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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 6 juin 1842

(Moniteur belge n°158, du 7 juin 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l'appel nominal à 2 heures.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l'analyse de la correspondance.

« Des habitants de Nivelles et de Braine-Lalleud demandent la révision des lois concernant les barrières et les ponts à bascules. »

« Le sieur Jean Emouts, fondé de pouvoirs du sieur Mottard, propriétaire à Tongres, expose que le sieur Mottard a fait, il y a 12 ans, une demande en concession de mines de houille sous ses propriétés, que toutes les formalités ont été remplies depuis longtemps et qu’il ne peut obtenir de décision ; il réclame à cette fin l'intervention de la chambre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Rapports sur des pétitions

M. Zoude**.** - Je viens présenter à la chambre le prompt rapport qu'elle a demandé sur les pétitions suivantes :

« Le sieur Retsen, armateur à Anvers, se plaint des droits que la douane des Etats-Unis a imposés à son navire, commandé par le capitaine Verseleht, partant de Buenos-Ayres. »

Le pétitionnaire vous entretient d'un fait d'une haute gravité, c'est que son navire, contrairement à nos conventions avec les Etats-Unis, y aurait été frappé d'un droit de douane de 1360 fr., qui, pour tout autre pavillon, n'aurait été que de 160 fr.

Toutefois, une partie de cette énorme différence disparaîtrait, si le tonneau de mer, qui, chez nous, est de 1 ½ mètre, n'était que d'un mètre aux Etats-Unis. Et votre commission serait portée à croire qu'il pourrait y avoir eu quelqu'erreur de ce chef, parce que le pétitionnaire dit que le jaugeage de son bâtiment n'a pas été fait aussi équitablement qu'en Belgique, mais hors d'une proportion raisonnable.

Quoi qu'il en soit, il n'en reste pas moins avéré qu'en admettant une erreur dans la vérification du tonnage, la surtaxe serait encore assez considérable pour légitimer le recours à la voie de représailles ; mais un pareil extrême ne peut être tenté qu'après avoir épuisé tous les autres moyens de redressement qui sont dans le pouvoir comme dans le devoir du gouvernement.

C'est pour que cette pétition soit soumise à son attention sérieuse, que votre commission a l'honneur de vous proposer son double renvoi à MM.. les ministres de l'intérieur et des relations étrangères.

M. Rogier**.** - Je demanderai si le pétitionnaire, avant de s'adresser à la chambre, a fait d'abord une réclamation auprès du gouvernement.

M. Zoude**. -** Il n'en est rien dit dans la pétition, mais son objet est assez important pour être soumis au gouvernement, soit directement, soit par l'intermédiaire de la chambre.

M. Rogier**. -** C'est parce que l'objet de la pétition est important que je demande si le pétitionnaire s'est adressé au gouvernement.

M. Zoude. - La pétition ne le mentionne pas.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Zoude, rapporteur. - Les conseils communaux de Hersselt et d'Aerschot demandent que l'on construise une route pavée d'Aerschot à Waterloo, passant par le centre de la commune de Hersselt.

Le besoin de communication généralement senti est éprouvé d’une manière plus pressante dans les provinces où l'ingratitude du sol réclame davantage la puissance des engrais.

L’Etat est toujours largement indemnisé des dépenses que ces constructions entraînent, mille voies indirectes les font rentrer au trésor ; il est donc de l'intérêt général de favoriser la création des routes ; votre commission, dirigée par ces principes, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Zoude, rapporteur. - « Les conseils communaux d'Ophoven et de Zesseniet demandent que le gouvernement fasse principalement exécuter les travaux de défense nécessaire pour empêcher les débordements de la Meuse sur le territoire de ces communes.

Cette pétition est très importante. La commission en propose le renvoi au ministre des travaux publics..

- Ces conclusions sont adoptées.

Motion d'ordre

Projet d'adaptation du tarif français dans un sens défavorable à l'industrie linière

M. Delehaye. - Je comptais ne pas interrompre la discussion actuelle et laisser marcher les travaux de la chambre, jusqu'à ce qu'elle ait pris une décision sur tous les projets modificatifs de la loi communale qui lui sont soumis ; alors seulement je me proposais de faire une interpellation au gouvernement sur nos relations commerciales. Cependant je vois qu'il pourrait encore y avoir quelque retard et que plusieurs jours au moins s'écouleront avant que le dernier de ces projets ne soit voté. Aujourd’hui mes devoirs me forcent à rompre le silence.

Il est certain, d'après les nouvelles arrivées de France que le gouvernement de ce pays est sur le point de prendre une disposition très grave à l'égard d'une des principales industries des Flandres. Je demanderai à la chambre la permission d'adresser au gouvernement quelques interpellations sur ce projet et de renouveler quelques-unes de celles que j’ai faites à l’une de vos précédentes séances. Mais attendu que M. le ministre des affaires étrangères n'est pas présent, je prierai la chambre de me permettre de fixer à demain mes questions. D'un autre côté, j'apprécie toute la circonspection que le gouvernement doit mettre dans ses réponses, j’indiquerai dès à présent quels sont les points sur lesquels je me propose de provoquer des explications.

Mes interpellations porteront surtout sur les dispositions que le gouvernement français est sur le point de prendre à notre égard et sur le résultat des négociations diplomatiques entamées avec la France et l'Espagne. Je tâcherai de me borner à ces objets, mais si je croyais utile de faire porter ces interpellations sur d'autres points, M. le ministre pourrait remettre sa réponse à un autre jour. Dans tous les cas, je prendrai le plus grand soin à ce que rien ne m'échappe qui soit de nature à alarmer le pays ou à compromettre notre position.

M. Rodenbach.- Je crois que tout en voulant favoriser l'industrie linière, l'honorable préopinant pourrait lui faire plus de mal que de bien, par les interpellations qu'il se propose d'adresser demain au gouvernement.

Je partage l'opinion que si le gouvernement français prend des mesures hostiles à votre industrie, il nous faudra prendre des mesures de représailles. Mais il faut attendre que des actes aient été posés par le gouvernement français.

Il a été question parmi plusieurs députés des deux Flandres de se réunir et de présenter un projet de loi, tendant à prohiber les vins par voies de terre. C'est une mesure que le ministre pourrait prendre en vertu de la loi de douane de 1842. Nous voudrions atteindre aussi le commerce de Paris, de Lyon et de Rheims. Je pense que si un projet de loi était déposé dans ce but, l'honorable préopinant s'empresserait de le signer. Mais pour le moment toute proposition semblable pourrait nuire aux négociations entamées entre la France et la Belgique.

Pour ne pas nuire à ces négociations, je m'entendrai avec l'honorable membre qui se propose de faire des interpellations.

On vient de dire que, par une ordonnance, le gouvernement français doit augmenter les droits sur les fils et sur les toiles. Si cela a lieu, nous prendrons des mesures de représailles efficaces.

Le temps sera venu quand nous verrons qu'on veut anéantir notre industrie, d'avoir recours à des mesures de rigueur. Mais je prierai l'honorable membre d'attendre que des mesures aient été prises en France.

M. Dumortier. - Je suis au regret de l'incident qui vient d'être soulevé. Il est imprudent de parler de mesures de représailles aussi longtemps qu’on ne sait pas positivement ce qu'on fera.

M. Rodenbach. - On le sait, ce qu'on fera, cela a été dit en pleine chambre.

M. Dumortier**.** - De ce qu'on l'a dit en pleine chambre il n'est pas certain qu'on le fera. Qu'on attende au moins les événements avant de s'expliquer. L'intérêt de notre commerce et de notre industrie nous commande de garder le silence jusqu'à ce que nous sachions ce qu'on fera dans un pays voisin.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est vrai que le gouvernement français se propose d'élever, par ordonnance à la suite de la clôture de la session, le droit sur les fils et les toiles. (Mouvement et exclamation). Ce fait est constaté aujourd'hui par les débats même de la chambre des députés où des interpellations ont été adressées au ministère. Le gouvernement belge est instruit de ces intentions depuis plus d'un mois. Le gouvernement français désire pouvoir ne pas appliquer à la Belgique cette ordonnance ; des négociations, à cet effet, sont ouvertes. Réussirons-nous ? C'est ce que nous ignorons. L'ordonnance interviendra précisément.

D'ici là, il faut l'espérer, il aura été conclu un arrangement tel que la Belgique échappera aux effets de cette ordonnance. S'il n'en était pas ainsi, nous venions ce que nous aurions à faire. Mais comme l'a très bien dit M. Dumortier, il ne faut pas aller au-devant de ce qui aujourd'hui n'est encore qu'une hypothèse.

M. Delehaye**.** - Depuis quelques jours, je me suis entendu avec quelques collègues pour préparer un projet de loi ayant pour objet des mesures de réciprocité à prendre contre les produits français. Mais, partageant l'avis émis par M. Dumortier, j'ai engagé mes honorables collègues à attendre, pensant qu'il valait mieux adresser au ministère des interpellations sur ce qui s'est passé en France et en Espagne, les deux pays qui constituent nos principaux débouchés.

Nous venons d'apprendre que le gouvernement négocie sur un point, celui de savoir s'il y a une possibilité d'excepter la Belgique de la mesure que va prendre la France.

Messieurs, pour peu qu'on ait des notions de droit international, qu'on sache ce qui se passe de nation à nation, on trouvera inconcevable l'espoir que la France puisse faire dans l'intérêt de son industrie, l'exception dont il s'agit au profit de la Belgique ; en effet, l'Angleterre ne manquerait pas de modifier immédiatement son tarif sur les vins, par exemple. Cette observation me surprend surtout dans la bouche de M. Nothomb, qui, certainement n'ignore pas qu'une exception de cette nature devrait être provoquée par des mesures de notre part auxquelles jusqu'aujourd’hui nous n'avons pas songé.

Comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, mon intention n'était pas de provoquer, de la part du gouvernement, une réponse dangereuse, car j'ai dit que, par circonspection et par prudence, j’indiquais dès aujourd'hui les points sur lesquels je me proposais d'adresser des interpellations. C'était bien là agir de manière qu'on pût me répondre, sans qu'aucune parole pût être mal interprétée.

Messieurs, dans une séance mémorable du sénat, M. le ministre des affaires étrangères, faisant alors partie de l'opposition, disait que l’un des motifs qui le forçaient à retirer sa confiance au précédent ministère, c’était l’impossibilité où était le gouvernement de tirer notre commerce et notre industrie de la position mauvaise dans laquelle se trouvent ces deux branches de notre richesse.

C'est là, disait-il, le motif le plus puissant. Eh bien, tout le monde a applaudi à ces motifs ; ceux même qui avaient vu arriver au pouvoir des hommes tout a fait nouveaux se sont réjouis de cette déclaration, On s’en prenait à l'ancienne administration qui n'avait pas, disait-on, une majorité suffisante pour améliorer notre position commerciale et industrielle. Depuis 14 mois que la nouvelle administration est aux affaires, nous ne sommes guère plus avancés. Des négociations sont entamées depuis longtemps avec la France, et elles n'ont aucun résultat. Notre agent à Paris est de retour à Bruxelles, ainsi que celui que le gouvernement avait envoyé en Espagne. Jusqu’ici, le gouvernement ne nous a fait aucune communication, et aucune communication n'a été provoquée non plus de la part de la chambre.

Messieurs, il n'y a pas de pays constitutionnel où le commerce et l'industrie soient dans une position aussi déplorable qu'en Belgique : elle me défend, messieurs, de provoquer quelque explications qui puisse embarrasser la marche du gouvernement ; que s'il avait été fidèle à la déclaration qu'il vous a faite dans le principe, il aurait cherché par des moyens efficaces et énergiques à relever notre commerce et notre industrie. Dans ce cas, je lui aurais donné mon appui.

Mais, puisque depuis qu'il est au pouvoir il n' a absolument rien fait, que toutes ses promesses ont été des déceptions, et que nous sommes à la veille d'être frappés dans notre industrie la plus vitale, il serait incompréhensible que la chambre ne m'eût point permis de faire au ministère les interpellations que je me proposais de lui adresser. Je le répète, ces explications n'auraient eu rien de dangereux, et je me serais comporté avec toute la réserve que le sujet comporte.

Messieurs, député des Flandres, j'ai pu apprécier la misère qui règne aujourd'hui dans cette province ; cette situation malheureuse qui vous a été également signalée par d'autres honorables collègues, est le résultat du défaut d'énergie de notre gouvernement vis-à-vis des pays qui nous entourent.

Or, je le répète, cette industrie va recevoir un nouveau coup qui l'anéantira complètement. J'ai cru de mon devoir d'appeler l'attention du gouvernement sur ce point, et le gouvernement aurait, d'après moi, le plus grand tort de ne pas se prêter à mes explications. Cette faute serait d'autant plus grande qu'alors que l'on s'apprête à sacrifier une partie notable de nos prérogatives communales, le pays apprendrait avec plaisir qu'il va trouver une compensation dans ses intérêts matériels.

Au reste, messieurs, la réponse de M. le ministre de l'intérieur me fera ajourner toute nouvelle interpellation, bien convaincu d'ailleurs que ce qu'il avance ne se réalisera pas plus que ses précédentes promesses.

M. Dumortier. - Messieurs, sans doute, on ne peut contester à un membre de cette chambre le droit de faire des interpellations au gouvernement, surtout dans une matière aussi grave que celle qui est soulevée en ce moment ; mais je répète ce que j’ai dit tout à l'heure, il faut s'exprimer avec beaucoup de réserve sur un pareil sujet. L'on comprend que, lorsque nous discutons les rapports commerciaux avec une nation aussi puissante, aussi susceptible, aussi jalouse de ses droits que l'est la France l'on comprend, dis-je, qu'on ne peut user de trop de réserve ; car nos voisins peuvent considérer nos paroles comme une menace qui leur est faite, et bien souvent les menaces amènent un résultat tout différent de celui qu'on en espère.

Messieurs, j'ajouterai maintenant quelques mots.

Comment, dit l'honorable M. Delehaye, voulez-vous que la France puisse songer à faire une exception en faveur de la Belgique ? Mais, messieurs, la cause de cette exception serait toute simple : c'est que la position de la Belgique vis-à-vis de la France est tout autre que celle de l'Angleterre vis-à-vis du même pays.

L'Angleterre a, il est vrai, apporté quelques légères réductions sur certains produits français, mais de son côté la France a apporté des réductions considérables sur une foule d'objets d'importation anglaise. Au contraire, depuis la révolution de juillet, toutes les dispositions de douanes prises dans notre pays ont amené des réductions sur l'entrée des produits manufacturés français, tandis que toutes les mesures prises en France ont frappé de plus en plus les produits manufacturés belges.

Depuis quelques années, les variations du tarif français ont eu lieu de telle manière que l'importation en France des produits manufacturés anglais a quadruplé au lieu que les produits manufacturés de Belgique se sont vus frappés de droits de plus en plus élevés. C'est là un excellent argument que le gouvernement belge peut faire valoir auprès du gouvernement français, et l'on est trop juste et trop éclairé en France pour ne pas l'apprécier. On répondra que la France reçoit beaucoup de matières premières. Mais la France sait aussi bien que nous que ces matières premières lui sont indispensables, qu'elle ne peut s'en passer, et qu'ainsi elle ne fait rien pour nous en ceci, tandis qu'elle élève incessamment ses droits sur nos produits manufacturés.

Il me semble que le gouvernement doit insister sur ce que chaque année la France prend de nouvelles mesures prohibitives à l'égard de nos produits manufacturés, tandis qu'elle suit une marche inverse vis-à-vis de l'Angleterre. C'est une considération grave qui peut exercer une haute influence sur nos relations avec la France. La France peut donc bien prendre une mesure exceptionnelle pour la Belgique ; elle peut nous accorder une faveur que justifient nos relations de bon voisinage, et d'autres considérations que je n'énoncerai pas maintenant.

Je me résume. Il est nécessaire d'apporter une extrême réserve dans ces discussions. J'engage mes honorables collègues, dans l'intérêt de l'industrie qu'ils défendent avec tant de chaleur et de vérité, à mettre un terme à cette discussion.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne puis laisser sans réponse certaines observations de l'honorable M. Delehaye. A en croire cet honorable membre, on devrait supposer que le sort du commerce et de l'industrie aurait empiré depuis l'avènement et en quelque sorte par l'avènement du ministère actuel. Ce n'est pas une question de personnes, ni de ministère. Nos relations avec l'Espagne ont subi une grave altération. Si je voulais être injuste à mon tour, je dirais que ce fait ne date pas de l'administration actuelle. La loi du 6 mai 1841, qui a rendu aussi favorables nos relations commerciales avec la France, quant aux toiles, a été discutée et votée par les chambres françaises, à une époque où le ministère actuel n'existait pas. Mais ce serait être injuste envers le gouvernement belge que de lui faire à cet égard des reproches. Le ministère précédent, comme le ministère actuel, l'un et l'autre ont fait tous leurs efforts pour maintenir et améliorer nos relations commerciales avec la France.

Je regrette que mon honorable collègue des affaires étrangères ne soit pas présent. Il vous aurait soumis les mêmes réflexions que j'ai eu l'honneur de vous soumettre. Il vous aurait dit comme moi que le gouvernement s'efforce de faire en sorte que l'ordonnance qui doit être rendue ne soit pas appliquée à la Belgique. Cette ordonnance sera rendue, nous ne pouvons en douter. Mais si elle est appliquée à la Belgique, ce sera une situation toute nouvelle, grave, très grave, sur laquelle nous ne pouvons pas, nous ne devons pas nous prononcer encore. Mais nous ne nous dissimulons pas la gravité de la situation nouvelle dans laquelle nous nous trouverons à la suite de cette ordonnance.

M. Rodenbach. - Je partage l'opinion de l'honorable M. Dumortier, qu'il faut beaucoup de réserve dans cette discussion. Mais puisque l'ordonnance va paraître, comme vous l'a dit M. le ministre de l'intérieur, s'il n'est pas fait une exception pour la Belgique, je crois que le ministère est armé d'une loi (la loi du tarif de 1822), au moyen de laquelle il peut prendre des mesures de représailles.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si la session est close en Belgique.

M. Rodenbach. - Oui. Je la suppose close ; car sous peu de jours la chambre ne sera plus en nombre ; il lui sera difficile de terminer les lois dont elle a commencé l'examen. Je ne suppose pas que la chambre reste réunie au-delà du 15 ou du 20 de ce mois. (Ce que j'en dis n'est pas pour moi-même ; car je ne suis jamais un des premiers à partir). Je dis donc que lorsque les chambres se seront séparées, le gouvernement, armé de la loi du tarif de 1822, pourra recourir à des mesures de représailles, si la France prend des mesures qui tendent à ruiner la principale industrie des deux Flandres. Si le ministère ne le fait pas, nous serons forcés de prendre les mesures nécessaires pour qu'une loi soit votée par les chambres.

M. Desmet. - Je suis de l'opinion de l'honorable M. Dumortier qu'il faut agir avec réserve pour tout ce qui concerne le tarif des douanes, surtout peut-être quand il s'agit d'un pays voisin avec lequel nous avons des liaisons de commerce assez étendues. Mais je ferai cependant observer que notre réserve dure un peu longtemps, puisqu'elle n'a pas eu d'effet favorable pour nous. Depuis quelques années, nous avons fait de grandes concessions en faveur de la France et continuellement elle agit contre nous dans les modifications qu'elle porte à son tarif ; et aujourd'hui encore la mesure qu'elle va prendre sur les fils de toile, ce sera encore une fois la Belgique qui en pâtira le plus car, quoiqu'on dise que la majoration des droits est surtout dirigée contre les marchandises anglaises, ne doutez pas cependant que ce ne soient nos toiles qui soient le plus atteintes. Ne soyons pas toujours dupes, et quand nous voyons que tous nos voisins prennent des mesures de protection pour leur industrie, faisons, pour l'amour de Dieu, de même et ayons au moins l’adresse de conserver notre propre marché.

Et quand on espère que dans la mesure que le gouvernement français va prendre comme il l'a promis à la chambre des députés, la Belgique sera plus ou moins exemptée, je ne pourrai jamais partager cet espoir ; car je ne vois pas qu'il soit possible, sans qu'il y ait un traité particulier de commerce, qu'un droit différentiel serait établi exceptionnellement en faveur d'une nation, et je ne doute aucunement de la majoration des droits que le gouvernement français va décréter ne frappe la Belgique comme l'Angleterre et tous les autres pays. Nous sommes donc à la veille de voir arriver une mesure douanière, de la part de la France, qui va faire un tort immense à notre industrie linière. Je pense donc que le gouvernement sentira comme nous tout le mal que la mesure projetée en France va faire au commerce et à la principale industrie du pays, et que si elle a lieu, il ne tardera pas à prendre des mesures de représailles, et à faire en sorte de conserver au moins à la Belgique son marché intérieur. Je pense qu'il ne laissera pas le pays dans cette situation de dupe qu'il a depuis plusieurs années et à son grand détriment.

Plusieurs membres. - L'ordre du jour !

M. Delehaye**.** - Je conçois très bien que la chambre désire aborder son ordre du jour. Je me bornerai donc à dire que je crois que, par considération pour l'Angleterre, le gouvernement français ne nous accordera pas l'exception que nous demandons, parce que, pour obtenir ces concessions nous aurions dû prendre des mesures préliminaires à toute négociation. Je tiendrai compte au gouvernement de sa bonne volonté, mais cela ne suffit point. Quoi qu’il en soit, comme je ne veux pas qu'on me reproche de ne pas avoir prévu le résultat de nos négociations, je tiens à déclarer qu'elles n'amèneront rien de favorable. Ce que dit M. le ministre ne tend qu'à nous éblouir sur notre position et à ajourner toute explication. L'exception qu'on veut demander à la France serait une déclaration de guerre commerciale à l'Angleterre.

Il n'y a pas d'exemple de pareille mesure. En parler est une duperie de plus. Comme je veux y rester étranger, je suis fort aise de faire cette déclaration. Il y avait un moyen de réussir. C'était d'admettre vis-à-vis de l'Angleterre des mesures à peu près analogues à celles que la France veut prendre elle-même, d'y joindre d'autres que j'ai indiquées dans le temps et sur lesquelles pour le moment, par prudence, je garderai le silence. Jusque-là, messieurs, toute négociation est inutile :, et fonder sur cela quelque espoir, c'est bien peu tenir compte du passé.

M. de Mérode. - Je ne puis concevoir à quoi servent les interpellations de l'honorable M. Delehaye. Il dit que le gouvernement ne peut rien obtenir. Alors que demandez-vous ? Vous concevez que la France ne peut laisser ruiner son industrie par celle de l'Angleterre. Mais vous êtes un petit pays. La France peut faire pour vous ce qu'elle ne fera pas pour l'Angleterre. Quant à moi, je ne partage pas l'opinion de l'honorable M. Delehaye.

M. Delehaye. - J'ai dit que vous n'obtiendriez rien de la France, dans l'état où sont les choses. Mais je l'ai dit parce qu'on n'agit pas avec assez d'énergie, parce qu'on recule devant les mesures à prendre.

Je crois que l'avenir de la Belgique peut être brillant ; mais pour cela, il faut que nos intérêts soient défendus par des hommes plus énergiques que ne le sont nos ministres.

S'il en était ainsi, je ne désespérerais pas de l'avenir de la Belgique. Mais j'en désespère, alors que depuis dix ans la France n'a cessé de modifier son tarif à notre détriment sans que jamais nous n'ayons osé lui répondre sur un pied de parfaite réciprocité. Messieurs, il y avait moyen de prévenir le coup terrible qui nous menace depuis longtemps, nous aurions dû nous conserver la faculté de faire des concessions à la France ; nous avons tout accordé, aujourd'hui quel avantage accorderions-nous encore à ce pays ? Qu'a-t-il désiré qu'il n'ait aussitôt obtenu !

Messieurs, que la France ne nous en veuille pas directement, je me plais à le croire, mais ces coups, pour partir à l'adresse de l’Angleterre, n'en sont pas moins durs pour nous.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La seule mesure douanière dénotant quelque énergie, pour me servir de l'expression de l'honorable M. Delehaye, a été prise par le ministère actuel ; c'est l'arrêté du 26 juillet dernier, convertie en disposition législative par la loi du 25 février de cette année.

Quoi qu'il en soit, il est possible que l'ordonnance soit prise, sans exception en faveur de la Belgique. Il se pourrait que l'honorable M. Delehaye se trouvât avoir raison par l'évènement. Mais toujours est-il que nous n'en sommes pas là, et qu'il faut attendre.

M. d’Huart. - Il y a des précédents pour l'exception.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La tentative n'est pas un leurre de la part du gouvernement belge. La possibilité de l'exception a été supposée par le gouvernement français lui-même. C'est dans cette supposition que nous avons ouvert avec lui une négociation spéciale.

M. Dubus (aîné) remplace M. Fallon au fauteuil.

Projet de loi apportant des modifications à la loi communale, en ce qui concerne les bourgmestres

Discussion des articles

Article 2

M. le président. - La discussion continue sur l'art. 2 ainsi conçu :

« Art. 2. (Projet du gouvernement). La mention du bourgmestre est retranchée de l'art. 56, et il est placé en tête de cet article la disposition suivante :

« Le Roi peut suspendre ou révoquer le bourgmestre. »

« Art. 2. (Projet de la section centrale). La disposition suivante est placée en tête de l'art. 56. « Le Roi peut suspendre ou révoquer le bourgmestre. » La mention du bourgmestre est retranchée du même article.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - En déposant l'amendement dont il s'agit, j'ai déjà fait connaître à la chambre quels sont ce qu'on peut appeler les précédents de la question. Néanmoins, je crois devoir en peu de mots y revenir.

On a paru croire dans la séance de samedi que cet amendement se rattachait si intimement au système de M. Malou, que ce système étant maintenant rejeté, l'amendement vient à tomber, c'est là une erreur.

Cette proposition ne se rattache pas aussi intimement au système qu'avait proposé l'honorable M. Malou ; il n'en fait pas partie intégrante, si je puis m’exprimer ainsi.

Je vais maintenant, messieurs, considérer la proposition dans ses rapports avec la seule proposition à laquelle cet amendement se rattache.

Il y a eu, messieurs, dans les longues discussions qui ont précédé l'adoption de la loi du 30 mars 1836, deux phases. Dans la première phase on avait adopté la proposition accordant au Roi le choix du bourgmestre, soit dans le conseil, soit hors du conseil. On avait également adopté la proposition accordant au Roi le droit de révocation du bourgmestre. Dans la seconde phase de la discussion, la proposition qui accordait au Roi le droit de nommer le bourgmestre hors du conseil a été rejetée ou abandonnée, et c'est dans cette seconde phase de la discussion que l'on a adopté l'art. 56 actuel. Je vais, messieurs, entrer dans quelques détails sur ces faits.

Le droit de choisir le bourgmestre hors du conseil a été deux fois adopté par la chambre, le 13 mars 1835, et le 17 mai 1835. C'est la proposition que nous avons adoptée dans la séance de samedi dernier, en nous servant même d'expressions plus étendues que celles dont on se servait alors.

Le premier projet présenté par le gouvernement en 1835, consacrait le principe de la révocation des bourgmestres et des échevins par le Roi. On mettait, remarquez-le bien, messieurs, le bourgmestre et les échevins sur la même ligne quant à la révocation ; on ne faisait aucune distinction. La section centrale a adopté la proposition sans faire de distinction. Toutefois elle faisait remarquer dans son rapport que la proposition n'avait été adoptée quant aux échevins qu'après de vives discussions et à la majorité, je crois, de quatre voix contre deux.

Je le répète donc, aucune distinction n'était faite jusque-là ; quant à la révocation on plaçait le bourgmestre et les échevins sur la même ligne, les uns et les autres étaient à la révocation du Roi.

La distinction a été proposée pour la première fois dans la séance du 29 juillet 1834. C'est l'honorable M. de Theux qui a pense qu’il y avait lieu de distinguer entre la révocation des échevins et celle des bourgmestres ; que la révocation du bourgmestre devait appartenir au Roi sans restriction ; mais que, quant à la révocation des échevins, elle devait être prononcée par la députation permanente et notifiée par le gouverneur comme président de cette députation.

Cette distinction, messieurs, a été à cette époque vivement combattue par MM. les ministres de la justice et de l’intérieur d'alors ; ils ont pensé qu'il ne fallait pas faire de distinction : que le Roi devait avoir la révocation du bourgmestre et des échevins, et qu'il fallait placer ces agents sur la même ligne. La distinction a été néanmoins admise, et la chambre a adopté à la majorité de 52 voix contre 15, un amendement accordant au Roi la révocation du bourgmestre et réservant à la députation celle des échevins.

Ainsi, messieurs, si nous rapprochons les deux questions que je posais tout à l'heure, l'une qui concerne la nomination, l'autre la révocation, voilà quelle était, après ce vote, la situation où nous nous trouvions : le Roi avait le droit de choisir le bourgmestre soit hors du conseil, soit dans le conseil ; il avait la révocation du bourgmestre, et on réservait celle des échevins à la députation.

Eh bien, messieurs, c’est à cet état de choses qu'il s'agit aujourd'hui de revenir.

Au commencement de février 1836, la faculté accordée précédemment au Roi de nommer le bourgmestre hors du conseil a été rejetée ou abandonnée ; on s'est placé dans le système d'après lequel le bourgmestre devait être choisi exclusivement dans le conseil. C'est alors, messieurs, c'est dans ce second système, dans cette seconde phase de la discussion, que l'honorable M. Gendebien a proposé l'amendement qui est devenu l'art. 56 de la loi du 30 mars 1836. On a supposé, messieurs, que le bourgmestre et les échevins étant placés sur la même ligne quant à la nomination, il fallait aussi qu'ils le fussent quant à la révocation ; et ne voulant pas donner au Roi la révocation des échevins, on a été amené à dénier également au Roi la révocation du bourgmestre. Voilà, messieurs, comment les choses se sont passées.

La marche des discussions a donc été celle-ci : D'abord le gouvernement a réclamé le droit de révoquer les bourgmestres et les échevins ; on luttait alors pour la conservation de ce double droit. Une discussion a été proposée par l'honorable M. de Theux, le 20 juillet 1834 ; cette discussion, bien que combattue par M. le ministre de l'intérieur et M. le ministre la justice d'alors, a été admise par la chambre. Il a été décidé à une majorité imposante, 52 voix contre 15, que le Roi aurait la révocation du bourgmestre et que la députation aurait celle des échevins. Quand la chambre s'est trouvée placée dans un autre système, celui d'après lequel le Roi doit nécessairement choisir dans tous les cas le bourgmestre dans le conseil, quand cette nouvelle phase a été ouverte, la chambre a admis l'article 56. Cette nouvelle phase, nous en sommes sortis par le vote de samedi et nous sommes rentrés dans la première phase de la discussion.

Nous ne vous demandons pas autant ce que demandaient M. le ministre de l'intérieur et M. le ministre de la justice en juillet 1834 ; nous vous demandons de rétablir la distinction faite à cette époque et d'accorder de nouveau au gouvernement, comme on l'accordait alors, le droit de révocation du bourgmestre, en laissant subsister quant aux échevins l'art. 56.

M. Dumortier. - Messieurs, M. le ministre vient de vous exposer l'historique des votes de la chambre, relativement à la question de la suspension et de la révocation des bourgmestres. Mais il n'a traité qu'une partie, à mes yeux assez minime, de cette question, celle de savoir quelle est l’autorité qui révoquera le bourgmestre et les échevins.

Pour mon compte, si l'on veut aujourd'hui modifier la loi communale en ce sens que c'est le Roi qui prononcera la révocation ou la suspension du bourgmestre dans les termes de l'art. 56, je suis prêt à y donner mon assentiment ; dès l'instant que vous admettez que c'est le Roi qui nomme, je veux bien également que ce soit le Roi qui révoque ou suspende le bourgmestre.

Mais là, messieurs, n'est pas la question. A mes yeux la question est de savoir quelles seront les conditions imposées à la révocation ou à la suspension. Faut-il que la révocation ou la suspension ait lieu de plein droit sans devoir la justifier par aucun motif ? Faut-il, au contraire, que la loi désigne les motifs pour lesquels la révocation ou la suspension peut être prononcée ? Là, messieurs, est toute la question à mes yeux.

Or, remarquez-le bien, la chambre a toujours décidé que la révocation ou la suspension ne pourraient être exercées que pour inconduite notoire ou pour négligence grave. Voilà, messieurs, ce que portaient les anciens règlements du roi Guillaume ; voilà ce que porte l'art. 56 de la loi communale. Si, messieurs, vous jetez les yeux sur les anciens règlements des villes du plat pays sous le roi Guillaume, vous verrez que c'est ainsi que la révocation était donnée au gouvernement ; les expressions que nous avons employées, c'est dans ces règlements que nous les avons prises. Je pense qu'il n'est pas dans l'intention de la législature de faire ici une loi qui pressure les fonctionnaires davantage qu’ils ne l'étaient sous le roi des Pays-Bas, alors que les réclamations de tout le pays s'élevaient contre les mesures de compression d'alors.

Messieurs, remarquez, je vous prie, la différence de système.

Sous le système de l'honorable M. Malou, je concevrais que l'on demandât la révocation ou la suspension pure et simple du bourgmestre. Car alors le bourgmestre était nommé à vie ; il était en dehors du conseil et par conséquent il n'y avait pas pour lui de sortie périodique. Dès lors il était nécessaire que le gouvernement pût mettre un jour un terme à ses fonctions ; car on ne peut prétendre qu'un homme qui a 70, 80 ou 90 ans, reste bourgmestre. Dans ce cas il n'y avait qu'un seul moyen : la révocation ou la suspension par le gouvernement.

Mais ce système a été écarté ; il ne peut plus se présenter. Vous êtes rentrés, sauf une modification, dans les termes de la loi communale elle-même. Aujourd'hui le bourgmestre sera pris dans le sein du conseil ; il pourra être pris en dehors ; mais comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, ce sera une très rare exception ; il s'agit bien plutôt ici d'une menace adressée aux électeurs qui voudraient éliminer un bourgmestre.

En général donc le bourgmestre aura un mandat limité, il ne durera que six années ou huit années dans la supposition de l'adoption de l'amendement de M. de Theux. Dès lors, je ne puis comprendre pour quel motif nous irions donner au gouvernement un droit de révocation ou de suspension qui ne serait justifié par rien, qui ne serait pas en harmonie avec la loi que vous faites et qui serait une violence bien plus grande que celle qui existait sous le gouvernement précédent.

Je le répète, et j'appelle l'attention de la chambre sur ce point, d'après les règlements du roi Guillaume, règlements que le pays avait réprouvés, le bourgmestre ne pouvait être révoqué de ses fonctions que pour les cas indiqués par l'art. 56 de la loi communale. Cependant alors il y avait de la police et l'administration marchait.

Pourquoi donc voulez-vous maintenant aller beaucoup au-delà du système du roi Guillaume lui-même ? Remarquez que l'on ne peut citer aucune espèce de motif pour changer ce qui existe. Si vous consultez l'histoire du pays, vous voyez qu'on n'a jamais, comme en Belgique, de système semblable à celui qu'on propose. C'était un axiome en Belgique, que quand le souverain nommait un simple sergent, il nommait son maître. Pourquoi ? Parce que dès qu'il l'avait nommé, il n'avait plus le droit de le révoquer ou de le suspendre, si ce n'est conformément aux prescriptions de la loi. Et l'on propose ici une disposition qui permettrait au gouvernement de révoquer ou de suspendre les bourgmestre sans aucune espèce de motif, avec l'arbitraire le plus grand, le plus illimité !

Messieurs, dans une séance précédente, M. le ministre de l'intérieur, en répondant au discours, que j'avais prononcé, a dit que dans le temps, j'avais été prophète et que mes prophéties ne s'étaient pas réalisées. Si M. le ministre de l'intérieur entend appliquer ce que j'ai dit dans la première discussion à ce qui concerne la nomination des bourgmestres, alors je ne conteste pas que je me serais trompé, mais lorsqu'en 1834 j'ai dit que le système proposé mettrait les élections entre les mains du gouvernement, j'ai surtout parlé du droit de révocation et de suspension, qui serait l'épée de Damoclès suspendue constamment sur la tête des magistrats municipaux. Eh bien, la chambre a toujours repoussé ce droit comme une chose anti-nationale ; ce droit n'a pas même existé sous l'ancien gouvernement avec l'extension qu'on veut lui donner aujourd'hui. En vérité, ce serait l'épée de Damoclès suspendue en permanence sur la tête des magistrats municipaux. Lorsque le jour des élections viendrait et qu'on ne trouverait pas les agents communaux assez complaisants, on aura soin de faire usage de ce droit ; on menacera alors de la révocation ou de la suspension tous les bourgmestres qui ne voudront pas se montrer dans les élections les agents serviles du gouvernement, qui ne voudront pas consentir à fausser la représentation nationale.

J'avais donc raison de dire, messieurs, que l'article qui nous occupe est de la plus haute importance, de la plus haute gravité. J'insiste sur ces considérations et je vous adjure de ne pas accueillir la disposition qui nous est soumise. Cette disposition est d'ailleurs inutile aujourd'hui, puisque la proposition principale à laquelle elle se rattachait a été rejetée et ne peut plus être représentée. Nous ne pouvons maintenant accorder au gouvernement que le droit de révoquer ou de suspendre les bourgmestres qui seraient pris en dehors du conseil ; mais quant aux autres, nous devons maintenir la législation actuelle. Je ne donnerai donc pas mon assentiment à la proposition qui nous consacrerait un arbitraire inconnu en Belgique, même sous l'ancien gouvernement.

(Moniteur belge n°159, du 8 juin 1842) M. Verhaegen. - Je partage l'avis de l'honorable M. Dumortier quant à la nécessité de donner les motifs à la révocation ou à la suspension, dans les limites tracées par l'art. 56 ; cela est en tous points conformes aux anciens règlements hollandais, mais en même temps je suis d'avis (et je pense que l'honorable membre partage mon opinion sur ce point ; du moins la dernière phrase de son discours me le fait croire) que le droit de révocation et de suspension sans l'avis conforme de la députation ne peut être donné au gouvernement qu'autant que le bourgmestre aura été pris en dehors du conseil. C'est là, messieurs, la véritable thèse, et cette thèse, je vais l'établir, est celle de M. le ministre de l'intérieur, non pas de M. le ministre de l'intérieur dans ce qu'il a dit aujourd'hui et à quelques séances précédentes, mais de M. le ministre de l'intérieur dans ce qu'il a dit à la séance du 14 mai. Pour le prouver, je prendrai le Moniteur. Messieurs, j'attache fort peu d'importance dans le moment à ce qui s'est passé en 1834 et en 1835, et je ne reviendrai pas maintenant à ces discussions ; nous en avons fait emploi dans d'autres instants lorsqu'il s'agissait de la question principale. Nous avons succombé alors dans notre système, et aujourd'hui que nous avons succombé on invoque contre nous ces mêmes discussions ; c'est trop commode d'en user ainsi. Sur le point principal, M. le ministre de l'intérieur ne voulait pas qu'on invoquât la discussion de 1834 et de 1835, et aujourd'hui qu'il a obtenu ce point principal, il revient, lui, à cette discussion de 1834 et de 1835 pour y puiser des arguments relativement à une question secondaire. Je sais bien du reste qu'en 1834 et 1835 il y a eu, à cet égard, différence d'opinion, mais en 1836, on a compris que l'on avait eu tort et l'on a accueilli à une assez grande majorité aussi, puisque l'on parle de grande majorité, l'amendement de l'honorable M. Gendebien ; c'est cet amendement qui fait l'art. 56 de la loi, et c'est cet amendement qui doit encore suffire ; mais aujourd'hui, en mettant à côté de la règle, une exception commandée par le vote de l'amendement dont nous devons subir les conséquences, je m'efforcerai, moi, à vous représenter les phases de la discussion actuelle, et quoique M. le ministre de l'intérieur attache fort peu d'importance au Moniteur, c'est encore au Moniteur que je vais avoir recours.

Vous vous rappelez, messieurs, le projet primitif de M. le ministre de l’intérieur. Ce projet était excessivement simple, car ses motifs portaient qu'il ne fallait faire qu'un très petit changement à la loi communale, que tout le reste était maintenu ; d'après ce projet il ne s'agissait tout bonnement que de donner au Roi la nomination du bourgmestre en dehors du conseil pour des motifs graves et la députation permanente du conseil provincial entendue.

C'était là la seule modification que demandait M. le ministre de l'intérieur ; il n'en voulait point d'autre. La section centrale s'occupe de ce projet et elle aussi, y attache fort peu d'importance, comme j'ai déjà eu l’honneur de le faire remarquer, d'après le rapport de l'honorable M. de Theux, que je tiens ici en main ; la section centrale adopte le projet sauf qu’elle retranche les motifs graves et l'avis de la députation. Voilà la deuxième phase de la discussion. M. le ministre de l'intérieur se rallie au projet de la section centrale ; il avoue qu'il ne pense plus qu'il faille des motifs graves ni qu'il faille entendre la députation du conseil provincial ; on lui a fait voir qu'il avait tort, il renonce à son projet et adopte le projet de la section centrale.

Mais cette observation qui avait été faite dans la section centrale fit faire des réflexions à M. le ministre ; on avait proposé beaucoup plus que ce qu'il avait demandé, et de son côté il voit le moyen de renforcer encore davantage le pouvoir central. C'est alors qu'ouvrant la discussion sur le projet de loi dont nous nous occupons, M. le ministre de l’intérieur, en nous disant qu’il se rallie au projet de la section centrale, nous fait connaître l’intention qu'il a de proposer encore un petit article quant à la révocation et à la suspension des bourgmestres ; mais remarquez-le bien, l’article qu'il nous propose n’est que pour le cas ou le principe de la nomination, tel qu’il vient d'être adopté par la section centrale, sera définitivement accueilli par la chambre.

Je sais bien que l’on me répondra encore que le Moniteur ne fait rien, que ce que l’on a dit précédemment ne fait rien. Qu'on s'éclaire tous les jours de plus en plus. Je sais bien que c'est là l’observation banale de M. le ministre de l'intérieur, mais il m'importe à moi messieurs, de vous faire voir ce que M. le ministre a voulu, ce qui était dans son intention et de quelle manière il avait circonscrit la question ; dans la séance du 12 mai, M. le ministre de l'intérieur s'explique ainsi :

« M. le président, je me rallie à la rédaction de la section centrale, je proposerai cependant une addition en ce qui concerne la révocation du bourgmestre. Le bourgmestre pourra être révoqué par le Roi si le principe de la nomination par le Roi est admis ; cette addition est donc subordonnée à l’admission du principe.»

Divers amendements furent alors présentés par des membres de la chambre. Tout cela est renvoyé a la section centrale, et dans la séance du 14 mai, deux jours après, M. le ministre s'exprime de la manière suivante :

« Le Roi peut suspendre ou révoquer le bourgmestre ; je regarde, messieurs, cet article comme une conséquence de l’adoption du principe de la nomination du bourgmestre par le Roi. »

Ainsi, ce n'était qu'hypothétiquement, pour le cas où la proposition principale serait admise, que M. le ministre de l'intérieur, proposait un nouvel article, ayant pour objet de donner au Roi la révocation et la suspension des bourgmestres.

Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur si l’art. 1, relatif à la nomination, avait été rejeté, quel serait le sens de son article relatif à la révocation et à la suspension ? D'après ce qu'il a dit, il aurait dû, dans ce cas, le retirer, car si le principe qui avait été posé n'avait pas été admis, la révocation, qui n'était qu'une conséquence de ce principe, devait nécessairement tomber. Cela m'avait frappé. Je me rappelle fort bien avoir fait une interpellation. J'ai demandé : Est-ce pour tous les cas que vous faites cette proposition ou bien le droit que vous voulez donner au Roi ne lui sera-t-il accordé que si le principe de la nomination est admis ? Je pense que M. le ministre m'a répondu : Je ne présente l’article, quant au droit de révocation, que pour autant que le principe passe. D'où la conséquence que si le principe avait été écarté, le ministre ne pouvait plus insister sur la révocation ou la suspension.

Eh bien, il est tout aussi logique de dire au ministre qu'alors que le principe de la nomination lui échappe dans un cas, la révocation doit aussi lui échapper dans ce cas. Si le principe entier n'avait pu été admis, le principe entier, quant à la révocation, disparaissait. Maintenant le principe subsiste que le ROI peut nommer en dehors du conseil. J’admets la révocation et la suspension dans ce cas. Mais lorsque le Roi nomme dans le conseil, alors, d'après votre propre raisonnement, vous ne pouvez plus appliquer le principe de la révocation, car vous n’avez demandé ce principe que comme un corollaire du principe de la nomination.

Messieurs, les choses doivent se défaire de la même manière qu'elles se sont faites. Je comprends fort bien qu'alors que le Roi nomme hors du conseil, c’est sa seule volonté qui fait le bourgmestre ; je comprends, dis-je, que ce soit aussi sa seule volonté qui le révoque. Mais quand le principe électif concourt, quand le Roi nomme le bourgmestre, et que le bourgmestre nommé dans le conseil est le résultat de l'élection du peuple et de la nomination du Roi, ce bourgmestre, qui, si je puis m'exprimer ainsi, a reçu un double baptême électoral, celui des électeurs et celui du pouvoir exécutif, il faut que l'un et l'autre élément concourent pour sa révocation ; il faut donc que la députation permanente du conseil provincial soit entendue, et que la révocation ne puisse être prononcée que sur l'avis conforme de la députation. Voilà comment les choses doivent se passer, si vous voulez qu'elles se passent régulièrement ; et voilà surtout comment elles doivent se passer, pour que M. le ministre de l'intérieur ne soit pas en contradiction avec lui-même.

Je ne m'inquiète nullement, je le répète, de ce qui a été fait en 1834 et 1835 ; je m'en tiens, quant aux discussions antérieures à l'amendement de l'honorable M. Gendebien ; je pense qu'à cette époque, M. Gendebien a fait valoir les raisons que je viens de développer, et que la chambre s'est rendue à ces raisons et a adopté le principe que notre ancien collège désirait voir proclamer.

Voyez, d'ailleurs, messieurs, les inconvénients graves qui résulteraient d'un système contraire.

Un bourgmestre est nommé dans le conseil ; il est nommé dans le conseil, parce que le gouvernement aura voulu subir le principe général qu’il nous annonçait encore samedi devoir être sa règle de conduite ; il n'aura pas voulu froisser le conseil, froisser le principe électif ; et il viendra révoquer ce bourgmestre, sans que le principe électif y soit pour quelque chose. Mais ce sera là un motif d'irritation continuelle, et qui fera que la position du nouveau bourgmestre ne sera pas tenable. Vous destituerez le bourgmestre que vous aurez pris dans le conseil, sans consulter la députation permanente ; vous le destituerez, et vous ne pouvez pas faire que ce bourgmestre destitué ne reste au sein du conseil ; il demeurera là comme une protestation contre l'acte posé par le gouvernement ; cet homme, auquel vous aurez ôté le caractère de bourgmestre, ne cessera pas d'être le bourgmestre de fait dans le sein du conseil communal, et celui que vous aurez placé à côté de lui recevra, comme je l'ai déjà dit, le nom d'anti-bourgmestre. Mais si la révocation ne se prononce que sur l'avis conforme de la députation permanente, cette mesure inspirera du respect au conseil.

Il y a d'ailleurs cette considération sur laquelle je ne puis me dispenser de revenir encore. Dans le système du gouvernement sur la question actuelle, ce n'est déjà plus au principe électif communal seul qu’on fait la guerre, on s'attaque déjà au principe électif provincial, car maintenant on n'a plus de confiance dans la députation permanente, on rejette l'avis de la députation, et quoique, dans une séance précédente, l'on ait protesté contre l'idée d'envahissement, en réduisant tout ce dont il s'agit à la commune ; voilà qu'on est déjà arrivé à la province, et cependant, messieurs, nous ne pouvons nous dispenser de le dire encore, toutes nos institutions sont basées sur le principe électif ; non seulement la commune, non seulement la province, non seulement les chambres, mais le congrès, mais la constitution, mais le pouvoir royal lui-même est basé sur le principe électif, et c’est au principe électif qu'on fait la guerre.

Autre considération : on ne veut pas même que le gouvernement soit obligé de donner des motifs ; il aura son libre arbitre. Eh bien, de cette manière, non seulement le bourgmestre sera, dans des circonstances spéciales, un agent actif d'élection, mais il pourra arriver, messieurs, que la représentation nationale elle-même soit faussée dans son principe. Ainsi, si des bourgmestres qui siégent dans cette enceinte ne suivaient pas aveuglément l'impulsion gouvernementale, le gouvernement pourrait les révoquer ou les suspendre, sans donner aucun motif de cette révocation ou de cette suspension.

Mais, messieurs, je vois arriver le moment, je suis au regret de le dire, où il n'y aura plus dans cette chambre et dans l'autre que des fonctionnaires révocables par le gouvernement ; nous y verrons non seulement des gouverneurs et des commissaires de district, mais toute cette masse de bourgmestres révocables d'après le bon plaisir du gouvernement. Autant vaut dire qu'il n 'y aura plus de représentation nationale.

Je vous annonce dès à présent que, pour autant qu'il puisse y avoir doute sur une disposition constitutionnelle, avant de finir, je proposerai une disposition additionnelle, pour que les membres de cette chambre qui seraient nommés bourgmestres soient soumis à la réélection. C'est une disposition nécessaire, si on ne veut pas que la représentation nationale soit anéantie.

En terminant, je déclare m'en tenir à l'art. 56 dans le cas où le bourgmestre serait pris dans le sein du conseil. J'ajoute à cet égard l'opinion du ministre lui-même qui a déclaré qu'il n'a présenté la disposition additionnelle dont il s'agît que pour autant que le principe posé de la nomination du bourgmestre en dehors du conseil serait adopté. Or, ce qui est vrai pour le tout est vrai pour la partie. Je demande donc que la révocation ne puisse être prononcée que conformément à l'art. 56, quand le bourgmestre est pris dans le sein du conseil. C'est dans ce sens qu'avait parlé mon honorable ami, M. Orts, et c'est probablement dans ce sens aussi qu'il formulera son amendement.

(Moniteur belge n°158, du 7 juin 1842) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - Il est très vrai que j'ai dit que l'addition que je proposais n'était que dans la supposition de l'adoption de la proposition principale, mais je crois que l'honorable préopinant a été trop loin en scrutant mes intentions au point de supposer que la révocation du bourgmestre ne pourrait être accordée au Roi que pour le seul cas où le bourgmestre serait choisi en dehors du conseil. C’est donner à mes paroles une portée qu'elles n'avaient pas. D'ailleurs, l'explication de ma pensée se trouve dans ma proposition telle que je l'ai formulée. J'ai demandé pour le Roi la révocation du bourgmestre dans tous les cas. Je n'ai pas limité cette faculté au seul cas du bourgmestre nommé hors du conseil. Si l'honorable membre a pu être un jour dans l'incertitude sur mes intentions, il a dû être détrompé quand le 14 de ce mois, j'ai soumis mon amendement à la chambre.

Je ne crois donc pas être en contradiction avec moi-même. J’ai eu le soin d'expliquer le sens de mes paroles. L'honorable membre pense que dans le système du vote de samedi dernier, la révocation ne peut être accordée que pour le cas où le bourgmestre est choisi hors du conseil. Je dis qu'il faut ou revenir à l'art. 56 tel qu'il est rédigé, ou accorder au Roi la révocation du bourgmestre dans tous les cas. C'est ce que je vais chercher à établir.

L'honorable membre vous a rappelé, que d'après les déclarations que j'ai faites, il n'entrait pas dans les intentions du ministère d'user d'une manière générale de la faculté de choisir le bourgmestre hors du conseil, que ce ne serait que pour des circonstances particulières, pour des cas graves.

Voyez, messieurs, ce que vous faites, si vous accordez un droit extraordinaire au Roi pour le seul cas où le gouvernement aura fait usage de la faculté extraordinaire que vous avez accordée quant à la nomination. Mais c'est vraiment dire au gouvernement : Il faut autant que possible choisir hors du conseil, parce que chaque fois que nous nommons le bourgmestre hors du conseil, vous vous procurez l'usage d'un droit nouveau qui est la révocation. Si vous le choisissez dans le conseil, si vous usez avec modération du droit de le choisir hors du conseil, vous ne pouvez pas le révoquer. Choisissez hors du conseil, dès lors vous obtenez le droit de révocation. Je dis que c'est exposer le gouvernement à la tentation d'user le plus souvent qu'il pourra de la faculté de choisir le bourgmestre hors du conseil. C’est l'exposer à cette tentation, puisque pour ce cas vous lui accordez un droit extraordinaire, celui de la révocation.

Ainsi limiter le droit de révocation, en cas où le bourgmestre est choisi hors du conseil, c'est dire indirectement au gouvernement : Choisissez-le hors du conseil, car pour ce cas et ce cas seul, vous aurez le droit de révocation.

Il y a, messieurs, une autre considération qui ne doit pas vous échapper. On nous a dit sans cesse dans cette discussion que la nomination du bourgmestre hors du conseil rendrait sa position fausse, très fausse. C'est pour la rendre plus fausse encore qu'on veut soumettre le bourgmestre choisi hors du conseil à un droit extraordinaire de révocation. Vous aurez, dit-on, beaucoup de peine à trouver des hommes qui, n'étant pas membres du conseil, voudront être bourgmestre. C'est probablement pour qu'il soit impossible d'en trouver qu'on veut créer deux genres de bourgmestre par la révocation : les uns, nommés dans le conseil, révocables par la députation permanente, les autres nommés hors du conseil, révocables par le gouvernement.

Je ne sais de quel côté sera la crainte la plus grande. Je ne crois pas que le gouvernement, depuis 1830, ait été bien prodigue de destitutions. Mais je dois pour le moment me placer dans l'ordre d'idées qui domine les préopinants. La crainte d'être destitué par le gouvernement est bien grande ! C'est l'épée de Damoclès suspendue sur la tête de tous les fonctionnaires. Je répète la figure favorite.

S'il en est ainsi, ne placez pas le bourgmestre nommé hors du conseil dans une position extraordinaire quant à la révocation ; créez un nouveau droit commun pour tous les bourgmestres, ou maintenez l'article 56, placez dans la même position tous les bourgmestres nommés soit dans le conseil, soit en dehors ; il n'y a pas de milieu. Si l'amendement de M. Dumortier devait être adopté, j'aimerais mieux qu'on s'en tînt purement et simplement à l'article 56. Mais la conséquence est immense. Cette disposition est en contradiction avec le système dans lequel nous nous trouvons. Elle pouvait se justifier jusqu'à certain point dans le deuxième système adopté en février 1836, système d'après lequel le gouvernement devait, dans tous les cas, choisir le bourgmestre dans le sein du conseil ; mais elle ne peut plus se justifier, maintenant que nous en sommes revenus au premier système, celui qui a été adopté samedi dernier, et qui donne plus de latitude au gouvernement que les votes de 1834 et 1835.

L'honorable M. Verhaegen vous dit : le gouvernement révoquera le bourgmestre choisi dans le conseil ; il le révoquera au risque de faire naître de l'irritation dans le conseil, au risque de voir le bourgmestre de fait, le bourgmestre nommé hors du conseil, qualifié d'anti-bourgmestre et de voir l'ancien bourgmestre, le bourgmestre destitué, devenir le chef de l'opposition et en quelque sorte du conseil. C'est là supposer que le gouvernement exerce ses droits d'une manière déraisonnable, c'est supposer que le gouvernement, de gaieté de cœur, révoquera le bourgmestre pris dans le conseil, dût-il s'exposer à créer une situation violente, situation qu'un gouvernement ne doit jamais rechercher.

La proposition n'a pas non plus l'immense intérêt que l'honorable membre suppose. Au mois d'octobre prochain, tous les bourgmestres se trouvent arrivés au terme de leur mandat de six années. Tous peuvent être destitués par la simple prétérition. Vous voyez que le ministère actuel est désintéressé dans la question, puisqu'au mois d'octobre prochain il aura toutes les ressources suffisantes pour faire disparaître tous les bourgmestres qui peuvent lui déplaire.

Un membre. - La loi n'est pas faite pour un jour.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On raisonne cependant comme si la loi était faite pour un jour et même pour certaines personnes données.

Je dis que l'amendement de M. Dumortier et qu'appuie M. Verhaegen, qui ne donne au Roi le droit de révoquer que le bourgmestre choisi hors du conseil n'est pas admissible. C'est faire d'une part aux bourgmestres nommés hors du conseil une position fâcheuse et d'autre part, dire au gouvernement : pour avoir le droit de révocation il faut choisir les bourgmestres hors du conseil. C'est, je le répète, exposer le gouvernement à la tentation de ne pas user de la loi avec la modération que nous devons attendre du gouvernement, n'importe quels sont les hommes qui peuvent se trouver à la tête des affaires publiques.

M. le président. - M. Dumortier vient de déposer l'amendement suivant :

« Lorsque le bourgmestre sera nommé en dehors du conseil la révocation et la suspension seront exercées de la même manière par le Roi. »

M. Dumortier. - L'amendement que je viens de déposer satisfait pleinement à l'observation fondamentale du gouvernement, que, puisque vous donnez au Roi le pouvoir illimité de nommer le bourgmestre dans la commune, vous devez lui donner également le droit de révocation et de suspension. Sous ce rapport mon amendement donne pleine et entière satisfaction non seulement au gouvernement, mais aussi à ceux qui pensent que dans aucun cas la révocation et la suspension ne peuvent être accordées dans des termes illimités, qu'il faut toujours qu'il y ait des causes, indépendamment de l'avis conforme de la députation permanente.

Messieurs, en vous parlant tout à l'heure, j'ai commis une erreur que je dois m'empresser de rectifier. Je disais que par les anciens règlements de 1825, le roi avait le droit de révoquer ou de suspendre les bourgmestres. Cela n'est pas complètement exact. Il en était ainsi dans le plat pays pour négligence grave et pour inconduite notoire. Mais dans les villes, il n'avait aucune espèce de droit de révocation ou de suspension, il devait attendre l'expiration du mandat. Voilà comment les choses se passaient avant la révolution dans ce pays. Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de personnes dans cette enceinte qui veuillent faire aux administrateurs communaux des conditions pires que sous le gouvernement précédent. Voilà un fait bien constant. Dans les villes, qui étaient bien nombreuses, c'est-à-dire ce qu'on appelait villes en Belgique, le roi n'avait aucune espèce de droit de révocation ou de suspension. Cependant il avait le droit de nommer le bourgmestre et les échevins en dehors du conseil.

Le gouvernement hollandais, qui tendait vers l'absolutisme depuis 1825, n'avait pas cru faire une inconséquence en faisant cela ; et M. le ministre de l'intérieur prétend que si nous n'accordons pas le droit qu’il réclame, nous ferons une inconséquence législative. Ce qui suffisait au roi Guillaume, ne suffirait-il plus au gouvernement actuel ! où veut-on marcher ? On veut assimiler les bourgmestres aux procureurs du roi et aux commissaires de district. Il n'y a cependant aucune similitude. Les procureurs du roi et les commissaires de district ont un mandat illimité, il faut bien qu'ils puissent être révoqués. Le bourgmestre, au contraire, reçoit un mandat à terme. Il faut le laisser courir.

D'un autre côté, les procureurs du Roi et les commissaires de districts sont amovibles, tandis que les bourgmestres et les échevins sont de leur nature inamovibles. Vous ne pouvez pas déplacer un bourgmestre, le faire passer d'une commune dans une autre. Pour les procureurs du Roi et les commissaires de district, vous avez un autre moyen que la destitution, c'est le déplacement ; vous pouvez le faire passer d'une ville dans une autre, ou d'un arrondissement dans un autre. Pour les bourgmestres, au contraire, vous n'avez que la destitution ou révocation, vous n'avez que cet acte brutal que la Belgique a toujours repoussé.

On n'a, je le répète, aucun motif pour demander ce que demande aujourd'hui. D'ailleurs remarquez-le bien, l'article 56 porte la possibilité de la révocation ou de la suspension pour négligence grave ou inconduite notoire. Je demanderai au ministre qu'il me signale un cas où l'administration puisse exiger le droit de destitution, qui soit autre chose qu'une négligence grave ou une inconduite notoire. Je pose le défi formel qu'on m'en cite un seul !

Vous ne pouvez articuler aucun motif pour destituer un agent communal, si ce n'est qu'il se soit rendu coupable de négligence grave, ou d'inconduite notoire. Hors de là il n'y a que des préoccupations politiques. Eh bien, pour ces motifs, la loi nous suffit ; si un bourgmestre se rend coupable de négligence grave ou d'inconduite notoire, vous pouvez le destituer ou le suspendre, sur l'avis conforme de la députation permanente. Pourquoi cela ? Parce qu'on n'a pas voulu que le gouvernement pût éluder les conditions mises au droit de suspension ou de révocation, parce qu'on n'a pas voulu que le gouvernement pût jamais faire des bourgmestres et des échevins des agents purement électoraux, s'il voulait tendre à l'arbitraire ; et il y tendrait, si en stipulant que la révocation et la suspension ne pourront avoir lieu que pour négligence grave et inconduite notoire, vous n'aviez pas mis la garantie de l'avis conforme de la députation. La députation est au-dessus des administrations communales ; elle a comme nous intérêt à la bonne administration du pays. Pensez-vous qu'il y ait une députation permanente qui refusât son concours au gouvernement pour la négligence grave d'un bourgmestre ! Jamais pareille chose ne peut se produire. Il est impossible qu'une députation permanente refuse son concours au gouvernement pour la révocation d'un bourgmestre qui se serait rendu coupable d'une pareille faute.

A aucune époque, si ce n'est pendant la courte période de la domination française, le gouvernement n'a eu sur les bourgmestres un droit illimité de suspension et de révocation, et après une révolution faite au non de la liberté, vous voudriez abandonner les bourgmestres, je ne dirai pas aux caprices du gouvernement, mais aux caprices d'un commissaire de district qui souvent les noircira, parce qu’ils n’auront pas voulu être ses agents dans les élections ! Ce serait l’arbitraire qu’on introduirait dans le pays. Je n’y donnerai jamais mon assentiment.

Mais, dit M. le ministre, pour avoir un droit sans limites de suspension et de révocation, le gouvernement prendra toujours le bourgmestre en dehors du conseil. Messieurs, cela est inadmissible. D’abord, je dirai qu’il faudrait supposer un gouvernement d’une perversité peu commune pour croire qu’il eût de telles intentions. Je crois trop de sagesse à M. Nothomb pour les lui supposer.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est vous qui supposez gratuitement cette perversité.

M. Dumortier. – Je dis que nous ne faisons pas une loi pour un jour. Pour moi je n’accorderai ni au ministère actuel ni à aucun ministère le droit illimité de révocation et de suspension. Quant à la supposition que le gouvernement nommerait en général le bourgmestre en dehors du conseil pour avoir sur lui un droit illimité de suspension et de révocation, je dis qu’elle n’est pas admissible. Au reste, d’après mon amendement, le bourgmestre choisi en dehors du conseil ne pourra être suspendu ou révoqué que pour inconduite notoire ou pour négligence grave, et d’après l’avis conforme de la députation permanente. Ainsi le gouvernement n’aura aucun intérêt à prendre le bourgmestre en dehors du conseil.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne comprends plus l’amendement.

L’honorable membre propose d’ajouter à l’art. 56 un paragraphe additionnel, d’après lequel le Roi pourra suspendre ou révoquer le bourgmestre choisi en dehors du conseil, sur l’avis conforme de la députation, pour inconduite notoire ou négligence grave. Je dis que cet amendement est inutile ; car le gouvernement ou le Roi, c’est ici exactement la même chose. Dans le dernier cas, il y aura un arrêté royal ; dans l’autre cas, il y aura un arrêté du gouvernement. C’est la même chose, puisque l’arrêté royal, comme l’arrêté du gouvernement, sera rendu sur l’avis conforme de la députation.

Je pense même, si j’ai bien compris, que cet amendement n’est pas d’accord avec celui de l’honorable M. Verhaegen.

Quand même on accorderait au Roi la révocation ou la suspension du bourgmestre en dehors du conseil, si l’on exige pour le droit de suspension ou de révocation l’avis de la députation permanente, je préfère que l’on maintienne l’art. 56. L’amendement de M. Dumortier n’est pas autre chose.

M. Cogels. – Après ce qui vient d’être dit par M. le ministre de l'intérieur, je n’abuserai pas longtemps de vos moments.

Je concevrais les arguments de MM. Verhaegen et Dumortier, si le deuxième projet de la section centrale avait été rejeté par la chambre, et qu’elle se fût ralliée au premier projet, adopté par le gouvernement, je crois qu’on n’a pas fait suffisamment attention à la grande différence qu’il y a entre ces deux projets.

Le premier porte :

« Néanmoins le Roi peut nommer le bourgmestre hors du conseil, parmi les électeurs de la commune. »

Ainsi, d’après le projet, la nomination en dehors du conseil était tout à fait une exception ; seulement on avait supprimé les circonstances graves Mais cependant la nomination dans le sein du conseil restait la condition générale.

Le deuxième projet de la section centrale porte, au contraire :

« Il (le Roi) nomme le bourgmestre, soit dans le sein du conseil, soit parmi les électeurs de la commune âgés de 25 ans accomplis. »

Ici liberté d’action pleine et entière pour le gouvernement. Il ne doit faire aucune attention à la condition première, c’est-à-dire à la condition que le bourgmestre soit déjà membre du conseil. Je ne sais si les honorables membres qui, comme moi, après avoir résolu affirmativement la première question, ont rejeté le 4ème paragraphe, se sont mépris sur la porté de ce vote. Pour moi, si j’avais cru par là ôter la moindre action au gouvernement, je regretterais ce rejet ; je regretterais sincèrement mon vote.

Ce que j’ai voulu, ce qu’ont voulu, je suppose, mes honorables collègues, ç’a été de ne déranger en rien l’action du gouvernement, de ne pas imposer seulement cette condition que le bourgmestre cessât de faire partie du conseil, par le fait même de sa nomination.

Après mûre réflexion, car j’ai hésité longtemps, j’ai pensé qu’il était plusieurs circonstances où il serait utile que le bourgmestre fût membre du conseil. J’ai pensé que par là nous aurions évité un des inconvénients signalés par l’honorable M. Verhaegen pour la nomination générale des bourgmestres, qui aurai dû se faire avant les élections communales, ou que dans le cas où elle aurait eu lieu après les élections, elle aurait nécessité de nouvelles élections dans toutes les communes, pour nommer un membre du conseil en remplacement du bourgmestre. Et si j’ai bien compris l’honorable M. Verhaegen, il y aurait eu aussi un grand retard dans la nomination des échevins : voilà la seule portée qu’on puisse donner à ce vote.

Dès lors, on voit que les arguments des honorables MM. Verhaegen et Dumortier par lesquels ils veulent établir que le rejet de ce paragraphe entraîne la nomination dans le conseil, viennent à tomber. Puisque le gouvernement a une liberté pleine et entière pour la nomination du bourgmestre, il doit avoir la même liberté pour sa révocation.

M. Orts. – Je renonce à la parole. Je me range à l’avis de mon honorable collège M. Dumortier.

Il faut qu’il y ait pour la révocation la même distinction que pour la nomination.

Le bourgmestre nommé dans le conseil a un double mandat ; il est conseiller communal.

Le bourgmestre nommé en dehors du conseil a voix consultative dans le conseil, et il le préside. Outre cela, une prérogative plus grave, c’est qu’il a voix délibérative dans le collège échevinal.

Il est de règle que les choses doivent se défaire de la même manière qu’elles se sont faites. Lorsque le Roi nommera le bourgmestre dans le sein du conseil, il ne pourra le dépouiller du mandat qu’il a reçu des électeurs. Voyez quels inconvénients il y aurait à donner le droit de révoquer ou de suspendre sans aucun motif, sans qu’on ait entendu la députation permanente. Les échevins qui sont les collègues du bourgmestre dans le collège échevinal ne pourraient être révoqués ou suspendus, si ce n’est pour inconduite notoire, ou pour négligence grave, et sur l’avis conforme de la députation permanente. Et il n’en serait pas de même pour le bourgmestre. Ce serait une misérable anomalie ; cela est inconséquent, et il me paraît qu’il est impossible de ne pas reconnaître un défaut d’harmonie dans le système.

Je pense donc, messieurs, qu’il y a lieu, d’abord, de rejeter tout à fait la distinction et de maintenir l’art. 56, aussi bien pour le bourgmestre nommé hors du conseil que pour le bourgmestre nommé dans le conseil. Et subsidiairement, si cette proposition n’était pas admise, je me rallierais à l’amendement que mon collègue, l'honorable M. Verhaegen, est d'intention de formuler, et en vertu duquel, lorsque le bourgmestre serait pris en dehors du conseil, le Roi aurait le droit de le révoquer sans avoir l'avis de la députation permanente.

Qu'il me soit permis maintenant de vous dire que, selon moi, c'est un véritable non-sens, lorsqu'on a entendu les protestations du ministère, de voir dans la seconde partie de la proposition admise samedi, autre chose qu'une exception à la première.

Le ministère vous l'a dit : L'intérêt du gouvernement, l'intérêt des administrés, l'intérêt de tout le monde est que la première partie de cette proposition demeure constamment la règle.

Pour moi la proposition admise samedi et qui dit : « le Roi nomme le bourgmestre soit dans le sein du conseil, soit parmi les électeurs de la commune âgés de 25 ans accomplis, » est à peu près la même chose, quant au fond, que le premier projet ministériel qui disait : « Néanmoins le Roi peut nommer le bourgmestre hors du conseil communal parmi les électeurs de la commune. » Car il est clair que le gouvernement, comme il l'a annoncé lui-même, n'usera que très rarement de la faculté de nommer le bourgmestre hors du conseil ; et comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, il est impossible de supposer que le gouvernement voudrait de préférence prendre le bourgmestre en dehors du conseil, pour se ménager le droit de pouvoir de suspendre ou de révoquer sans motifs. Jamais, je le crois, le gouvernement n'agira ainsi ; ce serait un acte odieux, et, je ne crois pas que le gouvernement soit capable de commettre un pareil abus.

M. d’Huart**.** – L’honorable préopinant, ainsi que l'honorable M. Verhaegen, ont reconnu qu'il y avait quelque chose de fort extraordinaire d'exiger que lorsqu'un bourgmestre est nommé librement par le gouvernement, et en dehors du conseil, il ne peut être révoqué ou suspendu que sur l'avis conforme de la députation permanente ; l'honorable M. Verhaegen a même annoncé un amendement à cet égard. Je crois cependant que, pour être tout à fait logique, il faudrait admettre le système de l'honorable M. Dumortier ; car entre ces deux bourgmestres, celui nommé directement par le Roi, et celui où vous trouvez le mandat électif mêlé au mandat du gouvernement, il n'y a aucune espèce de différence. Car sur quoi la révocation prononcée par le gouvernement porte-t-elle ? Mais elle porte sur les fonctions de bourgmestre, et nullement sur le mandat électif.

Le mandat qui confère les électeurs n'est pas supprimé par la révocation du mandat que retire le gouvernement ; le bourgmestre révoqué n'en fait pas moins partie du conseil communal. Vous voyez donc que, pour être conséquent, il faudrait admettre l'amendement de l'honorable M. Dumortier. Mais il y a cependant quelque chose d'extraordinaire, comme l'a fait remarquer l'honorable Verhaegen lui-même, à exiger qu'un bourgmestre nommé directement par le Roi, sans que la députation ait été entendue, ne puisse être révoqué qu'après que la députation permanente a été entendue.

Et remarquez-le bien, messieurs, le collège électoral confère des fonctions municipales à un conseiller. Mais le gouvernement confère aussi au bourgmestre d'autres attributions fort importantes ; et vous voudrez qu'il ne pût retirer ces fonctions à moins que l’élément électif l'y autorisât ! Ainsi, le gouvernement confère au bourgmestre les fonctions importantes d'officier de police judiciaire et il vous propose de charger le bourgmestre seul de ces fonctions, proposition que j’espère que vous adopterez. Et, messieurs, il ne faut pas perdre de vue cette proposition qui fait disparaître l'anomalie que l'honorable M. Orts trouvait entre la révocation libre du bourgmestre, et celle soumise à certaines conditions des échevins.

Je dis que ce serait une infraction aux vrais principes d'ôter au gouvernement la faculté de retirer librement à son mandataire chargé de la police les fonctions qu'il lui aurait conférées, alors qu'il serait jugé indigne de continuer à les remplir.

Maintenant l'honorable M. Dumortier craint, et c'est l'argument le plus sérieux qu'il vous a présenté, qu'il arrive parfois que, par caprice, ou sur un simple rapport d'un agent du gouvernement, on aille révoquer un bourgmestre. Voilà l'objection qui touche le plus l’honorable membre. Mais n'y a-t-il pas moyen de s'entendre là-dessus ; ne pourrait-on donner satisfaction à tout le monde en rédigeant ainsi la disposition :

« Le bourgmestre révoqué ou suspendu par le Roi pour inconduite notoire ou négligence grave.»

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je consens volontiers à cette rédaction.

M. d’Huart. - N'avez-vous pas par là toute satisfaction, messieurs ; croyez-vous que le gouvernement se permettra de sortir des termes de la loi ? Et dans ce cas, ne viendrez-vous pas, sentinelles avancées des libertés publiques, traduire ici de tels actes au jugement du pays ? mais enlacer le gouvernement, le subordonner à la volonté d'une députation permanente, je dis que c'est préparer peut-être des inconvénients graves.

Aujourd’hui on n'a pas à craindre ces inconvénients ; je suis persuadé que partout il y aurait accord entre le gouverneur et la députation permanente. Mais on ne sait pas ce qu'il peut arriver ; nous ne faisons pas des lois pour un jour ; il se peut qu'il y ait conflit entre les députations permanentes et les agents du gouvernement, on pourrait se trouver dans des circonstances où un bourgmestre devrait être révoqué pour des motifs qui trouveraient de l'appui dans le sein même du conseil provincial et par suite dans celui de la députation permanente. Ne raisonnons donc pas sur ce qui se passe actuellement, et prévoyons un peu davantage l'avenir.

En résumé, messieurs, je pense qu'avec les mots que je propose d'ajouter à l'article en discussion, et auxquels je viens d'entendre avec plaisir que M. le ministre de l'intérieur ne s'oppose pas, toutes les craintes doivent disparaître.

(Moniteur belge n°159, du 8 juin 1842) M. Verhaegen. - Messieurs, la divergence d'opinion résulte de ce qu'on n'est plus d'accord aujourd'hui sur un point sur lequel il semblait ne plus y avoir le moindre doute samedi, et c'est ainsi que de jour en jour nous faisons un pas de plus.

Samedi, pour faire passer le principe, voici ce que disait M. le ministre de l'intérieur : Vous avez toutes garanties dans l'intelligence et la bonne foi du gouvernement ; l'intelligence et la bonne foi du gouvernement doivent parer à tous les inconvénients que vous craignez. L'honorable M. Cogels, au contraire, vient de nous dire que ce n'est pas du tout cela ; que le gouvernement ne fera pas uniquement usage du droit de nommer en dehors du conseil pour des cas graves et par exception ; d'après lui, le gouvernement ne doit tenir compte de rien ; il doit avoir la latitude la plus complète. Selon M. Cogels, le droit que vous avez accordé au gouvernement serait la règle ; d'après M. le ministre de l'intérieur, ce serait l'exception.

Pour ceux qui ne partagent pas l'opinion de M. Cogels et qui disaient dans une séance précédente que les nominations hors du conseil seront des cas très rares, les arguments qu'il vient de donner n'ont aucun poids, et ce sont les miens qui doivent prévaloir.

Aussi, est-ce la considération que je viens de faire valoir qui répond directement à l'argument de l'honorable M. d'Huart. M. d'Huart trouve, comme M. le ministre de l'intérieur, qu'il serait extraordinaire d'avoir deux espèces de bourgmestres ; il n'y a pas de raison pour cela, dit-il ; le principe électif n'y fait rien.

Mais, messieurs, il a été admis que la nomination dans le conseil serait la règle, et que le principe électif ne serait écarté que par exception et par exception très rare, uniquement pour parer à des inconvénients, qui peuvent se présenter comme dans le cas qui a été signalé par l'honorable M. Liedts, et où il y aurait coalition, entre les membres d'un conseil, pour que personne ne pût accepter les fonctions de bourgmestre ; alors ce serait en quelque sorte une peine que le gouvernement infligerait à ce conseil en prenant le bourgmestre en dehors de son sein. Il ne s'agit donc pas de bourgmestres de deux espèces ; il n'y a dans la règle qu'un bourgmestre qui tient son mandat et des électeurs et du Roi. Et il le tient des électeurs et du Roi, parce qu'il gère non seulement les intérêts généraux, mais aussi les intérêts communaux.

Veuillez bien faire attention que ce n'est pas sur des mots que je m'appuie, mais que c'est sur les choses. Le bourgmestre soigne les intérêts communaux, comme les intérêts généraux ; pour gérer les intérêts communaux, il doit avoir un mandat du peuple, un mandat de la commune. Et vous allez donner au gouvernement le droit de lui enlever non seulement le mandat qu'il tient de lui mais aussi le mandat de la commune : Or, comment voulez-vous que le gouvernement, qui lui a donné un mandat pour gérer les intérêts généraux, révoque en même temps le mandat que lui a donné la commune pour gérer les intérêts communaux ? Il y a là quelque chose de tellement extraordinaire que j'ai peine à concevoir comment on peut soutenir une pareille thèse.

Messieurs, à chaque pas que vous ferez, vous vous trouverez dans des embarras, parce que nous nous sommes jetés, permettez-moi de vous le dire, dans un système excentrique, et il faudra bien, dans cette circonstance, entre deux maux choisir le moindre. Maintenant que le principe est adopté, restons dans les limites où le gouvernement s'était placé pour faire passer sa principal disposition.

Le gouvernement reconnaissait fort bien que le bourgmestre était chargé d'une double mission, mais il voulait une exception pour des cas très rares, alors, par exemple, que le bourgmestre se mettait en rébellion avec le gouvernement central ; c'est ce qu'il a eu. Maintenant l'honorable M. Cogels ne l'entend pas ainsi ; il dit que la nomination hors du conseil n'est pas l'exception, que c'est la règle. Je comprends très bien qu'il est d'accord avec lui-même en soutenant cette thèse ; mais elle ne peut être admise par M. le ministre de l'intérieur, qui soutient que la nomination en dehors du conseil est l'exception, et que la nomination dans le conseil est la règle. Or, dans ce cas, le bourgmestre étant revêtu d'un double mandat, comment voulez-vous que le gouvernement lui enlève non seulement celui qu'il tient de lui, mais aussi celui qu'il tient d'autrui ? Quant à moi, je pense qu'il ne peut en être ainsi, et qu'il faut maintenir l'art. 56, sauf à y ajouter : néanmoins lorsque le bourgmestre est nommé hors du conseil, il pourra être révoqué ou suspendu par le Roi pour inconduite notoire ou pour négligence grave.

(Moniteur belge, n°158, du 7 juin 1842) M. d’Hoffschmidt**.** - Je propose à la chambre de mettre en tête de l'art. 56 la disposition suivante :

« Le Roi peut suspendre ou révoquer pour inconduite notoire ou négligence grave, le bourgmestre.

« Il sera préalablement entendu.

« La suspension ne pourra excéder trois mois. »

La mention du bourgmestre serait retranchée du même article.

Vous voyez, messieurs, que je ne fais qu'un seul changement à l'art. 56, c'est de supprimer les mois : « sur l'avis conforme et motivé de la députation permanente du conseil provincial. »

La décision que la chambre a prise samedi rend, ce me semble, nécessaire la suppression de ce qui est relatif à l'avis conforme de la députation, même pour le cas où le bourgmestre est choisi dans le conseil ; mais quant aux autres considérations qui se trouvent dans l'art. 56, je ne vois pas la moindre nécessité d'y rien changer. Ainsi, messieurs, il sera toujours utile que le bourgmestre que l'on veut révoquer soit entendu ; il me semble que l'on doit aussi maintenir la stipulation des motifs pour lesquels la révocation ou la suspension pourra avoir lieu, et enfin il est plus indispensable encore de fixer un terme à la durée de la suspension.

M. d’Huart. - Je trouve très utile que le bourgmestre que l'on veut révoquer ou suspendre, soit préalablement entendu ; il est évident que jamais on ne révoquera ni suspendra un bourgmestre sans l'avoir entendu, mais si l'on veut stipuler dans la loi qu'il devra en être ainsi, je n'y vois pas le moindre inconvénient.

J'ai une explication a demander sur une autre partie de l'amendement. L'honorable M. d'Hoffschmidt propose de limiter la durée de la suspension à 3 mois ; mais je suppose que pour négligence grave dans l'exécution de telle mesure un bourgmestre ait été suspendu pour 3 mois, et que, par exemple, 6 mois après, il se rende encore coupable d'une négligence grave, ou qu'il y ait inconduite notoire ; pourra-t-il dans ce cas être suspendu ?

M. d’Hoffschmidt. - Je répondrai à mon honorable ami M. d'Huart, que l'on agira à cet égard comme on le fait maintenant en vertu de la disposition de la loi actuelle, dont je ne fais que reproduire les termes. Lorsqu'un bourgmestre aura été suspendu pour 3 mois, et qu'il se sera mis de nouveau dans le cas prévu, c'est-à-dire qu'il se sera rendu de nouveau coupable de négligence grave ou d'inconduite notoire, il pourra être de nouveau suspendu. Je le répète, si mon amendement est adopté, on fera, sous ce rapport, ce que l'on fait maintenant, sauf l'avis conforme de la députation qui ne serait plus nécessaire.

M. d’Huart. - Je suis satisfait de l'explication. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - Je vais mettre aux voix les divers amendements.

M. Dumortier. - Je retire le mien.

- L'amendement de M. Verhaegen est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'amendement de M. d'Hoffschmidt est mis aux voix et adopté.

M. Verhaegen. - Je prie M. le président de bien vouloir faire imprimer l'article additionnel que j'ai eu l'honneur de proposer et auquel je tiens plus que jamais. Il est ainsi conçu :

« Le bourgmestre nommé par le Roi, s'il est membre de l'une des deux chambres, sera soumis à la réélection. »

M. le président. - L'amendement sera imprimé et distribué.

- La séance est levée à 4 heures et demie.