Accueil Séances
plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Bibliographie et
liens Note
d’intention
Chambre
des représentants de Belgique
Séance du samedi 19 mars 1842
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Rapport sur une pétition d’un receveur de
Maestricht demandant une indemnité pour la perte d’une partie de son traitement
par suite du traité du 19 avril 1839 (Zoude, de Renesse, Smits, Zoude)
3) Projet de loi sur les sucres. Communication du
ministre des finances (Smits, Eloy de Burdinne,
Delehaye, de Mérode, Delehaye, Smits)
4) Projet de loi tendant à instituer plusieurs conseils de
prud’hommes. Discussion générale. Compétences en matière de discipline dans les
ateliers (Nothomb, de Villegas,
Nothomb, Cools, Verhaegen, Nothomb, de Brouckere, Cools, de Muelenaere, Raikem, Dumortier, Dubus (aîné), Orts, de Brouckere, Verhaegen, Dubus (aîné), de Muelenaere, Cools, Rogier, Delehaye, Rogier, Nothomb, Dubus
(aîné), Rogier, de Mérode, Malou, Rogier, Nothomb,
Raikem, Rogier, Nothomb)
(Moniteur
belge n°80, du 21 mars 1842)
(Présidence de M. Dubus (aîné))
M. de Renesse fait l'appel nominal à dix heures et un quart.
M.
Dedecker donne
lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est
adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’objet de la pétition suivante :
PIECES ADRESSEES A
« Le conseil communal de Gand adresse des
observations contre les projets portant des modifications à la loi
communale. »
-
Dépôt sur le bureau pendant la discussion de ces projets.
________________________
« Le
conseil communal de Barvaux-sur-Ourthe, adresse des
observations sur la loi de 1818, relative au domicile de secours. »
-
Renvoi à la commission des pétitions.
M.
Zoude, au nom
de la commission des pétitions, présente le rapport suivant sur la pétition du
sieur Vryens, receveur des contributions à Vroenhoven, près de Maestricht :
Messieurs,
le pétitionnaire expose à la chambre qu'avant le traité de paix avec
Cependant,
messieurs, la position du pétitionnaire est d'autant plus digne d'intérêt que
ce n'est pas dans un âge aussi avancé qu'on peut changer des habitudes
contractées légitimement ; investi de fonctions assez lucratives, on y
proportionne son genre de vie, et on règle en conséquence les dépenses de son
ménage. Mais lorsqu'on éprouve tout à coup une dégradation non méritée, car
c'est une dégradation réelle que celle de la perte de plus de moitié de son
traitement et c'est en effet la peine qu'on fait subir à un employé qui a
démérité ou n'a pas rempli convenablement ses devoirs.
C'est
cette dégradation que la chambre a voulu éviter, lorsque, dans sa séance du 10
mai 1839, elle a adopté un amendement portant que le gouvernement était
autorisé à indemniser les fonctionnaires qui, par la diminution de leur
ressort, perdraient une partie des émoluments attachés à leurs fonctions.
Il
est vrai que, sur le rapport de l'honorable M. Van Volxem, aujourd'hui ministre
de la justice, cet amendement a été modifié comme pouvant présenter une
disposition dont la portée serait difficile à apprécier, mais il exprima
l'intention de la section centrale dans les termes suivants : Si
certains fonctionnaires se trouvaient dans une position particulière, le
gouvernement pourrait, lors des budgets. présenter en leur faveur telle
allocation qu'au cas appartiendrait.
C'est
l'exécution de cette disposition que votre commission réclame non seulement
pour le pétitionnaire Vryens, mais encore pour
quelques autres qui se trouvent dans une position identique, votre commission
indique notamment le sieur Michel, receveur à Willin,
province de Luxembourg, qui jouissait avant le traité d'un revenu de 2,200 fr.,
réduit aujourd'hui à 1,100.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de
cette pétition à M. le ministre des finances avec demande d'explications.
M. de Renesse. - En appuyant les conclusions de la commission des
pétitions, j'aurai l'honneur de faire observer à la chambre que le sieur Vryens, receveur des contributions à Vroenhoven,
près de Maestricht, âgé d'environ 70 ans, a plus de 38 années de service :
qu'il est à ma connaissance que cet ancien fonctionnaire ,dont l'habitation se
trouvait à cinq minutes de la forteresse de Maestricht, a eu, dans les premiers
moments de la révolution, beaucoup à souffrir des vexations de la garnison
hollandaise ; que, pendant plusieurs années, il a été obligé de quitter sa
demeure et sa famille, pour ne pas être inquiété dans ses fonctions de receveur
; que même, les soldats hollandais lui ont enlevé une somme d'argent provenant
de sa recette et de ses économies, et que maintenant, depuis l'exécution du
traité, il perd, chaque année, une partie notable de son traitement, qui se
montait, avant la cession à
Je
crois devoir faire remarquer à la chambre que, lorsqu'en 1839 on a discuté le
projet de loi relatif aux habitants et fonctionnaires des territoires cédés, un
amendement avait été présenté en faveur des fonctionnaires qui seraient
froissés dans leurs intérêts par l'exécution du traité de paix ; il était ainsi
conçu : Le gouvernement est autorisé à indemniser les fonctionnaires qui,
par la diminution de leur ressort, perdront une partie des émoluments attachés
à leurs fonctions.
Cet
amendement et plusieurs autres furent renvoyés à la section centrale, qui à la
séance du 14 mai 1839, fit son rapport ; il en résulte que cette section
croyait qu'il y aurait du danger à insérer dans la loi une disposition
générale, dont la portée serait difficile à apprécier ; et que, si certains
fonctionnaires se trouvaient dans une position particulière, le gouvernement
pourrait, lors des budgets, présenter en leur faveur telle allocation qu'au
cas appartiendrait,
Cette
opposition de la section centrale, n'a pas été contestée par la chambre, et le gouvernement
paraissait y adhérer ; cependant, depuis l’exécution du traité, plusieurs
fonctionnaires, particulièrement de l’administration des finances, se trouvent
fortement lésés par la perte d'une partie notable de leur ressort, et malgré
leurs vives réclamations, le gouvernement n'a pris jusqu'ici aucune mesure
pour suppléer à la perte d'une partie de leurs émoluments, ou pour leur
accorder une place équivalente ; c'est vouloir maintenir les fonctionnaires
dans une position tout exceptionnelle, qui pour plusieurs d'entre eux, n'est
plus tenable ; c'est une injustice, que l’on commet à leur égard, et ils me
paraissent avoir le droit de réclamer une juste compensation pour la perte
d'une partie notable de leur traitement. Aussi, je viens appuyer la juste
réclamation de M. Vryens, et j'espère que M. le
ministre des finances proposera, au prochain budget, les moyens pour faire
droit aux justes demandes de plusieurs fonctionnaires qui, par la cession à
M.
le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, je ne m'oppose nullement au renvoi de la
pétition à mon département, avec demande d'explications. Ces explications, je
les donnerai, après m'être livré à un nouvel examen de la pétition. Mais je
saisis cette occasion pour faire observer à la chambre que le sieur Vryens n'est pas le seul qui se trouve dans une semblable
position. Tous les receveurs des contributions sont dans une situation
généralement malheureuse ; la plupart de ces fonctionnaires avaient, avant la
révolution, la recette des communes et celle des provinces, indépendamment de
la recette de l'Etat. Depuis l'émancipation de la province et de la commune,
ces dernières recettes leur ont été presque généralement enlevées. De là, deux
causes de diminution dans le taux de leur traitement. En outre, le receveur des
contributions dans la province d'Anvers et dans les deux Flandres ont vu réduire
leurs remises, par suite de la péréquation cadastrale.
D'un
autre côté encore, la loi a supprimé les leges. Voilà donc quatre branches
de revenu qui leur ont été successivement enlevées. Il en est résulté que la
plupart de ces fonctionnaires ne jouissent aujourd'hui que de la moitié du
traitement dont ils jouissaient autrefois.
Leur
position est d'autant plus malheureuse qu'ils devaient espérer de voir
améliorer leur sort, à mesure qu'ils avançaient en âge et qu'ils rendaient des
services à l'Etat, tandis que leur situation s'est, au contraire, empirée.
J'examinerai,
messieurs, s'il y a lieu de faire, au prochain budget, des propositions en
faveur de ces fonctionnaires ; mais, je le répète, la plupart d'entre eux sont dans la même position que celle du pétitionnaire,
qui fait l'objet du rapport présenté par l'honorable M. Zoude.
M.
Zoude, rapporteur. - Je ferai observer à M. le ministre des finances qu'il ne s'agit pas
ici de pertes résultant de la révolution ; il est question de pertes essuyées
par suite du morcellement ; les receveurs dont parle MM. les ministres avaient
déjà perdu les recettes des communes et des provinces, avant le morcellement.
-
Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.
Communication du ministre des finances
M.
le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, une section, et d'autres sections feront
probablement la même demande ; une section, dis-je, vient de me demander les
avis des chambres de commerce sur la loi des sucres. Je me hâte de déclarer que
je ne puis pas donner ces avis, attendu qu'aucune chambre de commerce n'a été
consultée. Je n'ai pris avis de personne, parce que j'ai craint d'être entravé
dans ma marche, comme cela arrive ordinairement. J'ajouterai qu'il n'existait
au département des finances, pour le projet que j'ai présenté à la chambre au
nom du gouvernement, aucun élément quelconque : c'est un travail entièrement
nouveau, sur lequel il n'existe, je le répète, aucun avis, aucune opinion d'un
collège quelconque. Toutefois, comme la chambre va prendre un congé et que le
projet de loi a été publié par le Moniteur, les chambres de commerce
pourront, si elles ont des observations à présenter, les faire parvenir à la
législature, avant la reprise des travaux. .
- M. Dubus (aîné) cède le fauteuil à M. Fallon.
M. Eloy de Burdinne. - Il serait convenable aussi de consulter la
commission d'agriculture.
M.
le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, l'observation que je viens de faire, en
ce qui concerne les chambres de commerce, s'applique aux
comités d'agriculture ; ces comités pourront également faire parvenir à la
chambre telles observations qu'ils croiront avoir à présenter sur le projet.
M.
Delehaye. -
Messieurs, il est à remarquer que les chambres de commerce sont spécialement
instituées pour donner des avis sur toutes les questions qui concernent le
commerce et l'industrie ; le pouvoir qui leur est attribué, elles l'exercent
dans l'intérêt du commerce et de l'industrie. Prétendre que ces corps seront
suffisamment informés de l'existence du projet de loi sur les sucres, parce que
ce projet a été inséré dans le Moniteur, c'est, me semble-t-il, traiter
les chambres de commerce avec un peu de légèreté. Dans une matière aussi grave,
ne conviendrait-il pas de demander indirectement leur avis. Il s'agit
d'une loi sur laquelle M. le ministre des finances n'a appelé l'attention
d'aucun pouvoir, d'aucune personne apte à se prononcer en pareille matière.
Le
projet de loi dont il s'agit se rattache à deux industries distinctes, il se
rattache d'abord à l'ancienne industrie linière sur laquelle quelques membres
de la chambre possèdent, il est vrai, des lumières suffisantes, mais il se
rattache encore a une autre industrie, une industrie nouvelle, l'industrie de
la betterave, sur laquelle des membres, appartenant à quelques localités
spéciales, ont seules des connaissances. J'ai la conviction intime que les
députés des Flandres, où il n'existe pas d'industrie de betterave….
M. Rodenbach. – Si ! si !...
M.
Delehaye. - Je
sais aussi bien, comme le dit l'honorable M. Rodenbach, que quelques
établissements consacrés à cette industrie ont été créés dans les Flandres,
mais ils chôment aujourd’hui, on du moins ils font très peu de chose.
Il
s'agit donc ici d'une industrie nouvelle, à l'égard de laquelle la plus grande
partie des membres de cette chambre possède des notions certaines. Comment
pourrons-nous nous éclairer, si ce n'est en consultant les chambres de commerce
et des localités où cette industrie est établie ? Les chambres de commerce de
Bruxelles, Gand et Anvers pourront nous fournir tous les renseignements
désirables en ce qui concerne le sucre de canne ; les chambres de commerce des
localités dans lesquelles on cultive la betterave nous éclaireront sur la
question du sucre indigène ; mais il est indispensable que nous demandions ces
renseignements. Dans une matière aussi importante, qui est, au dire de quelques
personnes, une question de vie ou de mort pour l'une ou l'autre de ces deux
industries, si l'on s'abstenait de demander ces renseignements aux chambres de
commerce, ce serait manquer aux égards qu'on doit à ces corps ; c'est le moment
ou jamais de les consulter.
Je
demande donc que, conformément au vœu émis par plusieurs sections, M. le
ministre des finances veuille bien soumettre le projet de loi aux chambres de commerce, et communiquer ensuite à la chambre
les observations de ces collèges.
M. de Mérode. - Messieurs, il me semble inutile de consulter les
chambres de commerce en cette circonstance. Il y a peut-être des chambres de
commerce qui ne comprennent pas qu'il est nécessaire de pourvoir aux besoins
du trésor public ; si vous ne demandez pas leur avis, elles ne feront pas
d'observations contre le projet ; mais si vous les provoquez à des objections contre
la loi, il est évident qu'elles en présenteront, les unes pour le sucre de
betteraves, les autres pour le sucre exotique ; de cette manière, nous
finirions encore par ne rien récolter pour le trésor public. Et cependant nous
venons encore de voter une dépense considérable. Il est
donc indispensable de créer des ressources.
M.
Delehaye. -
Messieurs, je ne connais pas bien la composition des chambres de commerce, autres
que celle de ma province ; mais je suis intimement convaincu qu'il ne se trouve
pas dans la chambre de commerce de Gand une seule personne que l'on provoquât
à faire de l'opposition, en lui demandant son avis.
Messieurs,
les chambres de commerce sont presque partout composées de personnes qui se
trouvent placées sur l'échelle la plus élevée du commerce ; ces personnes
versent aussi dans le trésor public des sommes assez considérables ; elles sont
intéressées à ce que le trésor public soit convenablement alimenté, elles sont
aussi grandement intéressées à ce que l'industrie ne meure pas.
D'après
l'examen superficiel que j'ai fait des projets de loi, il y a des dispositions
qui me paraissent très bonnes, il y en a d'autres sur lesquelles je n'ai pas encore
fixé mon opinion. Mais je n'ai pas trouvé que le projet de loi dût avoir pour
résultat de faire entrer beaucoup de fonds dans le trésor public. Or, qui vous
dit, messieurs, que si vous consultez les chambres de commerce, ces collèges ne
proposeront pas une mesure plus productive pour le trésor public et en même
temps plus favorable à l'industrie dont il s'agit ? Je suis convaincu, je le
répète, qu'un appel fait aux chambres de commerce n'aboutira pas à provoquer
leur opposition ; je suis persuadé, au contraire, que leur intervention sera
doublement utile, utile au trésor public et utile à l'industrie.
D'après ces considérations, je persiste dans la demande que
j'ai faite.
M.
le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, il est certain que si j'avais consulté
les chambres de commerce, des personnes, ou des collèges quelconques, j'aurais
été embarrassé dans ma marche. Au milieu d'avis différents, sans ensemble,
présentés au point de vue restreint d'intérêts divers, j'aurais eu à lutter
contre trop d'obstacles avant de pouvoir vous présenter un travail comme celui
qui vous est soumis. Mais pour concilier les opinions qui viennent d'être
émises, j'enverrai aux chambres de commerce et aux comités d'agriculture le
projet de loi, et je prierai ces collèges de vouloir bien me faire connaître,
avant la reprise des travaux de la chambre, les observations qu'ils auraient à
présenter sur ce projet. (Très bien !)
Discussion générale
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je crois qu'on pourrait se mettre
d'accord, en substituant à l'art. 4 du décret impérial du 3 août 1810 une
autre rédaction ; à l'aide de cette nouvelle rédaction, toutes les objections
viendraient à tomber, tous les doutes viendraient à cesser.
L'article
nouveau serait ainsi conçu :
« L'art.
4 du décret impérial du 3 août 1810 est remplacé par les dispositions suivantes
:
« Titre
2. Attributions des prud'hommes en matière disciplinaire.
« Les
prud'hommes pourront, indépendamment des poursuites devant les tribunaux de
répression, infliger des peines disciplinaires pour tous délits tendant à
troubler l'ordre et la discipline de l'atelier, pour tout manquement grave des
apprentis envers leurs maîtres.
« Les
peines disciplinaire ne pourront excéder trois jours de mise aux arrêts.
« Le
gouvernement déterminera le mode d'exécution de ces peines. »
Il
est donc entendu que le gouvernement s'y prendra de manière à ce qu'on
n'emprisonne plus dans les maisons ordinaires de détention.
Je
crois, messieurs, que cette rédaction fait tomber tous les doutes. La question,
par exemple, du non bis in idem, qui est présentée en France, ne se
présentera plus. En France on a plaidé la question de savoir si à la suite de
cette peine disciplinaire, prononcée par un conseil de prud'hommes, le
ministère public pouvait encore poursuivre à raison des mêmes faits qui
tombaient sous l'application du code pénal, et la cour de cassation a décidé
que le bis in idem ne pouvait être invoqué,
attendu qu'il y avait ici peine disciplinaire.
M. de Villegas. - Messieurs, je demanderai d'abord à M. le ministre
de l'intérieur si les art. 33 et 34 du décret du 20 février 1810 sont compris
dans son amendement.
Dans
la séance d'hier, on a soulevé la question de savoir si les conseils de
prud'hommes, en tant qu'ils doivent être considérés comme juges de paix
commerciaux, peuvent exercer une action répressive.
Pour
bien résoudre cette question, je pense qu'il faut se rendre compte du but de
l'institution. Le but capital de l'institution des prud'hommes est de terminer
les différends qui s'élèvent fréquemment entre les fabricants et les ouvriers,
et de veiller au maintien de l'ordre et de la discipline dans les ateliers.
Ce
but, messieurs, serait complètement manqué, si, indépendamment de la
juridiction civile qui est déférée aux prud'hommes, ils n'avaient pas en même
temps le droit de faire respecter leur autorité et de punir promptement et
sévèrement, au besoin, ceux qui, par provocation à l'insubordination, par
mutinerie ou autrement, braveraient cette autorité.
Le
décret du 3 août 1810 accorde le droit de répression aux prud'hommes. Voici ce
qu'il dit :
« Tout
délit tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier, tout manquement
grave des apprentis envers leurs maîtres, pourront être punis d'un
emprisonnement qui n'excédera pas trois jours, etc. »
Il
est évident que cet article ne commine qu'une peine disciplinaire à infliger
contre ceux qui commettent une infraction à la police des articles.
Ce
droit de répression n'a jamais été contesté ni en France, ni dans ce pays.
Voici
comment s'exprime à cet égard un auteur français dans son ouvrage sur la compétence
des conseils de prud’hommes.
« Les
faits qui tendent à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier, selon
les expressions de la loi et dont la connaissance appartient aux prud'hommes
jugeant en tribunal de simple police, sont, par exemple, les disputes,
l'insubordination, le manque de respect, la désobéissance, les paroles ou
réponses grossières et injurieuses.
« C'est
dans de pareils désordres, il faut y prendre garde, que naît le germe de ces
coalitions qui désolent trop souvent l’industrie. Les ouvriers n'en viennent
pas subitement à une explosion, à une retraite générale des ateliers. La masse
est toujours entraînée et séduite par des faits isolés dans leur principe, par
la mutinerie, l'insubordination, les menaces d'un ou de quelques-uns d'entre
eux. Eh bien ! ce sont ces actes, précurseur d'une plus grande faute, que ce
décret a surtout voulu réprimer instantanément, paternellement, pour prévenir
le véritable délit, et c'est aussi pour y parvenir avec plus de certitude qu'il
a chargé les prud'hommes de la répression. Quel autre magistrat, en effet,
serait mieux placé qu'eux pour obtenir un tel résultat ? Qui ne comprend toute
la portée de cette loi, qui avertit plutôt qu'elle ne frappe, ou qui punit sans
flétrir ? «
Je
pourrais vous citer en outre un arrêt de la cour de cassation de France, qui a
décidé que les jugements prononcés par les conseils de prud'hommes doivent être
assimilés à ceux qui émanent des juridictions disciplinaires constituées par
les lois.
D'après
ces considérations qui sont susceptibles de plus grands développements, je
pense que les attributions, telles qu'elles sont définies dans les décrets
organiques, sont constitutionnelles et qu'elles doivent être maintenues.
Je crois avoir établi, que l'emprisonnement est une véritable
peine de police et que c'est jouer sur les mots que de le traduire en peine
disciplinaire.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l'honorable préopinant m'a demandé ce que
devenait l'art. 34 du décret du 11 juin 1809. Cet article est ainsi conçu :
« Dans
le cas d'insulte ou d'irrévérence grave, le bureau particulier en dressera
procès-verbal, et pourra condamner celui qui s'en est rendu coupable à un
emprisonnement dont la durée ne pourra excéder trois jours. »
Je
dis, messieurs, que cette question est tout autre. Ceci concerne la police de
l'audience. Il y a, dans le code d'instruction criminelle, des dispositions
générales qui attribuent à toute autorité judiciaire le droit de réprimer à
l'instant même les injures, les voies de fait, etc. commis à l'audience. Les
tribunaux de commerce, messieurs, ont ce droit.
M. Verhaegen. - C'est une erreur.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les chambres de commerce ont ce droit en vertu des
articles 504 et 505 du code d'instruction criminelle. De sorte que le conseil
des prud’hommes, étant placé sur la même ligne que les tribunaux de commerce,
nous sommes d'accord là dessus, étant assimilé pour les attributions
commerciales aux tribunaux de commerce , invoquera l'art. 34 du décret du 9
juin 1810. Si cet article n'existait pas, il aurait invoqué les principes
généraux. C'est donc là un cas particulier qui n'a rien de commun avec la
question qu'a soulevée l'article 4 du décret du 3 août 1810. Il y a doute sur
la question de savoir si, dans le cas de l'art. 4 du décret du 3 août 1810, il
s'agit d'une peine disciplinaire ou non. Ce doute existe en France et dans ce
pays. Nous pouvons le faire cesser à l'aide d'une nouvelle rédaction. Par la
prétérition nous ne ferions pas cesser le doute. Si le doute n'était pas levé
par une disposition, il subsisterait malgré votre loi, la prétérition n'y
ferait rien, cela n'empêcherait pas les intéressés de soutenir que l'art. 4 du
décret du 3 août 1810 est virtuellement abrogé par la constitution. C'est ce
qu'on soutiendrait en présence du silence de notre loi.
Je
crois utile, sous tous les rapports, d'insérer une nouvelle rédaction de l'art.
4 ; sinon, nous nous exposerons à voir surgir bien des réclamations qui ne
manqueraient pas d'être portées jusqu'à la cour de cassation. Je crois qu'il
vaut mieux dès à présent fermer cette controverse en adoptant l’article nouveau que j'ai proposé.
M.
Cools. - Je
voudrais savoir si la nouvelle rédaction proposée lève toutes les difficultés.
Dans ce cas, je croirais inutile de prendre la parole.
Plusieurs membres. – Non ! Non !
M. le président. - Pour abréger la discussion, je donnerai la parole aux
membres disposés à combattre l'amendement.
M. Verhaegen. - Messieurs, la question qui s'agite en ce moment, ou
plutôt les diverses questions qui s'agitent sont assez importantes pour mériter
toute l'attention de la chambre. Je me félicite que l’on n'ait pas fait ce que
voulait le ministre, d'adopter la loi par urgence et sans discussion.
On
nous présente une loi ; et pourquoi donc ? On nous présente une loi pour
remettre en vigueur des décrets impériaux, ou plutôt pour, en exécution de
décrets impériaux, donner au gouvernement l'autorisation d’instituer dans
certaines localités des conseils de prud'hommes, en maintenant à ces conseils
de prud’hommes, les attributions qui leur sont données aujourd'hui.
Il
y a d'abord quelque chose d'insolite dans cette proposition : ou les décrets
impériaux ont encore force de loi, ou ils ne l'ont plus. Si les décrets
impériaux ont force de loi, la loi actuelle est inutile. Si les décrets impériaux
n ont pas force de loi, eh bien, dans ce cas, faisons une bonne fois une loi
nouvelle, faisons une bonne loi et ne nous mettons pas, comme cela se fait
souvent, à la remorque du législateur français. Sachons faire quelque chose par
nous-mêmes. Faisons mieux, s’il est possible, que le législateur. français ;
n'adoptons pas sans examen des dispositions surannées, car elles datent de plus
de 30 ans. Depuis lors les circonstances ont changé et les besoins de l'époque
peuvent nécessiter des changements qu'il importe de méditer. Je ne vois pas
pourquoi on se mettrait ainsi à l’aise, on sauterait à pieds joints sur une
difficulté réelle, pour faire ce que d'autres, très imparfaitement peut-être,
ont fait avant nous. Je m'explique :
Si
les décrets impériaux ont encore force de loi aujourd'hui, eh bien, messieurs,
alors, le système tel qu'on vient vous le représenter existait au moment de la
présentation de la loi, et nous nous occupons d'une chose tout à fait inutile,
car le décret de 1806, dans son article 34, donne au gouvernement la faculté
d'établir des conseils de prud’hommes par un règlement d'administration
publique.
L’article
34 du décret du 18 mars 1806, porte :
« Il
pourra être établi par un règlement d'administration publique délibéré en
conseil d'Etat, un conseil de prud'hommes, dans les villes de fabrique où le
gouvernement le jugera convenable.
Un membre. - Lisez l'article de la
constitution.
M. Verhaegen. - Vous agrandissez encore le cercle de la difficulté, et je
vais l’établir.
Le
décret impérial, ainsi qu'on l'a dit fort bien hier, quoiqu'illégal en
principe, avait acquis force de loi du moment qu'il n'avait pas été attaqué,
dans les dix jours, par le sénat dit conservateur.
Ainsi
tout décret impérial rendu en dehors des limites du pouvoir exécutif, non
attaqué dans les dix jours par le sénat conservateur, avait force de loi. Ainsi
les décrets impériaux que l'on invoque sur la matière, et auxquels on veut
recourir pour les attributions à conserver aux prud’hommes, étaient des décrets
qui avaient force de loi. Il y a plus. Il existe des lois organiques sur la
matière. C'est en exécution de ces lois et de ces décrets ayant force de loi
que les conseils de prud'hommes siègent encore dans certaines villes de
M. de Muelenaere. - C'est ce qu'on conteste.
M. Verhaegen. - Je ne pense pas qu'on l'ait fait à Gand. Si on l'a fait à
Bruges, on s'est trompé, et il faut éviter le retour de cet abus.
J'en
reviens à mon idée première. Je demanderai au ministère pourquoi, s'il y a
des lois et des décrets sur la matière ayant encore force de loi aujourd'hui,
et si le gouvernement a le pouvoir, par un règlement d'administration publique,
de nommer des conseils de prud'hommes dans les villes où le besoin s'en fait
sentir, pourquoi la chambre a à s'occuper d'un projet comme celui qu'on nous
présente ?
D'après
ce qui se passe ici, on dirait qu'on nous présente tout un projet sur
l'institution des prud'hommes, et cependant on se borne à dire dans un article
: « Le gouvernement est autorisé à instituer, en se conformant aux décrets
organiques des 11 juin 1809, 3 août et 5 septembre 1810, des conseils de
prud'hommes dans telles et telles localités. »
Disons
franchement que nous ne nous occupons pas réellement d'une loi sur les conseils
de prud'hommes, mais que nous nous bornons à donner au gouvernement une
autorisation qu'il a déjà dans les lois qu'il veut exécuter. Nous faisons donc
une chose parfaitement inutile. Pense-t-on que ces lois et ces décrets
impériaux, ayant force de loi, ne sont plus de notre époque, que nos besoins
actuels exigent qu'on apporte des changements à ces dispositions anciennes,
qu'on se donne la peine de formuler un projet une bonne fois, tel qu'il doit
être ; montrons que nous avons au moins les moyens nécessaires pour faire une
bonne loi ; quand nous avons une disposition législative à introduire sans une
loi, n'ayons pas toujours à copier quelques articles de lois françaises
surannées. Hier encore le ministère avait recours au Moniteur français, pour
y puiser quelques dispositions dont il avait besoin. Sachons une bonne
fois être nous, abandonnons ces errements étrangers.
Si
l'institution des prud'hommes, telle qu'elle existe en France n'est pas bonne
pour
Il
ne sera pas difficile au ministère d'avoir égard à ce qu'exigent le temps et
les circonstances ; M. le ministre de l'intérieur, avec l'aide de M. le
ministre de la justice, qui doit avoir des connaissances toutes spéciales en
cette partie, pourra sans doute arriver à un résultat sans qu'il soit
nécessaire d'adopter aveuglément les dispositions de la loi française.
Je
me permettrai maintenant de faire quelques observations sur les décrets
impériaux que l'on veut maintenir, et qui, d'après moi, sont contraires à la
constitution belge.
Le
ministère nous a très naïvement dit hier que Napoléon n'avait pas, en 1809 et
1810, le même besoin que nous d'échapper à l'inconstitutionnalité que nous
cherchons à éviter ; il a ajoute que les mots qui gênent dans le décret du 3
août 1810 pourraient être rayés de la loi que nous sommes appelés à faire ;
c'est-à-dire qu'il suffirait de changer quelques mots pour cacher une
inconstitutionnalité.
C'est
là un aveu précieux. Il me semble, à moi, que ce n'est pas aux mots qu'il faut
s'attacher, mais à la chose. S'il y a une inconstitutionnalité dans la loi,
vous aurez beau changer les mots, aussi longtemps que vous maintiendrez la
chose vous n'échapperez pas à l'inconstitutionnalité. Ce qu'il y a de
plus extraordinaire, c'est que M. le ministre de l'intérieur , qui a dit que
c'est le mot délit qui amenait la plus grande difficulté, ait cependant
maintenu ce mot dans la nouvelle rédaction…
M.
le président.
- Il a été remplacé par le mot fait.
M. Verhaegen. - Il a donc été changé après coup. Ainsi on présente une
nouvelle rédaction pour éviter des mots qui gênent encore. Eh bien vous aurez
beau changer ainsi les mots, vous aurez beau vouloir tourner la difficulté,
l'inconstitutionnalité restera. C'est ce que M. le ministre a bien compris, car
il vous a dit que si vous n'adoptez pas sa disposition additionnelle, que si
vous laissez les choses dans l'état où elles se trouvent aujourd'hui, il y aura
des difficultés sérieuses ; vous craignez qu’on ne soulève des questions de
constitutionnalité, que la cour de cassation sera appelée à décider. Ainsi,
vous voulez ajouter aux anciens décrets une disposition nouvelle pour empêcher que la question
constitutionnelle ne puisse être déférée à la cour de cassation. Ainsi, vous
reconnaissez implicitement que la loi est inconstitutionnelle, et vous y
insérez une disposition pour empêcher que la constitutionnalité ne soit
examinée par le pouvoir judiciaire. Cela, messieurs, est beaucoup trop fort,
c'est faire dans une loi, violence ouverte à la constitution.
Je
dis, messieurs, qu'il est inconstitutionnel d'accorder aux conseils de
prud'hommes le droit de prononcer des peines, et il me faudra fort peu de mots
pour le prouver.
On
nous a déjà cité hier, messieurs, les dispositions de la constitution
qui interdisent la création de tous tribunaux ou commissions extraordinaires.
Il y a, messieurs, à ces dispositions générales une exception, et cette
exception répond aux observations présentées hier par M. le ministre de
l'intérieur, elle est relative aux tribunaux militaires et aux tribunaux de
commerce. L'art. 105 de la constitution a prévu les cas spéciaux cités par M.
le ministre ; cet article porte :
« Des
lois particulières règlent l'organisation des tribunaux militaires, leurs
attributions, les droits et les obligations des membres de ces tribunaux et la
durée de leurs fonctions.
« Il
y a des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi. Elle règle
leur organisation, leurs attributions, le mode de nomination de leurs membres,
et la durée des fonctions de ces derniers. »
Messieurs,
cette exception confirme la règle et fait tomber tous les arguments de M. le
ministre de l'intérieur.
On
veut faire appliquer par les prud'hommes une peine qui peut aller jusqu’à trois
jours de prison ; et que sont les prud'hommes ? Sont-ce des juges inamovibles ?
Non, messieurs, je les appellerai, moi (et je crois que c’est là leur véritable
définition), je les appellerai des arbitres forcés. Aux termes du code
de commerce, il y a en matière de sociétés des arbitres forcés ; eh bien, aux
termes des décrets de l'empire qu'on veut maintenir, il y a des arbitres forcés
qui décident de certaines contestations entre les fabricants et les ouvriers,
entre les maîtres et les apprentis ; dans certaines circonstances, ces arbitres
remplissent les fonctions de conciliateurs ; dans d'autres, ils remplissent les
fonctions de juges ; mais vouloir qu'en leur qualité d'arbitres forcés, ou même
en leur qualité de juges de commerce, ils puissent prononcer des peines, c'est
là une chose tout à fait inadmissible, tout à fait inconstitutionnelle. Dites
maintenant que cette peine sera une peine disciplinaire ; donnez à la chose un
nom qui ne convient pas, vous n'échapperez
pas par là à l’inconstitutionnalité, car il n'en est pas moins vrai que
les conseils de prud'hommes pourront priver des individus de leur liberté
pendant trois jours.
Je
demanderai maintenant à M. le ministre de l'intérieur si cette peine qu'il
appelle, lui disciplinaire, pourra être prononcée par les conseils de
prud'hommes sans appel, ou bien sauf appel, et, dans ce dernier cas, quel sera
le juge d'appel.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Sans appel.
M. Verhaegen. - Ce sera donc sans appel. Cela est dit bien vite, mais on
pourrait encore soulever bien plus d'une difficulté à cet égard. Le décret du 3
août 1810 doit être mis en rapport avec le décret précédent, et ce décret
précédent soumet les décisions des conseils de prud'hommes, sur des contestations dont l'objet excède une
valeur déterminée, à l'appréciation des juges de commerce, comme juges d'appel.
Je ne sais pas si l'on ne pourrait pas soutenir qu'un jugement qui prive un
homme de sa liberté est plus important qu'un jugement décidant une contestation
dont l'objet excède la valeur fixée, et si l'on ne pourrait pas conclure de là
que le jugement des prud'hommes condamnant un individu à 3 jours de prison doit
être aussi soumis à l'appréciation du juge d'appel. Cependant les tribunaux de
commerce, qui n'appliquent jamais aucune peine, ne peuvent pas non plus
apprécier au deuxième degré un jugement en matière de répression disciplinaire
ou pas disciplinaire, ce qui est ici la même chose. Les tribunaux de commerce
n'auraient à cet égard aucune mission.
Eh
bien, messieurs, voyez comme cela serait exorbitant ; le juge de paix, lorsqu'il
prononce un emprisonnement, ne serait-ce que de 24 heures, ne juge qu'en
premier ressort ; et les conseils de prud'hommes pourront, sans appel,
prononcer un emprisonnement de trois jours ! Appelez cela une peine
disciplinaire, appelez cela des arrêts, la chose n'en n'est pas moins
exorbitante.
M.
Coghen. - Mais
ceux qui sont condamnés par les conseils de prud'hommes sont jugés par leurs
pairs. Ils se condamnent en quelque sorte eux-mêmes.
M. Verhaegen. - Lorsque le maître aura à se plaindre d'un apprenti, il le
fera condamner, mais lorsque l'apprenti aura à se plaindre du maître, il n'aura
aucun moyen d'obtenir justice, voilà ce que vous appelez être jugés par ses
pairs. Pour qu'il en fût ainsi, il faudrait que les choses fussent
réciproques, alors il y aurait au moins une apparence de justice.
J'admets
volontiers l'institution des conseils de prud'hommes, mais je ne puis admettre
ce qui n'est plus en rapport avec notre système constitutionnel.
Un
honorable préopinant avait fait une interpellation à M. le ministre de
l'intérieur relativement aux art. 33 et 34 du décret du 11 juin 1809 ; cet
honorable membre avait demandé à M. le ministre si, par suite de l'amendement
qu'il a proposé, il ne trouvait pas nécessaire de changer les dispositions de
ces art. 33 et 34 ; on a répondu que non ; on a dit qu’il s'agissait là d'un
délit commis à l'audience, d'après les dispositions générales du code
d'instruction criminelle, ce qui veut dire, si j'ai bien compris M. le
ministre, que les conseils de prud'hommes, constituant des tribunaux, ils
peuvent, en cette qualité, condamner à un emprisonnement de trois jours ceux
qui se permettraient, à l'audience, des insultes ou des excès.
Eh
bien, messieurs, ce n'est plus là une peine disciplinaire, mais bien une peine
ordinaire, qui peut être appliquée par le juge en vertu des dispositions
générales du code d'instruction criminelle.
En
dernière analyse, vous voulez échapper à l'inconstitutionnalité qu'on pourrait
vous opposer devant les tribunaux, et pour cela vous voulez ajouter aux
dispositions des décrets de l'empire une autre disposition autorisant les
prud'hommes à prononcer un emprisonnement de 3 jours, sans que leur jugement
puisse être apprécié par un juge supérieur quelconque. Voilà ce que vous voulez
faire pour empêcher que la cour de cassation ne puisse se prononcer sur la
constitutionnalité de la mesure que vous proposez. Je ne vois pas quel
inconvénient il y aurait à ce que la cour de cassation pût se prononcer sur la
constitutionnalité de la loi. Car, de deux choses l'une ; ou la loi est
constitutionnelle, ou elle ne l'est pas : si elle est constitutionnelle, vous
n'avez rien à craindre de la cour de cassation , si elle ne l'est pas, alors il
est de votre devoir de l'abandonner, car vous n'avez pas le droit de soutenir
une inconstitutionnalité.
Ainsi,
messieurs, toute la question est là : les conseils de prud’hommes peuvent-ils
prononcer les peines que vous proposez de leur permettre de prononcer et que
vous appelez disciplinaires, le peuvent-ils aux termes de la
constitution ? Je ne le pense point, je pense, au contraire, qu'il a été
démontré, à la dernière évidence, qu'ils ne le peuvent point.
Je crois
que ce qu'il y a de mieux à faire, pour ne pas perdre notre temps, c'est de
travailler nous-mêmes à faire une bonne loi sur les prud'hommes, au lieu de nous traîner à la remorque de la législation
française de 1809.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, les observations de l’honorable membre
peuvent se résumer en peu de mots : si l'institution des prud'hommes est
constitutionnelle, la loi est inutile ; si l'institution des prud'hommes est
inconstitutionnelle, la loi est impossible. Je vais examiner premièrement ces
deux propositions.
Si
l'institution des prud'hommes est constitutionnelle, la loi est inutile ;
l'art. 34 de la loi institutive des conseils de
prud'hommes porte qu'il pourra être établi un conseil de prud'hommes dans les
villes de fabriques où le gouvernement le jugera nécessaire, par un règlement
d'administration publique, délibéré en conseil d'Etat. Ainsi le
gouvernement impérial pouvait établir des conseils de prud’hommes par un
règlement d'administration publique délibéré en conseil d'Etat. Eh bien,
messieurs, la position n'est plus la même aujourd'hui : d'abord l'art. 91 de la
constitution porte que nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut
être établie qu'en vertu d'une loi. Cette question a été examinée avec beaucoup
de soin par le gouvernement déjà depuis plusieurs années, car le premier examen
remonte à 1833 ; il y a au dossier une lettre de l'honorable M. Lebeau, alors
ministre de la justice, qui commençait l'examen de cette question, On s'est
demandé si le gouvernement actuel pouvait se prévaloir de l'art. 34 de la loi
de 1806 pour établir des conseils de prud’hommes, et l'on a été unanimement
d'avis qu'il ne le pouvait pas. Les chambres mêmes ont examiné la question pour
un tout autre cas, pour ce qui concerne les mines : les concessions de mines
s'accordaient, d'après la loi de 1810, par un décret impérial délibéré en
conseil d'Etat, et l'on a reconnu l’impossibilité qu'il y avait pour le
gouvernement actuel d’accorder des concessions de mines, par une raison
extrêmement simple : l'impossibilité de porter un arrêté délibéré en conseil
d'Etat, vu qu'il n'existe pas de conseil d'Etat en Belgique. Je me
permettrai donc de répondre à l'honorable préopinant que son opinion sur l'inutilité
de la loi n'est pas soutenable, qu'une loi est indispensable, qu'il faut une
autorisation particulière et, en quelque sorte, une délégation donnée au
pouvoir exécutif.
Voilà,
messieurs, pour la première question, qui ne peut laisser de doute : la nécessité
où s'est trouvé le gouvernement de s’adresser à vous.
L'honorable
membre pense qu'il est facile de faire une loi toute nouvelle, de réviser
complètement les décrets impériaux relatifs à l'institution des prud'hommes et
de mettre cette institution en rapport avec les progrès que l'on a pu faire
depuis 30 ans. Je pense que ce serait une chose extrêmement difficile en ce
moment. Cela pourra se faire plus tard, lorsque nous aurons dans le pays un
grand nombre de conseils de prud'hommes, lorsque nous aurons pu recueillir les
renseignements nécessaires.
Il
n'existe dans le pays que deux conseils de prud'hommes : le premier à Gand, où
il a été institué par un décret impérial, délibéré en conseil d'Etat, et
portant la date du 28 août 1810 ; le deuxième à Bruges, où il a été institué
par un autre décret impérial du 1er mars 1813, également délibéré en conseil
d'Etat. Un grand nombre d'autres villes se sont adressées au gouvernement
pour obtenir aussi des conseils de prud’hommes. Il y a 7 ans que l'on s'adressa
au gouvernement pour cet objet, et le gouvernement, se trouvant dans
l'impossibilité de faire droit à ces réclamations, vient vous demander
l'autorisation qui lui manque. C'est là, messieurs, la véritable position du
gouvernement.
L'honorable
membre a donné une singulière portée à quelques paroles que j'ai prononcées
hier. Je n'ai pas reconnu l'inconstitutionnalité de l'institution des conseils
de prud'hommes, je ne l'ai reconnue sur aucun point. J'ai fait remarquer à la
chambre que les conseils de prud'hommes avaient trois genres d'attributions ;
j'ai cru pouvoir pressentir l'opinion de la chambre et dire que, relativement
aux deux premières espèces d'attributions, il n'y avait aucun doute, que je
n'hésitais pas à mettre ces deux premiers points hors de cause. J'ai ajouté
qu’il restait un point, la question de savoir si les conseils de prud’hommes
pouvaient encore être investis d'attributions en matière disciplinaire. J'ai
dit pourquoi je me servais de ces dernières expressions ; j'ai avoué que, sous
ce rapport, l'art. 4 du décret impérial du 3 août 1810 renfermait des vices de
rédaction, et c'est pour faire disparaître ces vices que j'ai présenté
aujourd'hui une rédaction nouvelle.
La
question se borne maintenant au point de savoir si les conseils de prud'hommes
peuvent être investis du droit d'infliger des peines disciplinaires. Je
n'hésite pas à répondre que oui, et, en répondant affirmativement, tous
ceux qui partagent cette opinion ne pourront demander qu'une seule chose, c'est
ce que je propose un changement dans la rédaction de l'art. 4 du décret de
1810.
De
sorte, messieurs, que l'article nouveau que j'ai déposé sur le bureau change la
discussion ; il ne s'agit plus d'examiner quel peut être le sens de l'art. 4 du
décret de 1810 ; il s'agit d'examiner si les conseils de prud'hommes peuvent
être investis du droit d'infliger des peines disciplinaires, et, en cas
d'affirmative, tout ce qu'il y a à faire, c'est d'adopter l'article nouveau que
j'ai proposé, si l'on croit que le texte de l'art. 4 du décret de 1810
présente, en effet, des vices de rédaction. Je dis qu'il est prudent d'en venir
là, parce que sans cela vous ne feriez pas cesser les doutes qu'il pourrait y
avoir dans le pays sur la constitutionnalité de l'institution.
Ce
n'est pas ici, messieurs, une atteinte portée au pouvoir judiciaire : il y a
doute et nous pouvons prévenir toute incertitude en adoptant une rédaction
nette, claire, positive qui déclare formellement qu'il s'agit de mesures
disciplinaires et non pas de peines véritables. Vous pouvez donc faire cesser
tout doute en adoptant la rédaction qui vous est soumise en ce moment.
C'est
dans l'intérêt des populations ouvrières que le gouvernement désire être mis à
même de donner enfin aux villes qui le réclament, l'institution des prud'hommes.
Une voix. - Et l'appel ?
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On me dit (et je dois savoir gré à l'honorable
membre de son interruption) ; on me dit : mais c'est sans appel que les
conseils de prud'hommes pourront infliger des peines disciplinaires qui peuvent
aller jusqu'à 3 jours de mise aux arrêts. Il y a messieurs, un grand
nombre de cas où l'on prononce, sans appel, des peines disciplinaires.
Rappelez-vous que les conseils de discipline de la garde civique peuvent
prononcer sans appel des peines disciplinaires qui vont jusqu'à 3 jours de
prison. Il ne faut donc pas s'étonner que les conseils de prud'hommes soient
investis du droit que nous voulons leur maintenir. Je ne suis donc pas du tout
touché de l'objection ; je crois même inutile de revenir sur les observations
que j'ai faites quant à la répression des délits qui se rattachent à la police
des audiences judiciaires. Je prétends que les tribunaux de commerce peuvent
invoquer les dispositions générales du code d'instruction criminelle, et je
dirai à l'honorable membre qui a fait des objections à cet égard que je
voudrais bien qu'il me citât un arrêt constatant le contraire. Du reste, c'est
là une question tout à fait à part ; la seule question que nous ayons à examiner, c'est celle de savoir si les conseils de
prud'hommes peuvent être investis du droit d'infliger des peines
disciplinaires.
M. de Brouckere. - Messieurs, j'ai examiné le projet de loi qui est soumis à
nos délibérations, avec le désir de pouvoir l’approuver. Je n’ai donc pas
cherche des difficultés, mais je dois vous avouer que j'en ai rencontré, que
ces difficultés sont d'une nature telle qu’à moins qu'on ne réfute les
considérations que je vais présenter, il me sera impossible de voter en faveur
de la loi.
Je
vais, messieurs, poser la question comme elle me semble devoir être posée.
Il
y a dans la constitution un chapitre qui traite spécialement du pouvoir
judiciaire. Ce chapitre s'occupe successivement de la cour de cassation, des
cours d'appel, des tribunaux de première instance, des juges de paix. Ce même
chapitre s'occupe des tribunaux de commerce, et prévoit l'existence des
tribunaux militaires, et par conséquent il traite des juridictions
extraordinaires.
Dans
ce même chapitre se trouve un article qui est ainsi conçu (c'est l'art. 94) :
« Nul
tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établie qu'en vertu d'une
loi. Il ne peut être créé de commissions ni de tribunaux extraordinaires sous
quelque dénomination que ce soit. »
Ainsi,
outre les tribunaux ordinaires et les tribunaux extraordinaires, spécialement
mentionnés dans la constitution, une loi peut créer des juridictions
contentieuses extraordinaires, mais sous aucun prétexte, pour quelque motif que
ce soit, la loi ne peut établir ni commissions, ni tribunaux extraordinaires.
Voilà l'esprit de la constitution.
Qu'entend-on
par commissions et par tribunaux extraordinaires ? Pour mon compte, j'entends
par commission extraordinaire un tribunal créé pour une affaire
spéciale, et qui n'a qu'une existence momentanée, temporaire.
J'appelle
tribunal extraordinaire, une juridiction créée primitivement pour un
certain genre d'affaires. Eh bien, vous ne pouvez créer, même par une loi, ni
de ces sortes de commissions, ni de ces sortes de tribunaux, sous quelque
dénomination que ce soit.
Et
pourquoi, messieurs, la constitution ne veut-elle pas qu'il y ait ni tribunaux
extraordinaires, ni commissions extraordinaires, en matière de répression ?
C'est que, messieurs, en créant les différentes juridictions dont je viens de
parler, le législateur a eu soin d'établir des garanties.
Ainsi,
par exemple, les juges sont nommés à vie. Les audiences doivent être publiques.
Les jugements doivent être motivés, voilà toutes garanties qui sont établies
par la constitution, afin de prévenir les abus de pouvoir.
Il
y a encore un article qui statue que les juges ne peuvent occuper d'autres
fonctions salariées.
Si
maintenant, messieurs, vous admettez qu'on peut créer ou des tribunaux ou des
commissions extraordinaires, quels qu'ils soient et quelle que soit la
dénomination que vous leur donniez, vous sentez que les personnes traduites
devant ces commissions n'ont plus aucune des garanties stipulées par la
constitution. Elles ne se trouvent plus en présence de juges entièrement
indépendants du pouvoir, de juges qui ne peuvent pas même en recevoir de
faveurs. Les audiences ne devront plus être publiques. Le jugement ne devra
plus être motivé. Ces personnes seront donc privées de toutes les garanties que
l'on a voulu assurer à tout individu poursuivi d'un chef quelconque, et contre
lequel on demande une mesure répressive, de quelque nature que ce soit.
Messieurs,
il est si bien reconnu qu'il ne peut plus exister, en présence de la
constitution, aucune juridiction extraordinaire que, sans opposition de la part
de personne, l'art. 166 du code d'instruction criminelle a été regardé comme
abrogé.
« Les
maires des communes non chef-lieu de canton connaîtront, concurremment avec les
juges de paix, des contraventions commises dans la commune, par les personnes
prises en flagrant délit, ou par des personnes qui résident dans la commune ou
qui y sont présentes, lorsque les témoins y seront aussi résidants ou présents,
et lorsque la partie réclamante conclura pour ses dommages-intérêts à une somme
déterminée, qui n'excédera pas celle de quinze francs. Ils ne pourront jamais
connaître des contraventions attribuées exclusivement au juges de paix par
l'art. 139, ni d'aucune des matières dont la connaissance est attribuée aux
juges de paix considérés comme juges civils. »
C'était
ici encore une juridiction extraordinaire, en quelque sorte une juridiction
administrative ; eh bien, cette juridiction cesse d'exister, en présence de la
constitution. Pourquoi ? Parce qu'il est dans l'esprit de la constitution que
des mesures répressives ne peuvent être prononcées par personne, excepté par
des juges, par les juges dont il est parlé dans la constitution.
Messieurs,
le ministre de l'intérieur ne s'est pas dissimulé la difficulté qui se présente
: il le reconnaît lui-même ; mais il cherche à la tourner en changeant les
mots, en appelant du nom d'arrêts, ce qu'on appelle emprisonnement ; mais,
messieurs, c'est là éluder la difficulté et non pas la résoudre, car peu
m'importe le nom que vous donnez à la mesure que vous prenez contre moi,
l'essentiel c'est que vous me privez de ma liberté. Or, il résulte du projet de
loi, que le conseil de prud'hommes, qui n'est pas un tribunal, qui n'est qu'une
sorte de commission administrative, pourra me priver de la liberté pendant
trois jours ; appelez cela arrêts ou emprisonnement, il n'en sera pas moins
vrai que j'aurai été privé pendant trois jours de ma liberté.
Ainsi
que je l'ai dit, messieurs, j'ai voulu plutôt soumettre à la chambre les
difficultés qui m'arrêtent que je n'ai voulu plaider contre le projet de loi.
Je reconnais que l'institution des prud'hommes est une institution excellente,
qu'elle rend de grands services. Je désire qu'elle puisse être établie
constitutionnellement dans le pays ; mais si l'on ne réfute pas victorieusement
les objections que je viens de présenter contre le projet, force me sera de voter contre la loi ou tout au moins contre la disposition qui
tend à donner aux conseils de prud'hommes une juridiction répressive.
M.
Cools. -
Messieurs, au sein de la section centrale, j'ai été du nombre de ceux qui
pensent avec M. le ministre de l'intérieur, qu'il faut créer des conseils de
prud'hommes avec toutes leurs attributions. Je pense, messieurs, qu'il y a
utilité à conserver à ces conseils une action répressive ; je crois qu'il y
aurait des inconvénients à leur enlever cette action répressive, inconvénients
tels que, s'il s'agissait de transférer cette action aux tribunaux ordinaires,
il n'y aurait rien de mieux à faire, à mon avis, que d'abroger l'art. 4 dû décret du 3 août 1810.
J'ai
d'abord une observation générale à présenter.
Je
crois que, dans les questions de juridiction répressive, ce qui doit nous
occuper surtout, ce sont les intérêts des personnes soumises à cette répression
; nous devons nous occuper plutôt de ces intérêts que de la qualité ou des
prérogatives de tribunal qui prononce la répression ; ce sont les droits
politiques civils des citoyens belges que nous devons surtout avoir devant les
yeux ; en un mot, il faut que nous examinions cette question plutôt
subjectivement qu'objectivement, si je puis m'exprimer ainsi.
Ce principe
est la base de notre droit pénal, il est inscrit en toutes lettres dans le code
pénal. L'art. 1er porte :
« L'infraction
que les lois punissent des peines de police est une contravention.
« L'infraction
que les lois punissent des peines correctionnelles est un délit.
« L’infraction
que les lois punissent d'une peine afflictive ou infamante est un
crime. »
C'est
la nature de la peine qui règle l'échelle des juridictions ; ce sont les
droits des citoyens qu'on a ici en vue, c'est l'atteinte plus ou moins forte
portée à ces droits, laquelle détermine les attributions.
Si
la peine est faible, c'est un tribunal du premier degré qui prononce la peine ;
si la peine est plus forte, elle est prononcée par un tribunal d'un degré plus
élevé ; si la peine est plus grave encore, c'est un tribunal également plus
élevé qui la prononce.
Envisageant
la question sous ce point de vue, qui me paraît le seul vrai, j'ai quelque
peine à me rendre compte de la question qu'on a soulevée, celle de savoir si
l'emprisonnement de trois jours prononcé par des prud'hommes doit être envisagé
comme une peine disciplinaire, ou comme une peine de police ; car, qu'on
appelle cela peine disciplinaire ou peine de police, la chose est toujours la
même au fond : une séquestration de trois jours ; cette distinction n'est
qu'une question de mots ; ce qu'il s'agit d'examiner, c'est de savoir si un
conseil de prud'hommes peut prononcer une pareille peine.
Eh
bien, messieurs, je crois qu'en déniant à un tribunal extraordinaire, mais à un
tribunal extraordinaire tombant sous les termes de la constitution (j'entends
par tribunaux extraordinaires, les tribunaux de commerce, les tribunaux
militaires, etc.,), je crois qu'en déniant à de pareils tribunaux une action
répressive, on fait une pétition de principes. La constitution ne se prononce
nulle part d'une manière formelle à cet
égard. Au chapitre concernant le pouvoir judiciaire, je trouve au 1er article
de ce chapitre :
« Les
contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du
ressort des tribunaux. »
Ce
n'est là qu'une ligne de séparation tracée entre le pouvoir judiciaire et le
pouvoir administratif.
Et
à l'article suivant : « Les contestations qui ont pour objet des droits
politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la
loi. »
Il
ne s'agit pas encore là d'actions répressives, ni surtout de concentration de
cette action entre les mains des juges ordinaires.
Puis
au 3e article, l'art. 94 portant : « Nul tribunal, nulle juridiction
contentieuse ne peut être établi qu'en vertu d'une loi. Il ne peut être créé de
commission ni de tribunaux extraordinaires sous quelque dénomination que ce
soit. »
Ici
on croit voir le nœud de la question. Cet article ne décide pas qu'un tribunal
extraordinaire n'aura aucune action répressive. On pourrait tout au plus le
prétendre par induction, et je ferai voir tout à l'heure que cet article n'a
pas de rapport avec la question que nous examinons.
Je
dis que les tribunaux extraordinaires peuvent avoir une action répressive, mais
d’une certaine nature, pour faits se rapportant à leurs attributions. Si
nous nous prononçons d'une manière absolue contre ce principe, nous
introduirons dans nos lois un rigorisme qui ne s'y trouve pas.
Les
tribunaux de commerce et les tribunaux militaires exercent une action
répressive pour les faits se rapportant à leurs attributions. Si vous prétendez
que ces tribunaux n'ont pas, en vertu de la constitution, d'action répressive,
vous rencontrez à chaque pas des inconstitutionnalités. Je crois inutile de
s'occuper de l'art. 94 de la constitution, invoqué par le préopinant.
Je
crois qu'ici il ne s'agit pas de cela. Les conseils de prud'hommes ne sont ni
des commissions ni des tribunaux extraordinaires, dans le sens de l'article 94,
mais une juridiction de commerce, tombant sous l'art. 105 de la constitution.
Ils ont une existence constitutionnelle en vertu de cet article. Le seul point
est de savoir si un tribunal de commerce peut exercer une action répressive.
D'abord,
nos adversaires n'établissent déjà plus le principe contraire d'une manière
tout à fait absolue, car dans la séance d'hier, j'ai entendu concéder que même
les prud’hommes pourraient exercer une action répressive pour les délits commis
à leur audience. Si nous jugeons les peines au point de vue auquel je me suis
placé au commencement de mon discours, je ne vois pas quelle différence il y a
entre un délit commis dans un local ou dans un autre. Ainsi, vous admettez que
le conseil, pour délit d'audience, prononce une peine de trois jours d'emprisonnement,
et vous regarderiez comme inconstitutionnel que ce même conseil, chargé de la
police des ateliers, devant s'y transporter, condamnât, pour faits contraires à
la police de l'atelier, à la même peine qu'il aurait prononcée pour faits
contraires à la police de son audience. La différence de la peine résulterait
du local où l'acte aurait été commis. Je ne vois là qu'une espèce de jeu de
mots. Si, sous ce rapport, on voulait établir une distinction, que j'ai
cependant de la peine à concevoir, il me reste assez d’autres preuves qui
démontrent que toutes les juridictions déterminées par les articles 105 et 116
de la constitution jouissent du droit d'exercer une action répressive, et qu'à
ce titre les conseils de prud'hommes doivent avoir les mêmes attributions.
On
a parlé des tribunaux de commerce, et prétendu qu'ils ne pouvaient pas
prononcer de peine. Cependant leurs jugements entraînent la contrainte par
corps. Ils ne prononcent pas la peine, mais elle peut être la conséquence de
leur jugement ; quant à l'individu que ce jugement atteint, il peut en résulter
(subsidiairement, il est vrai, et à titre de sanction d'exécution) la privation
de la liberté, ce qui constitue une pénalité.
Je
pourrais parler des tribunaux militaires. Il est incontestable que les
attributions de ces tribunaux consistent en actions répressives. Ce sont bien
des tribunaux extraordinaires exerçant une action répressive. Je prévois
l'objection qu'on va me faire, que cette action répressive constitue toutes les
attributions des tribunaux militaires ; que s'ils ne pouvaient pas punir, leur
organisation serait inutile.
Mais
alors je citerai des juridictions militaires d'une nature spéciale, les
tribunaux institués pour autre chose que pour la répression. Je parlerai des
conseils de milice.
D'après
la loi sur la milice, tout citoyen doit payer sa dette à l'Etat. Les conseils
de milice sont institués pour voir si les citoyens n'ont pas des moyens
d'exemption. Le conseil d'abord et la députation des états ensuite décident si
les exemptions existent. Eh bien, ce conseil, qui est institué pour dispenser
le citoyen d'une charge, ce qui exclut bien certainement toute idée de
punition, exerce, dans certains cas, une action répressive des plus fortes.
Ainsi, que dit l'art. 10 de l'arrêté du 27 avril 1820 ?
« Ceux
qui, avant le 28 janvier de l'année pendant laquelle cette obligation reposait
sur eux, ne se seront pas fait inscrire, seront arrêtés sur-le-champ et
transportés au chef-lieu de la province, afin d'y être examinés par le
gouverneur et deux membres des états députés ; s'ils ne sont pas reconnus
incapables de servir pour cause de maladie ou défauts corporels, ils seront
remis immédiatement au commandant provincial pour être incorporés, en déduction
du contingent, etc. »
« Art.
11. Les retardataires mentionnés à l'article précédent seront en même temps
condamnés au double de l’amende ou de la peine comminée par l'art. 8,
etc. »
Ainsi,
la députation du conseil provincial, siégeant à ce titre, juridiction militaire
d'une nature spéciale, prononce la peine la plus forte, la peine du sang.
Abandonnons
maintenant les conseils de milice pour nous occuper de la cour des comptes, qui
bien certainement ne forme pas une juridiction de répression. Une remarque essentielle
est d'abord à faire. En ouvrant la constitution, à l'art. 105, nous y trouvons
: « Des lois particulières règlent l'organisation des tribunaux
militaires, les attributions et les droits des membres de ces tribunaux. »
Des lois particulières devaient régler les attributions des tribunaux
particuliers ; mais pour la cour des comptes, c'est la constitution qui règle
ses attributions, et il n'est nullement question d'attributions répressives.
La
constitution a pourvu à tout. Elle a déterminé elle-même les attributions, et
elle a seulement permis à la loi de régler l'organisation, et cependant,
d'après un article de la loi sur la cour des comptes, la cour peut prononcer
contre les comptables retardataires une amende au profit du trésor qui n'excède
pas la moitié de leur traitement.
Mais,
dira-t-on peut-être, c'était le pouvoir constituant qui a créé la cour
des comptes, il pouvait faire ce qui nous est interdit, à nous, législature
ordinaire, le pouvoir constituant pouvait donner des pouvoirs extraordinaires à
la cour des comptes.
On
ne peut admettre cette doctrine ; ce serait une confusion.
Le
congrès avait une double attribution : celle de pouvoir constituant et celle de
législateur ordinaire. La loi sur la cour des comptes, il l'a portée comme
législateur ordinaire. S'il en était autrement, les droits politiques ne
seraient pas concentrés dans la constitution, mais il y en aurait des parcelles
dans toutes les lois faites par le congrès national.
Je
crois avoir démontré suffisamment que toutes les juridictions extraordinaires
ont une action répressive pour les faits se rapportant à leurs attributions ;
je ne vois donc rien qui s'oppose à ce que les conseils de prud'hommes exercent
le même pouvoir.
Il
me reste à démontrer l'utilité de conserver cette action aux conseils de
prud'hommes et l'inconvénient grave qu'il y aurait à le leur enlever.
Quant
à l'utilité des attributions des conseils, on a parlé des droits des ouvriers,
et on pourra dire : mais la pénalité que prononcent les conseils ne peut être
prononcée qu'à l'égard des ouvriers et non à l'égard des maîtres.
A
l'égard des maîtres, l'action ordinaire existe toujours ; si les ouvriers ont à
se plaindre d'actes de leurs maîtres, d'avoir été injustement dénoncés, ils
pourront s'adresser au juge de paix qui évoquera l'affaire et aura le pas sur
le conseil.
D'ailleurs,
les intérêts des ouvriers sont déjà garantis par les dispositions du code pénal
contre les moyens blâmables que pourraient employer les maîtres pour faire
baisser les salaires.
Mais
en nous occupant des intérêts des ouvriers, nous ne devons pas perdre de vue
les intérêts des maîtres. Nous devons chercher à arrêter le mauvais esprit des
ouvriers, cet esprit de coalition qui se révèle surtout quand le travail
commence à manquer. Je crois que c'est là surtout ce dont la chambre doit se
préoccuper. Je crois qu'il y aurait des inconvénients graves à donner ces
attributions aux tribunaux ordinaires.
L’art.
3 du décret de 1810 est ainsi conçu : « Tout délit tendant à troubler
l'ordre et la discipline de l'atelier, tout manquement grave des apprentis
envers leurs maîtres, pourront être punis. par les prud'hommes, d'un
emprisonnement qui n'excédera pas 3 jours sans préjudice de l'art. 19, titre V,
de la loi du 22 germinal an XI, et la concurrence des officiers de police et
des tribunaux. »
D'après
cet article, les mêmes faits peuvent être à la fois de la compétence des
conseils de prud'hommes et de la compétence des tribunaux ordinaires. C'est
d'ailleurs décidé par des arrêts de la cour de cassation de France, portant que
les tribunaux ordinaires peuvent prononcer des peines, après que les
prud'hommes en ont prononcé. Les faits tombant sous les termes de l'art. 4 du
décret du 3 août 1810 peuvent donc constituer des contraventions, dans le sens
du code pénal. Mais quels sont ces faits ? qu'est- ce qui constitue, par
exemple, un manquement grave des ouvriers envers leurs maîtres ? Si, dans un
mouvement de mauvaise humeur, l'ouvrier laisse échapper un propos grossier, y
aura-t-il manquement grave ? J'en doute. J’y vois un manquement, mais je ne
sais si c'est un manquement grave. Allons un peu plus loin, Supposons qu'au
lieu d'un propos grossier il y ait eu injure. Ici il y a bien certainement
manquement grave, dans le sens de la loi du 3 août 1810, de même qu'il y a injure
dans le sens du code pénal.
Maintenant
qu'arrivera-t-il si, comme quelques membres de la section centrale l'ont
proposé, on transfère l'action répressive des conseils de prud'hommes aux
tribunaux de simple police ? c'est que le juge de paix aura deux lois à sa
disposition.
Vous
introduisez la confusion dans vos lois ; l'ouvrier qui sera considéré comme
coutumier du fait, sera puni de la peine la plus sévère ; l'ouvrier que l'on
considérera comme méritant quelques égards, sera puni de la peine la plus
faible. Vous introduisez ainsi dans la juridiction de simple police le système
des circonstances atténuantes ; vous pouvez même avoir des conflits
d'attributions, car l'injure peut avoir été proférée à la sortie de l'atelier,
sur la porte de la rue, en un mot dans un lieu public.
Je crois donc qu'il y aurait des inconvénients graves
à donner ces attributions aux tribunaux ordinaires ; je crois qu'il ne faut
rien changer au projet de loi présenté par la section centrale, auquel M. le
ministre s'est rallié.
M. de Muelenaere.- La discussion actuelle n'est
pas sans une certaine gravité ; elle offre deux questions à examiner : une
question pratique et d'utilité, une question constitutionnelle et de principe.
Sur la première question, celle de l'utilité des conseils de prud'hommes, on
semble généralement d'accord ; cette utilité paraît aujourd'hui si bien
appréciée que presque toutes les régences, presque toutes les chambres de
commerce réclament avec instances l'établissement de ces conseils. En effet,
cette création est un bienfait pour l'industrie ; elle est en même temps une
garantie d'ordre et de tranquillité pour les villes manufacturières. Mais pour
que les conseils de prud'hommes puissent remplirent leur mission, il faut
nécessairement qu'ils soient investis de toutes les attributions nécessaires à
cet effet. Ici je ne parle pas d'après des théories plus ou moins
incontestables, mais d'après mon expérience personnelle.
Je
suis convaincu que l'attribution la plus utile, la plus indispensable, c'est
l'action répressive ou disciplinaire. Il m'importe peu de quel nom on la
qualifie, je tiens moins aux mots qu'à la chose elle-même.
Si
vous dépouillez les conseils des prud'hommes de cette attribution, à l'instant
ils perdent aux yeux des ouvriers toute la considération, tout le respect dont
les décrets de l'empire ont eu soin de les environner. Pour ma part je suis
intimement persuadé que c'est dans ce droit de répression que cette institution
puise toute sa force morale. Dès lors, il faut, autant que possible, conserver
à ces conseils cette puissance morale, si vous voulez qu'ils puissent faire
quelque bien. Voyons si la constitution s'oppose d'une manière insurmontable à
ce qu'on conserve aux conseils de prud'hommes les attributions dont ils ont été
jusqu'à présent investis.
On
a paru généralement d'accord sur deux points, c'est que les conseils de
prud'hommes peuvent siéger comme bureaux de conciliation, et qu'on peut
constitutionnellement leur donner une juridiction commerciale.
La
seule question sérieuse à résoudre est donc celle de savoir si, d'après le
texte et l'esprit de notre pacte constitutionnel, un conseil de prud'hommes
peut exercer dans certaines limites l'action répressive ou disciplinaire.
Je
sais que l'inamovibilité du juge est le principe fondamental de notre
organisation judiciaire ; mais je vous ferai observer tout à l'heure qu'il
existe une foule de juridictions qui prononcent des peines, quoique leurs
membres ne jouissent pas de l'inamovibilité.
Il
est une considération, d'ailleurs, qu'il convient de ne pas perdre de vue,
c'est que si d'après la constitution les conseils de prud'hommes ne peuvent
prononcer la peine de l'emprisonnement, en vertu du même principe, ils ne
pourraient prononcer aucune autre peine ; car, rien ne vous autoriserait à
faire cette distinction entre les peines. Toute peine devrait être prononcée
par un juge nommé à vie. Si une pareille assertion était rigoureusement vraie,
nous serions dans un état flagrant d'inconstitutionnalités de toute espèce. En
effet, le conseil de discipline de l'ordre des avocats prononce des peines
disciplinaires ; la chambre des notaires prononce, dans certains cas, des
peines disciplinaires ; les conseils de discipline de la garde civique
prononcent la peine de l'amende et de l'emprisonnement.
Un
officier commandant un corps peut infliger à tout officier sous ses ordres les
arrêts sans accès dans son appartement ou son domicile, et les arrêts dans la prison
militaire. Ces arrêts peuvent, si je ne me trompe, être de quinze jours.
Il
est encore d'autres cas, que je pourrais citer, dans lesquels des peines sont
prononcées par des corps ou des individus qui n'ont que des attributions
temporaires.
Comme
je l'ai déjà dit, on est généralement d'accord sur un point, c'est que les
conseils de prud'hommes constituent une véritable juridiction commerciale au
premier degré. Or, le 2e paragraphe de l'article 105 est ainsi conçu
: « Il y a des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi
; elle règle leur organisation, leurs attributions, le mode de nomination de
leurs membres et la durée des fonctions de ces derniers. Si, et la section
centrale est unanime sur ce point, les conseils de prud'hommes peuvent être
considérés comme une juridiction commerciale, vous pouvez régler leur
organisation, déterminer leurs attributions et même le mode de leur nomination.
Dès
lors, il me semble que la constitution ne s'oppose nullement à ce que vous
régliez dans la loi actuelle les attributions des conseils de prud'hommes.
Messieurs,
on vous a présenté la peine d'emprisonnement prononcée par les conseils de
prud'hommes comme une peine disciplinaire, et je crois en effet que c'est
ainsi qu'elle doit être considérée. Un honorable membre vous a cité tout à
l’heure un arrêt de la cour de cassation de France qui avait, en effet, décidé
que les peines prononcées par les conseils des prud'hommes n'étaient autres que
des peines purement disciplinaires. Il vous a encore cité l'opinion d'un
auteur qui a traité cette matière ex professo et qui est aussi d'avis
que ce sont des peines disciplinaires. Je crois qu'il ressort du décret
lui-même que les peines prononcées par les conseils des prud'hommes ont
réellement ce caractère.
Je
n'ai pas le décret sous les yeux, mais je crois qu'on n'a pas cité dans le
rapport l'article 4 tout entier du décret du 3 août 1810 et que cet article
même contient que c'est sauf les poursuites qui peuvent être intentées par les
officiers de police et l'action devant les tribunaux.
Dès
lors, messieurs, vous voyez que les peines prononcées par les conseils des
prud'hommes ne sont pas uniquement infligées pour des faits réputés par la loi
crimes, délits ou contraventions, mais aussi pour des actes qui ne tombent pas
sous l'application des lois pénales, pour des faits autres que ceux qui sont
prévus par les lois existantes, et que dès lors il s'agit de peines purement
disciplinaires dans toute l'acception du mot.
Une
objection, messieurs, a été faite par un honorable membre. Il a posé ce dilemme
: ou les décrets impériaux de l'empire ont conservé toute leur force, et alors
vous n'avez pas besoin d'une loi pour établir de nouveaux conseils de
prud'hommes, ou bien ces décrets sont abrogés, et la loi nouvelle est
incomplète, insuffisante.
Il
est à observer, messieurs, et je crois que la remarque a déjà été faite, que,
d'après les décrets de l'empire, les conseils des prud'hommes ne pouvaient être
établis qu'en vertu d'un règlement d'administration publique délibéré en
conseil d'Etat. Dès lors, messieurs, il devenait pour ainsi dire impossible
d'établir des conseils de prud'hommes autrement que par une loi. Comment
aurait-on pu se conformer à la prescription du décret, puisque nous n'avons
pas de conseil d'Etat en Belgique ?
Indépendamment
de cela, des doutes s'élevaient par suite de l'article 94 de la constitution,
qui dit qu'aucune juridiction ne peut être établie qu'en vertu de la loi.
C'est
pour ces motifs qu'on a pensé qu'une loi était indispensable pour que le
gouvernement fût autorisé à établir des conseils de prud'hommes dans les villes
où ces conseils n'avaient pas été créés jusqu'à présent.
On
a tort aussi, me semble-t-il, de tant s'effrayer de cette juridiction pénale
que l’on veut conserver aux conseils de prud'hommes. Par qui cette juridiction
est-elle exercée ? Par un conseil qui est nommé par ses pairs, par un conseil
dont les membres sont renouvelés, chaque année, par tiers et par la voie de
l'élection directe ; par des membres d'un conseil, qui, avant leur entrée en
fonctions, font le serment d'observer la constitution et les lois du pays.
Le
maximum de la peine qu'ils peuvent appliquer est de trois jours
d'emprisonnement. Vous avez pu voir d'ailleurs, par le rapport qui vous a été
fait et par les renseignements qui ont été fournis à votre section centrale par
M. le ministre de l'intérieur, que les conseils de prud'hommes n'abusent
nullement du droit qui leur est conféré par les décrets de l'empire. Et en
effet, dans la ville de Bruges, où un pareil conseil existe depuis 1813, où ce
conseil a pensé que, malgré la constitution, il continuait à être investi de
toutes ses attributions primitives, ce conseil, depuis 1830, n'a prononcé en
tout que seize jugements emportant des peines. Ce n'est pas deux jugements par
an.
On
dira peut-être que puisque les conseils de prud'hommes prononcent si peu de
jugements emportant des peines, il devient inutile de leur conserver ce droit.
Ce serait là, messieurs, une erreur très grave. C'est précisément parce que les
ouvriers sont convaincus que le conseil des prud'hommes peut, au besoin,
recourir à des mesures répressives, qu'il peut prononcer la peine d'emprisonnement,
que le conseil est mis à même de remplir efficacement sa mission. Mais si
l'ouvrier savait que, d'après la loi, il est défendu au conseil des prud'hommes
de prononcer des peines contre lui, ce conseil, à l'instant même, serait
paralysé dans sa marche, il perdrait la plus grande partie de son influence et
de sa force morale.
Messieurs,
d'après ces considérations que je ne veux pas développer davantage, je pense
qu’il est dans l'intérêt du pays qu'on établisse dans nos villes
manufacturières des conseils de prud’hommes, et qu'il est indispensable de leur
conserver toutes les attributions qui ont été conférées à ces conseils par les
décrets de l'empire. Je pense qu'aucune de ces attributions
n'est rigoureusement contraire à la constitution, et que dès lors rien ne
s'oppose à ce que la lui soit adoptée par la chambre.
(Moniteur belge n°81, du 22 mars 1842) M. Raikem. - Messieurs, quant à
l'utilité des conseils de prud'hommes, elle vient d'être démontrée d'une
manière péremptoire par l'honorable préopinant. Il vous a en même temps fait
remarquer qu'une certaine attribution, soit la même, soit semblable à celle qui
leur était déférée par le décret du 3 août 1810, était également
nécessaire, tellement qu'il ne reste en réalité qu'une seule question à
examiner, c'est-à-dire, si les attributions conférées aux conseils de
prud'hommes, ou celles que M. le ministre propose maintenant de leur conférer,
sont ou non compatibles avec les dispositions constitutionnelles. C'est à
cette question que je me restreindrai.
Je
crois, messieurs, qu'il est inutile de faire de longues observations sur ce
qu'on vous a dit relativement à certains articles du décret de 1809, qui
confèrent aux prud'hommes des mesures répressives lorsqu'on leur manque à leur
audience même. Il a toujours été admis que tout tribunal pouvait se protéger
lui-même.
Remarquez-le
; on ne peut, en général, être juge dans sa propre cause. C'est un principe qui
n'a pas besoin d'être écrit dans la loi ; il est de droit naturel. Eh bien ! si
un tribunal est insulté à son audience, il est juge dans sa propre cause.
Pourquoi ? parce qu'il faut que personne ne manque de respect à la justice ;
parce que cela est de l'intérêt public et général, et il est impossible qu'une
juridiction subsiste, si elle n'a pas le moyen de se protéger.
Or,
que confèrent les articles cités du décret de 1809 aux conseils de prud'hommes
? Ils leur confèrent le droit de protéger le maintien de l'ordre à leur
audience.
Messieurs,
faut-il encore parler de ce que, si les décrets impériaux subsistent, le
ministre n'avait pas besoin de présenter un projet ; que par voie réglementaire
il pouvait établir des conseils de prud'hommes dans les localités où cela
serait jugé convenable ?
Mais
que la chambre me permette de citer un antécédent. Les tribunaux de commerce
s'établissaient antérieurement sous le régime impérial par des décrets
impériaux. On ne recourait pas à des lois pour l'établissement de tribunaux de
commerce. Eh bien, messieurs, depuis la promulgation de la constitution,
lorsqu'il s'est agi de rétablir les tribunaux de commerce qui avaient été
supprimés sous le régime des Pays-Bas (je crois qu'il y en avait trois, ceux
de Bruges, d'Ostende et de Courtray), des lois ont été décrétées par la
législature.
Or,
messieurs, vous savez. que quant aux matières que je puis appeler civiles par
opposition aux matières répressives, on a regardé les conseils de prud'hommes
comme des tribunaux de commerce d'un degré inférieur. On les a assimilés aux
juges de paix vis-à-vis des tribunaux civils.
On
peut donc dire que le ministre n'a fait que suivre les précédents qui
existaient à cet égard, en demandant une loi à l'effet d'établir des conseils
de prud'hommes dans les villes où il n'en existait pas.
Maintenant
j'arrive à la question de constitutionnalité, et je vais prendre la discussion
au point où nous l'avons laissée hier.
Il
s'élevait des doutes sur la question de savoir si l'art. 4 du décret du 3 août
1810 était abrogé par la constitution. J'ai exprimé mes doutes à cet égard à la
séance d'hier. J'ai exprimé l'opinion que si la juridiction des maires, comme
tribunaux de police avait été abrogée par la constitution, les attribution de
police qui étaient conférées aux prud'hommes se trouvaient également abrogées,
et que cela résultait de l'arrêt rendu par la cour de cassation dans le courant
de l'année 1840.
Mais
remarquez, messieurs, à quel point en était la discussion ? Le ministre ne
contestait pas le principe, que si la peine comminée par l'art. 4 du décret de
1810 était véritablement répressive, cet article se trouvait abrogé par la
constitution, Il l'avançait même d'une manière plus positive que je ne l'avais
avancé, puisqu'à cet égard j'émettais seulement des doutes. Mais, disait M. le
ministre, il ne s'agit pas de mesures répressives ; il s'agit de mesures disciplinaires.
On était d'accord que s'il s'agissait, non pas de peines de répression, mais de
peines disciplinaires, alors il n'y avait pas abrogation par la loi
constitutionnelle. Voilà à quel point en était la discussion ; elle se
réduisait au point de savoir si la disposition de l'art. 4 du décret de 1810
établissait des peines disciplinaires ou si des peines répressives étaient
établies par ce décret.
Il
y a une grande différence entre les peines disciplinaires et les peines
répressives. On a déjà fait remarquer cette différence, en citant un arrêt de
la cour de cassation de France. C'est l'honorable M. de Villegas qui a fait
cette citation. D'après les principes admis par cet arrêt, quand on poursuit
l'application des peines disciplinaires, il n'y a pas lieu à la maxime non
bis in idem. Ainsi celui qui a été condamné par les tribunaux répressifs
peut être passible de peines disciplinaires. Il y a plus, celui qui a été
acquitté par un tribunal répressif peut, à raison des mêmes faits pour lesquels
il a été poursuivi et nonobstant son acquittement, être frappé de peines
disciplinaires. D'un autre côté, il y a encore une différence. Est-on condamné
par les tribunaux répressifs ? vous savez que la peine augmente, en cas de
récidive. Mais, de ce qu'une peine disciplinaire a été infligée, il n'en
résulte pas que celui qui l’a subie soit en état de récidive, lorsqu'il est
ensuite traduit devant les tribunaux de répression. Il y a donc une grande
différence entre les deux espèces de peines.
Maintenant,
faut-il s'appesantir sur l'objection qui a été faite, que tout manquement de
l'apprenti à l'égard du maître sera puni de certaines peines (soit
disciplinaires ou autres ; je m'abstiens, en ce moment, de les qualifier,),
tandis qu'il n'y aurait pas réciprocité pour les apprentis vis-à-vis de leurs
maîtres. Mais on sait la grande différence qu'il y a dans la position des
personnes vis-à-vis l'une de l'autre. Un maître, dans certains cas déterminés
par la loi, est responsable des faits de ses ouvriers et apprentis comme un
père est responsable des faits de son enfant mineur, De ce que le père a un
droit de correction à l'égard de son fils, jamais on n'a conclu que, par
réciprocité, on devrait accorder au fils un droit de correction sur son père. (Rires d'approbation.)
Revenons
donc à la question. Dans le moment actuel, le ministre vous a présenté un
amendement qui tend à changer le titre du décret de 1810 et qui déterminerait
la nature de la peine, de la manière dont elle a été définie par la cour de
cassation de France dans son arrêt de 1836, c'est-à-dire comme mesure
disciplinaire. Si c'est une mesure disciplinaire, nous étions hier d'accord que
la loi constitutionnelle permet de prendre ces mesures disciplinaires. Il ne
reste donc qu'une seule question, celle de savoir si véritablement c'est une
peine disciplinaire, ou si c'est une mesure répressive, si c'est une peine
comme celle qu'on inflige du chef de contraventions de police, ou si c'est une
mesure disciplinaire. On dit qu'il s'agit de la privation de la liberté. Mais
beaucoup de peines emportant privation de la liberté n'ont jamais été
considérées comme peines répressives proprement dites. Cette mesure
disciplinaire est qualifiée de mise aux arrêts. On ne pourra conduire les
personnes qui seront l'objet de ces mesures disciplinaires dans la prison
ordinaire. Le gouvernement devra assigner un autre local. Il y a bien de la différence
à être détenu momentanément, en vertu du pouvoir disciplinaire, dans un autre
local que la prison, ou à être confondu dans la prison avec les criminels. Ces
deux choses ne peuvent être assimilées ; et le gouvernement devra exécuter la
loi dans le sens dans lequel elle est portée. Cette différence prouve bien
qu'il s'agit d'une peine disciplinaire et non d'une peine répressive. Celui qui
aura été l'objet de ces mesures disciplinaires ne pourra être envisagé comme
ayant subi une peine ; il n'encourra pas, de ce chef, les peines de la
récidive.
Je
ferai encore une observation, c'est que les élèves de l'école militaire sont
soumis à des mesures disciplinaires qui vont jusqu'à la prison militaire, et
cela par la loi du 18 mars 1838. Je ne sache pas que l'on ait envisagé la
disposition de cette loi comme inconstitutionnelle. Et remarquez que ce n'est,
aux termes de l'art, 2 de cette loi, qu'en entrant dans la seconde année
d'études, que les élèves contractent l'engagement de servir pendant six ans. La
première année, ils n'ont pas pris d'engagement ; cependant ils sont soumis à
des peines disciplinaires assez fortes.
L’honorable
M. de Brouckere s'est appuyé sur l'art. 94 de la constitution, soutenant qu'on
ne pouvait, aux termes de cet article, déférer l'attribution dont il s'agit aux
conseils de prud'hommes. Cet article porte :
« Art.
94. Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établie qu'en
vertu d'une loi (on ne peut en établir en vertu d'arrêtés royaux). Il ne peut
être créé de commissions ni de tribunaux extraordinaires sous quelque
dénomination que ce soit. »
Cette
disposition est conforme à la disposition de la charte française sous l'empire
de laquelle les conseils de prud'hommes existent encore, sous l'empire de
laquelle on a considéré l'art. 4 du décret de 1810 comme étant resté en
vigueur.
L'art.
54 de la charte française est ainsi conçu :
«
Art. 54. Il ne pourra en conséquence (c'est-à-dire en conséquence de l'art. 53,
ainsi conçu : « Nul ne pourra être distrait de ses juges naturels »)
être créé de commissions et tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous
quelque dénomination que ce puisse être. » C'est la même disposition dans
l'une et l'autre constitution. Mais, à moins que je ne me trompe étrangement,
il me semble qu'il y a une différence entre une commission ou un tribunal
extraordinaire et une juridiction extraordinaire. Certainement la constitution
ne dit pas qu'il ne pourra être créé de juridiction extraordinaire. Car il y a
la juridiction ordinaire et des juridictions extraordinaires. Juridiction
extraordinaire, c'est-à-dire, que ceux qui l'exécutent connaissent des matières
qui leur sont attribuées par la loi. Hors de ces cas, la contestation rentre
dans la juridiction ordinaire. Il est donc évident qu'il y a une juridiction
ordinaire et une juridiction extraordinaire. Les tribunaux de commerce, les
tribunaux militaires, les juges de paix même sont des juridictions
extraordinaires. Mais il ne peut être établi ni commissions ni. tribunaux
extraordinaires. Les conseils de prud'hommes sont préexistants à la
constitution ; ils ne sont pas des commissions. Bien qu'ils aient une
juridiction extraordinaire, ils ne sont pas, pour cela, des tribunaux
extraordinaires dans le sens de l'art. 94. Vous savez que l'idée dont s'est
préoccupé surtout la législateur constituant, lorsque cette disposition de la
charte française de la constitution a été admise, a été les attributions
politiques. Nous y avons porté une attention plus spéciale en décrétant que
les affaires politiques et de la presse devaient être soumises au jury. Mais je
ne pense pas que ces mots de tribunaux extraordinaires puissent s'appliquer
aux conseils de prud'hommes. On ne les a pas envisagés ainsi en France. Je
pense que nous ne devons pas non plus les regarder comme tels. Il me semble que
du moment où les conseils de prud'hommes ne pourront prononcer que des peines
disciplinaires pour des infractions d'une certaine catégorie et qui ont pour
objet de prévenir les coalitions d'ouvriers et d'empêcher le désordre des
ateliers, de même que les manquements des apprentis vis-à-vis des maîtres ; il
me semble que ces mesures disciplinaires, qui ont pour
objet de prévenir des méfaits plus grands, nous pouvons les adopter sans nous
mettre en désaccord avec la constitution qui nous régit.
(Moniteur belge n°80, du 21 mars 1842) M. Dumortier. - Messieurs, lorsque j'ai
demandé la parole, c'était également pour répondre quelques mots aux observations
de mon honorable collègue, M. Verhaegen, relativement à la question
constitutionnelle qui est soumise à nos délibérations. Cette question est pour
moi très grave, car nous devons avant tout respecter la constitution.
Je
me suis dès lors demandé si la constitution est réellement intéressée dans la
question qui nous occupe,et après examen, il me paraît impossible de soutenir
que la constitution y est intéressée.
Messieurs,
lorsqu'on a rédigé le chapitre III de la constitution, celui relatif au pouvoir
judiciaire, l'on a eu en vue de régler tout ce qui était relatif aux
institutions judiciaires elles-mêmes. Il en est de même des autres parties de
la constitution, où l'on a organisé tous les autres corps constitutifs de
l'Etat.
Or
pour ce qui est des tribunaux, le congrès avait deux manières d'agir :
Conserver les uns, supprimer les autres. Il est des corps que le congrès a eu
l'intention de supprimer, il en est qu'il n'a pas eu l'intention de supprimer.
Ainsi,
on a parlé tout à l'heure du conseil d'Etat. Eh bien, messieurs, il résulte des
procès-verbaux des séances du congrès, ainsi que des rapports de la section
centrale de cette assemblée, que le congrès a eu l'intention manifeste,
formelle, de supprimer le conseil d'Etat. Mais nous ne trouvons exactement
rien qui puisse nous faire croire que le congrès aurait voulu supprimer les
conseils des prud'hommes. Il faudrait dès lors qu'il y eût des motifs excessivement
clairs dans la constitution pour que nous puissions regarder les conseils de
prud'hommes comme étant inconstitutionnels. Ces conseils existaient au moment
où l'on établissait la constitution, ils ont continué d'exister depuis ; jamais
on n'a cru à l'inconstitutionnalité de leur existence.
L’honorable
M. de Brouckere a argumenté de l’article 84 de la constitution et
particulièrement du 2e paragraphe où il est dit qu’il ne peut être créé de commissions ni de
tribunaux extraordinaires sous quelque dénomination que ce soit.
Mon
honorable collègue a parfaitement défini ce qu’il entendait par des commissions, et je partage
parfaitement son avis à cet égard ; mais je pense qu’il s’est trompé en
attribuant une spécialité différente aux tribunaux extraordinaires.
Messieurs,
il ne faut pas ici se tromper sur les faits. Lorsque le congrès a fait la constitution,
il a voulu empêcher l'organisation de commissions quelconques qui rappelassent
tout ce qui s'était passé en Belgique sous le duc d'Albe et à certaines époques
en France ; on n'a pas voulu de commissions politiques qui pussent juger les
citoyens. C'est là le but principal qu'on a voulu atteindre, et on l'a atteint
: il n'est pas possible d'établir de pareils tribunaux en Belgique, sous
quelque point de vue que ce puisse être.
Mais
les conseils de prud'hommes ne sont pas en cause ici. Que sont les conseils de
prud'hommes ? Ce sont de véritables tribunaux de commerce avec une autre
juridiction ; or, la constitution autorise la création de tribunaux de
commerce.
Maintenant
ces tribunaux de commerce (les prud'hommes) peuvent-ils, constitutionnellement
ou non, comminer des peines disciplinaires ? Là est toute la question. S'ils
ne peuvent pas, comme le prétend l'honorable M. de Brouckere, comminer
constitutionnellement des peines disciplinaires, je suis dans ce cas d'accord
avec lui sur ce point, que vous ne pouvez pas autoriser les conseils de
prud'hommes à comminer des peines disciplinaires. Mais s'ils peuvent déjà
légalement comminer des peines disciplinaires dans certaines circonstances,
vous pouvez les autoriser à en comminer dans d'autres circonstances. Or, pour
résoudre cette question, nous avons les articles 504 et 505 du code
d'instruction criminelle qui sont formels.
Ces
deux articles portent :
« 504.
Lorsqu'à l'audience ou en tout autre lieu, où se fait publiquement une
instruction judiciaire, l'un ou plusieurs des assistants donneront des signes
publics soit d'approbation, soit d'improbation, ou exciteront du tumulte, de
quelque manière que ce soit, le président ou le juge les fera expulser ; s'ils
résistent à ses ordres, ou s'ils rentrent, le président ou le juge ordonnera de
les arrêter et conduire dans une maison d'arrêt : il sera fait mention de cet
ordre dans le procès-verbal, et sur l'exhibition qui en sera faite au gardien
de la maison d'arrêt, les perturbateurs y seront reçus et retenus pendant
vingt-quatre heures.
« 505.
Lorsque le tumulte aura été accompagné d’injures ou voies de fait donnant lieu
à l'application ultérieure de peines correctionnelles ou de police, ces peines
pourront être, séance tenante et immédiatement après que les faits auront été
constatés, prononcées, savoir : celles de simple police, sans appel, de quelque
tribunal ou juge qu'elles émanent ; et celles de police correctionnelle, à la
charge de l'appel, si la condamnation a été portée par un tribunal sujet à
appel, ou par un juge seul. »
De
manière qu'un tribunal de commerce, comme tout autre tribunal, peut prononcer,
séance tenante, des peines disciplinaires dans les cas prévus par ces articles
du code d'instruction criminelle.
Vous
voyez donc, messieurs, que les tribunaux de commerce sont investis, dans telle
et telle circonstance, du droit de comminer des peines disciplinaires. La
constitution n'est sans doute pas intéressée en cela. Dès l'instant que la
constitution n'est pas intéressée à cet égard, en ce qui concerne les tribunaux
de commerce, elle ne l'est pas non plus, en ce qui concerne les conseils de
prud'hommes qui, comme je l'ai dit, sont de véritables tribunaux de commerce.
La
seule question qui reste en cause, c'est celle de savoir s'il convient
d'accorder ce qu'on vous demande. Mais quant à la question
constitutionnelle, je le répète, dès l'instant que les conseils des prud'hommes
sont considérés comme des tribunaux de commerce, il paraît incontestable qu'on
ne peut pas leur dénier le pouvoir de comminer des peines disciplinaires dans
telle circonstance donnée, attendu que le code d'instruction criminelle
attribue un pouvoir semblable aux tribunaux de commerce dans d'autres
circonstances.
Mais
convient-il d'établir ces peines ? C'est là une question grave. A cet égard, je
ferai remarquer que les conseils de prud'hommes sont des institutions
extrêmement importantes dans les localités qui possèdent des grandes et
nombreuses fabriques ; que l'importance de ces conseils est la cause principale
pour laquelle on en demande l'établissement dans un grand nombre de villes.
Mais pour que ces conseils puissent offrir toutes les garanties désirables, il
est impérieusement nécessaire, à mon avis, qu'ils ne soient institués que dans
les localités où se trouvent de nombreux industriels. Je crois qu'il serait
extrêmement dangereux d'étendre l'institution des conseils de prud'hommes à des
localités qui ne sont pas dans ce cas. Si l'on établissait de semblables
conseils dans des villes qui n'auraient que deux ou trois fabriques, on
amènerait presque inévitablement ce résultat fâcheux : le monopole des maîtres,
dans leurs rapports avec les ouvriers.
D'un
autre côté, il peut se présenter des cas où des ouvriers, dont les maîtres
seraient membres du conseil des prud'hommes, viendraient à comparaître devant
le conseil ; eh bien, je désire que, dans ce cas, le maître ne puisse pas juger
son propre ouvrier.
Un membre. - Il devra se récuser.
M. Dumortier. - Il devra se récuser, c'est juste ; mais il faut que la loi
l'ordonne. Il y a donc là une lacune qu'il conviendrait de combler.
En
résumé, messieurs, l'institution des conseils de prud'hommes, est
constitutionnelle ; les attributions qu'on veut leur donner sont également
constitutionnelles, parce que nous ne voyons nulle part, ni dans les procès
verbaux des séances du congrès, ni dans ceux des sections de cette assemblée,
qu'on ait entendu supprimer les conseils de prud'hommes. Quant à l'action
répressive qu’on peut leur accorder, j'ai prouvé qu'en leur qualité de
tribunaux de commerce, ils pouvaient légalement exercer cette action.
Je
termine en répétant que ces conseils ne doivent être établis que dans les
villes où il existe un grand nombre d'établissements industriels ; s'il
s'agissait d'instituer un semblable corps dans les petites villes, où l'on ne rencontrerait que 2 ou 3 manufactures, nous devrions
y regarder à deux fois, avant de voter le projet.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, je me proposai de présenter les mêmes
observations que l'honorable M. Raikem, de sorte que je crois pouvoir renoncer
à la parole. Je me rallierai à l'article nouveau qui a été
présenté par M. le ministre de l'intérieur.
M.
Orts. – Messieurs, pour moi, un
doute sérieux sur la constitutionnalité du projet résulte d'une considération
toute particulière. Je me demande que sont les conseils des prud'hommes ? Tout le monde est
d'accord sur ce point, que les conseils des prud'hommes sont des tribunaux de
commerce au premier degré, En effet, lorsqu'on fixe son attention sur les deux
décrets organiques de l'institution du conseil des prud'hommes, on aperçoit une
différence totale entre le premier et le second de ces décrets.
M.
le ministre de l'intérieur nous a fort bien fait observer que les conseils des
prud'hommes étaient triples ; d'abord ils sont conciliateurs entre les parties,
et à cet égard ils exercent en quelque sorte les fonctions de juge de paix,
siégeant en bureau de conciliation s'ils ne parviennent pas à concilier les
parties, ils les renvoient aux fins de non-recevoir devant le bureau général,
et alors c'est une véritable juridiction contentieuse.
Ces
deux premières attributions résultaient, en effet, du décret du 11 juin 1809 :
mais dans cette loi, qui est une espèce de code de procédure pour les
prud'hommes, il n'y avait que cela ; il n'y avait pas un mot sur les mesures
répressives.
A
peine quinze mois s'étaient-ils écoulés, que Napoléon crut devoir, par un nouveau
décret, agrandir en quelque sorte le cercle de ses attributions qui avaient été
données aux conseils des prud'hommes. Je veux parler du décret du 3 août 1810,
divisé en deux chapitres. Le premier chapitre est intitulé : De la
juridiction des prud'hommes.
Vient
ensuite le chapitre Il où l'on lit l'art, 4, qui forme l'objet de la discussion
et dont le titre est : Attributions des prud'hommes en matière de police.
Vous voyez que rien que l'intitulé du chapitre prouve qu'il s'agit
dans cet article d'une pénalité de police.
L'honorable
M. Raikem semble concéder que si ce que le ministre propose est autre chose
qu'une mesure disciplinaire, des doutes sérieux peuvent s'élever sur la
constitutionnalité de la disposition. Il faut donc examiner si l'article 4 dont
il s'agit ne commine pas une véritable peine de police.
Je
commence par me demander si, en matière de loi, c'est à l'écorce des mots
qu'il faut s'arrêter, s'il ne faut pas entrer dans l'esprit de la chose, s'il faut
voir non seulement ce que l'on a voulu faire, mais ce que l'on a fait en effet.
Prenez
le décret du 3 août 1810 et rapprochez-le de l'amendement. Aux mots tout
délit, on a substitué tout fait ; au mot emprisonnement on a
substitué le mot arrêt. Je me demande qu'est-ce que c'est qu'un délit ?
et qu'est-ce que c'est qu'une peine de police ? J'ouvre le code pénal et j'y
trouve, art. 1er, une définition semblable à la vôtre : j'y trouve que toute
infraction que les lois punissent de peine de police est une contravention et
que les trois jours d'emprisonnement que vous prononcez sont une peine de
police, (Art. 464 et 465 du code pénal.)
D'après
ces articles, un emprisonnement de 1 à 5 jours est une peine de police. Parce
qu'il vous plaira de qualifier arrêts trois jours d'emprisonnement, tandis que
le code à la main je vous prouve que trois jours d'emprisonnement sont une
peine de police, est-ce que cela cessera d'être une peine de police, parce que
vous en aurez changé le nom ? Evidemment non, vous ne pourrez jamais faire que
trois jours d'emprisonnement ne soient une véritable peine.
Quand
on examine le véritable but du décret du 3 août 1810, chapitre II, on voit que
l'auteur a voulu surenchérir sur ce qu'il avait fait précédemment, ajouter une
peine au premier décret organique qui était antérieur d'une année.
Pour
la question de constitutionnalité, je dis : vous avouez que l’institution des
prud’hommes n'est autre chose qu'une juridiction de commerce en première
instance. Une juridiction de commerce peut-elle prononcer des peines ? Elle
peut, à la vérité, aux termes de l'art. 504 du code d'instruction criminelle,
infliger des peines pour délits commis à l'audience. Mais ici, j'en appelle à
la distinction judicieuse et légale faite par l'honorable M. Raikem. Il vous a
dit : il est concevable que tout juge civil, comme répressif, puisse être
investi du droit de prononcer des peines contre les délits commis à l'audience
; car il s'agit de venger la propre dignité du juge outragé en face. La loi lui
attribue le droit de maintenir la dignité du tribunal auquel il appartient.
Mais est-ce ici le cas ? Les prud'hommes aussi ont été investis de ce droit
par l'art. 34 du décret du 11 juin 1809.
Il s'agit ici de punir des faits qui se sont passés dans les ateliers et de
faits qualifiés dans l'art. 4 du décret du 3 août 1810 d'une manière
extrêmement vague. Tout délit tendant à troubler l'ordre et la discipline des
ateliers, tout manquement grave des apprentis envers leurs maîtres, pourront
être punis par les prud'hommes d'un emprisonnement qui n'excédera pas trois
jours, sans préjudice, etc.
Vous
voyez donc que cela est bien différent des peines qu'un juge quelconque peut
prononcer pour faits commis à l'audience même.
Maintenant
je dis : s'il est vrai que les tribunaux de commerce ne peuvent jamais porter
aucune peine, n'est-il pas évident que la juridiction des prud'hommes, qui
n'est qu'une juridiction commerciale de 1er degré ne peut pas être investie de
plus de droits que les juges de commerce eux-mêmes ? Sous ce rapport il y
a infraction à l'article 100 combiné avec l'article 105 de la constitution,
relatif aux tribunaux de commerce.
Maintenant,
sous le rapport de la constitutionnalité, est-il convenable que les prud'hommes
puissent infliger une peine de police, là où le juge de commerce, qui est son
supérieur en matière civile, devant qui sont portées ses décisions comme degré
d'appel, n'en peut infliger aucune ?
Cette disposition, qui a pu être portée par un décret impérial à une
époque où l'on tendait à donner de l'extension à toute juridiction, n'est ni
dans l'esprit de notre constitution, ni dans les idées que nous nous sommes
formées dans ces temps modernes de la délimitation des pouvoirs.
Je
conserve des doutes sérieux sur la constitutionnalité de la disposition qui
investirait le conseil des prud'hommes du droit d'infliger des peines de
police. Je ne puis voir dans ces trois jours d'emprisonnements une simple
mesure disciplinaire : et d'un autre côté, quand cela pourrait rentrer dans la
constitution, je trouverais toujours souverainement
inconvenant d'attribuer à un conseil de prud'hommes une juridiction répressive
que les lois refusent aux tribunaux de commerce. (Aux voix ! aux voix !).
M. de Brouckere. - Je demande à faire quelques observations très courtes.
J'ai
écouté attentivement les discours prononcés à l'appui du projet et je déclare
que les arguments qu'on a fait valoir, au lieu de lever mes doutes, n'ont fait
que les renforcer.
Je
ne répondrai pas aux considérations qu'on a fait valoir relativement à
l'utilité qu'aurait la création de conseils de prud’hommes, je dirai seulement
quelques mots relativement, à la question de constitutionnalité, question
extrêmement grave selon moi. On convient qu'il y a ici des doutes. Cela est si
vrai que l'honorable M. de Muelenaere, partant de la disposition de la
constitution, s'est demandé si elle s'opposait d'une manière insurmontable à la
création des conseils de prud’hommes, c'est-à-dire des conseils de prud'hommes
avec toutes les attributions qu'on veut leur donner.
On
a cherché à prouver la constitutionnalité des conseils de prud'hommes avec les
attributions qu'on veut leur donner, en citant les attributions que les lois
spéciales donnent aux conseils de milice aux tribunaux de commerce, à la cour
des comptes et aux autres corps qui, dans certains cas,, exercent ce qu'on
appelle une action répressive, et on a tiré cette conclusion que les tribunaux
extraordinaires peuvent avoir une action répressive pour les faits se rattachant
à leurs attributions.
J'admets
cette conséquence. Je reconnais donc avec les honorables préopinants que les
tribunaux extraordinaires peuvent avoir une action répressive pour des faits se
rattachant à leurs attributions.
Quel
est le but de cette action répressive ? L'honorable M. Raikem vous l'a dit :
toute juridiction doit pouvoir se protéger elle-même. Ainsi l'action répressive
donnée aux tribunaux extraordinaires, aux corps cités par l'honorable M. Cools
n'a pas d'autre but que de mettre ces corps et ces autorités à même de se faire
respecter et d'amener l'exécution de leurs décisions. La cour des comptes
comme les autres. Elle prend une décision contre un receveur, il lui faut des
moyens d'exécution.
Ainsi
j'adopte le principe invoqué par M. Cools, que les tribunaux extraordinaires
doivent avoir une action répressive pour les faits se rattachant à leurs
attributions, ainsi que celui invoqué par M. Raikem, que toute juridiction doit
pouvoir se protéger. Mais il s'agit ici de toute autre chose. Je vais le
prouver de la manière la plus claire.
Je
veux bien qu'on crée des conseils de prud'hommes, qu'on donne aux conseils une
juridiction contentieuse et qu'en conséquence des principes que j'ai admis, on
leur donne une juridiction répressive pour se faire respecter et amener
l'exécution des décisions prises. Puisque vous avez, et l'honorable M.
Dumortier après vous, invoqué les articles 504 et 505 du code d'instruction
criminelle, je consens à rendre ces articles applicables aux conseils de
prud'hommes.
Les
voilà investis d'une juridiction répressive dans le sens que vous avez exposé.
Mais vous allez plus loin. Voici ce que vous faites : Vous créez de nouveaux
délits et une nouvelle peine. Je vais le prouver. Voici comment est conçu
l'article 4 : «Tout délit tendant à troubler l'ordre et la discipline de
l'atelier. » Changez le mot délit et mettez à la place tout fait, «
tout manquement grave des apprentis envers leurs maîtres, etc., » Voilà le
délit, vous créez un nouveau délit, vous faites un nouveau supplément au code
pénal. Ouvrez-le au hasard et vous trouvez :
« Toute
publication d'ouvrages, écrits, etc. sera punie. «
« Toute
distribution d'ouvrages, écrits, etc., sera punie. »
Maintenant
vous faites un supplément au Code pénal, outre les contraventions déterminées
par le Code, vous dites :
« Tout
manquement grave de l'apprenti envers son maître, sera considéré comme une
contravention. Ainsi, voilà une contravention d'une nouvelle espèce que vous
punissez d'une peine de police de trois jours d'emprisonnement. Vous voyez donc
que vous créez un tribunal extraordinaire, ayant une action répressive.
L'honorable
M. Cools voudra bien reconnaître que, pour tous les corps dont il a parlé, il
n'y a rien de pareil. Vous ne sauriez prétendre que la cour des comptes ait une
action répressive, si ce n'est pour faire respecter ses actes et ses décisions,
Sans doute vous pouvez donner aux conseils de prud'hommes le droit d'infliger
les peines nécessaires pour faire respecter leurs réunions ; mais vous ne
pouvez leur donner le droit de prononcer contre des individus pour des contraventions
d’une nouvelle espèce.
Cette
distinction que je viens d'établir est tellement vraie, qu'on n'a pu établir
une action répressive en dehors de celle que je viens de tracer, notamment pour
les tribunaux de commerce. Ainsi, on ne leur a pas donné le droit de punir la
banqueroute, délit qui se rattache de la manière la plus directe aux tribunaux
de commerce. Les tribunaux de commerce déclarent la banqueroute ; les tribunaux
correctionnels punissent la banqueroute simple et les cours d'assises la
banqueroute frauduleuse.
M. de Mérode. - Les tribunaux de commerce pourraient être autorisés à punir
la banqueroute de peines disciplinaires.
M. de Brouckere. - Ce n'est qu'un mot. Du moment qu'il y a privation de la
liberté, la peine est au moins une peine de police.
Un membre. - Et les conseils de
discipline de la garde civique ?
M. de Brouckere. - Ce sont des conseils militaires. La constitution autorise
en toutes lettres la création de tribunaux militaires.
Répondrai-je
à ce qu'on a dit relativement à l'école militaire ? Oui, parce que cet argument
a paru faire impression sur plusieurs honorables membres. On vous a dit que la
loi relative à l'école militaire, loi portée depuis la constitution, autorise
les chefs de l'école à prononcer l'emprisonnement. Remarquez que ceux qui
entrent à l'école militaire, y entrent de leur plein gré, personne ne les y
force. La loi sur l'école militaire n'autorise pas seulement à prononcer
l'emprisonnement dans ce cas ; mais l'école militaire est en quelque sorte un
emprisonnement perpétuel, car les élèves ne peuvent pas sortir. En entrant à
l'école militaire, les élèves se soumettent volontairement aux règles de cet
établissement, mais on sait que celui qui se fait ouvrir, ne le fait pas par
goût et pour son plaisir, il le fait par nécessité. Il ne faut donc pas établir
contre l’ouvrier des mesures exorbitantes qui autoriseraient à le priver de sa
liberté.
L'honorable
M. Raikem, en partant de l'art.
Plusieurs membres demandent la clôture sur la
question de constitutionnalité.
M. Verhaegen. - Je ne sais si l'on peut prononcer la clôture sur la
question la plus importante, la question constitutionnelle : question d'autant
plus importante que quatre honorables membres qui s'entendent parfaitement sur
ces questions, ne sont pas d'accord entre eux.
MM.
Raikem et Dubus se sont prononcés pour une opinion. MM. Cools et de Muelenaere
se sont prononcés pour une opinion différente. Je demande à
présenter quelques observations sur cette question importante.
M. Dubus (aîné). - Je ferai remarquer à l'honorable membre que
l'amendement de M. le ministre de l'intérieur a fait cesser le désaccord dont
il parle et que M. Raikem, de Muelenaere, Cools et moi, nous sommes maintenant
d'accord pour accepter le projet de loi.
M. Verhaegen. - A mes yeux l'amendement ne change rien.
M. de Muelenaere. – J’admets que la loi autorise les conseils de prud'hommes à
ne prononcer que des peines disciplinaires, mais je dis que la constitution
ne s'oppose pas à ce que la loi les autorise à prononcer même d'autres peines.
M.
Cools, rapporteur. - L'honorable M. Verhaegen est dans l'erreur, je suis d'accord avec les
honorables membres que l'emprisonnement que prononcent les conseils de
prud'hommes constitue plutôt une peine disciplinaire qu'une peine de police
(bien entendu de police commerciale), mais il m'importe peu que ce soit l'un ou
l'autre, car je suis d'avis que les prud'hommes peuvent exercer cette action
répressive, n'importe à quel titre. Je ne vois là qu'une distinction de mots.
- La clôture sur la question de constitutionnalité est mise
aux voix et prononcée.
M.
le président.
- La parole
dans la discussion générale est à M. Rogier.
M.
Rogier. - Il est entendu qu'on
pourra amender l'art. 3.
M.
le président.
- Certainement.
M. Rogier. - Il est toujours entendu qu'on pourra amender l'article
nouveau présenté par M. le ministre.
M.
Delehaye. -
Messieurs, on vient de dire qu'on ne pourrait plus parler sur la question
constitutionnelle ; il en résulterait qu'on ne pourrait amender l'article
nouveau présenté par M. le ministre. Mais je suppose que quelque membre
veuille proposer le rejet de cet article comme inutile. En effet, je vous ai
déjà dit que le conseil des prud'hommes de Gand n'a jamais fait usage de cette
disposition, non pas qu'il l'ait jugée inconstitutionnelle, mais parce qu'il
l'a regardée comme tout à fait inutile. Eh bien ! il y a beaucoup de membres
qui croient que la mesure est inconstitutionnelle. Il serait donc impossible à
ces membres d'en demander la suppression.
M. le président. - Rien ne s'oppose à ce que vous proposiez cette
suppression.
M.
Rogier. - Messieurs,
la loi qui nous occupe soulève d'autres questions tout aussi importantes que la
question de constitutionnalité. Pour ma part, si je donne mon adhésion à la loi
des prud'hommes, si je veux maintenir et améliorer l'institution de ces corps
déjà anciens, je veux aussi que leurs attributions puissent s'exercer avec
efficacité. .
Messieurs,
une observation générale qui doit frapper tout le monde, c'est que
l'institution des conseils de prud'hommes, qui remonte aux années 1806 et 1810,
n'ait pas reçu d'exécution en Belgique, dans ce pays si éminemment industriel.
Je me demande comment il se fait que depuis plus de trente ans, les villes
industrieuses de Liége, de Verviers,de Louvain, de Bruxelles, etc., n'aient
pas songé à demander l'établissement de conseils de prud'hommes ; comment ces
conseils existent dans les seules villes de Gand et de Bruges et remontent
encore à l'existence du gouvernement français. D'où provient cette absence
d'exécution d'une loi dont l'utilité aurait été vraiment reconnue ? Je
l'ignore. Mais n'a- t-on pas lieu de supposer que cette utilité a été contestée
par les localités où l'institution aurait pu être établie, ou bien que le
gouvernement a rencontré dans l'application de cette institution de graves
difficultés.
J'ignore,
messieurs, si les chambres de commerce de toutes les villes auxquelles le
projet s'applique, ont fait des réclamations. Il n'en est pas parlé dans
l'exposé des motifs qui remonte à 1839.
Il eût cependant été intéressant de savoir si de toutes les chambres de
commerce demandaient de conseils de prud'hommes et par quel motif elles les
demandaient.
Messieurs,
il ne suffit pas que la loi déclare qu'il sera établi des conseils de
prud'hommes dans les quinze localités qui s'y trouvent mentionnées. Il faut
savoir ce qu'on veut établir. Le conseil des prud'hommes n'est pas seulement
une institution judiciaire, c'est aussi une institution administrative, et les
fonctions administratives des conseils des prud'hommes, du moins, si on s'en
réfère aux décrets qui les ont constitués, ne sont pas moins importantes que
leurs attributions judiciaires.
S'agit-il
simplement d'établir, dans quinze nouvelles villes un tribunal consulaire de
simple police, ou veut on encore établir une juridiction administrative qui va,
remarquez-le bien, jusqu'à exercer la police la plus minutieuse dans toutes
les fabriques, dans tous les ateliers ? Par exemple, pour la ville de Liége, où
les industries sont si variées, quelles seront les attributions du conseil des
prud'hommes ? Est-ce que sa juridiction s'étendra à toutes les industries ?
Messieurs,
d'après les art. 20, 21,22, 23, 24, 25, 26 et 27 du décret du 20 mars 1816,
voici quelles seraient les attributions des conseils de prud'hommes :
« Art.
20. Tous les chefs d'ateliers actuellement établis, ainsi que ceux qui
s'établiront à l'avenir, seront tenus de se pourvoir au conseil de prud'hommes,
d'un double livre d'acquit pour chacun des métiers qu'ils feront travailler,
dans la quinzaine à dater du jour de la publication pour ceux qui travaillent,
et dans la huitaine du jour où commenceront à travailler ceux qu'ils monteront
à neuf.
« Sur
ce livre d'acquit, paraphé et numéroté, et qui ne pourra leur être refusé,
lors même qu'ils n'auraient qu'un métier, seront inscrits les nom, prénoms et
domicile du chef d'atelier. »
«
Art. 21. Il sera tenu au conseil de prud'hommes, un registre sur lequel lesdits
livres d'acquit seront inscrits ; le chef d'atelier signera, s'il le sait, sur
le registre et sur le livre d'acquit qui lui sera délivré. »
« Art.
22. Le chef d'atelier déposera le livre d'acquit du métier qu'il destinera au
négociant manufacturier, entre ses mains, et pourra, s'il le désire, en exiger
un récepissé. »
« Art.
23. Lorsqu'un chef d'atelier cessera de travailler pour un négociant, il sera
tenu de faire noter sur le livre d'acquit, par ledit négociant, que le chef
d'atelier a soldé son compte ; ou, dans le cas contraire, la déclaration du
négociant spécifiera la dette dudit chef d'atelier. »
« Art.
24. Le négociant possesseur du livre d'acquit le fera viser aux autres
négociants occupant des métiers dans le même atelier, qui énonceront la somme
due par le chef d'atelier, dans le cas où il serait leur débiteur. »
« Art.
25. Lorsque le cher d'atelier restera débiteur du négociant manufacturier pour
lequel il aura cessé de travailler, celui qui voudra lui donner de l'ouvrage
fera la promesse de retenir la huitième partie du prix des façons dudit
ouvrage, en faveur du négociant dont la créance sera la plus ancienne sur ledit
registre, et ainsi successivement, dans le cas où le chef d'atelier aurait
cessé de travailler pour ledit négociant, du consentement de ce dernier ou pour
cause légitime : dans le cas contraire, le négociant manufacturier qui voudra
occuper le cher d'atelier sera tenu de solder celui qui sera resté créancier en
compte de matières, nonobstant toute dette antérieure, et le compte d'argent
jusqu'à 500 fr. »
«
Art. 26. La date des dettes que les chefs d'atelier auront contractées avec les
négociants qui les auraient occupés sera regardée comme certaine vis-à-vis des
négociants et maîtres d'atelier seulement, et à l'effet des dispositions
portées au présent titre, après l'apurement des comptes, l'inscription de la
déclaration sur le livre d'acquit et le visa du bureau des prud'hommes. »
«
Art. 27, Lorsqu'un négociant manufacturier aura donné de l'ouvrage à un chef
d'atelier dépourvu du livre d'acquit pour le métier que le négociant voudra
occuper, il sera condamné à payer comptant tout ce que ledit chef d'atelier pourrait
devoir en compte de matières, et en compte d'argent jusqu'à 500 fr. »
« Art.
28. Les déclarations ci-dessus prescrites seront portées par le négociant
manufacturier, sur le livre d'acquit resté entre les mains du chef d'atelier,
comme sur le sien. »
Beaucoup
d'autres attributions administratives sont encore attribuées aux conseils de
prud'hommes. Ils sont autorisés à faire dans tous les ateliers une ou deux
visites par an. Ils sont chargés de la conservation des marques admises dans le
commerce, etc. Je doute fort que si tous les industriels étaient consultés, ils
donnassent leur adhésion au maintien de pareilles attributions,
Quant
à la composition des conseils de prud'hommes, et quant à la manière dont ils
doivent se former par élection, il y aurait beaucoup de choses à dire. Mais je
vois que la chambre est entièrement distraite, et je retrancherai de ce que
j’ai à dire.
M. Dubus (aîné). - Je demande la parole.
M.
Rogier. - Je
regrette que la chambre soit dans ce moment peu disposée à traiter la question
avec toute l’attention qu'elle mérite ; suivant moi, nous aurions bien fait
d'en remettre la discussion à un autre moment. J'aurais désiré que M. le
ministre de l'intérieur, avec l'esprit de méthode qui le caractérise, nous eût
présenté un rapport, comme il sait si bien en faire, sur cette matière
importante.
Car,
messieurs, je crois qu'il est peu de questions aussi graves dont la chambre ait
eu à s'occuper depuis longtemps. Il s'agit de régler, en nous conformant aux
principes libéraux de la constitution, les rapports du maître et de l'ouvrier.
C'est la grande question de l'époque ; c'est la question qui occupe tous les
publicistes un peu inquiets de l'avenir des nations. Eh bien ! Je dis que quand
de pareilles questions viennent à se présenter, il ne faut pas les traiter
légèrement, il ne faut pas les résoudre en une demi-heure.
Quand
vous aurez accordé au ministre le droit d'établir des conseils de prud'hommes
dans toutes les villes manufacturières, vous n'aurez rien fait. Car il s'agira
alors de déterminer les attributions de ces conseils. Les conservera-t-on
telles que les décrets de 1806 et 1810, les ont faites ? Y aura-t-il pour
chaque conseil de prud'hommes un règlement organique différent ? Je demande à
M. le ministre de l'intérieur s'il pourra se dispenser de donner à chaque ville
où il sera établi un conseil de prud’hommes, un règlement organique différent,
suivant la nature diverse des industries, suivant les circonstances et les besoins
que présente la localité.
Eh
bien ! messieurs, le gouvernement aura-t-il le pouvoir de régler
administrativement ces attributions ? Ne faudra-t-il pas une loi spéciale pour
chaque conseil de prud'hommes ? Remarquez que la loi constitutive des prud'hommes,
n'a été qu'une loi spéciale rendue pour la ville de Lyon, à telle enseigne
qu'on y fait toujours figurer les teinturiers avec exclusion d'une multitude
d'autres industries qui auraient le droit d'y figurer au même titre. Eh bien !
ce qui a été fait en 1806, c'est-à-dire, il y a 36 ans, pour la ville de Lyon,
est-il applicable à la ville de Gand, à la ville de Liége, à la ville de
Verviers, à la ville de Mons ?
Messieurs,
la composition des conseils de prud'hommes est encore un point qui doit
attirer votre attention. Il est dit, par exemple, que les marchands,
fabricants, chefs d'atelier, contremaîtres, teinturiers et ouvriers patentés,
composeront les conseils de prud’hommes, Mais les marchands-fabricants auront
toujours un membre de plus ; ils seront donc toujours en majorité.
Pour
en faire partie, les ouvriers devront être patentés. Eh bien ! de fait c'est exclure la plupart de nos ouvriers, Car la
plupart ne sont pas patentés. Cet article remonte à une époque où l'industrie
manufacturière n'avait pas pris les développements qu'elle a pris à cette
époque, où l'industrie était encore domestique, où beaucoup d'ouvriers
travaillant chez eux, étaient assujettis à la patente. Mais de fait la plupart
des ouvriers ne contribueront pas aujourd'hui à la formation du corps qui doit
les juger et qu'on dit composé de leurs pairs.
Il
est dit aussi que, pour la première année de la création des conseils de
prud'hommes, le maire dressera la liste des votants. Je demanderai, après que
vous aurez fait la loi, qui sera chargé de dresser la liste des votants.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Comme à Gand.
M.
Rogier. - Je
ne sais ce qui se fait à Gand. Sera-ce le maire ou le collège des bourgmestre et
échevins qui dressera la liste des votants ? Comment cela se fait-il à Bruges
et à Gand ? je ne sais si on y agit d'une manière légale, mais voilà
encore une question entre bien d'autres, que soulève la loi.
Quant
à moi, en principe, je me prononce pour l'institution des conseils de
prud'hommes. Mais je crois qu'en recevant le pouvoir d'établir de tels conseils
dans certaines localités, le gouvernement aurait dû en même temps être nanti
d'une loi organique, d'une loi nouvelle, que les circonstances nouvelles
auraient dû lui faire demander, Il est certain qu'avec les dispositions qui
remontent à 1806, il sera impossible, suivant moi, d'organiser quelque chose de
complet.
Je
le répète, M. le ministre aurait bien fait de nous soumettre sur cette question
importante un rapport complet. Si la chambre ne voulait point voter
immédiatement la loi en discussion et si M le ministre de l'intérieur voulait
consacrer une partie de ses vacances à de nouvelles recherches sur cette question, il pourrait nous présenter à notre rentrée un
travail qui, je n'en doute pas, offrirait beaucoup d’intérêt et beaucoup
d'utilité.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois supposer que l'honorable membre, en citant
constamment la loi du 18 mars 1806 qui a institué le conseil de prud'hommes de
Lyon, perd de vue que depuis il a été porté un décret organique général.
L'Empereur, dans une visite qu’il a faite à Lyon, conçut l’idée de
l'institution des conseils de prud’hommes ; cette idée devint l'objet de la loi
du 18 mars 1806, loi spéciale à la ville de Lyon. Mais un grand nombre de
villes demandèrent ensuite des conseils de prud'hommes et l'on fut amené alors
à faire une véritable loi organique, le décret du 11 juin 1809 qui reçut une
nouvelle rédaction le 7 février 1810. Il ne s’agit donc plus aujourd’hui
d’appliquer les dispositions de la loi de 1806 spéciale à la ville de
Lyon, il s'agit du décret organique général de 1810.
Je
vous ai dit, messieurs, que pour Gand et Bruges deux décrets de l'empire, l'un
du 28 août
Une voix. - Liège n'a rien demandé.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il est plusieurs villes qui l'ont déjà demandée ;
il en est d'autres qui ne l'ont pas encore demandée, mais qui la demanderont.
Ainsi Liège ne l'a pas demandée, mais elle la demandera. Ne croyez pas
d'ailleurs, messieurs, que le gouvernement puisse user d’une manière absolue,
en quelque sorte, de l'autorisation qui fait l'objet de l'art. 1er ; non, il
faut que les villes et les chambres de commerce le demandent ; il faut surtout
que les villes le demandent, puisque les villes doivent fournir les locaux et
couvrir les frais des conseils de prud'hommes.
Soyez
sans crainte, messieurs, vous pouvez être convaincus que les villes ne
demanderont à jouir de cette institution que lorsqu'elle leur sera
indispensable ; le gouvernement ne peut pas d'autorité imposer l'institution à
la ville de Liége, par exemple.
L'honorable
membre dit : Mais comment se fait-il que l'institution n'a pas été étendue à
plusieurs de nos grandes villes manufacturières ; comment se fait-il que Gand
et Bruges sont restées en possession des conseils de prud'hommes, et que ni
sous le gouvernement des Pays-Bas, ni depuis la révolution de 1830, on n'ait
songé à introduire cette institution dans d'autres villes ? Je ne sais
pas, messieurs, quel a été l’obstacle avant 1830, mais ce que je sais, c'est
que l’obstacle depuis
L'instruction
qui a eu lieu, messieurs, a simplifié la question en ce sens qu'on est arrivé à
restreindre le cercle de la controverse, à ne plus la faire porter que sur un
seul point, la question de savoir si les conseils des prud'hommes devaient ou
non être investis du droit que leur donne l'article 4 du décret de 1810. Je
dis, messieurs, que c'est une instruction très bien faite, que celle qui a
pour résultat de réduire une grande discussion à un seul point.
Il
y a aujourd'hui en France 64 conseils de prud’hommes ; beaucoup de
villes demandent cette institution, entre autres la ville de Paris.
Malheureusement on s'est dit qu'il vaudrait peut-être mieux réunir en un seul
cadre tous les décrets de l'empire et faire une loi nouvelle, C'est grâce à
cette idée que la ville de Paris et je ne sais combien d'autres villes de
France sont encore privées de conseils de prud'hommes. Il est très probable que
le gouvernement français abandonnera cette idée de révision générale el qu’il
dotera ces différentes villes de conseils de prud'hommes qu'elles réclament.
Je
ne dis pas que les décrets de l'empire doivent toujours subsister, qu'ils ne
soient pas susceptibles de révision ; mais introduisons d'abord l'institution
dans les villes du pays qui la demandent et auxquelles il y aurait une
véritable injustice à la refuser alors que deux autres villes la possèdent.
En
France il y a, comme je viens de le dire, 64 conseils de prud'hommes ; la
statistique de ces conseils, qui a été publiée et qui est extrêmement
remarquable, constate, par exemple, que dans les années 1830 à 1839 les
conseils de prud'hommes ont instruit 135,730 affaires, et qu'ils en ont
concilié 128,319 ; cela prouve combien l'institution est utile, car les juges
de paix, par exemple, sont loin de concilier un aussi grand nombre d'affaires.
On
a dit, messieurs, avec raison, que c'est une très grande question que la
question des rapports entre les maîtres et les ouvriers. Cette question,
messieurs, ne sera pas pleinement décidée par la loi qui vous est
transmise ; elle ne sera peut-être jamais pleinement résolue. ; mais quant à
l'institution des prud'hommes elle-même, cette institution a pour elle les
hommes qui portent le plus de sympathie aux classes ouvrières. J'ai, par exemple,
sous les yeux l'opinion de Michel Chevalier, qui déplore que le gouvernement
français n'ait pas doté un plus grand nombre de villes de l'institution des
conseils de prud'hommes.
Je
dis que si
Ne
tombons pas, messieurs, dans le même défaut ; dotons de cette institution les
villes qui la réclament, et s'il y a quelque chose à faire pour améliorer la
législation de 1810, nous le ferons plus tard et nous le ferons d'autant mieux
alors que l'institution aura été établie dans un grand nombre de villes, que
nous serons instruit par l'expérience.
La
loi que nous faisons en ce moment n'a pas pour but la révision de la
législation de l’empire, elle a simplement pour but de donner au gouvernement le
droit que le gouvernement impérial puisait dans l'art. 34 de la loi de 1806, et
que le gouvernement ne peut plus aujourd'hui puiser dans cette
loi, puisqu'il n'existe plus de conseil d'Etat et parce que la constitution
exige qu'il y ait une loi.
M. Dubus (aîné).- J'ai demandé la parole, messieurs, pour faire
remarquer que l'honorable député de Bruxelles a trop élargi le cercle de la
discussion. Le projet de loi a uniquement pour but d'autoriser le gouvernement
à établir des conseils de prud'hommes dans les localités désignées dans l'art.
1er et à les établir suivant leur organisation actuelle établie par les décrets
de 1809 et 1810.
Voilà
tout le but du projet de loi.
Il
ne s'agit donc nullement de réviser les décrets d'organisation et de corriger
les imperfections qui peuvent s'y trouver. Ce serait une grande entreprise que
de réviser ces décrets, tandis que le projet de loi se réduit à des termes très
simples, tellement simples, qu'il ne paraissait pas devoir donner lieu à des
discussions aussi longues.
L'art.
34 de la loi de 1806 doit être considéré comme abrogé ; les conseils de
prud'hommes ne sont établis que dans deux villes de
Quoiqu'il
n'existe de semblables conseils que dans deux villes, on peut cependant en
apprécier les résultats, car dans ces deux villes on s'applaudit grandement de
posséder cette institution. A Gand, par exemple, en 1833 on a insisté de la
manière la plus forte pour que le conseil de prud'hommes reprît ses fonctions,
qu'il avait cessé de remplir par suite de la révolution. Eh bien, des demandes
incessantes sont faites au gouvernement de la part d'un grand nombre de villes
qui veulent obtenir des institutions semblables. Il s'agit de donner au
gouvernement les moyens de faire droit à ces demandes, c'est là, je le répète,
le seul but de la loi.
Cette
institution, messieurs, est précieuse ; et malgré les imperfections qui peuvent
se trouver dans les décrets organiques, rien n'empêche qu'on satisfasse les
désirs manifestés par différentes villes, sauf à réviser ensuite les lois
organiques, si on le juge nécessaire. Si l'on demandait qu'un tribunal civil
de plus fût établi dans telle ou telle localité, comme la demande en a été
effectivement faite pour Philippeville, on ne viendrait pas dire qu'avant de se
prononcer sur cette question, il faut réviser, par exemple, le code de
procédure, qui présente de très grandes imperfections, mais on se bornerait à
l'examen de la question de savoir s'il convient, oui ou non, d'établir le
tribunal demandé, sauf à réviser plus tard, s'il y a lieu, le code de
procédure. Je crois qu'il faut en agir de même à l'égard de la loi qui nous est
soumise en ce moment.
Ce
que demande le cabinet actuel n'est autre chose que ce qui a été demandé par
les deux cabinets précédents. M. le rapporteur a dans son dossier une lettre
adressée à la section centrale par l'honorable M. Liedts, alors ministre de
l'intérieur, où il insiste de la manière la plus pressante pour que l'on
s'occupe du projet dont il s'agit et qui tend à autoriser le gouvernement à
établir une institution demandée de tous côtés et considérée comme étant
devenue de plus en plus nécessaire.
Je crois donc qu'il faut renfermer la discussion dans les
limites des articles qui nous sont soumis, et mener ainsi à fin des débats qui
ont déjà été trop longs.
M.
Rogier. -
Messieurs, je n'ai pas méconnu l'utilité et l'importance de l'institution des
conseils de prud'hommes ; j'ai déclaré, au contraire, que c'était une
institution très utile, très importante, mais c'est précisément parce que je la
juge très importante et très utile que j'avais appelé sur ce point l'attention
toute particulière de la chambre, et que j'avais prié l'assemblée de ne pas
passer trop légèrement sur les questions que soulève le projet. Or, d'après ce
qu’ont dit l'honorable M. Dubus et M. le ministre de l’intérieur, je vois que
mon appel a été entendu, et qu'on promet d'introduire dans les décrets
constitutifs des conseils de prud'hommes toutes les améliorations que le temps
aura rendues nécessaires. Cela, messieurs, me suffit pour le moment. Je suis
persuadé que M. le ministre de l'intérieur n'aura pas mis de quinze jours les
mains à l'exécution de la loi qu'il sera amené de lui-même à proposer des
améliorations, et qu'il vous présentera un rapport complet sur la matière ;
c'est ce que je lui demande en mon nom particulier.
Je
regrette cependant qu'aux moments où nous allons, non pas établir un tribunal
nouveau dans une seule localité, mais étendre presque à toute
Depuis
les décrets de 1806 et 1810, il y a des progrès immenses en industrie. Le
nombre des industries, des industriels, s'est singulièrement accru ; la vapeur
a introduit une sorte de révolution dans cette branche de l'activité sociale.
Je demande si dès lors les rapports des industriels avec leurs ouvriers doivent
encore être réglés aujourd'hui, comme ils l'étaient en 1806 et en 1810. Je ne
le pense pas. Je suis convaincu que M. le ministre de l'intérieur trouvera de
grandes difficultés à appliquer les décrets aux localités
où l’institution d'un conseil de prud'hommes n'existe pas encore : il ne
tardera pas à le reconnaître lui-même.
M. de Mérode. - Messieurs, il est difficile de faire des lois aussi
complètes que le désire l'honorable M. Rogier ; cette considération ne doit
pas nous empêcher de faire quelque chose relativement aux conseils de
prud'hommes, puisque cette institution est réclamée avec instance par un grand
nombre de localités.
-
La clôture de la discussion est mise aux voix et adoptée.
On
passe à la discussion des articles.
Article
1er
« Art.
1er. Le gouvernement est autorisé à instituer, en se
conformant aux décrets organiques des 11 juin 1809, 3 août et 5 septembre 1810,
un conseil de prud'hommes dans les villes ci-après :
« Dans
la province d'Anvers : Anvers.
« Dans
le Brabant : Bruxelles, Louvain.
« Dans
« Dans
« Dans
le Hainaut : Mons, Charleroy, Tournay.
« Dans
la province de Liége : Liége, Verviers.
« Dans
le Luxembourg : Arlon.
« Dans
la province de Namur : Namur. »
M.
Malou. - Messieurs, vous avez reçu récemment une pétition de
la chambre de commerce d'Ypres qui demande que la loi actuelle étende à toutes
les industries certaines dispositions de la loi organique de 1806. Ces
dispositions sont relatives à la propriété des dessins, et d'après le
décret de 1806, elles ne s'appliqueraient qu'aux dessins de soierie. Il est
sans doute entendu que ces dispositions s'appliqueront aux dessins d'autres
industries dans les localités où l'on va établir un conseil de prud'hommes, et
où n'existe pas l'industrie de la soierie. S'il y avait doute (Non ! non !), je proposerais une
disposition additionnelle (C'est inutile
!).
-
L'article est mis aux voix et adopté.
Article 2
« Art.
-
Adopté.
« Art.
3 (nouveau.) L'art. 4 du décret impérial du 3 août 1810 est remplacé par les
dispositions suivantes :
« Titre
2. Attributions
des prud'hommes en matière disciplinaire.
« Les
prud'hommes pourront, indépendamment des poursuites devant les tribunaux de
répression, infliger des peines disciplinaires pour tous délits tendant à
troubler l'ordre et la discipline de l'atelier, pour tout manquement grave des
apprentis envers leurs maîtres.
« Les
peines disciplinaires ne pourront excéder trois jours de mise aux arrêts.
« Le
gouvernement déterminera le mode d'exécution de ces peines. »
M.
Rogier. - Messieurs, je crois que le
conseil des prud'hommes est appelé à punir les manquements de l'apprenti vis-à-vis
du maître ou du chef de l'atelier ; mais je ne vois pas de garanties pour
l'ouvrier vis-à-vis du chef de l'atelier. Sera-t-il permis au chef de l'atelier
de maltraiter l'apprenti ou l'ouvrier, sans que le conseil de prud'hommes soit
appelé à venir au secours de celui-ci ? Je ne veux pas viser la popularité en
plaidant la cause des ouvriers ; je ne veux qu'une réciprocité équitable. Si
vous voulez que l'institution du conseil des prud'hommes soit acceptée par tous
avec reconnaissance, il faut qu'il ne se présente pas comme une institution
hostile à l'une des parties. Il faut donc qu'il y ait réciprocité et que
l'ouvrier obtienne des garanties vis-à-vis du maître, comme on en accorde à
celui-ci vis-à-vis de l'ouvrier.
Il faudrait donc ajouter dans le 1er paragraphe de
l'article les mots : et des maîtres envers les ouvriers.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs au premier abord l'amendement que propose
l'honorable préopinant est très simple, mais je dois dire que cette disposition
changerait tout le système de l'institution des conseils de prud'hommes. Je ne
pense pas dès lors qu'on puisse ex
abrupto introduire cet amendement dans le projet de loi. Au reste
l'observation a été faite, elle subsiste, elle sera consignée dans le Moniteur,
et je promets d'en faire dès à présent l'objet de mon
attention.
M.
Raikem. -
Messieurs, je ne pense pas qu'il y a lieu d’admettre la proposition faite par
un honorable préopinant ; car si le maître se livre à des voies de fait
vis-à-vis de l'apprenti, ces voies de fait sont réprimées par les lois, et
l'apprenti peut se plaindre. Mais je ferai remarquer qu'aux termes de l'art.
1384 du code civil. les instituteurs et les artisans sont responsables du
dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu'ils sont sous
leur surveillance ; ainsi, le maître est responsable de l'apprenti, mais il n'y
a pas de réciprocité, l'apprenti n'est pas responsable du maître. On conçoit
bien dès lors qu'il peut y avoir des mesures disciplinaires vis-à-vis de
l'apprenti, sans que ces mesures s'appliquent au maître. La nature des choses
l'indique assez. D'ailleurs, je le répète, si le maître se
livre à des voies de fait envers l'apprenti, il y a ouverture à une action
répressive.
M.
Rogier. - Il
ne s'agit pas seulement des apprentis, mais encore des ouvriers. Je suppose 600
ouvriers dans une fabrique, ces 600 ouvriers seront-ils livrés à la brutalité
des chefs d'atelier, sans qu'ils puissent avoir recours au conseil des
prud’hommes ? Voilà la question que j'ai posée. Du reste, tout le système de
l'institution des prud'hommes est à revoir ; et si M. le ministre de
l'intérieur me promet de faire de mes observations l'objet de son examen
attentif, et de comprendre mon amendement dans un projet de loi nouveau, je
n'insisterai pas pour son adoption. Je le crois
cependant très juste en principe, et très bon en pratique.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ferai encore remarquer à l'honorable préopinant
que les expressions : tous faits tendant à troubler l'ordre et la
tranquillité dans l'atelier, sont d'une grande généralité, et qu'elles
pourraient s'appliquer à toute voie de fait qui amènerait ce résultat.
Article 3
« Art.
3. Dans le cas prévu par l'art. 16 du décret du 11 juin 1809 le recours aura
lieu près le Roi.
« Les
prud'hommes seront tenus de prêter, dans le délai fixé par le décret du
congrès, en date du 20 juillet 1831, le serment prescrit par ce même décret.
« Les
attributions assignées par les décrets rappelés plus haut aux préfets, seront
dévolues aux députations des conseils provinciaux. »
-
Adopté.
Article 4
« Art.
4. Les articles 7 et 8 de l'arrêté-loi du 21 mars 1815 (Journal officiel, n°
22), et les articles 3 et 4 de l'arrêté du 24 mai 1824 (Journal officiel, n°
35), sont applicables aux poursuites à intenter ou aux actions à soutenir par des
indigents devant les conseils de prud'hommes. »
- Adopté.
Vote sur l’ensemble de la loi
On
procède à l'appel nominal sur l'ensemble de la loi.
En
voici le résultat :
Nombre
des votants, 53.
Ont
voté pour l'adoption, 49.
Ont
voté contre, 4.
En
conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont
répondu oui : MM. Brabant, De
Ont
répondu non : MM. de Brouckere, Delfosse, Jonet, Verhaegen.
-
La chambre s'ajourne au mardi 12 avril, à 2 heures.
La
suite de l'ordre du jour est maintenue pour le jour de la rentrée.
La séance est levée à 3 heures.