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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du vendredi 10
juin 1842
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition demandant des mesures en
faveur de l’industrie linière (Rodenbach, Manilius)
2) Projet de loi portant des crédits supplémentaires au budget du département
de la guerre pour l’exercice 1840
3)
Motion d’ordre relative au retrait d’un grade dans l’armée (Verhaegen, de Liem)
4)
Motion d’ordre relative au remplacement en matière de milice (Delfosse)
5)
Motion d’ordre relative à la fixation des travaux de la chambre. Péages sur les
canaux et rivières (Sigart)
6) Proposition de loi tendant à apporter des modifications à la loi communale,
en ce qui concerne le fractionnement des collèges électoraux (de La Coste, (+question politique) Devaux,
de Theux, de La Coste, Devaux, de La Coste, (+question
des partis et question politique) Rogier, Nothomb, Osy, Nothomb,
Dolez, Verhaegen, de Mérode, Orts, Nothomb,
Eloy de Burdinne, de Theux, Delfosse, Eloy de Burdinne, Dubus (aîné), Delfosse, (chemin de
fer (David))
(Moniteur
belge n°162, du 11 juin 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l'appel nominal à midi et quart.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est
adoptée.
M. de Renesse analyse les pièces de la correspondance :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Denambraide,
entrepreneur de travaux publics à Bruxelles, réclame l'intervention de la
chambre pour obtenir le paiement de ce qui lui revient du chef de travaux
exécutés avant 1830, par ordre du gouvernement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
_______________________
« Le
comité directeur de l'association pour le progrès de l'industrie linière
demande 1° le retrait de toutes les concessions faites à
M. Rodenbach. - Cette pétition, comme vous le voyez par son analyse, est de la plus
haute importance, Si elle n'était pas si longue, si elle ne devait pas occuper
trop longtemps la chambre, j’en demanderais la lecture ; car elle mérite de
fixer l'attention du pays et de ses représentants.
Je demande que cette pétition soit renvoyée à la
commission d'industrie, à MM. les ministres de l'intérieur, des finances et des
affaires étrangères et qu'elle soit insérée au Moniteur.
- La proposition de M. Rodenbach, appuyée par M. Manilius est
mise aux voix et adoptée.
PROJET
DE LOI PORTANT DES CREDITS SUPPLEMENTAIRES AU BUDGET DU DEPARTEMENT DE
M. le ministre de la guerre
(M. de Liem) présente un projet de loi de crédit
supplémentaire de 50,000 fr. à prélever sur les fonds restant disponibles au
budget de l'exercice 1840, ayant pour objet de pourvoir au payement des
créances arriérées relatives à des travaux et des fournitures de mobilier
à l'hôtel du ministère de la guerre et à
des achats pour complément du mobilier nécessaire à cet hôtel.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution
de ce rapport et le renvoie à l'examen de la section centrale du budget de la
guerre.
M. Verhaegen. - Depuis quelques jours, je désirais adresser une interpellation à M. le
ministre de la guerre. Mais comme il n'était pas présent, j'ai été obligé de la
remettre à la séance de ce jour. La chambre a été saisie, il y a quelque temps,
d'une pétition de M. Tack, qui se plaignait de ce qu'on lui avait enlevé son
grade, ce qu'on avait violé a son égard une disposition
formelle de la constitution.
M. Tack avait été dépouillé illégalement de son
grade. En 1839, on lui a rendu son grade. M. Tack a demandé la conséquence de
cette demande ; il a demandé qu'on lui payât ce qui lui était dû sur le pied du
grade qu'on lui avait enlevé. Cette pétition a été renvoyée à la commission des
pétitions ; M. Zoude a présenté le rapport au nom de cette commission, et a
appuyé le système du réclamant. La chambre a renvoyé la pétition à M. le
ministre de la guerre avec demande d'explications. Qu'a-t-il répondu ? Que déjà
des explications avaient été données en 1837. Ces explications ne se trouvent
nulle part. Ensuite, données en 1837, elles ne peuvent se rapporter à un grief
qui date de 1839.
De deux choses l'une, ou bien, en 1839, on a donné à
M. Tack un grade nouveau ; ou bien on lui a rendu ce qu'on lui avait enlevé à
tort. Si on lui a rendu ce qu'on lui avait enlevé à tort il faut nécessairement
que, pour être juste, on lui donne toutes les conséquences de ce qu’on lui a
enlevé à tort. Si, au contraire, on lui a donné un grade nouveau, comme il n'y
a pas de grade sans emploi, il faut lui en donner un. Or, on l'a mis en
non-activité. Il est impossible qu’on sorte de ce dilemme.
Je voudrais que M. le ministre de
la guerre nous donnât des explications, me réservant de prendre après ces
explications les mesures que commanderont les circonstances.
M. le ministre de la guerre
(M. de Liem) - J'ai renvoyé aux explications données
en 1837, croyant que ce document devait se trouver à la chambre. Puisqu'il ne
s'y trouve pas, je le ferai rechercher au département de la guerre, et je le
transmettrai à la chambre.
Quant à ce qu'a dit l'honorable préopinant, sur la
position de M. Tack, je ferai observer que le gouvernement avait le droit de le
mettre en non-activité, en lui donnant un grade, et qu'il n'était pas tenu de
lui donner un emploi.
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. Dubus (aîné). - Je demande l'ordre du jour. Si l'on veut faire une proposition, qu'on
la dépose, aux termes du règlement, et qu'on ne vienne pas interrompre les
travaux de la chambre.
M. Verhaegen. - La chambre a renvoyé une pétition à M. le ministre de la guerre, avec
demande d'explications. Qui veut la fin veut les moyens. Il faut bien que ces
explications parviennent à la chambre.
M. le ministre de la guerre ne m'a pas probablement
compris.
Je ne prétends pas qu'on ne puisse pas mettre un
officier en non-activité. Mais je dis que M. Tack, à qui on a rendu un grade,
dont il avait été dépouillé illégalement, a droit à recevoir le traitement
attaché à ce grade pendant tout le temps pendant lequel il a été privé de son
grade.
Je ne demande pas que M. le ministre s'explique
séance tenante. Je demande qu’il prenne des renseignements et qu’il les
transmette à la chambre.
M. Delfosse. - La chambre a renvoyé il y a quelque temps à M. le ministre de la guerre
avec demande d'explication la pétition d'une veuve qui se plaint de ce que son
fils est retenu sous les drapeaux, en violation de la loi sur la milice. Elle
avait misé un remplaçant qui a été congédié pour infirmité postérieure aux deux
mois après l'entrée au corps. On sent que, si ce milicien est retenu
illégalement sous les drapeaux, il est urgent que des explications soient
données. Je prie M. le ministre de les donner le plut tôt possible.
M. le ministre de la guerre
(M. de Liem) - Quel est le nom de cette veuve ?
M. Delfosse. - Je ne me le rappelle pas.
M. le ministre de la guerre
(M. de Liem) - Je donnerai les explications, quand
on m'aura donné le nom.
M. Delfosse. - M. le ministre n'aura pas besoin de longues recherches pour trouver
cette pétition, la chambre ne lui a renvoyé que deux ou trois pétition de ce
genre.
M. Sigart. - Divers bruits circulent sur le terme prochain de nos travaux. Il serait
bon que la chambre ne restât pas dans l'incertitude.
Si un ajournement devait avoir lieu, j'appellerai
votre attention sur un projet de loi urgent et qui reste en souffrance. Je veux
parler du projet de loi relatif à la réduction de péages sur les rivières et
canaux. Une sorte de fatalité semble s’attacher à ce projet de loi. Les
rapporteurs sont nommés ; mais la section centrale n'a pas de président.
M. le président. - Quant à moi,. il
m'est impossible de m'occuper d'autres objets que ceux qui occupent les
sections centrales que je préside. Les sections centrales chargées de l'examen
des projets de loi relatifs à l'enseignement primaire et aux affaires de la
ville de Bruxelles, se réunissent demain. Nous avons aussi le projet de loi sur
l'estampille et sur la répression de la fraude. MM. les vice-présidents sont
également occupés.
M. de Garcia. - Cette loi est très courte, elle n'a qu'un article ; elle est urgente.
Si l'un de MM. les vice-présidents voulait présider la section centrale, on
pourrait faire le rapport et voter ce projet de loi, dans cette session.
M. David. - Il ne s'agit que d'une prolongation.
M. le président. - Je préside tous les jours deux sections centrales.
M. de Garcia. - Il y a les vice-présidents.
M. Dubus (aîné). - Il y a à peine trois jours que les sections ont terminé l’examen de ce
projet de loi ; tandis que plusieurs sections centrales sont occupées à
terminer l’examen de projets de loi importants, présentes à la chambre
antérieurement et examinés depuis longtemps par les sections.
On ne peut pas aborder un projet avant d'avoir
examiné ceux qui précèdent ; et je ferai remarquer que les membres qui font
partie des sections centrales sont déjà obligés maintenant d’assister à deux
réunions en un jour et ne quittent pour ainsi dire plus le Palais de
M. Sigart. - Je n'accuse ni M. le président ni MM. les vice-présidents ; je sais
fort bien qu'ils ont d'autres travaux. .Mais je ferai remarquer que le projet
dont je parle sera complètement inutile, si l'on tarde encore à le discuter.
Car les canaux vont être fermés pour le curage et alors il en sera de
l'expérience cette année comme il en a été l'année dernière.
M. le président. - Si la chambre veut m'y autoriser, je chargerai M. le président d'âge de
présider une section.
M. de Theux. - Ce serait un précédent à introduire ; quant à moi je m'y oppose
; je n'en vois pas la nécessité.
Discussion générale
M. de La Coste. - Dès le début des discussions sur la loi communale, des membres de cette
assemblée dont, sans m’associer à toutes leurs opinions, j’estime le caractère
et les talents, se sont prononcés avec force contre la proposition qui nous
occupe. Ils semblent n’y apercevoir qu’une question de parti. Quant à moi, je
suis intiment persuadé que la loi proposée ne peut donner à aucun parti une
prépondérance qu’il n’a pas dans les élections communales et ne peut y ôter à
aucun parti la moindre part légitime d’influence.
C’est donc sous un tout autre point de vue que
j’envisage la question.
La mesure proposée ne touche nullement aux
franchises communales, aux franchises électorales. Elle n'ôte pas le moindre
droit au moindre des habitants, elle ne limite leurs droits en rien. Ce sont
toujours les mêmes hommes, avec les mêmes intérêts, avec les mêmes opinions,
Que craignez-vous donc ? Les choix de ces hommes divisés par sections
exprimeront-ils des besoins, des opinions qu'ils n'ont point
? Non, sans doute, Cette supposition serait absurde,
mais des besoins, des opinions qui existent dans la population, et qui ne
trouvent point à se manifester, qui sont comprimées, qui sont étouffées,
trouveront des organes. Voilà tout ce qu'on pourrait craindre, voilà ce qu'il
faut désirer.
Peu m'importe après cela, messieurs, de quelle
nature sont ces besoins, ces opinions. Je ne veux pas même parler ici
d'opinions politiques, car elles devraient être comptées pour bien peu de
choses dans les élections communales. Mais enfin, appelez-la l’opinion
quelconque qui manque d’organes, libérale, catholique, épuisez tout le
vocabulaire de nos tristes divisions, elle est dans son droit quand elle vous
demande sa part d’air, de jour, de liberté !
Voulez-vous savoir ce qu'il y a dans un pays de
liberté ? Ne demandez pas ce qu'y peuvent les majorités, demandez si l'on y
respecte les droits des minorités.
Mais, dit-on, enfin, introduisant dans les conseils
on en troublera le bon accord, singulier accord que celui que nous établirions
en excluant ceux qui ne penseraient pas comme nous. Vous appelez ceci la paix ;
Ce n'est que le silence.
Il est bien évident, au surplus, que l'opinion
quelconque qui dicte l'élection dans une commune selon le mode actuel,
continuera à dominer dans le conseil, à moins que sa prépondérance ne soit tout
à fait factice. Dans cette dernière hypothèse, certes personne ne soutiendra
qu'il fallût maintenir cette prépondérance factice, ce mensonge de la loi ;
dans l'hypothèse contraire, celle d'une prépondérance réelle, elle continuera à
subsister, car l'opinion prépondérante aura la majorité, soit dans toutes les
sections, soit dans le plus grand nombre. Seulement dans le dernier cas, la
minorité aura ses organes dans le conseil, la majorité sera forcée de débattre
les questions au lieu de les trancher. Ici, messieurs, nous touchons au nœud
de la question.
Certes nul d'entre nous n'est assez aveugle, pour ne
pas apprécier l'avantage de la stabilité des institutions ; mais il faut
examiner quelles sont les conditions de cette stabilité.
Dans les Etats depuis longtemps constitués, où les
institutions se sont formées historiquement, où elles ont jeté des racines
profondes dans le passé et dans les mœurs, elles sont stables parce qu'elles
sont.
Dans un Etat jeune, où les institutions ont dû être
en grande partie empruntées à des peuples voisins ou à la théorie, leur stabilité
doit reposer sur un autre fondement : le droit, il est en effet un droit
au-dessus de celui que nous créons. Il ne naît point de la volonté arbitraire
et mobile du législateur, mais de la nature même des choses
On se soumet à la majorité, non qu'elle ait toujours
de son côté la raison, ni même la force, mais parce qu’il faut une fin à toute
discussion. De là ce singulier privilège, qu'il faut pourtant bien subir, qu’à
parfois un seul votant, peut-être le moins éclairé, de trancher une question
qui partage une assemblée, qui partage un peuple.
Mais en admettant ce privilège, si exorbitant de la
nature, il faut au moins ne pas le transporter au-delà de ses limites, ne pas
attribuer à la majorité, outre le droit de décider, le droit exclusif de
débattre.
Au plus grand nombre la décision : la discussion à
tous.
Les formes représentatives ne changent rien à ces
principes ; seulement à l'intervention directe des citoyens, elles subsistent
des intermédiaires.
Il faut que la représentation se rapproche autant
que possible de la réalité, que les représentants soit à l'image des
représentés, afin qu'aucune opinion, aucun intérêt ne soit exclu du débat. Hors
de là tout n'est que fiction, que despotisme sous un masque imposteur.
Dans nos chambres, dans nos assemblées provinciales,
grâce aux subdivisions électorales, les divers intérêts, les diverses opinions
ont chance d’être représentés, il en résulte une certaine pondération qui
tourne au profit de la justice, au profit de la modération.
Dans nos villes l'élection est un seul flot qu'un
souffle unique soulève.
En admettant dans cette élection le même principe
que dans les élections générales et provinciales, nous serons conséquents. Personne ne doit craindre
ou espérer que par là nous changerons l’esprit qui anime les élections
communales ; ce sera toujours l'esprit de la classe moyenne. Ce que nous
ferons, ce sera de rendre l'expression des opinions et des intérêts de cette
classe importante, plus sincère, plus vraie, plus libre.
Je sais qu'on se plaint beaucoup de l'action
qu'exercent les intérêts divergents des localités dans les assemblées où elles
envoient des représentants distincts ; mais lorsque les élections se font en
masse, ces intérêts cessent-ils d'exister ? Cessent-ils d'exercer leur action ?
Loin de là, elle devient plus exclusive, plus impérieuse, de la part des
intérêts qui ont le plus de partisans, les partisans les plus puissants ou les
plus actifs ; ainsi il n'est pas remédié par l’élection en masse au mal dont
l'on accuse l'élection fractionnaire : on ne s aperçoit pas que ce n'est pas
tel ou tel mode d'élection, mais l'élection que l'on accuse.
Qui pourrait nier, en effet, que le système électif
n'ait comme toute chose, ses inconvénients ?
Certes ce ne seraient pas ceux qui ont vu les
élections de près. Mais au milieu de ces luttes, où peu d'hommes sont assez
heureux, assez fermes, pour ne point laisser quelques débris de l’indépendance
de leur pensée, de la noblesse de leur caractère, j'aperçois un symptôme
consolant, je vois se développer une vertu curative de la chose publique (vis
medicatrix reipublicœ) c’est
la part qui est faite à la considération personnelle, à la considération
méritée par une vie honorable, par des talents distingués, par les services
rendus au pays. Aussi longtemps que cette part sera faite, l’indépendance sera
possible et l’indépendance personnelle est le seul remède à l’influence exagérée
des intérêts locaux.
Or, il est démontré à mes yeux que l’élection par
sections est plus favorable aux choix de personnes qui ont cette indépendance,
parce que le choix sera plus influencé par l’estime personnelle, moins par la
brigue et l’esprit de parti.
Mais, dit-on, le gouvernement pourra porter toutes
ses forces sur un point, déterminer dans un quartier des choix conformes à ses
vues et y prendre tous les échevins. Un exemple souvent cité dans nos
discussions actuelles répond à cette objection, l'exemple de Toulouse : un
gouvernement bien plus fort que le nôtre n'a pu y exercer une semblable
influence. Je ne crois donc pas, pour moi, que le gouvernement puisse exercer
dans aucune section une influence contraire au vœu des habitants, et en supposant
un tel résultat possible, l'intérêt du gouvernement ne serait pas de prendre
dans une petite minorité factice les fonctionnaires dont le choix lui est
déféré, car par là il manquerait son but, il donnerait le signal d'une lutte
où son influence périrait.
On paraît craindre encore que la proposition en
discussion ne cache des vues plus profondes, que ce ne soit un précédent, et,
comme on l'a dit, un admirable jalon pour le système électoral en général ;
mais c'est au contraire, le système électoral adopté qui forme précédent pour
cette proposition. Il y a parfaite analogie et si la division, comme
tout système, a ses inconvénients, ils sont bien moins grands dans une ville,
au milieu du contact journalier des habitants, que dans la position plus isolée
des circonscriptions territoriales qui concourent aux autres élections.
Au surplus, qu'il me soit permis de dire que ce
n'est point réfuter la proposition que d'attaquer en elle ce qui n'y est point.
Ce n'est donc point la réfuter que de parler d'un vote par rues, par numéros,
d'une subdivision en un mot poussée à l'absurde, ou même seulement poussée à
l'extrême. Si on craint véritablement qu'elle soit poussée à l'extrême, on peut
y mettre des limites, et dès lors, l'objection disparaît. Si l'on craint
que le gouvernement ne la modifie dans des vues particulières, on peut encore
limiter le droit qu'aurait le gouvernement de la modifier. Toutes ces
objections ne s'appliquent qu'à des détails, à des accessoires, et peuvent être
levées par des sous-amendements.
Mais la véritable question c'est le principe, et je
l'adopte non comme favorable à telle ou telle opinion, ce qui ne m'est pas démontré
et m'inquiète peu, en cette occasion ; mais comme un principe de justice. Et si
jamais, méconnaissant ce principe, en sens contraire, on venait réclamer
l'élection en masse pour les conseils provinciaux, ce qui n'est pas interdit
par la constitution et ne présenterait aucune difficulté d'exécution, alors je
me trouverais dans les rangs opposés, dans les rangs de ceux qui demanderaient
le maintien de l'élection fractionnaire, en faveur de l'opinion qui paraît la
repousser aujourd'hui.
M. Devaux. - Messieurs, ce qu'on propose dans le projet de loi
qui vous est soumis, c'est de changer non pas le fait mais la base même de
1'institution communale. Dans les séances précédentes on demandait de la
changer en ce qui concerne les bourgmestres ; aujourd’hui on vous demande de la
changer en ce qui concerne la composition et l'esprit des conseils communaux.
Dans la discussion qui a été close hier, on soutenait que les libertés communales
résidaient dans les conseils communaux ; en changeant les dispositions
relatives au bourgmestre, on ne touchait pas, disait-on, aux franchises
communales, parce qu'on ne touchait pas aux conseils ; aujourd'hui, c'est
précisément aux conseils qu'on veut toucher ; c'est un changement dans la
composition des conseils que l'on réclame.
On avoue donc par cela même, que la question touche
de très près à ce qu’on a appelé les franchises, les libertés
communales. Je ne connais, quant à moi, rien de plus fondamental pour les
institutions communales que l'origine même des conseils, que les élections.
Changez le principe électoral ; et vous pouvez changer toute la nature de
l'institution ; changez sa base électorale, et vous pouvez lui faire dire le
contraire de ce que la loi communale a voulu.
Messieurs, il y a quelque chose
d'extraordinaire dans le but, aujourd'hui avoué, de cette mesure. Ce qu'on
veut, c'est de changer l'esprit des conseils communaux ; ce qu'on veut, c est
de changer l'esprit des corps électifs. Vouloir changer les résultats
électoraux, vouloir changer par une loi l'esprit des élections, c'est là une
mesure radicale, c'est là une mesure extrême.
Une loi faite dans le dessein de changer l'esprit
des élections, de changer leur résultat, quand cette loi touche à la
composition des grands corps de l'Etat, c'est une révolution. La réforme électorale
en Angleterre a été une véritable révolution faite par la loi. Ce qu'on nous
propose aujourd’hui, c'est une révolution communale faite par la loi.
Messieurs, nous avons des divisions locales dans les
chambres, et il n'est pas un d'entre nous qui ne s'en soit plaint ; nous avons
des divisions locales dans les conseils provinciaux, et il n'est pas un d'entre
nous qui ne les ait déplorées ; nous n'avons pas de divisions locales dans les
communes ; la commune est la dernière subdivision du pays, et là les divisions
locales n'étaient plus connues : là il y avait unité locale. Aujourd'hui
l'on propose d'introduire de gaieté de coeur les divisions locales dans la
commune, d’y introduire ce qui n'y a pas existé jusqu'aujourd'hui, l'esprit de
quartier, l'esprit de section.
Il y a six ans que je suis membre du conseil
communal d'une grande ville ; j'oserais dire que pendant ces six années, il ne
s'est pas présente, à ma connaissance, une seule question qui ait donné lieu à
des divisions de quartiers ; cependant on a fait de grandes constructions : une
station du chemin de fer, des écoles, des casernes, etc., pas une seule fois,
des divisions de quartier ne se sont élevées. Introduisez les élections par
quartiers dans les conseils communaux et, dès l'année prochaine, dans le
conseil dont je viens de parler, comme dans les autres, les intérêts
fractionnaires, les divisions de quartiers prendront la place de l’unité de vue
qui y a régné jusqu’à présent. Une fois l’intérêt de quartier s’est manifesté à
Bruxelles, c’était à propos du palais de justice ; et je vous demande si vous
n’avez pas gémi, si tous les habitants de Bruxelles n’ont pas gémi des
résultats de cette lutte ? cette lutte, qui s’est
présentée une seule fois, que vous allez perpétuer, que vous allez renouveler
sans cesse dans toutes nos villes.
Que va-t-il arriver ? C’est que désormais dans les
villes, rien de grand ne sera possible ; ou bien l’on fera trop, ou bien l’on
fera trop peu. Chaque fois qu’il s’agira d’un grand établissement, d’une grande
entreprise, la première question qui se présentera sera celle de savoir à quel
quartier on donnera l’établissement, dans quel quartier on le construira.
Voulez-vous construire un édifice, un monument utile, l’on vous contraindra, ou
à en faire autant dans chaque quartier, ou à ne rien faire du tout. Un parc,
comme celui de Bruxelles, dans le système qu’on propose, est une chose
impossible ; savez-vous ce qu’on y substituerait ? On y ferait de petits
jardins dans chaque quartier. Au lieu de faire quelques bonnes écoles il faudra
faire beaucoup d’écoles, fussent-elles mauvaises ; une ville qui n’aura que le
moyen de faire trois bonnes écoles, si elle a six sections, devra faire six
écoles, dussent-elles être mauvaises. S’il s’agit de faire une station du
chemin de fer, chacun voudra qu’elle soit établie dans son quartier, et comme
il ne sera pas possible de l’établir partout à la fois, tous se refuseront à
faire la dépense, et il y aura impossibilité de la faire.
Quelle sera maintenant la position du collège
échevinal, si le projet est adapté ? Remarquez, messieurs, qu’au collège
échevinal appartient l’initiative de tous les grands travaux. Quelle sera la
position de l'échevin chargé des travaux publics ? S'il se présente une
question où l'intérêt de la ville soit en opposition avec celui du
quartier qui a élu cet échevin, il devra donner sa démission comme conseiller
de ce quartier. Comment voulez-vous que si une semblable lutte s'élève,
l'échevin puisse être impartial, entouré qu'il est à chaque instant des
électeurs du seul quartier qui l'a nommé ? Plus le collège échevinal sera
partial en faveur des quartiers qui ont élu ses membres, plus ces membres
assureront leur réélection ; plus au contraire ils seront impartiaux à l'égard
des quartiers qui les ont élus, plus ils affaibliront les chances qu'ils
peuvent avoir d'être réélus.
Voyez aussi quels embarras peuvent naître pour le
pouvoir ; vous vous êtes plaints des difficultés qu'éprouvait le pouvoir pour
nommer le bourgmestre et les échevins ; mais vous ne remarquez pas que vous
restreignez singulièrement le choix du gouvernement ; le gouvernement sera tenu
maintenant de prendre en considération une circonstance toute nouvelle ; il
devra examiner à quel quartier appartient tel conseiller auquel il voudrait
conférer les fonctions d'échevin ; il ne pourra pas nommer deux échevins dans
un même quartier, ces deux échevins fussent-ils les plus digues ; bien moins
encore pourra-t-il nommer quatre échevins dans un même quartier : et cependant
il peut se faire que les quatre membres du conseil qui sont les plus capables
de remplir les fonctions d'échevins, aient été élus par le même quartier. Dans
presque toutes les villes il y a un quartier où il y a le plus d'hommes
capables, où il y a le plus d'hommes aisés, qui comptent naturellement
aujourd'hui quelques conseillers de plus que les autres ; le gouvernement ne
pourra pas choisir les conseillers les plus capables, alors qu'ils auront été
nommés par ce quartier. Quand il aura à choisir un bourgmestre et des échevins,
il faudra qu’il demande, non pas seulement, si le bourgmestre et les échevins
sympathiseront avec le conseil, mais s'ils appartiennent à tel ou tel quartier
de la ville, s'ils joueront tel ou tel rôle dans la lutte des sections.
Messieurs, on nous a cité la législation anglaise.
D'abord je demanderai quelle est la législation anglaise ? Quant à moi, je vous
avoue que je ne la connais pas ; je connais quelque chose de l'ancienne
législation anglaise, mais la nouvelle législation communale anglaise, je
confesse que je ne la connais pas et je ne sais pas si beaucoup d’honorables
membres de l'assemblée la connaissent. Je suppose que ceux qui l'ont citée la
connaissent, et je serais charmé qu'ils voulussent bien m'en communiquer le
texte pour mon instruction, je leur en fais la prière. Je demanderai, par
exemple, quelles sont en Angleterre les fonctions des conseillers communaux, je
demanderai si la mesure que l'on propose s'applique en Angleterre à des corps
communaux placés dans la même position que les nôtres, ayant les mêmes
attributions ; si les membres de ces corps sont élus d'après le même mode que
chez nous. Il y a bien des considérations, messieurs qui s'appliquent aux
corps communaux anglais et qui ne s'appliquent pas aux nôtres ; d'abord en
Angleterre il y a certaines villes dont les divers quartiers sont tellement
séparés les uns des autres, qu'ils forment en quelque sorte chacun une ville à
part ; ainsi, à Londres,
Il y a en Angleterre d'anciens privilèges dont
jouissent les corps de métier et peut-être aussi les quartiers ; si réellement
la mesure a été adoptée en Angleterre, n'est-ce pas qu'on a cédé à ce qui
existait, on a cédé à l'esprit, aux habitudes des villes, telles qu'elles
existaient.
Chez nous, au contraire, ce qu'on veut faire, ce
n'est plus de conserver d'anciens usages, c'est de créer des obstacles, des
divisions, un esprit qui n'existaient pas.
Vous avez vu, messieurs, comment en France cette
innovation a paru dans la loi, à la suite d’une discussion très peu
approfondie. Mais voudrait-on nous dire quels sont les effets de la loi en
France ? A-t-on quelques renseignements là-dessus ? Les effets de la loi sont-ils
bons en France ?
Si j'en crois des bruits qui me sont parvenus, les
effets de la loi française sont détestables ; dans beaucoup de localités on
s'en plaint beaucoup ; en France m'a-t-on dit, la loi a créé dans certaines
villes des divisions déplorables entre les divers quartiers, elle a mis aux prises
le quartier des industriels avec celui des nobles, celui des rentiers et celui
des artisans. Elle a provoqué des luttes incessantes et qui chaque jour tendent
à s’envenimer.
Autrefois, dit-on, les corps de métier avaient aussi
leur existence séparée ; les corps de métiers se partageaient la ville. Je réponds que les
communes du moyen-âge en Belgique, comme en Italie et ailleurs ont dû aux
divisions des corps de métier entre eux des luttes sanglantes, des luttes qui
ont jeté plusieurs fois ces villes dans le désordre et l'anarchie.
Mais, cette division en corps de métier, ce n'était
pas une loi qui l'avait brusquement introduite ; aujourd’hui vous voulez
créer des divisions qui n'existaient pas, vous voulez créer par la loi un
esprit local tout nouveau.
Et quels sont donc, messieurs, les motifs à l'appui
de ce changement ? Où sont les inconvénients du système actuel ? Où sont les
faits ?
L’honorable auteur de la proposition convient qu'il
ne lui faut pas de faits pour réformer les lois. Un autre honorable membre, qui
siège derrière moi, et qui se dit partisan de la stabilité des lois, n'a
pas besoin non plus qu on lui signale des faits, c'est au nom du droit qu'il
veut réformer la loi. Si c'est là la stabilité qu'il veut, c'est la stabilité
invoquée par tous les révolutionnaires ; toutes les révolutions se sont
toujours faites au nom du droit ; un parti nouveau qui a momentanément la
majorité, changera aujourd'hui, au nom du droit, les lois faites la veille par
le parti vaincu, sauf à voir renverser demain les siennes par un autre parti,
et toujours au nom du droit. Ainsi, si vous n'exigez pas de faits pour modifier
les lois, vous vous placez sur un terrain mouvant, vous n'avez plus de
stabilité aucune dans la législation.
Les divers quartiers, dira-t-on, ne sont pas
suffisamment représentés dans les grandes villes. Premier fait à constater.
Comment se fait-il qu'on ne nous apporte pas de preuves à cet égard,
qu'on ne nous dise pas quelles sont les communes où des quartiers manquent de
représentants ? Mais, je dirai que dans les villes, pour lesquelles j'ai
pu en faire la vérification, les quartiers sont suffisamment représentés ; ils
ne sont pas toujours également représentés, mais tous les quartiers n'ont pas
une importance égale, ils n'ont pas tous le même nombre d'électeurs, ils n'ont
pas tous les mêmes besoins ; mais ce qui est certain, c'est que tous les
quartiers sont suffisamment représentés, et que surtout aucun d'eux n'est
opprimé ou vexé par l'influence des autres.
Un honorable membre a dit que des communes se
ruinaient, et que c'était un motif pour changer le mode d'élections.
J'avoue qu'il ne m’est pas possible de trouver le
lien qui existe entre la situation financière des communes et la mesure
qu'on propose. Quant à la situation financière des communes, on a présenté des
projets pour remédier à ses vices vrais ou faux, ce que nous examinerons plus
tard ; mais toujours est-il qu'on a présenté des projets ayant pour but de
remédier à ce que la situation financière peut laisser à désirer.
Je dirai à cet égard que quand on parle de la
situation financière des villes, il ne faut pas ainsi les blâmer en général.
Quand on accuse les villes, on doit apporter des faits à l'appui de ces
accusations ? Quelles preuves fournit-on ? Où sont les faits qui prouvent que
toutes les villes se ruinent ?
Je désire que, pour nous éclairer sur la question de
la situation financière, on veuille bien nous donner les éléments qui nous sont
nécessaires pour résoudre cette question ; les pièces que M. le ministre de
l'intérieur nous a communiquées ne suffisant pas, ce qu'il nous faut, le voici
:
Il nous faut la situation des dettes des communes en
1830, la situation de leurs dettes en 1840, le montant des dettes qu'on a
amorties dans l'intervalle, l'état des propriétés nouvelles que les villes se
sont faites par leurs constructions et des propriétés anciennes qu'elles ont
aliénées. Voilà les renseignements dont nous avons besoin, pour apprécier les
situations financières des villes ; mais le tableau des produits de l'octroi ne
peut être un élément d'appréciation, car une ville pourrait avoir vu ce produit
s'accroître, parce que son industrie est plus prospère, en un mot parce qu'elle
s'est enrichie ; de sorte que ce qu'on apporte comme preuve de la misère des villes est peut-être leur
richesse.
Messieurs, un honorable membre qui a parlé hier
veut, dans les élections, prévenir l'esprit de coterie ; je reviendrai tout à
l'heure d'une manière spéciale sur ce sujet, et nous verrons quel rôle jouera
l'esprit de coterie dans le système de la loi qu'on propose.
On s'est plaint de l'uniformité d'esprit qui règne
dans les conseils communaux, on a dit que les diverses opinions n'y étaient pas
représentées, on n'a oublié qu'une seule chose, c'est de prouver ce qu'on
avançait ; quant à moi, je nie l'existence de cette uniformité d'opinion dans
les conseils communaux ; je dis que chaque fois qu'il s'y élève une question
politique, et c’est de la politique qu’on a voulu parler, je dis qu'il y a
nuance ou diversité d'opinion. Il arrive, il est vrai, qu'il y a quelquefois
dans les conseils une minorité qui garde le silence, mais cela ne prouve pas
qu’il y a uniformité de pensée, cela prouve seulement qu'il y a une opinion qui
n'a pas toujours assez de force pour dire tout ce qu'elle pense,; cela provient
de ce que les mœurs publiques ne sont pas formées, ce n'est pas en
changeant l'institution que vous les formerez davantage.
Dans la séance d'hier nous avons entendu deux
orateurs en faveur du projet ; l'un approuve la loi, parce qu'il ne veut pas
d'esprit politique dans les conseils ; l’autre, au contraire, lui donne son
assentiment, parce que, selon lui, elle introduit un nouvel aliment politique
dans la commune. Ainsi, le projet doit avoir à la fois pour effet d’empêcher
les divisions politiques dans la commune, suivant l'un de ces orateurs, et pour
les y provoquer, suivant l'autre.
Permettez-moi, messieurs, de jeter maintenant un
coup d'œil sur le texte de la proposition.
D'abord, vous remarquerez, messieurs, que le nombre
des sections qu'on pourra introduire dans une ville, n'est pas limité ; le
gouvernement est armé du droit absolu de multiplier ces sections en tel nombre
qu'il voudra ; seulement il ne pourra pas en introduire moins de quatre.
Voyez, messieurs, à quels résultats singuliers on
arrive.
On part de la base de 4,000 habitants. Là où il y a
4,000 habitants, il faut 4 sections ; or combien 4,000 habitants donnent-ils
d'électeurs ? Si nous consultons le rapport présenté au Roi par l’honorable M.
Liedts, en sa qualité de ministre de l'intérieur, vous trouverez que dans les
villes, il y a terme moyen, un électeur sur 30 habitants. Ainsi, dans la
commune où il y aura 4,000 habitants, il y aura 120 électeurs. Or, le même
rapport de l’honorable M. Liedts nous apprend que sur 100 électeurs communaux,
il n’y a généralement que 56 qui votent. J’applique la proportion ; les 120
électeurs donneront 67 votants. Cela fait 17 votants par section. Voilà où
conduit, à sa base même, le système de l’honorable M. de Theux. M. Dumortier
veut exclure l’esprit de coterie des communes, et pour atteindre ce but, il
admet des collèges électoraux de 17 votants.
Je vous le demande, messieurs, sera-ce encore là un
conseil de la commune ? quand ce conseil sera composé
de membres élus par 17, 20, 30 ou 40 électeurs, sera-ce encore une institution
sérieuse ? Qu’en France, où l’on a de tout temps attaché peu de valeur aux
institutions communales, où l’institution n’est pas entrée dans les mœurs, on
veuille faire quelque chose qui ressemble à un conseil de préfecture, je le
conçois ; mais je vous le demande, messieurs, un conseil communal sortant
d'éléments semblables, et succédant aux conseils communaux qui ont existé
jusqu’ici, pourrait-il encore jouir de la considération publique en Belgique ?
On s'est plaint beaucoup dans la discussion, de la
dépendance du bourgmestre dans le conseil, on a dit que l'élection mettait
l'élu à la discrétion des électeurs. Je conviens que, dans la commune, cette
influence est plus grande que dans tout autre ordre d'élections, parce que là
l'électeur est plus près de l'élu, l'électeur et l'élu se voient tous les
jours. Mais je vous le demande, n'est-ce pas augmenter la dépendance de l’élu
envers l’électeur, que de le mettre à la merci de 20, 30 ou 40 électeurs ?
Si vous désirez que le conseil communal soit plus libre d'agir d'après les
inspirations de sa propre conviction, ne faut-il pas plutôt étendre que
restreindre le nombre des électeurs ?
En effet, ne sera-t-il pas plus libre s'il est nommé
par deux cents électeurs que s'il et nommé par vingt ou trente électeurs ?
Quand les élections sont ainsi réparties par quartiers, que l'on sait que les
dix-sept ou vingt électeurs demeurent telle rue, tel numéro, ne sont-ils pas à
la merci de trois ou quatre personnes ? le conseiller
lui-même ne sera-t-il pas à la merci de trois ou quatre personnes influentes du
quartier, qui n'ont qu'à compter 20 ou 30 électeurs pour se rendre maîtresse
des élections ? Quand ces personnes auront quelque chose à demander au conseil,
qu'il sera question d'un droit d'octroi qui les touchera, quelle sera la
position du conseiller ? Par exemple, quand un brasseur, disposant de 20 voix,
voudra qu’on s'oppose à une augmentation d'octroi sur la bière, je vous demande
quelle sera la position du conseiller dont l'élection dépend de ces voix ?
La loi, telle qu'elle est rédigée par son auteur, ne
contient aucune garantie. C'est une espèce de pouvoir dictatorial donné au
gouvernement sur la matière électorale de la commune. Ce n'est pas la
députation qui fait le partage, c'est le gouvernement qui fixe le nombre des
sections. Ce nombre est illimité. On peut fractionner tant qu'on voudra ; on
peut fractionner les villes en tel nombre de collèges, qu'il ne reste que dix
électeurs par sections.
On n'a pas même voulu, tant on voulait étendre le
pouvoir de changer les résultats électoraux ! on n'a
pas même voulu de cette simple limitation de voisinage de la loi française, on
ne veut plus que les quartiers soient fractionnés par sections de voisinage. Il
faut que le gouvernement puise réunir tels et tels quartiers différents et les
combiner ensemble de manière à faire une majorité. Cela résulte de la loi. Je
ne puis pas penser que ce soit involontaire, l’expression de voisinage se
trouve dans la loi française et M. de Theux l’a retranchée.
M. de
Theux. - J'en ai donné les motifs. Ils sont dans le Moniteur.
M. Devaux. - M. de Theux a dit qu'on prendrait les divisions existantes.
Mais où cela est-il dit dans la loi ? un arrêté royal pourra créer des divisions, former des
sections, réunir, par exemple, le faubourg de Namur avec celui de Laeken pour
faire une section ; rien n'empêchera cela. Voilà les électeurs disséminés par
petite fraction, pour donner au gouverneur, au bourgmestre, suivant l’occasion,
le moyen de combiner ces petites fractions de manière à avoir toujours tel
résultat. Quand ils s’agira de tel homme qu’on veut faire élire, on joindra
telle partie de son quartier, telle autre partie d’un autre quartier qui lui
est favorable ; quand il s’agira de tel homme qu’on voudra éloigner, on
détachera de la section devant laquelle il se présente telle partie qui lui est
favorable pour la remplacer par une partie défavorable. Voilà comment pourront
se faire les élections.
Je demande si c’est avec cette prévoyance, avec
cette précision, qu’on fait les lois électorales.
On ne voulait pas de nombreuses élections.
L’honorable M. de Theux lui-même, l’ennemi des élections trop fréquentes, écarte
de la disposition qu’il emprunte à la loi française, la partie de cette
disposition qui empêche les élections de se renouveler souvent. Ainsi en France
il faut deux jours d’intervalle entre les élections de deux sections. Tel homme
qui jouit d’une grande considération pourrait être élu par deux ou trois
sections, si les élections se faisaient toutes à la fois. Que fait l’auteur de
la proposition ? Il fait voter tous les quartiers à la fois. Si des hommes
ayant de l’influence dans les divers quartiers se présentent, ils seront élus
dans diverses sections, il faudra de nouvelles élections, ces élections seront
simultanées et le même résultat pourra se renouveler. Cependant l’honorable
membre est grand ennemi du mouvement électoral.
On voulait à toute force conserver des bourgmestres
existants, on voulait conserver trois ou quarte bourgmestres des grandes villes
pour lesquels on craint. Il a fallu changer la loi communale, parce qu’ainsi
l’exigeait l’intérêt de leur conservation. Mais que fait-on des conseillers
communaux, on remet leur existence à tous en question. Si on laissait les
élections se faire sous l’empire de la loi actuelle, vous auriez très peu de
changements. Mais si le projet dont il s’agit est adopté, le sort de tous les
conseillers est mis en question. Il n’est pas de conseiller qui ayant eu le
suffrage de la majorité de la commune, puisse être sûr d’avoir le vote d’un
quartier, d’un quartier qui n’existe pas encore et donc les limites doivent
encore être fixées.
N’est-il pas vrai que nous avions dans notre loi
communale une disposition bien préférable, bien plus sage qui avait les
avantages administratifs qu’on cherche dans la disposition nouvelle et n’en
avait pas les inconvénients. Ainsi l’article 5 de la loi communale permet à la
députation provinciale, quand une section de commune n’est pas assez
représentée dans le sein du conseil, de décider qu’un certain nombre de
conseillers seront pris dans cette section, mais seront nommés par la
généralité des électeurs de la commune. Il y a ainsi des hommes chargés plus
spécialement de représenter cette section, mais qui sont en même temps les
représentants de la commune entière. Ils sont en même temps liés à la
généralité et à la partie. Ils ont une double mission.
C’est une très heureuse combinaison. Ce système
existe dans un autre cas, dans la composition de la députation permanente. On a
senti qu’il fallait que les divers arrondissements fussent plus ou moins
représentés dans la députation. Eh bien, a-t-on donné à telle partie de
l’assemblée provinciale le choix du représentant de tel arrondissement, et à
telle autre partie de l’arrondissement le choix du représentant de tel autre
arrondissement ? Non ; on a forcé l’assemblée entière
de prendre dans les divers arrondissements, les membres de la députation,
chargés de représenter jusqu’à un certain point les intérêts d’une partie de la
province ; ils tiennent en même temps par leur élection, à la province et à
l’arrondissement. Ce système est infiniment préférable à celui proposé.
Nous ne devons pas nous dépêcher d’emprunter des
innovations à la législation française, en fait d’administration municipale,
nous l’emportons de beaucoup sur
L’art. 5, si on le trouve exceptionnel, si on trouve
qu’il ne s’applique qu’à des exceptions trop rares, à des sections détachées,
ce qui est fort douteux en fait, et d’après l’opinion de députations qui ont
étendu la disposition, si on trouvait dis-je qu’il y a quelque chose à faire,
on pourrait examiner s’il n’y a pas lieu d’étendre cette disposition aux
villes, mais sans fractionner les collèges et faisant que les conseillers
représentants des quartiers restent les élus de la commune entière.
Je vous ai signalé bien des inconvénients du projet
présenté, mais je ne vous ai signalé encore que des inconvénients secondaires.
Il me reste à vous signaler le plus grave de tous.
L’honorable M. Dumortier, dans la séance d’hier,
avec une franchise à laquelle je rends hommage, vous a dit que ce qu’il
voulait, était d’introduire quelques membres de la minorité dans les conseils,
que ce n’était pas de changer la majorité, mais de créer une minorité dans le
conseil. Je rends parfaitement justice aux intentions de cet honorable membre,
mais il se trompe ; la loi va beaucoup au-delà du but qu’il se propose. La loi,
savez-vous ce que c’est ? c’est une arme donnée à la
minorité, pour se mettre au-dessus de la majorité. Vous avouerez que quand un
système électoral va droit à ce résultat de mettre la minorité électorale
au-dessus de la majorité, quelque avantage qu’il puisse présenter, ce système
est jugé. Il est oppressif. Je crois que je n’aurai pas grand’peine
à prouver que la proposition de M. de Theux tend à mettre la minorité au-dessus
de la majorité, donne à la minorité les moyens de faire la loi à la majorité
dans les élections.
Aujourd’hui pour former le conseil communal, il faut
la majorité de tous les électeurs. Dans le système proposé, il ne faut que la
majorité de quelques sections. Prenons la chambre, par exemple. Elle se compose
de 95 membres, je suppose 100 pour avoir un chiffre rond. Voulez-vous donner à
la minorité le moyen de dominer la majorité dans cette chambre ? Décidez que
les lois ne se feront plus par la chambre entière réunie, mais par la chambre
divisée en quatre sections de 25 membres chacune. Que faut-il alors ? Avoir la
majorité dans trois sections, c’est-à-dire 13 voix dans trois sections, ou 39
voix. Ainsi avec 39 voix convenablement réparties on domine une assemblée
entière de 100 personnes. Voilà le résultat du système qu’on vous propose.
Je vais vous donner un autre exemple, je ne fais que
changer les chiffres. Je suppose une ville ayant 2,000 électeurs. La majorité
est de 1,001 électeurs. Qu’on divise la ville en dix
sections, l’opinion qui aura la majorité dans six sections aura la majorité
dans le conseil. 101 voix dans une section y font la majorité. Au moyen de 606
voix on obtient donc la majorité dans six sections, ainsi dans le système de M.
de Theux 606 électeurs font la loi à 2,000 ! C’est le gouvernement
représentatif retourné contre lui-même. Une élection pareille, qui donne à la
minorité le moyen de dominer la majorité, c’est une amère ironie ; c’est plus
révoltant que l’absolutisme ; car l’absolutisme peut soutenir qu’il est dans
l’esprit de la majorité. Ici c’est une minorité constatée qui triomphe ; un
système qui donne à la minorité le moyen de dominer la majorité est un système
qu’on peut qualifier de révoltant.
Ce qu’on essaie ici, on l’a essayé ailleurs. Voici
ce que disait de cette substitution de la minorité à la majorité un homme dont
la parole a un grand poids : « L’élection par la minorité (disait M. Royer-Collard)
est un mensonge. Que si, sous prétexte d’organiser les collèges, on va jusqu’à
vouloir charger la loi de transférer audacieusement les élections de la
majorité à la minorité, ce qu’on lui demande ce n’est pas seulement la
violation de la charte, ce n’est pas seulement un coup d’Etat contre le
gouvernement représentatif, c’est un coup d’Etat contre la société ; c’est une
révolution contre l’égalité, c’est la vraie contre-révolution. »
Voilà ce que disait M. Royer-Collard d’un système
qui permettait à la minorité de dominer la majorité.
M. Dubus (aîné). – Quel système ?
M. Devaux. – Un système qui, comme je le disais, permettait à la minorité de dominer
la majorité, comme le fait celui qu’on nous propose. Je l’ai prouvé par des
chiffres qu’on ne réfutera pas.
M. de Theux,
rapporteur. – J’y répondrai.
M. Devaux. – Fort bien, nous verrons.
Je voudrais bien dire sur ce projet de loi ma pensée
tout entière, mais je voudrais aussi ne pas blesser des membres dont je
respecte les opinions. Je conçois toutes les dissidences d’opinions. Je sais
respecter les opinions les plus opposées aux miennes quand elles sont sincères
; je n’ai de mépris que pour ceux qui défendent des opinions, qu’ils ne
partagent pas. Hier un honorable membre a déclaré que son intention n’était
nullement de toucher à la loi électorale ; que si l’on proposait une
modification à la loi électorale dans le même sens que la modification proposée
à la loi communale, il la combattrait. Je crois pleinement à la sincérité de
cette déclaration, mais permettez-moi d’ajouter qu’elle est fort isolée ;
permettez-moi de vous dire que si plus tard on proposait cette réforme, il la combattrait
sans doute ; mais qu’arriverait-il ? Que peut-être, comme dans d’autres
circonstances, il se détacherait seul, ou presque seul, et que peut-être alors
aussi il serait remplacé dans les rangs de ceux dont il se séparerait
momentanément par des hommes sortis d’autres rangs qui diraient qu’ils ne
voient dans la mesure proposée qu’une question purement administrative.
L’honorable M. de Theux n’a pas, je pense, été si
loin ; il a dit qu’en faisant sa proposition à la chambre, il n’avait pas
pensée à la réforme de la loi électorale. C’est possible, mais ce n’est pas
s’engager beaucoup pour l’avenir. Cette question n’est pas venue, mais elle
peut venir.
En France, lorsqu’en 1820 on a demandé le
fractionnement des collèges départementaux, cette mesure d’où a fini par sortir
une révolution, beaucoup des membres la représentaient comme purement
administrative. Il fallait rapprocher l’urne électorale de l’électeur.
L’électeur avait trop de peine. Trop peu d’électeurs se rendaient au chef-lieu
du département. C’était par intérêt pour l’électeur qu’on créait de collèges
d’arrondissement. Voilà ce que beaucoup d’orateurs disaient, quelques-uns
probablement de bonne foi. Les partis ont en quelque sorte des impulsions
instinctives. On ne s’avoue pas son but, mais on marche vers ce but. Chaque
jour on fait un pas, une partie de ceux qui marchent ne découvrent le but que
lorsqu’ils en sont déjà très rapprochés.
Je veux tout dire dans cette discussion : il y a une
opinion dans cette chambre qui voit diminuer la majorité électorale qu’elle
avait auparavant ; elle s’en afflige. Cela est naturel ; elle voudrait la
conserver ; c’est naturel encore. Je conçois parfaitement que lorsqu’aux
dernières élections, on a vu dans la plupart des villes les deux tiers des voix
se prononcer contre les candidats appuyés par cette opinion et par le
gouvernement, cela a dû lui faire une impression pénible. Mais lorsque dans la
capitale, séjour de la noblesse catholique, avec tout l’appui du clergé, elle
n’a pu réunir que 150 voix sur 900 ! je conçois qu’on
se trouble, qu’on s’inquiète. Je conçois qu’on veuille retenir cette majorité ;
mais il y a un grand danger dans les moyens dont on veut se servir à cet effet.
Je remarque (je suis persuadé que plusieurs membres de cette opinion ne s’en aperçoivent
pas), je remarque, dis-je, depuis quelque temps, une tendance à un système qui
met la minorité au-dessus de la majorité. Plusieurs grands faits se sont passés
qui décèlent cette tendance. Aussi vous avez vu, il y a un an, que lorsque, sur
une question de cabinet, la majorité de cette chambre s’était prononcée dans un
sens favorable au ministère d’alors, il a fallu que la minorité triomphât. A
tout hasard, on s’est adressé à un corps qui s’est gravement compromis, et qui,
peut-être un jour, regrettera vivement d’être intervenu dans cette question.
M. le ministre de l'intérieur est venu vous avouer
qu'il était entré au ministère pour empêcher une majorité de se former ;
avouant ainsi qu’il voyait une majorité arriver et que le gouvernement se
faisait le soutien de la minorité.
Qu’avons-nous entendu à l’ouverture de la session ? nous avons vu dans la vérification des pouvoirs triompher,
sur la permanence des listes, des doctrines qui mettent la minorité au-dessus
de la majorité ; nous avons vu décider que dans des élections ou la voix d’un
mineur, la voix de deux hommes incapables d’être électeurs avaient formé la
majorité, cette majorité, c’est-à-dire en réalité la minorité, devait
l’emporter. C’est toujours, vous le voyez, la même tendance.
C’est encore cette tendance que révèle le
fractionnement des collèges électoraux réclamé par M. de Theux ; on voit que la
majorité échappe dans les villes, et on veut faire prédominer la minorité.
On s’engage ainsi dans la guerre la plus imprudente
; on s’engage dans une guerre contre l’esprit des villes. Cette lutte, je
n’hésite pas à le dire, est pleine de dangers pour ceux qui l’entreprennent.
Les villes, savez-vous bien ce que c’est ? C’est la civilisation ; c’est
l’industrie ; c’est la classe moyenne, la classe instruite ; c’est l’armée,
c’est le tiers-état dans toute sa force. Les villes, ce sont les 99 centièmes
de la forme morale de la société actuelle. Les villes ont de tout temps pour
ainsi dire fait la force et la vie de
Il n’y en a pas où de tous temps elles aient exercé
plus de prépondérance. Qu’on désire qu’elles ne soient pas sans contrepoids, je
le conçois ; et que s’il y a dans le pays deux ou trois villes d’un esprit
excentrique, on ne désespère pas de les contenir ; mais si les vingt ou trente
principales villes de
Je voterai contre le projet de loi qui me paraît le
commencement de cette guerre déclarée à l’esprit des villes, et qui consacre le
principe électoral le plus odieux, celui qui donne à la
minorité des électeurs les moyens de dominer la majorité. (Approbation.)
M. de Theux,
rapporteur. - Malgré la vivacité des attaques dont
le projet de fractionnement a été l'objet de la part du préopinant, je ne
crains pas de dire que, s'il obtient la majorité dans la chambre, jamais projet
ne sera plus populaire lorsqu'il aura reçu son exécution.
L'honorable membre nous dit qu'on s'attaque à
l'esprit et à la composition des conseils communaux ; je répondrai que la loi
rendra la liberté pratique du vote aux électeurs des grandes communes, liberté
écrite dans la loi, mais qui n'existe pas en fait, parce qu’il est impossible
qu'une réunion préparatoire ait lieu avec fruit, lorsque deux ou trois mille
électeurs doivent y prendre part pour choisir un grand nombre de
candidats. Or, quel est l'esprit des institutions représentatives, c'est à
coup sûr la liberté du choix dans toute son étendue, dans toute sa vérité. Je
pensé donc que, sous ce rapport, le projet est pleinement justifié.
La réforme électorale en Angleterre a été une
révolution parlementaire ; c'est une révolution communale que nous
introduisons. L’exemple est mal choisi. En Angleterre, messieurs, on touchait
aux électeurs, on touchait au droit de nommer. On abolissait les privilèges des
anciens bourgs, on touchait en un mot aux électeurs et aux éligibles. Ici,
messieurs, rien n'est changé quant aux électeurs, rien n'est changé quant aux
éligibles. Vous voyez donc que l'analogie n'existe en aucune manière.
La division des intérêts amènera des résultats
extrêmes dans les conseils communaux ; tantôt on fera trop, tantôt on fera trop
peu.
Ces craintes sont condamnées par ce qui s'est
pratiqué dans les chambres et dans les conseils provinciaux. Dans les chambres
on a fait de grandes choses ; on a également fait de grandes choses dans les
conseils provinciaux.
En France, dit-on, le fractionnement des élections
dans la commune a amené les déplorables résultats que l'on craint.
Je me suis informé auprès d'une personne qui était à
même de connaître les résultats de la loi communale en France, et cette
personne m'a déclaré qu'elle n'en connaissait pas d'inconvénients.
J'ajouterai que jusqu'en Angleterre on a remanié
trois fois le bill des corporations en peu d'années ; si des inconvénients
aussi graves que ceux qu'on veut vous faire craindre étaient résultés du système
que nous vous présentons, certainement ce système aurait été le premier objet
d'une réforme, mais il n'en rien été.
On s'est demandé quel était le système du bill des
corporations en Angleterre ? Certes ce n'est pas à moi à en instruire
l'honorable membre. Ce bill est imprimé, et je ne doute pas que l'honorable
préopinant, qui s'occupe principalement de questions politiques, n'ait pris
connaissance des institutions de l'Angleterre. Cependant je puis dire qu'en
Angleterre l'élection est directe, et qu'en ce qui concerne les élections,
c'était le même système que nous combattons aujourd'hui, que combattaient lord
John Russell, lord Stanley et sir Robert Peel. Et ils se servaient des mêmes
arguments dont nous nous sommes servis dans cette discussion.
Vous restreignez, dit-on, le choix du Roi pour les
échevins. Je ne vois pas quelle espèce de restriction le projet apporte au
choix du Roi. Je vois au contraire que, par le résultat pratique de la loi le
choix du Roi sera bien plus libre qu'il ne l'est aujourd'hui ; et ici je
rencontre cette autre objection, qu'aucun inconvénient n'est résulté de la loi
de 1836. Les inconvénients pratiques qui sont résultés de cette loi en ce qui
concerne le gouvernement, je les ai déjà signalés : c'est que dans plusieurs
communes les élections avaient été telles que le gouvernement n'avait aucune
espèce de choix. L'élection du conseil communal était en même temps l'élection
indirecte du bourgmestre et des échevins. Ainsi le projet que nous défendons
est, au contraire, de nature à faciliter le choix du Roi.
On a dû avouer que sous le régime de la loi de 1836
on avait vu un fâcheux exemple de la suprématie de l'intérêt de localité dans
les grandes communes. Mais, messieurs, dans la discussion de la loi communale,
en 1834, lorsque l'honorable M. Rogier était ministre de l'intérieur, il vous
signalait déjà la domination de certaine partie d'une ville sur certaine autre
partie, il vous donnait l'exemple d'une de nos grandes cités, et c'était un des
motifs qu'il alléguait pour s'opposer à la nomination des échevins par le conseil
ou sur la présentation de listes formées par le même conseil.
Ainsi, messieurs, nous défendons la réforme
électorale dans les communes, non seulement au nom d'un grand principe d'équité
qui doit, me semble-t-il, dominer toute législation et qui n’est pas
susceptible de variation, comme on l’a dit, car ici ce n’est pas un principe
arbitraire ; mais nous défendons aussi cette réforme par l’expérience des
faits.
Ce que nous venons de dire répond à cette autre
objection, que l'on n’a pas établi qu'il existât sous l'empire de la loi
actuelle une uniformité d’opinion dans les conseils communaux. Je conviens
volontiers que cette uniformité n’existe pas dans tous les conseils, mais je
dis qu’elle existe dans plusieurs conseils et que c’est précisément par cette
uniformité d’opinions que le gouvernement a été privé de toute la liberté
d’action que la loi de 1836 voulait lui conférer. Car quand la loi décide que
le Roi nomme le bourgmestre et les échevins dans le conseil, elle n’entend pas
dire que la composition des conseils communaux sera telle que le Roi n’aura
réellement plus aucun choix.
Le projet, dit-on, est plein d’arbitraire. Ainsi le
fractionnement pour les élections communales va se faire selon le caprice de M.
le ministre de l'intérieur. Il prendra telle rue dans telle section, telle
autre rue dans une section tout à fait éloignée, et les électeurs de ces deux
rues viendront se grouper pour former un collège électoral.
Messieurs, ce n’est pas ainsi que l’on combat une
proposition de loi. Cet argument est, à mon avis, le plus faible de tous.
Comment, lorsque le fractionnement devra se faire sur l’avis préalable des
conseils provinciaux et de la députation permanente du conseil provincial, sous
la responsabilité et le contreseing du ministre, qui lui-même vous a dit qu’il
suivrait les divisions naturelles des quartiers et des sections, lorsque
l’auteur du projet vous a fait la même déclaration, qu’il vous a exprimé la
pensée et la portée de sa proposition ; je le demande, de pareilles
suppositions sont-elles permises ? Et cela pour une loi qui doit recevoir son
exécution, et son exécution complète, immédiatement.
En vain, messieurs, a-t-on cherché à vous effrayer
en disant que si même la première répartition était faite d’après la raison,
d’après ce qui existe dans les communes aujourd’hui, plus tard le gouvernement
viendrait changer cette division lorsqu’il le trouverait convenable. Mais on
oublie qu’aux termes du projet que j’ai présenté lorsque le gouvernement a
adopté une première division entre les quartiers et les sections, le pouvoir du
gouvernement est épuisé.
Il ne s’agit pas de remanier un premier
fractionnement opéré. Et en effet, il serait impossible d’y procéder. Les
dispositions de la loi s’y opposent de la manière la plus formelle.
On a été jusqu'à s'effrayer de la faculté laissée au
Roi de désigner un nombre de conseillers à chaque section, en proportion de la
population. Véritablement, messieurs, il y a de quoi s’étonner de cette
frayeur. L’art. 19 de la loi communale, qui en 1836 n’a pas soulevé de graves
objections, laissait au gouvernement bien d’autres pouvoirs. Le gouvernement
déterminait, d’après la base de la population, le nombre d’échevins qu’aurait
chaque commune ; il déterminait le nombre des conseillers qu’aurait
chaque commune et le cens électoral d’après la population. Cette loi a été
appliquée à 2500 communes, et nous sommes encore à attendre la première
réclamation contre l’abus que le gouvernement a fait de cette faculté.
Au surplus, messieurs, cette première répartition
faite, et d'ailleurs elle doit l’être d’après une règle précise et à laquelle
il est impossible de contrevenir, car la population est un fait authentique officiel,
la révision de cette répartition doit être faite par le pouvoir législatif,
parce que le projet se rattache à l’art. 19 de la loi communale, qui déclare
également que la première opération faite par le Roi, en ce qui concerne
l’assignation du nombre des échevins et des conseillers, et la détermination du
cens électoral dans les diverses communes d’après la population, tout cela est
sujet à la révision, à l’expiration de la douzième année. Lorsque vous ferez
cette révision, vous ferez également la répartition législative du nombre de
conseillers par section.
J’ai eu beau déclarer qu’en assignant un minimum de
quatre sections pour chaque commune, je n’entendais en aucune manière dire
qu’on l’on augmenterait le nombre des sections en proportion de la population
de la commune, de telle manière que pour une population de 40,000 âmes, il y
aurait 40 sections ; j’ai, dès le premier moment que l’objection a été faite,
protesté contre une simple éventualité ; et M. le ministre de l'intérieur a
également protesté contre cette éventualité.
On vous a parlé d'un petit nombre d'électeurs qu'il
y aurait dans chaque collège. Mais dans les communes populeuses, le nombre des
électeurs est grand, parce qu'il y a beaucoup d'habitants aisés.
On a parlé de l'absence des électeurs aux élections
communales. Mais ne voyez-vous pas que précisément cette absence prend sa
source dans l'existence d'un collège unique pour l'élection d'une grande
commune ? Quand un électeur ne pèse que pour sa quatre millième partie dans
l'élection, il est peu tenté de perdre une journée pour assister aux élections.
Mais lorsque, dans une section, on pourra élire un certain nombre de
conseillers, que conséquemment le collège électoral sera moins nombreux, je
pense que peu d'électeurs feront défaut ; et vous aurez alors une élection
d’autant plus sincère, d’autant plus vraie que tous les électeurs auront concouru
au résultat.
On a dit, messieurs, que le bourgmestre conseiller élu dans un quartier sera excessivement dépendant
de ses mandataires. Pour moi, je ne crains pas de dire que le bourgmestre, en
même temps conseiller, est, sous le régime de la loi
actuelle, beaucoup plus dépendant qu'il ne le sera sous le système du
fractionnement. En effet, messieurs, quelques estimables que puissent être ses qualités,
il suffit qu’un seul de ses actes déplaise au parti dominant de la commune pour
qu'il soit impitoyablement exclu.
Et ici je puis encore apporter l'autorité des faits.
Nous sommes bien loin des élections communales, et déjà nous voyons la presse signale
à l’animadversion des électeurs les bourgmestres les plus honorables, non
seulement par leurs qualités publiques, mais aussi par leurs qualités privées.
Dans un quartier au contraire, dans une section,
pensez-vous qu’un semblable esprit puisse dominer aussi facilement ? assurément non. Dans un quartier, messieurs, le bourgmestre
sera d’autant plus sûr de sa réélection que ses qualités seront plus
brillantes, plus distinguées. Il n’aura pas à craindre le résultat d’un vote
librement émis ; ce vote sera bien apprécié par ses commettants, précisément
parce que ces commettants auront confiance dans les lumières et le caractère de
leur mandataire.
On demande de
nouveau pourquoi nous n’avons pas reproduit la disposition de la loi française,
qui fixe les élections d’une même commune à deux jours d’intervalle, et on a
signalé l’inconvénient qui pourrait résulter des élections faites à même jour
par les diverses sections, savoir qu’un conseiller pourrait être élu par
plusieurs sections.
Déjà nous avons répondu à cette objection, que le
système de la loi française présentait un inconvénient extrêmement grave,
c’était de prolonger les élections dans une même commune pendant un grand
nombre de jours. L’inconvénient qu’on a opposé à celui-là est de la moindre importance.
En effet, qu’un conseiller soit élu dans deux sections, quel en sera le grave
inconvénient ? Une des sections pourra être convoquée, si le conseil communal,
si la députation permanente le juge nécessaire et cette élection d’une seule
section, n’ayant pour objet qu’un seul conseiller, sera tellement pacifique,
tellement simple qu’on s’en apercevra à peine dans la commune.
On vante la disposition exceptionnelle de l’article
5 de la loi de 1836, d’après laquelle un conseiller assigné à une section extra-muros,
est cependant élu par tous les électeurs de la commune. Mais, messieurs, je ne
trouve pas que cette disposition soit si équitable, car le conseiller ainsi élu
ne représente pas la section extra muros, mais il lui est imposé ; nous en
avons eu des exemples. Nous avons vu dans une ville élire pour une section
extra-muros un conseiller qui avait exactement l’opinion politique dominante
dans la ville, mais qui ne répondait en rien aux opinions de la section extra
muros. Et pourquoi ce conseiller avait-il été nommé par la majorité du collège
électoral ? précisément dans la crainte que ce
conseiller extra-muros ne devînt échevin dans la ville.
La loi n’a pas seulement pour objet, dit-on,
d’amener la représentation de la minorité et l’expression de ses vœux dans le
conseil ; elle a bien plutôt pour objet de faire opprimer la majorité par la
minorité. La majorité de quelques sections peut l’emporter sur la majorité des
électeurs de la ville.
Cette objection, messieurs, est grave en apparence,
mais elle est dénuée de fondement. La répartition des conseillers entre les
diverses sections d’une commune ne doit pas se faire d’après le nombre
d’électeurs habitant la section ou le quartier, mais elle doit se faire d’après
la population de la section ou du quartier ; de la même manière que pour
l’élection aux chambres, nous n’avons pas réparti dans le pays les
représentants d’après le nombre des divers arrondissements. Telle est la
prescription constitutionnelle, et c’est cette disposition constitutionnelle
que nous étendons à la commue.
Toutes les objections que l’on a faites en ce point
contre ma proposition, ne sont rien autre que la critique de la loi électorale
des chambres que l’on semble cependant vouloir maintenir, ne sont rien autre
que la critique de la loi provinciale. En effet, messieurs, pour les provinces
aussi bien que pour les chambres, la répartition des conseillers se fait
d’après la population ; et la répartition ainsi faite, c’est la majorité des
électeurs de chaque canton, de chaque arrondissement, qui doit décider, et non
pas la majorité des électeurs du pays, la majorité des électeurs de la
province.
L’honorable M. Dumortier a seul, dit-on, protesté
contre la réforme électorale. Moi, auteur de la proposition, je me suis bien
gardé de déclarer que je n’entendais jamais toucher à la loi électorale pour
les chambres.
En effet, messieurs, je ne l’ai pas déclaré, et je
ne devais pas le déclarer mais ce que j’ai déclaré, c’est qu’en présentant le
projet, je n’entendais poser aucune prémisse pour la réforme de la loi
électorale. Et lorsque sur ce point j’ai gardé le silence, ce n’est pas que
dans ma pensée il y eut lieu de réformer la loi électorale, mais c’est parce
qu’il n’entre pas dans mes habitudes de me déclare sur les questions à venir.
Et ici, messieurs, je n’ai fait qu’imiter la
prudence de l’honorable M. Lebeau, l’ami de M. Devaux que je combats en ce
moment. Lorsque cet honorable membre, étant ministre des affaires étrangères, a
été interpellé sur la question de la réforme électorale, qu’a-t-il répondu ?
« Il ne s’en agit pas maintenant, mais nous ne pouvons enchaîner l’avenir,
nous nous pouvons enchaîner notre opinion. Nous voulons conserver notre
liberté. » Voilà ce qu’a répondu l’honorable M. Lebeau et ce que je
réponds avec lui. On n’a pas plus de droit de tirer des inductions de ma
réserve, qu’on n’avait de droit d’en tirer de la réserve de l’honorable M.
Lebeau, et ici je lui rends le compliment qu’il m’avait adressé hier.
M. Lebeau. – Je n’ai pas proposé de réforme électorale.
M. de Theux. – J’ai déjà dit que la réforme électorale communale ne touche en rien la
réforme de la loi électorale pour les chambres ; bien au contraire, ma
proposition a pour but de mettre le système des élections communales en
harmonie avec le système des élections pour les chambres. Dès lors je ne vois
pas comment on peut s’obstiner à tirer de là des inductions telles que celles
auxquelles on se livre.
« Les villes, a dit le même orateur, c’est tout
ce qu’il y a de respectable, de fort ; les villes représentent les 99 centièmes
du pays. » Messieurs, si nous voulions aussi montrer de la défiance, nous
demanderions quelle est la conséquence à tirer de cette assertion ? C’est que
la loi électorale est vicieuse, car les villes ne sont pas représentées dans la
proportion des 99 centièmes de la population du royaume. « L’esprit des
villes doit devenir l’esprit du gouvernement » ; mais si l’esprit des
villes doit devenir l’esprit du gouvernement ce ne peut être que par les
élections aux chambres ; il faut donc que l’esprit des villes soit représenté
dans la proportion des 99 centièmes de la population ; or il faut pour cela la
réforme électorale, il faut pour cela abaisser le cens des villes, il faut
obliger les électeurs des campagnes à venir voter au chef-lieu de la province ;
ce sont là des moyens de donner aux villes les 99 centièmes de la
représentation nationale.
Voilà, messieurs, des assertions qui sont de nature
à alimenter les défiances, et je m’étonne que lorsque l’on commet de semblables
imprudences, on vienne aussi légèrement incriminer les
intentions de ses adversaires.
M. de La Coste. - Messieurs, dans les paroles que j’ai prononcées au commencement de
cette séance, j’ai invoqué le droit : un honorable membre m’a objecté que
toutes les révolutions se sont faites au nom du droit ; mais, messieurs, il
n’est pas une chose, quelque sacrée qu’elle soit, dont on n’eût abusé pour
commettre les plus grands excès, pour donner lieu aux malheurs les plus
déplorables, je ne vois pas que ce soit une raison pour ne plus invoquer ni le
droit ni la religion, ni la liberté ; ni rien de ce qu’il y a de plus cher et
de plus sacré sur la terre.
L’honorable M. Devaux a dit que ceux qui appuient
l’amendement font la guerre aux villes ; mais je demanderai à l’honorable M.
Devaux, qui a beaucoup de logique, si ce n’est pas là une véritable pétition de
principes ? car la question est précisément de savoir
si la mesure proposée est utile aux villes, ou si elle leur est contraire ; que
l’on me démontre que la proposition est contraire aux villes, et je la
repousserai. Je connais, moi, des cas où le système actuel est très funeste aux
villes, non pas dans des questions politiques, mais dans des questions
d’intérêt matériel, les seules qui concernent les conseils communaux.
L’honorable M. Devaux a soumis à la chambre des
calculs où il a oublié de tenir compte d’une chose ; il a dit ; supposez qu’il
y ait dans une commune 2001 électeurs divisés en 10
collèges, la majorité de chaque collège sera de 101 de sorte qu’avec 606
électeurs vous pouvez avoir la majorité dans six collèges et faire passer ainsi
la majorité du côté de la minorité. Mais, messieurs l’honorable membre suppose
non seulement que les 606 électeurs dont il parle sont répartis en nombre égal
entre six collèges, mais il suppose encore que dans les autres collèges il n’y
a pas de minorité, or c’est là une chose impossible. Lorsque l’on procède par
hypothèse, il faut poser des hypothèses probables et non pas des hypothèses
dont la réalisation est impossible.
L’honorable M. Devaux choisit pour exemple une ville
où il y ait 2001 électeurs divisés en 10 collèges ; cela fait 200 électeurs par
collège ; eh bien, supposez seulement une majorité moyenne de 120, il faudra
840 voix pour avoir la majorité dans 6 collèges, mais alors vous devez supposer
une minorité quelconque dans les autres. Prenons seulement 60, cela donnera
encore 240 voix. Donc pour obtenir le résultat supposé, pour le rendre quelque
peu vraisemblable, il faut au moins que la prétendue minorité soi une véritable
majorité, une majorité de 1080 contre 921.
J’abandonne ces calculs à la
chambre. Quant à moi ils me paraissent détruire complètement ceux de l’honorable
M. Devaux.
M. Devaux. - Je dois répondre un mot à l’honorable M. de
Quant aux calculs présentés par l’honorable membre,
je n’ai qu’une simple réponse à y faire, c’est d’en appeler à l’arithmétique ;
en présence de l’arithmétique, messieurs, invoquera-t-on le droit, il faut bien
se rendre au résultat d’une addition ou d’une multiplication. Il est certain
que quand vous avez dans une ville 2001 électeurs, répartis en dix collèges…
M. de Theux. - Il n’y aura pas dix collèges.
M. Devaux. – M. de Theux dit qu’il n’y aura pas dix collèges ; mais sa proposition
ne s’oppose nullement à ce qu’il y en ait un pareil nombre, ni même un nombre
plus grand. M. de Theux répond toujours par des protestations, il fait des lois
avec des protestations (on rit) ;
moi, j'aimerais mieux des lois avec des termes précis. Dans toute mon
argumentation, j'ai prouvé que les dispositions proposées manquaient de
précision, l’honorable M. de Theux ne m'a jamais répondu qu'en disant que
telles n'étaient pas ses intentions ; mais il oublie toujours que tel est son
projet.
Quant aux calculs que j'ai présentés, je dis que si
vous avez 2000 électeurs partagés en dix collèges (et le nombre des collèges
fût-il moindre, le résultat serait semblable), vous auriez dans chaque collège
200 électeurs ; qu’il nous suffira d'avoir la majorité dans six collèges pour
avoir la majorité dans le conseil communal ; eh bien, il ne faut pour cela que
101 voix dans chacun de ces six collèges, ce qui fait 606 voix ; ainsi, avec
606 voix convenablement répartie, vous pourrez obtenir la majorité dans une
commune où il y aura 2000 électeurs.
On objecte à cela qu'il y aura une minorité dans les
autres collèges qu’il faut ajouter cette minorité aux 606 voix qui forment la
majorité dont je viens de parler ; cela peut arriver, mais n'est pas
indispensable ; il se peut que dans telle ville, il faudra sur 2000 électeurs,
7 ou 800 voix pour obtenir la majorité, mais ce n’est pas encore là une
majorité, et il n’en est pas moins vrai qu’avec votre système, vous pouvez
donner la majorité à la minorité et que tout ce qui est nécessaire pour
triompher dans l’exemple cité, c’est 606 voix réparties dans six sections. Je
dis qu’un système électoral qui renferme seulement la possibilité d’un résultat
semblable est un système oppressif, puisqu’il permet à la minorité de se mettre
au-dessus de la majorité.
M. Dubus (aîné). - Mais ce système existe pour la
province.
M. Devaux. - Pour la chambre, pour la province, messieurs, il y a bien eu nécessité
de faire nommer les députés par les diverses localités. On ne peut pas réunir
tous les électeurs à Bruxelles pour faire nommer les membres des chambres ; il
y a d'ailleurs dans le pays des intérêts divers qui doivent être représentés,
mais dans les communes il n'y a pas eu jusqu'ici des intérêts différents dans
les divers quartiers, cela n'existe pas ; ce serait la loi qui le créerait. Il
y a toujours eu des intérêts d'arrondissements, mais ici vous créez, par votre
propre fait des divisions toutes nouvelles, vous fractionnez l'unité de la
commune, vous trouvez que l'élément primitif du pays n'est pas assez petit,
vous y introduisez une division pour amener ce résultat, que le conseil communal ne représente plus l'esprit de la commune.
M. de La Coste. - Dans la supposition de M. Devaux, il faut admettre également une
minorité dans les quatre autres bureaux, mais il faudrait qu’elle fût de 99
dans chaque collège, pour former avec les 606 voix des autres collèges une
majorité de 1002. Mais, messieurs, la supposition de l’honorable membre n’est
pas une hypothèse qui puisse se réaliser ; car pour cela il faudrait en quelque
sorte trier les électeurs un à un ; c’est donc sur l’autre supposition que j’ai
présentée que j’ai cru devoir appeler spécialement l’attention de la chambre.
M. Devaux. - Il n’en est pas moins vrai que 606 voix font la majorité dans six
sections ; on ne détruira pas cela.
M. Rogier. - Messieurs, je me suis abstenu jusqu'à ce jour de prendre la parole dans
cette discussion importante, où mon nom et mes actes ont été plusieurs fois
rappelés. Ce n'est point pour présenter une apologie personnelle que je prends
la parole ; je laisserai à part tous mes antécédents ; non que j'aie renoncé le
moins du monde à aucun de mes principes, mais parce que si je devais revenir
sur les antécédents, et pour moi-même et pour chacun de nous, il sortirait
probablement de ma bouche des paroles trop désagréables pour plusieurs de mes
collègues : j'ai voté, messieurs, contre le premier projet de loi, je voterai
contre le deuxième projet, et je voterai également contre le troisième projet,
qui a pour but des réformes dans la comptabilité communale.
J'appartiens, messieurs, à une opinion qui porte sur
son drapeau : Ordre, liberté, progrès ; lors donc que je professe dans
cette enceinte des principes de consistance, de stabilité politique, je
n'entends point par là proclamer l'immobilité, le statu quo politique à
perpétuité.
Non, messieurs, je suis ami des réformes, des
innovations, mais c'est à une condition, à la condition que ces réformes soient
démontrées utiles, que ces innovations soient nécessaires ne portent avec elle
aucun danger, ne cachent surtout aucune arrière-pensée. Qu'on vienne proposer
des innovations qui n’aient point ces derniers caractères, et je m’y associerai
de bon cœur ; mais quand on vient proposer des innovations qui portent sur
elles le cachet ineffaçable de la réaction, je les combattrai, messieurs, ces
innovations, c’est du progrès en arrière, ce n’est pas du progrès en avant.
La loi qu'on nous propose, est-elle utile ?
Doit-elle améliorer notre régime municipal ? Est-elle enfin tellement urgente qu'il
faille la préférer, dans l'ordre de nos travaux, à beaucoup d'autres lois que
je considère comme plus importantes et plus urgentes ?
Je dois répondre négativement à ces trois questions.
La proposition de l'honorable M. de Theux est-elle
utile ? Messieurs, pour répondre à cette question, il faudrait se rappeler de
quelle manière la proposition à été introduite dans cette enceinte.
Les réformes proposées par M. le ministre de
l'intérieur étaient, au moins l’une d’elles, précédées d’une espèce d’enquête ;
l’on avait constaté jusqu’à un certain point la nécessité de modifier la loi
communale, en ce qui concerne le pouvoir exécutif. Mais quant à changer le
système électoral, pour la formation des conseils communaux, je n’ai vu nulle
part dans l’enquête la nécessité d’une telle réforme. M. le ministre de
l'intérieur, qui sans doute, doit être attentif à tous les abus qui se passent
dans les communes, et qui ne s’est pas fait faute de nous proposer des moyens
de corriger ces abus, puisqu’il nous a apporté quatre projets à la fois, M. le
ministre de l'intérieur n’a pas jugé devoir prendre l’initiative dans cette
discussion ; j’ignore à l’heure qu’il est, quelle est son opinion. L’honorable
ministre de l’intérieur a bien déclaré, dans le principe, que la proposition
lui paraissait utile ; jusqu’ici nous attendons encore de sa part la
démonstration de cette utilité.
Messieurs, on a bien voulu rappeler l’opinion que
j’avais exprimée en 1834, sur la situation des certaines villes dont les
habitants, dans quelques quartiers, ne parvenaient jamais à se faire
représenter dans le conseil communal.
Je soutenais alors, contre l'opinion de beaucoup
d'honorables membres, qu'au Roi devait appartenir l'élection directe des
échevins dans le sein du conseil. D’honorables membres, M. Dechamps,
entr'autres, voulaient que le Roi choisît le bourgmestre sur une liste de
candidats ; c'était le système de beaucoup de membres ; l’honorable M. de Theux
s'y était même rallié. Eh bien, je combattis ce système, je disais : il faut
laisser au Roi la libre nomination du bourgmestre et des échevins, afin que,
dans le cas où une minorité serait écrasée par la majorité dans un conseil, le
gouvernement puisse en quelque sorte rétablir l’équilibre, en choisissant un
échevin dans la minorité.
Voilà quel était le système que je défendais. Ce
système était appuyé par M. le ministre de l'intérieur d'aujourd'hui ; il était
combattu par d'honorables adversaires d’alors, qui soutenaient que nous
n’avions pas à prendre souci de la minorité dans les communes, qu'il fallait
que l'esprit des communes, quel qu'il fût, prévalût dans le conseil communal ;
ici patriote, là même orangiste ; voilà jusqu'où on poussait alors la
rigidité des principes, en ce qui concerne la liberté communale.
Eh bien, messieurs, l'abus que je signalais en 1834,
il y a été porté remède par la loi de 1836. Il y a été porté, remède de deux
manières, d'abord par l'art. 5 qui permet à la députation permanente d'assigner
aux hameaux et aux sections séparés des communes, un certain nombre de conseillers
; on y a porté remède ensuite par la faculté laissée au gouvernement de nommer
les bourgmestres et les échevins dans le conseil, sans liste de présentation.
Il est si vrai qu'on a porté remède à ces abus, que
je n'ai pas ouï dire que dans aucune ville l'on se soit plaint que l'un ou
l'autre quartier ait été privé de représentant dans le sein du conseil.
Je suis au regret de n'avoir pas sous les yeux des
renseignements statistiques que je puisse offrir comme officiels ; en l'absence
de ces documents, qui eussent jeté un si grand jour sur la question, j'ai dû
m'en rapporter à la connaissance personnelle que je possède de ce qui s'est
passé dans quelques localités.
Je faisais allusion en 1834 à la ville de Liége, je
disais que cette ville avait un de ses quartiers dont les habitants n'avaient
presque jamais pu se faire représenter au conseil communal, je parlais du
quartier d'outre-Meuse, Eh bien, J'ai remarqué que
depuis la loi de 1836, cinq à six habitants du quartier d'outre-Meuse
figuraient dans le conseil communal de Liége ; dès lors le seul fait de l'exécution
de la loi communale a obvié à l'abus que je signalais.
Maintenant pour la ville de Bruxelles, d'après les
renseignements que j'ai dû puiser dans l'almanach, en l'absence de documents
officiels, j'ai comparé le nombre des conseillers au nombre des sections, et
j'ai trouvé que toutes les sections sont représentées dans le conseil communal
; à la vérité, elles ne sont pas représentées en nombre égal ; les sections les
plus importantes, celles où il y a le plus de lumières, de richesses,
d'industrie, possèdent au conseil un plus grand nombre de conseillers, mais
enfin, toutes ont leurs représentants dans le conseil communal.
D'après le système de l'honorable M. de Theux, si je
le comprends bien, nous arriverions, sous ce rapport, à de singuliers
résultats.
La répartition des conseillers à élire sera faite,
dit le § 1er d'après la population.
Est-ce à dire que les sections qui renferment le
moins d'électeurs mais qui possèdent le plus d'habitants, c'est-à-dire les
sections les plus pauvres, enverraient le plus grand nombre de conseillers au
conseil communal ? Je crois que c'est la conséquence du § 1er.
Je suis grand ami des classes pauvres, je suis fort
disposé à leur accorder toute espèce d'avantages matériels et moraux, mais j'avoue
que je ne pousse pas l’esprit de liberté, le désir de popularité jusqu'à
vouloir leur donner la prédominance dans les conseils communaux sur les classes
éclairées, sur les classes industrielles et commerciales.
Eh bien, le § 1er de la proposition conduit à ce
résultat que les sections les plus peuplées, c'est-à-dire, dans beaucoup de
villes, les sections les plus pauvres, les sections qui ont beaucoup moins de
riches, enverront au conseil communal beaucoup plus de conseillers que les
sections riches et éclairées. Que penser d'un pareil système nous venant de la
part d'un des chefs d'un parti qui se dit conservateur ?
Ainsi, messieurs, l'abus que je signalais en
Et d'ailleurs, messieurs, s'il y avait effectivement
quelques abus, si certaines sections n'étaient pas représentées dans une
proportion suffisante dans les conseils communaux, je dirais que les communes
se trouvent absolument dans la même position que les provinces, que la chambre
; l’on pourrait trouver aussi que les villes ne sont pas représentées dans une
proportion suffisante au sein des chambres ; l’on pourrait dire que les villes,
par leurs richesses, par leur civilisation, par les arts, par leur force
patriotique ont droit à une plus forte représentation dans cette chambre ; et
cependant l’on ne vient pas demander pour les villes une plus forte
représentation dans cette chambre.
Dans tous les cas, si cette injustice existait à
l'égard de certaines sections dans quelques villes, je suis convaincu que, par
le seul effet de la loi communale, on parviendrait à corriger ces
imperfections. La loi de
Du reste, si l'on venait vous démontrer que
systématiquement, invariablement certaines sections sont exclues du conseil
dans certaines localités, eh bien, je serais le premier à m'associer à une
réforme, mais à une réforme toute spéciale qui attribuerait, par exemple, à la
députation permanente le droit d'assigner, dans ces localités, un certain
nombre de conseillers aux sections déshéritées. Si l'on n'avait pas voulu
changer radicalement l'esprit et le but de la loi électorale communale, voilà
ce qu'on serait venu proposer ; voilà ce qu'on n'a pas fait, et sans vouloir
offenser personne, j'en dirai franchement la raison, c'est que la mesure
proposée et accompagnée du cortége des autres mesures, a une tout autre portée
qu’une portée administrative ; il est maintenant démontré qu'elle a une portée
toute politique.
Ainsi les inconvénients du système actuel sont nuls
; au moins ils ne sont pas constatés officiellement ; pas un seul inconvénient
pratique n'a été indiqué ; dans tous les cas, s'il en existait, ils
devraient être corrigés par des mesures
spéciales, par des moyens qui ne sentent pas la réaction, la contre-révolution.
Messieurs, il est souvent question dans cette
enceinte de l'esprit de clocher. Tous, tant que nous sommes, nous avons de la
peine à nous défendre, quand l’occasion se présente, de dire un mot des
localités qui nous ont envoyés dans cette chambre. Beaucoup de décisions, il
faut le dire, sont prises par des vues d'intérêt local ; il suffit qu'un
certain nombre d’intérêts locaux se coalisent pour faire triompher le principe
d'une loi que quelquefois le pays n'adopterait pas. On considère donc que
l'esprit de clocher est un inconvénient dans le sein d'une assemblée
législative. C'est également un inconvénient dans les conseils provinciaux. On
a quelquefois regretté que certaines provinces se laissent aller à faire des
dépenses trop considérables, à construire trop de routes, à exécuter trop de
travaux. D’où vient cet entraînement que je ne condamne pas d'une manière
absolue, pour ma part ? De l'esprit de clocher. Savez-vous ce qui se passe dans
les conseils provinciaux ? les conseillers s'accordent
réciproquement la faveur d'une petite route. On se partage la caisse
provinciale. Si on ne parvient pas à se donner à chacun une route, il arrive
parfois que plus une route ne se fait dans la province, tout reste dans le statu
quo.
Dans les villes, vous n'avez pas encore cette espèce
de partage, de mise en commun des revenus en commun, vous n'avez pas encore ces
transactions où chacun tâche d'attraper quelque chose pour soi et les siens.
Mais ce système, vous allez l'introduire directement dans les conseils
communaux. Ainsi, à l'avenir, les quartiers exigeront chacun pour eux un
ouvrage quelconque, l'ouverture d'une rue, l'établissement d'une école, la
construction d'une chapelle. Des réclamations seront adressées au mandataire
spécial de telle paroisse ou tel quartier afin qu’il ait à mettre sa paroisse
ou son quartier sur la même ligne que les autres.
Il y aura donc ou parfait accord entre les
conseillers des divers quartiers, ou parfaite désunion : s'il y a désunion, le
conseil ne fera rien, toutes les améliorations seront en souffrance. Si au
contraire il y a parfaite union, il n'y aura certes pas là, contre les dépenses
communales, le remède qu'on croit trouver dans la loi proposée. La caisse
communale sera mise au pillage, ce sera à qui exigera qu'on fasse quelque
dépense pour son quartier. Voilà un des résultats du système qu'on préconise,
et sans doute ce ne sont pas de telles conséquences administratives qu'on veut
obtenir.
Mais on a un autre but, un but plus élevé à atteindre,
de manière qu’on ferme les yeux sur les inconvénients administratif.
On vient, dit-on, au secours de la minorité. On veut
que la minorité soit représentée dans le sein du conseil communal. Je le veux
aussi, la loi communale le veut aussi. Elle n'est nullement contraire à
ce résultat, car dans tous les conseils communaux, il y a une minorité, il y a
une opposition. Hier on regrettait d'une part qu'il n'y eût pas d'opposition
dans les conseils communaux, et un instant après, on est venu citer un conseil
communal où, disait-on, l'opposition était allée jusqu'à causer la mort d'un
respectable bourgmestre ; on reprochait aux conseils communaux d'être d'une
seule couleur, et ensuite on citait une ville où l'opposition aurait été
tellement rude qu'elle avait forcé un bourgmestre à donner sa démission et à se
retirer des affaires publiques. Partout il existe, dans les conseils communaux,
une opposition vive, très vive et peut-être trop vive dans quelques-uns.
Si, messieurs, vous voulez prendre la défense de la
minorité, je soutiens que le système actuel est favorable à la minorité. Avec
une liste de quinze ou vingt membres, il faut qu'une opinion soit bien
malheureuse pour ne pas parvenir à faire passer trois ou quatre des siens.
Voyez ce qui est arrivé dans la ville de Bruxelles, aux dernières élections de
la chambre.
Il y avait un assez grand nombre de représentants à
nommer ; chaque opinion a pu placer le sien ; dans une ville où la majorité
appartient incontestablement à une seule opinion, toute opinion a pu faire
entrer son représentant dans la liste. Quand au contraire les électeurs n'ont
eu à voter que sur un seul candidat, vous avez vu avec quel fracas est tombé le
candidat de la minorité, et quelle immense majorité de voix il y a eu en faveur
du candidat de l'opposition.
Je dis que si vous voulez garantir à la minorité
d'être représentée dans le conseil, il vaut mieux qu’il y ait des listes
nombreuses, que des listes de deux ou trois candidats, parce que, je le répète,
dans les listes nombreuses, la minorité trouve toujours moyen d'introduire
quelques membres qui lui appartiennent.
Je dis, messieurs, que je ne pouvais pas voir une
loi purement administrative dans le projet présenté par l'honorable M. de
Theux. Quand je vois les phases qu’ils a déjà subies, sans compter celles qu’il
doit encore subir, je dois dire que son auteur n'avait pas, en le présentant,
de pensées bien arrêtées au point de vue administratif. Le 14 mai dernier on
proposait de faire voter les élections par série, mais à tour de rôle. Il y a
quelques jours, on est venu dire qu'on renonçait à ce système, et proposer de
faire voter toutes les sections simultanément. Le 14 mai, il fallait faire
alterner les élections, parce qu’il y avait un grand inconvénient à mettre en
mouvement une masse de trois à quatre mille électeurs, l'ordre public pouvait
même s'en trouver compromis. Il y a trois jours ou est venu proposer de faire
voter en une fois tous ces électeurs qu'on craignait, le 14 mai, de réunir en
masse. Vous voyez qu'il n'y a pas accord entre la proposition d'un jour et
celle du lendemain.
Messieurs, j'ai dit que cette loi avait un caractère
politique, Plus je l'examine, plus je vois qu'elle a pour origine la défiance
qu'inspirent les villes où règne un esprit qui ne convient pas à toutes les
opinions. On cherche à combattre cet esprit, à l'éteindre par tous les moyens.
Celui qu'on propose n'est peut-être que le prélude
de ceux qui nous sont réservés. On a chassé l'opinion libérale, à titre
d'opinion indigne du gouvernement, on a fait tout ses efforts pour la chasser
de la chambre. Tout récemment aux élections provinciales, nous avons vu cette
opinion poursuivie dans la personne d'hommes très modérés. Mais l'opinion
libérale s'est réfugiée dans nos villes où elle tient bon contre toutes les
attaques, comme dans une citadelle inexpugnable. On veut aujourd'hui faire une
brèche à cette citadelle. Il est possible que quelques soldats aventureux y
pénètrent, mais je vous je prédis, le corps entier n'y pénétrera pas. Vous
aurez beau essayer des lois de parti, d'expédient ou de circonstance, l'opinion
libérale est au sein des villes, elle n'en sortira pas.
Je voudrais bien savoir d'ailleurs ce qu'on est en
droit de reprocher aux villes. Qu'ont-elles fait pour mériter les antipathies
de telle opinion, surtout pour que le gouvernement vînt s'associer à ces
antipathies, à ces répugnances, à ces combats qu'on leur livre ? Les villes,
vous ne pouvez le nier, sont le berceau de la révolution. Sans les efforts des
municipalités, tous tant que vous êtes, vous gémiriez encore, et vous à qui je
parle plus amèrement que d'autres, sous le joug hollandais ! Les campagnards
ont aussi apporté le tribut de leur sang, sont venus joindre leurs efforts aux
efforts des villes ; je suis loin de vouloir nier la reconnaissance que nous
devons aux habitants des campagnes, mais ce sont les villes qui ont donné
l'élan, l'ont soutenu, et ont fait triompher la révolution.
Les villes, à cette occasion, ont eu des dépenses
très considérables à supporter. Entraînés ensuite par un plan d'amélioration,
quelques-unes fait des dépenses extraordinaires. De ce chef, elles ont été
l'objet d'accusations de toute espèce. A entendre certains orateurs on dirait
que les villes ont été livrées à des dilapidateurs, à des magistrats sans
ordre, sans économie, n'ayant à cœur que de ruiner les électeurs qui les
avaient nommés.
Savez-vous pourquoi on veut jeter de la défaveur sur
l'administration de nos villes ? C'est, non pas parce qu'elles sont prodigues,
mais parce qu'elles sont libérales. Y a-t-il un ministère libéral ? on crie aussitôt : C'est un ministère dépensier, un
ministère dilapidateur. Un conseil provincial est-il libéral ? dilapidateur. Un conseil communal est-il libéral ? dilapidateur des deniers publics. Voilà comment on traite
nos magistrats municipaux. On ne tient aucun compte de la sagesse, du patriotisme des services rendus, des
améliorations de toutes sortes que les villes ont reçues sous leur
administration, des embarras dont les villes ont eu à sortir par suite de leurs
efforts en faveur de la révolution.
Il n’y a pas de justice dans cette défiance que nos
villes inspirent. Elles respectent l’ordre, les lois y sont exécutées comme
elles ne le furent jamais, leur esprit est excellent, elles ont soutenu le
gouvernement chaque fois qu’il a proposé une mesure patriotique, elles ont
toujours suivi son élan ; malheureusement dans beaucoup de circonstances, les
vœux de ces villes ont été froissés ; il n’en a pas été tenu compte. Elles ont
été considérées comme n’existant pas.
La réforme que vous allez introduire jettera des
germes nombreux de mécontentement dans les villes. Dieu préserve le pays
d'agitations nouvelles ! Pour ma part, je le redoute beaucoup. Si vous voulez
fournir un aliment permanent à l'opposition dans nos villes, vous ne pouvez
rien faire de mieux que d'insérer au Bulletin officiel les deux ou trois lois
que vous avez votées et que vous allez voter. Oui, vous posez l'art 1er du
programme d'une opposition qui pourra jeter plus tard le pays dans de grands
embarras.
Si la chambre n'avait rien de mieux à faire, si nous
n'avions pas à nous occuper de réformes plus ou moins utiles, si tout ce qui
était à faire était fait, je comprendrais qu'on s'occupât de la révision des
lois provinciale et communale. Mais, en fait de loi à réformer, il me semble
que s'il y a un tour de faveur à donner, ce devrait être pour les lois les plus
anciennes. L'ancienneté pour une réforme est en quelque sorte un titre. Eh
bien, je vais vous rappeler en peu de mots les réformes que nous avons à faire.
Dès 1834, il a été présenté aux chambres un projet de réforme du code pénal. Ce
code date de 1810. Depuis 1810, on a fait bien des progrès, les nécessités
sociales ont pu changer, on a pu reconnaître la nécessité de modifications.
Depuis 1834, la révision du code pénal est restée à l'état de projet. Je ne
crois pas qu'il ait été examiné dans les sections,
M. Dubus (aîné). - Il a été renvoyé à l'examen des cours et tribunaux.
M. Rogier. - Je ne sais pas ce qu'ont fait les cours et tribunaux. On aurait pu leur
rappeler que la chambre désirerait avoir leur avis.
La loi sur la milice intéresse aussi un grand nombre
de personnes de la classe pauvre. C'est une des lois les plus onéreuses pour le
peuple ; elle date de 1817, de 1820. Il y a beaucoup à réformer dans cette loi.
La garde civique, l'honorable M. de Garcia a dit que
c'est parce qu'il voulait que son organisation fût bonne qu'il votait pour la
nomination du bourgmestre en dehors du conseil. Eh bien, avant de régler le
mode de nomination du bourgmestre, n'aurait-il pas fallu une loi qui
réorganisât la garde civique. Voilà encore une institution qui réclame des
réformes urgentes, et c'est une institution qui peut être très utile au pays.
Toutefois, avant d'aborder ces réformes, il faudrait
que vous eussiez achevé vos propres institutions.
Cette session de 1841-1842, qui devait être si
féconde, où l'on devait bannir tout esprit de parti, va mourir péniblement
stérile pour le pays. Vous qui êtes en ce moment à la tête, je ne dirai pas à
la disposition d'une opinion qui a de la force dans cette chambre, il faudrait
profiter de cette position transitoire pour donner au pays les institutions qui
lui manquent.
M. Rodenbach. - Les rapports sont prêts.
M. Rogier. - Depuis 3 ou 4 ans, le rapport est toujours prêt ; il sera prêt au
moment où nous nous séparerons. C'est une loi que vous deviez au pays avant de
toucher aux institutions communale et provinciale.
Vos comptes, les comptes du pays, voilà onze ans
qu'ils attendent une loi qui les règle. Quoi ! vous
accusez les communes de mal tenir leur comptabilité ; vous demandez des lois à
la chambre pour réviser la comptabilité communale ; les communes ne savent pas
régler leurs comptes, et voilà 11 ans que la chambre est saisie des lois des
comptes, sans avoir eu la force de les arrêter. Je ne viens pas pour cela
demander la réforme de l'institution de la chambre. Je crois que l'institution
de la chambre est bonne, quoique, depuis onze ans, elle n'ait pas adopté des
lois de comptes ; mais je crois aussi qu'il ne faut pas réformer l'institution
des communes, parce qu'il y a eu quelques abus dans leur comptabilité.
Vous allez avoir à vous occuper d'une loi
bien importante où j’attends les partisans nouveaux, de la centralisation, du
pouvoir central, du pouvoir fort ; je veux parler de la loi de la capitale.
Vous voulez donner, dites-vous, du relief, de la force au pouvoir. Vous voulez
le faire respecter. Moi aussi, je le veux, je l'ai toujours voulu, je le
voudrai toujours ; je l'ai voulu dans la loi communale ; je le voudrai dans la
loi de l'instruction publique ; je le voudrai dans la loi de la capitale, où
vous avez tout à faire pour la centralisation. Car vous avez beau entourer la
royauté d'un cortège de lois plus ou moins bien combinées, en vain dans vos
lois vous donnerez de la force au gouvernement dans l'état où est la capitale :
le pouvoir ne peut se poser noblement, honorablement devant le pays. La
capitale où il siège est à l'état de faillite. Cette situation jette un fâcheux
reflet sur le pays tout entier. On a rendu le pays responsable des malheurs
d'une banque qui portait son nom. On le rend responsable des malheurs de la
ville que la constitution a déclarée la capitale du royaume. C'est là que nous
ajournons les partisans du pouvoir fort, de la centralisation.
Je ne m'associe pas à vos lois réactionnaires
d'aujourd'hui, parce qu'elles ne donneront, suivant
moi, ni force, ni relief au pouvoir ; parce qu’elle ne lui créeront que des
embarras. Mais quand il s’agira de mesure en faveur de la capitale, nous
pourrons nous donner la main, vous me trouverez sur les mêmes
bancs, professant les mêmes principes qu’en 1834, 1835 et 1836.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne veux pas récriminer à
mon tour, je pourrais dire cependant que c'est encore le ministère actuel qui a
osé porter devant cette chambre, entre autres la dernière question dont vient
de vous entretenir l'honorable préopinant ; je pourrais ajouter que, quant aux
autres questions dont il a parlé, c'est sous le ministère actuel que
l'instruction de ces questions a été poussée jusqu'au dernier point. Le rapport
sur l'instruction supérieure a été déposé, le rapport sur l'instruction
primaire le sera probablement demain ; si nos travaux en sont arrivés là,
c'est parce que le ministère actuel a présenté spontanément un rapport sur
l'instruction primaire, rapport sans lequel le projet de loi était selon moi
impossible, et la discussion, elle-même, impossible.
Je regrette avec l'honorable préopinant que la
première loi qui a été votée hier, ait entraîné une si longue discussion, mais
je pourrais dire : Pourquoi a-t-on donné une proportion démesurée à ce débat ?
Pourquoi, à l'occasion du projet primitif, que la très grande majorité de cette
chambre eût été disposée hier, je ne sais par quel revirement, à accepter,
a-t-on, en dehors de cette chambre, remué le pays, créé des préventions
contre lesquelles il a fallu lutter pendant un mois entier ! Cependant, je le
répète, c'est ce projet primitif que, si nous avions voulu accepter une
transaction, eût été voté à une très grande majorité.
(Interruption.)
On me dit qu'on l'eût voté comme pis-aller ; mais
vous l'auriez voté ; si l'amendement de M. Mercier avait été accepté par nous,
la loi eût été adoptée à une majorité beaucoup plus forte qu'elle ne l'a été.
Et cependant ce projet, qui eût obtenu les deux
tiers des voix, je n'en doute pas, est le même projet primitif avec lequel, je
le répète, on a remué le pays en dehors de cette chambre.
Ce n'est donc pas à nous, messieurs, qu'il faut
reprocher cette longue, trop longue discussion. (Murmures, interruptions.)
Tout à l’heure on m'engageait de ce côté à parler ;
je désire, maintenant que je parle, qu'on veuille bien m'accorder ce qu'on
accorde à tous les orateurs, le silence.
M. Rogier. - Je ne sais à qui vous vous adressez. Quant à moi, je vous écoute et je
ne dis rien.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne pense pas que
la chambre veuille manquer à sa mission ; je ne regarde pas la session actuelle
comme close ; j'espère que la chambre, après un ajournement devenu nécessaire,
reprendra ses travaux et fera disparaître quelques-unes des questions indiquées
par l'honorable préopinant. Je fais avec lui le vœu qu'il a émis, nous nous
retrouverons probablement quelquefois sur le même terrain ; je l’espère, nous
arriverons à une solution que désirent tous les hommes modérés, amis de leur
pays.
J'ignore quels sont les vœux légitimes des villes
qui ont été foulés aux pieds. Je me demande même où est cette lutte qu'on nous
signale entre le gouvernement central et les grandes villes. Il fut un temps,
messieurs, l'honorable préopinant doit se le rappeler, où il y avait une
lutte entre le gouvernement central et les grandes villes. Cette lutte
aujourd'hui n'existe plus ; en rappelant cette ancienne lutte, ce n'est pas
que je veuille faire un reproche à l'honorable membre. Au contraire, je la
rappelle comme un titre de gloire pour lui, cette lutte contre quelques villes,
il l'acceptait en 1834 avec courage, avec fermeté ; alors il osait combattre
certaines opinions qui s'associaient à ces luttes dans les grandes villes.
Cette loi, messieurs, n'est pas la guerre déclarée
aux grandes villes. La proposition n'a pas été faite par le gouvernement, mais
il l'accepte, et je dirai en peu de mots pourquoi.
Il faut, dit-on, que l'unité communale soit
représentée, et elle l'est par des élections en quelque sorte faites en masse ;
je crois, messieurs, qu'on se fait ici illusion. Ce sont les intérêts divers
qui existent dans une commune qui doivent être représentés.
Dès lors, messieurs, qu'avons-nous à nous demander ?
c'est de savoir quel est le mode d'élection qui
constate le mieux, le plus sûrement la représentation des intérêts divers qui
existent dans une grande commune.
Les honorables membres qui ont attaqué la
proposition, ont reconnu la justesse de la pensée qui a dicte l'article 5 de la
loi communale, article d'après lequel dans les communes composées de plusieurs
sections ou hameaux détachés on peut assigner à chaque section ou hameau
quelques conseillers qui n'en sont pas moins élus par les électeurs pris en
masse.
Cet article s'applique principalement aux villages,
aux campagnes. Ce que l’on fait pour les campagnes, on ne le fait pas pour les
grandes villes du pays ; il faut ici un autre remède.
M. Delehaye. - On le fait à Gand.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - On le fait à Gand, où il y a
une partie de la ville extra muros
; mais il n'en reste pas moins vrai que la ville de Gand qui, intra muros, à une population de 90,000
habitants, ne jouit pas du bénéfice dont jouissent les moindres communes
rurales partagées en plusieurs sections, comprenant plusieurs villages.
Nous devons maintenant nous demander si dans cette
ville de 90,000 habitants, il n'y a pas des intérêts distincts, correspondant à
des subdivisions de quartiers. Voilà ce que nous avons à nous demander. Et je
dis que qu'il est constaté, et on ne peut le nier, que dans toutes les grandes
villes il y a des intérêts divers correspondant à l'antique division par
quartiers, je dis que ces villes ne sont pas aujourd'hui, pour la
représentation véritable, dans une position aussi favorable que le sont les
communes rurales. Là est donc toute la question. (Interruption.)
Est-il vrai, oui ou non, qu'il y a dans nos grandes
villes des intérêts divers, des intérêts distincts correspondant à la
subdivision de ces villes par quartiers ? On ne saurait le nier ; on est forcé
de répondre affirmativement.
Qu'arrive-t-il avec le mode actuel d'élections ? c'est un mouvement général qui détermine le choix des conseillers
; ce n'est pas une appréciation des intérêts qui existent dans ces villes par
quartiers.
Maintenant qu'il me soit permis, aux chiffres de
l'honorable M. Devaux, d'opposer un autre chiffre. Je suppose une ville où il y
a 4,000 électeurs ; 2001 forment la majorité. Je suppose en outre cette ville
subdivisée de tout temps, depuis longtemps, en 8 sections. Ces 2001 électeurs
formant la majorité, peuvent très bien n'appartenir, qu'à cinq quartiers, par
exemple. Eh bien ! ce sont ces 2001 électeurs appartenant
à cinq sections seulement, qui disposent des destinées de la commune.
Un membre. - C'est la majorité des voix.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - C'est
la majorité des voix, dit-on. Il ne faut pas considérer, je le répète encore,
d'une manière aussi abstraite, le choix électoral, l'action électorale dans la
commune. Je dis que les 2001 électeurs appartenant à cinq quartiers, n'en sont
pas moins étrangers aux intérêts des trois autres quartiers, lesquels restent
ainsi sans représentation, sans organes.
Ainsi, une commune rurale composée de trois villages
distants de quelques minutes, peut, aux termes de l'art. 5 avoir une
représentation plus réelle qu’une ville composée de huit quartiers, par exemple,
mais qui ne sont pas distants de quelques minutes l’un de l’autre, qui existent
par juxtaposition.
On demande pourquoi il n'a pas été fait d'enquête
sur cette question. Mais il serait bien difficile, messieurs, de faire une
enquête sur une objection de ce genre. C'est une question que nous devons
apprécier d'après l'expérience quotidienne de chacun de nous. Nous devons nous
demander de quelle manière se font en ce moment les élections dans les grandes
villes. Et je dois avouer, pour ma part, que, d'après l'expérience que j'ai
acquise, c'est un mouvement général qui détermine le choix des conseillers
communaux, et non pas l’appréciation des intérêts divers qui existent dans des
grandes communes.
Ainsi, pour écarter la proposition qui vous est
soumise, il faut soutenir qu'il n'existe pas dans les grandes communes des
intérêts distincts correspondant à l'antique division de ces grandes communes
en quartiers.
A mes yeux, la proposition n'a donc pas pour but,
comme l'ont dit plusieurs honorables préopinant, d'assurer à la minorité la
supériorité dans la commune. Selon moi, la proposition a pour but d'assurer une
représentation dans la commune aux différents intérêts communaux qui y existent
et qui correspondent, je suis forcé de le répéter, à l'antique subdivision par
quartiers.
On vous l'a déjà dit plusieurs fois, messieurs, les
élections nationales se font par subdivisions ; ce n'est pas la nation en masse
qui vote, bien qu'un vote en masse ne soit pas une chose tout à fait
impossible. Le président, aux Etats-Unis d'Amérique, est nommé par un vote en
masse, au moyen des votes recueillis dans le pays tout entier. La
représentation provinciale ne se forme pas par un vote en masse des électeurs
de la province, mais par une subdivision de cantons. On a supposé qu'il y avait
des intérêts divers, attachés à ces subdivisions.
Il n'y a que la commune où il y ait un vote en
masse. Il faut donc en conclure que, dans les communes, il y a homogénéité parfaite
d'intérêts, et non pas diversité d'intérêts. Or, en fait, on ne saurait nier
que dans les communes il y a diversité d'intérêts, et que cette diversité
d'intérêts correspond à une antique subdivision de la commune.
Vous avez, messieurs, un triple mouvement électoral
: vous avez le mouvement électoral purement politique, qui amène la formation
des chambres. Ce mouvement est purement politique ; il doit l'être ; avant tout
ce sont des idées politiques, des idées générales qui dominent ici.
Vous avez un deuxième mouvement électoral, qui amène
la formation des conseils provinciaux. Ici le mouvement électoral n'est plus
politique ; c'est un mouvement électoral qui se détermine d'après
l'appréciation d'intérêts qui sont censés correspondre à la subdivision de la
province par cantons.
Vous avez enfin un dernier mouvement électoral, qui
doit encore être moins politique que le mouvement électoral que nécessitent les
élections provinciales, c'est-à-dire le mouvement électoral qui se produit dans
la commune. Or, je dis qu'avec le mode d'élections actuellement en vigueur, ce
mouvement électoral dans la commune, qui devrait être dépourvu de tout
caractère politique, n'est qu'un mouvement général, purement politique : un
mouvement qui jusqu'à un certain point se confond avec le mouvement électoral
général qui doit produire la formation des chambres ; eh bien, cela ne doit pas
être ; nous ne l'avons pas voulu. J'en appelle à vos discussions, à celle de la
loi provinciale, par exemple : j'en appelle, entre autres, à cette disposition
que vous avez eu soin d'inscrire dans plusieurs lois organiques et par laquelle
vous déclarez les fonctions législatives incompatibles avec le mandant de
conseiller provincial, par exemple.
Le mouvement qui, dans la commune, doit produire la
formation du conseil communal est un mouvement, selon moi, en dehors de toute
idée de politique générale ; c'est un mouvement qui doit avoir uniquement pour
objet de donner satisfaction aux intérêts divers qui existent dans la commune.
Or, je le demande de nouveau, est-ce ainsi que les
choses se passent ? C'est cependant là qu'est toute la question, et je
m'efforcerai d'y ramener sans cesse votre attention.
C'est très sincèrement que je veux que le mouvement
électoral soit ce qu'il doit être ; je veux qu’il soit politique dans les
élections pour la formation des chambres, mais je veux aussi que, dans les
élections pour la composition des conseils communaux, le mouvement électoral
ait uniquement pour but d'amener la représentation convenable des divers
intérêts qui existent dans la commune.
Je ne crains pas, messieurs, la lutte que peut
amener la représentation réelle des divers intérêts communaux, cette lutte est
légitime, aussi légitime que celle qui existe dans les conseils provinciaux
entre les intérêts des divers cantons de la province. Par exemple,
l'arrangement qui a été fait par le conseil provincial de
Un membre. - On en assignerait même à ceux qui
n'ont rien.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - C'est précisément à ceux qui
n'ont rien qu'il faut donner.
Je ne suis donc pas du tout effrayé de la lutte,
purement administrative, que peut amener dans l'intérieur des conseils
communaux des grandes villes la représentation par quartiers. Je ne suis pas
effrayé de cette lutte, parce qu'elle sera purement administrative et que
cette lutte au fond est légitime, qu'elle existe dans les conseils provinciaux
et que dès lors je ne vois pas pourquoi elle n'existerait pas également dans
les conseils communaux.
Les conseils communaux, ainsi que les conseils
provinciaux, sont des représentations administratives instituées en vue de certains
intérêts locaux ; je veux qu'on rende aux conseils communaux leur véritable
caractère de représentations administratives instituées, comme celles des
conseils provinciaux, en vue des intérêts locaux.
Voilà, messieurs, en peu de mots quelques-uns des
motifs qui m'ont engagé à ne pas repousser la proposition faite par l'honorable
M. de Theux. Je demande bien pardon à la chambre d'avoir pris la parole, mais
je devais le faire, entre autres, pour ne pas encourir les reproches que l'on
aurait pu attacher à mon silence.
M. Osy. - Messieurs, je n'entrerai pas dans la discussion de la loi qui nous est présentée
; je dirai seulement que je suis contraire à cette loi. Mais comme il serait
cependant possible qu'elle fût adoptée, je crois devoir soumettre une
observation à l’honorable M. de Theux. L’art. 46 de la loi électorale prévoit
le cas où un député serait nommé par plusieurs collèges à la fois ; eh bien, si
la proposition de M. de Theux est adoptée, la même chose pourra se présenter
dans les élections communales. Il me semble que l'honorable M. de Theux
devrait, à cet égard, introduire une disposition dans son projet et qu'il ne
suffit pas de dire : « on arrangera cela plus tard » ; je me borne à
faire cette observation, car étant contraire au projet, il me semble que ce
n'est pas à moi de présenter l'amendement dont je viens d'indiquer la nécessité.
M. de Theux. - Je donnerai une explication extrêmement simple : lorsque les pouvoirs
du conseiller nommé par plusieurs quartiers auront été vérifiés par la
députation permanente du conseil provincial et lorsque ce conseiller aura prêté
serment, il déclarera pour quelle section il opte.
M. Osy. - Je crois qu'il ne faut pas abandonner cela à l’arbitraire d'une
décision du gouvernement, il me semble que le cas devrait être prévu dans la loi, comme il l’a été dans la loi électorale pour les
chambres.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, j'ai entendu
plusieurs fois exprimer des craintes sur le grand nombre de sections que l'on
pourrait établir en vertu de la proposition. Il est dit dans cette proposition
que le nombre des sections ne pourra être inférieur à 4 ; je propose d'ajouter
: « il ne pourra être supérieur à 8. » Si la plus grande commune du
royaume s'agrandissait, ce serait en vertu d'une loi et dans cette loi,
l'augmentation du nombre des quartiers pourrait être
autorisée.
(Moniteur
belge n°163, du 12 juin 1842) M. Dolez. – Messieurs, ce n’a point été sans un profond sentiment de surprise que
j’ai entendu tout à l’heure l’honorable ministre de l’intérieur reprocher à une
partie de cette chambre la longueur de ses débats et surtout l’abandon du
projet du gouvernement dans la loi que vous avez adoptée hier. Si de pareils
reproches peuvent atteindre quelqu’un dans cette enceinte, c’est évidemment le
ministère qui, par son impardonnable faiblesse, a permis aux débats de prendre
des dimensions qu’ils n’avaient point d’abord ; ces dimensions étaient contraires
à ses vœux et cependant c’est le ministère qui a consenti à effacer
l’initiative royale devant les prétentions parties de certains bancs de cette
chambre ; c’est le ministère qui, sans avoir l’intention de produire la
question qui nous occupe en ce moment, n’a point hésité à se mettre encore sur
ce point à la remorque de ceux qui le dirigent si évidemment aujourd’hui.
Un pareil spectacle est dangereux pour le pays,
douloureux pour tous les amis de nos institutions ; il est dangereux pour le
pays, car il nous montre, chose étrange et sans exemple dans les pays
constitutionnels, il nous montre un gouvernement en dehors du ministère, car
telle est, messieurs, la position qui nous est faite et je la déplore pour mon
pays, je la déplore pour la dignité de cette chambre, je la déplore pour le
gouvernement lui-même.
Messieurs, dès le début de la discussion de la loi
communale, telle que les modifications de la section centrale l’ont faite, j’ai
annoncé que je serais l’adversaire de la proposition qui nous occupe en ce
moment ; je ne pouvais donc pas borner mon opposition
à un simple vote ; je devais combattre le projet, et je viens remplir ce
devoir, en quelques mots.
Messieurs, dans les discussions précédentes, nous
avons entendu exprimer sur tous les bancs de cette chambre une pensée qui
paraissait commune à tous ; c’était celle du danger de modifier trop légèrement
les lois organiques d’un pays, surtout d’un pays jeune comme le nôtre.
L’honorable M. Malou a parfaitement exprimé cette pensée, il l’a fait avec une
profondeur de vues à laquelle je rends hommage et qui me porte à espérer que
nous le compterons parmi les adversaires du projet.
Cependant, à côté de cette pensée, avouée par tous,
que se passe-t-il en ce moment ? Nous voyons une loi organique, peut-être
la plus importante de toutes, incidemment menacée de la plus grave des
modifications, à prétexte de prétendus vices dans les élections communales,
alors qu’aucune autorité n’est venue proclamer de semblables vices, alors que
le gouvernement, qui est le plus à même d’en reconnaître l’existence et pour
qui c’est un devoir de les signaler au pays lorsqu’il les découvre, alors que
le gouvernement ne nous avait pas dit un seul mot à cet égard ; et
cependant, lorsque l’honorable M. de Theux vient signaler ces prétendus vices,
le gouvernement n’hésite pas un seul instant à les reconnaître ; ils
grandissent tout à coup à ses yeux à ce point que tout à l’heure nous avons
entendu le ministre de l’intérieur demander l’adoption de la proposition, dans
l’intérêt bien entendu de nos villes. C’est occasionnellement et en vertu de
l’initiative d’un membre de cette chambre envisageant la question au point de
vue de ses préoccupations personnelles, que nous sommes appelés à modifier une
disposition de la loi communale qui est de la plus haute importance.
Quels sont, messieurs, les vices que nos reprochons
à la proposition ? Nous lui reprochons d’abord cette origine que je viens de
signaler et ce reproche, fût-il le seul, suffirait à nos yeux pour en motiver
le rejet. Mais il est de plus graves encore à lui
adresser. Je la vois d’abord changeant les habitudes électorales du pays tout
entier ; et c’est toujours un danger et un danger sérieux que de porter
atteinte aux habitudes électorales d’un peuple. Et sous quelle forme cette
atteinte se produit-elle ? est-ce sous une forme de
progrès ? est-ce sous la forme d’une extension des
droits électoraux ? Non, messieurs, c’est sous la forme d’une restriction
évidente, je vais le démontrer.
Jusqu’ici chaque électeur communal avait à remplir
une mission grande, étendue ; il avait à voter pour tous les représentants de
la commune à laquelle il appartient quand il se rendait aux élections, il s’y
rendait donc pour contribuer à l’organisation de l’administration communale
tout entière. D’après le projet, au contraire, qu’arrivera-t-il ? c’est que cet électeur qui, d’après la loi en vigueur, est
appelé à voter pour tous les représentants de la commune, verra son droit
mutilé et ne sera plus appelé à voter que pour 3 ou 4 d’entre eux. Vous
diminuez donc les droits que la loi de 1836 lui avait donnés. Vous enlevez à
cet électeur non seulement un droit auquel il est habitué, mais un droit dont
il n’a point abusé, un droit, que, soyez-en bien sûrs, il ne manquera point de
revendiquer un jour.
Il est toujours dangereux, messieurs, de faire
rétrograder un pays en ce qui concerne les droits électoraux et c’est à ce
danger que nous entraîne la proposition que je combats.
Au moins, messieurs, ce projet si contraire aux
intérêts moraux des électeurs, sera-t-il favorable à leurs intérêts matériels ?
Est-il vrai, par exemple, comme le disait tout à l’heure, l’honorable ministre
de l’intérieur, que ce projet aura pour résultat de donner une représentation
plus égale à chacune des parties de la ville et par conséquent de mieux
coordonner les intérêts des différents quartiers ?
Quant à moi, je crois que vous atteindrez un
résultat diamétralement opposé.
Que se passe-t-il sous l’empire de cette loi
communale à laquelle on veut porter de si rudes atteintes ? Aujourd’hui, chaque
conseiller communal est le représentant de la commune toute entière ; il a donc
un égal intérêt à ménager les prétentions des différentes quartiers de la
commune, puisque tous ont pris part à son élection et seront appelés à
contrôler lors d’une nouvelle élection l’usage qu’il a fait de leur mandat.
Avec le projet présenté par l’honorable M. de Theux, qu’arrivera-t-il, au
contraire ? c’est que chaque conseiller sera le
représentant d’un quartier et que quand un conseiller voudra provoquer une
mesure utile au quartier qu’il représente, il se trouvera seul contre les
représentants de toutes les autres sections, qui, ne tenant aucun mandat des
électeurs de ce quartier, ne se croiront obligés par aucun lien à respecter
leurs vœux.
Vous aurez donc des luttes plus fréquentes pour des
intérêts de quartier, mais vous n’aurez pas une justice distributive plus sage,
plus désintéressées entre les diverses sections de la commune.
Il y a plus, le système qu’on vous présente comme un
système de progrès, au point de vue administratif, ne sera qu’un système
d’empêchements et d’entraves. En effet, messieurs, il arrivera presque
toujours, quand une proposition sera faite dans l’intérêt d’un quartier que la
majorité des autres sections se prononcera contre elle, si elles n’y
entrevoient point un intérêt marqué pour elles-mêmes, ou si elles entrevoient
un moyen d’augmenter d’une manière grandiose la splendeur de la partie de la
ville à laquelle elles n’appartiennent point. Le projet de loi qui nous occupe
sera donc obstatif au progrès, à l’exécution de toute grande conception dans
l’intérêt de nos villes.
La loi proposée aura-t-elle du moins pour le
gouvernement quelque avantage politique, qui puise appeler sur elle notre
faveur ?
Je n’hésite point à soutenir le contraire.
Sera-t-il vrai, par exemple, comme on l’a dit hier,
qu’on ne verra plus surgir de ces compositions de conseil, telles que celles
dont a parlé l’honorable M. Dumortier ? sera-t-il vrai
que le gouvernement n’aura plus désormais d’embarras de cette espèce ?
Je crois pour ma part que ces embarras seront encore
beaucoup plus graves.
Si la loi qu’on vous propose avait existé au moment
où eurent lieu les élections de Gand, auxquelles l’honorable M. Dumortier a
fait allusion, que serait-il arrivé ? c’est que toutes
les sections de la ville auraient porté leurs suffrages sur l’honorable M. Van
Crombrugghe, et qu’en conséquence il y aurait eu dans les sections unanimité
pour dire au gouvernement : voilà le seul représentant de la commune, voilà le
seul homme que la commune veuille avoir à sa tête !
M. Delehaye. - C’est bien vrai.
M. Dolez. - Ainsi le gouvernement, avec la loi qu’on nous propose serait exposé à
des luttes continuelles avec les villes qui seraient animées contre lui d’un
esprit d’hostilité, et cette loi leur donnerait le moyen de se livrer aux plus
imposantes manifestations. Vous dirai-je, messieurs, quelle sera la position
des échevins s’ils émanent d’une élection par quartiers ?
Vous aurez des échevins représentants d’une section
de la commune, et par conséquent, préoccupés, avant tout, des intérêts de la
section à laquelle ils appartiennent.
Messieurs, on vous l’a déjà dit, il est d’habitude
parmi nos administrations communales de répartir entre les divers échevins les
attributions du collège échevinal. Il arrive, par exemple, dans presque toutes
les villes, qu’un échevin est chargé spécialement du service des travaux
publics, partie toujours importante.
Eh bien, par la seule force des choses, il arrivera
que l’échevin chargé de cette partie se préoccupera toujours des projets qui
intéresseront le quartier dont il est le représentant, et entravera ceux qui
sembleront de nature à lui nuire, quelqu’avantageux qu’ils puissent être pour
la commune considérée dans son ensemble. Il arrivera que le conseil échevinal
n’aura plus l’indépendance nécessaire pour remplir la mission du pouvoir
exécutif communal que vos institutions lui confèrent ; chacun des membres de ce
collège se trouvant sous la dépendance directe et incessante des électeurs de
son voisinage.
Et cependant, veuillez-vous le rappeler, messieurs,
la loi que vous avez votée hier a été inspirée au gouvernement et à la majorité
de cette chambre par le danger grave que présentait pour le bourgmestre sa
dépendance des électeurs ; ce danger, qui vous effrayait hier pour le
bourgmestre, vous voulez le centupler aujourd’hui pour les échevins, ses
collaborateurs. Etrange logique des partis !
L’honorable M. de Theux est revenu à différentes
reprises sur un argument qui lui plaisait fort, et qui est, je l’avoue, fort
commode, parce qu’il dispense d’en donner d’autres.
Cet argument le voici : « Ce que je propose
existe en France, et en France on ne s’en plaint pas. »
Je crois que c’est toujours une manière assez
mauvaise d’argumenter dans cette enceinte que de dire : Telle chose se passe en
France, ou en Angleterre, parce que les institutions d’un pays peuvent être
parfaitement assorties à ses besoins, et aller fort mal aux besoins d’un autre
pays.
Mais il y a plus, cette loi municipale française
dont l’application, d’après le dire de l’honorable M. de Theux, n’aurait
soulevé aucune réclamation, cette loi a déjà produit de très fâcheux résultats
dans les grandes villes où s’agitaient des passions politiques ardentes. Je
pourrais en citer des exemples. Elle a de plus été critiquée par les
publicistes.
Que l’honorable auteur de la proposition veuille
lire entre autres ce qu’en dit M. Béchard dans son
traité sur la centralisation administrative, il y verra que cette partie de la
loi française y est jugée de la manière la plus sévère et peut-être alors
cessera-t-il de répéter que cette loi n’a soulevé aucune réclamation en France,
qu’elle y est considérée comme le système le plus parfait qu’il est possible
d’appliquer aux institutions municipales.
On a argumenté de notre loi provinciale. On a dit :
Ce système que vous combattez aujourd’hui, vous l’avez adopté pour la province,
ce système n’étant pas mauvais pour la province, doit être parfait pour la
commune.
Messieurs, je crois qu’il existe une différence
saillante entre la position de la province et celle de la commune ; je crois
qu’il était pour l’une des besoins à satisfaire qui n’existent point pour
l’autre. Dans la province, pourquoi a-t-il fallu fractionner les élections par
canton ? Il l’a fallu d’abord et avant tout pour la facilité des électeurs. Nos
provinces sont la plupart fort étendues ; c’eût été un inconvénient fort grave
que d’obliger les électeurs, et surtout les électeurs éloignés, de se rendre au
chef-lieu, pour l’exercice de leurs droits électoraux. De plus, n’est-il pas
évident que l’opposition d’intérêts est plus marquée entre les divers cantons
d’une province que celle qui peut accidentellement exister entre les différents
quartiers d’une ville.
Qu’il s’agisse, par exemple, de la construction
d’une route, d’un canal, il est d’une extrême importance pour un canton, que la
route, le canal passe par son territoire, plutôt que par celui d’un autre. Il y
a donc là des intérêts inévitablement et presque toujours opposés, et la loi a
agi sagement en décrétant que les élections se feraient d’après ces divers
intérêts.
Mais dans les villes cette opposition d’intérêts
n’existe pas. Erige-t-on, par exemple, un monument dans un quartier quelconque
de la ville ; tous les habitants participent au plaisir de le voir, au bonheur
de penser que ce monument ajoute à la splendeur de la cité, il y a donc
identité presque parfaite d’intérêts dans la commune, tandis que la diversité des
intérêts est inévitable dans les cantons.
Et puis, s’il était vrai qu’il existât entre les
différents quartiers d’une ville certaine nuance d’intérêt, croyez-vous qu’il
serait d’un heureux exemple de la part du gouvernement et de la législature, de
donner un aliment nouveau à cette différence d’intérêts et aux mesquines
rivalités qu’elle engendre ? Ne croyez-vous pas qu’au point de vue
gouvernemental, il est déplorable de voir un ministère encourager par sa
parole, par ses doctrines, ces dissidences entre les différents quartiers ?
N’est-ce pas une idée anti-gouvernementale que celle-là ?
Le projet, dans une de ses dispositions vitales,
organise l’élection à la représentation communale d’après l’importance de la
population et nullement d’après le nombre des électeurs. Qu’arrivera-t-il
encore, en vertu de ce système ? C’est que les quartiers les plus
insignifiants, les moins éclairés seront précisément ceux qui auront la plus
forte représentation dans le conseil. A Bruxelles, ce seront les dépendances de
la rue Haute, et le quartier des Marolles qui auront la plus large influence au
sein du conseil communal !
Et ce système est adopté par M. le ministre de
l'intérieur et par ses collègues parmi lesquels, je le dis avec un profond
regret, se trouve un ancien bourgmestre de la capitale. (Interruption sur le banc où siège M. Dumortier.)
Je n’ai pas compris l’honorable M. Dumortier.
M. Dumortier. – Je disais que les habitants de la rue Haute valaient autant que les
habitants des autres quartiers.
M. Dolez. – Oui, sans doute, mais comme tous les habitants ne participent pas aux
droits électoraux, je dis que ceux qui sont appelés à participer à l’exercice
de ces droits, sont censés résumer en eux la population, et que par conséquent,
il ne faut pas avoir égard au chiffre de la population dans les élections, mis
bien au nombre des électeurs qu’elle produit.
M. Lebeau. – C’est très vrai.
M. Dolez. – Vous appelez donc les quartiers qui ont le moins d’électeurs, et par
suite moins de lumières, moins d’intelligence des intérêts moraux et matériels
de la ville, à avoir le plus grand nombre de représentants communaux.
Messieurs, je n’hésite pas à dire que c’est là une véritable monstruosité.
Au moment où l’honorable M. Dumortier m’a
interrompu, j’exprimais le regret tout personnel de voir l’ancien bourgmestre
de la capitale donner son adhésion à la loi que je combats. Peut-être l’appui
que donne M. le ministre de l'intérieur à la loi en discussion est-il un appui
isolé, et peut-être m’est-il permis d’espérer encore que M. le ministre de la
justice ne sera pas d’accord sur ce point avec son collège.
M. le ministre de la
justice (M. Van Volxem) – Nous sommes d’accord.
M. Dolez. – Si vous êtes d’accord, mon regret subsiste tout entier.
Enfin, messieurs, il est un autre argument auquel il
importe de répondre. On nous a dit à différentes reprises : mais la disposition
contre laquelle on réclame existe déjà partiellement dans la loi communale ;
déjà pour les communes composées de différents hameaux, il existe un
fractionnement d’élections.
Cela est vrai, et je crois qu’on a bien fait de
l’établir dans les limite dans lesquelles la loi communale a circonscrit la
mesure, c’est-à-dire là où il y a des hameaux. Là où il y a des intérêts
opposés, quelles sont surtout les idées qui ont dicté cette disposition ?
D’abord pour les villes, on a tenu compte de ce que le système des octrois est
différent pour les sections extra muros
et pour les sections intra muros.
Pour les communes rurales qui ont des hameaux séparés, on s’est rappelé avec
raison que ces hameaux ont des propriétés séparées qui se rattachent à leur
ancienne division ; ces hameaux avaient formé jadis des communes distinctes, et
elles ont été réunies ultérieurement à d’autres communes, tout en gardant leurs
propriétés séparées. Le fractionnement était donc tout naturellement pour le
hameau, puisque légalement il existe pour eux des intérêts distincts. Mais,
messieurs, il n’existe absolument aucun motif pour étendre la mesure à toutes
les communes du royaume.
Messieurs, je crois qu’il est inutile d’ajouter de
nouveaux développements à ce que je viens d’avoir l’honneur de dire, pour
motiver mon opposition au projet de loi. Je finirai par la pensée qui a servi
de point de départ à mes observations. J’exprimerai de nouveau le regret
profond de voir le gouvernement et la chambre se montrer si faciles, si prompts
à modifier les lois organiques du pays. Messieurs, en cette matière,
l’antiquité nous a légué un grand enseignement. Qu’il me soit permis de le
rappeler à vos souvenirs comme un monument de prudence et de sagesse digne de
trouver des imitateurs.
Licurgue, après avoir donné des lois au peuple de Sparte, le fit assembler sur la
place publique, et, lui annonçant qu’il partait pour un long voyage, lui fit
promettre qu’on ne changerait rien à ses lois avant son retour, et Licurgue, pour imprimer à la législation de son pays la
stabilité qui fait la force des institutions humanes, se condamna à un exil
perpétuel !
Je recommande cet exemple, dont le souvenir à
traversé les siècles et est arrivé jusqu’à nous, aux méditations des hommes qui
nous gouvernent !
(Moniteur belge, n°162, du 11 juin 1842) Plusieurs membres. - La
clôture ! la clôture !
M. Verhaegen. - Il me semble que dans une discussion aussi importante, chacun doit
avoir son tour de parole. Je n'ai pas parlé dans cette discussion. On veut prononcer
la clôture, mais sur quoi ? Il y a la discussion générale et la discussion des
articles. Veut-on clore la discussion générale ? Je n'ai pas parlé, tandis que
des orateurs ont parlé deux fois. Je n'ai pas encore pu dire un mot, cependant
je faisais partie de la section centrale. Le rapporteur, qui est l'auteur de la
proposition, a parlé deux ou trois fois, moi, qui ai eu l'honneur de le
combattre au sein de la section centrale, je voudrais le
combattre au sein de la chambre. Il y aurait injustice à me refuser la
parole. Si on insiste sur la clôture, je demande l'appel nominal.
M. de Mérode. - Messieurs, je déclare que si on clôt la discussion, je m'abstiendrai
parce que je ne suis pas suffisamment éclairé.
M. Orts. - Je voudrais savoir si, en demandant la clôture, on entend interdire de
prendre la parole sur chacun des articles qui composent la loi. Je n'ai pas
parlé encore et mon intention est de prendre la parole sur l'article par lequel
on propose de porter à huit années au lieu de six, le mandat de conseiller. Je pensé que, quand cette disposition serait mise en
discussion, on obtiendrait la parole. Maintenant je demande que la discussion
continue.
M. le ministre de
l’intérieur (M. Nothomb) - La clôture ne termine rien. La
discussion continuera sur chaque article, qu'on prononce ou qu'on ne prononce pas la clôture. Cependant, comme il y a deux
questions, on pourrait clore la discussion générale, pour les discuter
séparément.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, en demandant la clôture et en l'appuyant, c'est seulement de
la discussion générale que j'entendais parler. Quant aux articles, on pourra
émettre son opinion après le prononcé de la clôture.
Cependant je ferai remarquer que si chacun de nous voulait parler une heure sur
les articles, d'ici à un mois nous n'en aurions pas fini. Pourtant, comme on
l'a déjà dit, le temps presse, il nous reste plusieurs projets très importants
à discuter ; par ce motif, je pense que nous sommes restés trop longtemps sur
la question du premier projet à laquelle nous avons consacré trois semaines de
discussion, quand au bout de huit jours toutes les opinions étaient formées. Je
crois que toutes les opinions sont également formées sur le projet dont il
s'agit en ce moment et que nous ne faisons que perdre du temps, en prolongeant
la discussion. Au surplus, je ferai remarquer que nous pourrons émettre nos opinions, si on ne les a pas reproduites dans la discussion
générale, lorsque nous aborderons les articles.
M. de Theux. - Le projet contient deux propositions distinctes. Jusqu’ici on n'a en
aucune manière discuté la question de la prolongation du mandat. Je pense qu'il
vaut mieux continuer la discussion sur l'article premier et n'aborder la
discussion de l’article 2 que quand l'article premier serait voté. De cette manière, il ne serait pas nécessaire d'avoir
une discussion de détail.
M. Delfosse. - La question qui nous est soumise est l'une des plus graves dont la
chambre puisse avoir à s'occuper ; et il n'y a pas d'exemple que l'on ait clos
la discussion générale sur une question importante avant d'avoir entendu au mois
une fois les orateurs qui désirent prendre la parole. M. Eloy de Burdinne vient
de dire que les discours sont inutiles, que les opinions sont formées ; il est
possible que l'opinion de M. Eloy soit formée, mais tout le monde n’a pas comme
lui la science infuse ; l'honorable comte de Mérode vient de déclarer qu’il
n'est pas suffisamment éclairé, d'autres membres peuvent se
trouver dans le même cas, la chambre doit donc laisser continuer la discussion.
M. Eloy de Burdinne. - Je ferai remarquer au préopinant qu’il ne lui appartient pas d'avancer
que je viens ici avec des opinions formées. Je m'éclaire de la discussion aussi
bien et peut-être mieux, qu'il ne le fait lui-même. Il ne lui appartient pas de
venir déverser l'injure sur un de ses collègues, c'est une insulte qui ne se
tolérerait dans aucun parlement. Je demande votre rappel à l'ordre. Si quelque
chose peut surprendre, c'est que le président n'ait pas
rappelé M. Delfosse à l'ordre, qui s'est étrangement écarté des décences
parlementaires.
M. Dubus (aîné). - Je demande que la discussion continue, mais je ferai remarquer que je
trouve fort étrange qu'on se permette de dire à un membre de cette chambre
qu'il vient d'ordinaire avec des opinions toutes faites et qu’il a la science
infuse.
On se plaint de ce qu'on a dit que les opinions
étaient formées alors que plusieurs orateurs ont pris la parole. Sans doute
l'opinion de ces orateurs est formée ; pour ceux-là, la
continuation de la discussion ne peut pas avoir pour but de s'éclairer, mais
probablement d'éclairer les autres.
M. Delfosse. - Je n'ai pas l'habitude d'insulter mes collègues, je crois qu'il ne
m'est jamais arrivé d'insulter quelqu'un dans cette enceinte, et si M. Eloy de
Burdinne a été insulté, ce n'est pas par moi, mais par lui-même ; ce n'est pas
moi, c'est lui qui a dit que les discours étaient inutiles, que les opinions
étaient formées ; je n'ai fait en quelque sorte que reproduire sa pensée, ce
n'est donc pas de moi c'est de lui que vient l’insulte, si insulte il y a.
Je ne sais, messieurs, si nos discours sont inutiles
pour la chambre, mais à coup sûr ils ne le sont pas pour le pays qui nous
jugera.
M. le président. - Il n'a pas dit qu'il avait la science infuse.
M. Lys. - Ce n'est pas une injure !
M. le président. - Ce n'est du moins pas parlementaire.
Du reste, on paraît maintenant
d'accord de ne pas clore la discussion : elle est continuée à demain.
M. David. - Je me suis opposé à ce qu'on mît hier en discussion la prorogation des
lois relatives aux péages et la police du chemin de fer ; j'ai demandé la
remise à quelques jours parce que je me proposais de présenter quelques courtes
observations. On pourrait mettre à l'ordre du jour de demain ce projet qui ne
tiendra pas longtemps la chambre, car pour ma part je ne veux pas m'y opposer,
mais seulement faire quelques observations.
M. le président. - Tous les membres ont quitté leurs places ; je ne puis consulter la
chambre.
- La séance est
levée à 4 1/2 heures.