aujourd’hui plutôt l’organe de l’autorité rivale que du pouvoir civil.

M. le ministre de l’intérieur a dit : « Vous manquez donc de confiance envers les conseils communaux. » Je croyais que ce ne serait pas une nouveauté pour M. le ministre de l'intérieur, puisque j’appuie le projet de 1834. Quelle était l’opinion qui dominait ce projet ? C’était la défiance envers les conseils des petites communes, c’est pour cela qu’on faisait intervenir le pouvoir provincial. L’opinion de M. le ministre de l'intérieur a cela de différent que sa défiance porte principalement sur les conseils des grandes communes et sur l’autorité provinciale, et que sa confiance est acquise aux conseils des petites communes.

Le gouvernement qui prétend qu’il a confiance dans les conseils communaux demande cependant le droit de révocation. Mais si vous réclamez ce droit, pourquoi répugnez-vous davantage à intervenir dans la nomination. Pour la nomination, vous invoquez la loi commune, et pour la révocation, vous ne craignez pas d’y déroger. Puisque vous vous défiez des grandes communes, puisque vous vous défiez de l’autorité provinciale, j’avais dit : Donne au pouvoir central ce que nous donnons, dans le projet de 1834, à l’autorité de la province.

Au lieu de donner ce pouvoir à l’autorité civile supérieure, vous le scindez ; vous ne donnez au pouvoir civil qu’une moitié, pas même une moitié ; vous donnez la plus grande partie du pouvoir à l’autorité ecclésiastique.

La différence entre la loi qu’on vous présente et le projet de loi de 1834, la voici bien claire. Le projet de 1834 donnait à l’autorité civile seule le droit de présenter les candidats à la commune, Votre loi dit : Les candidats seront présentés par le gouvernement et les évêques. Je demande si l’on pourrait insérer dans une loi que pour une place civile quelconque, deux candidats seront nommés par les évêques, et deux par le gouvernement ; ne regarderiez-vous pas cela comme un empiétement sur le pouvoir civil, au profit de l’autorité religieuse ? Eh bien ! le projet actuel ne fait pas autre chose. Ses candidats seront les élèves des écoles normales de l’Etat ou des écoles épiscopales. Seulement que les écoles épiscopales étant plus nombreuses, les candidats des évêques seront plus nombreux que les candidats gouvernementaux.

Et quand nous vous parlons d’accorder l’agréation au pouvoir civil, réellement nous n’allons pas bien loin. Car je sais fort bien ce qui arrivera dans la pratique. Je sais que même avec l’agréation du gouvernement, les candidats épiscopaux, par cela seul qu’ils seront plus nombreux, seront en général préférés. Ainsi nous sommes loin d’étendre trop l’action du gouvernement.

On a cité encore une fois le régime prussien, autrichien, français. Mais on oublie que dans ces pays toutes les écoles sont sous la main du pouvoir. En Prusse et en Autriche le clergé est entièrement sous l’influence du pouvoir. N’avons-nous pas vu ce qu’on a fait en Prusse à l’égard d’une autorité religieuse, bien plus relevée que celle qui inspecterait les écoles ?

Il faut lier la nomination des instituteurs à l’existence des écoles normales. Mais faut-il la lier par la loi ? l’administration ne peut-elle pas agir librement ? ne peut-elle pas recommander le choix des élèves des écoles primaires s’ils méritent d’être recommandés ?

On me dit : Auriez-vous voulu que les élèves des universités de l’Etat eussent seuls le droit d’exercer la médecine, ou de pratiquer le droit ? Mais je ne veux rien de semblable ; je ne demande pas même pour les écoles normales de l’Etat le privilège de fournir seules des instituteurs aux communes. A mon tour je vous dirai : Voudriez-vous que lorsque le gouvernement doit nommer à des places administratives, il fût restreint dans un cercle tel qu’il dût prendre les candidats ou dans une université de l’Etat, ou dans une université libre, certes, vous ne le voudriez pas. Vous diriez que ce système est monstrueux, que vous ne voulez pas de ce privilège pour l’université libre. Il y a cependant parfaite analogie.

Messieurs, remarquez-le bien ; vous avez refusé aux universités le droit de donner des brevets elles-mêmes à leurs élèves ; vous avez attaché une très grande importance aux jurys d’examen. Vous n’avez pas voulu donner ce droit aux universités dans la crainte qu’elles en abusassent. Et ici, que faites-vous ? Vous donnez à des institutions particulières le droit d’accorder des brevets qui entraînent un privilège ; vous donnez précisément à des écoles primaires le droit que vous avez refusé à des universités ; vous donnez une préférence, un privilège pour les places à des élèves qui sortes d’écoles bien inférieures aux universités.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous n’inspectons pas les universités.

M. Devaux. - M. le ministre de l'intérieur me dit : Nous n’inspectons pas les universités. Ah ! messieurs, qu’à cela ne tienne. Si votre intention était de dire ; il n’y aura en Belgique que deux universités comme il n’y a que deux espèces d’écoles normales, une du gouvernement peu fréquentée et une de l’autorité ecclésiastique beaucoup plus nombreuse, et si vous déclariez que les élèves qui sortiront de ces universités recevront seuls les places administratives, ah ! soyez-en sûrs, l’autorité ecclésiastique, si vous y mettiez cette condition, vous concéderait aisément un stérile droit d’inspection, vous l’obtiendriez dès demain.

Mais l’inspection dans les établissements libres à quoi mène-t-elle ? Absolument rien ; à constater les abus, si vous voulez, mais vous n’avez aucun moyen d’y remédier. Cette inspection, mais vous savez bien qu’on ne vous la refuse pas, que le clergé a été jusqu’à la solliciter. Et vous venez vanter la conquête que vous avez faite, vous venez vous vanter d’avoir l’inspection sur les écoles normales ecclésiastiques. Mais, je le répète, on vous l’accorde : l’évêque de Liége, si je ne me trompe, vous l’a formellement offerte depuis longtemps. D’ailleurs si ces écoles ne vous étaient pas ouvertes vous ne les subsidieriez pas. Reste à savoir, ce sera encore une question à résoudre, ce qui adviendra des subsides, quelles seront les écoles subsidiées, s’il y aura encore des écoles primaires normales subsidiées autres que celles de l’Etat.

Et si par hasard les écoles normales de l’Etat ne réussissaient pas, car il y a des personnes fort au fait de l’enseignement qui pensent que ces écoles ne réussiront pas, qui pensent que ces écoles seront à peu près dans le même état et peut-être dans un état pire encore que les universités de l’Etat ; c’est-à-dire que, comme on aura le même avantage à aller aux écoles normales des évêques plus l’avantage d’être protégé de ce côté et d’être plus recherché par les communes précisément parce que les instituteurs qui sortiront de ces écoles s’entendront mieux avec les curés, les écoles du gouvernement ne réussiront pas, resteront sans élèves.

Eh bien ! qu’arrivera-t-il dans ce cas ? II arrivera que ce seront les écoles rurales, les écoles ecclésiastiques qui présenteront seules les candidats. Or, M. le ministre vient de dire que qui présente les candidats nomme. Ainsi, votre loi donnerait la nomination à l’autorité ecclésiastique seule.

Si, lorsqu’il s’agit d’une pareille concurrence, on commençait au moins par établir l’égalité ! Mais nous vous déjà fait voir combien il y a d’inégalité quant au nombre d’instituteurs que doit fournir, par suite du nombre même de ces établissements, l’autorité ecclésiastique.

M. le ministre de l’intérieur est convenu tout à l’heure que ce serait un privilège pour l’Etat de fournir seul les instituteurs au moyen de ses écoles normales. Par conséquent, c’est un privilège aussi pour les écoles privées. Je demande de quel droit nous pouvons inscrire dans la loi des privilèges en faveur d’écoles privées.

L’agréation par le gouvernement, vous dit M. le ministre, est illusoire ; et cependant c’est le même ministre qui ne vous propose pas comme illusoire, mais comme une mesure réelle, l’agréation par le gouvernement des budgets des villes. Moi j’avais voulu plus que l’agréation, j’avais voulu le projet de 1834, moins la présentation des candidats, ce projet on n’en a pas voulu et c’est par esprit de conciliation que je suis entré dans une autre idée.

Messieurs, alors que cette disposition ne sera pas écrite dans votre loi, les écoles primaires ne seront pas sans protecteurs, ne seront pas sans débouchés. Le gouvernement doit désirer que les écoles normales fleurissent ; il donnera des conseils d’une manière officieuse aux communes pour qu’elles choisissent leurs instituteurs dans les écoles normales et, s’il a le sentiment de son devoir, il refusera son agréation dans le cas où une commune ne nommerait pas un instituteur capable.

Aujourd’hui déjà, messieurs, dans quelques provinces où la province accorde des subsides aux instituteurs, on a établi des enquêtes, des examens, et on n’accepte pas tous les instituteurs nommés par la commune, mais on voit s’ils sont capables, s’ils sont aptes à exercer leurs fonctions.

J’ai entendu avec beaucoup de regret l’honorable M. d’Huart dire, que le gouvernement avait des choses bien plus sérieuses à faire que de s’enquérir de la nomination des instituteurs communaux. Pour remplir cette fonction, pour prendre des informations, le gouvernement a ses inspecteurs qui sont institués pour quelque chose. Il a aussi les députations permanentes.

Je pense que le gouvernement a peu de choses plus sérieuses à faire que de remplir de pareilles fonctions ; et je désirerais beaucoup qu’il ne fît jamais de chose moins sérieuse. Le gouvernement de pays aussi haut placés que le nôtre, le gouvernement de la Prusse, le gouvernement de la France exercent de pareilles attributions, et ne croient pas faire œuvre peu sérieuse. Malheur à nous si nous regardons la tâche du gouvernement en matière d’instruction comme peu importante.

Un honorable membre voudrait établir des concours et des examens. Quant à moi je n’ai pas d’opinion à exprimer sur ce point seulement. Je ferai remarquer qu’on peut faire par mesure administrative beaucoup de choses sous ce rapport, dont il serait inutile de parler dans la loi.

Un honorable député de Liège a exprimé le regret que j’eusse voulu changer dans cette circonstance la loi communale. D’abord, messieurs, il aura remarqué que ce n’est pas ma faute si le projet de 1834 n’a pas été adopté par cette assemblée, et s’il ne l’a pas été avant la loi communale.

Messieurs, lors de la discussion de la loi communale, nous étions en présence du projet de 1834. Que demandait la loi communale ? Elle demandait que la nomination de l’instituteur appartienne à la commune. Que disait le projet de 1834 ? Il disait que la nomination appartiendrait à la commune, et que la commission provinciale présenterait les candidats. Je me suis très bien rappelé cette disposition pendant la discussion de la loi communale ; j’étais d’avis de la maintenir ; et si je ne me suis pas levé contre la disposition le la loi communale, c’est que j’ai trouvé qu’elle ne l’excluait pas.

Aujourd’hui, messieurs, j’ai consenti à donner l’agréation au gouvernement. Pourquoi ? Parce que je suis guidé par un désir de conciliation en même temps que par celui d’améliorer la loi. Je tâche de faire réussir des dispositions dont quelques fois je ne me contenterais pas, si j’étais seul à décider. Je tâche d’obtenir les améliorations possibles, eu égard à l’état des esprits dans l’assemblée. Le projet de 1834 lui-même ne renferme pas toute mon opinion ; mais je l’ai défendu ici, par la raison que lorsque j’ai consenti à une transaction, lorsque j’y attache mon nom, je fais honneur à ma signature, je ne la renie pas.

J’ai présenté beaucoup d’amendements dans le but d’améliorer la loi ; mais plusieurs de ces amendements ne représentent pas toute ma pensée, je le déclare franchement. Aussi je me regarderais comme complètement libre, aujourd’hui surtout que tant de dispositions que j’ai présentées ont été repoussées, d’émettre sur la loi telle opinion définitive, que, d’après leur ensemble, je jugerais devoir émettre.

- La clôture est demandée et adoptée.

M. le président. - Le premier amendement proposé est celui de l’honorable M. Cogels, qui tend substituer les mots trois années aux mots deux années.

M. d’Huart. - Je crois que l’honorable M. Devaux avait proposé quatre années.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - M. le président, on a proposé quatre années ; je ne m’oppose pas à cette proposition,

- Le terme de quatre années est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Le second amendement est celui de l’honorable M. Lebeau qui propose de remplacer les deux derniers paragraphes de l’article par cette disposition :

« Ces nominations seront soumises à l’agréation du gouvernement. »

- Cet amendement n’est pas adopté.

M. le président. - M. Orts avait proposé un amendement ainsi conçu :

« Cette nomination n’aura lieu qu’après un examen entre les concurrents et qui portera sur les diverses branches dont se compose l’enseignement primaire, d’après les dispositions de l’art. 6 de la présente loi.

« La nomination sera soumise à l’agréation du gouvernement auquel il sera donné connaissance du résultat des examens. »

Mais cet amendement vient à tomber par suite du rejet de celui de M. Lebeau.

- L’article, tel qu’il a été présenté par M. le ministre de l’intérieur, est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.