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d’intention
Chambre des
représentants de Belgique
Séance du vendredi 18 février 1842
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Projet de loi portant des modifications à la loi
sur les pensions militaires. Rapport
3) Projets de loi relatifs aux traités avec le Mexique
et la république de Haïti. Rapport.
4) Motion d’ordre relative à la loi sur les indemnités
(Verhaegen)
5) Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au
budget du département des travaux publics pour l’exercice 1841. Chemin de fer
de l’Etat (David, Peeters, Desmaisières, David, Peeters)
6) Projet de
loi tendant a ouvrir un crédit au département de l'intérieur pour l’acquisition
et l'exploitation du steamer le British Queen (navigation transatlantique),
pour les exercices 1841 et 1842 (Mercier, Nothomb, Lys, Eloy de
Burdinne, Desmet, Delfosse,
de Mérode, Delehaye, Dedecker, Delfosse, Dumortier, Verhaegen, Nothomb, Dumortier, Pirmez, Osy, Osy, Nothomb, Dumortier, Demonceau, Cogels, Smits, Demonceau)
(Moniteur
belge n°50, du 19 février 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l'appel nominal à midi
un quart.
M. Scheyven donne lecture da
procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l'analyse des
pièces adressées à la chambre :
PIECES ADRESSEES A
« Le sieur Gelion-Towne, sergent-fourrier, au 11e régiment de ligne, né en
Hollande, demande la naturalisation. »
-
Renvoi au département de la justice.
_______________________
« L'administration
communale de Munte (Flandre orientale), demande que
la commune de Bottelaere soit le chef-lieu du canton
actuel d'Oosterzeele. »
-
Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur la
circonscription cantonale.
_______________________
« Les
conseils communaux de Fall-et-Mheer,
Siehen, Lanaye, Wonck, Eben-Emael
et Bassange (Limbourg), déclarent se rallier au
principe du gouvernement, tendant à établir le siége du canton à Sichem. »
-
Même renvoi.
_______________________
« Les
bourgmestre et échevins de la ville de Bruges demandent la prompte discussion
du projet concernant le canal de Zelzaete. »
-
Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
_______________________
Par
divers messages, en date du 17 février, le sénat informe la chambre qu'il a
adopté : 1° le projet de loi concernant le jury d'examen ; 2° le projet
relatif aux houilles de
-
Pris pour notification.
_______________________
Il
est fait hommage à la chambre par le sieur Vanwyn,
capitaine quartier-maître en non-activité, de son dictionnaire en dix langues.
-
Dépôt à la bibliothèque.
PROJET DE LOI PORTANT DES MODIFICATIONS A
M. Mast de Vries dépose le rapport de la section centrale chargée de
l'examen du projet de loi portant des modifications à la loi sur les pensions
militaires.
-
Ce rapport sera imprimé et distribué ; la chambre le met à l'ordre du jour à la
suite du projet de loi actuellement en discussion ou entre les deux votes, s'il
y a lieu.
PROJETS DE LOI RELATIFS AUX TRAITES AVEC LE MEXIQUE ET
M.
Cogels dépose
le rapport de la section centrale chargée de l'examen des traités avec le Mexique
et la république de Haïti.
M. le président. - Je propose à la chambre de mettre ce rapport à l'ordre du
jour après l'affaire du British Queen. Cet objet n'occupera la chambre
que pendant quelques instants.
M. Verhaegen. (pour une motion d’ordre) - La
chambre a arrêté précédemment qu'elle s'occuperait de la loi sur les indemnités
immédiatement après le vote du budget des travaux publics. Si l'on met à
l'ordre du jour les projets de loi dont il vient d'être fait rapport, ce sera
un moyen indirect d'ajourner la discussion de la loi des indemnités.
M.
le président.
- Je ferai observer à M. Verhaegen que la seule question sur laquelle la chambre
aura à statuer, quant au rapport que M. Cogels vient de déposer, est celle de
savoir si la section centrale continuera l'examen des deux traités, ou si la
chambre les renverra, pour cause de connexité, à la commission chargée de
l'examen de loi concernant le traité avec les Etats-Unis.
M. Verhaegen. - Mon observation ne s'appliquait pas seulement à ce
projet. Il me suffit au reste d'avoir fixé l'attention de la chambre sur les
objets qu'elle a mis précédemment à l'ordre du jour.
PROJET DE LOI ACCORDANT UN
CREDIT SUPPLEMENTAIRE AU BUDGET DU DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS POUR
L’EXERCICE 1841 (CHEMIN DE FER DE L’ETAT)
Motion d'ordre
M.
David. - En
parcourant rapidement le rapport de la section centrale, au chapitre des
chemins de fer, et les annexes ajoutées à ce rapport, je m'aperçois que le
tableau des dépenses détaillées pour l'exercice 1841, demandé par toutes les
sections, ne se trouve pas au nombre des pièces imprimées. Ceci,
messieurs, est contraire aux antécédents de la chambre. Autrefois on nous a toujours
présenté ces tableaux imprimés, ce sont les pièces les plus importantes des
rapports, il faut en convenir. Aujourd'hui il paraît qu'on se contente de les
déposer sur le bureau de la chambre. Comment donc tous les membres qui veulent
consulter ces pièces pourront-ils aller les étudier là ?
Il
y a même une somme de 257 mille fr. annoncée comme dépensée pour décembre ou
janvier, je ne me le rappelle pas, dont il paraît que le ministre des travaux
publics, il y a peu de jours n'avait pas encore le détail. Il devrait
l'avoir maintenant, et je désirerais qu'il fût communiqué à la chambre.
Messieurs,
il est réellement de la plus haute importance que ces pièces soient imprimées
et distribuées avant la très prochaine discussion du budget des travaux
publics, pour que chaque député puisse les étudier chez soi.
Il
en est de même, messieurs, du tableau détaillé des recettes, dont je ne
trouve pas qu'il soit fait mention dans ce volumineux rapport.
Je
sais que plusieurs tableaux pour les recettes sont aussi déposés sur le bureau
de la chambre, mais j'applique à ces tableaux les mêmes observations que celles
que je viens de faire pour les dépenses. J'en demande la prompte impression.
Ces
tableaux, messieurs, sont réellement l'âme du rapport relatif au chapitre du
chemin de fer. Comment voulez-vous donc, je vous le demande, que nous
discutions avec fruit les dépenses de 1842, quand les détails des dépenses et
des recettes pour 1841 sont encore inconnus.
M. le président. - M. David propose l'impression des documents auxquels il
vient de faire allusion.
M.
Peeters, rapporteur du budget des travaux publics. - Messieurs, la section
centrale a cru pouvoir se dispenser de faire imprimer quelques-uns des états
dont vient de parler l'honorable M. David, ces pièces devant figurer dans le
compte-rendu que doit faire M. le ministre des travaux publics sur le chemin de
fer. Mais la section centrale a aussi décide de faire imprimer, à la
suite du rapport sur les crédits supplémentaires, les derniers tableaux que M.
David a indiqués. Ce rapport ne tardera pas à être imprimé. D'autres pièces
seront déposées sur le bureau pendant la discussion. La section centrale, à
l'unanimité, a reconnu qu'il était peu nécessaire de faire imprimer,
dans le rapport sur le budget des travaux publics, des pièces qui devaient
figurer dans le rapport sur les crédits supplémentaires.
M.
David. – Je
vois qu'on a l'intention de faire imprimer ces tableaux. La dépense sera
toujours la même, qu'on la fasse imprimer aujourd'hui ou plus tard. Je demande
donc qu'on les fasse imprimer assez tôt pour qu'on ait le temps de les étudier
avant la discussion du budget.
M.
Peeters, rapporteur. - La dépense ne serait pas la même, puisque
les pièces devraient être imprimés dans deux rapports différents.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, j'ai fourni à
la section centrale les nombreux documents qu'elle m'a demandés. Ainsi que l'a
dit l'honorable rapporteur, M. David trouvera dans le rapport sur les crédits
supplémentaires que j'ai demandés pour l'exercice 1841 plusieurs des tableaux
dont il a demandé l'impression.
Quant
aux volumineux états que la section centrale a jugé à propos de déposer
sur le bureau, ils doivent être imprimés dans le compte -rendu que je dois
soumettre incessamment à la chambre sur les opérations du chemin de fer.
Messieurs,
on doit concevoir que je n'ai pas encore pu terminer ce compte-rendu.
D'abord, quant à l'exploitation, les mesures prises par mon honorable
prédécesseur le 20 avril, trois jours avant mon entrée au ministère, ont changé
totalement le système d'exploitation et ont soumis cette exploitation à des
expériences nombreuses pour l'appréciation desquelles une commission a été
instituée. Cette commission a fait plusieurs rapports qui sont entre les mains
des membres de la chambre ; un nouveau rapport pourra probablement leur être
distribué demain.
Ainsi,
messieurs, dans ces divers rapports et dans les deux autres documents joints
au rapport de la section centrale sur le budget, et à celui sur les crédits
supplémentaires, les membres de la chambre trouveront tout ce qu'il est utile
de consulter pour la discussion des questions qui se rattachent à
l'exploitation.
Quant
aux constructions, il y a encore deux fonctionnaires, attachés à cette partie
du service, qui sont en retard de fournir les matériaux nécessaires pour le
compte-rendu. Ces fonctionnaires n'étaient pas en mesure de fournir
immédiatement tous ces matériaux, parce qu'il y a plusieurs questions très
importantes qui sont en litige et qu'il faut approfondir un peu plus qu'on ne
l'a fait jusqu'ici, avant de pouvoir insérer des détails à cet égard, dans le
compte-rendu. Si ces détails n'y étaient pas consignés, le compte-rendu serait
essentiellement incomplet.
Je
pense, messieurs, que je pourrai, avant peu de temps, déposer sur le bureau de
la chambre le compte-rendu des opérations du chemin de fer.
M.
David. -
Messieurs, je suis très satisfait de la réponse que vient de me donner M. le
ministre des travaux publics. Je désire seulement que nous possédions les
tableaux assez tôt pour que nous puissions les étudier avant la discussion du budget.
M.
Peeters, rapporteur. - Je ferai observer à l'honorable M. David que les pièces dont la
section centrale a jugé, à l'unanimité, l'impression inutile, se trouvent déjà
déposées sur le bureau et qu'on peut déjà en prendre connaissance.
PROJET DE LOI TENDANT A
OUVRIR UN CREDIT AU DÉPARTEMENT DE L'INTERIEUR POUR L'ACQUISITION ET
L’EXPLOITATION DU STEAMER LE BRITISH QUEEN, POUR LES EXERCICES 1841 ET 1842
Discussion générale
M.
Mercier.
-Messieurs, je ne dissimulerai pas l'impression pénible qu'a produite sur moi le
rapport de la section centrale sur l'objet qui nous occupe en ce moment. Bien
que sur six membres de la section centrale qui ont pris part à cette
délibération, il en est quatre qui sont au nombre des adversaires de l'ancien
cabinet, je l'avoue, je ne m'attendais pas à si peu de justice et
d'impartialité de leur part.
L’honorable
membre de la section centrale qui a parlé dans la dernière séance, s'est plaint
du peu de bienveillance qu'il avait trouvé dans les paroles de deux membres de
l'ancien cabinet. Je le demande à l'honorable M. Cogels, y a-t-il de la
bienveillance dans le rapport de la section centrale dont il a fait partie ? Ce
rapport est un véritable acte d'accusation, ou plutôt c'est un jugement basé
sur des intentions et non sur des faits. C'est là, à mon avis, un excès de
pouvoir, et je dénie à la section centrale le droit de juger les
intentions ; et qu'a-t-on fait pour établir l'existence de ces intentions
et pour parvenir à engager la responsabilité de l'ancien cabinet ? On a passé
sous silence une clause essentielle de la convention qu'on voulait interpréter,
on a omis des faits d'une haute importance dans la négociation ; on a fait même
des citations inexactes de documents écrits en langue étrangère.
C'est
ce que je vais démontrer à toute évidence :
D'abord,
malgré les mesures les plus expresses, la section centrale pose en fait que
l'ancien cabinet aurait ratifié la convention du 17 mars et l'aurait ratifiée
sans recourir à la législature ; je ne prétends pas qu'il n’y aurait pas eu
ratification de notre part, mais ce qui prouve que nous étions dans le doute,
soit sur la ratification elle-même, soit sur la question de savoir s'il y
avait lieu de la soumettre aux chambres, c'est que tout en préparant
l'exécution éventuelle d'un service de bateaux à vapeur, nous n'avions
cependant pas ratifié la convention au 13 avril, au moment de notre traité. Il
n'y avait donc pas de parti pris à cet égard ; il restait un temps suffisant du
13 au 29 avril pour provoquer au besoin une décision des chambres, et l'on ne
peut tirer aucune conséquence de ce qu'on ne l'avait pas encore fait, puisque
la crise ministérielle, qui a commencé avant que la convention nous fût
parvenue, nous interdisait de présenter, dans l'intervalle du 24 février au 13
avril, un acte d'une aussi haute importance à la sanction des chambres.
Pour
la section centrale, c'est en vain que les instructions les plus formelles ont
été données a notre ministre à Londres pour établir la possibilité d'un recours
aux chambres ; c'est en vain qu'il est même spécialement recommandé par ces
instructions qu'en cas de non ratification, le gouvernement belge n'aura à
supporter aucuns frais, malgré toutes ces précautions il persiste à soutenir
que la ratification n’était qu'une simple formalité qu'il fallait
nécessairement remplir.
Il
existe cependant, parmi les documents qui sont sous nos yeux une pièce dont M.
le rapporteur de la section centrale n'a pas fait mention, et qui administre la
preuve que la société anglo-américaine, avec laquelle nous avons traité, ne
comptait pas avec certitude sur la ratification de la convention ; elle se
trouve à la page 54 du compte rendu ; c'est une lettre écrite au nom de la
direction de la société anglo-américaine ; on y fait observer qu'il a été
satisfait à presque toutes les propositions de nos négociateurs.
Ainsi,
la direction de la société ne prétendait pas qu'on avait satisfait à toutes
les propositions faites de la part du gouvernement belge ; elle reconnaissait
qu'il y en avait qui n'avaient pas été accueillies par elle. Plus loin, dans
cette même lettre, on ajoute que le gouvernement belge a l'option
d'adopter le contrat tel qu'il est ou le refuser ; que, quant à
la direction, elle n'entend accepter aucune modification.
Il
résulte de là, qu'à l'époque du 22 mars, après la signature de la convention,
la société anglo-américaine ne croyait pas que la ratification ne fût qu'une
simple formalité, comme on l'a prétendu ; le doute devait donc exister à cet
égard dans l'esprit de la section centrale. Et c'est cependant sur la nécessité
de cette ratification qu'elle n'hésite pas à engager la responsabilité de
l'ancien cabinet à l'égard d'un acte que cette même section désapprouve
complètement.
De
ce que je viens d'exposer, je tire la conséquence qu'en arrivant au pouvoir,
le 13 avril, le ministère actuel avait une pleine et entière liberté d'action,
quant au contrat du 17 mars. Il pouvait le soumettre aux chambres, comme il
pouvait l'anéantir. En le ratifiant purement et simplement le 19 avril, il se
l'est approprié et en a assumé toute la responsabilité.
J'ajouterai
qu'à cette époque du 19 avril, au moment de la ratification, le ministère
actuel, s'il trouvait, lui, qu'il y avait une sorte d'engagement d'honneur dans
la clause qui, en cas de naufrage d'un des deux navires, permettait au
gouvernement belge de prendre et d'accepter l'autre, que ce ministère pouvait,
sans la moindre contestation, faire connaître à la société anglo-américaine
qu'il renonçait au bénéfice de cette clause stipulée en faveur du gouvernement belge.
Il
pouvait donc se délier très facilement de cette prétendue obligation morale. Je
pourrais m'arrêter là, car il suffit que le cabinet actuel ait eu pleine
liberté d'agir tant sous le rapport moral que sous le rapport légal, pour que
le précédent cabinet soit dégagé de toute responsabilité dans cette affaire.
Toutefois, je soutiens que, même en ratifiant purement et simplement la convention
au 19 avril, le cabinet actuel, pas plus que ne l'aurait fait l'ancien
ministère, n'a contracté aucune obligation morale. En effet, cette convention
renferme quatre clauses principales.
Une
première clause essentielle, formelle et expresse, pour me servir des termes
mêmes de la convention, est celle qui stipule que les deux navires doivent être
livrés au 24 mai. Pourquoi celle clause est-elle substantielle dans le contrat
? C'est qu'il était de la plus haute importance d'établir le service de
navigation transatlantique avant d'autres nations. Le gouvernement a toujours
insisté sur cette nécessité dans la discussion de la loi comme dans ses
instructions.
Une
seconde clause essentielle est celle qui est relative au prix des navires ;
vient ensuite la clause résolutoire dont la section centrale ne fait aucune mention
; elle porte en substance que dans le cas où la société anglo-américaine
manquerait en aucun sens, tout au plus tard au 24 mai, de délivrer les deux
navires ou seulement un des navires, il est permis et licite au gouvernement
belge de révoquer le contrat, nonobstant toute ordonnance ou précepte de la loi
ou de l'équité.
Comme
les deux navires n'ont pu être livrés au 24 mai, le ministère avait déjà eu à
cette époque 3 occasions de se soustraire à l'obligation légale ou morale
d'acquérir
Je
passe maintenant à la 4e clause, celle qui, en cas de naufrage de l'un des deux
navires, laisse au gouvernement belge la faculté de prendre et d'accepter le
navire restant, sans toutefois y être obligé.
Cette
clause, remarquez-le bien, ne stipule pas que le gouvernement, dans le cas
prévu, a le droit de refuser le navire restant. C'eût été un double emploi avec
la 1re clause résolutoire qui lui confère ce droit d'une manière illimitée, du
moment que les deux navires ne sont pas livrés au 24 mai. Cette clause, sans
altérer aucunement la première clause résolutoire, confère une faculté de plus
au gouvernement belge, celle de prendre et accepter celui des deux navires qui
ne sera pas dans les cas qu'elle prévoit.
La
section centrale convient, du reste, que le gouvernement n'est pas forcé
légalement de prendre ce second navire, mais elle prétend qu'il est obligé
moralement de l'accepter.
Pour
démontrer cette obligation morale, la section s'étend longuement sur la
situation défavorable où se trouvait la société, comme si cette situation
n'était pas celle qu'elle s'était faite elle-même par le contrat.
Dans
sa sollicitude pour cette société, et pour prouver combien sa situation devait
être prise en considération, la section centrale fait une citation inexacte de
l'un des documents joints au rapport du ministre. Je ne suspecte pas ses
intentions, mais on me permettra de dire qu'il y avait lieu de mettre plus de
circonspection dans une attaque dirigée contre des hommes qui ne sont plus au
pouvoir : à la page 17 du rapport de la section centrale, on lit : « et la
société qui probablement avait déjà commencé ses travaux de liquidation,
qu'allait-elle faire d'un navire, après qu'elle eut renoncé à toute réception
de marchandises et rompu ses relations avec les expéditeurs ? » Plus bas
on trouve en note : « M. Bainbridge, directeur de la société
anglo-américaine, termine sa lettre du 15 mars, en disant ; qu'une fois le
contrat de vente ratifié, leur intention était de provoquer immédiatement la
dissolution de la société. »
Messieurs,
cela m'avait paru extrêmement étrange. Une société n'attendrait que la
ratification d'un contrat, dans lequel se trouvent les clauses résolutoires,
pour provoquer la dissolution de la société. Aussi, il n'en est pas ainsi ; la
société n'a pas dit qu'elle liquiderait lorsque le contrat serait ratifié,
mais lorsque le contrat aurait reçu son complément par la livraison des obligations
belges ; vous pouvez vous en convaincre en recourant à la lettre imprimée à la
page 54 du compte-rendu ; en effet, la société ne pouvait se dissoudre qu'après
le payement. Du reste, il en eût été autrement que c'était là une position
qu'elle s'était faite.
L’argument
essentiel de la section pour prouver qu'il y a obligation morale, la voici :
« Le
gouvernement belge qui, par le fait de l'insertion de cette clause dans le
contrat, avait déjà insinué qu'au besoin un navire aurait pu suffire pour le
début de l'entreprise, pouvait-il alléguer des motifs loyaux de prétendre le
contraire, maintenant que le cas prévu dans la clause se présentait ? y
avait-il dans la position du gouvernement, des modifications telles qu'elles
pussent modifier des modifications dans son opinion concernant la possibilité
d'exploiter avec un seul navire ? Si ces changements n'existaient pas, il n'y
avait pas de motifs pour dire qu'il n'était pas obligé (moralement) de prendre
et d'accepter le navire restant. »
C'est
donc encore sur une intention que la section centrale nous condamne ; eh bien,
cette fois, je déclare de la manière la plus solennelle et je ne crains pas de
le faire au nom de mes anciens collègues, cette intention n'a jamais existé.
Cette
faculté réservée par notre ministre était avantageuse, soit en cas de doute,
soit pour nous permettre d'en agir au terme fixé selon les éventualités. Si
nous avions soupçonné que cette clause pouvait nous lier dans le sens expliqué
par la section centrale, nous l'aurions considéré comme un piége tendu à notre
bonne foi et nous l'aurions rejetée avec indignation.
Mais
non, une telle pensée n'a pas existé chez ceux avec qui nous traitions. Elle
n'eût pas échappé à la perspicacité de notre ministre, qui n'eût pas manqué de
la repousser ou d'en prévenir le gouvernement.
Messieurs,
je me rappelle à cette occasion une circonstance qui s'est passée au sein du
conseil des ministres, lorsqu'il s'est agi de l'achat des deux navires. Un
membre du cabinet a dit à M. le ministre de l'intérieur d'alors : Prenez bien
garde, dans la clause résolutoire, de ne pas nous lier à accepter un seul
navire dans le cas où un des deux navires ne pourrait pas nous être livré.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il ne fallait rien stipuler, vous eussiez été
beaucoup plus forts.
M.
Mercier. - On
doit nous juger d'après nos intentions, et non d'après des intentions supposées
et contraires à l'esprit comme à la lettre de la clause où il ne s'agit que d'une
simple faculté.
Mais,
dira-t-on, notre ministre plénipotentiaire a déclaré, lui aussi, qu'il y avait
engagement d'honneur.
Messieurs,
il importe d'examiner dans quelles circonstances cette opinion a été exprimée ;
notre ministre ne fait là aucune allusion au contrat du 17 mars, mais à des
changements opérés à ce contrat.
Messieurs,
lorsque dans le rapport qui se trouve sous nos yeux, j'ai vu pour la première
fois l'opinion que notre ministre plénipotentiaire à Londres avait exprimée,
j'ai annoté sur-le-champ en marge qu'il devait y avoir des faits qui nous
étaient inconnus ; sans cela il eût été impossible que M. Van de Weyer eût
manifesté une telle opinion. Eh bien ! messieurs, qu'est-il arrivé ? Il y avait
réellement des faits qui nous étaient inconnus. Je me suis demandé comment il
se faisait que dans les pièces qui nous ont été communiquées, il y avait une
lacune entre l'époque du 24 mai et celle du 12 juin ; comment le 12 juin, on
délibérait encore sur la question de savoir si on prendrait livraison de
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il n'y a eu qu'une simple lettre.
M.
Mercier. -
Cette nouvelle stipulation prorogeant le délai du 25 juin ; cette prorogation
seule suffirait pour prouver que le ministère a eu toute liberté d'action ; car
c'est bien volontairement qu'il s'est lié de nouveau après le 24 mai.
Eh
bien ! lisez maintenant l'opinion exprimée par notre ministre plénipotentiaire
à Londres, et vous verrez que cette opinion ne se rattache pas à la convention
du 17 mars, mais bien aux faits postérieurs à cette convention. Voici le
passage de sa lettre, qui porte la date du 1er janvier dernier :
« J'ajoutai
que le gouvernement du Roi, après avoir obtenu des délais, après avoir proposé
et obtenu un changement dans le mode de paiement, après avoir ainsi fait
encourir à la compagnie des frais considérables et de nouvelles pertes, était,
a mes yeux, moralement obligé de ratifier le contrat… »
Ainsi
M. Van de Weyer se fonde sur trois nouvelles circonstances qui ne dérivent en
aucune manière de la convention du 17 mars, mais se rapportent toutes ou à
celle du 28 avril, ou à celle qui proroge le délai au 25 juin, savoir :
1°
Les délais obtenus ;
2°
Le changement dans le mode de paiement ;
3°
Les nouveaux frais et les nouvelles pertes qu'on a fait essuyer à la compagnie,
Je
vais aborder maintenant la question financière : Un honorable membre, qui a
parlé dans la séance d'hier, a dit que sous le prétexte de se renfermer dans
les limites de la loi, le cabinet précédent avait échelonné les payements du
prix d'achat des deux navires à différentes époques ; puisque l'honorable
membre a parlé de bienveillance je lui demanderai s'il est bienveillant de
supposer que l'ancien cabinet a imaginé un prétexte ; nous aurions pu en nous
trompant sortir de la légalité, mais jamais nous n'aurions imaginé un prétexte.
Du
reste, j'ai la pleine et entière conviction que nous ne sommes pas sortis de la
légalité par le mode de payement stipulé dans la convention du 17 mars.
Parmi
les différents modes d'établissement d'une navigation transatlantique indiqués
par le gouvernement, il en est un qu'il a particulièrement désigné comme étant
le plus probable. Voyez page 4 du rapport de la section centrale.
« Le
gouvernement, disait le ministre, garantirait aux actionnaires d’une société
qui se formerait à Anvers, pour l'établissement d'un service de bateaux à
vapeur, le remboursement de leur capital au moyen du rachat d'un certain nombre
d'actions à tirer au sort et dont il resterait dès lors propriétaire. »
On
voit que, d'après ce mode, le gouvernement devait engager d’avance les annuités
créées par la loi du 29 juin 1840.
La
chambre l’a entendu ainsi, et il était impossible qu'elle le comprît autrement,
puisqu'il fallait garantir aux actionnaires le remboursement de leur capital.
Le
gouvernement pouvait donc engager légalement les 14 annuités ; il l’eût fait
par le mode qu'il a plus spécialement indiqué à la chambre ; il l'a fait aussi
par le mode qu'il a été obligé d'adopter après maintes tentatives réitérées
vainement pour en trouver un meilleur.
Si
donc une mesure était légale, la seconde
l'est également, elles ne diffèrent que par la forme ; au fond le résultat est
le même, selon la première il fallait s'engager par un contrat à payer une
certaine somme annuellement, par la seconde on prend le même engagement, en créant
des reconnaissances exigibles aux mêmes époques.
Il
ne s'agit donc que de la forme, et la question réduite à ces termes perd toute
l'importance qu'on a voulu lui donner.
Le
ministère avait à examiner si, selon des offres qui lui avaient déjà été faites
par une puissante maison financière, il pouvait faire payer les annuités selon
les échéances des obligations par cette maison qui, de son côté, eût touché
chaque année un mandat duement signé par la cour des
comptes ;
Et
dans le cas où il aurait trouvé, après mûre délibération, que ce mode eût
présenté des inconvénients sous un rapport quelconque ;
S'il
y avait lieu de provoquer une disposition législative purement réglementaire.
Ainsi,
quant à la légalité, la mesure proposée par le ministère précédent était à
l'abri de tout reproche, et je dirai, en passant, que le gouvernement, forcé
d'adopter le troisième mode indiqué en juin 1840 à la section centrale, la du
moins dégagé des deux objections qu’il avait lui-même présentées contre ce
mode, et qui consistaient en ce qu’il eût exigé des sacrifices immédiats fort considérables, ainsi qu’un personnel
actif et administratif fort difficile à réunir.
On
a évité ces sacrifices immédiats, ainsi que la nécessité de créer un personnel
dépendant du gouvernement.
Mais,
dit l'honorable M. Cogels, les obligations que l'on aurait créées devaient
faire concurrence à notre dette flottante et aux autres fonds belges ; cette
observation n'est pas fondée, car le mode adopté par le précédent cabinet
présente encore cet avantage que du moins il divise la concurrence dont a parlé
l'honorable membre. Cette concurrence, eu égard au chiffre de notre dette
publique, devait être insensible quant aux titres de la dette consolidée. Elle
eût été faible aussi quant aux bons du trésor, puisqu'elle se serait bornée
chaque année aux obligations échéant dans l'année même.
Par
le mode qui vient d'être adopté, au contraire, la concurrence dont on a parlé
se reporte exclusivement sur les bons du trésor, puisqu’elle vient augmenter
notre dette flottante. Cela est de toute évidence, car si l'émission de la
dette flottante est, terme moyen, de 10 millions, par exemple, il est bien
certain que si l'on retire deux du trésor, cette dette flottante devra être,
terme moyen, de 12 millions.
Poursuivant
sa critique, l'honorable préopinant ajoute, que d’après son opinion le
ministère précédent eût nécessairement dépassé les crédits accordes par les
chambres en employant deux navires. Cependant, il établit ensuite, d'après des
documents authentiques, que la navigation de ces deux navires en Angleterre a
produit des bénéfices. Toutefois, fidèle au système de la section centrale, il
se hâte de faire observer qu'en Belgique on ne pouvait obtenir les mêmes
résultats.
J'espère
qu'il me sera permis d'être d'un avis tout contraire :
Au
moment où le contrat du 17 mars a été signé à Londres, les navires le Président
et
Ils
pouvaient remplir le double but de transporter rapidement les marchandises et
les personnes.
La
loi n'a été votée qu'au point de vue d'un mouvement commercial considérable, et
si c'est la un crime, la chambre l'a partagé avec le ministère.
Nous
comptions sur le commerce de l'Allemagne vers les Etats-Unis, et je crois
encore que nos espérances n'eussent pas été déçues. Des voyages fréquents et
réguliers devaient amener ce résultat.
Aujourd'hui
on pense que la navigation d'un seul navire laissera peut-être un excédant de
dépense de 250,000 fr. annuellement, et l’on en tire la conséquence que
l'allocation eût été bien insuffisante pour la navigation de deux navires.
Cette
objection étant présentée, je suis forcé d'exposer la différence des deux
situations.
A
des voyages fréquents on substitue des voyages très rares, qui peut-être
n'attireront pas le commerce étranger.
Au
lieu de deux navires jouissant de la plus haute réputation, on n’a plus qu'un
navire discrédité par la perte du Président, perte dont on ignore la
cause.
Pour qu'on trouve quelqu'avantage dans la
rapidité des communications, il faut que les départs soient fréquents, car
j'aimerais autant confier ma marchandise à des navires à voiles que de la
laisser dans mes magasins pour y attendre longtemps le départ d'un navire à
vapeur ; il m'en coûtera moins.
La
plupart des chances de ruine ont donc disparu, en n'employant qu'un seul navire
; et je crois être dans le vrai en exprimant l'opinion que deux navires
naviguant avec cargaisons complètes et de nombreux passagers, auraient exigé
une dépense moins considérable en résultat qu'un seul navire qui se trouve dans
des conditions défavorables à tous égards.
Je
vais rencontrer maintenant les observations présentées par la section centrale
sur le mode de paiement : elle préfère le mode de paiement adopté par le
ministère actuel. D'abord, « parce qu'il a déchargé du paiement des
intérêts de la somme d'achat, intérêts fort considérables. »
J'avoue
que je ne comprends pas ce motif de préférence. Est-ce que, par hasard, nous ne
devons pas aussi bien acquitter les intérêts des bons du trésor à créer en
vertu du second mode que les intérêts des obligations qui auraient été créées
par suite du premier. Il n'y a aucun avantage dans le nouveau mode de payement.
Car si on négocie avantageusement des bons du trésor à certaines époques, il en
est d'autres où on ne peut les émettre qu'à un taux fort élevé.
« Ensuite
parce qu'il a permis de réduire la somme à payer de 45,000 fr., dont on avait
été obligé d'après le premier mode d'augmenter le prix d'acquisition par
compensation de la chance à courir pour la réalisation des obligations. »
Mais,
messieurs, s'il y a là un avantage bien faible relativement au capital engagé,
nous perdons d'un autre côté la navigation d'une année entière par l'époque
reculée à laquelle le navire a été livré. Certes la perte est bien plus grande
que le bénéfice qui résulte d'une faible diminution de 45,000 francs, que le
gouvernement a obtenue.
En
troisième lieu :
« Parce
qu'il a épargné au gouvernement le paiement de 46,250 francs, provenant de
l'intérêt de six mois qu'il aurait dû sur les 1,850,000 francs, depuis l'époque
indiquée par le contrat. »
Mais,
messieurs, si le navire a été fourni beaucoup plus tard, il est naturel qu'il y
ait des intérêts de moins à payer. Si le navire, au lieu d'être livré au mois
de novembre
On
a ajouté un quatrième motif ; c'est qu'il y avait dans les caisses du trésor
des fonds provenant de l'emprunt et qui restaient sans emploi. S'il en est
ainsi, au moins cela n'a pas existé longtemps. Et même, si j'en juge d'après
mes prévisions, l'encaisse, au mois de novembre, ne devait pas être très
considérable.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il était de 25 millions.
M.
Mercier. - S'il
était considérable à cette époque, bien certainement il a bientôt cessé de
l'être, et je suis convaincu qu'en ce moment et depuis quelque temps déjà il
n'excède pas ce qui est nécessaire pour subvenir aux services publics.
Voilà
donc à quoi se réduisent les faibles avantages pécuniaires obtenus par suite du
mode adopté par le cabinet actuel ; qu'on les mette en parallèle, d'une part,
avec la perte d'une année de navigation, avec la perte réelle de l'intérêt du
capital engagé depuis la date du paiement jusqu'à celle où le navire pourra
être livré à la navigation, et enfin avec l'inconvénient grave d'augmenter
d'une somme considérable notre dette flottante déjà fort élevée, et l'on
reconnaîtra que, sous le point de vue financier comme sous le point de vue de
l'utilité, l'opération projetée par l'ancien cabinet l'emportait sur celle qui
lui a été substituée ; elle avait, en outre, le mérite de ne point s'écarter de
la légalité.
Si,
en stipulant pour les deux navires, nous avions suivi le mode auquel le cabinet
actuel a eu recours, nous aurions augmenté le découvert du trésor de 3,600,000
fr., et il eût été porté à plus de 26 millions ; cette mesure, à mes yeux, eût
été fort impolitique, car si la dette flottante se supporte facilement dans les
temps prospères, elle devient un grand embarras dans les circonstances
difficiles, et souvent une source de charges onéreuses.
Je
bornerai là mes observations.
J'en
ai assez dit pour faire comprendre que, dans mon opinion, l'acquisition de
Mais
le British Queen est acheté ; qu'en ferons-nous ? Le vendre serait
peut-être chose fort difficile. Dans cette situation, je crois devoir
m'abstenir dans le vote à émettre sur la proposition faite par la section
centrale de faire pendant un an l'essai d'une navigation
transatlantique par ce navire. J'attendrai, du reste, la suite de la
discussion.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je m'occuperai d'abord des dernières observations
de l'honorable préopinant. Il trouve que la position, avec un seul navire, est
bien moins avantageuse qu'elle ne l'eût été avec 2 navires. Il serait extrêmement
facile de reconstituer l'ancienne position qu'il semble regretter ; il est très
possible de trouver un second navire, non pas peut-être de 2000 tonneaux, mais
d'un tonnage inférieur. Vous voyez donc qu'on pourrait revenir à l'ancienne
position, objet des regrets de l'honorable préopinant. Mais quelles sont les
difficultés qu'on rencontrait ? On rencontrerait des difficultés pécuniaires,
des difficultés financières insurmontables, difficultés que l'honorable
préopinant s'est complètement dissimulées.
Aujourd'hui
il faut défalquer de l'allocation de 400,000 francs 150,000 fr. (en faisant le
service des intérêts), pour amortir le capital d'un seul navire, en 14 ans et
quelques mois. Pour le second navire, il faudra défalquer une somme
équivalente, il resterait alors environ 100,000 fr. pour exploiter les deux
navires ; ce que je regarde comme absolument impossible. Je dis que, partisan
avec l'honorable préopinant de la navigation transatlantique, la seule position
possible qui ne fasse pas courir au gouvernement des chances qu'il doit
redouter, c'est l'exploitation d'un seul navire ; ce qui n'absorbera que
150,000 fr. sur le capital et laissera à la disposition du gouvernement 250,000
francs pour courir les chances de l'exploitation. Si, comme je l'espère ces
chances sont heureuses, nous verrons ce que l'avenir nous permettra de faire
avec 1'économie que nous offrira la somme de 250,000 francs.
Pour
arriver à cette étrange conclusion, qu'aujourd'hui l'exploitation d'un seul
navire est beaucoup plus malheureuse que n'eût été l'exploitation de 2 navires,
l'honorable membre doit se faire constamment illusion sur les premiers calculs
qui ont servi de base à la convention du 17 mars 1841 et qui sont l'ouvrage de
l'honorable membre. Ces calculs sont annexes à mon compte-rendu. Chacun peut
les examiner ; il en résulte à l'évidence que l'exploitation des deux navires
n'eût pas laissé 100,000 fr. à la disposition du gouvernement, pour couvrir le
déficit probable de l'exploitation de 2 navires. C'est, selon moi, un fait
incontestable.
Mais
sortons des conjectures, abordons un autre point plus réel, plus positif.
Pourquoi a-t-on changé le mode de paiement ? Pourquoi n'a-t-on pas conservé le
premier mode de paiement ?
Rappelons
en peu de mots les faits tels qu'ils se sont passés ? Je suis entré au
ministère le 14 avril, le dossier m'a été remis ce jour-là ou le lendemain, la
ratification devait être à Londres le 28, elle devait donc être expédiée de
Bruxelles, au plus tard, le 25. Je me suis demandé : Le ministère précédent
aurait-il ratifié ? Je n'en ai pas douté, j'aurais cru faire injure au
ministère précédent, si j'en avais douté. La ratification a donc été envoyée à
Londres sous la forme d'arrêté royal qui n'a pas été annexé au compte-rendu,
mais dont je puis donner lecture à la chambre.
« LEOPOLD,
Roi des Belges,
« A
tous présents et à venir salut,
«
Ayant pris connaissance de la convention conclue le 17 mars dernier à Londres,
entre notre ministre plénipotentiaire près de S. M. la reine de
«
Nous avons arrêté et arrêtons :
«
Art. 1er. La convention conclue le 17 mars dernier, à Londres, pour l'achat des
bateaux à vapeur les Président et British Queen est approuvée.
« Art.
2. Notre ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent arrêté,
dont une copie certifiée, par lui, sera remise aux vendeurs, pour valoir lettre
de ratification.
«
Donné à Bruxelles, le 19 avril 1841.
«
(Signé) LEOPOLD.
« Par
le Roi :
« Le
Ministre de l'intérieur,
« (Signé)
NOTHOMB. »
Cette
pièce était signée lorsque je me suis enquis, au ministère des finances, à la
trésorerie générale, des mesures préparées par l'ancien ministère pour exécuter
le mode de paiement indiqué. J'ai reconnu qu'aucun moyen d'exécution n'était
préparé, qu'il y avait impossibilité d'exécuter la convention, selon le mode de
paiement stipulé.
L'honorable
membre a supposé l'intervention d'une maison puissante ; je sais que cette
intervention aurait pu tout sauver ; mais ce n'est pas ce qui était stipulé
dans la convention ; il y était stipulé qu'on remettrait au vendeur 28
obligations négociables par lui. Pour recourir à une maison de banque, que
fallait-il faire ? Au lieu de remettre les obligations au vendeur, s'entendre
avec cette maison de banque qui aurait payé comptant le prix stipulé, sauf à
régulariser la position de manière à rembourser la maison qui aurait fait les
avances, il n'y avait que cela à faire.
D'un
autre côté, il y avait des sacrifices qu'avait dû faire le gouvernement pour
obtenir cc mode de payement impraticable. Le prix stipulé pour chaque navire
était de
C'était
pour obtenir un nouveau mode de payement qu'on a demandé à M. Van de Weyer, de
faire une convention additionnelle ; si j'ai ajouté quelque chose à la
ratification de la convention du 17 mars, c'est par excès de bonne foi et de
zèle.
J'arrive
ainsi au nouveau mode de payement. Je ne vais pas aussi loin que l'honorable
préopinant. L'ancien mode de payement, il le considère comme régulier ; moi je
le considère comme irrégulier. D'un autre côté, je ne viens pas prétendre que
le nouveau mode de payement est régulier. Non, il ne l'est pas ; c'est une
chose que j'ai avouée la première fois qu'il a été question de cette affaire
dans cette chambre ; c'est une chose que j'ai reconnue dans le compte-rendu ;
en effet, pages 11-12 du compte-rendu, on a mis en regard les deux modes de
payement, en les déclarant tous deux irréguliers et en faisant ressortir les
avantages évidents que l'honorable préopinant lui-même n'a pas contestés au
second mode de payement.
L'honorable
membre a pensé qu'on avait pris de grandes précautions en insérant une clause
résolutoire dans la convention du 17 mars ; mais vous auriez été beaucoup plus
forts sans cette clause ; Car la clause résolutoire est toujours sous-entendue
quand une des parties ne remplit pas l'ensemble de ses obligations. Insérer la
clause résolutoire, c'était admettre l'hypothèse de l'acceptation d'un seul
navire ; vous auriez donc été beaucoup plus forts sans cette clause : car alors
la possibilité de l'acceptation d'un seul navire
n'eût pas même été supposée.
Messieurs,
j'avais eu soin d'expliquer pourquoi il y avait lacune dans plusieurs parties
des pièces, c'est que, dans cette négociation, comme dans toute négociation,
beaucoup de choses se sont faites verbalement. Notre plénipotentiaire à
Londres, M. Van de Weyer, est venu deux fois en Belgique. Il est venu une
première fois lors de la rédaction des pleins pouvoirs et des instructions ; il
est venu une seconde fois dans l'intervalle de la convention du 28 avril et de
l'acceptation de
M.
Van de Weyer m'a déclaré qu'en jugeant les circonstances, ayant égard à la
position du gouvernement belge à Londres, il lui semblait qu'il était
indispensable d'accepter la livraison de
Résumons-nous.
Le
ministère précédent avait acheté deux navires, le ministère actuel a accepté
l'un des deux navires.
Le
ministère précédent voulait payer ces deux navires par un mode tout nouveau. Le
ministère actuel a considéré ce mode de paiement comme impraticable, il y a
substitué un autre mode irrégulier, il est vrai, mais qui présente des
avantages pécuniaires.
L'exploitation
comme l'avait projetée le précédent cabinet avec toutes les chances qu'elle
présentait, cette exploitation exposait à de très grandes difficultés, à un
déficit tellement considérable que très probablement on se fût trouvé, dans un
très court délai, en dehors des crédits de la loi du 29 juin.
L'exploitation
réduite à un seul navire ne présente plus les mêmes chances. Il est évident
qu'avec les 2.500,000 francs restant disponibles, à moins de supposer tout au
pis, nous pouvons entreprendre la navigation transatlantique.
L’honorable
préopinant a regretté la perte du Président. Je lui conseille d'être
plus reconnaissant envers le sort. Si le Président n'avait pas péri, si
les deux navires avaient pu être livrés, nous nous trouverions dans des
embarras bien plus grands.
Félicitez-vous
de la catastrophe du Président, dirai-je à l'honorable M. Mercier.
D'ailleurs, il serait facile de reconstituer cette position de trouver un
deuxième navire, à la vérité d'un tonnage moindre que celui de
Vous
arriverez à ce complément, mais graduellement, par une expérience moins
périlleuse. Il s'agit de faire un premier essai d'exploitation directe par le
gouvernement. Cette exploitation directe par le gouvernement est indispensable.
En vain, vous feriez appel à des acheteurs ou à des entrepreneurs, personne ne
se présenterait, et cet insuccès serait un nouveau discrédit jeté sur la
navigation transatlantique à vapeur, serait un nouveau discrédit ajouté à
toutes les préventions qu'on a cherché et qu'on est malheureusement parvenu à
accréditer.
Je
regarde donc comme indispensable qu'on sorte de la position où l'on se trouve,
et je ne vois pas d'autre moyen d'en sortir que l'adoption des propositions de
la section centrale, auxquelles j'adhère. Ces propositions régularisent d'abord
le mode de paiement ; en deuxième lieu elles donnent au gouvernement
l'autorisation d'exploiter directement pour cette année, autorisation douteuse
d'après la loi du 29 juin 1840. Je le répète, il n'y a pas d'autre moyen de
sortir de la position où l'on se trouve, à moins qu'on ne veuille rester dans
une sorte d'impasse. Si nous prenions une semblable résolution nous ferions
retomber une espèce de ridicule sur le pays. Je demande pardon de faire
intervenir ici le pays ; mais la loi du 29 juin a eu un tel retentissement en
Europe, que si nous renoncions à l'exécution de cette loi, croyez-moi, il en
résulterait un ridicule pour nous. Nous avons voulu faire à tort ou à raison
une tentative de navigation transatlantique ; nous n'avons plus à l'examiner ;
nous avons voulu faire une tentative devant laquelle reculent d'autres nations,
mais la tentative est annoncée, il faut la faire. Ne croyez pas qu'à l'étranger
on comprendrait les motifs de votre changement de résolution ; on ne s'y occupe
pas de vos petites discussions de légalité, discussions importantes pour nous,
importantes pour les chambres qui ne veulent pas que leurs prérogatives soient
méconnues, que les positions des pouvoirs soient irrégulières ; mais ce sont là
des discussions de détail qui échappent à l'étranger. Ce n'est pas ainsi qu'on
expliquerait l'abandon de cette idée.
J'insiste
donc pour que la chambre veuille bien voir le fond de la question, la réalité
des choses et s'associer au gouvernement en adoptant les propositions de la
section centrale.
Le
ministère actuel est-il seul responsable, l'est-il avec le ministère précédent
? Quant à moi, je persiste à dire, sans être animé d'aucune pensée de
récrimination contre le ministère précédent que la responsabilité est commune
aux deux cabinets, qu'il est difficile de déterminer la part de chacun, et que
cette responsabilité résulte de l'ensemble des événements
indivisibles, selon moi.
M. Lys. - Je n'ai pas a examiner
si l'achat des deux navires
Il
reste incontestable que deux clauses suspensives avaient été apposées au
contrat d'acquisition de ces deux navires, que la vente était censée n'avoir
jamais existé, à défaut de livraison au terme fixé, et en cas de naufrage de
l'un de ces deux bâtiments. II y a eu défaut de livraison, au terme fixé, il y
a eu perte de l'un de ces navires, donc tout était mis à néant.
Il
est dès lors établi que le cabinet actuel a pu se dispenser de faire
l'acquisition de
Je
ne parlerai point de l'obligation morale dont la section centrale nous
entretient, l'honorable M. Liedts a trop bien démontré qu'il n'y avait pour
l'Etat aucune obligation quelconque, et ce serait abuser de vos moments,
messieurs, car je ne pourrai que répéter beaucoup moins bien ce qui vous a été
si bien dit.
Nous
regardons le travail de la section centrale, en ce qui concerne l'ancien
cabinet, comme tout à fait inutile. La plupart des questions qu'elle s'est
posées et qu'elle a résolues, ne pouvait avoir aucun résultat ; elles tendaient
évidemment à justifier les actes posés par le nouveau ministère au détriment de
l'ancien, mais elle n'a pas été heureuse dans ses efforts.
Elle
a voulu considérer l'achat de
Cet
acte du 17 mars était encore soumis à la ratification du chef de l'Etat belge,
et un terme de 42 jours avait été fixé pour cette ratification, ainsi jusqu'au
28 avril, avec stipulation que dans le cas où cette stipulation ne serait pas
adressée avant cette époque, le contrat et toutes clauses y comprises seraient
absolument et à tous égards nulles, invalides et sans force, et aucune action
ou procès ne saurait en être intenté pour en exiger l'exécution, nonobstant
toute ordonnance ou précepte de loi ou d'équité.
Comment,
messieurs, après une telle condition, exigée par notre ministre
plénipotentiaire à Londres, qui n'entendait prendre aucun engagement sans cette
ratification, peut-on venir nous entretenir d'obligation morale, de crainte
d'être accusé de mauvaise foi, de déloyauté ; peut-on nous parler de la
nécessité dans laquelle on s'est trouvé par le fait de l'ancien ministère, de
ratifier ce contrat ?
Comment,
M. le ministre de l'intérieur pouvait-il nous dire qu'un procès nous serait
intenté en Angleterre, que nous aurions à courir toutes les chances d'une
procédure d'après les lois anglaises, lorsque le contrat contient la clause
formelle qu'aucun procès ne peut être intenté ? Comment M. le ministre
vient-il citer l'autorité de Merlin, pour nous prouver que le mandant devait
accomplir l'acte du mandataire fait dans les bornes du mandat, quand il prouve
lui-même, par les pièces qu'il a produites que le mandant s'était réservé la
ratification et que le mandataire exécutant fidèlement le mandat avait fait
cette réserve expresse ?
Mais
si ces clauses suspensives ne pouvaient produire aucun effet, s'il y avait mauvaise
foi, immoralité de les faire valoir, pourquoi le gouvernement, dans l'acte du
28 avril, fait-il de nouveau insérer la clause que la livraison de l'un des
navires doit avoir lieu le 21 mai ; qu'il sera libre au gouvernement belge,
qu'il sera à son choix d'accepter ou d'abandonner le bateau the British
Queen et qu'il doit exercer ce choix tout au plus tard ledit jour 24 mai,
et que s'il se résout à ne pas le prendre seul, sans le bateau the
Président, ou s'il refuse ou oublie d'exercer ce choix dans ledit délai, le
contrat et tout ce qu'il contient sera à jamais entièrement et absolument cassé
et annulé, tant à ce qui regarde ledit bateau the Président qu'en ce qui
regarde le bateau the British Queen ?
Le
contrat d'acquisition de deux bateaux à vapeur, passé le 17 mars, avait été
indirectement ratifié par l'ancien cabinet, dit la section centrale ; je ne
fais pas de difficulté d'admettre ce fait, parce que la ratification de sa part
ne me paraissait pas douteuse.
Rien
ne prouve, dit-elle encore, que notre ministre plénipotentiaire à Londres se
soit écarté des instructions qu'il avait reçues du gouvernement ; son rapport
du 23 mars, où il rend compte de l'acquisition et des incidents de la
négociation, n'a été l'objet d'aucune réclamation de la part de l'ancien
ministère.
Tout
cela est encore vrai ; M. le ministre plénipotentiaire s'est conformé aux
instructions lui données ; il a stipulé la ratification que ses instructions
portaient de réserver, il a même obtenu à cette fin un délai plus long que
celui qui lui était indiqué.
Mais
ajoute la section centrale, et ici elle sort du vrai :
« La
ratification par le contrat actuel n'était donc plus qu'une simple formalité,
qu'il ne pouvait s'empêcher de remplir sans violer les usages reçus, sans
blesser les convenances internationales. » Cela n'est nullement exact, un
contrat dont on se réserve la ratification n'existe qu'après la ratification,
auparavant ce n'est qu'un projet.
La
non-ratification n'eût pas été un caprice indigne d'un gouvernement qui tient à
se faire respecter, un désaveu injustifiable, en droit et en fait, de la
conduite de notre ambassadeur, une dérision à l'égard de l'amirauté anglaise.
La
non-ratification eût eu pour cause que l'opinion du ministère actuel n'était
plus la même que celle du précédent ; alors nos ministres d'aujourd'hui
auraient donné la preuve qu'ils ne pouvaient ratifier, parce que le contrat
sortait des limites fixées par la loi de 1840, parce qu'avec un pareil marché,
ils ne pouvaient établir une navigation transatlantique, puisqu'il ne leur
resterait qu'une somme de deux millions pour les frais d'exploitation pendant
quatorze années. Ce refus de ratification, loin de violer les usages reçus,
loin d'être un caprice, aurait été considéré comme un acte de sagesse, aurait
été l'acte d'un ministère qui ne prend que la loi pour guide, en ne faisant que
la dépense à laquelle il est autorisé.
Et
n'avons-nous pas vu dans cette session un ministre, présentant une opinion
toute contraire, dans deux projets de loi, à celle de son prédécesseur, venir
ainsi défendre au nom du gouvernement tout le contraire de ce qu'avait présenté
celui auquel il succédait.
Il
n'y avait nul désaveu pour notre ministre plénipotentiaire. Le gouvernement lui
annonçait seulement qu'il différait d'opinion avec lui sur les moyens
d'exploitation qu'il croyait nécessaire d'avoir recours au corps législatif,
motif pour lequel il usait du pouvoir de non ratification, que celui-ci qui
avait lui-même réservé.
Quant
à l'amirauté anglaise, elle n'avait pas fait partie au contrat, elle n'avait
donné des soins qu'à l'examen des navires, et on était loin de contester la
véracité et l'exactitude de son rapport.
Que
ce soit à la demande de notre ambassadeur, et par déférence pour le chef de
l'Etat qu'il représente, que l'amirauté ait consenti à l'expertise lui demandé,
que la compagnie n'ait connu que le gouvernement belge, avec lequel elle
traitait, sans considération pour un changement de cabinet, personne ne
conteste à cet égard.
Ce
n'est pas une ratification qui a été donnée, c'est un nouveau contrat, car le
premier contrat n'existait plus, un seul prix avait été fixé pour les deux
bateaux ; la condition résolutoire était stipulée ; ici il y a même
changement des conditions de paiement.
Je
ne crois point, messieurs, qu'il reste le plus léger doute, que l'achat de
Ce
n'est point dans la conduite de l'ancien ministère, ce n'est point par des
allégations qu'il avait amélioré les conditions du premier contrat, ce n'est
point par la considération que le marché se borne à un navire au lieu de deux,
et que, par suite, les frais d'exploitation ne s'élèveront point à une somme
aussi forte que le ministère actuel doit Justifier l’opération qu’il a faite.
Que la première opération fût bonne ou mauvaise, nous n'avons plus à nous en
occuper, le premier contrat n'existait plus.
Le
dernier contrat est le seul acte que la chambre ait à approuver ou à improuver.
Je
ne conteste nullement au ministère le droit de faire l'acquisition de
Si
M. le ministre de l'intérieur était venu nous exposer qu’il avait fait cette
acquisition dans l'intérêt de l'industrie, pour laquelle le besoin de débouchés
se fait sentir plus vivement de jour en jour ; qu'il n'avait pas hésité
d’exposer l’Etat à quelque perte, dans l’espoir de créer un débouché pour nos
productions, parce que tel était le but de la loi du 29 juin 1840 ; si
franchement il était venu nous dire : Nous ne pouvons obtenir de
Il
n'est malheureusement que trop vrai, messieurs, que
Je
n'aurais donc pas hésité de valider le paiement effectué et de voter les fonds
nécessaires pour l’exploitation de
J'aurais
pu alors espérer que ce service se serait régularisé et serait devenu utile,
car, il ne faut pas plus en douter aujourd'hui que nous ne formions de doute au
29 juin 1840, la navigation à vapeur entre
On
me dira la navigation à voile est là, mais on n'a cessé de répondre, d'abord
dans certaine saison elle ne peut prendre la mer, les vents l'empêchent de
sortir, ensuite il faut attendre un chargement plus complet ; et, à cet égard,
le retard est tel qu'on doit se résoudre à faire transporter la marchandise par
voie de terre et à trop grands frais jusqu'au Havre.
Mais
le ministère, loin de soutenir ses actes, ainsi que je l'aurais désiré, a tâché
de les faire considérer comme l'œuvre de ses prédécesseurs qu'il devait subir.
Le
gouvernement est-il venu vous dire qu'il était dans l'impossibilité morale :
1°
De désavouer le ministre du Roi à Londres, qui s'était conformé à ses
instructions et qui avait rendu compte de la négociation par son rapport du 25
mars resté sans observation ;
2.
De désavouer l'amirauté, qui avait une première fois constaté le bon état de
l'un de ces navires, et qui devait intervenir de nouveau pour le constater
définitivement avant la livraison.
Le
gouvernement a cru devoir à la bonne foi de maintenir le marché quant à
Agir
autrement eût été compromettre le nom belge en Angleterre.
Un
pareil langage ne tend-il pas à vous convaincre que le ministère savait qu'il
faisait une mauvaise affaire en faisant l'achat dont il s'agit.
N'a-t-il
pas, par ses paroles, fait prévaloir les accusations dirigées contre le navire,
ne les a-t-il pas tellement fortifiées, qu'on ne trouvera pas aujourd'hui des
passagers pour confier leur vie, ni des marchands pour risquer leurs
marchandises, et c'est dans un pareil état de choses que la section centrale
vient vous proposer de voter des fonds pour mettre en mer
Je
ne pourrai, messieurs, donner mon approbation à une pareille proposition.
Si
les faits accomplis doivent servir de règles, alors il serait inutile de diviser
les pouvoirs, il faudrait les réduire à un seul, les chambres deviendraient
tout à fait inutiles et ne seraient plus qu'une charge pour l'Etat.
Le
fatal exemple de voir un ministère puiser dans le trésor une somme de 1800
mille francs, sans autorisation légale, vous démontre de plus en plus la
nécessité d'une bonne loi financière, que l'on nous promet depuis si longtemps,
mais qui n'arrive pas.
Je ne tolérerai pas par mon vote de pareilles illégalités, il
sera négatif si un bill d'indemnité n'est pas demandé.
M. Eloy de Burdinne. - La discussion a duré assez
longtemps pour que chacun puisse connaître le vote qu'il a à émettre. Cette
question devient de plus en plus irritante ; je pense qu'il serait temps de la
clore, si on ne veut pas qu'elle dégénère en querelle.
Nous
avons un autre motif pour la clore ; c'est que le pays attend de vous le vote
de différentes lois. Je crois que quand une discussion a duré cinq jours chacun
doit être fixé sur ce qu'il a à faire. Cependant, comme la section centrale a
été attaquée, on ne peut pas refuser à M. le rapporteur le
droit de se défendre. Mais j'espère que, renonçant à la parole, mon exemple
sera suivi par la majorité de la chambre.
M.
Desmet. -Comme
l'honorable préopinant, je trouve que la discussion a déjà duré longtemps, et
je n'aurais pas demandé la parole si on n'avait pas attaque la section centrale
dont j’avais l'honneur de faire partie et qu'on me permettra, j'espère, de
défendre. On l'a attaquée dans ses intentions, on l'a accusée d'avoir tronqué
des pièces, on l'a accusée de partialité. L'honorable M. Delfosse a
formellement accusé la section centrale de partialité. A cet égard je dirai à
l'honorable membre comment la section centrale a opéré. Elle a examiné
l'opération sous le premier et le second cabinet, ensuite elle a examiné
l'affaire dans la position actuelle.
Quand
on accuse de partialité, on devrait bien dire en quoi elle consiste. Tous nos
votes sont motivés, et on a pu voir que les votes de blâme exprimés par la
section centrale étaient partagés entre les deux cabinets. Si on veut compter
les votes émis sur les actes des deux administrations, on verra qu'il y a
autant de votes improbatifs d'un côté que de l'autre. C'est donc à tort qu'on a
adressé à la section centrale le reproche de partialité.
Je
demanderai à M. Delfosse s'il n'y a pas un peu de partialité dans la manière
dont il a parlé des actes du précédent ministère. Il a dit : L'acte du
ministère précédent n'était qu'un projet, je ne m'en occuperai pas. Comment,
messieurs, un contrat passé, des obligations émises, des conventions passées
avec une société, tout cela n'est qu'un projet ! Non, le contrat d'achat des
deux steamers était complet, et le précédent ministère l'aurait ratifié, comme
le ministère actuel s'est cru obligé de ratifier l'achat conclu d'un seul
navire.
Examinons
maintenant la portée de l'opération. On a passé un contrat dont le montant
s'élevait à 3,616,200 fr. ; on a de plus émis des obligations qui étaient un
véritable emprunt et un emprunt à 5 p. c., avec gros intérêt. Eh bien, je vous
le demande, peut-on faire un emprunt sans une loi ? En troisième lieu, on avait
passé une convention pour l'exploitation des deux navires. Et comment cette
convention était-elle faite ? pour un temps déterminé, sans réserve, de sorte
que si les steamers étaient venus à périr, on devait continuer à payer le
subside à la société.
Je
vais, messieurs, vous soumettre le calcul, et vous venez combien on avait violé
la loi dans la première opération ; vous venez que les diverses conventions et
marchés conclus dépassaient d'un demi-million la somme votée dans la loi pour
tout la période des 14 années ; voici ce calcul :
Le
prix fixé par le contrat signé le 17 mars 1841, pour l'acquisition des deux
steamers anglais, le Président et
Ce
prix devrait être acquitté par la remise aux vendeurs d'obligations du
gouvernement belge, qui rendraient 5 p. c. par an, montant des intérêts jusqu'à
l'amortissement : fr. 1,356,255
Total
du prix d'achat : fr. 4,972,455
Par
la convention conclue le 3 avril avec MM. Cateau-Wattel, George Jolhi et Jules
Lejeune, le gouvernement a été obligé de payer à cette société pendant la
période du nombre d'années déterminé par la loi, une somme totale de fr.
1,006,520
La
somme totale à laquelle était donc obligé le gouvernement par l'achat des deux
navires et leur exploitation, était de fr. 5,978,975.
Cependant
il n'avait à sa disposition, en vertu de la loi du 21 juin 1840, qu'une somme
totale de fr. 5,600,000
Il
y aurait eu donc un déficit de fr. 378,975
Pour
pouvoir mettre à exécution la première opération, celle qui compète au
précédent cabinet.
Ne
connaissant pas les frais qu'aurait entraînés la livraison des deux navires,
c'est-à-dire les faux frais de l'achat, je ne puis en faire figurer le chiffre
dans le compte que je viens, messieurs, de vous établir, mais on peut le fixer
à une centaine de mille francs ; ainsi dans cette opération il y avait un déficit
d'un demi-million.
On
avait dans une seule opération absorbé, non seulement toute la somme accordée
par la loi, mais en outre encore un demi-million de plus ; n'est-ce pas
évidemment contre l'esprit et les termes de la loi ? En outrepassant toute la somme
de 14 années on était incontestablement sorti des bornes de la disposition de
l'article 2 de la loi qui dit que : « La dépense à supporter de ce chef
par le trésor ne pourra excéder une somme moyenne de 400,000 fr. par an, pendant 14
années. »
Selon
moi, messieurs, il résulte de l'esprit de la loi qu'il fallait favoriser une
navigation transatlantique selon les besoins éventuels du commerce pendant
14 années consécutives, et pour le faire il était mis à la
disposition du Gouvernement une somme de 400,000 francs par an ; on ne pouvait
donc pas se mettre dans une position quelconque de ne pas pouvoir favoriser ou
aider une navigation vers les Etats-Unis, telle que les besoins du commerce
l'exigeaient. C'était là indubitablement l'esprit de la loi, et si on ne le
faisait pas ainsi, on se mettait dans le cas de ne pas exécuter la loi dans son
véritable but. Je suppose que la première année l'on eût totalement absorbé le
crédit pour établir un service entre Anvers et New-York, et que l'année
suivante ou deux ans après, la nécessité se fût faire sentir d'établir un
autre service d'Ostende vers Philadelphie ; eh bien ! si vous aviez absorbé la
somme totale du crédit des 14 années, vous n'auriez pas été en état de
favoriser ce second service, qui cependant aurait été trouvé utile ; et si,
d'un autre côté, par un sinistre, les navires de la première opération eussent
péri, vous auriez dû payer tout le montant des conventions ; vous auriez
dépensé tout le crédit, et vous ne pourriez plus favoriser le service de navigation
transatlantique pendant la période établie par la loi.
Lorsque,
dans la discussion de la loi du 29 juin, l'honorable M. Rodenbach a demandé à
M. le ministre de l'intérieur d'alors, ce qu’il ferait s’il devait absorber
toute la somme la première année, il lui fut répondu que ce n'était pas la ce
que l'on se proposait de faire, que l'on se garderait bien d'absorber toute la
somme en une seule année, que l’on se réserverait toujours des ressources pour
les éventualités qui pourraient se présenter.
Eh
bien, messieurs, on a fait tout le contraire de ce que l'on avait dit vouloir
faire, on a fait aussi toute autre chose que ce que la loi permettait.
Evidemment. On a violé la loi,on dira peut-être encore : Ce jugement est
partial je voudrais cependant qu'on me prouvât et démontrât s’il n'est pas
juste.
On
s'est montré aussi fort mécontent de ce que la section centrale, par un vote
unanime, a déclaré que l'achat des deux navires, le mode de paiement et la
passation de la convention Cateau-Wattel
était un acte de mauvaise administration. Je crois, messieurs, que l'on peut
bien qualifier ainsi un acte posé en
violation de la loi, comme nous venons de le démontrer.
Je
ne suis pas du tout d'accord avec l'honorable M. Cogels qui a vu dans
l’acquisition de
On
a dit, messieurs, que force nous était de faire l’acquisition dont il s’agit,
afin d’établir aux Etats-Unis des débouchés que nous ne pouvons pas trouver
ailleurs ; « car, a-t-on ajouté, vous n’aurez jamais un traité de commerce
avec
Ceci,
messieurs, me rappelle l’époque où le congrès était appelé à donner un
souverain à
Pour
moi, messieurs, l'objet principal n'est pas le British Queen ; vous paierez
cela comme vous avez payé tant d'autres choses depuis dix ans ; ce que je
considère comme important surtout, c'est ce qui nous a été révélé dans la
discussion, qu'il nous serait impossible d’obtenir des traités de commerce.
Cependant, messieurs, en ce qui me concerne, je ne crois pas à cette
impossibilité ; je crois que si nous sommes prudents,
Quant
à l'Allemagne, je crois qu'on a tort de conjecturer que l’union ne voudra pas
de nous. Je pense absolument le contraire. Si vous le voulez, les produits
allemands ne tarderont pas à venir vous encombrer, et les Allemands passeront
bien vite le Rhin ; mais ce ne sera pas moi qui leur donnerai la main.
En ce
qui concerne
Je
crois donc qu'il dépend donc de nous d'obtenir les marchés dont nous avons
réellement besoin.
En
parlant de l'Allemagne, je dois appeler l'attention du gouvernement sur la
ratification du traité entre le Zollverein et le grand-duché de Luxembourg.
Si
nous maintenons la loi du 6 juin 1839, on introduira en Belgique par le
Luxembourg une grande quantité de produits allemands, tels que les tissus de
laines et autres étoffes, les fers travaillés, les faïences, les charbons de
bois, la chaux, le plâtre, les céréales de toute espèce, etc.
Quand
vous avez accordé des facilités aux produits de la partie cédée du Luxembourg,
vous aviez en même temps des avantages dans le minerai que vous retiriez de ce
pays ; eh bien, messieurs, cet avantage vous le perdrez par l'adjonction du
Luxembourg à l'union douanière allemande, car vous savez, messieurs, que le
tarif prussien ne permet pas la sortie du minerai.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Une exception a été faite.
M.
Desmet. - Dans
tous les cas, je pense qu'on ne peut plus laisser subsister la loi de 1839, ce
serait encore une fois un acte de dupe.
On
a reproché à la section centrale de ne pas avoir examiné assez mûrement
la question de droit. Je crois, messieurs, que toutes les questions ont été
complètement examinées par la section centrale, qui s'est occupée de l'objet
en discussion pendant vingt-trois ou vingt-cinq jours.
Cependant,
messieurs, la question de droit n'a pas exercé beaucoup d'influence sur moi.
J'aurais voulu ne pas approuver l'acquisition du British Queen, et pour
ce qui me concernait, je n'aurais pas ratifié le marché ; mais est-ce pour cela
un motif que je ne puisse excuser celui qui l'a fait, quand on voit combien les
auteurs du projet de cette navigation avaient exalté la chose, et quand on
considère que la loi du 29 juin a été votée à une certaine majorité. De plus, les
discours des honorables MM. David et Lys étaient tellement favorables à la
navigation transatlantique que les personnes qui n'avaient pas une opinion bien
arrêtée sur la question devaient nécessairement devenir favorables au projet
dont il s'agissait. J'ai donc été très disposé à excuser celui qui avait cru
bien faire en tenant le marché tel que le précédent ministère l'avait conclu,
et il est d'autant plus excusable qu'il a beaucoup amélioré l'opération en
prenant des mesures plus avantageuses au trésor de l'Etat.
Il
me reste, messieurs, une question à examiner, c'est celle de savoir ce qu'on
fera du British Queen. Dans la section centrale, je m'étais abstenu,
parce que, n'approuvant pas ce système monstre de navigation, je n'avais aucune
confiance dans un essai ; mais je pense qu'il est même dans l'intérêt de ceux
qui partagent mon opinion sur la défectuosité du système qu'un essai soit fait
; alors au moins la chose sera jugée avec preuve, et tout le monde pourra s'en
convaincre.
Je
dois ajouter ici que quand les membres de la section centrale se sont rendus à
bord de
En
ce qui concerne la légalité de la dépense qui a été faite, M. le ministre ne
veut la soutenir ; il reconnaît avec les membres de la section centrale que si
le mode employé pour remplir les engagements contractés par le marché n'était
pas illégal, il était au moins très irrégulier, mais cependant, et tout le
monde doit le reconnaître, beaucoup moins onéreux pour le trésor que
l'émission des obligations, telle qu'elle avait lieu par le précédent
ministère, Cette irrégularité ou, pour mieux dire et d'après mon opinion, cette
illégalité ou cette inconstitutionnalité est constante.
Mais,
messieurs, à qui la faute ? S'il y avait deux clefs, une pour le ministère et
une pour la cour des comptes, ces irrégularités ne pourraient pas avoir lieu si
facilement. Le pouvoir de votre cour des comptes figure bien dans votre
constitution, mais il devient nul en pratique. Cette disposition
constitutionnelle devient une lettre morte. Cependant si vous voulez que vos
finances soient bien administrées et que les abus cessent, il faut qu'elle soit
une réalité.
Avant
de terminer, je dois encore répéter que je n'étais nullement partisan de
l'établissement d'un service de bateaux à vapeur entre
M.
Delfosse. -Je ne m'attendais guère au
reproche de partialité qui vient de m'être adressé par l'honorable préopinant ;
je puis dire que personne ne s'est montré, dans cette affaire, plus impartial
que moi, car j'ai blâmé le ministère précédent, qui a eu mon appui, tout comme
le ministère actuel, dont je suis l’adversaire.
Qu'a
fait la section centrale ?
Notre
ambassadeur à Londres a été le principal instigateur du marché ; pas un mot de
blâme pour lui dans le rapport.
Le
ministère précédent, qui a voulu conclure, mais qui n'a pas conclu ce marché,
est sévèrement blâmé dans ce même rapport ; c'est à l'unanimité que la section
centrale décide qu'il a fait un acte de mauvaise administration.
Le
ministère actuel, qui a conclu le marché, trouve au contraire la section
centrale fort indulgente ; d'après elle, il était moralement engagé à prendre
le navire restant ; il a, il est vrai, fait un paiement irrégulier, mais ce
paiement a été avantageux à l'Etat, peu s'en faut que nous ne lui devions de la
reconnaissance.
J'ai
donc eu raison de dire que le rapport de la section centrale n'a pas le mérite
de l'impartialité, qu'elle n'a su être sévère que pour
les hommes tombés du pouvoir, et je maintiens ce que j'ai dit.
M.
de Mérode. - Nous ne sommes pas des avocats, a dit M. Delehaye, et si
les représentants ne sont pas destinés à traiter ici les affaires comme des
avocats, il en est de même des ministres. Une discussion s'est établie entre le
ministère précédent et le ministère actuel sur la responsabilité de
l'acquisition de
En
effet, pour qu'il n'y eût aucune connexion entre les marchés conclus à Londres
par l'intermédiaire diplomatique sous les deux ministères, il faudrait que le
ministère qui a entrepris le premier cette négociation eût déclaré positivement
qu'il voulait les deux navires, le Président et
Toutes
les paroles prononcées dans cette enceinte par M. Liedts et M. Rogier prouvent
qu'ils étaient éblouis de l'excellence de l'acquisition, soit des deux bateaux
à vapeur, soit d'un seul. Et si le ministère actuel eût mis obstacle à cette
acquisition complète ou partielle, on lui eût reproché un mauvais esprit de
contradiction et d'opposition aux meilleures combinaisons de l'administration
qu'il remplaçait. Cela est à présent de toute évidence, et certes, je ne
manquerais pas, si le marché était considéré maintenant comme une source de richesses
pour
Du
reste, messieurs, celui auquel la récompense reviendrait plus particulièrement
en équité pure et franche serait notre plénipotentiaire à Londres, et si le
va-et-vient de
L'essai
ne réussissant pas, le blâme devrait être distribué de la même manière ; quant
à moi, j'ignore quel sera le résultat de cet essai, je m'en inquiéterais
médiocrement je l'avoue, si l'on faisait payer au pays, chaque année, les frais
de ces tentatives, et qu'on ne chargeât pas constamment l'avenir des sommes
qu'il faut pour les solder. Malheureusement on augmente, et toujours par des
emprunts, le fardeau qui pèsera sur nous, et pourtant nulle prospérité, nul
bien-être réel n'est possible sans l'équilibre des recettes et des dépenses en
temps de paix. Qu'on ajoute au budget des voies et moyens ce qui sera
nécessaire pour toutes les conceptions tendantes à procurer des débouchés à
l'industrie, je ne les redouterai point, parce que bientôt on saura leur imposer
leurs véritables limites. Mais tant qu'on déguisera aux contribuables le
fardeau qu'on leur prépare en voulant enrichir le pays par le commerce, aux
dépens du trésor laissé en déficit, je ne verrai qu'avec une crainte toujours
croissante un système aussi dangereux, c'est là ce qui me fait surtout
regretter l'acquisition du British Queen ; si l'on faisait payer au pays
immédiatement, par une taxe ad hoc, le steamer tant admiré par notre
plénipotentiaire à Londres, je ne doute pas que plus de
réserve ne serait ultérieurement imposée à tous ces engagements.
M.
Delehaye. - L'honorable comte de
Mérode vient de jeter un peu de ridicule sur tous ceux qui n'ont pas partagé
son opinion. Il m'a fait l'honneur de me nommer personnellement ; il a fait allusion
à ce que j'ai dit dans la séance d'hier, quand j'ai déclaré que je n'étais
l'avocat d'aucun parti ; qu’obligé d'examiner l'exécution de la loi, c’était
comme juge que j'avais cru devoir blâmer tous ceux qui
étaient intervenus dans la négociation.
M.
Dedecker, rapporteur. – Messieurs, la section centrale dont j'ai l'honneur d'être le
rapporteur, a été l'objet de nombreuses et rudes attaques, on devait s'y attendre.
La section centrale étant entrée dans une voie de modération el de vérité, elle
devait donc nécessairement rencontrer comme adversaires naturels tous les
partisans des opinions extrêmes. Vous avez remarqué, comme moi, messieurs, que
dans cette foule d'opinions qui se sont fait jour, et de projets qu'on a mis en
avant dans cette discussion, il s'est surtout manifesté deux tendances extrêmes
et contradictoires.
Les
uns regardent l'ensemble de cette opération comme une affaire essentiellement,
utile et glorieuse pour le pays ; les autres, au contraire, la regardent comme
une affaire déplorable et ruineuse. Les uns se plaignent de ne plus voir à la
disposition du gouvernement qu'un seul des deux navires achetés primitivement ;
les autres, au contraire, trouvent que c'est encore bien trop d'un seul, et
nous proposent de le revendre, à moins qu'on ne parvienne, soit à le
raccourcir, d'après le système de l'honorable M. de Foere, soit de l'amincir,
d'après le système de l’honorable M. Verhaegen.
Mais
ce à quoi la section centrale ne devait pas s'attendre, c'était de voir
dénaturer sa pensée, de voir incriminer ses intentions. Je suis fort étonné que
quelques membres qui ont pris la parole dans la discussion, entre autres deux
membres de l'ancien cabinet, se soient plaints que la section centrale ait
incriminé, ce qui n'est pas, les intentions de l'administration précédente,
tandis que leurs discours à eux n'ont été en réalité qu'un long acte
d'accusation contre la section centrale. Cela est si vrai, qu'on a été jusqu'à
supputer le nombre des membres de la section centrale qui appartenait à la
majorité de l'ancien cabinet, et ceux qui faisaient partie de la minorité. De
là, on a perfidement inféré que des liens politiques attachant ces derniers au
ministère actuel, leurs votes n'ont plus été marqués au coin d'une stricte
impartialité. Si ce n'est pas là incriminer d'une manière inconvenante les
intentions, je vous avoue que je ne connais plus la force des expressions.
Messieurs,
obligé de prendre la défense de la section centrale, je le ferai avec prudence
et circonspection.
La
section centrale n'avait pas, comme l'a insinué l'honorable M. Rogier,
l'intention de détruire d'avance toutes les chances que pouvait avoir
l'entreprise ; je n'en veux pour preuve que la conduite qu'elle a tenue,
conduite d'une extrême prudence.
Toutes
les opinions critiques que vous avez entendu émettre au sein de la chambre
relativement à la navigabilité du navire, avaient été émises au sein de la
section centrale, Là aussi, on avait dit que
Messieurs,
quelques membres, à propos de la discussion qu'a soulevée l'exécution de la loi
du 29 juin 1840, en sont revenus à examiner la question d'utilité de celle loi.
Je pense ne pas devoir suivre ces orateurs sur ce terrain, parce que je regarde
ces épisodes de la discussion comme un hors-d'œuvre. L'immense majorité de la
législature a voté la loi du 29 juin ; elle est donc d'accord sur l'utilité des
relations à établir avec l'Amérique. Mais je ne puis pas cependant ne pas
manifester mon étonnement d'avoir entendu un ex-ministre, l'un des commissaires
belges envoyés à Paris, s'exprimer d'une manière si naïve, ou si crue, si l'on
veut, sur le peu d'espoir que nous devons fonder sur nos négociations
commerciales avec les pays qui nous avoisinent. Je pense que pour tout le monde
c'eût été exprimer une opinion exagérée, mais dans la bouche de l’honorable
membre, c'était plus qu'une exagération, c'était un aveu imprudent.
Je
ne puis non plus partager l'opinion du même honorable membre, qui semble croire
que tout l’avenir de notre industrie réside dans la navigation qu'il s'agit
d'organiser maintenant. L’honorable membre a cité tous les moyens qui sont à la
disposition du gouvernement pour tâcher de créer de nouveaux débouchés à notre
industrie. La conclusion qu'il a tirée de cette énumération, c'est que nous
n'avons rien à espérer d'aucun de ces moyens, si ce n'est de l'organisation des
bateaux à vapeur, à tel point que si l'essai de la navigation par le British
Queen ne réussissait point, il
faudrait désespérer de voir désormais notre industrie prospère, de voir notre
commerce plus étendu.
Messieurs,
avant d'examiner jusqu'à quel point la section centrale avait le droit de dire
que les deux actes posés par l'ancien ministère, le contrat du 17 mars et la
convention du 3 avril, sont des actes de mauvaise administration, j'éprouve le
besoin de vous montrer combien peu est fondé le reproche de partialité qu’on a
adressé à la section centrale. J'appelle, messieurs, toute votre attention sur
le tableau que j'ai dressé des votes des membres de la section centrale.
La
question la plus importante que la section centrale eût à examiner, c'était
celle de savoir si la loi du 29 juin avait été bien exécutée. La question de
légalité était la plus importante, parce qu'il s'agit du respect pour la loi,
tandis que la question d'administration n'est en définitive qu'une question
d'amour-propre. Sous le rapport de la légalité, la section centrale avait
divisé l'opération due aux deux cabinets en 3 points, la question
d'acquisition, la question de paiement et la question d'exploitation.
Voici
les votes émis par les membres de la section centrale relativement à ces trois
questions, et vous jugerez, messieurs, si la section centrale a été aussi
partiale que l'honorable M. Delfosse tout à l'heure encore a bien voulu le
dire.
Sur
la question d'acquisition, trois membres ont soutenu l'ancien cabinet,
c'est-à-dire, ont pensé qu'il avait agi légalement, trois ont pensé qu'il avait
agi illégalement. Il y a donc eu partage.
Relativement
à la même question envisagée dans ses rapports avec le cabinet actuel, quatre
membres ont pensé que celui-ci a agi légalement et un a pensé qu'il avait agi
illégalement.
Pour
le payement, trois membres ont soutenu que l'ancien cabinet était resté dans
les termes de la loi, trois ont pensé qu'il en était sorti, donc encore une
fois partage. Quant au cabinet actuel, deux membres seulement ont trouvé qu'il
avait agi légalement, et quatre ont décidé qu'il avait agi illégalement.
En
ce qui concerne l'exploitation, deux membres de la section centrale se
prononcent pour la légalité du mode adopté par l’ancien cabinet, et trois ont
cru ce mode illégal.
Dans
cette même question d'exploitation, le cabinet actuel n'a eu qu'une voix pour
lui, et quatre voix contre.
Je
vous le demande, messieurs, ce tableau des votes de la section centrale ne
prouve-t-il pas à l'évidence que le reproche de partialité qui lui a été
adressé est souverainement injuste ?
J'arrive
à la question d'administration. Ici encore, messieurs, les opinions de la
section centrale ont été étrangement dénaturées. On a séparé la question posée
des considérants qui l'expliquaient et la motivaient ; on a feint d'oublier la
discussion qui, au sein de la section centrale, a précédé le vote sur cette
question d'administration.
Lorsque
la section centrale a décidé que l'ancien cabinet avait fait des actes de
mauvaise administration, en faisant le contrat du 17 mars et la convention du 3
avril, c'était bien moins la teneur de ces actes ou leur but, que le mode de
négociation qu'elle a entendu blâmer.
De
tous les motifs allégués par la section centrale à l'appui de son opinion, pas
un seul n'a été réfuté ; ils subsistent tous.
La
section centrale avait demandé d'abord pourquoi le gouvernement belge avait
précisément choisi, pour faire un si important essai, des navires d'une si
grande dimension que l'Angleterre elle-même semble vouloir y renoncer. .
Ensuite,
la section centrale s'est demandé pourquoi, lorsque le gouvernement anglais a
pris sur lui d'accorder des subsides, il les a alloués, non pas à la société
anglo-américaine, qui était la première en date et qui avait par conséquent
pour elle l'expérience de l'exploitation, mais à la société qui était venue
après elle ? La section centrale ne connaît certainement pas les motifs qui
ont guidée gouvernement anglais dans cette circonstance ; mais elle est en
droit de croire que ce gouvernement a eu des motifs graves pour accorder la
préférence à la société Cunard sur sa rivale.
La
section centrale a dit encore que le gouvernement ne paraissait pas avoir fait
un appel aux capitalistes du pays. Les sociétés qui s'étaient primitivement
présentées pour l'exploitation s'étaient, dit, on, retirées. Mais tout ce qui a
été dit dans cette enceinte prouve qu'en effet il n'a pas été fait de nouvelle
démarche de cette nature. Mais, dit-on, pourquoi la section centrale
insiste-t-elle sur ce point, puisqu'aujourd'hui encore, elle se refuse à
laisser faire un appel aux capitalistes a cause de la crise qui dure toujours.
Mais messieurs, ce n'est pas là une inconséquence. On sait que la continuation
de la crise n'est pas la principale raison pour laquelle elle est d'avis qu'il
ne faut pas faire d'appel aujourd'hui. Elle a trouvé que faite cet appel
dans le moment actuel dans les circonstances actuelles, eût été parfaitement
inutile, à cause des préventions nombreuses qui existent tant contre le navire
que contre l'exploitation elle-même.
Puisque
l'ancien cabinet avait des doutes sur la légalité de l'entreprise, s'il avait
eu pour la législature les égards qu'il lui doit, il l'aurait consultée, elle
était alors réunie, car c'était au mois de janvier. Et comme elle avait, à une
grande majorité, reconnu autrefois le principe de la loi, si l'exécution qu'on
se proposait était de tout point favorable, le gouvernement devait s'attendre à
la voir approuver par la même majorité.
Mais
on n'en a rien fait : on s'est passé du consentement de la législature, et il
se trouve que nous nous trouvons de nouveau en présence d'un fait accompli.
Avant-hier,
l'honorable M. Doignon s'est élevé avec force contre cette tendance de nos
ministres à se passer du concours de la législature ; je ne puis que me
prononcer hautement en faveur des observations judicieuses qu'il a présentées à
ce sujet.
La
section centrale a fait encore observer que le gouvernement avait acquis ce
coûteux matériel avant d'avoir une société pour l'exploiter. C'est là un fait
que personne ne conteste. Eh bien, je le demande, est-ce là un acte de
prudence, un acte de bonne administration ?
Le
gouvernement était exposé ou bien à ne rencontrer aucune société et à avoir les
navires sur les bras, ou à devoir passer par les conditions onéreuses que lui
imposerait la société qui se présenterait pour les exploiter. Toutes ces
objections, la section centrale les a faites et personne n'y a répondu. Je
poursuis.
L'honorable
M. Delfosse trouve singulier que la section centrale n'ait pas eu un mot de
blâme pour M. Van de Weyer en critiquant l'ancien ministère qui avait usé de
son intervention. La raison est toute simple ; M. Van de Weyer n'était pas
sorti de ses instructions ; il avait agi dans le cercle de ses pouvoirs. Il n'y
avait donc rien à dire contre lui.
Mais
la section centrale a élargi la question, et elle a trouvé qu'on avait commis
une grande faute en prenant la voie diplomatique pour mener à terme cette
négociation importante. Je ne puis pas répéter ici une à une toutes les considérations
qu'elle a fait valoir dans son rapport. Il est certain que cette intervention
solennelle de la diplomatie a été pour beaucoup dans l'opinion que la section
centrale a émise sur 1'obligation morale où était le cabinet actuel de
maintenir le marché quant à
Enfin,
messieurs, la section centrale (je suis obligé de passer rapidement sur toutes
ces observations) a trouvé un motif de désapprobation dans la précipitation que
le cabinet précédent avait mise à conduire toute cette affaire.
Ici
encore on a incriminé les intentions de la section centrale ; mais on n'est pas
parvenu à détruire les faits. Je pourrais entrer dans quelques détails et
fournir des renseignements ultérieurs, qu'on ne peut donner dans toute leur
étendue dans un rapport.
Nous
avons accusé le précédent cabinet de précipitation ; en effet, des agents de la
société anglo-américaine sont venus à Bruxelles au commencement de janvier
1841, dans la saison la plus mauvaise, au cœur de l'hiver. Rien que ce voyage à
une pareille époque annonçait, de la part de la société, une immense envie de
vendre.
Au
lieu de continuer les négociations ici, au lieu de voir venir la
société, pour me servir d'une expression vulgaire, on lui fait au contraire la
courtoisie d'aller la trouver en Angleterre ; la diplomatie intervient d'abord,
puis l'amirauté, et l'affaire s'emmanche. La négociation entamée, nouvelle
précipitation ; vous pouvez en voir la preuve dans les pièces à l'appui du
rapport de M. Van de Weyer. Le 14 juillet, M. Lejeune remet à M. Van de Weyer
les instructions qu'il a reçues du gouvernement, le 17 juillet la négociation
est entamée, et le 18, après les premières propositions, la société dit non ;
les prix que vous m'offrez ne peuvent me convenir, nous vous prions de regarder
toute nouvelle proposition comme inutile.
Que
fallait-il faire ? Attendre, d'autant plus que, d'après les aveux mêmes de M.
Rogier, on savait que la société allait se dissoudre et qu'elle avait besoin de
vendre, Mais, au lieu d'attendre qu'elle reprît les pourparlers, le lendemain,
sans qu'on puisse s'expliquer les motifs de cet empressement, on retourne à la
charge et on recommence les négociations.
Quand
la section centrale a dit qu'il y avait eu beaucoup de précipitation dans cette
négociation, elle a demandé quels pouvaient en être les motifs. Elle en a
énuméré quelques-uns que M. Rogier ne croit pas sérieux.
La
section centrale a demandé si ce pouvait être l'intérêt du commerce ? Non,
a-t-elle pensé, car il n'y avait rien à espérer pour le moment des relations à
établir avec les Etats-Unis, à cause de la double crise commerciale et
financière qui tourmentait ce pays. Elle s'est demandé si c'était la crainte de
voir d'autres nations nous devancer ? Elle a pensé encore une fois que non,
puisqu'on savait que le projet français n'avait pas reçu d'exécution, et il n'y
avait aucun motif de croire que ce projet abandonné dût être repris par une
autre nation du continent. Elle a pensé que ce ne pouvait pas être non plus la
crainte de laisser échapper l'occasion d'acheter ce navire, car on connaissait
la position de la société anglo-américaine, qui voulait vendre à tout prix et
qui aurait vendu à tout prix, si on avait su mettre dans les négociations une
sage lenteur, C'est après la discussion de tous ces incidents, c'est dans ce
sens que la section centrale a dit qu'elle ne savait à quoi attribuer celle
précipitation que l'intérêt général ne semblait pas réclamer. A cet égard, je
réponds volontiers à M. Rogier qu'il n'est entré dans l'esprit d'aucun membre qu'un
intérêt privé aurait pu guider les personnes qui ont pris part à cette
négociation. Je proteste même contre une pareille interprétation de vos paroles
que je regarde comme une injure pour la section centrale.
Mais,
messieurs, le principal motif pour lequel la section centrale a trouvé que
l'acte du 17 mars et celui du 3 avril étaient des actes de mauvaise
administration, le voici : Par les sommes consacrées à l'achat des deux navires
et par le mode d'exploitation adopté par l'ancien cabinet, il y avait impossibilité
radicale de faire marcher le service. L'honorable M. Cogels vous a prouvé, et
M. le ministre de l'intérieur vient de reproduire des chiffres plus concluants
que toutes les subtilités.
Après
avoir accusé la section centrale d'avoir été trop sévère à l’égard de l'ancien
cabinet, on lui a reproché d'avoir été trop indulgente envers le cabinet
actuel.
Pour
bien juger la part de responsabilité qui incombe aux deux cabinets, il faudrait
d'abord savoir quelle est la partie des négociations qu'on peut leur attribuer.
D'après les discours de certains orateurs, on ne sait vraiment plus à quoi s’en
tenir. Messieurs, depuis trois jours, nous assistons à un singulier spectacle.
Nous voyons les deux cabinets qui ont pris part à cette négociation nous en vanter
l'utilité pour le pays et nous en promettre les plus beaux résultats, dire même
qu’il est glorieux pour une nation comme la nôtre de devancer toutes les autres
dans une entreprise aussi grandiose, et en même temps ils s’en renvoient la
responsabilité avec une aigreur peu édifiante. Je ne comprends pas cette
manière d'agir. Tantôt M. Rogier, tout rempli d'admiration pour cette
entreprise, qu'il appelle une bonne fortune pour
Faut-il
de nouveau, messieurs, vous exposer les faits ? Qu’on remonte à l'époque de la
discussion de la loi du 29 juin et qu'on me dise s'il y avait alors une seule
personne qui songeât à exécuter la loi comme on l'a exécutée, s'il y avait une
personne soit dans le cabinet, soit dans la chambre, qui prévît cet achat de
navires étrangers pour commencer le service. Eh bien, tout ce qui a été fait
depuis n'est que la conséquence de cette première pensée de l'achat de navires
étrangers. C’est ce qu'il importe de ne pas perdre de vue, si on veut juger
sainement de la position respective des deux cabinets. Les deux navires sont
sortis tout armés, tout équipés du cerveau des anciens ministres ; tout a été
commencé par eux, traité par un commissaire qu’ils ont envoyé à Londres.
Toute
la négociation a eu lieu, d’après leurs ordres, leurs instructions, par notre
plénipotentiaire.
La
visite a été faite par l'amirauté à la demande qu'a faite le gouvernement belge
par l'intermédiaire de l'ambassadeur. Un contrat est signe le 17 mars pour
conclure le marché ; une convention est faite le 3 avril pour mettre le navire
à la disposition d'une société. Et parce que l'ancien cabinet n'a pas rempli la
dernière formalité de la ratification, il n'a rien fait, et il se lave les
mains ! Je ne sais si c'est de la bonne foi. Si nous voulions imiter nos
adversaires, et à notre tour scruter les intentions de nos adversaires, je
crois qu'il ne nous serait pas difficile de prouver quelles étaient ces
intentions. Puisque le contrat avait été signé le 17 mars et que dès le 3 avril
ils avaient mis les navires à la disposition de la société anversoise, rien ne
les empêchait de ratifier avant leur départ du ministère. Pourquoi ne l'ont-il
pas fait ? c'est qu'ils ont voulu se créer un titre de gloire de cette
entreprise, si elle réussit, tout en se réservant ainsi un prétexte d'en
décliner la responsabilité, si elle ne réussit pas. Si l'entreprise réussit, ils
n'auront pas assez de voix par leurs journaux et par eux-mêmes pour prôner leur
gloire ; si elle ne réussit pas, ils rejetteront la responsabilité sur M.
Nothomb. C'est ce que M. Nothomb a compris, et il a trouvé avec raison qu'ils
faisaient la part trop belle pour eux et trop ingrate pour lui. Du reste, si
ces messieurs entendent ainsi la division de la part respective de
responsabilité, ce n'est pas ainsi que la division se fera dans la chambre et
dans le pays.
On
dit que la section centrale à pris beaucoup de peine pour prouver deux choses :
que l'ancien cabinet est coupable, et que le ministère actuel est innocent. Je
pourrais à mon tour dire que les défenseurs de 1'ancien cabinet se sont donné
beaucoup de peine pour rejeter la responsabilité d'un de ses actes sur le
ministère actuel. Vous avez entendu les différents systèmes qui ont été
développés. Les uns disent qu'il y avait un contrat, mais qu'il n'y avait pas
nécessité de le ratifier ; d'autres disent qu'il fallait le ratifier, mais
qu'il y avait une clause résolutoire, et ils exploitent admirablement
cette clause. D'autres enfin, et notamment l'honorable M. Verhaegen, trouvent
que plus rien ne subsiste de ce qui avait été fait par l'ancien cabinet ; qu'il
ne faut plus s'occuper du contrat du 17 mars, ni de la convention du 3 avril ;
qu'en droit il ne subsiste plus que la convention du 28 avril.
En
réponse à ces divers systèmes, il suffit d'examiner impartialement les faits ;
car je dois sans cesse vous rappeler aux faits, puisqu'on semble avoir pris le
parti de les confondre.
Le
contrat avait été conclu ; le ministère devait-il ratifier ? Je ne pense pas
que, pour les hommes de bonne foi, cette question fasse l'ombre d'un doute. Les
anciens ministres avouent eux-mêmes qu'ils auraient ratifié. La question est
trop simple pour que nous nous arrêtions plus longtemps. Que fût-il arrivé,
messieurs, si le ministère n'avait pas ratifié ? C'est alors que l'honorable M.
Rogier serait venu dire : C'est avec un profond sentiment de pitié que j'ai vu
les ministres employer tout ce que la chicane a de plus pointilleux pour
détruire un des actes les plus glorieux de notre ministère. C'est alors qu'on
serait venu accuser les ministres de ne tenir aucun compte des intérêts
matériels du pays. C'est alors qu'on se serait écrié : Ce ministère, qui se
présentait comme un ministère d'affaires, arrive précisément pour négliger,
pour fouler aux pieds ce que l’ancien cabinet avait fait dans l'intérêt des
affaires du pays ! Voilà ce que ces hommes, qui exploitent aujourd'hui les
embarras qu'ils ont jetés sur les pas du ministère, n'auraient pas manqué de
dire.
Et
la convention du 3 avril, dira-t-on aussi qu'elle n'est pas un acte par lequel
l'ancien cabinet était engagé ? Ne constituait-elle pas une ratification
indirecte ? Pour s'en convaincre, il suffit d'en lire les premières lignes.
Voici ce que porte l'art. 1er de cette convention faite sous le sceau de l'Etat
: « Le gouvernement belge remettra à la disposition de la société anonyme…
les deux bateaux à vapeur British Queen et Président, que le
gouvernement VIENT D'ACQUÉRIR de la compagnie anglaise et américaine. »
Mais,
dit-on, il y avait la clause. Je commencerai par avouer franchement qu'au sein
de la section centrale on ne s'est pas occupé de toutes ces subtilités de droit
pour savoir si la clause est suspensive ou résolutoire. Nous
avons examiné ex œquo et bono,
avec un bon sens de Belge, avec impartialité, quelle était la position
résultant du contrat, pour la compagnie anglo-américaine d'une part et pour le
gouvernement belge d'autre part. Quelle était cette position ? Pour en bien
juger, il suffit de supposer un instant que la clause n'eût pas été stipulée,
et que l'un des deux navires eût péri. Quelle eût été, dans ce cas, la position
du gouvernement belge ? Evidemment il n'y aurait eu pour lui aucune obligation
de maintenir le marché. Quelle eût été la position de la société
anglo-américaine ? Elle continuait tout simplement son système d'exploitation,
ses intérêts n'étaient lésés en rien. Maintenant que la clause a été stipulée,
la position respective de la société et du gouvernement est complètement
changée. Le gouvernement belge, par cela seul que la clause est stipulée, a
reconnu qu'au besoin on pouvait se contenter d'un seul navire. C'est là ce que
signifie cette clause, ou bien il ne fallait pas la faire. Y :avait-il des
raisons de prétendre que maintenant un seul navire ne suffit plus ? De son
côté, la société anglo-américaine, par suite de la stipulation de la clause, a
dû tenir le navire à la disposition du gouvernement jusqu'à ce qu'elle connût
sa détermination ; elle a dû renoncer à tous ses affrètements pour
Pour
tous ces motifs, il y avait donc obligation morale, obligation de bonne
foi, de délicatesse (surtout pour un gouvernement, qui doit se montrer plus
scrupuleux encore qu'un particulier) de prendre
Qu'il
me soit permis, en passant, de répondre un mot à l’honorable M. Mercier, qui
accuse la section centrale (le fait serait grave s'il était vrai,) d'avoir mal
traduit une pièce de ce procès.
Il
s'agit de la lettre de M. Bainbridge où il est dit que du moment que le contrat
aurait été ratifié, la société serait dissoute. Sur ce point je répondrai à l'honorable
membre que ce qui prouve l'exactitude de notre traduction, c'est qu'elle se
trouve littéralement conforme à la traduction qu'a fournie M. Van de Weyer et
qui est annexée au compte-rendu
Du
reste, toutes ces questions sont parfaitement oiseuses. Nous ne gagnons rien à
rechercher si tel ou tel ministre est coupable. Détournons nos regards du passé
pour les porter vers l'avenir.
L'essentiel
est de savoir ce qu'il faut faire. Nous sommes dans un impasse dont il faut
sortir. J'arrive ainsi aux conclusions de la section centrale. Comme tout son
travail, elles ont eu l'honneur d'être attaquées. Dans ces conclusions, on a
trouvé que la section centrale a été inconséquente. Voici de quelle manière
l'honorable M. Rogier a essayé de soutenir cette thèse. D'un côté, la section
centrale regarde la navigation transatlantique à vapeur comme une pensée de
haute utilité ; mais, immédiatement après, ces hommes qui (selon M. Rogier) ne
veulent pas de l'organisation du service de navigation, expriment l'opinion qu'ils
ont peu de foi dans les résultats immédiats de l'entreprise.
Non,
messieurs, la section centrale n'a pas été inconséquente ; elle n'a été que
juste ; elle a tâché d'éviter, comme elle l'a dit dans son rapport, le double
écueil des préventions et des illusions. La majorité de la section centrale
croit qu'il est utile au pays que des relations directes, suivies, régulières
soient établies avec l'un des plus vastes marchés du monde ; s'ensuit-il
qu'elle ne doive tenir aucun compte des préjugés qui existent, des nombreux
obstacles moraux que M. Rogier lui-même a signalés hier ? Evidemment non. Du
reste cet honorable membre a reconnu indirectement la justesse de nos
observations, puisqu'il n'en a pas réfuté une seule. Pourquoi la section
centrale pense-t-elle que les résultats immédiats de l'entreprise ne seront pas
très heureux ? D'abord parce que nous ne pouvons pas espérer grand-chose du
transport des lettres et des dépêches. L'honorable M. Rogier contestera-t-il ce
fait ? Je ne le pense pas. Dans tous les cas, une personne qui ne veut pas
assurément nuire à l'entreprise, M. Lejeune, dans les calculs officiels qu'il a
présentés, compte pour transport des lettres et dépêches... zéro ; c'est,
je crois, en d'autres termes, la même opinion que celle exprimée par la section
centrale. Le second motif pour lequel on n'aura pas un résultat immédiat très
heureux, c'est qu'on ne peut espérer d'avoir au début beaucoup de voyageurs,
surtout des voyageurs de première classe.
Ici,
messieurs, l'honorable M. Rogier, au lieu de voir ce qu'il y avait de fondé
dans cette opinion a de nouveau attaqué les intentions de la section centrale.
« Ce n'est pas, a-t-il dit, l'opinion de la section centrale, c'est celle
de M. Osy, que nous rencontrons ici. » D'abord la manifestation de l'opinion
de la section centrale est antérieure à celle de l'honorable M. Osy ; mais en
supposant que dans une conversation particulière l'honorable M. Osy aurait
communiqué à la section centrale ou à un de ses membres, le fruit de ses
lumières cela lui était, certes, bien permis. Mais ce n'est pas de cela qu'on
avait à s'occuper ; il fallait voir si ce qu'a dit la section centrale est vrai
ou non. Puisque notre opinion sur ce point n’a pas été réfutée, la section
centrale continue de croire avec toutes les personnes raisonnables et
expérimentées du pays, et particulièrement d'Anvers, que vous aurez peu de
voyageurs de première classe. Je désire que ces prévisions soient démenties,
mais je constate un fait.
La
section centrale vous a dit, en troisième lieu, qu'on avait pour le moment peu
de choses à espérer du transport des marchandises. On n'a pas non plus contesté
cette opinion ; et en effet je la crois incontestable. Je crois que, pour le
moment,
En
tous cas l'opinion de la section centrale sur les résultats probables du
service de la navigation transatlantique est confirmée par les chiffres qu’ont
présentés les commissaires du gouvernement et les administrateurs même de la
société. De part et d'autre on prévoit pour quatre départs un déficit de
270,000 fr. Dès lors dira-t-on que ces messieurs ont grande foi dans les
résultats immédiats de l'entreprise ?
Je
trouve donc qu'on n'est pas fondé à dire que la section centrale a été injuste
dans ses calculs, puisqu'ils sont conformes à ceux des agents du gouvernement.
C'est d'ailleurs l'opinion de l'honorable M. Rogier lui-même ; car il a fini
par vous avouer que l'entreprise, telle qu’elle s'annonce aujourd'hui, est une
entreprise boiteuse et mauvaise. C'est l'opinion de la section centrale
exprimée en d'autres termes.
Messieurs,
je crois avoir défendu l'opinion émise par la section centrale relativement au
projet qu'elle vous a présenté ; peu de mois suffiront pour justifier sa
manière de voir.
Je
ne pense pas que quelqu’un songe à conserver la loi du 29 juin 1840 d'une part
et à accorder au gouvernement les sommes nécessaires pour régulariser le
paiement qui a été fait. Il faut cependant sortir de cet état irrégulier. Pour
cela, il n'y a, pensons-nous, que le moyen proposé par la section centrale.
Quant
à la question de savoir s'il faut rapporter la loi du 29 juin 1840, comme la
section centrale vous le propose à l'art. 4 du projet, je persiste à croire que
cela est nécessaire. D'abord cette loi n'est plus exécutable, ensuite
l'expérience acquise doit nous rendre excessivement circonspects ; et c'est
pour cela que la section centrale ne veut autoriser la dépense que pour une
année.
Certainement
qu’il n’entre pas dans l'intention d'aucun membre de la section centrale, pour
autant toutefois que je connaisse cette
intention, de limiter à une somme de 230,000 francs ce qu'il faudrait faire en
faveur du service transatlantique. Si l'essai réussit, je ne pense pas qu’il y
ait quelqu'un d'assez déraisonnable dans cette chambre pour ne pas continuer le
subside. Mais la législature veut rester maîtresse de juger les faits ; elle
veut que chaque année on lui soumette l’exposé de ces faits avec les
probabilités de réussite.
Je
finis, messieurs, en vous disant que, quelle que soit l’opinion que l’on porte
sur le travail de la section centrale, il n’en est pas moins vrai que ce
travail a été fait consciencieusement. J’aurais voulu que les membres qui
aujourd’hui prennent à tâche de critiquer la section centrale, eussent vu le
zèle qu’ont mis ses membres à remplir leurs fonctions. Messieurs, 25 ou 26
séances ont été consacrées à l’instruction de l’affaire ; ces séances ont
chaque fois duré 4 à 5 heures. Nous avons passé une bonne partie des vacances
du nouvel an à Bruxelles, à examiner les graves questions soulevées par cette
opération.
Si j’entre
dans ces détails, messieurs, ce n’est pas que la section centrale demande de la
reconnaissance, de la bienveillance pour son dévouement
et son zèle, mais elle demande qu’on veuille du moins être juste envers elle.
M.
Delfosse. - Je demande la parole pour
un fait personnel.
Il
paraît que je n'ai pas été compris par M. le rapporteur. Quand j’ai dit que la
section centrale n'avait pas blâmé M. Van de Weyer, je n’ai pas entendu parler
du contrat auquel il avait concouru, d'après les instructions qui lui avaient
été données. Sous ce rapport M. Van du Weyer est irréprochable. Mais j'ai
entendu parler des choses étranges qui se trouvent dans sa correspondance.
- La clôture est demandée par plus de dix membres.
M. Dumortier. - Messieurs, j'étais absent bien malgré moi lorsque mon tour
de parole est arrivé, je demanderai à dire quelques mots. Je sais que la
chambre est fatiguée, je ne serai point long. Si toutefois on veut clore la
discussion générale, je pourrai parler à l'art. 1er.
M. Verhaegen. - Messieurs, à la fin de mon discours d'hier, je
m’étais réservé de proposer à la chambre une question d'ajournement. J'ai
délibéré depuis, et d'accord avec mes amis, j'ai pensé qu’il valait mieux
représenter mes observations plus tard pour ne pas entraver le vote sur
l'allocation demandée, qui, dans l'une comme dans l'autre opinion, pourrait
être considéré comme urgent.
Vous
me permettrez, messieurs, de dire en deux mots quels sont les motifs qui m’ont
engagé à en agir ainsi. Ayant annoncé hier que je vous présenterais une
proposition d’ajournement, je désire faire connaître à la chambre les motifs
qui m’engagent à ne pas le faire.
Un
fait grave avait été signalé par l'honorable M. Osy. Ce fait, messieurs, avait
frappé mon attention, et j'avais cru devoir demander des explications à cet
égard. Il ne s'agissait ni plus ni moins que d'une distraction de plus de
100,000 fr., de la somme sortie des
caisses du gouvernement belge. pour le payement de
Il
est vrai que M. le ministre de l'intérieur a rapporté la quittance du prix
d'achat payé, soit 70,000 liv. st. Mais la production de cette quittance n'est
pas une réponse à l'observation qui avait été faite. Car en pareilles
circonstances on rencontre toujours des quittances.
Ce
qu'a dit l'honorable M. Cogels n'est pas non plus de nature à nous satisfaire.
Il a voulu disculper un individu qu'il a nommé, mais un individu auquel
personne n'a songé. Aucune accusation n'avait été formulée pas plus par
l’honorable M. Osy que par moi qui avais relevé son assertion contre le
négociant d'Anvers auquel M. Cogels a fait allusion. Mais il y avait un fait
matériel, et pour l'honneur du pays ce fait devait être éclairci.
Maintenant
M. le ministre de l'intérieur nous a dit qu'il prendrait des renseignements, et
que dans quelques jours il nous les transmettrait.
J'avais
délibéré sur la question de savoir s'il ne convenait pas de proposer
l'ajournement jusqu'à ce que ces renseignements nous fussent donnés. Mais ne
voulant pas entraver le vote de la loi, qui peut paraître urgent aux partisans
de l'une et de l'autre opinion, puisqu'il faut en finir de cette mauvaise
affaire, j'attendrai les renseignements qui nous sont promis, tout en me
réservant de formuler, en temps opportun, telle proposition que commanderont
les circonstances, comme je me réserve aussi, après avoir pris connaissance des
documents qui seront publiés, paraît-il, par M. Obert
sur la pétition duquel vous avez passé hier, un peu légèrement, à l'ordre du
jour, de provoquer telles mesures que je jugerai utile à la découverte de la
vérité.
-
La clôture de la discussion générale est mise aux voix, elle est adoptée.
Discussion des articles
La
chambre passe à la discussion des articles.
« Art
1er. Il est ouvert au gouvernement un crédit de seize cent mille
francs, exercice 1841, pour parfaire, avec la somme disponible sur l'art. 2
du chapitre XIV du budget de l'intérieur, même exercice (loi du 24 mars 1841)
le prix d'acquisition au navire dit British Queen. »
M. le
ministre de l'intérieur a proposé par amendement de réduire la somme de
1,600,000 fr. à celle da quinze cent vingt mille francs.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a quelque chose, messieurs, que j'ai toujours reconnue,
c'est que la position dans laquelle se trouve le gouvernement doit être
régularisée.
Quelles
sont les circonstances qui ont amené cette position irrégulière ? C'est ce que
chacun de vous appréciera dans son impartialité et dans sa justice.
La
position doit être régularisée et c'est à cet effet que la section centrale
nous a proposé un projet de loi auquel le gouvernement a adhéré, un projet de
loi que dans un autre pays on appellerait : « Bill d'indemnité. »
La
position doit être régularisée sous plusieurs rapports ; elle doit l'être pour
ce qui est relatif au paiement ; le mode de paiement n'est pas régulier ; il a
été substitué à un autre mode de paiement qui, était également irrégulier et
plus onéreux ; mais, n'importe ; laissons de côté la comparaison, le mode de
paiement doit être régularisé.
En
second lieu il faut que le gouvernement ait l'autorisation d'exploiter le
navire, s'il ne parvient pas à former une compagnie. J'anticipe ici sur
l'article suivant, où l'autorisation d'exploiter, le navire est donné au
gouvernement d'une manière implicite ; le gouvernement aurait aussi le droit de
constituer une société si, dans un bref délai, l'appel qu'il fera aux
capitalistes pouvait réussir. Cet appel sera fait immédiatement après le vote
de la loi, mais il ne sera fait qu'avec fixation d'un délai jusqu'à la fin de
l'année ; dans l'intervalle l'essai se fera par le gouvernement lui-même.
Je
tenais à donner ces explications à la chambre. Je n'ai jamais entendu nier ce
qu'à plusieurs égards il peut y avoir d'irrégulier dans la position. Si,
lorsqu'il s'est agi du budget de l'intérieur, j'ai insisté pour le maintien au
budget du crédit de 400,000 fr., c'est qu'alors le temps aurait régularisé,
aujourd'hui que l'allocation a été distraite du budget, ce n'est plus le temps
qui peut régulariser la situation : la prérogative parlementaire a été mise en
cause et dès lors la législature peut seule, par un acte formel, régulariser la
situation.
Je
demande donc que la chambre vote l'article 1er tel que je l'ai amendé
c'est-à-dire avec une réduction de 80,000 fr. sur le
chiffre.
M. Dumortier. - Messieurs, la discussion qui nous occupe a quelque chose
de fort particulier, comme le faisait remarquer hier un de nos spirituels
collègues, c'est que des deux ministères qui ont pris part à l'affaire dont il
s'agit aucun n'a voulu reconnaître son enfant. (Hilarité.) Ils se sont rejeté la balle, et par là ils ont fait voir
combien l'opération est favorable au pays.
Lorsque
l'affaire qui nous occupe a été examinée dans nos sections, pas une seule voix
ne s'est élevée en faveur de cette opération, et pourquoi ? C’est, messieurs,
que nous avions tous présente à l'esprit la loi que nous avions votée en 1840,
et qui autorisait le gouvernement à accorder des subsides à une société qui se
chargerait d'établir un service de navigation transatlantique.
Jamais
il n'est venu à la pensée de personne, pas même du ministère d'alors, de
vouloir entreprendre un semblable service pour le compte de l'Etat. A cet égard,
messieurs, il ne peut exister aucun doute dans votre esprit, et l'extrait de
l'exposé des motifs de la loi de 1840, qui nous a été cité par l'honorable M.
Vandensteen, prouve à l'évidence quelles étaient les intentions du ministère
d'alors ; cet extrait prouve à l'évidence qu'il s'agissait uniquement d'engager
une société, au moyen d'un subside, à établir le service de navigation dont il
s'agissait. Je le répète, il n'est personne d'entre nous qui ait compris
autrement la loi du 29 juin 1840.
Nous
avons donc dû être tous bien surpris de voir qu'au moyen d'une loi par laquelle
nous avions permis au gouvernement de favoriser l'établissement d'un service de
bateaux à vapeur entre
Cela
explique, messieurs, comment, lors de l'examen du budget, toutes les sections
se sont récriées contre l'acquisition du British Queen. Elles ont vu que
la loi que nous avions votée n'avait pas reçu son exécution et qu'elle avait
servi de prétexte à un acte qui constitue une violation flagrante de cette loi
elle-même.
Vous
comprenez, messieurs, que, dans un pareil état de choses le pays s'est ému
comme la législature et que nous avons tous cru que nous avions un devoir à
remplir, celui d'empêcher à l'avenir de pareils actes.
Comme
l'a dit tout à l'heure l'honorable M. Dedecker, il est bien malheureux que
plusieurs de. nos ministères aient pris cette fâcheuse habitude de venir dans
cette enceinté avec ce qu'ils appellent des faits consommés, de manière
à exercer une violence morale sur la législature ; car, je vous le demande,
messieurs, mettez tous la main sur la conscience ; si l'on venait aujourd'hui
vous proposer l'opération sur laquelle vous avez à émettre un vote, si rien
n'était fait, y en aurait-il un seul d’entre vous qui voulût émettre un vote
approbatif ?
C'est
donc avec ce système de faits consommés, dans lequel beaucoup de nos
ministres ont versé, qu'on exerce une violence sur l’assemblée ; parce que,
quand les faits sont consommés, il n’y a plus moyen d’y porter remède ; alors
nous sommes en quelque sorte forcés d’y donner notre assentiment malgré nous.
Il est important de mettre un terme à de pareils actes.
Il
est un autre pont de vue, messieurs, sous lequel je déplore amèrement
l’acquisition dont il s’agit ; j’ai toujours pensé que, dans un avenir plus ou
moins éloigné,
Eh
bien, je regarde comme très nuisible à l’intérêt d’une semblable création, que
le premier acte qui ait été posé dans ce sens l’ait été sans l’assentiment de
la législature ; cela empêchera pendant longtemps encore une mesure qui a été
longtemps et vivement réclamée par le commerce.
Vous
voyez donc, messieurs, que rien ne serait de nature à vous faire admettre la
proposition qui nous est faite en ce moment, s’il ne s’agissait point d’un de
ces faits consommés devant lesquels il est très difficile de reculer.
Que
pouvons nous faire, messieurs ? Rejeter le crédit ?, Mais le British Queen est
payé ; il a été payé d'une manière qui est en dehors de toutes les règles de la
comptabilité et que je ne saurais assez blâmer, mais enfin les fonds sont
sortis de la caisse de l’Etat et qui est-ce qui les remboursera si nous
rejetons le crédit ? Sera-ce l'ancien ministère ? Sera-ce le ministère actuel ?
Car ils ont pris tous les deux une grande part à l'opération ; l'un a commencé
l'affaire, l'autre l'a terminée. Certainement si le cabinet actuel est fort coupable
d'avoir terminé l'opération qu'il pouvait abandonner, le ministère précédent
n'est pas moins coupable d'avoir le premier conçu la pensée de violer la loi
qu’il nous avait proposée pour favoriser une société qui se. serait chargée
d’établir un service de bateaux à vapeur entre
Dans
un pareil état de choses, il n'y a qu'un seul moyen d'en finir c'est un bill
d'indemnité. Je demande que la loi en discussion soit considérée sous ce point
de vue ; ce n'est que dans ce sens que je pourrai y donner mon assentiment ; si
elle n’était pas envisagée ainsi je ne pourrais certes pas l’adopter.
Je
tenais, messieurs, à faire ces observations. Je ne prolongerai pas d'avantage
la discussion qui est déjà très longue. J'aurais beaucoup de choses a dire
encore, mais je crois devoir ménager les moments de la chambre. Je me bornerai
donc à répéter qu'il est indispensable de considérer la loi que nous allons
voter, comme un bill d'indemnité. (Appuyé
! Appuyé !)
M.
Pirmez. - Je
voterai l'art. 1er, messieurs, parce que je crois qu'il est impossible de ne
pas le voter dans l'état actuel des choses, mais je repousserai l'art 2, parce
que je ne veux pas consentir à ce que la navigation transatlantique soit
exploitée par le gouvernement (Aux voix ! aux voix !).
M.
Osy. – Je me
rallie entièrement à ce qui a été dit par l'honorable M. Dumortier. S'il est
entendu que la loi sera considérée comme un bill d'indemnité, je l’adopterai ;
sans cela je la repousserai.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On ne peut pas la considérer autrement.
M.
Osy. - Alors
je demande qu'il en soit fait mention au procès-verbal.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je répète qu'on ne peut pas envisager la loi autrement.
M. Dumortier. - Eh bien, alors qu'on le dise dans le procès-verbal.
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si vous tenez à ce mot anglais, je ne m'y oppose
pas.
M.
le président.
- Je vais mettre l’art. 1er aux voix.
Plusieurs membres. - L'appel nominal !
Il
est procédé au vote par appel nominal. En voici le résultat :
83 membres
prennent part au vote.
77
adoptent.
6
rejettent.
En
conséquence l'art. 1er est adopté.
Ont
voté l'adoption : MM. Brabant, Cogels, Coghen, Cools, Coppieters, David, de
Baillet, de Behr, Dechamps, Dedecker, de Florisone, de Garcia de
Ont
voté le rejet : MM. Delehaye, Delfosse, Doignon, Jadot,
Vandenbossche, Verhaegen.
« Art. 2. Il est ouvert au gouvernement.
1°. Un crédit de deux cent cinquante mille fr. exercice 1842, pour subvenir aux
avances et frais d'exploitation de
M.
Osy. - Comme
je ne puis voter cet article tel qu’il est, je propose d'accorder au
gouvernement un subside de 250,000 fr. à donner à des
sociétés ou des particuliers pour l'exploitation de
M.
le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est proposer l'impossible. Il n'est pas dit dans
l'art. 2 que l'exploitation se fera nécessairement d'une manière directe, par
le gouvernement. Messieurs, si je pouvais immédiatement trouver une compagnie,
je lui abandonnerais très volontiers tous les détails de cette administration.
Le crédit est donc ouvert dans des termes tels que je pourrais, s'il se
présentait une compagnie, lui livrer immédiatement le navire. Mais il est
impossible qu’une compagnie se présente immédiatement. Toutefois, un appel
public va être fait.
- L'amendement de M. Osy
n'est pas appuyé.
Des membres réclament l'appel nominal
pour le vote de l'article 2.
On
procède à l'appel nominal.
83
membres y prennent part.
2
se sont abstenus (MM. Eloy de Burdinne et Mercier.)
68
répondent oui.
13
répondent non.
En
conséquence l'art. 2 est adopté.
Ont
répondu oui : MM. Brabant, Cogels, Coghen, Cools, Coppieters, David, de Baillet
de Behr. Dechamps, Dedecker, de Florisone, de Garcia de
Ont
répondu non : MM. Delehaye, Delfosse , Doignon , Jadot, Jonet, Osy, Pirmez,
Puissant, Sigart, Vandenbossche, Vandensteen ,Verhaegen et Vilain XIIII.
MM.
Eloy de Burdinne et Mercier sont invités à faire connaître les motifs de leur
abstention.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, j'ai voté contre la loi du 29 juin.
Depuis lors rien n'a pu faire changer mon opinion sur le peu d'utilité d'une
dépense aussi forte. J'aurais donc dû voter contre l'article 2. Mais j'ai dû
m'abstenir, ayant été obligé de voter pour l'art. 1er, où il s'agit d'un fait
accompli dont on ne peut revenir.
M.
Mercier. - Je
me suis abstenu par les motifs que j'ai indiqués dans le discours que j'ai
prononcé tout à l'heure.
Articles
3 et 4
« Art.
3. Le premier crédit de l'art. 2 (250,000 fr.) formera l'article 5 du chap. XIV
du budget de l'intérieur, exercice 1842, sous le libellé : Exploitation de
« Le
deuxième crédit (150,000 fr.) formera l'art. 17 du chap. 1er du budget de la
dette publique, exercice 1842, sous le libellé : Intérêt et amortissement du
capital d'acquisition de
- Adopté.
« Art. 4. La loi du 29 juin 1840 est
rapportée. »
-
Adopté.
M. Dumortier. - Messieurs, la loi que nous venons de voter n'est
pas complète. Il faudrait régulariser le mode de paiement. Il n'y a dans la loi
aucune disposition à cet égard. Cependant une pareille disposition me paraît
indispensable. Il y a dans les caisses du trésor du chef du British Queen, un
déficit de quelques millions ; il faut les y faire rentrer par un moyen quelconque. On pourrait insérer dans la loi un
article qui dise que la dépense sera couverte par la dette flottante.
M. Demonceau. - Le gouvernement a été autorisé par la loi de la dette
publique à émettre des bons du trésor jusqu'à concurrence de 22 millions. S'il
faut absolument régulariser la comptabilité à cet égard, on pourrait dire qu'il
sera pourvu à ces dépenses, au moyen d'une émission de bons du trésor à
concurrence de la somme que nous avons votée pour le prix
principal.
M.
Cogels. - Il
faudrait dire qu'il y sera pourvu, au besoin, car dans la situation
actuelle du trésor, une émission de bons du trésor n'est nullement
nécessaire.
M.
Le ministre des finances (M. Smits) - Je crois que la disposition est inutile pour le
moment. Par la loi du budget, le gouvernement a été autorisé à créer des bons
du trésor jusqu'à concurrence de 22 millions. Si le gouvernement a besoin de
faire rentrer au trésor la somme qui en est sortie pour l'acquisition de
M. Demonceau. - Je demande la parole pour répondre quelques mots à M.
Cogels.
Quand
on autorise le gouvernement à émettre des bons du trésor jusqu'à concurrence
d’une certaine somme, il est évident qu'il ne les émet que jusqu'à concurrence
du déficit qui peut se trouver dans le trésor. Je crois que pour le moment,
loin d'avoir besoin d’émettre des bous du trésor, nous avons dans les caisses
une partie de l’emprunt qui ne produit pas, de sorte que, pour l'exercice
courant, il n'est pas nécessaire d'autoriser une émission supérieure à celle
autorisée par la loi du budget.
Vote sur l’ensemble de la loi
Personne
ne demandant plus la parole, il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble de
la loi.
En
voici le résultat :
82
membres répondent à l'appel.
71
membres répondent oui.
10
membres répondent non.
1
s'abstient.
En
conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
M. Eloy de Burdinne déclare qu'il s'est abstenu sur l'ensemble par les
mêmes motifs que sur l'art. 2.
Ont
répondu non : MM. Delehaye, Delfosse, Doignon, Pirmez, Puissant, Sigart, Jadot,
Vandenbossche, Vandensteen et Verhaegen.
Ont
répondu oui : MM. Brabant, Cogels, Coghen, Cools, Coppieters, David, de
Baillet, de Behr, Dechamps, Dedecker, de Florisone, de Garcia de
-La
séance est levée à 4 heures et 1/4.